D) Taxinomie des actes de langage.

Transcription

D) Taxinomie des actes de langage.
REPUBLIQUE ALGERIENNE DEMOCRATIQUE ET POPULAIRE.
MINISTERE DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE
SCIENTIFIQUE.
UNIVERSITE D’ALGER.
FACULTE DES LETTRES ET DES LANGUES.
DEPARTEMENT DE FRANÇAIS.
Etude de contextualisation et d’adéquation des mots
au monde dans Actuelles III – Chroniques algériennesd’Albert Camus.
Analyse pragmatique du discours journalistique selon
la théorie des actes de langage de John Searle.
Mémoire de Magister en linguistique pragmatique
et en philosophie du langage.
Présenté par :
Melle Hassiba Bénaldi
Membres du jury:
Mr Aberrazak Dourari
Mr Youcef Immoune
Mr Mohamed-Lakhdar Maougal
Sous la direction de :
Mr Mohamed-Lakhdar Maougal.
Année- 2004
SOMMAIRE.
INTRODUCTION------------------------------------------------------------4
I-
PREMIERE PARTIE ----------------------------------------------------- 8
I-A – Les concepts fondamentaux de l’analyse actionnelle----------------8
A/1 Le contexte------------------------------------------------------------------- 8
a) Première définition
b) Deuxième définition
A/2 Les actes de langage, typologie--------------------------------------------8
a) L’acte énonciatif--------------------------------------------------------------9
b) L’acte propositionnel-------------------------------------------------------10
c) Les actes illocutionnaires-------------------------------------------------- 10
I-B - Une méthodologie appropriée -------------------------------------------11
B/1 La structure de base de l’acte illocutionnaire ------------------------11
a) Le but illocutoire ou l’analyse pragmatique----------------------------11
b) La direction d’ajustement et l’analyse logique de la représentation 11
c) L’état psychologique (condition de sincérité) ------------------------- 12
B/2 Taxinomie des actes illocutionnaires-------------------------------------12
Les assertifs -------------------------------------------------------------------14
Les directifs--------------------------------------------------------------------14
Les promissifs-----------------------------------------------------------------14
Les expressifs----------------------------------------------------------------- 14
Les déclaratifs-----------------------------------------------------------------14
C / La référence, socle de l’analyse descriptive réaliste ----------------- 15
II-
DEUXIEME PARTIE------------------------------------------------------18
II-A –Présentation générale des énoncés des discours ----------------------18
(Les chroniques algériennes d’Albert Camus 1939 - 1958)
II-A-1-Présentation du corpus--------------------------------------------------18
II-A-2-Description du corpus---------------------------------------------------19
II-A-3-Contexte historique de la parution d’Actuelles III-------------------21
II-A-4- Pourquoi Actuelles III en 1958 ?--------------------------------------21
II-B – PREMIERE PERIODE : MISERE DE KABYLIE 1939----------23
A)Introduction -------------------------------------------------------------------23
B)Albert Camus journaliste à Alger-Républicain--------------------------- 23
1
C) Taxinomie des actes de langage------------------------------------------- 24
C-1-aLes assertifs------------------------------------------------------24
C-1-bLes directifs------------------------------------------------------44
C-1-cLes expressifs-------------------------------------------------- 52
C-1-dLes promissifs--------------------------------------------------53
II-C – DEUXIEME PERIODE : CRISE EN ALGERIE 1945-------------57
A. Introduction--------------------------------------------------------------- 57
B. Albert Camus journaliste à Combat -----------------------------------57
C. Les événements historiques de 1945-----------------------------------57
D.Taxinomie des actes de langage---------------------------------------- 58
D-1-a Les assertifs-----------------------------------------------------58
D-1-b Les directifs-----------------------------------------------------71
D-1-c Les promissifs--------------------------------------------------77
D-1-d Les expressifs --------------------------------------------------79
II-D – TROISIEME PERIODE : L’ALGERIE DECHIREE 1956-------82
A.
B.
C.
D.
III -
Introduction----------------------------------------------------------------82
Le contexte historique de 1956------------------------------------------82
Albert Camus journaliste à l’Express-----------------------------------83
Taxinomie des actes de langage------------------------------------------------83
D-1-a Les assertifs----------------------------------------------------- 83
D-1-b Les directifs------------------------------------------------------97
D-1-c Les expressifs ---------------------------------------------------107
D-1-d Les promissifs -------------------------------------------------- 111
TROISIEME PARTIE----------------------------------------------------114
III -A - CONTEXTE HISTORIQUE ET AJUSTEMENT A LA REALITE
A-1
A-2
A-3
IVVVIVIIVIII-
Première période : Misère de la Kabylie 1939.
Deuxième période : Crise en Algérie 1945.
Troisième période : l’Algérie déchirée 1956.
CONCLUSION GENERALE-------------------------------------------- 125
RESUME DU MEMOIRE------------------------------------------------129
RESUME EN ARABE-----------------------------------------------------130
MOTS CLES-----------------------------------------------------------------132
BIBLIOGRAPHIE--------------------------------------------------------- 133
2
REMERCIEMENTS :
Je remercie toutes les personnes qui m’ont aidée à préparer cette recherche.
En premier lieu, mon encadreur monsieur MOHAMED LAKHDAR
MAOUGAL qui a toujours été présent pour me conseiller et me diriger afin
de mener à bien ce travail.
En second lieu, mes très chers parents qui m’ont entourée d’amour et qui
m’ont soutenue moralement.
Enfin, Madame Kadi, Lynda, Houria et tous ceux que j’aime.
3
INTRODUCTION :
Notre recherche portera sur l’étude du discours d’une série de chroniques écrites et
publiées par Albert Camus dans Actuelles III en 1958 aux éditions Gallimard.
Il s’agit de travailler dans une perspective d’analyse pragmalinguistique d’un discours
de nature journalistique, c’est à dire un discours réaliste donc non imaginaire, ni
symbolique, et le plus souvent direct.
La pragmalinguistique (du grec « pragma » qui signifie action) va nous permettre de
faire et de procéder à l’analyse de la fonctionnalité des discours dans lesquels les structures
linguistiques sont orientées vers des buts pragmatiques.
On peut, donc, dire que dans cette nouvelle optique, l’analyse des discours a pour
vocation d’étudier les énoncés produits par des locuteurs en les replaçant dans le contexte
immédiat dans lequel ils prennent vie et se réalisent en action.
La théorie saussurienne qui avait autrefois écarté le langage de la réflexion linguistique
en affirmant qu’il n’était point considéré comme un objet s’offrant à l’analyse, est remise en
question par cette nouvelle orientation et dans cette nouvelle perspective. Une telle
conception réduit le langage à la seule fonction d’information, et la langue, donc, a un
instrument de communication décontextualisé, considérant les énoncés comme le produit
d’une codification.
Les écoles américaines vont être parmi les toutes premières à remettre en cause les
dichotomies saussuriennes basées sur : langage/langue et langue/parole.
Désormais le langage ne saurait plus résister à l’analyse.
La notion de discours s’impose et les linguistes post-saussuriens s’intéressent au
discours et à sa relation avec le contexte dans lequel il est actualisé.
En fait, les nouvelles orientations permettent de réfléchir sur les rapports entre le
langage et le discours en tant qu’organisation de la langue et en tant que réalisation du
langage lui-même.
Quelles seront les homologies entre les structures du langage, celles des langues et
celles des discours, dès lors que ces homologies seront devenues réelles et évidentes ?
4
Telle est la tâche que s’est fixée l’analyse pragmalinguistique dans la tradition de la
nouvelle philosophie analytique anglo-saxonne du langage.
En effet, elle permet un dépassement de la simple dichotomie langue/discours en
focalisant l’analyse sur le fonctionnement du trièdre : langage-langue-discours.
Cette relation permet de poser des postulats de base :
1. le discours devient une composante de la langue.
2. la langue devient à son tour la matérialisation du langage.
LANGAGE →
Composante
de la langue.
LANGUE
← DISCOURS
Matérialisation
de la langue.
Cette nouvelle perspective va permettre de se développer une analyse de la
représentation et de la réalisation du langage dans la langue et celle de la langue dans le
discours.
Austin, le fondateur de la pragmatique en tant que discipline, a amorcé la réflexion
sur les actes de langage grâce à ses études sur les performatifs et sur les constatifs.
Pour lui, dire qu’une énonciation est performative revient à faire quelque chose par le
seul fait de l’énoncer sous réserve de la réalisation de certaines conditions de réussite. Elle
ne décrit pas l’action, elle est elle même action. Dans ce cas là, effectivement, « dire c’est
faire ».
Néanmoins, les réflexions austiniennes restent confinées dans des analyses
formalistes et structuralistes du langage même si elles prennent en considération le
contextuel, le textuel et l’énonciatif.
Les travaux en philosophie du langage de John Searle permettent d’ouvrir le débat
sur la relation entre la structure du discours d’une part, le contexte situationnel dans lequel
il est produit d’autre part et enfin l’intention du sujet parlant : le locuteur.
C’est le locuteur qui permet l’actantialisation de la langue. Searle affirme que
« Parler une langue, c’est adopter une forme de comportement régie par des règles »1
1
SEARLE
J.R.
(1972) Les actes de langage, éd, Hermann, page 52
5
Searle confirme, dans un premier temps, la doctrine austinienne en précisant que
« parler » est un comportement intentionnel, c’est-à-dire qu’il doit être clair pour l’auditeur
que le comportement verbal du locuteur est sensé véhiculer du sens et surtout viser un but.
Ce comportement langagier inséré dans une relation intersubjective entre les deux
interlocuteurs est régi par des règles aussi bien sociales (normatives) que linguistiques
(constructives).Le langage révèle donc, une dimension actantielle dans laquelle l’acte de
langage devient le constituant immédiat du discours produit par le locuteur.
C’est dans cette perspective là que la théorie searlienne intéresse notre recherche.
En effet, en exposant la piste searlienne et en la ciblant sur l’analyse du corpus choisi
à savoir Actuelles III d’Albert Camus, nous interrogerons la fonctionnalité du discours
camusien en analysant la structure illocutionnaire des actes de langage accomplis par le
journaliste-locuteur.
Quels types d’actes de langage accomplit Albert Camus? Quels sont leurs différents
buts illocutoires ? Dans quel état psychologique Albert Camus s’exprime-t-il ? Comment se
fera l’adéquation des mots qu’il formule et produit avec le monde dont il parle?
La structure illocutionnaire des actes de langage, va nous permettre de déterminer : le
but illocutoire, la direction d’ajustement, et l’état psychologique du locuteur.
Cette piste sera suivie dans les discours qui seront produits lors des trois périodes qui
constituent Actuelles III. Chaque période véhicule un contexte historique précis :
ƒ Premier contexte
ƒ Deuxième contexte
ƒ Troisième contexte
: 1939
: 1945
: 1956
Chaque contexte comporte des articles choisis par le locuteur :
ƒ 1939 →
ƒ 1945 →
ƒ 1956 →
enquête
reportage
articles
: « Misère de la Kabylie ».
: « Crise en Algérie ».
: « l’Algérie déchirée ».
Ce qui intéresse notre recherche, c’est d’analyser la manière dont se fait l’ajustement du
langage, c’est à dire l’ajustement des mots à la réalité du monde.
6
Comment se fait, donc, l’adéquation du langage à la réalité décrite dans Actuelles III est la
question nodale de ce travail.
Afin d’y répondre, nous expliciterons le contexte historique de chaque période, ainsi
nous pourrons évaluer la véracité des contenus propositionnels des actes de langage produits
par Albert Camus dans ses discours d’alors.
Nous tenterons, également, une extension de l’analyse. Searle pose l’adéquation des
mots au monde entre unités linguistiques et réalité dans laquelle ces unités prennent vie.
Or, la réalité est aussi complexe qu’épaisse, voire opaque. Plusieurs réalités peuvent
s’imbriquer les unes aux autres et se télescoper dans un même discours.
Quelles seront donc les réalités convoquées par Albert Camus ? Comment se feront
les adéquations dans le discours camusien entre ces réalités ?
Nous nous pencherons, également, sur la condition de sincérité en tant que
comportement psychologique du locuteur à travers les actes produits par le chroniqueur
Albert Camus. Elle nous permettra d’explorer l’engagement ou le non-engagement du
locuteur face à ce qu’il énonce.
Comment réagit Albert Camus en accomplissant ces illocutions constituera pour nous
une piste non négligeable.
Pour conclure, tout au long de cette réflexion, nous essaierons d’analyser le
fonctionnement du discours journalistique et sa relation à la réalité.
Dans cette réflexion nous nous contenterons d’analyser cette fois-ci les actes de
langage directs. Quant à l’indirectivité, elle pourra faire l’objet d’un travail détaillé que nous
effectuerons plus tard. Nous avons également souhaité laisser l’analyse des actes de langage
déclaratifs pour une recherche plus approfondie, ultérieurement.
7
I- PREMIERE PARTIE
I- De quelques concepts fondamentaux qui fondent l’analyse
actantielle :
A/1 Le contexte :
Il existe de multiples définitions données à la notion de contexte, nous en retiendrons
deux :
a) Première définition :
« Toute phrase, quelle qu’elle soit, a toujours besoin d’un contexte. Il correspond aux
éléments qui complètent ou qui assurent l’interprétation globale d’un énoncé »1
La définition du premier contexte correspond à l’environnement linguistique qui
entoure le mot ou la phrase. C’est-à-dire à toutes les unités linguistiques qui sont
déterminantes dans l’interprétation du sens.
b) Deuxième définition :
Le deuxième contexte correspond à l’environnement extralinguistique, autrement dit
il désigne « la situation de l’interaction sociodiscursive »2
Tout discours est produit dans un contexte social par rapport à une situation de
communication précise.
Ce contexte social et historique qu’on appellera contexte sociohistorique englobera
toutes les connaissances générales indispensables à l’interprétation du discours.
Ces connaissances correspondent aux représentations psychosociales et aux
préconstruits culturels des sujets inscrits dans une société particulière à une période
historique donnée.
A/2 Les actes de langage, typologie.
Dans la perspective de la philosophie du langage, parler constitue un comportement
intentionnel régi par des règles qui sont de différentes natures.
1
ADAM
J.M.
Paris, page 124
2
ADAM
J.M
(1990) Eléments de linguistique. Théorie et pratique de l’analyse textuelle, ed Margada
(1990 ) ibid
8
Aux règles linguistiques constructives s’ajoutent les règles sociales normatives qui
concernent la mise en circulation sociale des énoncés qui déterminent les énonciations.
Searle s’en explique :
« Parler une langue, c’est adopter une forme de comportement régie par des règles, (…) parler
une langue c’est réaliser des actes de langage, comme poser des affirmations, donner des ordres,
poser des questions, faire des promesses »1
Le discours est, alors, appréhendé par rapport à la théorie des actes de langage : théorie
de l’action.
Le second principe que pose la théorie de l’action est celui de « l’exprimabilité » en
vertu duquel « tout ce que l’on veut signifier peut-être dit »2
« Pour toute signification X et pour tout locuteur L, chaque fois que L veut signifier, à
l’intention de transmettre, désire communiquer, etc.… »3
Donc, les locuteurs en énonçant des phrases, accomplissent des « actes illocutionnaires ».
Searle explique que l’acte de langage est le constituant immédiat du discours. Il est
composé lui-même de trois types d’actes :
a) L’acte énonciatif.
b) L’acte propositionnel.
c) Les actes illocutionnaires.
Ces trois actes ne sont pas indépendants, les locuteurs les exécutent de manière
simultanée et spontanée.
a) l’acte énonciatif :
Il consiste « à énoncer des mots et que ces mots soient prononcés à l’intérieur de phrases
dans certaines situations, sous certaines conditions et avec certaines intentions ».4
Les actes énonciatifs comportent les phonèmes, les morphèmes, les séquences, les
phrases, etc.
1
SEARLE
J.R.
Op cit,page 55
3
Op cit., page 56
4
Ibid
2
(1972) Les actes de langage, éd, Hermann, page 52
9
b) l’acte propositionnel :
« Il a pour forme grammaticale caractéristique des parties de phrases ».1
Il existe de multiples exemples comme les prédicats grammaticaux pour l’acte de
prédication, les noms propres, les pronoms, les groupes nominaux pour la référence. Ces
actes ne sont jamais seuls, ils sont accompagnés des actes illocutionnaires.
L’acte propositionnel revient à référer et à prédiquer.
c) les actes illocutionnaires :
Les verbes qui désignent ces actes sont : affirmer, décrire, asserter, avertir, ordonner,
etc.
Pour Searle, il est nécessaire d’opérer une distinction entre proposition exprimée (b)
et l’acte illocutionnaire (c). Ce sont les deux éléments de la structure syntaxique de la
phrase. L’acte illocutionnaire se compose d’un « marqueur de contenu propositionnel » et d’un
« marqueur de force illocutoire ».
Cette distinction est symbolisée par (F) et (P)
F → marqueur de force illocutionnaire ou illocutoire.
P → la proposition exprimée à l’intérieur de l’acte illocutionnaire.
« Lorsqu’on exprime une proposition, on l’exprime toujours à l’intérieur d’un acte
illocutionnaire »2.
Après avoir défini les concepts fondamentaux de la pragmalinguistique, John Searle
pose les principes de l’analyse méthodologique de l’actantialité. Cette analyse actantielle se
fera toujours dans le cadre d’une structure de séquence ou d’une proposition. Elle nécessite
de définir et de circonscrire des principes et des outils dans cette structure séquentielle.
1
Op. cit,page 61
2
SEARLE
J.R.
(1979) Sens et expression, éd de Minuit, Paris, page 41
10
I-B-Une méthodologie appropriée :
B-1 l’analyse des structures des actes de langage.
B-1/1 La structure des actes illocutionnaires :
a) Le but illocutoire ou l’analyse pragmatique :
« Le but ou le propos d’un type d’acte illocutoire se dit but illocutoire. Celui-ci constitue
une tentative de faire faire quelque chose à l’auditeur »1
Le locuteur emploie, en contexte, un énoncé par lequel il entend réaliser un acte de
langage afin d’obtenir certaines choses.
Lorsque le locuteur pose une question à l’auditeur c’est dans le but illocutoire
d’obtenir des informations. Dans ce cas, l’énonciation doit permettre à l’allocutaire de
déterminer le but illocutoire de l’acte accompli, par exemple, les buts illocutoires des
demandes et des ordres sont identiques mais leurs forces illocutionnaires sont différentes.
b) La direction d’ajustement et l’analyse logique de la
représentation :
« Il appartient au but illocutoire de certaines illocutions de rendre les mots (leur contenu
propositionnel) conformes au monde, tandis que d’autres ont pour but illocutoire de rendre le
monde conforme aux mots »2
™ Direction d’ajustement qui va du monde au mot ↑ Elle comporte les
demandes, les ordres, les serments, les promesses. Dans ce cas, l’état de
choses doit être rendu conforme à ce que la proposition énonce.
™ Direction d’ajustement qui va du mot au monde ↓ Elle comporte
l’affirmation, la description, l’assertion, l’explication. A ce niveau là, par
contre, le langage s’adapte à l’état des choses.
Ainsi, tout énoncé produit engage une certaine relation entre le langage et le monde.
1
Op. cit page 41
2
Ibid
11
c) L’état psychologique (condition de sincérité) :l’analyse
psychologique des comportements dans les rôles interactifs.
« Celui qui affirme, explique, asserte ou prétend que (P) exprime la croyance que (P). Celui
qui promet, fait serment, menace ou s’engage à faire (Q) exprime l’intention de faire (Q).
(...) de façon générale en accomplissant un acte illocutoire d’un certain contenu
propositionnel, le locuteur exprime une certaine attitude, un certain état relatif à ce contenu
propositionnel ».1
Autrement dit, l’état psychologique exprimé par le locuteur correspond à la
condition de sincérité. Cet état indique l’attitude du locuteur par rapport au contenu
propositionnel exprimé.
Les différents états psychologiques qui correspondent aux conditions de sincérité des
divers actes de langage sont :
¾ La croyance : elle regroupe les affirmations, les assertions, les remarques, les
explications, les déclarations, les déductions, les arguments.
¾ L’intention : elle regroupe les promesses, les serments, les menaces, les
engagements.
¾ La volonté : elle regroupe les requêtes, les ordres, les commandements, les
demandes, les prières, les plaidoyers.
¾ Le plaisir : il regroupe les compliments, les félicitations, les paroles de
bienvenue, etc.
Ces trois dimensions, à savoir, le but illocutoire, la direction d’ajustement et l’état
psychologique permettent à la théorie des actes de langage, développée par Searle, d’asseoir
la taxinomie des actes illocutoires et constituent le socle méthodologique qui assure la
faisabilité et la fiabilité de l’analyse.
B/2- La taxinomie des actes illocutionnaires :
La taxinomie des actes illocutionnaires permet une nouvelle classification fondée sur
les douze critères suivants que donne Searle
1.
2.
3.
4.
5.
le but illocutoire.
la direction d’ajustement.
l’état psychologique exprimé.
la force de présentation du but illocutoire qui diverge en fonction du verbe employé.
le statut du locuteur et celui de l’auditeur dans la mesure où ils déterminent la force illocutoire de
l’énonciation.
6. la manière dont l’énonciation se rattache aux intérêts du locuteur et de l’auditeur.
7. le rapport avec le reste du discours du fait de la présence de certaines expressions performatives
ou certains liens discursifs.
8. la différence de contenu propositionnel déterminé par un marqueur de force illocutoire comme
les temps de verbes par exemple.
1
op. cit page 43
12
9. la différence entre acte devant toujours être des actes de langage et actes pouvant être accomplis
comme actes de langage mais ne l’étant pas nécessairement.
10. la différence entre les actes dont l’accomplissement requiert une institution extra-linguistique
comme déclarer et ceux dont l’accomplissement n’en requiert pas.
11. les différences entre actes dont le verbe illocutoire correspond à un usage performatif et acte
dont le verbe illocutoire n’a pas de correspondant performatif comme « se vanter » ou
« menacer ».
12. le style dans l’accomplissement de l’acte illocutoire qui peut-être différent comme par exemple
pour « annoncer » et « confier » mais dont le but illocutoire est différent.
C’est surtout à partir des trois premiers critères : but illocutoire, direction d’ajustement,
et divers états psychologiques que Searle construit sa taxinomie des actes illocutoires qui
comporte cinq catégories de base.
¾ Les cinq actes illocutionnaires :
Searle précise qu’il n’existe pas un nombre indéfini ou infini de jeux de langage comme
l’avait préconisé Wittgenstein. Selon lui, il existe un nombre limité d’usages fondamentaux
de la langue « souvent nous faisons plusieurs choses à la fois dans la même énonciation ».1
Ces usages il les distingue à travers l’emploi des actes assertifs, directifs, promissifs,
expressifs et déclaratifs.
Voici la signification des éléments formels utilisés dans les formules logico-linguistiques :
1. L= locuteur.
2. A= auditeur.
3. Q= quelque chose.
4. ↓= direction d’ajustement des mots au monde.
5. ↑= direction d’ajustement du monde aux mots.
6. ∅= nul (absence de direction d’ajustement).
7. C= croyance.
8. V= vouloir.
9. E = but illocutoire des expressifs.
10. P= but illocutoire des promissifs.
11. I = intention.
12. (P)= variable des divers états psychologiques.
13. D = but illocutoire des déclaratifs.
14. ↑↓ = ajustement des mots au monde et du monde aux mots.
15. ‫ = ―ו‬but illocutoire des assertifs.
16. ! = but illocutoire des directifs.
17. ∅(P)= absence de la variable des divers états psychologiques.
1
SEARLE
J.R. (1972) Les actes de langage, éd Hermann, page 70
13
a) les assertifs : Searle symbolise cette classe comme suit : ‫↓―ו‬C (p).
Le but illocutoire des assertifs est d’engager la responsabilité du locuteur sur
l’existence d’un état de choses, sur la vérité de la proposition exprimée.
La direction d’ajustement va des mots au monde, quant à l’état psychologique, le
locuteur exprime sa croyance dans ce qu’il asserte.
Les assertions regroupent les affirmations, les descriptions, les arguments, etc.
b)Les directifs : sont symbolisés par : ! ↑ V (A fait Q).
Le but illocutoire des directifs consiste dans le fait de tenter de faire faire quelque
chose à l’auditeur. Le locuteur peut demander, inviter, suggérer à l’auditeur de faire quelque
chose. La direction d’ajustement va du monde aux mots. Quant à la condition de sincérité, le
locuteur exprime sa volonté, son souhait ou son désir que l’auditeur accomplisse la chose
demandée.
c) Les promissifs : sont symbolisés comme suit : P↑I (L fait Q).
Les promissifs sont des actes illocutoires dont le but est d’obliger le locuteur à
adopter une conduite future. Il promet, donc, quelque chose à l’auditeur.
La direction d’ajustement va du monde au mot et l’état psychologique, quant à lui,
repose sur la condition de sincérité qui est l’intention d’accomplir un acte futur. Searle
précise : « les promesses sont des espèces de demandes que l’on s’adresse à soi-même »1
d)Les expressifs : sont symbolisés par : E ∅ (P) (L/A + propriété)
Le but illocutoire des expressifs est d’exprimer l’état psychologique spécifié dans la
condition de sincérité.
Les expressifs n’ont pas de direction d’ajustement. En accomplissant un expressif, le
locuteur n’essaie pas de faire que le monde se conforme aux mots ou vice versa. La vérité
de la proposition est présupposée.
La condition de sincérité correspond aux divers états psychologiques exprimés par le
locuteur
e) Les déclaratifs : sont symbolisés par : D ↑↓∅(P)
Ce type d’actes permet d’opérer des changements sur le monde grâce à leur
énonciation. Les déclarations provoquent des modifications sur les statuts ou les situations
des objets auxquels il est fait référence seulement en vertu du fait que la déclaration est
accomplie avec succès par le locuteur.
1
SEARLE
J.R.
(1979)
Sens et expression, éd de Minuit , page 54
14
C- La référence, socle de l’analyse descriptive réaliste.
La référence est, pour Searle, un acte de langage à part entière :
1
« La référence et les divers actes illocutionnaires sont des actes de langage ».
Searle précise pour ce qui concerne la référence :
« J’appellerai expression référentielle toute expression servant à identifier une chose, un
procès, un événement, une action ou tout autre type d’être individuel ou particulier ».2
Il précise que seules les expressions référentielles définies sont susceptibles de
réaliser la référence ; celles-ci sont réparties en quatre catégories :
1. les noms propres.
2. les groupes nominaux complexes précédés de l’article défini au singulier et contenant soit
une subordonnée relative, soit un adjectif qualificatif, soit un complément de détermination.
3. les pronoms personnels ou démonstratifs.
4. les titres comme par exemple : « le premier ministre », « le pape », etc. 3
Selon Searle, pour qu’une référence complète se réalise, le locuteur doit donner une
réponse non ambiguë aux questions qui ? quoi ? lequel ? posées par l’auditeur.
Les réponses à ces questions se divisent en deux groupes :
1. les présentations à l’aide d’adjectifs démonstratifs et possessifs
2. les descriptions faites en termes purement généraux qui sont vrais pour un objet
unique comme par exemple : « le premier homme à courir le mille mètres en trois
minutes cinquante secondes ».
Pour que l’auditeur comprenne à qui ou à quoi il est fait référence, le locuteur se doit
de compléter la présentation faite à l’aide d’un démonstratif par l’emploi d’une description
identifiante qui pourra être un adjectif qualificatif, un complément de détermination ou une
proposition subordonnée relative : « le locuteur doit être en mesure de compléter la présentation
purement déictique, « ceci », « cela » par un terme général descriptif ».4
Ces descriptions identifiantes garantissent la réalisation complète de la référence :
« …le locuteur (…) ne peut garantir de façon certaine que la condition sera remplie que si
l’expression qu’il emploie est une description identifiante, ou est complétée par une description
identifiante ».5
Il exclut donc de la référence définie catégorique :
1
Op. cit. page 175
Op. cit. page 64
3
Op. cit page 125
4
Op. cit page 131
5
Ibid
2
15
1. les expressions référentielles indéfinies (commençant par un article indéfini au
singulier ou au pluriel)
2. les expressions référentielles renvoyant à des universaux (la sagesse, la gentillesse,
etc.)
3. les expressions référentielles définies multiples (commençant par un article défini au
pluriel).
Trois règles sémantiques sont nécessaires pour que l’emploi d’une expression R
constitue une référence définie unique :
« Règle 1 – R n’apparaît que dans le contexte d’une phrase (ou d’un segment de discours
similaire), dont l’énoncé peut constituer l’accomplissement d’un acte illocutionnaire (…).
Règle 2 – R n’est employé que s’il existe un objet X tel que ou bien R contienne une description
identifiante de X, ou bien L soit capable de compléter R par une telle description de X, et tel que
par l’emploi de R, L ait l’intention d’isoler ou d’identifier X pour A. (…).
Règle 3 – énoncer R revient à identifier ou extraire X à l’intention de A ».1
Searle explique que la règle 2 montre que la référence est un acte intentionnel d’une part
et que, d’autre part, elle « pose que l’axiome d’existence et le principe d’identification
s’appliquent à toute expression référentielle ».2
L’axiome d’existence est le suivant : «tout ce à quoi on réfère doit exister »3 c’est-à-dire a
existé, existe ou existera. Searle entend par principe d’identification « que l’auditeur soit à
même d’identifier l’objet à partir de l’énoncé de l’expression par le locuteur ».
4
Pour que la référence s’accomplisse pleinement, le locuteur doit tenir un discours
sérieux dans lequel il effectue un lien ontologique entre les mots et le monde, la réalité. Il
doit de ce fait dire réellement quelque chose : « l’énoncé d’une expression référentielle n’a de
5
valeur de référence que si le locuteur dit effectivement quelque chose ».
Autrement dit, la référence étant un acte de langage, elle rend compte de l’engagement
ontologique du locuteur en exprimant le sens que celui-ci donne aux mots qu’il énonce :
« La référence est un acte de langage et les actes de langage sont accomplis non par des mots,
mais par des locuteurs qui prononcent des mots ».6
C’est ce que Searle appelle une référence complète c’est-à-dire celle qui satisfait à la
fois à l’axiome d’existence et au principe d’identification.
1
Ibid page 142
Ibid page 121
3
Ibid page 130
4
Ibid page 63
5
Ibid. page 63
6
Ibid. page 66
2
16
Il souligne cependant que le locuteur peut énoncer une référence effective qu’il explicite
ainsi :
« Nous ne pourrons pas accuser le locuteur de n’avoir pas fait de référence, même si l’objet
n’est pas identifié de façon non ambiguë pour l’auditeur, pourvu que le locuteur soit à même de le
faire si on le lui demande ».1
Ainsi, Searle souligne que la référence complète est une notion fondamentale et que la
référence effective n’est que potentielle et doit donc de ce fait être complétée pour que
l’objet auquel il est fait référence soit identifié de manière non ambiguë par l’auditeur.
1
Ibid. page 126
17
II- DEUXIEME PARTIE.
II-A-Présentation générale des énoncés des discours :
(Les chroniques algériennes d’Albert Camus)
1939 - 1958
II-A-1 Présentation du corpus.
Le corpus devant servir de territoire d’analyse est constitué par un ensemble de
chroniques écrites et rassemblées selon un ordre chronologique par Albert Camus dans
Actuelles III , chroniques algériennes.
Elles sont publiées par le journaliste en 1958. Cet ensemble regroupe une série
d’articles, de commentaires et de reportages faits sur l’Algérie brassant une période de vingt
années de 1939 jusqu’en 1958. Albert Camus explique dans l’avant propos :
« On trouvera dans ce recueil un choix d’articles et de textes qui tous concernent l’Algérie.
Ils s’échelonnent sur une période de vingt années depuis 1939 ou presque personne en France ne
s’intéressait à ce pays, jusqu’à 1958 où tout le monde en parle »1
Cette série comporte, donc, les réflexions camusiennes et les différentes prises de
position du journaliste face à ce qui se passe en Algérie durant trois périodes différentes en :
1- 1939 juste à la veille de la seconde guerre mondiale.
2- 1945 juste après la seconde guerre mondiale et l’émergence de la conscience
patriotique nationale algérienne.
3- 1956 en pleine guerre de libération nationale algérienne.
Publiées dans trois journaux différents à savoir Alger-Républicain (1939), Combat
(1945) et ensuite l’Express (1955-56), les Chroniques se présentent aux lecteurs de l’époque
et d’aujourd’hui comme un long dossier qui livre la pensée camusienne et témoigne de
l’action du journaliste, de l’écrivain.
L’auteur contribue à travers ses textes à la définition de l’avenir algérien selon ses
propres conceptions. Le texte est donc à dominance argumentative et explicative, nous
remarquerons également des passages descriptifs qui étayent souvent l’explication ou
l’argumentation de celui-ci.
1
CAMUS A (1958)
Actuelles III, ed Gallimard, avant propos, page 11
18
II-A-2 Description du Corpus.
Actuelles III comporte un ensemble de textes déjà parus dans les différents journaux
dans lesquels Albert Camus a activé en tant que journaliste.
Ces articles sont rassemblés et ordonnés selon qu’ils ont été publiés dans Alger
Républicain (1939), Combat (1945) et l’Express (1956).
Ils recoupent trois périodes différentes : L’année 1939, l’année 1945, l’année 1956
complétées par un mémoire « L’Algérie 1958 ».
Nous recenserons les articles de chaque période de la manière suivante :
• 1ère période - avant la guerre – 1939.
™ Evènement : Misère de la Kabylie 1939.
Ancrage historique
- Date de rédaction et de publication : 5-15 juin
- Journal de publication : Alger Républicain
Journalisme engagé dans le courant d’idées
de la gauche socialo-communiste.
- Lieu d’écriture et d’édition : Alger.
Types d’articles
Reportage consacré à la misère de Kabylie
comportant les articles suivants :
ƒ Misère de Kabylie
ƒ Dénuement 1
ƒ Dénuement 2
ƒ Les salaires
ƒ L’enseignement
ƒ L’avenir politique
ƒ L’avenir économique et social
ƒ Conclusion
Tous les articles sont écrits avant la deuxième guerre mondiale. A cette période, Albert
Camus fait ses débuts dans le journalisme à Alger-Républicain, à Alger.
• 2ème période - après la 2ème guerre mondiale –1945.
™ Evènement : Crise en Algérie 1945.
Année 1945
- Date de rédaction et de publication :
mai 1945.
- Durée du séjour en Algérie : 3 semaines
- Journal : Combat.
- Lieu d’écriture et d’édition : Paris
Articles consacrés à cette période
ƒ
ƒ
ƒ
ƒ
ƒ
ƒ
Crise en Algérie
Famine en Algérie
Les bateaux et de la justice
Le malaise politique
Le parti du manifeste
Conclusion
19
Durant cette période, Albert Camus est journaliste à « Combat ». Il a quitté l’Algérie et s’est
installé à Paris.
• 3ème période - pendant la guerre d'Algérie - 1955/1956.
™ Evènement : L’Algérie déchirée 1956.
Année 1955/1956
- Date de rédaction et de publication : octobre
1955 à janvier 1956.
- Journal : l’Express.
- Lieu d’écriture et d’édition : Paris.
Articles consacrés à cette période
ƒ
ƒ
ƒ
ƒ
ƒ
ƒ
ƒ
ƒ
ƒ
L’Algérie déchirée
L’absente
Table ronde
Bonne conscience
La vraie démission
Les raisons de l’adversaire
Premier novembre
Trêve pour les civils
Le Parti de la trêve
Camus collabore à l’Express, maintenant il est écrivain consacré et engagé.
• 4ème période pendant la guerre d'Algérie – 1958.
™ Evénement : La guerre d'Algérie – 1958.
Année 1958
- Date de rédaction : Janvier 1958.
- Lieu d’écriture et d’édition : Paris
Articles consacrés à cette période
ƒ
L’Algérie 1958
ƒ
L ‘Algérie nouvelle
Ces deux articles sont considérés comme un petit mémoire qui expose les solutions
proposées par le journaliste afin de définir une « Algérie nouvelle » dans un système
fédérale.
II-A-3 Le contexte historique de la parution des chroniques d’« Actuelles III ».
20
L’œuvre d’Actuelles III est rédigée et prête à la parution quand se produisent en
Algérie les graves événements du 13 mai 1958. Les partisans de l’Algérie française décident
de se rassembler sur le forum devant l’immeuble du Gouvernement Général. La foule
s’engouffre dans le bâtiment aux côtés des paras. Elle demande le maintien de l’Algérie
française.
Les généraux français Salan et Massu s’attribuent la mission de faciliter l’arrivée au
pouvoir du général De Gaulle.
Sollicité par ses partisans depuis plusieurs semaines, il sort enfin de sa réserve en se
tenant prêt à assumer le pouvoir de la République.
L’opinion publique est convaincue que seul le Général De Gaulle peut dénouer la
crise, écarter la perspective d’une guerre civile et en finir avec la guerre d’Algérie.
Lors de son voyage en Algérie, il prononce des discours à Alger, à Mostaganem et à
Oran. C’est la fin de la IVème République et le début de la Vème République. Le général
apporte les réformes nécessaires et attendues. Il est alors élu Président de la République
française et de la communauté algérienne.
Il affirme sa volonté de rapprocher les musulmans des Européens, en offrant la paix
des braves, mais le F.L.N. qui a constitué un Gouvernement Provisoire de République
algérienne, rejette l’appel et accentue ses actions.
L’année 1958 s’achève toutefois par des gestes de grâce pour des condamnés
algériens et la libération de quelques militaires français par le F.L.N, mais la guerre qui
secoue l’Algérie n’est pas prête d’être terminée.
II- A- 4 Pourquoi Actuelles III en 1958 ?
Les chroniques, Actuelles III, répondent à l’interrogation qui monte en 1958 dans les
milieux intellectuels français sur le silence d’Albert Camus face aux évènements de
l’Algérie en guerre.
Au lendemain d’un article critique de Jean Sénac dans « Exigences », il explique son
silence :
« J’ai décidé de me taire en ce qui concerne l’Algérie, afin de n’ajouter ni à son malheur, ni
aux bêtises qu’on écrit à son propos »1.
Il ajoute :
1
février 1957, Note manuscrite.
21
« Ma position n’a pas varié sur ce point et si je peux comprendre et admirer le combattant
d’une libération, je n’ai que dégoût devant le tueur de femmes et d’enfants… Je continue au
contraire non pas à renier mais à condamner absolument aujourd’hui comme hier, l’assassinat des
civils innocents »1.
Ne pouvant comprendre la violence de la guerre en Algérie, Albert Camus préfère
donc se taire. Pour lui, prendre partie dans cette lutte « absurde » était sans intérêt. Il
affirme :
« Pour moi, j’ai renoncé au journalisme régulier (…) je ne me trouve d’accord avec aucune
des équipes actuelles. Cela ne veut pas dire que j’ai renoncé à prendre position et que je me retire
dans le couvent théâtral »2.
Ce n’est qu’en 1958, après avoir été sollicité maintes fois à formuler son avis, qu’il
s’est résolu à publier Actuelles III.
Il complète l’ensemble de ses textes déjà connus par un mémoire intitulé «Algérie 58 »
dont la dactylographie date de janvier 1958.
En février 1958, Albert Camus rédige l’avant propos du livre, l’accélération des
événements en Algérie, le poussent à justifier ces deux années de silence en tentant de
donner à sa réflexion une portée générale.
Le livre fut froidement accueilli de tous côtés, on fit le silence sur sa parution ; ainsi
on entretiendra la légende d’un Albert Camus silencieux devant le malheur algérien, ses
prises de position sont jugées dépassées.
1
2
Brouillon de lettre non identifiée 1957
CAMUS
A.
(1956) Essais, Bibliothèque de la pléiade, Gallimard, Paris page 404.
22
II- B - PREMIERE PERIODE – MISERE DE LA KABYLIE – 1939.
A.Introduction.
« Au début de 1939, la Kabylie souffrit cruellement d’une sorte de famine dont on verra les
causes, et les effets, dans les articles qui suivent 1 ».
Envoyé en reportage par Alger Républicain (quotidien qui à l’époque, groupait les
socialistes et les radicaux) Albert Camus publie un certain nombre d’articles du 5 au 15 juin
1939 portant sur la misère et sur les conditions précaires dans lesquelles le « peuple kabyle »
vit.
Ce reportage est réimprimé dans Actuelles III à l’exclusion des articles sur l’habitat,
l’assistance, l’artisanat et l’usure.
Cette enquête est clôturée par une conclusion, exposant les causes et les effets de la
famine dont a souffert la Kabylie en 1939.
B. Albert Camus journaliste à Alger Républicain.
Au moment où Albert Camus entre à Alger Républicain, il n’est guère intéressé par le
métier de journaliste, il écrit à son ami Jean Grenier une lettre dans laquelle il explique :
« Je fais du journalisme à Alger Républicain (…) quelques articles littéraires aussi. Vous
savez mieux que moi combien ce métier est décevant. Mais j’y trouve cependant quelque chose :
une impression de liberté. Je me suis contraint et tout ce que je fais me semble vivant. On y trouve
aussi des satisfactions d’une qualité assez basse mais tant pis »2
C’est un peu plus tard qu’il se passionnera pour ce métier et se battra de toutes ses
forces pour ce journal.
Misère de Kabylie est l’action la plus retentissante d’Albert Camus dans Alger
Républicain. Elle dépasse en importance tous les autres articles.
Jugé trop gênant, le Gouvernement Général décide d’imposer au journal des censures
avant d’arrêter sa parution dès le début de la guerre après qu’Albert Camus eut pris la
décision de ne plus s’incliner devant les décisions de la censure.
1
CAMUS
CAMUS
2
A.
A.
(1958) Actuelles III , Gallimard, Paris, page 33
(1956) Essais, Bibliothèque de la pléiade, Gallimard, Paris page 360
23
C.Taxinomie des actes de langage.
La taxinomie actantielle searlienne que nous avons détaillée dans la partie théorique,
nous permet d’analyser tous les actes de langage produits par le locuteur à savoir : les actes
de langage assertifs, directifs, expressifs, promissifs, à l’exclusion des actes déclaratifs que
nous détaillerons dans une recherche ultérieure.
Au cours de cette analyse, nous explorerons de manière systématique pour chaque acte
produit, le but illocutoire, la direction d’ajustement et l’état psychologique du locuteur.
Analyse de la structure illocutionnaire des actes de langage.
C-1 – a Les assertifs :
Nous avons relevé un nombre élevé d’actes assertifs dans la première période
consacrée à la misère de la Kabylie en l’année 1939.
Ce relevé exhaustif nous permet d’analyser divers types d’assertions possédant divers
marqueurs de la force illocutionnaire pour aboutir à des conclusions de sens déduites à partir
de la structure illocutionnaire des actes assertifs analysés.
Article n° 1 - « le dénuement 1»
« La Kabylie est un pays surpeuplé et elle consomme plus qu’elle ne produit. Ces montagnes
abritent dans leurs plis une population grouillante qui atteint dans certaines communes comme
celle du Djurdjura, une densité de 247 habitants au km² »1.
Le but illocutoire
Dans cette première assertion, Albert Camus pose deux affirmations. Les
informations apportées par le locuteur sont rapportées. Le journaliste a recours à des
connaissances qu’il avait construites à travers ses lectures et sa documentation. Il n’a pas
traversé toute la Kabylie et n’a pas compté le nombre d’habitants par km2.
Le but illocutoire est, ici, d’apporter au lecteur des informations de divers types,
géographique et économique, que le lecteur d’Alger-Républicain ne connaît pas.
Nous remarquons, également, qu’au niveau de cette assertion, il y a absence du
marqueur de la force illocutionnaire, le locuteur n’utilise aucun pronom personnel pour se
désigner. C’est une assertion impersonnelle.
1
CAMUS
A.
(1958)
Actuelles III, page 37 assertion n°1
24
Types d’informations et de
savoirs.
Actes de langage référentiels.
Kabylie → Pays surpeuplé :
Ces montagnes abritent dans leurs plis
une population grouillante.
→
Démographiques.
Densité de 247 habitants au km².
→
Statistiques.
Elle consomme plus qu’elle ne produit.
→
Economiques.
La direction d’ajustement
Elle va des mots au monde. Dans le cas de l’assertion, la véracité de la proposition
repose sur des informations vraies confortées par des savoirs établis, géographiques et
économiques. Le fondement de la vérité à ce niveau se base sur le savoir que le locuteur a
construit après consultation d’informations géographiques, économiques confortées par des
statistiques.
Albert Camus asserte une information véridique et vérifiable (les références
« Kabylie », « Djurdjura », « 247 km² » sont réelles et vérifiables dans la réalité).
Ces références sont des noms de montagnes comme le Djurdjura, de ville comme
Fort National, ou encore numérale comme 247 km².
L’état psychologique :
La condition de sincérité consiste dans le fait qu’Albert Camus doit exprimer sa
croyance dans ce qu’il asserte, autrement dit dans le fait que la Kabylie est surpeuplée et
qu’elle consomme plus qu’elle ne produit.
La vérité sous-tend l’assertion camusienne même si l’auteur ne s’engage pas. (Il
n’emploie aucun pronom personnel, donc aucun marqueur de la force illocutionnaire).
Assertion n°2
« Les statistiques ne veulent rien dire et j’en suis bien d’accord, (…) il ne s’agit point de
démonstration ou de chiffres mais d’une vérité criante et révélatrice. Je n’ai pas besoin non plus de
donner le nombre d’élèves qui dans les écoles autour de Fort National s’évanouissent de faim »1.
1
Ibid p39 assertion n°2
25
But illocutoire
Cette assertion pose une argumentation qui appuie une affirmation même si le
locuteur utilise la négation. Le but illocutoire est d’affirmer que la Kabylie est miséreuse et
que cet état « d’être » est évident, Albert Camus explique « Il ne s’agit point de
démonstration (…) mais d’une vérité criante et révélatrice ».
Le contenu propositionnel de cette assertion est marqué par l’emploi du pronom
personnel « Je » :
« J’en suis d’accord ».
Marqueur de la force
illocutionnaire
« Je ».
« Je n’ai pas besoin de donner le nombre d’élèves».
Contrairement à l’assertion que nous avons relevée plus haut, celle-ci est personnelle. Elle
engage la responsabilité du locuteur sur ce qu’il affirme.
Analyse de la structure sémantique de cette assertion :
« Les statistiques ne veulent rien dire,
et j’en suis d’accord
Première négation :
Point de vue d’Albert Camus
Il ne s’agit point de démonstration ou de chiffres,
Deuxième négation
mais d’une vérité criante et révélatrice. »
Point de vue d’Albert Camus
Je n’ai pas besoin non plus de donner le nombre d’élèves qui dans les écoles autour de Fort
National s’évanouissent de faim.
Troisième négation qui expose le point de vue du locuteur
Nous remarquons que cette assertion argumentative est construite sur trois négations.
Chaque négation permet à Albert Camus d’exposer son point de vue.
26
La thèse explicite développée par celui-ci correspond à : la Kabylie est miséreuse. Les
occurrences « s’évanouissent », « faim » appuient cette affirmation. Il semble qu’Albert
Camus réponde aux autres Français qui ne mesurent pas l’ampleur de cette misère qui
atteint même les enfants.
Dans cette assertion où se regroupent trois négations, Albert Camus infirme pour
donner plus de force à l’affirmation « vérité criante et révélatrice » : « Cette vérité criante »
n’est autre que la misère de la Kabylie
De plus, en s’impliquant par le marqueur « je » pronom personnel, le locuteur
s’engage ontologiquement quant à l’existence de l’état de misère en Kabylie.
La direction d’ajustement :
Les mots doivent être conformes au monde.
Nous avons signalé dans le but illocutoire l’engagement du locuteur face à ce qu’il
énonce dans son assertion.
Cet engagement suppose l’adéquation des mots au monde au niveau de la direction
d’ajustement. Albert Camus utilise une référence réelle « Fort National » et affirme
l’existence de la misère en Kabylie, ainsi nous en concluons que le locuteur tient un
discours sérieux dans lequel il effectue un lien ontologique entre les mots et le monde.
« Je n’ai pas besoin non plus de donner le nombre d’élèves qui dans les écoles autour de
Fort National s’évanouissent de faim ».
↑ Référence réelle (nom de village).
L’état psychologique :
Albert Camus engage sa croyance dans ce qu’il affirme. Cette assertion personnelle
permet à Albert Camus de mettre à nu la famine des Kabyles. Pour lui, la vérité doit être
dite.
Les expressions « J’en suis d’accord… », «Je n’ai pas besoin …» marquent la forte
prise de position de la part du locuteur.
Article 2 - « Le dénuement 2 »
27
« On distribue des grains et (…) on crée avec ces grains et avec des secours en espèces des
chantiers dits de charité
(…) on dépense des millions chaque année et ces millions restent improductifs (…) Je ne crois pas
que la charité soit un sentiment inutile. Mais je crois qu’en certains cas ses résultats le sont. »1 .
Cette série d’assertions, nous intéresse particulièrement, car elle nous permet de voir
comment l’auteur oscille entre deux marqueurs de forces illocutionnaires, à savoir le
pronom indéfini « on » et le pronom personnel « je ».
Le but illocutoire
Ces assertions sont des affirmations même si le locuteur a recours à la négation dans
l’assertion : «… je ne crois pas que la charité…inutile ». Cette infirmation permet
d’affirmer l’assertion qui suit : « les résultats le sont ».
Le but illocutoire d’Albert Camus est d’informer le lecteur sur la manière financière
par laquelle procède le gouvernement français en Algérie.
Ces informations correspondent à :
« On distribue … improductifs »
Distribution de grains
Secours en espèces
⇐ Pronom utilisé :
« on »
144243
Chantier de charité pour
remédier à la misère.
Dans les premières assertions, le marqueur de la force illocutionnaire correspond au
pronom personnel « on » qui ne marque pas l’engagement de l’auteur puisqu’il est indéfini.
Albert Camus ne se sent pas concerné par cette politique décidée par le gouvernement
français.
Dans les dernières assertions, le marqueur de la force illocutoire change, il
correspond au pronom personnel « je »qui, contrairement à « on », marque l’engagement
d’Albert Camus. Celui-ci donne son point de vue sur la politique de charité adoptée en
Algérie. Ceci explique l’utilisation du pronom « je ».
Albert Camus s’engage à affirmer que la charité est un beau geste puisqu’il dit : « je
ne crois pas que la charité soit un sentiment inutile », mais elle n’apporte pas de résultats.
Le tableau qui suit nous permet de voir comment le locuteur passe de « on » à « je ».
On distribue
1
On crée
On dépense
Ibid p45 assertion n°3
28
Assertion n° 1
Assertion n° 2
Assertion n° 3
Assertions impersonnelles qui ne marquent pas
l’engagement ontologique du locuteur.
Politique française
Je ne crois pas
Je crois
Assertions personnelles qui
marquent l’engagement
ontologique du locuteur.
Point de vue du journaliste
La direction d’ajustement
Le langage doit être en adéquation avec la réalité et le monde.
Comment se fait l’adéquation dans ces assertions ?
Dans la première série :
« …on distribue des grains (…) on crée (…) des chantiers (…) de charité (…) on dépense
des millions… ».
L’adéquation dans ces cas là reposera sur la véracité des informations recueillies par
Albert Camus après l’enquête menée auprès des Kabyles.
Dans la deuxième série :
«… je ne crois pas que la charité soit un sentiment inutile, mais je crois … que ses résultats
le sont ».
L’adéquation, dans ce deuxième cas, reposera sur la véracité de la proposition
contenue dans ces assertions. Elle se conforte par l’engagement du locuteur face à ce qu’il
énonce. Albert Camus en donnant son point de vue exprime sa croyance dans le constat
qu’il fait. L’utilisation du verbe « croire », diminue l’intensité du marqueur de la force
illocutionnaire, néanmoins il n’exclut pas l’engagement du locuteur qui nuance son propos
avec l’emploi de ce verbe.
L’état psychologique
La condition de sincérité correspond à : Albert Camus exprime sa croyance dans ce
qu’il asserte, tantôt en s’engageant personnellement, tantôt en se mettant à distance pour
juger de manière objective.
Assertion n° 4
« La vérité, c’est que nous côtoyons tous les jours un peuple qui vit avec trois siècles de
1
retard et nous sommes les seuls à être insensibles à ce prodigieux décalage » .
Le but illocutoire
1
Ibid p49 assertion n°4
29
Albert Camus par son propos fait un constat véridique « la vérité, c’est que nous
côtoyons (…) un peuple qui vit avec trois siècles de retard ».
Le marqueur de la force illocutoire de cette assertion se manifeste à travers l’emploi
du pronom personnel « nous ».
Ce pronom personnel englobe aussi bien Albert Camus que tous les autres Français.
Mais à quels Français s’adresse t-il ? Aux pieds-noirs d’Algérie ? Aux Français de la
métropole ? Au gouvernement français ?
Afin de répondre à ce questionnement, il suffit de savoir qu’Albert Camus est
journaliste à Alger Républicain. Donc, « nous » englobe les Français d’Algérie et le
gouvernement français établi par sa représentation gouvernorale en Algérie en cette année
1939.
Nous analyserons ce pronom personnel employé par Albert Camus comme suit :
Nous =
vous
+
Français +
moi
A. Camus
L’information rapportée par le chroniqueur journaliste s’appuie sur une constatation
faite après avoir vu la misère des Kabyles au cours de son voyage.
Le marqueur de force illocutoire « nous » permet un engagement général : celui du
locuteur et celui des Français d’Algérie (Pieds-noirs et gouvernement français).
L’auteur essaye de faire prendre conscience aux autres Français que la situation dans
laquelle se trouve la population kabyle est grave.
Le contenu propositionnel n’est pas suffisamment marqué pour signaler un acte
illocutionnaire expressif.
Il existe des passages assertifs/expressifs plus marqués que nous verrons un peu plus
loin dans notre analyse au niveau des actes de langage complexes.
La direction d’ajustement
L’adéquation des mots au monde dans le cas de cette assertion, se fait de manière
différente. Le locuteur ouvre son assertion par l’occurrence « vérité ». Le langage veut être
en adéquation avec la réalité. Mais de quelle réalité s’agit-il ?
Albert Camus explique « nous côtoyons (…) un peuple qui vit avec trois siècles de
retard ». Il s’agit d’une réalité sociale qui correspond à état de vie assez arriéré et non
30
civilisé, cette réalité est connue du lecteur. Donc, l’adéquation du langage à la réalité se fait
à travers ce que connaît déjà celui-ci et ce qu’il en juge.
L’état psychologique
Albert Camus répond de sa croyance dans ce qu’il affirme. L’engagement qu’il prend
quant à la véracité de son acte est partagé avec celui de son lectorat ; il est généralisé à
travers l’emploi du pronom « nous ».
Article n° 3 - « Les salaires »
« Je viens de donner les salaires moyens de la région de Bordj Menaïel. J’ajouterai ceci :
les sirènes des fermes Tracol hurlent en pleine saison de 4h à 11h, à 12h et à 19h. Cela fait 14h de
1
travail. Les ouvriers communaux du village touchent 9 francs par jour » .
Le but illocutoire
Cette assertion est une affirmation à travers laquelle Albert Camus s’engage grâce au
marqueur de la force illocutionnaire « je ».
Son but illocutoire est d’informer le lecteur sur le nombre d’heures qu’effectue
l’ouvrier kabyle et le salaire qu’il reçoit en retour.
Les informations apportées par Albert Camus sont rapportées. Ce n’est pas lui qui a
vu et vérifié que les ouvriers travaillent 14heures par jour.
Il affirme plus haut : « J’ai sous les yeux des cartes d’ouvriers agricoles des domaines de
2
Sébaté Tracol dans la région de Bordj Menaïel » , cette assertion prouve qu’Albert Camus se
base sur des informations recueillies auprès de l’institution agricole pour faire son enquête
et pour donner une information exacte au lecteur.
La direction d’ajustement
Le langage doit être conforme au monde. Dans le cas de l’assertion, comment se fait
l’adéquation des mots au monde dans l’exemple retenu ?
1- « Bordj Menaïel », fermes Tracol.
2- Le pronom personnel « je » qui le désigne automatiquement.
1
2
Ibid p52 assertion n°5
Ibid p 51
31
3- Ouvriers communaux du village.
Toutes ces références se vérifient dans la réalité décrite dans cette assertion. Donc, les mots
sont conformes au monde.
L’état psychologique
Le marqueur de force illocutionnaire « je » permet d’affirmer l’engagement du
locuteur et sa croyance dans ce qu’il énonce.
¾ Un acte de langage complexe (acte assertif et expressif).
Les actes de langage assertifs accomplis par Albert Camus ne sont pas tous des
assertifs purs, beaucoup d’entre eux sont des actes de langage complexes.
Dans ce qui suit, nous analyserons un acte de langage assertif et expressif afin de
démontrer la complexité des actes de langage produits par le locuteur-journaliste.
L’acte assertif/expressif que nous avons relevé est :
« Les colons invoquent le fait que l’ouvrier kabyle se déplace souvent et lui appliquent le
salaire dit de « passage ». Mais en Kabylie tous les salaires sont de cette misérable excuse qui
1
couvre d’inexcusables intérêts » .
Le but illocutoire
Le contenu propositionnel de cet acte nous permet de dire que le but illocutoire de cet
assertif/expressif est double :
ƒ Informer le lecteur sur le comportement des colons envers l’ouvrier kabyle : « Les
colons invoquent le fait que l’ouvrier kabyle se déplace souvent et lui appliquent le
salaire dit de « passage » ».
Nous notons également l’absence du marqueur de la force illocutionnaire .Cette
assertion est, donc, impersonnelle.
ƒ L’acte expressif qui sous-tend l’assertion a pour but illocutoire d’exprimer
l’indignation que ressent le locuteur face à l’exploitation des ouvriers kabyles.
L’utilisation des occurrences : « misérable excuse », « inexcusable
intérêt »
permettent l’accomplissement de l’acte expressif puisque le locuteur porte un
jugement sur le comportement des colons.
La direction d’ajustement
1
Ibid p 55 assertion n°6
32
Dans le cas de l’assertion, l’adéquation se pose entre les mots et le monde. La vérité
de l’assertion à ce niveau là se base comme pour les précédentes sur des références réelles
« colons », « ouvrier », « Kabylie », « Kabyle ».
Pour l’expressif, il n’y a pas d’adéquation entre le langage et la réalité.
L’état psychologique
Etant donné l’absence des marqueurs des forces illocutionnaires, nous ne pouvons
parler de l’engagement ontologique du locuteur car il affirme sans engager sa personne.
Quant à l’acte expressif, il nous permet d’amorcer la déduction suivante: les
sentiments qui animent le locuteur sont ceux de l’indignation et du mécontentement.
Même si Albert Camus ne s’engage pas en disant « je », il exprime, en outre, sa
déception face au comportement des colons envers les ouvriers kabyles.
Article n° 4 - « L’enseignement »
« La soif d’apprendre du kabyle et son goût pour l’étude sont devenus légendaires. Mais
c’est que le Kabyle, outre ses dispositions naturelles et son intelligence pratique, a vite compris
quel instrument d’émancipation l’école pouvait être (…) Je n’ai pas traversé un seul centre de la
Kabylie sans que ses habitants ne me disent leur impatience d’avoir des écoles de filles ».1
Le but illocutoire
C’est une affirmation comme les assertions que nous avons relevées précédemment.
Son but illocutoire est d’établir un constat comportemental : le Kabyle a soif d’apprendre, la
cause en est simple : l’instruction lui permettra l’émancipation.
La direction d’ajustement
Elle va des mots au monde l’adéquation du langage à la réalité se fait à travers des
informations qui ne sont pas connues des lecteurs.
Albert Camus apporte une information nouvelle après avoir constaté par lui-même
cette « soif d’apprendre » (afin de ne pas se répéter, nous nous contenterons de cette
remarque).
L’état psychologique
1
Ibid p57 assertion n°7
33
Le locuteur exprime sa croyance dans ce qu’il asserte vu que c’est lui-même qui
constate le fait, ensuite le rapporte au lecteur.
Assertion n°8
« A Béni Douala, on peut admirer une classe de 86 élèves où les enfants sont casés un peu
partout, entre les bancs, sur l’estrade et quelques uns debout. (…) on évalue dans la région à 80%
1
le nombre d ‘enfants privés d’enseignement » .
Le but illocutoire
Albert Camus accomplit une assertion à travers laquelle il expose la surcharge des
classes à Beni Douala. Il étaye cet exposé par des exemples et des chiffres.
Nous remarquons que cette assertion appuie celle que nous avons analysée au
préalable, à savoir que la soif d’apprendre chez les Kabyles est grande.
Le marqueur de la force illocutionnaire « on » -pronom indéfini- permet au locuteur
de rester neutre et objectif.
La direction d’ajustement
L’adéquation des mots au monde se fait à travers :
(1) Une référence réelle : « Béni Douala ».
(2) Des références en statistiques : « 86 élèves », « 80% le nombre d’enfants ».
Ces informations sont inférées. Le chroniqueur n’a pas fait le compte seul, il a
recueilli ses informations auprès des institutions afin de rendre ses notes conformes à la
réalité exposée.
(3) L’utilisation du pronom indéfini « on » qui marque l’objectivité d’Albert Camus.
L’état psychologique
Même si cette assertion est marquée par l’absence d’engagement du locuteur, celui-ci
répond de sa croyance dans ce qu’il expose en demeurant neutre.
Assertion n° 9 : acte de langage complexe.
« Le symbole de cette absurde politique, je l’apercevais sur la route de Port Gueydon en
traversant la région d’Aghrib, une des plus ingrates de Kabylie »2.
Analyse de la structure sémantique de l’assertion :
1
Ibid p 59 assertion n°8
Ibid p62 assertion n°9
2
34
Le symbole de cette absurde politique, je
Affirmation
De
l’apercevais sur la route
apercevoir : expérience vécue
Port Gueydon en traversant la région d’Aghrib, une des plus ingrates
β
β
β
Référence réelle n°1
Référence réelle n° 2 Description
Nom de la région
Nom de la région
superlative
Confirmation confortée par les références réelles n° 1 / n° 2
Il s’agit ici d’une assertion personnelle argumentative qui permet au locuteur
d’exposer son point de vue. Elle est marquée par l’engagement du journaliste reporter quant
à la vérité de ce qu’il énonce : Albert Camus s’implique, le marqueur (pronom
personnel« je ») le confirme.
La direction d’ajustement
L’adéquation du langage à la réalité se fait à travers :
1. Une expérience vécue par le locuteur. Il a constaté par lui-même l’absurdité de
la politique en accomplissant le voyage dans cette région.
2. Références réelles : Noms de villages en Kabylie, Port Gueydon et Aghrib
3. Usage du pronom personnel « je » qui marque l’engagement ontologique du
locuteur.
L’état psychologique
Albert Camus engage sa responsabilité dans tout ce qu’il affirme. Il répond de sa
croyance dans ce qu’il énonce.
Cette assertion personnelle véhicule un deuxième acte de langage, un acte expressif.
L’affirmation « le symbole de cette absurde politique » exprime un sentiment de
refus. L’occurrence « absurde » nous permet de dire qu’Albert Camus explicite son refus à
pareille politique coloniale.
35
Il n’existe pas d’ajustement pour l’acte expressif, quant à la condition de sincérité,
elle correspond au mécontentement et au refus. Le locuteur spécifie sa position vis-à-vis de
cette politique qu’il qualifie d’ « absurde ».
Article n° 5 - L’avenir politique
« Le douar des Oumalous comprend 18 villages et 1200 administrés. Au centre
géographique du douar, on a élevé une mairie et quelques dépendances. Cette mairie fonctionne
comme toutes les mairies (…) Au mois de mai 1938, la mairie n’a pas délivré moins de 517 pièces
à ses administrés. Et pendant la même année elle a facilité l’émigration de 515 kabyles. Avec un
budget minime de 20.000 francs, cette municipalité (…) fait vivre depuis un an et demi une
1
communauté indigène où personne ne se plaint »
Le but illocutoire
Cette assertion correspond à la description du fonctionnement administratif d’un
douar kabyle. Son but est de décrire pour informer. Les informations fournies sont
reproduites après les consultations et les recherches faites par le reporter.
Cette assertion est impersonnelle, Albert Camus ne s’engage pas, le marqueur de la
force illocutionnaire« on » contenu dans l’énoncé « on a élevé une mairie », implique une
distanciation entre les propos tenus et lui. Ce pronom désigne les autorités françaises sans
les nommer.
La direction d’ajustement
L’adéquation des mots au monde se fait à travers les informations suivantes :
¾ Information
soutenue
par
des
statistiques
« 18
villages »,
«1200
administrés », 517 pièces , 20.000 francs (Albert Camus s’est documenté).
¾ Information historique mai 1938.
¾ Information géographique « au centre géographique ».
L’adéquation du langage à la réalité se fait à travers les références numériques «18
villages», « 517 pièces », « mai 1938 ». Ces précisions appuient la véracité de l’information
et permettent son adéquation à la réalité.
1
Ibid p67 assertion n°10
36
L’état psychologique
Albert Camus répond de sa croyance dans ce qu’il asserte sans s’engager, les
informations exposées aux lecteurs sont vraies car elles sont rapportées après consultation
de documents.
Assertion n° 11
« Nous avons fait assez d’erreurs dans cette voie, pour savoir utiliser aujourd’hui
l’expérience qui suit tous les échecs. Je ne connais guère (…) d’arguments, plus spécieux que celui
du statut du personnel quand il s’agit de l’extension des droits politiques aux indigènes. Mais en ce
qui concerne la Kabylie cet argument devient risible. Car ce statut, c’est nous qui l’avons imposé
aux Kabyles en arabisant leurs pays par le caïdat et l’introduction de la langue arabe. Et nous
sommes mal venus aujourd’hui de reprocher aux Kabyles cela même que nous leur avons
1
imposé».
Le but illocutoire
Cette série d’assertions retient particulièrement notre attention, car elle nous permet
d’analyser le fonctionnement du discours argumentatif camusien.
Le but illocutoire du journaliste est de défendre un point de vue dans le but de convaincre
son lecteur.
Assertion n°1 :
« Nous avons fait assez d’erreurs dans cette voie, pour savoir utiliser aujourd’hui
l’expérience qui suit tous les échecs ». Cette assertion est marquée par l’emploi du marqueur de
force illocutionnaire « nous ». Le locuteur désire impliquer tous les Français dans les erreurs
commises qui ont menées vers l’échec. Il s’agit ici de l’argument de la thèse.
Assertion n°2 :
« Je ne connais guère (…) d’arguments, plus spécieux que celui du statut du personnel
quand il s’agit de l’extension des droits politiques aux indigènes. Mais en ce qui concerne la
Kabylie cet argument devient risible ».
L’enchaînement de la deuxième assertion est marqué par l’engagement ontologique du
locuteur à travers le pronom « je ».
L’argument donné engage le point de vue personnel d’Albert Camus et appuie l’argument
amorcé au niveau de la thèse.
Assertion n°3 :
« Car ce statut, c’est nous qui l’avons imposé aux Kabyles en arabisant leur pays par le caïdat et
l’introduction de la langue arabe ».
Réenchaînement avec le marqueur de force illocutionnaire « nous ».
1
Ibid p 72 assertion n°11
37
Le locuteur précise et renforce l’argument de la thèse à savoir que l’erreur est au niveau de
la politique adoptée par le gouvernement français en Kabylie.
Assertion n°4 :
« Et nous sommes mal venus aujourd’hui de reprocher aux Kabyles cela même que nous leur avons
imposé». Pour conclure, Albert Camus utilise le marqueur de la force illocutionnaire
« nous » afin de reconnaître l’échec de la politique française.
Ce processus argumentatif respecte le fonctionnement suivant :
Affirmation
«constat»
« Nous avons fait assez d’erreurs dans cette voie »
Argument n° 1
En général
« Je ne connais guère d’argument plus spécieux que celui
du statut personnel quand il s’agit d’extension des droits
politiques aux indigènes».
Argument n° 2
De l’antithèse
«En ce qui concerne la Kabylie, cet argument devient
risible ».
« Ce statut, c’est nous qui l’avons imposé aux Kabyles en
arabisant leur pays par le caïdat. »
Argument n°3
En Kabylie
« Nous sommes mal venus aujourd’hui de reprocher aux
Kabyles cela même que nous leur avons imposé. »
Conclusion
Cet ensemble d’assertions est fortement marqué par les pronoms suivants :
-Nous → je
→ absence de pronom→ absence de pronom →
Une erreur est
Collective
amorce le point
de vue du locuteur
↑
-Affirmation →
Thèse
↑
argument n°1 →
Argument risible
infirmation
↑
«antithèse» →
argument n°2
nous
amorce le point
de vue du locuteur.
↑
argument n°3
↑
conclusion
Le point de vue défendu par Camus dans cette assertion, précise que la politique
adoptée par le gouvernement français est inadaptée à la Kabylie. C’est au niveau des
solutions qu’Albert Camus propose uène autre politique sociale plus adéquate à la Kabylie.
La direction d’ajustement
Elle va des mots au monde. On note l’absence de références réelles sauf « Kabylie ».
38
L’adéquation à la réalité dans le cas de l’argumentation est assez complexe dans la
mesure où le locuteur est convaincu par une réalité et tente de convaincre son lectorat de
cette même réalité. Il est difficile dans ce cas de cerner de manière précise l’ajustement du
langage au monde car il s’agit ici d’un point de vue personnel.
L’état psychologique
Albert Camus explique « Nous avons fait assez d’erreur dans cette voie », l’erreur est
collective. Ceci engage la responsabilité des Français et celle du locuteur car il est Français
et fait partie de ce processus politique, même s’il n’y adhère pas. Mais qui sont ces Français
impliqués dans cet échec ?
Nous répondrons par : les hommes politiques qui constituent le gouvernement établi
en Algérie et qui définissent pour la Kabylie une mauvaise politique.
¾ Quelques assertions qui étayent la misère des Kabyles :
«Par un petit matin, j’ai vu à Tizi-Ouzou des enfants en loque disputer le contenu d’une poubelle.
A mes questions, un Kabyle a répondu : « c’est tous les matins comme ça. » un autre habitant m’a
expliqué que l’hiver, dans le petit village, les habitants, mal nourris et mal couverts, ont inventé une
méthode pour trouver le sommeil. Ils se mettent en cercle autour d’un feu de bois (…). Et la nuit
durant, dans le gourbi misérable, une ronde rampante de corps couchés se déroule sans arrêt. »1
« Après avoir parcouru la région de Tizi-Ouzou, un soir où nous nous promenions dans les rues de
la ville, je demandai à un de mes compagnons si « c’était partout comme ça ». Il me répondit que je
verrais pire. Après quoi nous parcourûmes longtemps le village indigène où venues des boutiques
faiblement éclairées, des lueurs dans les rues sombres avec des airs de musique, une danse de
marteaux et des bardages confus (…). Je savais en effet que la tige de chardon constituait une des
bases de l’alimentation kabyle. Je l’ai ensuite vérifié partout. Mais ce que je ne savais pas c’est que
l’an passé, cinq petits Kabyles de la région d’Abbo sont morts à la suite d’absorption de racines
(…). Cet hiver quatre vieilles femmes venues d’un douar éloigné pour recevoir de l’orge sont
mortes dans la neige sur le chemin du retour.»2
Il existe beaucoup d’autres assertions qui décrivent l’état miséreux des Kabyles, nous
avons relevé celles-ci car elles nous paraissent les plus parlantes. Nous ne les analyserons
pas afin de ne pas nous répéter.
1
2
Op cit p 38.
Op cit p 43 le Dénuement (suite), article n°2.
39
™ Conclusion sur les assertifs :
Après avoir analysé un nombre important d’actes de langage assertifs, nous avons
abouti à la conclusion suivante :
1. Type de texte
: Enquête.
2. Acte de langage : l’assertion.
Les assertions utilisées par le locuteur dans ce premier reportage correspondent aux types
suivants :
1) Affirmation :
« La Kabylie est un pays peuplé et elle consomme plus qu’elle ne produit. Ces montagnes
abritent dans leurs plis une population grouillante qui atteint (…) une densité de 247 km² »1
2) Description :
« Le douar des Oumalous comprend 18 villages et 1200 administrés. Au centre
géographique du douar, on a élevé une mairie et quelques dépendances. Cette mairie fonctionne
comme toutes les mairies (…) où personne ne se plaint » 2
3) Argumentation :
« Nous avons fait assez d’erreurs dans cette voie, pour savoir utiliser aujourd’hui
l’expérience qui suit tous les échecs. Je ne connais guère (…) d’arguments, plus spécieux que celui
du statut du personnel quand il s’agit de l’extension des droits politiques aux indigènes. Mais en ce
qui concerne la Kabylie cet argument devient risible. Car ce statut, c’est nous qui l’avons imposé
aux Kabyles en arabisant leur pays par le caïdat et l’introduction de la langue arabe. Et nous
sommes mal venus aujourd’hui de reprocher aux Kabyles cela même que nous leur avons
3
imposé».
4) Explication :
« La Kabylie réclame le contraire d’une politique politicienne, c’est-à-dire une politique
clairvoyante et généreuse »4
3. Analyse de la structure illocutionnaire de l’assertion :
3.1) Le but illocutoire.
Le but illocutoire du locuteur est, avant tout, d’informer le lectorat d’Alger-Républicain sur
la misère de la Kabylie.
Nous ne recenserons pas les divers buts illocutoires analysés au niveau des multiples
assertions relevées, nous nous intéresserons au but illocutoire général de celles-ci.
Albert Camus explique dans sa conclusion :
« Je termine ici une enquête dont je voudrais être sûr qu’elle servira bien la cause du
peuple kabyle, qui est la seule qu’on ait voulu servir. Je n’ai plus rien à dire sur la misère de la
5
Kabylie, ses causes et ses remèdes »
1
Ibid- page33
Ibid -page67
3
Ibid page 72
4
Ibid - page77
5 Ibid - page86
2
40
D’abord, Albert Camus explique qu’il a exposé la misère du «peuple kabyle » en
donnant les causes qui sont à l’origine de celle-ci et en proposant des solutions pour
l’éradiquer.
Dans la majorité des assertions relevées, il engage sa responsabilité sur l’existence de
la misère sur la vérité des propositions exprimées dans ses articles.
Les marqueurs de la force illocutionnaire qui véhiculent l’engagement du locuteur
sont les deux pronoms personnels :
1- « Je » : désigne Albert Camus lui-même.
2- « Nous » : désigne Albert Camus et les autres Français.
Dans d’autres assertions nous avons constaté que les énoncés ont pour marqueur de
force illocutionnaire le pronom indéfini « on »qui met en évidence l’absence de
l’engagement ontologique du locuteur. Dans ce cas «on » ne désigne pas le locuteur (sauf
dans l’assertion « Je termine ici une enquête dont je voudrais être sûr qu’elle servira bien la cause
du peuple kabyle, qui est la seule qu’on ait voulu servir »- ce pronom désigne Camus-) mais les
institutions françaises sans les nommer. Cette stratégie permet au journaliste de ne pas
s’impliquer et de désigner les autres de manière tacite dans « on affirme… », « on
distribue… ». De plus, ce marqueur de force illocutionnaire lui permet de rester neutre car le
reportage impose l’objectivité.
3.2) La direction d’ajustement.
Dans le cas des assertions, l’adéquation se fait entre le langage et le monde,
autrement dit entre les mots et la réalité qu’ils expriment.
L’ajustement au monde dans les assertions camusiennes se fait à travers les
paramètres suivants :
• Références réelles (noms de villages, noms propres)
Trois axiomes sont admis quant à la constitution de la référence :
1. Axiome d’existence : «… tout ce à qui/quoi on réfère doit exister »1 : la Kabylie existe
et ses villages aussi.
2. Axiome d’identité : « Tout ce qui est vrai pour un objet, est vrai pour tout ce qui est
identique à cet objet »2
1
2
SEARLE
J.R.
Ibid page 121
(1972)
Actes de langage, ed Harmman, page 121
41
La misère de la Kabylie est vraie, tous les paysans sont misérables, le sol aussi (cf.
information sociale et géographique).
3. Axiome d’identification : « Si un locuteur fait référence à un objet, alors il identifie cet
objet pour l’auditeur à l’exclusion de tous les autres objets ».3
Ici, il s’agira d’identifier la misère de la Kabylie aux lecteurs.
ƒ Informations géographique, économique, ethnologique, démographique.
ƒ Statistique.
L’adéquation respectera le schéma suivant :
ADEQUATION DES MOTS AU MONDE
Ce qui est connu de lecteur :
ƒ
ƒ
ƒ
Ce qui n’est pas connu du lecteur :
Information géographique :
montagnes, mer, nature etc.
Références réelles : noms des villes
de Kabylie : Tizi Ouzou, Fort
National etc.
Mode de vie ethnologique :
alimentation de base, mode
d’activité, types d’habitations, type
d’habitants.
ƒ
ƒ
ƒ
Informations démographiques
Les statistiques.
Les informations économiques et
sociales.
3.3) L’état psychologique.
Albert Camus doit répondre de sa croyance dans ce qu’il asserte. En effet, nous
avons déjà signalé l’engagement ontologique du locuteur à plusieurs reprises au niveau
notre analyse, cela permet de dire qu’effectivement Albert Camus répond de sa croyance,
mais avec quel état psychologique le fait-il ?
Albert Camus s’implique fortement et prend position par rapport aux conditions de
vie misérables des Kabyles. Il n’adhère pas aux projets politiques français qui sont à
l’origine de cette dégradation de vie : « La Kabylie n’a pas besoin d’une politique,
politicienne (…) Il me semble que ceci devrait suffire à juger une politique qui consiste à donner
une poupée de 1000 francs à un enfant qui n’a pas mangé depuis trois jours ». 4
3
Ibid page 124
4 CAMUS
A
(1958), Actuelles III, ed Gallimard p 63
42
Le jeune journaliste d’Alger Républicain reproche aux politiciens une mauvaise
gestion. L’analyse de la structure illocutionnaire des actes de langage assertifs pris au sens
littéral nous a permis de réaliser cette réflexion.
Nous démontrerons plus tard dans notre analyse l’ambiguïté du positionnement
psychologique du journaliste lorsque nous confronterons le discours réel que véhiculent ces
assertions avec celui que Camus désire occulter. Il sera, donc, difficile de cerner la sincérité
du locuteur lorsqu’il s’engage en accomplissant ses assertions.
4. Les assertifs : Engagement / Non-Engagement du locuteur
Ce tableau nous permet d’analyser l’engagement et le non-engagement d’Albert Camus
dans ce qu’il asserte, afin de déterminer avec quel état psychologique il a écrit son texte.
ENGAGEMENT
NON-ENGAGEMENT
Marqueurs de la force illocutionnaire utilisés Marqueurs de la force illocutionnaire utilisés
par le locuteur
par le locuteur
(pronoms personnels)
(pronoms personnels)
« on » - Ø (aucun marqueur)
« Je »
« Nous »
Assertion n° 2
Assertion n° 3
Assertion n° 4
Assertion n° 5
Assertion n°10
Assertion n°11
Assertion n° 6
Assertion n° 7
Assertion n° 8
Assertion n° 9
Commentaire :
Commentaire :
A) Camus donne son point de vue.
A) Camus ne s’implique pas. La
Le pronom utilisé par le locuteur est
vérité de l’information est établie ;
« je ». Il s’engage ontologiquement.
dans ce cas les informations données
sont géographiques, sociales et
B)Camus démontre que la responsabilité
autres. Il n’ y a aucun marqueur de
est collective, le pronom utilisé est
force illocutionnaire : Dans ce cas le
« nous ». Il engage tous les autres
marqueur est désigné par Ø.
Français y compris lui –même.
B) Dans certaines assertions Camus
ne s’implique pas par soucis
d’objectivité. Pour d’autres, il
désigne les institutions françaises
sans les nommer. Le pronom
marqueur de la force illocutionnaire
employé dans ce cas est « on ».
43
D-1 –b Les directifs.
Dans cette deuxième partie, nous analyserons de manière analogue tous les directifs
contenus dans le reportage consacré à la misère de la Kabylie.
Article n° 1 - Le dénuement n° 1
« Est-ce que cela ne suffit pas ? Si je jette un regard sur mes notes, j’y vois deux fois autant
de faits révoltants (…) qu’avons nous fait pour elle et avons-nous le droit de nous détourner
d’elle ? »1. (« elle » correspond à la misère citée plus haut dans le corpus).
Le but illocutoire
Ces directifs reposent sur un questionnement de la part du locuteur qui demande une
réponse au destinataire (les questions sont une sous catégorie de directifs que nous ne
négligerons pas au cours de notre analyse). Son but illocutoire consiste à vouloir faire réagir
le lecteur en apportant une réponse. Il interpelle celui-ci sur la misère qui est désignée par le
pronom personnel « elle » dans le deuxième directif.
Le marqueur de force illocutionnaire « nous » dans « qu’avons-nous fait », « avonsnous le droit » explicite l’engagement du locuteur et celui des autres Français de la colonie.
(cf. « Nous » dans l’acte assertif).
La direction d’ajustement
Elle va du monde aux mots. Cette adéquation sera établie lorsque le lecteur d’Albert
Camus réagira.
L’état psychologique
Dans le premier directif, il y a absence d’engagement de la part du locuteur, dans le
deuxième, par contre, l’engagement est déterminé par l’emploi du marqueur de force
illocutionnaire « nous ». Le locuteur a l’intention de faire réagir son lectorat en l’engageant
dans une responsabilité collective devant l’état miséreux de la Kabylie.
Article 2 - Le dénuement n° 2
2
« Et si enfin on les trouve incroyables, je demande qu’on aille sur place » .
Le but illocutoire
Il s’agit ici d’un acte directif dont le but illocutoire est de formuler une demande
adressée au lecteur. Albert Camus demande à celui-ci de se déplacer vers la Kabylie.
1
2
CAMUS A. (1958) Actuelles III, p 40
Op cit - Page 45 – Directif n° 2
44
Le pronom « je » marqueur de la force illocutionnaire démontre qu’il s’agit d’une
demande personnelle.
La direction d’ajustement
Dans le cas des directifs, l’adéquation se fait entre le monde et les mots. La demande
vient de la part du journaliste, elle est adressée à tous ceux qui refusent d’admettre la réalité
miséreuse de la Kabylie. Ceux-là sont désignés par le pronom indéfini « on ». En fait,
Albert Camus cible une catégorie de Français qu’il ne nomme pas.
L’état psychologique
Le journaliste désire que son lecteur se déplace vers cette région.
¾ Directif / expressif :(Acte de langage complexe).
Cet acte de langage est complexe, il est à la fois directif et expressif.
L’acte de langage expressif permet aux sentiments de Camus de transparaître dans
l’énonciation (la question qu’il pose n’est pas neutre) ; un sentiment d’indignation sous tend
celle-ci.
Article 3 - Les salaires
« Je vais donner, sans ajouter de commentaires, les salaires des ouvriers (…). J’ai sous les
yeux des cartes d’ouvriers agricoles des domaines (…) dans la région de Bordj Menaïel (…) Je vois
que l’ouvrier qui touche 6 francs a travaillé quatre jours dans la quinzaine. Se rend-on compte de
ce que cela représente ?3 .
Marqueur de la force
illocutionnaire
Le but illocutoire
Cet acte est directif dans la mesure où le locuteur pose un questionnement. Le but
illocutoire consiste à formuler une demande. La question posée interpelle le lecteur ; celui-ci
doit prendre conscience de la gravité de la situation et aussi réagir face à l’exploitation des
ouvriers kabyles (les assertions qui accompagnent le directif le montrent).
Le marqueur de la force illocutionnaire « on » permet au locuteur de ne pas cibler
directement son allocutaire. Cette stratégie discursive permet à Albert Camus de ne pas
viser les responsables du drame kabyle de manière directe.
3
Op cit - Page51 – Directif n° 3
45
Cet acte directif se greffe à un acte expressif puisque le sentiment du locuteur est
présent dans l’énonciation, il correspond à l’indignation face à l’exploitation que subissent
les ouvriers kabyles.
La direction d’ajustement
Elle va du monde aux mots. Albert Camus désire que son lecteur réagisse après la
lecture du reportage. Le monde deviendra conforme aux mots si réellement les lecteurs
d’Alger Républicain réagiront.
L’expressif n’a pas de direction d’ajustement, la vérité de la proposition est évidente.
L’état psychologique
Albert Camus souhaite que son lecteur réagisse en exprimant son indignation grâce à
l’acte expressif.
Article n° 4 - L’enseignement
Nous n’avons pas relevé de directif intéressant dans cet article.
¾ Directif / expressif (Acte de langage complexe).
Article n° 4 - L’avenir politique
« Comment, alors, n’aurais je pas compris ce désir d’administrer leur vie et cet appétit de
devenir enfin ce qu’ils sont profondément : des hommes courageux et conscients chez qui nous
pourrons sans fausse honte prendre des leçons de grandeur et de justice ? »4.
Le but illocutoire
Ce directif s’inscrit parmi les actes de langage complexes puisqu’il est à la fois
directif/assertif et expressif/promissif.
Le but illocutoire de l’acte directif consiste à poser une question qui demande une
réponse de la part du locuteur puisqu’il l’adresse à lui-même.
La raison en est qu’Albert Camus est citoyen français né en Algérie ; en adressant
cette question à lui-même, il l’adresse à tous les autres Français en tentant de les faire réagir
après leur avoir fait découvrir la vérité qui est explicitée dans l’acte assertif.
Ce directif est aussi assertif car le locuteur affirme et explique que les Kabyles sont
des hommes courageux. Le prédicat « sont » et l’emploi des deux points (:) dans « ce qu’ils
sont profondément : des hommes courageux et conscients » confirme notre analyse.
4
Op cit - Page 73 – Directif n° 4
46
Quant à l’acte expressif, il permet à Albert Camus d’exprimer un sentiment
d’admiration pour les hommes kabyles.
En ayant recours au pronom « nous », le locuteur généralise cette admiration en
englobant les autres Français.
Les occurrences « courageux », « conscients », « grandeur » et « justice »
soulignent ce sentiment d’admiration.
Enfin, l’acte promissif transparaît dans l’utilisation du prédicat « pouvoir » conjugué
au futur dans « nous pourrons ». Le locuteur, en s’impliquant avec les autres Français,
promet qu’il prendra des leçons chez les Kabyles.
La direction d’ajustement
Dans le cas de cet acte complexe, l’ajustement se fait entre les mots et le monde et
vice-versa entre le monde et les mots.
Le locuteur désire que les mots disent la réalité dans ce qu’il asserte et que le monde
devienne conforme à une certaine réalité qu’il souhaite.
L’état psychologique
Divers états psychologiques s’imbriquent les uns dans les autres. Albert Camus
s’implique et engage les autres aussi.
Nous les résumerons dans les points suivants :
1. Sa croyance dans ce qu’il asserte. Il engage sa responsabilité quant à la
véracité de la proposition exprimée.
2. Le souhait que les auditeurs reconnaissent la grandeur du « peuple kabyle »
3. Son intention et celle des autres Français à prendre des leçons de grandeur
chez ce peuple.
Article n° 5 - L’avenir économique et social
« Il faut maintenant généraliser ces tentatives, doter chaque centre d’une école de ce genre
et éduquer techniquement un peuple dont l’adresse et l’esprit d’assimilation sont devenus
proverbiaux »5.
Le but illocutoire
Il s’agit dans cet acte directif d’une demande de généralisation de l’enseignement de
la part d’Albert Camus.
5
Op cit - P 78 – Directif n° 5
47
Nous notons l’absence du marqueur de la force illocutionnaire « je », remplacé par
« il faut » qui détermine une obligation pour le destinataire.
Nous identifions celui-ci comme étant le gouvernement français : «c’est à la métropole
de faire cet effort »6 , cette assertion le prouve.
Ce directif est impersonnel, le locuteur ne formule pas sa demande en utilisant
« Je demande de … » ou encore « J’exige de … », il emploie la tournure impersonnelle afin de
ne pas s’impliquer.
La direction d’ajustement
Le monde doit être conforme aux mots. Dans le cas de notre directif, le locuteur
(Albert Camus) désire que la généralisation de l’enseignement soit appliquée. Il ne peut y
avoir adéquation que lorsque la demande sera exaucée.
L’état psychologique
Albert Camus formule une demande, il veut que le destinataire (le gouvernement
français) généralise l’enseignement et éduque le paysan kabyle.
La condition de sincérité correspond à la volonté du locuteur quant à
l’accomplissement de la demande.
La structure de directif amorcé par la tournure impersonnelle « il faut » marque
l’absence d’engagement de la part d’Albert Camus.
Son statut de jeune journaliste ne lui permet pas encore de donner un ordre au
gouvernement français quant à la politique qui devrait être appliquée en Kabylie.
™ Conclusion sur les directifs
Après l’analyse exhaustive de tous les directifs, nous avons abouti à la conclusion
suivante :
1) Type de texte : Enquête
2) Type d’actes de langage : Directifs
Au niveau de notre corpus, nous avons relevé les directifs suivants :
6
Op cit - P 85
48
1. Demande → «Je demande qu’on aille sur place »1.
2. Question → « qu’avons nous fait pour elle et avons-nous le droit de nous
détourner d’elle ?»2.
3. Obligation → «Il faut maintenant généraliser ces tentatives »3.
3.La
structure illocutionnaire des directifs :
3.1) Le but illocutoire
Tous les directifs ont pour but illocutoire de faire faire quelque chose à l’auditeur à
travers les demandes, les questions et les obligations.
Le locuteur à l’intention de faire réagir les lecteurs face aux conditions misérables
dans lesquelles les Kabyles vivent.
Il formule une demande qu’il adresse au gouvernement français dans le but de changer
cet état de misère.
Les directifs dans « Misère de la Kabylie » sont déterminés par les marqueurs de la
force illocutionnaire suivants :
1. « je » dans « je demande qu’on aille sur place » explicite l’engagement du
locuteur, la demande vient de lui : C’est une demande personnelle.
2. « nous » dans «c’est à nous de faire tomber les murs qui nous séparent »
démontre l’engagement du locuteur et l’implication de tous les autres Français :
C’est une demande collective.
3. « on » dans « si on les trouve naturels, alors qu’on le dise »permet le nonengagement de la part du locuteur. « On » désigne les Français de la métropole et les
institutions du gouvernement français.
4. Absence de pronom personnel remplacé par le marqueur « il faut » dans
« Il faut maintenant généraliser ces tentatives ». L’utilisation de la tournure
impersonnelle démontre le non-engagement du locuteur.
1
Op cit - p45
Op cit – p 40
3
Op cit – p78
2
49
3.2) La direction d’ajustement.
L’ajustement dans le cas des directifs va du monde aux mots. Albert Camus veut que
le monde soit en adéquation avec les mots. Il le sera lorsque le lectorat prendra réellement
conscience de la gravité de la situation et lorsque le gouvernement français appliquera les
mesures adéquates à savoir celles que propose Albert Camus comme solutions et que nous
détaillerons dans la troisième partie de notre travail.
3.3) L’état psychologique.
Albert Camus veut que son lecteur accomplisse ce qui lui est demandé. Cette
demande est adressée à deux types de destinataires :
1. Le lecteur d’Albert Camus.
2. Le gouvernement français.
Les demandes camusiennes véhiculent un état psychologique qui correspond à
vouloir que les lecteurs réagissent. Mais de quelle manière ?
(A) - Pour le lecteur, Camus veut que celui-ci prenne conscience de ce qui se passe
en Kabylie. Le lecteur métropolitain est loin de connaître ces vérités, loin de la réalité
sociale.
(B) - Pour le gouvernement français, Albert Camus désire que les responsables
politiques adoptent une nouvelle politique sur les plans économiques et sociaux afin
d’assimiler les populations kabyles au système français.
4. Les directifs : Engagement/ Non-Engagement du locuteur
Ce tableau nous permet d’analyser l’engagement et le non-engagement du locuteur
lorsqu’il accomplit ses actes de langage directifs.
50
ENGAGEMENT
NON-ENGAGEMENT
Marqueur de la force illocutionnaire :
« Je » / « Nous ».
Marqueur de la force illocutionnaire :
« Il faut que » / « On ».
Directif n° 1
Directif n° 2
Directif n° 4
Commentaire :
Ces directifs correspondent à :
a) Des demandes dans lesquelles
le
locuteur s’implique en marqueur de la
force illocutionnaire en utilisant le
marqueur « Je ».
b) Des interpellations à travers lesquelles
le locuteur tente de faire réagir son
lectorat en s’impliquant une seconde
fois.
Dans ce cas, le marqueur utilisé est
« Nous ».
Directif n° 2
Directif n° 3
Directif n° 5
Commentaire :
Ces directifs correspondent à :
a) Des demandes d’établir de nouvelles
réformes.
Ces demandes sont adressées à son 2ème
destinataire (le gouvernement français). Le
journaliste demande de nouvelles réformes.
Il ne s’implique pas car son statut de
journaliste ne lui permet pas de donner des
ordres au gouvernement français.
Après avoir analysé l’état psychologique du locuteur dans le cas des assertions et
maintenant dans le cas des directifs, nous constatons que celui-ci s’engage dans certains
actes de langage et reste neutre dans d’autres.
Albert Camus, en tant que chroniqueur dans Alger Républicain, journal de gauche
socialiste, se sent interpellé par la misère des Kabyles et propose des solutions.
Dans quelle mesure est-il sincère en accomplissant les assertifs et les directifs ?
De prime à bord, Camus semble l’être, sauf que l’analyse des assertions que nous avons
proposée précédemment nous empêche d’être affirmatif puisqu’il décrit la misère, et les
conditions de vie difficiles sans condamner la présence coloniale. Il est, donc, difficile de
cerner la sincérité de Camus(cf. chapitre III).
51
C-1 -c Les expressifs : actes de langage complexes.
Concernant les actes expressifs nous remarquons que la majorité d’entre eux sont
additionnés à des actes de langage, assertifs, directifs et promissifs que nous relevons ciaprès. L’ensemble vide est utilisé pour signaler l’absence d’actes de langage complexes.
Assertif/ expressif
Article n° 1 Ø
Article n° 2 « Il n’y a pas de
mots pour qualifier pareille
cruauté »1.
Article n° 3 « Il est
méprisable de dire que ce
peuple s’adapte à tout »2.
Article n° 4 « Le régime du
travail en Kabylie est un
régime d’esclavage »3.
« On nous met en présence
d’une logique abjecte qui
veut qu’un homme sans force
parce qu’il n’a pas de quoi
manger et qu’on paye parce
qu’il est sans force »4.
Article n° 5 « le symbole de
cette absurde politique, je
l’apercevais sur la route de
Port Gueydon ».
Article n° 6 Ø
Article n° 7 «Ce n’est pas
seulement l’humanité qui est
foulée aux pieds par le
salaire à six francs mais
aussi la logique »5.
Promissif/ expressif
Article n° 1
Ø
Article n° 2 « Je ne saurai
passer sous silence une
pratique qui est devenue
générale et contre laquelle une
protestation énergique doit être
levée » 6.
Article n° 3
Ø
Article n° 4 « j’arrêterai cette
révoltante énumération sur
deux remarques »7.
Article n° 5
Ø
Article n° 6
Ø
Article n° 7
Ø
Directif/ expressif
Article n° 1 Ø
Article n° 2 Ø
Article n°3
« je demanderai seulement combien
de ceux qui me lisent sauraient
vivre avec ces ressources »8.
Article n°4
« Puis-je dire que ce n’est pas avec
ironie que j’écris mais avec une
certaine tristesse ? »9.
Article n° 5 « comment alors,
n’aurais-je pas compris le désir
d’administrer leur vie…justice ? »10
Article n° 6 « Je voudrais
envisager (…) l’avenir politique,
économique et social qu’on
pourrait souhaiter à la Kabylie »11.
Article n° 7
Ø
1
Op cit - P 47
Oop cit - P 49
3
Op cit - P 51
4
Op cit - P 56
5
Opcit - P 48
6
Op cit - P 47
7
Op cit - P 54
8
Op cit - P51
9
Op cit - P 56
10
Op cit - P 73
11
Op cit - P65
2
52
Il existe très peu d’actes expressifs purs dans notre corpus. Cela s’explique par le fait
qu’Albert Camus veut être objectif, autrement dit il ne désire pas laisser transparaître ses
sentiments dans son énonciation. C’est pour cette raison qu’il a recours aux actes de langage
complexes. Ils lui permettent une stratégie discursive qui masque sa subjectivité afin de
respecter le contrat d’objectivité obligatoire pour les journalistes.
Article n° 1 - Le dénuement
« Si je jette un regard sur mes notes, j’y vois deux fois autant de faits révoltants et
1
je
désespère
d’arriver à les faire connaître tous ».
↑
↑
Marqueur de la
Prédicat : désespérer.
force illocutionnaire .
Le but illocutoire
A travers cet expressif, le but illocutoire du locuteur est d’exprimer non pas l’état de
désespoir spécifié par le prédicat « désespérer », mais plutôt l’incapacité d’énumérer le
nombre important des « faits révoltants » commis par le gouvernement français.
L’engagement d’Albert Camus est déterminé par l’emploi de « je », marqueur de force
illocutionnaire.
La direction d’ajustement
Les expressifs n’ont pas de direction d’ajustement.
L’état psychologique
Le locuteur se sent abattu par ce qu’il vient de constater comme misère (cf. but
illocutoire).
C-1 –d Les promissifs
Article n° 1 - Le dénuement 1 : absence de promissifs.
¾ Promissif / Expressif :(acte de langage complexe).
Article n° 2 - Le dénuement 2.
« Je ne saurai passer sous silence une pratique qui est devenue générale et contre laquelle
une protestation énergique doit être élevée. Dans toutes les communes, à l’exception de port
Gueydon, les impôts arriérés (…) sont prélevés sur la partie argent de leur salaire (les indigents). Il
2
n’y a pas de mot assez dur pour qualifier pareille cruauté » .
1
2
Op cit – page 40
Op cit - Page 47
53
Cet énoncé véhicule un acte de langage complexe, il est à la fois promissif et
expressif.
Le but illocutoire
Par le biais de l’acte promissif, Albert Camus s’engage et promet de ne pas se taire :
« Je ne saurai passer sous silence une pratique qui est devenue générale ».
Marqueur de force illocutionnaire.
L’engagement du jeune chroniqueur apparaît dans l’emploi du marqueur de la force
illocutionnaire « Je ».
A cet acte promissif s’ajoute un deuxième acte expressif : Albert Camus promet de
ne pas se taire; la négation employée dans l’énoncé « Je ne saurai » nous permet de déduire
un état psychologique de refus.
La direction d’ajustement
Elle va du monde aux mots, Albert Camus s’engage à faire une action future qui
consiste à ne pas approuver la politique sociale appliquée en Kabylie. La promesse est
exaucée car Camus agit en écrivant son reportage.
L’état psychologique
Dans le cas du promissif. Albert Camus a l’intention d’agir en formulant la promesse
de ne pas « passer sous silence » une politique « devenue générale ».
L’engagement du locuteur se traduit par l’emploi du marqueur de la force
illocutionnaire « je ». Il s’engage à agir.
Dans le cas de l’expressif, il s’agit d’exprimer un sentiment de refus.
Article n° 3 - Les salaires.
Nous n’avons pas relevé de promissif intéressant notre analyse dans cette article.
Article n° 4 - L’enseignement
« Les Kabyles auront plus d’écoles le jour où on aura supprimé la barrière artificielle qui
sépare l’enseignement européen de l’enseignement indigène, le jour enfin où, sur les bancs d’une
1
même école, deux peuples faits pour se comprendre commenceront à se connaître » .
Le but illocutoire
Ce promissif dans lequel nous remarquons l’absence d’engagement du locuteur
(il n’utilise pas le pronom personnel « je») est soumis à deux conditions. C’est un promissif
impersonnel. Nous l’analyserons comme suit :
1
Op cit Page 64
54
o Condition n° 1 : « Les Kabyles auront plus d’écoles le jour où on aura supprimé la
barrière artificielle qui sépare l’enseignement européen de l’enseignement
indigène,… ».
o
Condition n° 2 : «... le jour enfin où sur les bancs d’une même école, deux peuples
faits pour se comprendre commenceront à se connaître. ».
La condition n°2 est formulée par le locuteur comme un promissif. Le prédicat
« commenceront » conjugué au futur, le confirme. La promesse d’une Kabylie riche en
écoles sera exaucée si les deux conditions évoquées par le locuteur sont réalisées.
La direction d’ajustement
L’ajustement se fait entre le monde et les mots. Il n’y aura ajustement que lorsque la
promesse sera accomplie, c’est-à-dire lorsqu’il y aura plus d’écoles en Kabylie et quand les
deux peuples commenceront à se comprendre.
L’état psychologique
L’absence du marqueur de la force illocutoire « je » permet au locuteur de ne pas
s’engager. Cette absence d’implication s’explique par le statut de celui-ci.
En tant que journaliste reporter qui ne fait pas partie du gouvernement français,
Camus promet sans s’engager.
Article n° 6 - L’avenir économique et social
« Le jour où les intérêts seront confondus, on peut être sûr que les cœurs et les esprits ne
1
tarderont pas à l’être » .
Le but illocutoire
Il s’agit ici de deux promesses qui dépendent l’une de l’autre. La deuxième
promesse « les cœurs et les esprits ne tarderont pas à l’être » est soumise à la réalisation de la
première « le jour où les intérêts seront confondus ».
La direction d’ajustement
L’adéquation entre le monde et les mots se vérifie au futur, c’est-à-dire lorsque :
1. la première condition sera réalisée.
2. les cœurs et les esprits des deux communautés algériennes (arabe et française)
s’apaiseront et s’uniront.
1
Op cit - Page85
55
L’état psychologique.
Camus promet que les esprits se calmeront. Cette promesse n’est pas seulement
accomplie par le journaliste, mais elle englobe les personnes auxquelles Albert Camus se
joint à travers l’emploi du pronom indéfini « on ».
En fin d’analyse, nous remarquons que les actes de langage dominants dans le
reportage consacré à la misère de la Kabylie sont les assertions avec leurs divers types.
Les actes de langage directifs et promissifs ne sont pas prédominants dans le repotage,
ceci s’explique par le fait que le locuteur se fixe comme objectif d’exposer aux lecteurs
d’Alger-Républicain la misère du « peuple kabyle » tout en donnant son point de vue sur
celle-ci.
Dans cet exposé, Albert Camus en tant que reporter va analyser ce fléau en mettant à
nu ses causes, pour proposer par la suite des solutions afin d’améliorer les conditions de vie
des « indigents » de cette région de l’Algérie profonde.
Quant aux actes de langage expressifs, ils sont fréquemment additionnés aux autres
types d’actes de langage afin de devenir complexes. Le locuteur désire masquer sa
subjectivité afin de demeurer neutre d’une part, et d’autre part, cette stratégie discursive lui
permet d’exprimer ses sentiments d’indignations et de refus à pareille politique coloniale de
manière tacite sans condamner la présence du colonisateur français sur le sol algérien d’où
l’ambivalence du positionnement psychologique camusien. Nous détaillerons cette analyse
dans la troisième partie de cette recherche lorsque nous démontrerons que le gouvernement
français définit une mauvaise politique sociale, et que les causes de la misère sont en grande
partie dues au sol et à une mauvaise gestion de la part des Arabes.
De plus, nous remarquerons qu’au niveau des solutions proposées par Albert Camus, que
l’indépendance de l’Algérie n’a jamais été proposée.
Les actes de langage déclaratifs n’ont pas été analysés car ils feront l’objet d’une
recherche approfondie ultérieurement.
Nous n’avons pas proposé de conclusions pour les actes de langage expressifs et
promissifs afin de ne pas nous répéter. Nous ferons de même dans la deuxième et dans la
troisième période.
56
II -C DEUXIEME PERIODE : CRISE EN ALGERIE 1945.
A. Introduction :
Après la disparition d’Alger-Républicain, Albert Camus est obligé de quitter
l’Algérie, il regagne la France avec son ami Pascal Pia. Ils créent, alors, un nouveau journal
« Combat » qui se veut l’expression autant que l’organe de la Résistance en France occupée
par les Allemands.
En 1945, Albert Camus revient en Algérie, peu après les événements du
constantinois. Il y séjourne trois semaines. Il parcourt tout le pays, même les oasis du sud.
Les articles qu’il rapporte en France ne sont pas différents des premiers consacrés à la
misère de la Kabylie. L’Algérie, toute entière, est en proie à la famine telle qu’elle a été
dans le contexte historique de 1939.
Quelques jours après son départ d’Algérie, ont lieu les massacres de Sétif, Guelma et
Kherrata exterminant un nombre important de la population algérienne.
Albert Camus essaie d’expliquer à l’opinion française que l’Algérie plonge dans un
état de crise très grave. La crise économique a enclenché une crise politique tout aussi
importante.
La famine et l’injustice éveillent douloureusement la conscience politique d’une
population jusque-là présentée comme trop résignée.
La seconde partie d’Actuelles III est consacrée à la crise en Algérie, Albert Camus y
regroupe les articles parus dans « Combat » en mai 1945.
B. Albert Camus journaliste à « Combat ».
Compte tenu de l’expérience d’Alger Républicain, Pascal Pia et Albert Camus
décident de faire de «Combat » un journal d’informations contrôlées qui ne cherche pas à
imposer une opinion, mais qui vérifie les dépêches, les trie et les commente.
Cette préoccupation d’une presse libre dans sa pensée, rénovée dans sa mission, vaut
à « Combat » une grande audience dans les milieux estudiantins et intellectuels.
L’espoir de « Combat » semble être la rénovation du mouvement socialiste. Albert
Camus, à cette période, est loin de l’Algérie.
57
Il s’embarque comme tous les communistes de l’époque dans un mouvement de libération
contre les oppressions en soutenant la résistance et la révolution.
C. Les événements historiques en 1945.
C-1) La vie politique de mai 1945.
Dans le contexte historique des années 1943, 1944 et 1945 se profilait la perspective
de l’indépendance de l’Algérie grâce à l’ordonnance du 7 mars 1944 qui abolissait
l’indigénat pour rétablir l’égalité civile des citoyens.
De plus, les musulmans auraient désormais la possibilité d’accès à la pleine
citoyenneté, du moins pour une minorité dans un premier temps, mais avec la promesse de
l’extension de cette mesure à la totalité de la communauté algérienne musulmane.
Cela était prévu par cette loi.
Beaucoup de politiciens algériens déclaraient que l’ordonnance venait trop tard.
Dans ce tumulte politique naît une nouvelle association « les Amis du Manifeste et de la
Liberté ». Son but essentiel était de rendre familière l’idée d’une nation algérienne et la
présentait préférable à la constitution en Algérie d’une république autonome fédérée à une
république française rénovée, anti-coloniale et anti-impérialiste. L’idée était proposée par
Ferhat Abbas.
Le mouvement connut un succès foudroyant, il fut autorisé à publier en septembre
1944, un hebdomadaire. L’administration française espérait faire dériver la mystique
nationaliste révolutionnaire vers un fédéralisme qui demeurerait dans le cadre français.
Le Parti Populaire Algérien de Messali El Hadj, réclamait l’indépendance et non la
fédération française, surtout après l’instauration de la Ligue Arabe, l’Algérie musulmane se
mit à rêver d’une Algérie libre et fédérée à la nation arabe.
A la fin de 1944, les éléments du manifeste desservaient le mouvement en réclamant
l’indépendance.
Donc, le climat politique en 1945 permet de distinguer deux tendances
politiques.La première réclamait l’indépendance de l’Algérie, la deuxième souhaitait que
l’Algérie deviennent une nation fédérée.
58
D) Taxinomie des actes de langage.
D-1) Analyse de la structure illocutionnaire des actes de langage.
D-1-a Les assertifs
Article n° 1 – Crise en Algérie
« L’enquête que je rapporte d’un séjour de trois semaines en Algérie n’a pas d’autres
1
ambitions que de diminuer un peu l’incroyable ignorance de la métropole »
Le but illocutoire
Il s’agit ici d’une assertion personnelle dans laquelle le locuteur s’implique à travers
le pronom personnel « je » (marqueur de la force illocutionnaire).
Le but du locuteur est d’informer son lectorat sur la situation économique et politique
algérienne afin de «diminuer l’ignorance de la métropole ».
La direction d’ajustement
Dans le cas de l’assertion, l’adéquation se fait entre le langage et la réalité. Albert
Camus engage sa responsabilité quant à la véracité de la proposition exprimée (il s’est
déplacé personnellement en Algérie et il a recueilli les informations sur place).
L’état psychologique
Albert Camus engage sa croyance dans ce qu’il asserte. L’engagement ontologique du
locuteur est déterminé par l’emploi du pronom personnel « je ».
A cet assertif, s’ajoute un deuxième acte promissif .
Observons l’énonciation suivante :
« L’enquête que je rapporte d’un séjour de trois semaines en Algérie n’a pas d’autres
ambitions que de diminuer un peu l’incroyable ignorance de la métropole ».
La structure syntaxique de cet acte traduit une projection dans le futur,
promesse formulée correspond à : « diminuer un peu l’incroyable ignorance de la métropole ».
Le locuteur promet d’informer les lecteurs de « Combat »dans le but de diminuer leur
ignorance.
Le but illocutoire correspond à l’accomplissement d’un acte futur qui est d’informer la
métropole sur la situation algérienne (promesse adressée à lui-même).
1
Camus
A Actuelles III –, 1958, page 93 assertion n°1
59
La direction d’ajustement, le monde doit être conforme aux mots. L’implication du
locuteur marqué par l’emploi du pronom personnel « je » engage celui-ci à rendre le monde
conforme à son enquête.
L’état psychologique, Albert Camus a l’intention d’accomplir un acte futur : celui
d’informer la métropole à travers son reportage.
Assertion n° 2
« Une bonne politique est une politique bien informée. Si les éléments d’information que
1
j’apporte ici ne sont pas nouveaux, ils ont été vérifiés » .
Le but illocutoire
Ces deux assertions qui se succèdent sont des affirmations dont le but illocutoire est
d’abord d’affirmer qu’une bonne politique est une politique informée.
Cette équivalence sémantique est établie grâce au prédicat « être », conjugué au
présent.
Ensuite, nous remarquons l’implication d’Albert Camus dans son propos grâce au
marqueur de la force illocutionnaire « je ». Dans cette deuxième affirmation, il s’agit d’une
assertion forte.
Analyse sémantique de l’énoncé :
(Si)
⇒
les informations apportées ≠ informations nouvelles ⇒ Mais
Informations apportées = informations vérifiées
Donc, le but illocutoire consiste à affirmer que ces informations sont vérifiées par le
locuteur, ainsi Albert Camus engage sa responsabilité en tant que journaliste quant à la
véracité des informations données.
La direction d’ajustement
L’adéquation se fait entre les mots et le monde. Le locuteur s’engage quant à la
véracité de ses affirmations. Les mots doivent correspondre à la réalité décrite par le
journaliste.
L’état psychologique
Non seulement Albert Camus exprime sa croyance dans ce qu’il affirme mais il
s’engage ontologiquement quant à l’existence de ce qu’il affirme, l’occurrence « vérifiées »
1
Op cit page 94 assertion n° 2
60
conforte notre analyse.
Article n° 2 : La famine en Algérie.
« L’Algérie de 1945 est plongée dans une crise économique et politique qu’elle a toujours
connue mais qui n’avait jamais atteint ce degré d’acuité. (…)La crise apparente dont souffre
l’Algérie est d’ordre économique»1.
Le but illocutoire
Il s’agit d’une affirmation. Le but illocutoire est d’affirmer que la crise algérienne est
une crise économique.
Crise d’Algérie = crise économique.
⇑
L’équivalence sémantique est établie grâce au prédicat « être ».
Nous remarquons l’absence du marqueur de la force illocutionnaire « je », ainsi
Albert Camus ne s’engage pas. Il s’agit d’une assertion impersonnelle qui s’appuie sur une
évidence ou vérité connue et déjà exposée dans le reportage consacré à la misère de
Kabylie.
La raison pour laquelle le locuteur ne s’implique pas correspond au fait que la
véracité de la proposition est établie (L’enquête Misère de la Kabylie a démontré que la
crise algérienne est en effet d’ordre économique).
Donc, même si le locuteur ne s’implique pas en disant « je », le contenu
propositionnel de cette assertion est sensé être connu du lecteur.
La direction d’ajustement
Elle va des mots au monde. Les mots doivent correspondre à la réalité décrite par le
locuteur. En effet, l’Algérie en 1945 souffre d’une crise économique importante, le contexte
historique de l’époque confirme cet état de crise aigue.
L’état psychologique
Albert Camus exprime sa croyance dans ce qu’il affirme. Il a déjà explicité que la
crise algérienne correspond à une crise économique dans son enquête précédente (Misère de
la Kabylie).Il ne s’engage pas en employant le pronom personnel « je » car cette vérité est
évidente et déjà explicitée dans le premier reportage.
1
Op cit page 97 assertion n°3
61
Albert Camus ajoute :
« La famine est un fléau toujours redouté en Algérie, où les récoltes sont aussi capricieuses
que les pluies. Mais en temps ordinaire, les stocks de sécurité prévus par l’administration française
compensaient les sécheresses. Ces stocks de sécurité n’existent plus en Algérie depuis qu’ils ont été
dirigés sur la métropole au bénéfice des allemands. Le peuple algérien était donc à la merci d’une
mauvaise récolte »1.
Cette assertion explicative appuie l’affirmation contenue dans l’assertion que nous
venons d’analyser.
Assertion n°5
« Les besoins normaux de l’Algérie, en grains, sont de 18 millions de quintaux. En règle
générale, la production couvre à peu près la consommation, puisque la récolte de la saison 19351936 fut par exemple de 17 371 000 quintaux de toutes céréales. Mais la saison dernière atteignit à
peine 8 715 000 quintaux, c’est-à-dire 40% des besoins normaux. Cette année-ci, les prévisions
sont encore plus pessimistes, puisqu’on dépassera 6 millions de quintaux ».2
Cette assertion est explicative comme celle que nous avons relevée précédemment.
Le locuteur expose à son lecteur la baisse que connaît la production des grains et
toutes les autres céréales.
Cette assertion est analysée comme suit :
Les besoins normaux de l’Algérie en grains sont de 18 millions
Référence réelle
de quintaux.
chiffre
Affirmation appuyée par une statistique (vérité institutionnelle déclarative).
(…) la production couvre à peu près la consommation /
Constat n° 1
1
2
puisque
la récolte de la
cause
Op cit page100 assertion n°4
Op cit page 101 assertion n°5
62
saison 1935-1936 fut (…) de
quintaux de toutes céréales. Mais
17 371 000
AFFIRMATION explicative
La saison dernière atteignit à peine
Constat n° 2
quintaux //
8 715 000
chiffre
C’est-à-dire
explication
40%
pourcentage
Des besoins normaux. Cette année-ci, les prévisions sont encore plus
Pessimistes //
Puisqu’on
dépassera
6 millions
de quintaux
EXPLICATION
Le but illocutoire
A travers cette assertion impersonnelle, Albert Camus désire informer son lecteur sur
la baisse que connaît la production de grains.
Il n’emploie aucun marqueur de force illocutionnaire pour ne pas s’engager. Les
informations données ne sont pas de lui, Albert Camus a le rôle de journaliste-reporter qui
informe les intellectuels qui lisent « Combat ». Les chiffres (statistiques), les années (19351936) et la référence Algérie prouvent que le locuteur s’est documenté.
La direction d’ajustement
L’adéquation est établie entre les mots et le monde. Dans le cas de cette assertion,
l’adéquation du langage à la réalité se vérifie par :
1. l’emploi d’une référence réelle : Algérie.
2. l’emploi de chiffres, pourcentage (référence en statistique).
63
3. information économique qui se vérifie dans le contexte historique précis de
1945.
L’état psychologique
Le locuteur répond de sa croyance dans ce qu’il affirme et explique puisqu’il
s’agit d’une information recueillie et vérifiée.
Albert Camus ne s’engage pas quant à la vérité de ce qu’il énonce, car la vérité du
contenu propositionnel est vérifiable dans le contexte économique de l’époque, c’est-àdire de l’année 1945 (la vérité du contenu propositionnel est évidente).
Article 3 – Les bateaux et de la justice.
Assertion n°6
« Dans la plupart des communes que j’ai visitées, on obtient du grain clandestin qui
1
varie entre 7 000 et 16 000 francs le quintal »
Le but illocutoire
Le but illocutoire de cette assertion est d’informer le lecteur sur le marché noir du
grain.
Elle est marquée par l’utilisation du pronom personnel « je » (marqueur de force
illocutionnaire). Le locuteur s’engage quant à l’existence de ce marché noir en Algérie.
La direction d’ajustement
Elle va des mots au monde. Les mots sont en adéquation dans la mesure où le
locuteur a recours à des références en statistiques 7 000 et 16 000 francs.
La véracité du contenu propositionnel dans cette assertion repose sur le fait que le
locuteur a constaté par lui même le marché noir du grain.
L’état psychologique
Albert Camus répond de sa croyance dans ce qu’il asserte car il a visité les lieux.
De plus, il s’engage quant à la véracité de son énoncé puisqu’il utilise le pronom
personnel « je ».
Article n° 4 – Le malaise politique.
Assertion n° 7
1
Op cit page 105-106 assertion n°6
64
« Dans une cinquantaine d’années, le but avoué de la France en Afrique du nord était
d’ouvrir progressivement la citoyenneté française à tous les Arabes (…). La politique
d’assimilation a rencontré en Algérie même, et principalement auprès des grands colons une
hostilité qui ne s’est jamais démentie (…), la France devrait dire clairement si elle
considérait l’Algérie comme une terre conquise dont les sujets sont privés de tous les droits
(…). En 1936, le projet Blum violette a marqué le premier pas en avant vers une politique
d’assimilation. Il n’avait rien de révolutionnaire (…). Ce projet (…) souleva un immense
espoir parmi les populations arabes. La quasi-totalité de ces masses, réunies dans le congrès
algérien affirmait alors son accord. Les grands colons groupés dans les délégations
financières et dans l’association des maires d’Algérie opérèrent une telle contre-offensive que
1
le projet ne fut même pas présenté devant les Chambres ».
Le but illocutoire
Nous considérons cet extrait comme une assertion car le locuteur propose un
historique de la situation politique de l’Algérie avant 1945.
Cet historique concerne la politique d’assimilation suggérée par le gouvernement
français vers la fin des années 30.
Le but illocutoire du locuteur consiste à faire un rappel sur la politique
d’assimilation et son échec.
Nous notons l’absence du marqueur de la force illocutionnaire « je ». Albert
Camus joue le rôle du narrateur omniscient extra-diégètique qui raconte mais qui
n’implique pas sa personne dans ce récit historique.
La direction d’ajustement
L’adéquation dans le contexte de 1936 passe par l’emploi :
1. de références réelles : France, Afrique du Nord ; Algérie, Colons, Blum Violette
2. d’information historique véridique qui se vérifie dans le contexte historique de
1936.
L’ajustement à la réalité se fait à travers des informations connues du lecteur, car elles
se placent dans un contexte antérieur à celui de 1945 (Les lecteurs sont censés connaître
cette réalité historique).
L’état psychologique
Comme dans toutes les assertions que nous avons analysées auparavant, Camus
exprime sa croyance dans ce qu’il affirme.
1
Op cit pages 108 – 110 – 111 assertion n°7
65
Article n° 5 – Le Parti du Manifeste.
Assertion n°8
« J’ai dit dans mon dernier article qu’une grande partie des indigènes nord-africains
désespéraient du succès de la politique d’assimilation (…) s’étaient tournés vers ce nouveau parti
1
les Amis du Manifeste (…). Le président de ce mouvement est Ferhat Abbas. ».
Le but illocutoire
Le locuteur désire informer le lecteur sur la nouvelle orientation politique en Algérie
(émergence d’un nouveau parti politique les « Amis du Manifeste »).
L’affirmation posée par Albert Camus est déterminée par l’emploi du marqueur de la
force illocutionnaire « Je ». Albert Camus tient un discours sérieux.
La direction d’ajustement
Elle va des mots au monde. L’adéquation se fait à travers :
1. l’emploi de la référence « Je » qui désigne le locuteur.
2. l’emploi des références nominales : indigènes, nord-africains, politique
d’assimilation, Amis du Manifeste.
3. l’emploi du nom propre : Ferhat Abbas.
L’état psychologique
La condition de sincérité correspond à la croyance du locuteur. En effet, Albert Camus
ne peut que répondre de sa croyance dans ce qu’il affirme puisqu’il s’agit d’une réalité
historique qui se vérifie dans le contexte historique de 1945.
Assertion n° 9
« (…) pour enlever tout argument aux Amis du Manifeste. On a préféré y répondre par la
2
prison et la répression. » .
Le but illocutoire
Il s’agit pour le locuteur d’expliciter la réaction politique du gouvernement général
face à ce nouveau parti. Cette assertion est marquée par l’emploi du pronom indéfini « on »
qui permet au locuteur de maintenir une distanciation par rapport à son énoncé.
En effet, « on » ne désigne pas le locuteur et un groupe de pieds-noirs, mais plutôt les
membres du gouvernement français auxquels Albert Camus ne s’identifie pas.
1
2
Op cit page 114 assertion n°8
Op cit page 119 assertion n°9
66
La direction d’ajustement
Elle va des mots au monde .Nous remarquons l’absence de toute référence dans cet
acte assertif en dehors du pronom indéfini « on ».L’ajustement à la réalité historique de
l’époque se vérifie car en effet le gouvernement français a ordonné des mesures sévères
après les événements de mai 1945.
L’état psychologique
Le locuteur répond de sa croyance dans ce qu’il affirme sans s’engager car il n’est pas
concerné par les actes répressifs adoptés par le gouvernement français face aux
revendications des Amis du Manifeste.
™
Conclusion sur les assertifs.
1. Type de texte : Enquête
2. Type d’acte de langage : Assertion
3. Types d’assertions :
1. affirmation : « Une bonne politique est une politique bien informée »1
2. description : « Dans cet admirable paysage qu’un printemps sans égal
couvre en ce moment de ses fleurs et de sa lumière»2
3. explication : «puisque la récolte de la saison 1935-1936 fut par exemple de
17 371 000 quintaux de toutes céréales. »3
4. narration : « Dans une cinquantaine d’années, le but avoué de la France en
Afrique du nord était d’ouvrir progressivement la citoyenneté française à tous les
Arabes (…). La politique d’assimilation a rencontré en Algérie même, et
principalement auprès des grands colons une hostilité qui ne s’est jamais démentie
(…), la France devrait dire clairement si elle considérait l’Algérie comme une
terre conquise dont les sujets sont privés de tous les droits (…). En 1936, le projet
Blum violette a marqué le premier pas en avant vers une politique d’assimilation.
Il n’avait rien de révolutionnaire (…). Ce projet (…) souleva un immense espoir
parmi les populations arabes. La quasi-totalité de ces masses, réunies dans le
congrès algérien affirmait alors son accord. Les grands colons groupés dans les
délégations financières et dans l’association des maires d’Algérie opèrent une telle
contre-offensive que le projet ne fut même pas présenté devant les Chambres».4
4. Structure illocutionnaire des actes de langage assertifs.
1
Op cit page 94
Op cit page 97
3
Op cit page 101
4
Op cit page 111
2
67
4.1) But illocutoire.
Le but illocutoire du locuteur est d’informer l’intelligentsia française sur ce qui se
passe en Algérie. Nous mentionnons qu’Albert Camus rédige ses assertions une fois arrivé
en France. Il suit, donc, les évènements de loin.
Il rappelle la crise économique dont souffre l’Algérie en mettant à nu la politique
adoptée dans cette colonie à savoir, la politique d’assimilation et son échec ainsi que
l’émergence d’une nouvelle tendance prometteuse : Celle des « Amis du Manifeste » de
Ferhat Abbas.
Albert Camus explique à travers toutes ses assertions que la crise algérienne est
double : elle est économique et politique.
Les marqueurs de la force illocutionnaire les plus usités dans cette deuxième série d’articles
sont :
1. « Je » Désigne le locuteur : Albert Camus.
2. « on » Désigne les institutions françaises sans les nommer.
Dans certains articles nous remarquons l’absence de marqueurs, ceci s’explique par le
fait que le locuteur désire demeurer objectif.
4.2) Direction d’ajustement.
L’ajustement du langage à la réalité se fait dans cette deuxième partie du Corpus de la
manière suivante.
Il s’agit, d’abord d’explorer les références utilisées par le locuteur. On identifie pour
cette analyse trois axiomes :
1. l’axiome d’existence : Albert Camus réfère à la crise en Algérie.
L’Algérie existe et les crises économique et politique qui
l’accompagnent existent aussi.
2. l’axiome d’identité : tout ce qui est vrai pour l’Algérie est vrai pour
les algériens et les colons qui y vivent , mais les colons souffrent-ils de
la misère comme les autochtones ?
Cet aspect est négligé par Camus. L’axiome d’identité n’est pas
applicable à toute la référence.
68
3. l’axiome d’identification : Albert Camus identifie les crises
économique et politique aux lecteurs à l’exclusion des autres aspects.
Ensuite, nous préciserons que les assertions comportent les informations suivantes :
1. les informations économiques appuyées par des statistiques.
2. les informations politiques.
Toutes ces informations sont vérifiables dans le contexte historique de 1945.
En effet, l’Algérie de cette époque sombre dans une forte crise économique surtout après la
deuxième guerre mondiale.
De plus, le climat politique algérien est en ébullition de nouvelles tendances émergent
et certaines réclament l’indépendance de l’Algérie après l’échec des multiples politiques
adoptées par le gouvernement français (cf. le contexte historique).
L’adéquation respecte le schéma suivant :
ADEQUATION DES MOTS AU MONDE
ƒ
Ce qui est connu du lecteur
Ce qui n’est pas connu du lecteur
↓
↓
Informations
économiques,
crise
algérienne et ses causes.
ƒ
Information politique, histoire de la
politique d’assimilation et son échec.
ƒ
Les
informations
appuyées
par
des
statistiques.
ƒ La nouvelle orientation politique. Le parti
de Ferhat Abbas.
ƒ Références réelles : Algérie, indigènes
nord-africains etc.
4.3) Etat psychologique.
Albert Camus répond de sa croyance dans ce qu’il asserte mais il ne s’engage
ontologiquement que rarement. Nous avons relevé uniquement quatre assertions où il
emploie le marqueur de la force illocutionnaire « je ».
69
Cet emploi est généralement destiné aux assertions qui précisent que le locuteur s’est
déplacé. Il ne donne pas son point de vue, n’engage pas sa personne de journaliste, il
pratique une certaine distanciation entre l’énoncé et lui-même.
Donc, l’engagement ontologique d’Albert Camus est quasiment absent (il tend vers
zéro dans le cas de la majorité des assertions).
5.Actes assertifs : Engagement / Non –Engagement.
Ce tableau nous permet d’analyser l’engagement et le non-engagement du locuteur
dans les assertions dans cette deuxième partie.
Engagement :
Marqueur de la force illocutionnaire « je »
Non engagement :
Marqueurs de la force illocutionnaire « on » /Ø
Assertion n° 1
Assertion n° 2
Assertion n° 6
Assertion n° 8
Assertion n° 3
Assertion n° 4
Assertion n° 5
Assertion n° 7
Assertion n° 9
commentaire :
commentaire :
ƒ
Le pronom « je » est utilisé afin de
conforter la véracité des informations.
Albert Camus a constaté par lui-même ce
qu’il affirme.
ƒ
Albert Camus informe seulement. Il veut
être objectif en marquant l’énonciation
par l’absence de son engagement.
Dans cette deuxième partie d’Actuelles III, Albert Camus désire rester objectif.
De plus, les informations qu’il donne à son lecteur sont d’ordre économique et
politique, elles se vérifient dans le contexte de 1945. Il n’a pas besoin d’engager sa
personne, ni de démonter que ces informations sont vraies. Il n’use du pronom personnel
« je » que lorsqu’il asserte ce qu’il a constaté par lui-même.
Après l’analyse de toutes les assertions camusiennes prises au sens littéral, nous
remarquons une distanciation entre Camus et son énonciation.
Cette stratégie discursive permet de ne pas s’impliquer de manière directe en prenant
un positionnement pour les minorités algériennes opprimées par le colonialisme, cette
conclusion nous pousse à réfléchir sur la sincérité du locuteur.
Est-il réellement sincère ?
70
Il est difficile d’affirmer qu’il l’est ; nous détaillerons cette réflexion au niveau de la
troisième partie de notre travail.
D-1-b Les directifs :
Article n° 1 - Crise en Algérie.
« Au lieu de répondre par des condamnations, essayons plutôt d’en comprendre les raisons
1
et de faire jouer à leur propos les principes démocratiques. ».
Le but illocutoire
Il s’agit dans ce directif d’une demande adressée à un groupe de lecteurs. Le prédicat
« essayons » modalisé à l’impératif permet au locuteur de s’impliquer dans ce groupe.
Nous identifions « nous » comme étant tous les Français de la métropole. La demande
consiste à faire un effort de compréhension pour amorcer la démocratie. Le locuteur et le
lecteur ont à accomplir cet effort.
La direction d’ajustement
Les directifs posent l’adéquation entre le monde et les mots. Le monde sera conforme
aux mots lorsque la demande d’Albert Camus sera réalisée.
L’état psychologique
La condition de sincérité correspond au désir d’un effort de compréhension de la part
du gouvernement français. Albert Camus se sent concerné, il s’implique.
Article n° 2 – La famine en Algérie.
« On n’a pu distribuer que 4 à 5 kg par mois, c’est-à-dire 130 à 150 gr par jour et par
2
personne. Comprend-on bien ce que cela veut dire ? » .
Le but illocutoire
Cet acte de langage est directif puisque le locuteur pose une question afin de faire
réagir son lecteur : celui-ci doit prendre conscience.
La direction d’ajustement
Pour les directifs, l’ajustement se fait entre le monde et les mots. Le monde
correspondra aux mots lorsque, effectivement, le locuteur prendra conscience de la menace
Qui pèse sur l’Algérie.
1
2
CAMUS A
(1958)
Op cit page 102 directif n° 2
Actuelles III, page 97 directif n°1
71
Pour les directifs, l’ajustement se fait entre le monde et les mots. Le monde
correspondra aux mots lorsque, effectivement, le locuteur prendra conscience de la menace
qui pèse sur l’Algérie (la famine).
L’état psychologique
Comme pour tous les directifs, la condition de sincérité correspond au désir d’Albert
Camus de voir son lecteur prendre conscience de la gravité de la situation. Ce désir du
locuteur n’est pas formulé en utilisant les pronoms personnels « je » ou « nous », au
contraire, Albert Camus utilise le pronom indéfini « on ».
Cette demande est adressée à un destinataire « on » que le locuteur ne nomme pas.
Nous identifions celui-ci comme étant le gouvernement général français.
Article n° 3 – Des bateaux et de la justice.
« Il faut bien voir aussi que rien ne peut nous arrêter et que nous devons demander ces
3
bateaux au monde entier. » .
Le but illocutoire
Le locuteur adresse une demande à un groupe de lecteurs auquel il adhère.
Cette implication du locuteur se justifie par l’emploi du pronom personnel
« nous » marqueur de la force illocutionnaire. Le verbe « devoir » lui permet de formuler
une obligation généralisée à tous ceux qui sont désignés par le pronom « nous ».
Donc : Nous = Tous les Français + moi (Albert Camus)
La direction d’ajustement
Elle va du monde aux mots. Le monde sera conforme aux mots lorsque la demande
sera exaucée.
L’état psychologique
La condition de sincérité correspond à une obligation généralisée par le locuteur.
Albert Camus veut obliger tous les autres Français à demander de l’aide au monde
entier pour l’Algérie.
3
Op cit page 105 directif n°3
72
L’engagement du locuteur transparaît dans l’utilisation du pronom personnel «nous ».
Albert Camus ajoute : « Calmer la plus cruelle des faims et guérir ces cœurs exaspérés, voilà la
4
tâche qui s’impose à nous aujourd’hui » .
Ce directif appuie le directif que nous avons analysé ci-dessus.
Article n° 4 – le malaise politique.
« Depuis une cinquantaine d’années, le but avoué de la France en Afrique du Nord était
d’ouvrir progressivement à la citoyenneté française à tous les Arabes. Disons tout de suite que cela
5
est resté théorique ».
Le but illocutoire
C’est une demande formulée au mode impératif à travers l’emploi du prédicat
« disons », conjugué à la première personne du pluriel « nous ».
Le locuteur demande à lui-même et aux autres Français de reconnaître l’échec de la
politique d’assimilation adoptée en Afrique du Nord.
La Direction d’ajustement
Elle va du monde aux mots. L’ajustement sera effectué une fois que les Français
reconnaîtront l’échec de leur politique.
L’état psychologique
Albert Camus s’engage et engage les autres à reconnaître l’échec de la politique
française en Algérie. La condition de sincérité correspond à la volonté du locuteur
d’accomplir l’action précisée dans le contenu proportionnel, c’est-à-dire vouloir que les
Français avouent leur mauvaise foi.
Article n° 5 – Le Parti du Manifeste.
« Que dit le manifeste ? »6.
Le but illocutoire
Le locuteur pose cette question à lui-même afin d’apporter une réponse et informer les
autres lecteurs sur le contenu du Manifeste.
4
Op cit page 107
Op cit page 109 Directif n° 5
6
Op cit page 116 - Directif n° 6
5
73
En fait, Albert Camus désire faire connaître aux Français de la métropole le nouveau
courant de Ferhat Abbas, en exposant le contenu de ce Manifeste.
La Direction d’ajustement
L’adéquation se fait entre le monde et les mots. Lorsque le locuteur exposera aux
lecteurs le contenu du Manifeste, l’adéquation sera établie.
L’état psychologique
Albert Camus désire informer le lecteur sur le contenu du Manifeste. Le locuteur ne
s’engage pas.
™ Conclusion sur les directifs.
1.Type de texte : Enquête.
2.Type d’acte de langage : Directif.
3.Types de directifs :
1- Demande : « essayons plutôt d’en comprendre les raisons et de faire jouer à leur
1
propos les principes démocratiques. » .
2-Question interpellative: « Comprend-on bien ce que cela veut dire ? »2.
3-Obligation : « Il faut bien voir aussi que rien ne peut nous arrête et que nous devons
3
demander ces bateaux au monde entier.» .
4. Structure illocutionnaire des actes directifs :
4.1) Le but illocutoire.
Le but illocutoire des directifs comme le précise Searle consiste à faire faire quelque
chose à l’auditeur. Pour ce faire, le directif doit être une demande, un ordre, une question,
un conseil, etc.
Après avoir analysé quelques actes de langage directifs camusiens, nous constatons
qu’ils convergent tous vers deux buts illocutionnaires qui se complètent.
A travers, le premier but, qui englobe les demandes et les obligations, le locuteur veut
que tous les Français réagissent en reconnaissant l’échec de la politique d’assimilation
adoptée en Algérie et qu’ils rétablissent la justice.
1
Ibid page 97
Ibid page 102
3
Ibid page 105
2
74
A travers, le deuxième but, qui englobe les questions, le locuteur désire interpeller son
lecteur afin que celui-ci prenne conscience de l’injustice faite aux populations autochtones.
Cette injustice a sévi aussi bien sur le plan socio-économique que sur le plan politique.
Le marqueur de la force illocutionnaire employé pour tous les directifs est le pronom
personnel « Nous ».
Pourquoi recourir uniquement à ce pronom comme marqueur de force illocutionnaire ?
Il s’agit pour Albert Camus de s’impliquer en tant que français d’Algérie qui se sent
concerné par ce qui se passe dans son pays natal.
Il désire, également, que les Français de la métropole se sentent impliqués par la
répression sociale et politique qui pousse l’Algérie vers le gouffre.
Donc, le pronom « Nous » regroupe tous les Français y compris Albert Camus , ce
marqueur de force illocutionnaire renvoie à des groupes de lecteurs différents :
1- Le premier groupe correspond aux Français d’Algérie et Camus.
2- Le deuxième groupe renvoie aux Français en général (ceux de la métropole et ceux
d’Algérie).
4.2) La direction d’ajustement.
L’ajustement du langage à la réalité dans le cas des directifs se vérifie dans le futur,
c’est-à-dire lorsque le lecteur accomplira ce qui lui est demandé par le locuteur.
Donc, il est difficile de vérifier l’ajustement à la réalité dans ce cas.
4.3) L’état psychologique.
Comme pour tous les directifs, la condition de sincérité correspond au fait que le
locuteur désire ou veut que le lecteur accomplisse ce qui lui est demandé.
En effet, dans tous les directifs que nous avons relevés, Albert Camus veut et désire
que son lecteur se sente concerné par la situation dramatique dans laquelle l’Algérie se
trouve.
Il demande au gouvernement français également de réagir et de rétablir la justice
sociale.
5. Actes directifs : Engagement / Non-engagement du locuteur.
75
A travers ce tableau nous analyserons l’engagement et le non-engagement du locuteur
comme dans les analyses précédentes.
Engagement
Marqueur de la force illocutionnaire
« nous » - verbe à l’impératif
Directif n° 1
Directif n° 3
Directif n° 4
Directif n° 5
Non engagement
Marqueur de la force illocutionnaire on / Ø
Directif n° 2
Directif n° 6
La conclusion à laquelle nous aboutissons est qu’Albert Camus se met très peu en
distanciation avec son texte. Son énonciation est marquée par l’emploi du pronom personnel
« nous ».
L’engagement, que suscite ce pronom, est en total contradiction avec le but que s’est
fixé le journaliste reporter, à savoir demeurer neutre et objectif (cf. les assertifs, conclusion).
Albert Camus tente de sensibiliser les Français de la métropole, il défend la justice
sociale.Il emploie également le pronom indéfini « on » dans le but d’interpeller son lecteur.
Ce pronom désigne les institutions politiques françaises sans les nommer directement car
son statut ne lui permet pas de leur adresser des demandes de manière directe.
De la, nous démontrons qu’Albert Camus ne respecte pas l’objectivité qu’il propose à
son lecteur dans son enquête. Si au niveau des assertifs, il ne s’engage pas et ne prend pas
réellement position, dans le cas des directifs, nous remarquons une attitude contraire. Il
formule un appel pour unifier les forces de tous les Français, dans l’espoir de rétablir une
nouvelle situation politique et économique plus adéquate, en bannissant l’injustice sociale.
Nous verrons, également, dans la troisième partie de cette recherche qu’Albert Camus
ne récuse pas la présence du colonisateur sur le sol algérien comme étant un des facteurs
majeurs de la dégradation de la situation socio-économique.
Il faut rappeler que l’Algérie n’aurait pas participé à la deuxième guerre mondiale si
elle n’avait pas été colonisée. Elle n’aurait pas servi de grenier pour les Français ni les
76
Allemands et sa population n’aurait pas connu autant de misère. Cette réalité est totalement
négligée par le locuteur.
Dans quelle mesure Albert Camus est sincère ?
Il est difficile d’y répondre car le chroniqueur oscille entre l’engagement et le nonengagement en usant de stratégie discursive à travers le jeu sur les différents marqueurs de
la force illocutionnaire et les actes de langage complexes ( cf. expressifs:actes de langage
complexes).
Nous en concluons que la condition de sincérité n’est pas cernable vu l’ambiguïté
dans laquelle se place Albert Camus. Une réflexion, dans une recherche ultérieure, sur les
actes de langage indirects démontrera cette ambivalence.
D- 1 -c Les promissifs.
Article n° 1 – Crise en Algérie.
«On servirait une politique à court terme, aussi contraire aux intérêts arabes qu’aux intérêts
1
français. » .
Le but illocutoire
Nous remarquerons que cet énoncé est marqué par l’utilisation du pronom indéfini
« on » (marqueur de la force illocutoire). Ce pronom permet au locuteur de ne pas
s’impliquer et il désigne un groupe auquel il n’adhère pas.
Le but illocutoire consiste à adopter une conduite future précisée dans le contenu
propositionnel de ce promissif, qui correspond à : « on servirait une politique à court
terme».Cette conduite « future » ne concerne pas le locuteur mais ceux désignés par le
pronom « on ». L’emploi de prédicat conjugué au conditionnel permet à Camus d’atténuer
cette promesse.
Mais qui est désigné par « on » ? Le contenu propositionnel de ce promissif indique
qu’il s’agit du gouvernement français (le gouvernement général).
La direction d’ajustement
1
Op cit Page 93 - Promissif n° 1
77
L’adéquation dans le cas des promissifs se pose entre le monde et le langage. On ne
peut parler d’ajustement que lorsque la promesse sera tenue.
Donc, l’ajustement des promissifs se vérifie dans le futur.
L’état psychologique
Sans s’impliquer, le locuteur promet une politique à court terme inadaptée en Algérie.
Promissif n°2.
« Mon projet dans les articles qui suivront est d’appuyer cette tentative par le simple exercice
d’une information objective » 2 .
Le but illocutoire
Comme tous les promissifs, le but illocutoire de cet acte consiste dans le fait d’obliger
le locuteur à adopter une conduite future. En effet, Albert Camus promet aux lecteurs
d’adopter une attitude future qui correspond à donner une information objective dans le but
d’appuyer les tentatives convergeant vers une démocratie.
L’implication du locuteur dans ce promissif est déterminée par l’emploi de l’adjectif
possessif « mon ».
La direction d’ajustement
L’ajustement se fait entre le monde et les mots. Cet ajustement sera réussi lorsque
réellement l’information « objective » apportée par le locuteur appuiera le processus
démocratique.
L’état psychologique
Albert Camus a l’intention d’appuyer le processus démocratique grâce à ses articles. Il
s’engage à le faire en s’impliquant.
Article n° 2 – La famine en Algérie.
« … je dirai dans mon prochain article les in justices qu’il faut faire disparaître et les mesures
3
d’urgences qu’il faut provoquer sur le plan économique. ».
Le but illocutoire
Le locuteur promet de « dire » les mesures qui doivent être appliquées à l’Algérie sur
le plan économique.
La direction d’ajustement
2
Ibid page 97 promissif n°2
3
Ibid page 97
promissif n°3
78
L’ajustement se fait entre le monde et le langage. L’article qui suit celui-ci permet
l’adéquation du monde au langage. Albert Camus exauce sa promesse dans l’article
« Des bateaux et de la justice », il propose des solutions pour rendre justice aux « Arabes ».
L’état psychologique
La condition de sincérité correspond à l’intention d’effectuer un acte futur. En effet,
Albert Camus a l’intention de dire ce qui est nécessaire de faire sur le plan économique.
Article n° 3 – Des bateaux et de la justice.
Ø Absence de promissif.
Article n° 4 – Le malaise politique.
« Je parlerai dans mon prochain article de cet important mouvement, le plus original, le plus
4
significatif qu’on ait vu paraître en Algérie, depuis le début de la conquête. » .
Le but illocutoire
Le locuteur s’engage à faire connaître aux lecteurs de « Combat » un important
mouvement « arabe » : le mouvement de Ferhat Abbas.
La direction d’ajustement
Elle va du monde aux mots. L’ajustement à la réalité sera réalisé lorsque la promesse
camusienne sera tenue.
Dans l’article « le Parti du Manifeste », Albert Camus tient son engagement, il
explique :
« Il me paraît donc utile de faire connaître aux Français ce parti avec lequel (…) il
faut bien compter ». 5 L’adéquation entre le monde et le langage est, donc, réalisée.
L’état psychologique
Albert Camus a l’intention de parler dans son prochain article du mouvement
politique : « Les Amis du Manifeste ».
Un sentiment d’appréciation sous-tend cet acte promissif. L’emploi des superlatifs « le
plus original » et « le plus significatif » permettent au journaliste de démonter son penchant
pour ce mouvement politique.
D-1 –d Les expressifs : actes de langage complexe.
4
5
Ibid page 113 promissifs n°4
Op cit page 114
79
Il existe peu d’actes expressifs purs dans cet article la majorité sont additionnés à des
actes directifs, assertifs et promissifs. Ce sont des actes de langage complexes. Nous nous
contenterons de faire un relevé exhaustif sans une analyse détaillée car ce qui importe pour
notre réflexion, c’est d’identifier l’état psychologique du locuteur.
Assertif/Expressif.
Directif/Expressif.
« Ce peuple n’est pas
inférieur, sinon par la
condition de vie où il se
trouve et nous avons des
leçons à prendre chez lui,
dans la mesure même où il
peut prendre chez nous »1.
« Ce qu’il faut crier le plus haut
possible, c’est que la plus grande
partie
des
habitants
d’Algérie
connaissent la famine »4.
« …ce sont des souffrances
qui ne peuvent nous laisser
indifférents, puisque nous les
avons connues » 2 .
« La répression c’est une pure
et simple stupidité »3.
L’état psychologique
Nous notons à ce niveau là
que le locuteur est interpellé
par les souffrances du peuple
algérien. Il souhaite une
réaction de la part des
Français et du gouvernement
général.
Promissif/Expressif.
« Le gouvernement général cesserait
d’être alors une administration pour
devenir un véritable gouvernement
où les postes seraient également
répartis entre ministres français et
« Calmer la plus cruelle des faims et ministres arabes »9.
guérir ces cœurs exaspérés, voilà la
tâche
qui
s’impose
à
nous
aujourd’hui »5 .
L’état psychologique
Le locuteur souhaite et espère une
« Il faut essayer de les comprendre politique juste et équitable qui permet
avant de les juger »6
aux Français et aux Algériens de
coopérer pour un seul : « pays »
« Il faut apaiser ces peuples déchirés et l’Algérie.
tourmentés par de trop longues
souffrances »7 .
« Persuadons-nous bien qu’en Afrique
du Nord (…) on ne sauvera rien de
français sans sauver la justice »8.
L’état psychologique
Dans ce deuxième cas, le locuteur
souhaite que les politiciens français
prennent
conscience
de
la
souffrance
des
populations
algériennes.
1
Op cit – page 95
Op cit – page 97
3 Ibid
4 Ibid
5 Op cit - page 107
6 Ibid
7 Op cit- page 122
8 Ibid
9 Op cit-page 110
2
80
L’analyse qui s’impose après avoir relevé tous les actes de langage complexes, nous
permet de dire que le locuteur ne laisse pas transparaître ses sentiments à travers des
expressifs « purs ».
Il a recours à la stratégie discursive qui repose sur l’emploi de divers actes de langage
complexes qui convergent tous vers un seul état psychologique : souhaiter une politique
économique et sociale plus juste.
Nous remarquons, après avoir déterminé les divers états psychologiques, que Camus
tente de respecter le contrat d’objectivité qu’il s’est fixé, il explique : « l’enquête que je
rapporte (…) a été menée aussi objectivement que je le pouvais »1. C’est, aussi, pour cette raison
que les actes de langage expressifs sont additionnés à des actes de langage divers en
devenant ainsi complexes.
1
Op cit page 117
81
II – D TROISIEME PERIODE – L’ALGERIE DECHIREE 1956.
A. Introduction.
Comme le précise Albert Camus, cette troisième et dernière série regroupe les articles
parus dans « l’Express » d’octobre 1955 à janvier 1956.
Cette fois-ci, l’Algérie est déchirée par la guerre de libération nationale déclenchée par
le parti du Front de Libération Nationale (F.L.N.).
B. Le contexte historique de 1956.
Le 1er novembre 1954, une organisation jusque-là inconnue revendique toutes les
opérations militaires, le Front de Libération National (F.L.N).
Le 5 novembre 1954, la principale organisation indépendantiste, le MTLD, est
dissoute, ses responsables et des centaines de militants optent pour la clandestinité et
augmentent les rangs de maquisards.
L’année 1955 qui voit l’apparition des articles d’Albert Camus, débute avec le
renversement du gouvernement de Pierre Mendès France.
Jacques Soustelle rejoint Alger au lendemain de la chute du cabinet remplacé par
Edgar Faure.
Tout est encore possible en Algérie, le nouveau gouverneur d’Algérie rencontre les
dirigeants des Oulémas et Ferhat Abbas. Il s’efforce de comprendre le malaise de la
population musulmane mais l’armée lance des opérations de ratissage après que l’assemblée
eut voté l’état d’urgence. Le 20 août 1955 tout bascule, la guerre d’Algérie commence
véritablement.
Dix ans après les événements de Sétif et Guelma, de mai 1945, la même explosion de
violence, relayée par une répression aveugle sévit en Algérie, de nombreux français et
musulmans sont assassinés. L’armée entre en action. Le 20 août 1955, c’est la fin des
opérations de maintien de l’ordre. La France entre en guerre. Le gouverneur général
d’Algérie, Jacques Soustelle, laisse carte blanche à l’armée.
82
Des dizaines de milliers de soldats traversent la méditerranée et le parlement français
vote « les pouvoirs spéciaux ».
Le 16 mars, quatre jours après le vote, les premiers attentats du F.L.N frappent Alger,
le couvre- feu est alors imposé. Le F.L.N. gagne du terrain au fur et à mesure. La répression
a poussé vers le maquis des milliers de jeunes algériens de tout bord. L’A.L.N compte à la
fin de 1956 des dizaines de « djounouds ». Les élus musulmans dont Ferhat Abbas
rejoignent le camp du nationalisme algérien.
Le congrès de la Soummam du 20 août 1956 consacre la faillite des anciennes
formations politiques des vieux partis. La révolution algérienne change de visage : c’est la
guerre, la lutte armée.
En 1957, la guerre est portée au cœur d’Alger, en multipliant les attentats, la bataille
d’Alger commence alors.
C. Albert Camus journaliste à l’Express.
En 1955, Albert Camus revient au journalisme à l’Express. A Jean Daniel qui
l’interrogeait sur le sens de sa décision, il donne trois raisons :
« La première, c’est que je suis solitaire dans mon époque. Je suis aussi comme vous
savez solidaire d’elle. La seconde, c’est que le journalisme m’est toujours apparu comme la
forme la plus agréable pour moi de l’engagement, à la condition toutefois de tout dire. La
troisième enfin, c’est que je veux contribuer à faire revenir Pierre Mendès France au
pouvoir »1.
Albert Camus, attend de Mendès France une solution au drame algérien.
C’est à l’Algérie qu’il consacre la plus importante part des articles qu’il publie
dans ce journal. Le front républicain lui paraissait être une force susceptible de
revitaliser la gauche libérale, d’imposer des réformes sociales en infléchissant la
mentalité française vers plus de fraternité afin que la guerre cesse, mais il est déjà trop
tard.
1
CAMUS A. (1987) Cahiers 6 Albert Camus éditorialiste à l’Express, Gallimard, page404-405
83
D) Taxinomie des actes de langage.
D-1-aAnalyse de la structure illocutionnaire des actes de langage :
D-1.a Les assertifs :
Article n°1 - l’absente.
« Les solutions qu’on pouvait envisager avant le 20 août sont déjà dépassées (…) le fossé entre
les deux populations s’accentue, les extrémistes s’affrontent dans une surenchère de destruction
(…) une chance demeure. Elle est dans une libre confrontation, au cours d’une rencontre
décisive ».1
Le but illocutoire.
Le but illocutoire de cette assertion est d’informer le lecteur sur le fossé qui se
creuse entre les deux populations, en affirmant qu’il existe une solution : confronter les
deux antagonistes. L’assertion relevée est impersonnelle, le locuteur ne s’engage pas. Le
pronom indéfini « on » lui permet d’instaurer une distanciation entre les propos tenus et
l’énonciation. Ce pronom désigne le gouvernement général français qui « pouvait
envisager des solutions avant le 20 août ».
La direction d’ajustement.
Les mots sont en adéquation avec la réalité affirmée.
Dans le cas de cette assertion, nous notons :
1. une référence historique « le 20 août 1956 » : date importante qui annonce
un nouvel aspect de la lutte algérienne contre la France coloniale.
2. le climat politique décrit « le fossé entre les deux populations s’accentue, les
extrémistes s’affrontent dans une surenchère de destruction » se vérifie dans le
contexte historique de 1956.
L’état psychologique.
Le locuteur exprime sa croyance dans ce qu’il affirme sans s’engager.
Article n° 2 - La table ronde
« L’Algérie n’est pas la France, comme on s’obstine à le dire (…) et elle abrite pourtant
plus d’un million de Français comme on a trop tendance, d’un autre côté, à l’oublier. Ces
simplifications ne font que durcir le problème » 2
Cette assertion respecte la structure sémantique suivante :
1
CAMUS A. (1958) Actuelles III page 135 assertion n°1
2 Op
cit page 136 assertion n° 2
84
« L’Algérie n’est pas la France, comme on s’obstine à le dire (…) et elle
référence réelle
référence réelle
↑ Marqueur de la force
illocutionnaire
abrite pourtant plus d’un million de Français comme on a trop tendance,
↑ Marqueur de la force
illocutionnaire
référence réelle
d’un autre côté, à l’oublier.».
mais
L’Algérie ≠ la France
Prédicat à la forme négative
« n’est pas »
L’Algérie =
million de Français
↓
pourtant
Rapport
d’opposition
Information n° 1
↑
on
un
Information n° 2
↑
on
s’obstine à le dire
l’oublie
Conclusion :
Point de vue du locuteur sur l’information n° 1 et n° 2 : Aggravation du problème
Le but illocutoire
Le locuteur apporte une précision : il affirme que « l’Algérie n’est pas la France »
mais cela n’exclut pas la présence de la communauté française en Algérie. Les deux
communautés arabe et française n’arrivent pas à cohabiter sur le même territoire.
Le marqueur de la force illocutionnaire « on » permet à Albert Camus de ne pas
s’engager. Ce pronom renvoie à deux groupes différents : le premier groupe dans
l’énoncé « on s’obstine à le dire » désigne les colonialistes, dans le deuxième « on a trop
tendance, d’un autre côté, à l’oublier. » désigne les indépendantistes.
La direction d’ajustement
85
Elle va des mots au monde, autrement dit les mots doivent être en adéquation avec la
réalité existante.
La véracité de cette proposition repose sur :
1. l’emploi de références réelles : l’Algérie, la France.
2. l’emploi d’une référence numérique : un million.
Le contenu propositionnel de cet acte assertif véhicule des informations qui se vérifient
dans le contexte historique de l’année 1956.
L’état psychologique
La condition de sincérité correspond au fait qu’Albert Camus exprime sa croyance
dans ce qu’il asserte. Le locuteur ne s’implique pas, il utilise le pronom « on ». Cette
assertion est donc impersonnelle.
Article n° 3 – La bonne conscience.
« Les gouvernements successifs de la métropole appuyés sur la confortable indifférence de la
presse et de l’opinion publique, secondés par la complaisance des législateurs, sont les premiers
responsables du désastre actuel. Ils sont plus capables (…) que ces centaines de milliers de
travailleurs français qui survivent en Algérie avec des salaires de misère, qui ont pris les armes
pour venir au secours de la métropole et qui se voient récompensés par le mépris ».3
Le but illocutoire
Il s’agit ici d’une assertion argumentative qui expose le point de vue d’Albert Camus
qui précise que le drame que vivent les deux communautés arabe et algérienne est en
grande partie causé par les gouvernements français de la métropole.
Nous remarquons l’absence de tout marqueur de la force illocutionnaire qui détermine
l’engagement ontologique du locuteur sur ce qu’il énonce. Ceci s’explique par le fait
qu’Albert Camus, dans le contexte de l’année 1956, est déjà un écrivain confirmé. Ce
statut lui confère une certaine force, il est inutile pour lui d’utiliser « je ».
Sa responsabilité ainsi que la véracité de ses informations sont évidentes. Son
engagement ontologique est présent dans la structure énonciative de l’assertion mais
n’apparaît pas à la surface de celle-ci.
La direction d’ajustement
3
Op cit page 142 assertif n°3
86
Elle va des mots au monde.
L’ajustement dans cette assertion repose sur une réalité connue du lecteur. La réalité
décrite par Albert Camus : les gouvernements français sont responsables et coupables du
désastre algérien.
Nous remarquons qu’à ce niveau, l’adéquation se pose en terme de réalité décrite et
réalité historique de l’année 1956.
L’état psychologique
La condition de sincérité suppose qu’Albert Camus réponde de sa croyance dans ce
qu’il affirme. En effet, même si Albert Camus ne s’implique pas de manière directe en se
désignant par le pronom personnel « je », l’engagement ontologique face à l’état de chose
existant est présent dans la structure énonciative de l’acte assertif (cf. But illocutoire).
Article n° 4 – La vraie démission.
« Pour une nation comme la France, il y a d’abord une forme de démission qui s’appelle
l’injustice. En Algérie cette démission a précédé la révolte arabe et explique sa naissance si elle
ne justifie pas ses excès. Approuver les réformes ce n’est pas (…) approuver le massacre des
populations civiles (…) c’est au contraire s’employer à épargner le sang innocent qu’il soit arabe
ou français (…). Nous sommes au cœur du problème, le refus des réformes constitue la vraie
démission ».4
Le but illocutoire
Le but illocutoire du locuteur est d’expliquer un état de chose, à savoir une politique
démissionnaire qui est à l’origine du drame algérien. Nous remarquons l’absence du
marqueur de la force illocutionnaire « je » remplacé par le pronom personnel « nous » qui
désigne un groupe dans l’énoncé.
«
Nous
sommes au cœur du problème ».
Marqueur de la force illocutionnaire qui désigne tous les Français y compris le locuteur.
La direction d’ajustement
4
Op cit page 145
assertif n°4
87
Comme pour tous les assertifs, elle va des mots au monde. L’adéquation à la réalité
donnée à lire par le locuteur passe par :
1. l’emploi de références réelles : France, Algérie.
2. l’emploi du pronom personnel « nous » qui renvoie à tous les Français y
compris le locuteur.
L’état psychologique
Albert Camus exprime ses croyances dans ce qu’il asserte mais s’il ne s’engage pas
personnellement en utilisant le pronom personnel « je ».
Il emploie le pronom personnel « nous » pour engager la responsabilité des autres
Français quant à la véracité du contenu propositionnel de son assertion qui correspond à la
nécessité d’établir de nouvelles réformes, afin de mettre fin à la politique démissionnaire
française.
Article n° 5 – Les raisons de l’adversaire.
« Les militants clairvoyants du mouvement nord-africain, ceux qui savent que l’avenir arabe
est commandé par l’ascension rapide des peuples musulmans à des conditions de vie moderne,
semblent parfois dépassés par un mouvement plus aveugle qui (…) rêve d’un panislamisme qui se
conçoit mieux dans les imaginations que devant les réalités de l’histoire.
Les Français dont j’ai parlé ne peuvent en tout cas soutenir l’aile extrémiste, (…) rétrograde
(…) du mouvement arabe. (…) Ils se prononcent pour la personnalité arabe en Algérie, non pour la
personnalité égyptienne »5.
Le but illocutoire
Albert Camus expose son point de vue sur le mouvement nord-africain, nous
remarquons encore une fois l’absence du marqueur de la force illocutionnaire « je » dans la
première partie de l’assertion.
Le locuteur n’utilise pas ce pronom car son statut d’écrivain reconnu lui permet
d’engager sa responsabilité quant à la vérité de ses propos sans pour autant dire «je».
Dans la deuxième partie, nous remarquons qu’il s’implique grâce au marqueur « je »,
nous expliquons cela par le fait qu’il fait partie des Français libéraux dont il parle et qui
prônent une Algérie nord-africaine et non égyptienne.
Direction d’ajustement
5
Op cit page 150/151
assertif n°5
88
L’adéquation se fait entre les mots et le monde. Elle repose sur :
1. Références réelles : Mouvement nord-africain, Les Français, Algérie.
2. Pronom personnel : « je » - le locuteur lui-même3. Adjectifs qualificatifs : égyptienne, arabe.
Les lecteurs de la métropole connaissent le Mouvement Nord-africain, ils connaissent
également le régime de Djamel Abdenasser, ses idées révolutionnaires et son soutien à la
révolution algérienne.
L’adéquation dans ce cas se fait à travers ce que le lecteur connaît déjà.
Etat psychologique
Le locuteur engage sa croyance et sa responsabilité face à ce qu’il asserte.
Dans la première partie de l’assertion, l’engagement de celui-ci n’est pas apparent à la
surface du texte, il le sera dans la deuxième assertion puisqu’il se désigne par «je».
Cet acte assertif s’additionne à un autre acte expressif : il s’agit d’un acte de langage
complexe.
Le but illocutoire de cet expressif consiste dans le fait de condamner fortement les
mouvements jugés par le locuteur d’ « extrémistes » et de « rétrogrades ».
Son état psychologique : correspond au refus et à la condamnation de pareil
mouvement qui sont loin de la personnalité arabe en Algérie. Selon Camus, celle-ci ne doit
pas être copiée sur l’Egypte.
Article n° 6 – Premier Novembre.
« Les aveugles qui exigent la répression généralisée condamnent à mort en même temps
d’innocents Français. Et de même ceux qui confient courageusement à de lointains micros
d’ignobles appels au meurtre, préparent aussi le massacre des populations arabes. »6.
Le but illocutoire
Il s’agit ici d’une assertion descriptive qui fait état des attitudes de chacun des deux
clans qui appellent au massacre des deux populations. Nous remarquons que le locuteur ne
nomme pas la catégorie de Français qui « exigent la répression généralisée », il les désigne par
l’occurrence « aveugles », de même qu’il désigne l’autre partie des masses arabes par
6
Op cit page 154 assertif n°6
89
l’occurrence « aveugles », de même qu’il désigne l’autre partie des masses arabes par le
pronom démonstratif « ceux ».
Cette assertion est doublée d’un acte de langage expressif dans la mesure où le locuteur
exprime sa révolte face au comportement des deux parties adverses.
La direction d’ajustement
L’ajustement se fait entre les mots et le monde. Les références utilisées par le locuteur
sont :
1. aveugles : Cette référence désigne tout parti qui appelle à la répression.
2. population arabe.
3. ceux : Pronom démonstratif. Il désigne les partisans de l’indépendance.
L’état psychologique
Albert Camus exprime sa croyance dans ce qu’il affirme sans s’engager.
Article n° 7 – Trêve pour les civils.
« Il n’y a pas de jour où le courrier, la presse, le téléphone même n’apportent de terribles
nouvelles d’Algérie. De toutes parts les appels retentissent, et les cris (...) je sais il y a une priorité
de la violence. La longue violence colonialiste explique celle de la rébellion mais cette justification
ne peut s’appliquer qu’à la rébellion armée. »7.
Le but illocutoire
Il s’agit ici d’une assertion argumentative dans laquelle le locuteur s’engage en
utilisant le pronom personnel « je » marqueur de la force illocutionnaire.
L’énoncé « je sais » amorce une argumentation qui expose le point de vue du locuteur,
nous retenons deux arguments :
Arguments n° 1 :«… je sais il y a une priorité de la violence. la longue violence
colonialiste explique celle de la rébellion ».
Argument n° 2 :« Cette justification ne peut s’appliquer qu’à la rébellion armée ».
Le but illocutoire du locuteur consiste dans le fait de vouloir convaincre son lecteur de
son point de vue sur la violence qui sévit en Algérie.
Albert Camus tient, donc, un discours sérieux et grave dans lequel il s’engage
ontologiquement en affirmant par la même occasion sa responsabilité quant à la véracité de
son propos.
7
Op cit page 158 assertif n°7
90
La direction d’ajustement
Elle va des mots au monde. Les mots doivent être conformes à la réalité énoncée par le
locuteur.
Dans la première partie nous remarquons l’emploi d’une seule référence, « l’Algérie ».
L’information apportée par le journaliste se vérifie dans le contexte historique de 1956
car la guerre et la répression se sont déclenchées en Algérie.
Cette information est connue des lecteurs, Albert Camus n’apporte aucun élément
nouveau.
L’état psychologique
Albert Camus répond de sa croyance dans ce qu’il asserte. Il s’engage ontologiquement
quant à la véracité de l’information. Le locuteur est contre cette violence. L’occurrence
« mais » qui marque l’opposition dans l’énoncé « mais cette justification ne peut
s’appliquer qu’à la rébellion armée » le confirme.
Article n° 8 – Le parti de la trêve.
« Les éléments fanatiques de la colonisation, de leur côté, brisent les vitres au cri de
« Répression », et renvoient après la victoire les réformes mal définies. Cela signifie pratiquement
la suppression, au moins morale, d’une population arabe dont ni la personnalité, ni les droits ne
peuvent être niés. Ce sont là des doctrines de guerre totale (…), je crois au contraire plus féconde
la déclaration approuvée par le congrès socialiste selon laquelle il ne peut y avoir en Algérie de
négociation unilatérale .»8.
Le but illocutoire
A travers cette assertion argumentative, Albert Camus désire informer le lecteur en lui
exprimant son point de vue. Il prend position contre la répression en proposant la
négociation entre les deux adversaires telle qu’elle a été proposée par le congrès.
Le but illocutoire de cette assertion est d’expliquer la nécessité d’établir un dialogue
entre les deux populations afin d’éviter la répression.
Ceci nous amène à conclure qu’Albert Camus approuve les idées socialistes pour
résoudre le conflit algérien.
Cette assertion respecte la structure sémantique suivante :
8
Op cit page 163 assertif n°8
91
« Je crois …unilatérale »
Assertion personnelle qui expose le point de
vue du locuteur.
« Les éléments fanatiques …constructives »
Assertion impersonnelle qui expose un état
de chose.
≠
Le locuteur refuse cet état de chose, la
répression.
Il souhaite un autre état de chose, le
dialogue.
La direction d’ajustement
Elle va des mots au monde.
Il s’agit ici d’une assertion qui expose le point de vue du locuteur. L’adéquation du
langage à la réalité se vérifie dans le contexte historique de 1956.
En effet, la guerre éclate en Algérie, « Français » et « Arabes » s’embarquent dans un
processus de répression ensanglanté.
L’adéquation se fait à travers ce que le lecteur sait déjà par ce qu’il lit dans la presse ou
écoute à la radio.
L’état psychologique
Pour l’acte assertif, la condition de sincérité correspond à la croyance et l’engagement
ontologique du locuteur face à ce qu’il énonce.
™ Conclusion sur les assertifs
1. Type de texte : Explicatif/Argumentatif.
2. Type d’acte de langage : l’assertion.
Les assertions relevées sont pour la plupart explicatives/argumentatives, toutefois il
existe quelques assertions descriptives et d’autres affirmatives.
1. Assertion affirmative : « Une chance demeure, elle est dans une libre
confrontation »1.
2. Assertion descriptive : « Seule une politique ferme, clairement définie … »2.
3. Assertion explicative : « Ces distinctions, après tout sont bien facile.80% des
Français d’Algérie ne sont pas des colons, mais des salariés ou des commerçants. Le
niveau de vie des salariés, bien que supérieur à celui des Arabes est inférieur à celui
de la métropole ».3
1
CAMUS
A (1958) Actuelles III, page 135.
Op cit page 134
3
Op cit page 141
2
92
4. Assertion argumentative : « Pour une nation comme la France, il est d’abord une
forme suprême de démission qui s’appelle l’injustice. En Algérie, cette démission a
précédé la révolte arabe et explique sa naissance si elle ne justifie pas ses excès. (…)
Le choix en Algérie n’est pas entre la démission ou la reconquête mais entre le
mariage de convenance ou le mariage à mort de deux xénophobies »4.
3.Structure illocutionnaire des actes assertifs.
3.1) Le but illocutoire .
Le but illocutoire que se fixe le locuteur à travers ces assertions est d’informer le
lecteur et de le convaincre de son point de vue. Autrement dit, comme pour tout texte
argumentatif, l’objectif du locuteur est de défendre un point de vue, une opinion dont il est
fortement convaincu, dans le cas d’Albert Camus, il s’agit de démontrer que l’Algérie est
« déchirée ».
Tous les actes assertifs contenus, dans cette dernière partie sont additionnés à des actes
expressifs. Le sentiment qui se déploie dans l’énonciation assertive est celui de la douleur et
du refus que l’Algérie sévisse dans la répression et la guerre. (Le détail de l’analyse sera vu
dans les expressifs : actes de langage complexes).
3.1. A-Les marqueurs de la force illocutionnaire.
a. « Je », pronom personnel : il apparaît dans toutes les assertions et trois
fois pour les actes assertifs/expressifs.
b. « Nous », pronom personnel : il désigne les Français d’Algérie et tous les
autres Français y compris ceux de la métropole.
c. « On », pronom indéfini : généralement, il est employé pour désigner le
gouvernement français.
3.1. B- L’usage argumentatif de « on » .
Pour caractériser les valeurs de « on », les grammaires évoquent en général :
ƒ sa valeur indéfinie (on = les gens, tout le monde…)
ƒ les emplois « familiers » de « on » à la place de nous.
ƒ la possibilité de remplacer par « on » les divers pronoms sujets avec différentes
valeurs, c’est-à-dire avec le caractère tantôt inclusif, tantôt exclusif de « on », il
peut englober je, tu, nous, vous etc., comme il peut les exclure.
4
Op cit page 145
93
La diversité de ces emplois et surtout l’ambiguïté qu’ils permettent d’entretenir sur la
personne, donnent à ce marqueur de force illocutionnaire, un rôle essentiel dans le texte
argumentatif camusien que nous explicitons dans ce qui suit.
3.1.C- Le système du « on » camusien .
« On » entre à chaque fois dans un système énonciatif complexe. Dans certains assertifs,
l’apparition de ce marqueur de force illocutionnaire coïncide avec l’affirmation de la thèse
soutenue par le locuteur.
Dans ce cas là, l’implication du locuteur et du lecteur démontre leur solidarité face à la
thèse proposée à savoir que l’Algérie est déchirée par la guerre.
D’autres « on » marquent au contraire une distance prudente de la part d’Albert Camus.
De là nous dirons que les « on » utilisés par Albert Camus acquièrent les valeurs
suivantes :
(A) On : valeur indéfinie désignant les sujets d’un discours que
n’assume pas le locuteur.
(B) On : valeur d’un « nous » qui englobe le point de vue du
locuteur.
(C) On : valeur générale : tout le monde y compris Camus.
La souplesse de ce pronom, permet à Albert Camus de constituer un système de référence
qui revêt trois valeurs différentes.
On
1ère référence
Les tenants de la thèse refusée,
« que je récuse ».
2ème référence
Tout le monde.
Algériens, Français d’Algérie,
gouvernement français.
3ème référence
Nous = (Moi Albert Camus +
mes lecteurs).
Les stratégies discursives camusiennes qui se basent essentiellement sur les divers
emplois des marqueurs de la force illocutionnaire « on », « je », « nous » permettent
d’obtenir une plus large adhésion possible aux réflexions du journaliste.
Les emplois de « on » exclusif ou inclusif, « nous » et « je » permettent un aiguillage
particulièrement précieux au sein du système énonciatif puisqu’ils ménagent des
changements de la position argumentative du locuteur.
94
3.2La direction d’ajustement.
Comme pour les assertifs, l’adéquation s’établit entre les mots et le monde.
A-Premier niveau :
Utilisation de référence réelle – l’Algérie.
• Premier axiome d’existence.
L’Algérie existe mais l’Algérie déchirée n’existe pas car il s’agit ici d’un sens
métaphorique. Vu que notre recherche se limite aux actes de langage directs nous ne
détaillerons pas l’analyse, nous nous contenterons de dire qu’au sens littéral, l’Algérie en
tant que pays ne peut être déchirée, elle peut l’être lorsque les lecteurs identifieront le sens
comme étant métaphorique. Par équivalence sémantique l’Algérie déchirée équivaut à
l’Algérie en guerre. L’énoncé déduit, nous permet de vérifier l’axiome d’existence à savoir
que l’Algérie existe et qu’en 1956, elle est en guerre contre le colonisateur français.
• Deuxième axiome d’identité.
La guerre et la répression sont vraies pour l’Algérie en 1956. Le contexte historique de
l’époque le démontre.
• Troisième axiome d’identification
Albert Camus identifie au lecteur la répression en Algérie à l’exclusion de tout autre
pays. Il emploie également d’autres références : pronoms personnels, Algérie, gouverneur
d’Algérie, etc.
B-Deuxième niveau :
L’adéquation se fait entre le langage et la réalité, les informations données par le
locuteur sont connues du lecteur.
Adéquation des mots au monde.
Ce qui est connu du lecteur :
Toutes les informations sont connues
des lecteurs. La guerre d’Algérie
fait la une des journaux. La radio
diffuse des informations concernant
la répression.
Ce qui n’est pas connu du lecteur :
Contrairement aux deux reportages précédents,
le locuteur n’apporte aucune nouvelle
information concernant les événements de
l’Algérie en guerre.
Toutes ces assertions sont généralement argumentatives, elles développent le point de
vue d’ Albert Camus.
95
La réalité donnée à lire dans l’énoncé correspond à la répression en Algérie, par contre la
réalité qui transparaît au niveau de l’énonciation traduit le sens suivant : répression en
Algérie doit cesser. Il s’agit, donc, d’acte de langage directif indirect (notre réflexion se
limitant à l’analyse des actes de langage directs, ne détaillera pas ce type d’acte).
3.3L’état psychologique.
Comme pour toutes assertions précédentes, Albert Camus répond de sa croyance dans ce
qu’il développe comme argumentation.
4.Engagement / Non –Engagement du locuteur.
Comme les tableaux précédents, celui-ci nous permet d’analyser la prise de position du
locuteur –journaliste dans ces actes assertifs
ENGAGEMENT
NON ENGAGEMENT
Marqueur de la force illocutionnaire : « je »,
« nous ».
Assertion n° 4
Assertion n° 5
Assertion n° 7
Assertion n° 8
Marqueur de la force illocutionnaire : « on », Ø.
Assertion n° 1
Assertion n° 2
Assertion n° 3
Assertion n° 6
Le nombre d’assertions dans lesquelles le locuteur ne s’engage pas est plus élevé que
celui où il emploie les marqueurs de la force illocutionnaire « je » ou « nous » à travers
lesquels il s’implique directement.
Albert Camus précise son engagement ontologique en affirmant que « l’objectivité n’est
pas la neutralité. L’effort de compréhension n’a de sens que s’il risque d’éclairer une prise de
partie »1.
Cette assertion confirme l’engagement du locuteur non seulement en tant que
journaliste mais surtout en tant que Français qui accomplit un devoir envers sa société.
Toute son argumentation repose sur ce parti pris contre la guerre et pour une Algérie
nouvelle qu’il définira un peu plus tard dans son mémoire « l’Algérie 58 ».
1
Op cit page 13
96
D-1 – b Les directifs.
Article n° 1 – L’absente.
Les deux directifs contenus dans cet article sont également expressifs, nous les
relèverons dans le tableau des actes de langage complexes.
Article n° 2 – La table ronde.
« Le sang suffit en Algérie à séparer les hommes. N’y ajoutons pas la bêtise et l’aveuglement.
Les Français d’Algérie ne sont pas tous des brutes assoiffées de sang, ni tous les Arabes des
massacreurs maniaques »1
Le but illocutionnaire
Il s’agit ici d’un directif formulé à l’impératif. La demande est adressée à un groupe
« nous ». Ce groupe désigne le locuteur et les autres Français de la métropole. Il demande
d’adopter une nouvelle attitude collective, différente de celle qui a toujours été adoptée en
Algérie.
La direction d’ajustement
L’adéquation dans le cas des directifs se fait entre le monde et les mots. Le monde sera
conforme aux mots lorsque les Français cesseront d’ajouter la bêtise et l’aveuglement au
sang qui coule en Algérie.
L’état psychologique
La condition de sincérité est : vouloir que les Français de la métropole cessent d’être
absurdes et aveugles vue la gravité de la situation répressive en Algérie.
L’implication et l’engagement du locuteur se traduisent par l’utilisation du pronom
personnel « nous » qui n’apparaît pas dans la structure syntaxique de l’acte car le prédicat
Directif n°2.
« Il ne faut pas que cette table ronde soit intitulée à l’intérieur d’un nouveau plan de
marchandages impuissants, destinés à maintenir au pouvoir des hommes qui ont apparemment
choisi le métier de politiciens pour n’avoir pas de politique. »2.
Le but illocutoire
Le locuteur à travers ce directif oblige le lecteur à adopter une conduite future à savoir
que la table ronde ne doit pas être utilisée pour de nouveaux marchandages.
1
Op cit page 136 directif n°1
2
Op cit page 138 directif n°2
97
Le but illocutoire de ce directif est de formuler une interdiction marquée par
l’utilisation du prédicat « falloir » à la tournure impersonnelle « il ne faut pas » à la forme
négative.
Le locuteur ne s’engage pas dans ce directif.
La direction d’ajustement
L’ajustement se fait entre le monde et les mots. L’adéquation sera établie lorsque
l’interdiction sera observée par les politiciens français au moment de la table ronde.
L’état psychologique
La condition de sincérité de cet acte est : vouloir que l’injonction formulée par le
locuteur soit respectée.
Nous avons signalé au préalable l’absence de marqueurs illocutionnaires qui explicitent
l’engagement du locuteur, nous expliquons cela par :
1-L’engagement du locuteur est absent de la structure syntaxique de l’énoncé
mais présent dans la structure sémantique de l’énonciation.
2- Son statut d’écrivain et non de politicien ne lui donne pas le droit
d’interdire en énonçant « je ne veux pas » ou « j’interdis de », il n’appartient
pas à la sphère du pouvoir car c’est un homme de lettres à cette époque,
penseur philosophe et écrivain reconnu.
Nous avons déjà précisé au niveau des assertions qu’Albert Camus est écrivain
confirmé, donc son engagement est évident même s’il n’est pas exprimé à
travers l’emploi du marqueur de la force illocutionnaire « je » .
Article n° 3 – La bonne conscience.
« Je prie le lecteur métropolitain d’en apprécier la gravité »3
Le but illocutoire
Le but illocutoire est « d’inviter » le lecteur à prendre conscience de la gravité de la
situation. L’engagement du locuteur est marqué par l’emploi du pronom personnel « je ».
La direction d’ajustement
L’adéquation se fait entre le monde et les mots. Lorsque le lecteur prendra conscience
de la gravité de la situation, le monde s’ajustera aux mots.
3
Op cit page 140 directif n°3
98
L’état psychologique
Le locuteur souhaite que le lecteur puisse prendre conscience du danger qui pèse sur
l’Algérie.
Directif n° 4.
« Une éclatante réparation doit être faite selon moi, au peuple arabe (…) par la France tout
entière et non avec le sang des Français d’Algérie (…) qu’on le dise hautement »4.
Le but illocutoire
Le locuteur se fixe comme but illocutoire de demander réparation « au peuple arabe ».
Cette demande est adressée à tous les français, en particulier au gouvernement général
désigné par le pronom indéfini « on ».
Dans la première partie de ce directif, le locuteur s’implique grâce au pronom
personnel « moi » (la demande vient de lui).
Dans le deuxième directif, l’emploi du prédicat « dire » conjugué au subjonctif permet
au locuteur de demander au gouvernement français, désigné par le pronom indéfini « on »,
de déclarer réparation aux Algériens.
La direction d’ajustement
Elle va du monde aux mots : le monde sera conforme aux mots lorsque le lecteur
exigera réparation pour la population algérienne.
L’état psychologique
Albert Camus veut que la France répare son erreur et qu’elle le déclare ouvertement. Le
locuteur énonce : « doit être faite », il veut mettre l’auditeur dans un processus d’obligation.
1er directif
Engagement : marqueur de la force
illocutionnaire « moi ».
2ème directif
Engagement implicite inclus dans
l’emploi du subjonctif.
Article n° 4 – La vraie démission.
« S’ils veulent réserver l’essentiel, bâtir une communauté algérienne qui, dans une Algérie
pacifique et juste, fasse avancer Arabes et Français sur la route de l’avenir, alors qu’ils nous
rejoignent, qu’ils parlent et proposent avec laconfiance que donne la vraie force ! »5
4
5
Op cit page 143 directif n°4
Op cit page directif n°5
99
Le but illocutoire
Albert Camus demande aux Français de se joindre à un collectif désigné par le pronom
« nous » dans lequel il s’y inclut.
A qui renvoie « nous » ?
Dans le contexte historique de 1956, ce marqueur de la force illocutionnaire désigne les
libéraux français dont Albert Camus lui-même.
La demande formulée par le locuteur consiste à accomplir trois actions : rejoindre,
parler, proposer. Ces trois actions sont soumises à une condition : vouloir bâtir une
communauté algérienne qui réunit Français et Arabes.
Structure sémantique du directif correspond à :
« S’ils veulent préserver
l’essentiel, bâtir une communauté
algérienne qui, dans une Algérie
pacifique et juste, fasse avancer
Arabes et Français sur la route de
l’avenir ».
Alors
« qu’ils nous rejoignent, qu’ils
parlent, proposent »
Conséquence
Condition
Demande
La direction d’ajustement
Le monde doit être en adéquation avec le langage lorsque :
(A) la condition imposée par le locuteur sera satisfaite.
(B) les trois actions seront accomplies par le lecteur.
L’état psychologique
Albert Camus désire que les lecteurs prennent conscience de la nécessité d’un
changement en les adhérant à sa manière de voir.
La demande du locuteur est collective. Il inclut tous les libéraux français à sa
démarche.
Article n° 5 : Les raisons de l’adversaire.
Il est intéressant d’analyser ces deux directifs qui s’enchaînent afin de voir comment
fonctionne le jeu sur la présence et l’absence des pronoms marqueurs de la force
illocutionnaire qui déterminent la prise de position du locuteur.
100
« Il faut seulement qu’on ne stérilise pas leur difficile effort par des flots de sang ou par une
intransigeance aveugle. Les massacres de civils doivent être d’abord condamnés par le mouvement
arabe de la même manière que nous, Français libéraux condamnons ceux de la répression »6.
But illocutoire
Dans le premier directif, est une demande formulée à la tournure impersonnelle marqué
par l’emploi du prédicat falloir qui détermine une obligation adressée au gouvernorat
général désigné par le pronom indéfini « on » (Celui-ci permet au locuteur de ne pas
s’impliquer) .
Dans le deuxième directif, le locuteur et tous les libéraux demandent au « mouvement
arabe » de condamner les attentats préparés par le F.L.N contre les civils.
La direction d’ajustement
L’adéquation se fait entre le monde et les mots. Elle sera établie lorsque le lecteur
accomplira les demandes camusiennes.
L’état psychologique
L’auteur désire un effort de compréhension, d’aide de la part du gouvernement général
d’Algérie et de celui des militants arabes.
Directif n°7
« C’est pourquoi nous, qui demandons aujourd’hui la reconnaissance de cette personnalité
arabe, restons en même temps les défenseurs de la vraie personnalité française »7
Le but illocutoire
Le but illocutoire de ce directif correspond à formuler une injonction adressée à un
collectif : « nous ». Ce « nous » désigne les Français libéraux qui oeuvrent pour la
personnalité arabe et française en Algérie.
L’engagement du locuteur est marqué par l’emploi du marqueur de la force
illocutionnaire « nous » qui n’apparaît pas dans la structure syntaxique du directif car
Camus emploie l’impératif.
La direction d’ajustement
Elle va du monde aux mots. L’ajustement s’accomplira si les Français libéraux
continuent leurs travaux.
6
7
Op cit page 149 directif n°6
Op cit page 151 directif n°7
101
L’état psychologique
Albert Camus désire que les libéraux français y compris lui-même continuent à
défendre la personnalité française en Algérie : L’Algérie n’existe pas sans la France .
Article n° 6 – 1er Novembre.
Aucun directif intéressant notre analyse n’a été relevé.
Article n° 7 – Trêve pour les civils.
« Nous devons lutter jusqu’au bout contre les entraînements de la haine »8.
Le but illocutoire
Le locuteur demande à tous ceux qui sont concernés par l’Algérie et désignés par le
pronom personnel « nous », d’accomplir l’action précisée par le prédicat « lutter ».
Le marqueur de la force illocutionnaire « nous » englobe tous les Français, tous les
libéraux, le gouvernement et les « Arabes » d’Algérie.
Albert Camus demande à tous ces partis d’unifier leurs efforts pour arrêter la haine.
La direction d’ajustement
Le monde doit être conforme aux mots ; la demande exaucée, la réalité sera en
adéquation avec le langage.
L’état psychologique
La condition de sincérité correspond au désir du locuteur et celui de tous ceux qui sont
concernés par l’Algérie (Arabe et Français) d’unir leurs efforts pour lutter contre la haine.
Cet article se termine par un ensemble de directifs à travers lesquels Albert Camus
adresse directement ces demandes sans utiliser le pronom « nous » ni le pronom indéfini
« on ». Il utilise le pronom « vous ». Nous proposons de les analyser dans ce qui suit.
Directif n° 9
« Tout en défendant vos maisons, et vos familles, ayez la force supplémentaire de reconnaître
ce qui est juste dans la cause de vos adversaires, et de condamner ce qui ne l’est pas dans la
répression. Soyez les premiers à proposer ce qui peut sauver l’Algérie et établir une loyale
collaboration entre les fils différents d’une même terre ! Aux militants arabes, il faut tenir le même
langage (…) ami français et arabe, ne laissez pas sans réponses un des derniers appels pour une
Algérie vraiment libre et pacifique (…) Arabes et Français se regroupent. Rejoignez-les, aidez les
de toutes vos forces ! »9.
8
9
Op cit page 159 directif n°8
op cit page 160/161 directif n°9
102
Le but illocutoire
Le locuteur demande à son lecteur désigné par le pronom personnel « vous » absent de
la structure syntaxique mais présent dans la structure sémantique à travers l’emploi des
prédicats à l’impératif, de réagir afin d’arrêter la guerre et d’œuvrer pour une Algérie
pacifique.Cette demande n’est pas destinée uniquement aux Français d’Algérie mais aussi
aux « Arabes ». Il prie les deux adversaires de rejoindre tous ceux qui se regroupent pour
une Algérie juste. Donc, cet acte directif oscille entre la demande et la prière.
La direction d’ajustement
Elle va du monde aux mots. L’ajustement se fera lorsque les deux communautés
française et arabe réagiront face à l’appel du locuteur.
L’état psychologique
Le locuteur veut que les Français et les masses arabes s’unissent pour sauver l’Algérie.
Il leur adresse un appel afin qu’ils réagissent avant qu’il ne soit trop tard.
Article n° 8 – Le parti de la trêve.
« Le parti de la trêve deviendrait alors l’Algérie elle-même. Sachons du moins que l’enjeu de
cette aventure est mortel. »1 0.
Le but illocutoire
Il s’agit d’une demande que le locuteur adresse à lui-même, à tous les Français et les
masses arabes. Cette demande est formulée à l’impératif d’où l’absence du marqueur de la
force illocutionnaire « nous ».
Le locuteur désire faire réagir les lecteurs en les impliquant dans son point de vue afin
de prendre conscience du danger qui pèse sur les Français d’Algérie et sur les masses
arabes également.
La direction d’ajustement
Elle va du monde aux mots. L’ajustement sera réussi lorsque le lecteur prendra
conscience de la gravité de la situation.
L’état psychologique
En s’engageant et en engageant les deux autres communautés, Albert Camus désire
que les lecteurs mesurent et prennent conscience de la gravité de la situation répressive
10
Op cit p 165 directif n°10
103
qui s’accélère en Algérie.
™ Conclusion sur les directifs.
Après l’analyse de tous les actes directifs contenus dans cette troisième période à
l’exclusion des directifs/expressifs que nous avons recensés au niveau des actes de langage
complexes, nous avons abouti aux conclusions suivantes :
1.Type de texte : Argumentatif/explicatif.
2.Type d’acte de langage : Acte directif.
Les directifs dans cette partie du corpus correspondent à :
: «… n’y ajoutons pas la bêtise et l’aveuglement »1.
1. Demande
2. Prière
: « je prie le lecteur métropolitain d’en apprécier la gravité »2.
Les marqueurs de la force illocutionnaire correspondent à :
Marqueurs de la force illocutionnaire
« Nous » désigne un collectif.
« on »
« je ».
désigne Les valeurs de ce marqueur sont :
Il désigne le locuteur lui-même Généralement
1. Nous = A. Camus et tous les
La demande ou la prière vient le gouvernement français
libéraux français
de lui
2. Nous = A. Camus, les
communautés arabe et
française.
« vous »
Absence du marqueur
Au cours de notre analyse, nous avons relevé un passage directif dans lequel le
locuteur ne s’implique pas mais par contre implique les autres en les désignant par « vous ».
Il interpelle, donc, directement les lecteurs.
Ce « vous » désigne la communauté arabe et musulmane ainsi que les Français
d’Algérie (les pieds-noirs).
La conclusion à laquelle nous aboutissons est qu’Albert Camus utilise ce marqueur afin
d’appuyer ses demandes.
1
2
Op cit page 136
Op cit page 140
104
Dans l’Algérie déchirée, il s’adresse directement au deux communautés sans user de
stratégie à travers les emplois des marqueurs « nous » et « on » comme dans les enquêtes
précédentes, il implique de manière directe les véritables concernés par le drame algérien,
en tentant de les faire réagir.
3.Structure illocutionnaire des actes directifs.
3.1) Le but illocutoire.
Le but illocutoire de ces directifs consiste dans le fait qu’Albert Camus tente de faire
faire quelque chose aux lecteurs.
Dans tous les directifs relevés, le journaliste veut que son lecteur réagisse. Il le met
dans l’obligation de prendre conscience de la gravité de la situation dans laquelle l’Algérie
s’engouffre.
Les lecteurs doivent contribuer à freiner la démence qui secoue l’Afrique du nord. La
communauté arabe ainsi que la communauté française des pieds-noirs doivent unir leurs
forces pour sauver leur pays. Ces demandes ne sont pas uniquement destinées aux Arabes et
aux Français pieds-noirs, elles y incluent également le gouvernement français et le lecteur
métropolitain.
3.2) Direction d’ajustement.
L’ajustement se fait à ce niveau entre le monde et les mots.
Il est difficile d’affirmer que la réalité sera conforme aux demandes camusiennes. Le
contexte historique de 1956 nous explicite que ces demandes ne trouvent échos chez aucune
des deux parties. La partie algérienne réclame l’indépendance, il n’est plus question de
cohabiter avec le colonisateur. De l’autre côté les partisans de l’Algérie française refusent
l’indépendance d’où la répression et la guerre.
Donc, Albert Camus tente de rendre le monde conforme à son langage mais hélas
l’accélération des événements engendre de nouvelles données.
Il oriente l’adéquation vers ce qu’il souhaite et désire.
3.3) Etat psychologique :
La condition de sincérité est : Souhaiter que le lecteur accomplisse l’acte demandé.
En s’impliquant grâce au pronom personnel « nous », le locuteur s’engage et engage
tous les autres en leur demandant aux Français et aux Algériens de préserver
105
l’indissociabilité de leurs deux communautés pour lutter contre la haine qui pousse l’Algérie
vers la guerre.
4.Engagement/ Non- Engagement d’Albert Camus
Engagement
Non-engagement
Marqueurs de la force illocutionnaire :
« je », « nous »
Marqueurs de la force illocutionnaire
« on » / Ø
Directif n° 1
Directif n° 3
Directif n° 5
Directif n° 6
Directif n° 7
Directif n° 8
Directif n° 9
Directif n° 2
Directif n° 4
Commentaire :
Commentaire :
Les demandes de ces directifs sont dirigées vers
les locuteurs, les pieds noirs et les Arabes
d’Algérie.
Il s’agit de demandes qui impliquent dans la
majorité des cas ceux qui participent au drame
algérien (la guerre) et qui eux seuls peuvent la
faire sortir de cette folie meurtrière.
Le non-engagement du locuteur dans cette
troisième partie du corpus se manifeste par
l’utilisation du pronom « on » ou la tournure
« il faut que ».
Ces demandes sont adressées au
gouvernement général d’Algérie qui ne fait
rien pour sauver cette colonie.
Contrairement au assertifs, nous remarquons que le locuteur s’engage fortement .Il
s’agit pour lui de sauver l’Algérie du désespoir de la guerre.
L’Algérie déchirée est un appel ultime de la part d Albert Camus pour que la répression
cesse entre les deux communautés : arabe et française.
Dans cette dernière série d’articles le locuteur est secoué par des sentiments sincères
seulement à aucun moment il ne se rallie à la cause algérienne en légitimant
l’indépendance comme l’ont faut certains auteurs. Est-il sincère ? La question est –là.
106
D-1–c Les promissifs.
Article n° 1 – L’absente aucun promissif n’a été relevé.
Article n° 2 – La table ronde.
« Mais à la condition que cette réunion se fasse loyalement en ce qui concerne la
loyauté, elle n’est pas en notre pouvoir. Je me garderai par principe de la remettre à des
gouvernants. ».1
Marqueur de la
Force illocutionnaire
Prédicat au futur
Le but illocutoire
Le locuteur promet de ne pas s’en remettre à la loyauté des gouvernants par
manque de confiance. Il s’engage à accomplir une action future qui correspond dans le
cas de ce promissif à une conduite future : ne plus faire confiance aux gouverneurs
français.Cette
attitude
future
est
déterminée
par
l’emploi
du
prédicat
« garder »conjugué au futur.
La direction d’ajustement
Dans le cas des promissifs l’ajustement se fait entre le monde et le langage
L’état psychologique
La condition de sincérité correspond au fait qu’Albert Camus a l’intention de ne
plus faire confiance aux hommes politiques français car le gouvernement français est
déloyal.
Article n° 3 – La bonne conscience.
« J’essaierai de montrer une autre fois, à l’intention des Français d’Algérie, l’excès
d’un pareil sentiment »2 .
(L’occurrence sentiment : correspond à celui de la trahison).
Le but illocutoire
Le locuteur promet de tenter de démontrer la mauvaise foi de la métropole. Cette
promesse est adressée aux Français d’Algérie (pieds-noirs).
L’utilisation du prédicat « essayer » explicite une tentative modeste, le locuteur
modère son propos.
La direction d’ajustement
Elle va du monde aux mots.
1
2
Op cit page 137 promissif n°1
Op cit page 140 promissif n°2
107
L’état psychologique
Le locuteur a l’intention de montrer aux Français d’Algérie la mauvaise foi du
gouvernement de la métropole.
Promissif n°3
« Non avec le sang des Français d’Algérie. (…) et ceux-ci, je le sais, ne refuseront pas de
collaborer, par dessus leurs préjugés, à la construction d’une Algérie nouvelle »1.
Le but illocutoire
Le locuteur promet que les Français d’Algérie s’engageront dans la construction d’une
« Algérie nouvelle ». Nous remarquons l’absence du marqueur de la force illocutionnaire
« je » au niveau du promissif, il est présent dans l’assertif : « je le sais ». Cette expression
assertive permet au locuteur d’affirmer sa promesse d’une part et d’engager la promesse des
Français d’Algérie d’autre part.
L’action future à accomplir par ces derniers est précisée par le prédicat « ne pas
refuser » conjugué au futur à la forme négative.
La direction d’ajustement
Le monde doit être conforme aux mots. Il le sera lorsque la promesse sera accomplie
par les Français et lorsque la construction d’une Algérie nouvelle sera mise en route.
L’état psychologique
L’intention du locuteur est de promettre que les pieds-noirs d’Algérie ne refuseront pas
de construire leur pays.
Albert Camus est concerné par cette promesse car avant tout c’est un Français
d’Algérie. Par sa plume, il essaie de sauver l’Algérie de la menace qui pèse sur elle : la
guerre et l’indépendance.
Article n° 4 - Ø absence de promissifs.
Article n° 5 – Les raisons de l’adversaire.
« Mais français de naissance et, depuis 1940, par choix délibéré,
jusqu’à ce qu’on veuille bien cesser d’être allemand ou russe :
Je
je
le resterai
vais
donc parler
selon ce que je sais »2.
marqueur de la force illocutionnaire
1
2
Présent à valeur de futur proche
Op cit page 143 promissif n°3
Op cit page 148 promissif n°4
108
Le but illocutoire
Le locuteur a pour but illocutoire de s’engager à « rester » Français d’Algérie
sous n’importe quelle condition. Il s’engage également à adopter un discours qui n’est
autre que celui de ce Français d’Algérie dans ses articles selon ce qu’il sait.
Le marqueur de la force illocutionnaire est le pronom personnel « je » qui
implique de manière directe le locuteur.
La direction d’ajustement
L’ajustement se fait entre le monde et les mots. Dans le cas de ce promissif, il se
vérifie car en effet, le locuteur tient sa promesse. Tout au long de ses articles, il expose
la réalité de la situation algérienne de 1956.
Albert Camus reste Français et argumente en tant que tel.
L’état psychologique
Le locuteur a l’intention d’être ce qu’il est en défendant son point de vue
concernant la répression en Algérie. Il se sent concerné par ce pays qui est le sien et qui
n’appartient pas seulement à la population arabe, selon lui.
Ce promissif est une réponse aux militants « arabes » qui refusent la présence
française en Algérie.
Promissif n°5
« J’ai une proposition à faire, qui concerne l’avenir et dont je parlerai bientôt. »1.
Le but illocutoire
Le locuteur s’engage en promettant d’accomplir une action future : faire une
proposition qui concerne l’avenir algérien.
La direction d’ajustement
Le monde doit être conforme aux mots. En effet, le locuteur propose une solution pour
l’avenir algérien. Il tient sa parole dans Algérie 1958. Le monde sera conforme aux mots.
L’état psychologique
Albert Camus s’engage et a l’intention de faire une proposition pour définir l’avenir
algérien.
1
Op cit page 150 promissif n°5
109
Article 6 – Premier Novembre.
Nous n’avons pas relevé d’acte promissif dans cet article.
Article 7 – Trêve pour les civils.
Cet article comporte des prédictions, nous n’avons pas relevé d’acte de langage
promissif.
Article 8 – le parti de la trêve.
« Mais l’espoir demeure que nous serons capables d’édifier, dans le sens qui est le nôtre,
les structures historiques de demain. Les Français d’Algérie, ceux de la métropole et le peuple
1
arabe lui-même, ont la charge difficile et exaltante de cet espoir ».
Le but illocutoire
Le locuteur promet d’adopter une attitude future qui correspond à : être « capable
d’édifier les structures historiques à venir » autrement dit, construire une nouvelle plate
forme historique pour l’Algérie.
Le marqueur de la force illocutoire est désigné par le pronom personnel « nous ».
Il englobe les Français d’Algérie, de la métropole, le « peuple arabe » et le locuteur
(A. Camus). « Nous » engage tous les partis concernés par l’Algérie dans l’instauration
d’un avenir commun à tous.
La direction d’ajustement
Elle va du monde aux mots. Le monde sera en conformité avec les mots lorsque la
promesse d’Albert Camus sera tenue, c’est-à-dire lorsque tous les partis concernés par
l’Algérie unifieront leurs efforts pour une nouvelle Histoire, loin de la guerre. Le contexte
historique des années qui suivront 1956 démontre que le monde n’est
pas en adéquation
avec ce promissif.
La réalité (l’Algérie en guerre contre la France) ne correspond pas à l’acte futur
promis par Albert Camus. Français et Algériens se déclarent la guerre. L’espoir est donc
anéanti.
L’état psychologique
Albert Camus et tous ceux qui sont concernés par l’Algérie ont l’intention d’édifier une
nouvelle politique pour un nouvel historique.
1
Op cit page 166
110
D-1-d Les expressifs : actes de langage complexes.
La majorité des expressifs contenus dans les articles sont additionnés à des actes
assertifs, promissifs, directifs, ils deviennent par conséquent des actes de langage
complexes. Nous les avons regroupés dans les tableaux qui suivent cette analyse.
Article ° 1 – Ø Article ° 2 – Ø Article ° 3 – Ø Article ° 4 – Ø Article ° 5 - Ø
Article ° 6 : Premier Novembre
« Au regard de ce jugement, l’engagement public que nous souhaitons constitue au préalable
(…) nécessaire »1.
Le but illocutoire
Le locuteur ainsi que les Français libéraux souhaitent un engagement public.
La direction d’ajustement
Les expressifs n’ont pas de direction d’ajustement.
L’état psychologique
L’état psychologique du locuteur additionné à celui des autres libéraux correspond à la
formulation d’un souhait.
Article ° 8 : le parti de la trêve.
« Et je souhaite que les militants arabes (…) choisissent de condamner les massacres des
civils, comme les Français, pour sauver leurs droits et leur avenir doivent condamner (…) les
massacres répressifs »2.
Le but illocutoire
Le locuteur souhaite que les partis politiques arabes condamnent le massacre des civils
français innocents.
La direction d’ajustement
Les expressifs n’ont pas de direction d’ajustement.
L’état psychologique
La condition de sincérité correspond au souhait.
1
Op cit page 155
2
Ibid
111
1-Expressifs : actes de langage complexes (Tableau n° 1).
ASSERTIF/EXPRESSIF
DIRECTIF/EXPRESSIF
« L’Algérie n’est pas la France, elle est cette
terre, ignorée, perdue au loin, avec ses indigènes
incompréhensibles, ses soldats gênants, et ses
Français exotiques, dans un brouillard de sang.
Elle est l’absente dont le souvenir et l’abandon
serrent le cœur ». 1
«… les leçons les plus récentes ne servent-elles
donc à rien(…).Une fois de plus, disons le tout
de suite, contre le désespoir, puisque, en Algérie,
aujourd’hui, le désespoir, c’est la guerre. »6.
« Faut-il donc que ces Français laborieux, isolés
dans leur bled et leurs villages, soient offerts aux
« C’est pourquoi l’inquiétude est dans nos massacres pour expier les immenses péchés de la
France colonisatrice ? » 7.
cœurs ». 2
« La France entière s’est engraissée de cette
farine, voilà la vérité. Les seuls innocents sont
ces gens que, précisément, on envoie au
combat ».3
«… qui, en effet, depuis trente ans, a naufragé
tous les projets de réforme sinon un parlement
élu par les Français ? Qui fermait ses oreilles
aux cris de la misère arabe, qui a permis que la
répression de 1945 se passe dans l’indifférence,
« Les massacres de civils, outre qu’ils relancent sinon la France, a attendu avec une dégoûtante
les forces d’oppression, dépassent justement ces bonne conscience, que l’Algérie saigne pour
limites et il est urgent que tous le reconnaissent s’apercevoir enfin qu’elle existe ? 8».
clairement »4.
« A quoi sert désormais de brandir les unes
« Qu’importe après tout que les mots manquent contres les autres les victimes du drame
ou trébuchent, s’ils parviennent, fugitivement du algérien ».9
moins, à ramener parmi nous l’Algérie exilée et
la mettre, avec ses plaies, à un ordre du jour
dont enfin nous n’ayons pas honte. ».5
1
Op cit page 134
Op cit page 137
3
Op cit page 142
4
Op cit page 150
5
Op cit page 135
6
Op cit page 134
7
Op cit page 142
8
Op cit page 157
9
Ibid
2
112
2-Expressifs : actes de langage complexes (Tableau n° 2).
DIRECTIF/EXPRESSIF
PROMISSIF/EXPRESSIF
« Comment condamner les excès de la
répression si l’on ignore ou l’on tait les
débordements de la rébellion ? Comment
s’indigner des massacres des prisonniers
français si l’on accepte que des Arabes soient
fusillés sans jugement ». 1
« Cette idée risquerait de devenir répugnante
dès l’instant où les frais de l’expiration seraient
laissés à d’autres »4.
« Si les deux populations algériennes devaient se
dresser l’une contre l’autre (…) nulle parole ne
saurait plus pacifier l’Algérie, comme nulle
« On voudrait le crier ici, que ce n’est pas la réforme ne pourrait plus la relever de ses
France qui tient leur destin (…) mais l’Algérie ruines » 5.
française qui décide de son propre destin et de
celui de la France 2».
« Cet accord inévitable, on voudrait maintenant
y travailler en définissant ici ses conditions et
ses limites ». 3
Après avoir relevé ces actes de langage complexes, nous remarquons qu’ils
convergent tous vers le même état psychologique spécifié dans le contenu
propositionnel de l’acte expressif.
Il correspond à la révolte du locuteur face à la répression qui sévit en Algérie. Il
souhaite que cesse le massacre des populations innocentes et demande à la France de
reconnaître ses torts afin d’agir pour une Algérie nouvelle loin de la guerre et de la
haine.
Plus tard, Albert Camus proposera la solution du fédéralisme car il ne tient pas à
renoncer à l’Algérie même s’il a mal de ce qui se passe dans ce pays qui demeure avant
tout le sien. Dans le mémoire qu’il écrira en 1958, il définira la meilleure solution pour
le drame algérien à savoir : une population algérienne fédérée à la France.
1
Op cit page 154
Op cit page 153
3
Ibid
4
Op cit page 143
5
Op cit page 153
2
113
III- TROISIEME PARTIE.
III- A- CONTEXTE HISTORIQUE ET AJUSTEMENT DU LANGAGE :
Dans cette analyse du fonctionnement de l’adéquation, nous élargissons
l’application de la théorie searlienne.
Il s’agit pour nous de dégager de l’énonciation camusienne le réel dit par Albert
Camus et celui qui sera occulté à travers des stratégies discursives propres au
journaliste. Ainsi, nous pouvons cerner la manière par laquelle l’adéquation au langage
à la réalité s’effectue dans Actuelles III dans les trois contextes historiques à savoir
celui de 1939, 1945 et 1956.Nous n’avons pas pris en considération le contexte de1958
car il fera l’objet d’une recherche ultérieure.
A-1 PREMIERE PERIODE : Misère de la Kabylie 1939.
En 1939, Albert Camus publie un long reportage consacré entièrement à la misère
de la Kabylie.
La stratégie discursive adoptée par le journaliste repose sur :
1.
2.
3.
4.
Mettre en place un thème de discours : « la misère ».
Décrire la misère.
Expliquer les causes de cette misère.
Proposer un projet politique.
4.1. Les solutions sociales et économiques.
4.2. Les solutions politiques.
.
1) Un thème de discours : « La misère ».
A la fin des années 1930, la misère fait l’objet de nombreux reportages dans la presse
algérienne. En 1937. « La Dépêche Algérienne » parle de la grande pitié du sud. Le propos
qui est tenu sur la misère est clair. « Il ne faut pas livrer aux agitateurs, toujours à l’affût ces
masses paisibles et qui ne demandent qu’à vivre (…) la réalité algérienne est commandée
1
aujourd’hui par deux fléaux : le communisme et la misère ».
Albert Camus exploite un thème important dans le contexte de 1939 et qui se vérifie
dans la réalité sociale des masses arabes algériennes.
Comment Albert Camus traite t-il le thème de la misère dans Actuelles III ?
1
La Dépêche Algérienne, 24 mars 1937 in T.I. page 268
114
Concrètement, la misère va être le symptôme d’un certain nombre de réalités qu’on peut
énumérer : paupérisation des masses algériennes, crise économique.
Le rôle joué par la misère va permettre à Albert Camus de souligner les inégalités
sociales entre européens et musulmans de manière tacite.
2) Description de la misère : Misère phénomène social.
Albert Camus déclare : « Le menu ordinaire d’une famille pauvre se compose de galette
2
d’orge et d’une soupe faite de tiges de chardon et de racine de mauve » et ajoute : « Par une petit
matin, j’ai vu à Tizi Ouzou des enfants en loques disputer à des chiens kabyles le contenu d’une
poubelle (…) dans le village, les habitants, mal nourris et mal couverts ont inventé une méthode
pour trouver le sommeil. Ils se mettent en cercle autour du feu et se déplacent (…) pour éviter
l’ankylose (…) dans le gourbi misérable ».3
Les assertions camusiennes décrivent l’état miséreux de la population kabyle, cet état
concerne le mode de vie, la nourriture et l’habitation.
Les conditions de vie des Kabyles sont des plus dures, des plus pauvres. Le locuteur ne
reste pas insensible face à ce fléau qui touche les paysans.
Dans ce cas là, l’ajustement entre le langage et la réalité est vérifiable, le discours camusien au
sens littéral expose une réalité de misère très dure. Mais qu’en est-t-il au niveau de l’énonciation
camusienne ? Albert Camus est-il réellement cet humaniste qui défend la cause des populations en
désastre ? Afin de répondre à ce questionnement, nous analyserons les causes qui ont poussé la
Kabylie dans le gouffre de la misère
3) Les causes de cette misère :
Tout au long du premier reportage, Albert Camus expose aux lecteurs les causes de la
réalité miséreuse de la Kabylie. Nous les résumerons comme suit :
1. Conditions économiques et sociales difficiles : crise économique
Albert Camus explique que la Kabylie est un pays surpeuplé et qu’elle consomme
plus qu’elle ne produit et même la production locale ne suffit pas à nourrir la
population Kabyle.
Il précise : « La Kabylie est un pays arboricole. Les deux grandes productions sont la
figue et l’olive. En bien des endroits, la figue suffit à peine à la consommation. Quant à
l’olive, la récolte, selon les années, est déficitaire ou, au contraire, surabondante.
Comment équilibrer avec l’actuelle production les besoins en grains de ce peuple
affamé ? »4.
2
3
4
Camus A Actuelles III, (1958) le dénuement page 37
Opcit page 38
Op cit page 34
115
Il ajoute que cette crise économique a pour conséquence un taux de chômage élevé,
l’émigration des populations Kabyles vers la France et l’exploitation des travailleurs par les
colons.
.2. Absence d’administration en Kabylie.
.3. Un sol ingrat.
Parmi toutes les raisons qui font que la Kabylie est devenue miséreuse, Albert Camus
ne cite pas le colonisateur français. Comment vivaient les Kabyles avant l’arrivée des
Français ? Sombraient-ils dans pareille misère ?
Le discours que tient le chroniqueur innocente la colonisation de sa responsabilité dans
la misère kabyle, bien au contraire il démontre de manière tacite que la Kabylie ne peut
vivre sans les Français car ils apportent avec eux l’aide et la civilisation au « peuple
kabyle ». De quelle manière cela se fera-t-il ? Albert Camus explique que les Kabyles seront
comme les citoyens français une fois assimilés.
4) Le projet politique camusien :
Le lexème « assimilation » apparaît pour la première fois dans l’article intitulé
« L’enseignement ».Depuis toujours, l’enseignement a été la voie royale pour la conquête
de ceux qu’on appelle « les peuples indigènes ».
En dénonçant la stagnation de la construction d’écoles, Albert Camus inscrit dans son
texte un projet idéologique propre au libéralisme d’une minorité européenne : l’assimilation
de « ce peuple si digne ». Albert Camus précise :
« Les Kabyles auront plus d’écoles le jour où on aura supprimé les barrières qui sépare
l’enseignement européen de l’enseignement indigène, le jour enfin où, sur les bancs d’une même
école, deux peuples faits pour se comprendre commenceront à se connaître. (…)En tout cas, si l’ont
veut vraiment d’une assimilation, et que ce peuple si digne soit français, il ne faut pas commencer
par le séparer les Français».5
Cette idéologie assimilationniste inscrite dans l’énonciation camusienne s’accompagne
par des propositions de réformes. Cette visée réformiste se base sur une méconnaissance du
statut réel de la colonisation puisque les propositions camusiennes sont les suivantes.
4.1 Les solutions politiques :
Le locuteur propose d’abolir le régime de la commune mixte et le système du caïdat en
envisageant à la place « la possibilité d’ériger certains douars d’Algérie en communes et d’en
confier la direction aux indigènes eux-mêmes sous le contrôle d’un administrateur »6.
5
6
Op cit page 64
Ibid
116
Ainsi, au cœur de la Kabylie se créerait une petite république fédérative. Le système du
Caïdat est inadapté aux Kabyles car il leur impose une culture et une langue qui ne sont pas
les leurs.
4.2. Les solutions économiques :
Camus propose comme solutions économiques la liquidation du chômage, le
rehaussement du niveau de vie des Kabyles à travers « une politique de grands travaux », la
généralisation de l’enseignement professionnel et l’organisation de l’émigration.
4.2. A- Une politique de grands travaux :
La politique de grands travaux consiste à ramasser des crédits en organisant un plan
général et intelligent pour élever le niveau de vie. L’enseignement professionnel permettra,
aussi, de former de bons ouvriers. Quant à l’émigration, Albert Camus propose de
transporter les Kabyles vers le sud de la France afin de peupler les régions vides.
4.2. B- Amélioration de la production agricole :
Améliorer la production pour qu’elle puisse équilibrer la consommation, Albert Camus
cite les figues, l’huile, les olives, etc.
Encore une fois, nous remarquerons aisément qu’Albert Camus ne récuse aucunement
la présence coloniale, il ne la considère pas comme étant un facteur majeur qui est à
l’origine de cet état de misère, bien au contraire, il explique que la Kabylie a besoin du
colonisateur puisque le sol est ingrat et les ouvriers non spécialisés. Donc, la solution idéale
pour Camus est : l’émigration des masses kabyles vers le sud de la France.
Nous remarquons que le discours que véhicule le texte-reportage exprime une réalité
de misère, mais les causes de celle-ci écartent la cause majeure qui est la colonisation
française, bien au contraire la description faite par le locuteur concernant l’ingratitude du sol
ainsi que le mode de vie permettent de déduire que la Kabylie a besoin de la colonisation
pour éradiquer la misère. Les solutions proposées par Camus le prouvent.
Il est vrai que les mots ajustent la réalité du moment à savoir la misère des Kabyles en
1939, mais cette adéquation des mots au monde véhicule l’idéologie du locuteur : les
masses kabyles doivent être intégrées et assimilées aux citoyens français, sans cela ces
populations resteront à l’état indigène et d’arriération.
117
A-2 DEUXIEME PERIODE : Crise en Algérie 1945.
Dans ce deuxième reportage consacré à la crise algérienne de 1945, Albert Camus expose
des réalités économiques et politiques dont les unes dépendent des autres.
Il explique : « L’Algérie de 1945 est plongée dans une crise économique et politique qu’elle
a toujours connue mais qui n’avait jamais atteint ce degré d’acuité ».7
Comment fonctionne l’ajustement du langage à la réalité dans cette partie des
chroniques ?
1-La réalité économique de 1945.
Les assertions accomplies par le locuteur démontrent que l’Algérie souffre d’une crise
économique aiguë qui engendre la famine (fléau largement démontré par Albert Camus dans
son reportage consacré à la Kabylie).
« La famine est un fléau toujours redouté en Algérie, où les récoltes sont aussi capricieuses
que les pluies. Mais en temps ordinaire, les stocks de sécurité prévus par l’administration française
compensaient les sécheresses. Ces stocks de sécurité n’existent plus en Algérie depuis qu’ils ont été
dirigés sur la métropole au bénéfice des Allemands. Le peuple algérien était donc à la merci d’une
mauvaise récolte ». 8
Le discours développé dans ces assertions explique les causes qui sont à l’origine de la
famine et par la même de la crise économique en Algérie.
Le contexte historique de 1945 qui correspond à celui de la deuxième guerre mondiale
confirme les affirmations camusiennes.
En effet, dans les années 1940 et 1945, l’Algérie devenait le grenier de la France.
Toutes les récoltes et le cheptel partaient pour la métropole pendant la domination
allemande.
La conséquence de cette mesure politico-économique a été l’appauvrissement de la
population algérienne.
Dans ce cas, l’ajustement à la réalité se fait automatiquement et se vérifie aisément. Le
contexte historique de 1945 prouve la véracité des contenus propositionnels des assertions
camusiennes .
Mais le journaliste ne se contente pas de ses causes politico-économiques, il ajoute :
7
8
Camus A , Actuelles III – Crise en Algérie page 97
Op cit page 100
118
« La gravité de l’affaire algérienne ne tient pas seulement au fait que les Arabes ont faim.
Elle tient aussi à la conviction où ils savent que leur faim est injuste. Il ne suffira pas, en effet, de
donner à l’Algérie le grain dont elle a besoin, il faudra le répartir équitablement ».9
Pour lui, la famine persiste car le grain est mal partagé. Qui est à l’origine de cette
injustice ?
Albert Camus apporte la réponse :
« Les caïds, qui sont des sortes d’intendants de l’administration française et à qui l’on confie
trop souvent des distributions, les conduisent suivant des méthodes très personnelles. Les
répartitions opérées par l’administration française (…) sont toujours honnêtes. Celles (…) des
caïds sont toujours inégales ».10
La mauvaise gestion des caïds est à l’origine de l’injustice sociale : elle cause la famine
des populations arabes. L’administration française est innocente puisqu’elle est juste,
contrairement à l’administration arabe du caïdat. Ce discours nous permet d’aboutir à la
conclusion suivante :
La réalité économique algérienne de 1945 n’est pas différente de celle de 1939. Elle
correspond à la famine et par déduction à la misère. Les causes de ces fléaux sont :
1) Un sol ingrat.
2) La deuxième guerre mondiale.
3) Mauvaise gestion des caïds.
Albert Camus innocente la France de sa responsabilité face à la famine qui touche les
populations arabes.
L’ajustement du langage à la réalité de l’époque dans ce cas là se fait à travers
l’idéologie du locuteur. Le réel donné à lire aux lecteurs est celui dont Albert Camus est
convaincu. Donc, il ajuste le langage à la réalité selon son point de vue, autrement dit en
exposant sa propre idéologie. L’autre vérité, celle des gros colons aux privilèges qui ne
souffrent point de famine est totalement occultée par le journaliste.
2-La réalité politique de 1945.
La réalité politique est étroitement liée aux conditions socio-économiques. Elle
correspond au « Malaise politique » décrit par Albert Camus.
Voici les réalités politiques données aux lecteurs de « Combat ».
9
Ibid
10
Ibid
119
a)Première réalité : « Depuis une cinquantaine d’années, le but avoué de la France en
Afrique du Nord était d’ouvrir progressivement la citoyenneté française à tous les Arabes.
(…) La politique d’assimilation a rencontré en Algérie (…) auprès des grands colons, une
hostilité qui ne s’est jamais démentie ».1
Cette première réalité politique correspond à : l’adoption d’une politique d’assimilation qui
connaîtra un échec. Le projet Blum Violette proposé par le gouvernement français ne fera
pas beaucoup d’enthousiastes. Il sera voué à l’échec.
b)Deuxième réalité : « Le gouvernement français propose à l’Algérie l’ordonnance du 7
mars 1944 qui reprend à peu près dans ses dispositions électorales le projet Blum
Violette ».2
Le 7 mars 1944, De Gaulle signe une ordonnance qui abolit toutes les mesures d’exception
applicables aux musulmans. Elle confère à ces derniers tous les droits et devoirs français,
leur ouvrant l’accès à tous les emplois civils, elle élargit leur représentation dans les
assemblées locales.
c)Troisième réalité : « Mais ce peuple semble avoir perdu sa foi dans la démocratie
dont on lui a présenté une caricature. (…) C’est pourquoi l’opinion arabe (…) s’est
tournée vers un nouveau parti politique, les Amis du Manifeste ».3
« Les Amis du Manifeste » est un nouveau parti politique dont le leader est Ferhat Abbas.
Le programme de ce parti séduit Albert Camus car il propose un projet dans lequel l’Algérie
est liée à la France par les lois du fédéralisme.
Ce programme, selon Albert Camus, est celui qui s’adapte le mieux à la réalité politique en
Algérie.Ferhat Abbas est l’homme du moment, autour de lui se rassemblent les Oulémas et
le P.P.A. de Messali El Hadj.
d)Quatrième réalité :«Ferhat Abbas a regroupé la secte des Oulémas, intellectuels
musulmans qui prêchent une réforme rationaliste de l’Islam qui étaient jusqu’ici partisans
de l’assimilation, ou des militants socialistes par exemple. Il est très évident aussi que des
éléments du parti populaire algérien (…) sont entrés dans les Amis du Manifeste qu’ils
considéraient comme une bonne plate-forme d’action ».4
Le parti de Ferhat Abbas regroupe tous les autres partis afin d’œuvrer pour une nouvelle
plate forme d’action.
e)cinquième réalité : « Il se peut que ce soit eux qui aient compromis les Amis du
Manifeste dans les troubles récents »2.
1
Op cit page 109
Op cit page 111
3
Ibid
4
Op cit page 118
2 Ibid
2
120
Albert Camus entend par troubles récents les événements de mai 1945 ; des
manifestations sont organisées par des partis politiques afin de demander à la France
d’honorer sa parole en accordant l’indépendance à l’Algérie.
Le huit mai, jour de l’armistice, des manifestations organisées tournent à l’émeute
armée à Sétif et Guelma. Après des heurts sanglants dans ces deux villes, les petits centres
de colonisation voisins furent attaqués les jours suivants. Quelques 50 000 émeutiers
massacrèrent des européens, le bilan a été lourd, 103 morts, plusieurs blessés et de multiples
viols.
La répression qui a suivi ces actes, a été impitoyable, à la mesure de la peur et de la
haine des colons.
De là, l’ordonnance du 7 mars 1944 a été annulée.
Cette réalité politique a été ignorée d’Albert Camus, il nomme ces émeutes « troubles
récents », en fait le contexte historique nous apprend qu’il ne s’agit pas uniquement de
troubles mais de réelles manifestations aux conséquences historiques importantes.
Donc, l’adéquation entre la réalité historique et politique camusienne n’est que partielle
contrairement à la réalité économique qui est en adéquation totale avec le contexte de
l’année 1945, puisque cette période est marquée par une flambée des prix et le marché noir.
Albert Camus ajuste la réalité politique décrite dans ces chroniques selon ses tendances
politiques. Il trahit par conséquent l’objectivité dans laquelle il désire s’inscrire lorsqu’il
dit : « l’enquête que je rapporte (…) a été menée (…) objectivement ».1Il n’expose que la réalité
politique qui lui convient et qui appuie sa vision du monde. Il détaille largement le
mouvement de Ferhat Abbas en négligeant totalement les autres tendances politiques.
A-3 TROISIEME PERIODE :L’Algérie déchirée 1956.
Dans cette dernière série d’articles, Albert Camus consacre sa réflexion au drame algérien :
la guerre.
Il déclare : « Je voudrais y contribuer pour ma part (…) quelle que soit la difficulté de
définir aujourd’hui une position équitable pour tous. Mais qu’importe après tout que les mots
manquent ou trébuchent, s’ils parviennent (…) du moins à ramener parmi nous l’Algérie exilée et
la mettre avec ses plaies à un ordre du jour dont enfin nous n’ayons pas honte ». 2
1
2
Op cit page 94.
Op cit page 135
3
121
Dans cette dernière partie, Albert Camus explicite sa position à savoir se dresser
ouvertement contre la répression qui sévit en Algérie.
Cette série d’articles est différente des précédentes car il ne s’agit plus pour Albert
Camus de dresser un tableau sur la situation économique ou sociale de l’Algérie, encore
moins d’appuyer certaines tendances politiques comme celle de Ferhat Abbas, la réalité
politique qui y est décrite correspond à la guerre.
C’est contre cette guerre que se dresse le locuteur car elle fait des victimes
innocentes dans les deux camps.
Il reconnaît la responsabilité des français de la métropole dans la rébellion algérienne :
« Une grande, une éclatante réparation doit être faite, selon moi, au peuple arabe. Mais par
la France tout entière et non avec le sang des Français d’Algérie »1.
Les réalités politiques mises en place par Albert Camus correspondent à :
ƒ Répression et guerre (échec de la politique d’assimilation).
Tous les mouvements algériens réclament l’indépendance de l’Algérie, ceci signifie
l’éviction des Français d’Algérie.
Or, Albert Camus refuse de mettre en évidence cette réalité à la fois historique et
politique.
Pour lui l’Algérie est française, il suffit juste de rendre justice à la population arabe
pour que les deux communautés française et musulmane puissent cohabiter dans la paix. Il
demande à la métropole d’agir dans ce sens.
Tout le programme argumentatif camusien lui permet de mettre en avant une réalité qui
se vérifie dans le contexte historique de 1956 : la guerre en Algérie (Cette guerre nommée
par le journaliste de « noces sanglantes du terrorisme »2.
ƒ Le projet politique camusien .
Albert Camus propose un retour au calme en solutionnant le problème algérien par le
fédéralisme. Français et Arabes doivent œuvrer pour faire cesser la violence en optant pour
la trêve et le dialogue. Il affiche clairement son positionnement pour l’Algérie française.
Les Français font partie de l’Algérie : c’est une réalité incontestable : l’Algérie n’existe
pas sans la France.
1
Op cit page143
2
Opcit p age 164
122
Le discours camusien, certes, permet de poser une adéquation à la réalité historique de
1956, sauf que celui-ci est construit sur une stratégie discursive qui masque l’idéologie du
locuteur.
Albert Camus argumente et défend la thèse de : l’Algérie déchirée par la guerre.
Dans ce processus argumentatif, le locuteur ne justifie pas la révolte de la population
algérienne contre le colonisateur français qui a usurpé le territoire algérien, cette vérité est
totalement occultée par le journaliste. Comme tout autre français, il défend les intérêts de
son pays.
Pour conclure nous dirons que dans tout Actuelles III, l’ajustement à la réalité se vérifie.
Mais de quelle manière se fait-il ?
Vu le projet camusien initial dans lequel le journaliste se veut être chroniqueur d’un
discours réaliste, il doit dire la véritable réalité sans la travestir avec son idéologie.
Or, nous avons démontré dans les trois contextes précédents que le chroniqueur a
occulté de manière systématique une des causes majeures des drames algériens : la
colonisation française.
Dans ce cas, l’ajustement du langage dans les assertions se fait de manière partielle car
le locuteur n’expose pas toutes les raisons qui sont à l’origine de la famine en Kabylie, de la
famine de 1945, des événements de mai1945 et enfin de la guerre en Algérie.
De là, nous dirons que :
1. Les réalités économiques sont en adéquation totale avec le contexte social et
économique des deux premières périodes.
2. Les réalités politiques sont en adéquation partielle avec la réalité historique
des trois premières périodes.
Les réalités politiques décrites par le biais de la référence s’ajustent au contexte
historique.
Le discours du locuteur est complexe car deux réalités se superposent dans
l’énonciation de celui-ci , à savoir celle qui est explicite et l’autre occultée, implicite.
Les deux discours qui constituent Actuelles III sont les suivants :
1. Discours n°1 : une Algérie souffrante de 1939 jusqu’en 1958.
2. Discours n°2 : une Algérie meilleure loin des maux dans un système de fédéralisme
et d’assimilation.
123
Nous préciserons, également, que l’état psychologique qui accompagne chaque
période d’écriture en1939, en1945 et en1956 est difficile à cerner car Albert Camus oscille
entre l’engagement et le non-engagement à chaque fois, d’où l’ambiguïté de son
positionnement psychologique.
IV- CONCLUSION GENERALE.
124
Tout au long de notre recherche , nous avons analysé, dans une perspective
pragmalinguistique, le fonctionnement des discours camusiens en tant que textes réalistes
dans les contextes historiques dans lesquels ils sont produits.
La théorie des actes de langage de John Searle, nous a permis cette analyse en
questionnant de manière systématique le but illocutoire, la direction d’ajustement et l’état
psychologique du locuteur lorsqu’il accomplit un acte assertif, directif, promissif ou
expressif, en écartant les actes de langage déclaratifs qui posent un autre type de
questionnement que nous explorerons dans un projet futur.
Ces trois dimensions confirment la nature intentionnelle du sens.
Le corpus choisi pour cette analyse actantielle est constitué par un ensemble de
chroniques algériennes rassemblées par Albert Camus dans Actuelles III (1939-1958).
Cet ensemble d’articles brasse vingt années d’Histoire, le discours qu’y tient Albert
Camus est différent d’une période à l’autre.
Nous avons mis au cœur du débat la relation entre l’acte de langage accompli et le
contexte situationnel dans lequel il est actualisé.
Durant la première période 1939, Albert Camus est un jeune journaliste à AlgerRépublicain . Il rédige pour le journal un long reportage sur la misère de la Kabylie dans
lequel il décrit les conditions de vie difficiles des Kabyles, en exposant les raisons de ce
fléau et en proposant des solutions économiques et politiques pour l’éradiquer.
L’analyse de la structure illocutionnaire des actes de langage accomplis par le
journaliste-locuteur, nous a permis après l’exploration minutieuse du but illocutoire, de la
direction d’ajustement et de l’état psychologique de celui-ci pour chaque type d’acte de
langage d’aboutir à des conclusions dans lesquelles nous avons explicité la manière par
laquelle se fait l’adéquation entre le l’unité linguistique et le monde.
Notre réflexion ne s’est pas limitée à niveau puisque nous avons proposé une analyse
complémentaire du système de référence dans la mesure où il constitue une piste non
négligeable dans l’analyse de l’adéquation.
Pendant la deuxième période 1945, Albert Camus fond avec son ami Pia le journal
« Combat ».
125
Après une brève visite en Algérie, il rédige une fois à Paris une deuxième enquête dans
laquelle il rappelle aux Français les conditions économiques qui sont à l’origine de la crise
algérienne.
De manière analogue à la première période, nous avons analysé la structure
illocutionnaire des actes de langage produits par Albert Camus et abouti aux mêmes
conclusions de sens.
Quant à la troisième période 1956, Albert Camus rejoint les journalistes de l’Express.
Comme tous les libéraux, il est fortement engagé et interpellé par la répression et la guerre
qui sévissent en Algérie. Il tente dans un ultime appel de raisonner les masses arabes ainsi
que les Français d’Algérie pour que la rébellion cesse et que la paix triomphe.
Pour ce faire, Albert Camus propose une seule solution : le fédéralisme dans l’Algérie
1958.
Tout comme les périodes précédentes, nous avons adopté la même démarche.
Nous avons également cerné le fonctionnement des divers marqueurs de la force illocutoire
que nous recensons comme suit :
1-Le marqueur « je » : il désigne le locuteur lui-même.
2-Le marqueur « nous » : il désigne le locuteur et les autres Français qu’il joint à lui.
3-Le marqueur « on » : il revêt plusieurs valeurs car dans certains cas il désigne le
gouvernement français sans le nommer, dans d’autres il désigne le locuteur et les autres
Français et enfin il a été employé par le journaliste pour prouver son objectivité ou son nonengagement.
Ainsi, en questionnant la structure illocutionnaire des actes de langage camusiens, nous
avons mis à nu le fonctionnement de la direction d’ajustement dans le texte du journaliste
lorsqu’il veut rendre les mots conformes au monde dans le cas des assertifs et le monde
conforme aux mots dans le cas des directifs et promissifs. Cette réflexion nous a permis
également d’explorer l’engagement et le non-engagement du locuteur dans le cas des
assertifs et des directifs afin de cerner l’ambiguïté de l’état psychologique de celui-ci.
Nous avons également tenté un élargissement de la théorie searlienne en ouvrant
l’adéquation des mots au monde sur l’adéquation des réalités qui véhiculent l’énonciation
camusienne aux réalités du contexte historique dans lequel elles apparaissent.
126
Ces réalités correspondent à :
1. Contexte historique de 1939.
a. Réalité économique et sociale : misère de la Kabylie.
b. Réalité politique : aucune réalité n’est exposée.
2. Contexte historique de 1945.
a. Réalité économique et sociale : crise économique et sociale ; famine en
Algérie.
b. Réalité politique : échec de la politique d’assimilation et émergence de
nouvelles tendances politiques.
3. Contexte historique de 1956 .
a. Réalité économique et sociale : aucune.
b. Réalité politique et historique : guerre d’Algérie.
4.Contexte historique de 1958.
a. Réalité économique et sociale : aucune.
b.Réalité politique et historique : proposition d’Albert Camus ; le
fédéralisme.
Nous avons démontré que l’adéquation du langage à ces réalités est totale pour les
réalités économiques et sociales mises en exergue par le reporter dans les deux premiers
contextes historiques de 1939 et 1945, par contre cet ajustement demeure partiel lorsqu’il
s’agit des réalités politiques dans le deuxième et troisième contexte historique.
Nous avons expliqué cette partialité par le fait que Camus use de stratégies
discursives afin d’exprimer des réalités qui épousent son idéologie en occultant ainsi toutes
les autres auxquelles il ne s’identifie pas.
Parmi les stratégies discursives mises en place dans le discours camusien, nous avons
décelé les actes de langage complexes au niveau des actes de langage expressifs, celles-ci
ont permis à Camus de masquer son état psychologique et respecter le contrat d’objectivité
afin de rester neutre.
Pour conclure, nous dirons que notre recherche a été essentiellement focalisée sur le
discours journalistique d’un écrivain hybride, à la fois algérien de naissance mais de souche
française qui pose sur l’Algérie un regard spécifique. Mais qu’en est-il des autres écrivains
127
français pieds-noirs ? De quelle manière s’accompliront les actes de langage déclaratifs de
ceux-ci en comparaison avec ceux accomplis par Camus ?
Comment Camus agira sur le monde à travers les actes de langage déclaratifs dans
Actuelles III ? Et enfin, comment se fera l’adéquation du langage au monde lorsque
l’énonciation camusienne cessera d’être littéral pour devenir de seconde intention, c’est à
dire indirecte ?
V- RESUME DU MEMOIRE.
Pour ce faire, ce travail s’est basé essentiellement sur la philosophie analytique
searlienne. La théorie des actes de langage qui s’attache à dégager les règles générales du
128
sens, nous a permis grâce à la taxinomie des actes de discours et leur analyse actantielle de
dresser une liste des divers types d’actes illocutionnaires en mettant à jour leur adéquation à
la réalité, leur but illocutoire et les états psychologiques du journaliste-locuteur.
Nous avons analysé dans le corpus choisi, Actuelles III, la manière par laquelle les
mots s’ajustent à la réalité économique et sociale dans chaque période historique à travers
les quatre types de langage dominants dans les discours camusien, l’assertif, le directif, le
promissif, l’expressif et tous les actes complexes, à l’exclusion des actes déclaratifs qui
demandent une recherche plus approfondie.
Nous avons, donc, mis au cœur du débat la relation entre l’acte de langage accompli et
le contexte situationnel dans lequel il est actualisé.
Notre réflexion s’est limitée au niveau du sens littéral, autrement dit nous nous sommes
contenté d’analyser les actes de langage directs ainsi que le système de référence utilisé par
Albert Camus afin de rendre le monde conforme à son langage.
Cet aspect du discours camusien nous a guidé vers l’exploration de la condition de
sincérité du chroniqueur. Nous nous sommes interrogé sur son engagement ou nonengagement face à ce qu’il asserte ou demande, ceci nous a permis de cerner l’ambiguïté
dans laquelle il s’incère.
Dans la troisième partie de ce travail, nous avons tenté un élargissement de la théorie
searlienne, les conclusions auxquelles nous avons abouti démontrent qu’Albert Camus use
de stratégies discursives afin d’exprimer la réalité qui correspond à son idéologie en
occultant les autres réalités politiques auxquelles il ne s’identifie pas.
L’ajustement, dans ce cas, de la réalité au contexte historique est partiel. Le locuteur
convoque dans ses chroniques les réalités politiques qui sont en parfaite adéquation avec sa
vision de la situation algérienne, les autres n’existent pas.
VII- MOTS CLES
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1 ) Pragmatique
2) Actes de langage
3) Taxinomie des actes de langage
4) Structure illocutionnaire
5) But illocutoire
6) Adéquation
7) Etat psychologique
8) Force illocutionnaire
9) Contexte
10) Référence
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