PRINTEMPS POETIQUE Poésie d`ici d`ailleurs de partout

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PRINTEMPS POETIQUE Poésie d`ici d`ailleurs de partout
PRINTEMPS POETIQUE
Poésie
d’ici
d’ailleurs
de partout
ANTHOLOGIE
La terre
est mon bonheur
Guillevic
1
PARTOUT
Je suis un enfant de partout
un enfant de Paris, de Cotonou,
un enfant de l’ombre des montagnes
des plis rouges d’un pagne.
Je suis un enfant des nids de moineaux,
de Mulhouse, de Baltimore,
des petits bateaux de la baie de Rio
et pire encore
je suis un enfant de quelque part
né de l’amour entre la chance
et le hasard.
Un enfant avec un nom,
un prénom,
mais un enfant qu’on appelle Terrien
parce que, sans moi,
cette planète n’est rien.
Marche le monde
sur les pieds
sur la tête
Marche le monde
à l’endroit
à l’envers
Marche le monde
Qu'importe le sens
Qu’importe le pas
Marche le monde
tu lui montreras la voie
Jacques FOURNIER
in
Cairns n° 9
Alain SERRES
in
Je suis un enfant de partout
Rue du Monde, 2008
UN SIGNE
AU LOIN
J’ai regardé au loin
J’ai vu quelque chose qui bougeait
Je me suis approché
J’ai vu un animal
Je me suis encore approché
J’ai vu un homme
Je me suis encore approché
Et j’ai vu que c’était mon frère
Proverbe tibétain
in
La Cour couleur
Anthologie
Rue du Monde
Entre les pierres,
sur l’écorce des arbres,
dans les nuits étoilées,
au fond des ravins,
sur les chemins,
dans les rêves,
dans le vent,
dans l’eau…
je cherche
un signe du passé,
quelque chose qui me ramène
à la voix perdue de mes ancêtres.
Umberto AK’ABAL
Les traces du jour et de la nuit
Patiño, 2008
2
UN HOMME S’EN ALLA
Un jour un homme s’en alla
Avec son baluchon ―
Et il marcha
Et il marcha
Toujours vers l’horizon.
Et il avançait, ce bonhomme,
Sans jamais s’arrêter
Sans faire un somme
Sans faire un somme
Sans boire ni manger.
Dans une forêt à l’aurore
Un jour il est entré ―
Et depuis lors
Et depuis lors
Nul ne l’a rencontré.
S’il vous arrivait par la suite
de le voir quelque part
Venez bien vite
Venez bien vite
Nous le faire savoir !
Daniil KHARMS
traduction de Henri ABRIL
Anthologie de la poésie russe pour enfants
circé / poésie
Ma mémoire est une route
Des soleils inaccessibles
Y dorment
D’un sommeil tourbillonnant
Mes terroirs
J’y cherche mes racines
Mes arbres
Ma vérité
Jean ZIMMERMANN
Car j’ai affaire en ce pays
Fédérop, 2000
LE MENU DU TROU NOIR
1
1
9
11
14
18
23
35
53
soleil
lune
planètes
astéroïdes
comètes
étoiles
galaxies
nébuleuses
quasars
Jacques ROUBAUD
Menu, menu
Gallimard, 2000
AH ! QUE LA TERRE EST BELLE
pour Isabelle
Ah ! que la terre est belle
Crie une voix, là-haut
Ah ! que la terre est belle
Sous le beau soleil chaud !
Elle est encore plus belle
Bougonne l’escargot,
Elle est encore plus belle
Quand il tombe de l’eau.
Vue d’en bas, vue d’en haut,
La terre est toujours belle,
Et vive l’hirondelle
Et vive l’escargot.
Pierre MENANTEAU
Œuvre poétique, tome 3
Soc et Foc, 2000
3
LITANIES DE L’EXILÉ
Et toi, l’exilé :
Être de passage, toujours de passage,
avoir la terre pour auberge
et contempler des cieux qui ne sont pas les nôtres,
vivre parmi des gens qui ne sont pas les nôtres,
fredonner des chansons qui ne sont pas les nôtres,
rire mais d’un rire qui n’est pas le nôtre,
serrer des mains qui ne sont pas les nôtres,
pleurer avec des larmes qui ne sont pas les nôtres,
céder à des amours qui ne sont pas les nôtres,
goûter à des plats qui ne sont pas les nôtres,
prier des dieux, des dieux qui ne sont pas les nôtres,
entendre notre nom sans que ce soit le nôtre,
penser à ceci, à cela, à ce qui n’est pas nôtre,
tendre une monnaie qui n’est pas la nôtre,
et suivre des chemins qui ne sont pas les nôtres.
…
Et toi, l’exilé :
Être de passage, toujours de passage,
avoir la terre pour auberge,
avoir pour tout bien des choses d’emprunt,
ne pas avoir d’ombre, mais des bagages,
à moins que demain, demain ou jamais…
Miguel Angel ASTURIAS
Poèmes indiens
Gallimard / Poésie
LE VOYAGE
Le voyage on le fait sur un cargo de charbon
Reste-t-il un port où l’on ne s’est pas encore battu ?
Reste-t-il une tristesse que nous n’ayons pas encore chantée ?
L’horizon qu’on voyait chaque matin devant
Ne l’a-t-on pas vu chaque soir derrière ?
Que d’étoiles ont filé devant nous
Frôlant les eaux.
Chaque aurore n’était-elle pas le reflet
De notre grande nostalgie ?
On y va malgré tout, n’est-ce pas, on y va.
Nâzim HIKMET, Il neige dans la nuit, Gallimard, 1999
4
BANGUI
Elle est là Yarné
seule devant le fleuve
Toute une saison l’Oubangui s’est gorgé de pluies
il coule vite
Yarné reste sur la rive
j'habite loin de vous
un seuil
perdu de brume
le tumulte
y est chose terrible
Elle voudrait bien aller de l’autre côté des vagues
et se perdre dans leurs miroirs
Elle voudrait découvrir le bout du monde
de cette planète toute ronde
lorsque s’affrontent
des êtres redoutables
je peuple de mots
mes déchirures
Elle est là Yarné
seule devant le fleuve
Elle rit
Elle devine qu’ici comme ailleurs
le monde n’est pas fini.
Amina SAÏD
L’une et l’autre nuit
Le dé bleu, 1993
Yves PINGUILLY
in
Je suis un enfant de partout
Rue du Monde, 2008
POÈME
POUR PARTIR DU BON PIED
J’ai pris ma clé à trompette
pour enfermer les comètes
J’ai pris ma clé à guitare
pour enfermer la nuit noire
J’ai pris ma clé à tambour
pour ouvrir le petit jour
Et je suis parti
laissant dans mon lit
ma clé à piano
sol fa mi ré do
Alain BOUDET, Poèmes pour sourigoler, Blanc Silex, 1999
5
MIRAGE
regarde,
à l'horizon où s'étagent les collines,
le cheval,
son rire bruyant,
sa chevelure-oriflamme.
il gambade
dans les prairies de la mémoire,
comme un rêve longtemps reclus
qui trouve enfin la nuit propice.
Tahar DJAOUT
in
"La Sape" 1990
Numéro spécial consacré à 40 poètes francophones
Il voyage à cloche-pied
sa valise peut contenir un jour
son cou ne sert qu’à son écharpe
ses pieds qu’à guider ses souliers
il parle plus bas dans son rêve
de peur de réveiller son nez
il fit un nœud à son mouchoir
pour pouvoir se rappeler son corps
qu’il oublie sur les bancs publics
après lecture de la dernière ligne de sa peau
Vénus KHOURY-GHATA
la voix des arbres
Le cherche-midi
Tout vient de loin.
Et reste loin.
Mais loin de quoi ?
De quelque chose qui est loin.
Ma main me fait des signes
depuis un autre univers.
Roberto JUARROZ
Douzième poésie verticale
Orphée La Différence
S’asseoir sur les pierres chaudes
entre lesquelles pousse
la beauté nomade des îles
Anne-Marielle WILWERTH, D’îles en ailes, Couleur livres, 2012
6
SALAH de BAGDAD
à Salah Al Hamdani
À Bagdad il y a un enfant
un seul enfant
le seul que j’entende
le seul que je voie
le seul qui compte à cet instant
Il avait un fleuve un ciel
une maison de toile
et un tapis volant
(tous les enfants du monde ont un tapis volant
c’est leur secret)
Mais à cet instant
Salah le gamin de Bagdad
cherche pieds nus dans les pierres
Il cherche son tapis volant
sa maison de toile
son fleuve son ciel
Sous un tapis de bombes
Salah cherche son secret dans les ruines
Jean-Pierre SIMÉON
in
Je suis un enfant de partout
Rue du Monde, 2008
J’ai bâti ma maison
sous la lune, le soleil
et les étoiles.
Il n’est de meilleur lieu pour vivre
dans l’amitié du monde.
Jean JOUBERT
Poèmes de la lune et de quelques étoiles
L’école des loisirs, 1992
7
ORCHESTRE
Un p’tit hippopotame
Tapait sur son tam-tam
tam / tam /tam…
Avec le fils du lion
Qui râclait du violon
lon / lon / lon…
La fille de l’otarie
Était à la batterie
tri / tri / tri…
Le petit éléphant
Soufflait dans l’olifant
fan / fan / fan…
Une carte postale
Tu m’enverras une carte postale
De la douceur des eaux
De la chaleur des lumières !
Ici, le Soleil fera place à la Lune
La Lune au nuage
Le nuage à la nuit.
Envoie-moi une carte postale !
Tu m’enverras cette lumière des nuits,
Des profonds cratères des Vésuves !
Tu m’enverras ce diamant des ténèbres,
De la froideur des igloos !
Envoie-moi une carte postale !
Pacéré TITINGA
Refrains sous le Sahel
P.J. Oswald
Le neveu d’la gazelle
Avait une crécelle
sel/ sel /sel…
Bébé caméléon
Jouait d’l’accordéon
on / on / on…
Et les petits têtards
Gratouillaient d’la guitare
tar / tar / tar…
Les enfants de là-bas
Leur donnèrent le la
la / la / la…
Et tous ceux de la terre
Tous ensemble chantèrent
La la lère la la la…
Jean-Claude TOUZEIL
Sortie d’animots
Donner à Voir, 1994
LES EAUX DU GANGE
Au cœur des eaux du Gange
j'ai laissé s’en aller
une petite lumière
sur un blanc nénuphar
une bougie sur l’eau
qui semble comme un phare
et porte nos espoirs
au bout de la nuit noire
sur les ailes d’un ange
au cœur des eaux du Gange
Michel PIQUEMAL
in
Cairns n°8
La Pointe Sarène / Gros Textes, 2011
8
LETTRE D’UNE MÈRE
Va dans le vaste monde, mon cher enfant,
Va vers une vie libre !
Tant que le vent souffle en poupe.
Va vers la vaste mer, mon cher enfant,
Va vers le monde libre !
Tant qu’il ne fait pas encore noir
Et que le crépuscule ne rougit pas le ciel.
Lorsque les ombres s’effaceront,
Que l’aigle de mer sera retourné à son nid,
Que le vent soufflera vers la terre
Et que le timonier sera sans boussole,
Alors tu pourras revenir vers moi !
Reviens alors, mon cher enfant,
Reviens de l’autre côté de la nuit !
Et lorsque ton navire sera près du rivage,
Alors nous parlerons
De l’amour et de ta vie demain matin.
Asrul SANI
Deux cents poèmes indonésiens
mis en français par Louis-Charles Damais
Adrien-Maisonneuve
Il n’y a pas de murs
Je te le dis il n’y a pas de murs
Où nous sommes je chante et je demeure
Où nous sommes le présent est sans âge
Si je m’éveille avec l’aurore
Tu es déjà en ma vie
Où nous sommes les sources se délient
L’ancre n’est pas voyage
Je te le dis
Andrée CHÉDID
in
C’est merveilleux la vie
Albin Michel, 2001
Ouvre l’œil et regarde,
tu verras ton visage
dans tous les visages.
Tends l’oreille et écoute,
tu entendras ta propre voix
dans toutes les voix.
Khalil GIBRAN
in
C’est merveilleux la vie
Albin Michel, 2001
9
MA VIEILLE GODASSE
Clop pfuit clop pfaff clop clop pfuitt…
Elle y va de ses petits bruits,
Elle grimace, gueule ouverte largement,
Révélant ses vilaines dents,
Ses dents rouillées, cariées, noires,
Mal plantées dans ses mâchoires.
On dirait qu’elle se prend
Pour un jeune caïman
Ou pour un poisson flasque qui nage
Dans l’eau tombée des nuages.
Vieille chaussure éculée,
Avec toi je vagabonde
À travers mon petit monde
Par les rues ensoleillées.
Julius CHINGONO
Zimbabwean Poetry in english,
an anthology by K.Z.Muchemwa
Traduction G. Robineau et B. Lorraine
Mambo Press
Quand je serai un oiseau
je n’aurai plus jamais
le vertige
plus jamais
la voix enrouée
et je sifflerai
dans le ciel
pour faire avancer
le soleil
François DAVID
Vole vole vole
Les Carnets du Dessert de Lune, 2011
10
OISEAUX DE TURQUIE
VOYAGE BLANC
Les garçons d’Istanbul
jouent à pousser les filles
dans le dos
pendant que les filles d’Istanbul
jouent à caresser les ailes
des oiseaux.
Et les oiseaux eux
ne sauront jamais
s’ils sont d’Istanbul
du Cap-Vert
ou d’Israël
depuis qu’une vieille poule
a picoré toutes les frontières
du ciel.
Quand je serai petite
je partirai en voyage
avec mon sac de plumes.
Je choisirai d’aller loin
là-bas où il fait blanc
sur la banquise.
Françoise LISON-LEROY
in
Je suis un enfant de partout
Rue du Monde, 2008
Alain SERRES
in
Je suis un enfant de partout
Rue du Monde, 2008
J’aime Barcelone en plein soleil,
L’eau quand elle ruisselle,
La voix de Luis Llach.
J’aime les accents étrangers.
…
J’aime le bruit de l’aspirateur quand il s’arrête,
Les collectionneurs de cartes postales.
J’aime dessiner sur la buée des vitres.
J’aime le chant des baleines.
…
J’aime me perdre dans les petites rues,
Boire l’eau fraîche des fontaines,
Déplier du linge propre.
J’aime respirer profondément.
…
Bruno RUIZ, J’aime, noir et blanc, 1995
11
IL Y A TOUT
Dans ma chambre
il y a tout
l’Himalaya
dans la bibliothèque
l’Océan
dans les tableaux
l’Amour
dans mes poèmes
et le ciel
par la fenêtre
Où irais-je
pour être mieux ?
CLOD’ARIA
Inventaires
Le chat qui tousse, 2000
Va voir dehors si j’y suis
va voir en Sologne
en Pologne
au cimetière
à Cythère
va voir à la scierie
en Assyrie
chez Théodore
à Brocéliande
va voir dehors
va voir dedans
va voir à la sortie
dans les orties
va voir
va voir si j’y suis
Jean-Clarence LAMBERT
Trillali trillala
Somogy, 1998
VERS QUOI ?
Vers quel édifice
Toutes ces fondations ?
Vers quelle destination
Toutes ces poursuites ?
Vers quelle cible
Toutes ces flèches ?
Vers quelle durée
Tous ces instants ?
Vers quel mirage
Nos cheminements ?
Andrée CHÉDID
Par-delà les mots
Flammarion, 1995
Je suis comme
Une boîte de couleurs.
Blanche le matin
Rouge le midi
Jaune à quatre heures
Bleue chaque soir
La nuit rien
Les couleurs dorment
Quelquefois
Elles se mélangent
Mohammed DIB
in
Poèmes tout frais
Scandéditions / La Farandole
12
MOUVANCE
NOUS, TOUS
mouvance
toujours plus loin dites-vous
jusqu'au bout du monde
le voyage le déplacement
toujours plus loin
et le bout du monde est bleu
are you going with me
c'est une musique aérienne
sur mon signe de balance
et ce bout du monde est bleu
je m'imagine au volant d'une voiture
à l'harmonica lamenteux des longues
routes
où bercent nos corps
alors que la tête va et vient
something like out-of-the-body
experiences
sur les routes d'Acadie
sur toutes les routes de l'imaginaire
mouvance
déraciné apatride
sinon pour ce bleu au cœur
qu'on allume autour d'une langue
are you going with me
…
Gérald LEBLANC
in
La Poésie acadienne
Anthologie
Perce-neige / Écrits des Forges, 1999
RÉUNIR
Partageons
L’instant sans labyrinthes
Où le temps s’égare
Pour mieux nous réunir
Andrée CHÉDID
Par-delà les mots
Flammarion, 1995
Dans le cœur étranger
des villes et des neiges
avec nos mots unis,
en un tableau d’époque
nous, tous
sans restriction
traversons la nuit
des tumultes
des passions
des errances
et des visions
scandés d’échos venus
de l’intérieur des voix
nous, tous
liés
au présent pluriel
d’un partage singulier
en ce paysage humain
nous, tous
réinventés
Claude BEAUSOLEIL
in
Nous, la multitude
Le Temps des Cerises, 2011
Sur tes cartes du monde
Les pays sont de lumineuses broderies
Avec une pointe de ciseaux
On défait d’un rien
Les points de couture des frontières
Ce sont les êtres que tu relies serrés d’un fil
Marie HUOT
Visite au petit matin
Al Manar, 2011
13
CONGO-TCHÉTCHÉNIE
Cet enfant-là
qui a des cheveux blonds et la peau blanche
ne sait pas
que quelque part dans le monde
un autre enfant
qui a des cheveux noirs et la peau noire lui ressemble
Ils ne sont pas jumeaux comme deux gouttes d’eau
ils sont parents comme deux gouttes de sang
tout simplement
depuis longtemps
Depuis longtemps
chez eux
le bleu du ciel qui était mal accroché… est tombé !
Yves PINGUILLY
in
Je suis un enfant de partout
Rue du Monde, 2008
UN SON QUI VOYAGE
un son qui voyage
d'un espace à l'autre
me rentre dans une oreille
et sort par l'autre
la mélodie me reste dans la tête
elle ne sort pas
elle reste stuck dans ma cervelle
c'est une mélodie si belle
qu'elle doit faire la guerre pour sortir
pour naître dans le monde
qui la joue et l'écoute
que c'est remarquable ce son qui voyage
Mario LEBLANC
in
La Poésie acadienne
Anthologie
Perce-neige / Écrits des Forges, 1999
14
Comment s’y prendre…
pour ouvrir les yeux sur le monde
sans se perdre de vue ?
Dominique SAINT-DIZIER
Questions qui posent problème
Corps Puce, 2009
J’ai frappé toc toc toc
aux portes du paradis
Un beau soir
je cueillerai une étoile de mer
un rouge-gorge
un tigre des neiges un brin de bruyère
une baleine à bosse
un éléphant m’a dit d’entrer
j’ai fait trois petits pas
aussitôt l’éléphant
s’est mis à me piétiner
écraser tendrement mes os
pour qu’ils ne blessent pas le vent
je les poserai au creux de mes mains
puis je soufflerai
longtemps
patiemment
amoureusement
quand mon corps fut aussi plat
qu’un tapis volant
je me suis assis dessus
et j’ai volé longtemps longtemps
jusqu’à ce que je sois transporté
avec eux
au point de départ
vers tous les horizons
Thierry CAZALS
Un éléphant au paradis
møtus, 2011
Si tu aimes l’étranger
tu t’aimeras demain
Jean-Pierre SIMÉON
Thierry CAZALS
Un éléphant au paradis
møtus, 2011
Quand tu ne sais pas où tu vas
regarde d’où tu viens
Proverbe africain
in
Il pleut des poèmes
Anthologie
Rue du Monde, 2003
15
J’ÉCOUTE ISTANBUL
J’écoute Istanbul, les yeux fermés
Les voûtes du Bazar sont fraîches, si fraîches
Mahmout Pacha est tout grouillant de monde
les cours sont pleines de pigeons
Des bruits de marteaux montent des docks
dans le vent doux du printemps flottent
des odeurs de sueur
J’écoute Istanbul, les yeux fermés…
Orhan VELI
in
Tour de terre en poésie
Rue du Monde, 1998
LE GLOBE
Offrons le globe aux enfants, au moins pour une journée,
Donnons-leur afin qu’ils en jouent comme d’un ballon multicolore
Pour qu’ils jouent en chantant parmi les étoiles.
Offrons le globe aux enfants,
Donnons-leur comme une pomme énorme
Comme une boule de pain toute chaude,
Qu’une journée au moins, ils puissent manger à leur faim.
Offrons le globe aux enfants,
Qu’une journée au moins le globe apprenne la camaraderie.
Les enfants prendront de nos mains le globe
Ils y planteront des arbres immortels.
Nazim HIKMET
in
La cour couleurs
Anthologie
Rue du monde, 1997
16
De Madrid à Francfort
de Paris à Milan
de Lille à Istanbul
ça roule, ça roule…
Ça roule si fort
Qu'avant mille ans
Les gens de la planète
Auront perdu la boule.
Xavier BOUGUENEC
Y a plus d’enfants
Soc et Foc, 2006
J’ai pas d’or dans mes poches.
Rien ne scintille à mes doigts.
Aux pieds j’ai des galoches
et du vent dans les cheveux.
Pas de rubis pas de broche,
mais du soleil dans les yeux.
La forêt toute proche
est mon salon luxueux.
Tout m’est donné gratuitement :
chant du pinson, chant du merle,
étoiles du firmament.
Sans vos bijoux, sans vos perles
je vais très bien merci.
Gardez vos sous et vos soucis.
Xavier BOUGUENEC
Y a plus d’enfants
Soc et Foc, 2006
BEAU DÉSERT INTÉRIEUR
Chacun dispose d’un territoire secret
Où l’autre ne peut pénétrer.
Chacun y garde un peu d’eau
Pour la soif.
Jean FOUCAULT
Voyage en Berbérie
Éditions du Jasmin, 2006
Les arbres sont trop attachés
à leurs racines
pour aller courir le monde.
Pour les cailloux, c’est différent.
Franck PRÉVOT
Les pensées sont toujours des fleurs comme les
autres
L’Édune, 2011
…
messieurs, messieurs les prophètes
ne demandez pas leur nom aux arbres
ne demandez pas aux vallées leur génitrice
le glaive de lumière se détache de mon front
et de mes mains jaillit l’eau du fleuve
tous les cœurs d’hommes sont ma nationalité
voilà
je vous laisse mon passeport !
Mahmoud DARWICH, Rien qu’une autre année, Éditions de Minuit, 2003
17
Qui que tu sois
D’où que tu viennes
Tu es mon frère
Tu viens de loin
Mais peu m’importe
Tu es mon frère
Et je t’accueille
À bras ouverts
Contre l’horreur
À TOUR DE RÔLE
Chaque jour, le matin clair
fait le tour de l’univers,
histoire de réveiller les mondes,
les oiseaux, les mers, les forêts
les enseignants, les écoliers.
De l’Orient à l’Occident,
le soleil ouvre l’école.
Sur les tableaux noirs,
les morceaux de craie chantent
les mots de toutes les langues.
De qui te nie
Contre l’ignoble
Et les insultes
Tu viens de loin
Et moi aussi
Tu viens de moi
Et moi de toi
De ce pays
Où les hommes sont frères
Guy ALLIX
in
Nous, la multitude
Le Temps des Cerises, 2011
SAHARA
Sahara
Mamelles de sable
Qui portent les caresses
Des caravanes
Sahara
Mamelles de sable
Qui enveloppent
La tiédeur des nuits
Bleues
Armand BALIMA
in
Poèmes d’Afrique pour les enfants
Anthologie
Le Cherche-midi
Et toujours, toujours quelqu’un étudie :
lorsque les jeunes quittent l’école à Pékin,
la classe commence pour ceux de Berlin.
Quand on va dormir à Alma Ata,
on se réveille à Lima, Bogota.
Ainsi les enfants se relaient.
Ainsi s’en va le monde :
ainsi rien n’est perdu, pas même une seconde.
Gianni RODARI
De la terre et du ciel
Rue du Monde, 2010
Parfois les avions
sont rêves de tour du monde
de soleils lointains
d’ailleurs bien chauds.
Mais ces avions-là
portent en leurs ventre
des billets
pour des voyages sans retour
dans le noir de la terre
dans le froid de la mort.
Sylvie LATRILLE
Sur le chemin des merles
L’épi de seigle, 2003
18
LA DIFFÉRENCE
LE BROCHET
Le brochet
Fait des projets.
J’irai voir, dit-il
Le Gange et le Nil
Le Tage et le Tibre
Et le Yang-Tsé-Kiang.
J’irai, je suis libre
D’user de mon temps.
Et la lune ?
Iras-tu voir la lune ?
Brochet voyageur,
Brochet mauvais cœur,
Brochet de fortune.
Robert DESNOS
Chantefables, chantefleurs…
Gründ, 2000
à Martine
Pour chacun une bouche deux yeux
deux mains, deux jambes
Rien ne ressemble plus à un homme
Qu'un autre homme
Alors
entre la bouche qui blesse
et la bouche qui console
entre les yeux qui condamnent
et les yeux qui éclairent
entre les mains qui donnent
et les mains qui dépouillent
entre les pas sans trace
et les pas qui nous guident
où est la différence
la mystérieuse différence ?
La terre
comme un jardin
pour tout le monde
La terre
comme une boule
enfin ronde
une véritable
boule d’amour
Est-ce que
ça peut
sphère ?
Jean-Claude TOUZEIL
in
Cairns n°9
La Pointe Sarène / Gros Textes,
2011
Jean-Pierre SIMÉON
La nuit respire
Cheyne, 1987
Soulève ta douleur
et marche
Tant que cette terre tourne
il reste l’espoir
d’émouvoir les esclaves
qui portent sur leurs épaules
la voûte désaffectée du ciel
Abdellatif LAÂBI
Discours sur la colline arabe
L’Harmattan, 1985
19
Les soirs d'orage
tu tranches d'un regard
les nœuds du ciel
Dans l'odeur des pluies
les ombres se délient
se défont de leur poids de suie
à grands coups d'ailes soudaines
déployant tes envies de voyages
IL PARLE
Il parle avec ses doigts
il parle avec ses mains
il parle avec ses bras
et avec ses épaules
il parle de tout son corps
il parle de tout son cœur
il parle si clairement
que dans tous les pays
qui parlent mille langues
tous les enfants muets
savent bien le comprendre
et tous les enfants sourds
aux mots blessants
du monde
A chacun de tes pas
tu ignores ce que "plus loin"
te réserve d'aventures
Vers quelle nuit tu vas en songe
Tu ne sais si c'est pour toi
que les hirondelles
-aigües de leur vol posent leurs pièges à lumière
pour baliser ta route
Ce que le monde doit te dire
tu sais qu'il te le dira à son heure
Toi
tu marches
et tu ne charges tes épaules
d'aucune question
qui te pèse.
François DAVID
in
Je suis un enfant de partout
Rue du Monde, 2008
Alain BOUDET -inéditLocmaria - 17/08/2002
LA MARELLE
C’est l’heure paisible
Où les enfants s’amusent
Au jeu de la marelle
Leurs éclats de rire montent avec eux
De la terre jusqu’au ciel
Et font un lit d’étoiles où se blottit la terre
André SCHETRITT
Eux autres, moi-je et le monde
Donner à Voir, 2005
20
Il a fait un nœud à la ligne d’horizon
C’est, dit-il, pour ne pas oublier l’imagination.
Robert BOUDET
in
Poèmes tout frais pour les enfants de la dernière pluie
Scandéditions / La Farandole, 1993
Je pose mon poids d’ombre
au bord de la fenêtre
Je fais un nœud de rêve à mes souliers
et je m’en vais
sur un chemin taillé pour moi seule
à coups de crayon noir
au milieu du papier
Brigitte RICHTER
Œuvre poétique
1993
Il marchait
la tête dans les étoiles
mais il gardait les pieds sur terre
pour sentir
à chaque pas
battre le cœur des sources
André ROCHEDY
Descendre au jardin
Cheyne, 1987
Au bout de la route, il y a souvent
un étranger qui te ressemble.
Yvon LE MEN
À l’entrée du jour
Flammarion, 1984
21
Étranger
prends le temps d’aimer l’arbre
accoude-toi à la terre
un cavalier t’apportera de l’eau, du pain
et des olives amères
c’est le goût de la terre et les semences de la mémoire
c’est l’écorce du pays
et la fin de la légende
ces hommes qui passent n’ont pas de terre
et ces femmes usées
attendent leur part d’eau.
Étranger,
laisse la main dans la terre pourpre
ici
il n’est de solitude que dans la pierre
Tahar Ben JELLOUN
in
Poèmes tout frais pour les enfants de la dernière pluie
Scandéditions / La Farandole, 1993
MÉTÉO DU CŒUR
…
se dire aujourd’hui que demain nous irons
c’est comme un défi à notre mort
car c’est bien de cela dont il s’agit n’est-ce pas
non d’y échapper
mais bien de résister à son avance
à cette usure
un peu plus longtemps que possible
et de tenter ce pas
juste un peu plus loin
…
Neige à Moscou.
Gelée à Prague.
Pluie à Paris.
Couvert à Honolulu.
Éclaircies à La Paz.
Soleil à Rio de Janeiro.
Et beau temps fixe
là où l’on m’aime.
Michel MONNEREAU
Le soleil oiseleur
Le dé bleu, 2000
Patrick JOQUEL
Un emploi du temps de chamois
Clarisse, 2008
22
L’HOMME QUI TE RESSEMBLE
J’ai frappé à ta porte
J’ai frappé à ton cœur
pour avoir bon lit
pour avoir bon feu
pourquoi me repousser ?
Ouvre-moi, mon frère… !
Pourquoi me demander
si je suis d’Afrique
si je suis d’Amérique
si je suis d’Europe ?
Ouvre-moi, mon frère… !
Pourquoi me demander
la longueur de mon nez
l’épaisseur de ma bouche
la couleur de ma peau
et le nom de mes dieux ?
Ouvre-moi, mon frère… !
Je ne suis pas un noir
Je ne suis pas un rouge
Je ne suis pas un jaune
Je ne suis pas un blanc
mais je ne suis qu’un homme
Ouvre-moi, mon frère… !
Ouvre-moi ta porte
Ouvre-moi ton cœur
Car je suis un homme
l’homme de tous les temps
l’homme de tous les cieux
l’homme qui te ressemble !...
René PHILOMBÉ
in
Poèmes d’Afrique pour les enfants
Anthologie
Le Cherche-midi
23
LA RONDE AUTOUR DU MONDE
Si toutes les filles du monde voulaient s’donner la main, tout autour de la mer,
elles pourraient faire une ronde.
Si tous les gars du monde voulaient bien êtr’marins, ils f’raient avec leurs
barques un joli pont sur l’onde.
Alors on pourrait faire une ronde autour du monde, si tous les gens du monde
voulaient s’donner la main.
Paul FORT
in
Le Paul Fort
Mango jeunesse, 2002
Si tous les crabes du monde
Voulaient se serrer la pince
De Port Bou à Port-au-Prince
On entendrait dans l’onde
La mer qui grince
La mer qui gronde.
C. CLÉMENT, C. HELLINGS, C. NORAC
La mer
Casterman, 1989
Si toutes les turbines de ton pays
Si tous les barrages de tes vallées
Si toutes les eaux de tes montagnes
Travaillent
Si les écluses de tes canaux
Si tous les quais et tous les fleuves
Charrient ton sang et ta sueur
Si tu construis un monde neuf
Sur le flux de la joie qui chante
Tu es un homme de chez nous
Pierre SEGHERS
Comme une main qui se referme
Bruno Doucey, 2011
24
Le petit écran t’informe
altitude 10000 pieds
vitesse 928 km/h
cap Nord-Ouest 320°
Dehors par le hublot
l'océan blanc des nuages
t’invite
LE MÉHARI DU SAHARA
Le méhari
Du Sahara
Les nuits sans lune ne dort pas.
Inquiet, il vient,
Nerveux, il va,
De dune en dune, pas à pas :
Tu aimerais marcher
sans bruit
sur leurs vagues
À l’oasis
Où tout est noir,
La lune lisse est son miroir.
Flotter
autour de la terre
Patrick JOQUEL
Que sais-tu des rêves du lézard ?
Magnard, 2004
Mes poches craquent de montagnes
Je porte l’océan
le vent et la douceur
la violence des rouges
et le tourment des eaux
La rumeur des courées et le cri des étoiles
me pèsent dans les yeux
Le rire des chevaux et le poids d’une enfance me
retiennent au pays
Je n’irai pas bien loin
Dites à la lumière qu’elle ne m’attende pas.
Arlette CHAUMORCEL
in
L’enfance lucide
anthologie
Unimuse, 1989
Pierre CORAN
Comptines pour que les voyelles s’emmêlent
Casterman, 1989
LES MOTS DE COULEUR
L’herbe a des mots tout verts
qui chuchotent dans l’air.
Le vent a des mots bleus
qui sont parfois houleux.
Le soleil à l’aurore
a des mots rouge et or.
Et les mots se répondent
en repeignant le monde.
Guenrikh SAPGUIR
in
Anthologie de la poésie russe pour enfants
Circé, 2000
25
CHANGER LE MONDE
Changer le monde commence dans ma chambre.
Il faudra bien la ranger.
Changer le monde commence ici,
dans un petit pays.
Je verrai les déserts, les océans ensuite.
Je suis changeur de monde mais je vais à l’école.
Les montagnes et les forêts me remercient de loin.
Changer le monde, j’y passe un de ces temps.
Fermer les centrales, donner plus d’ailes au vent,
parler à une étoile, qu’elle reste au levant,
protester dans la rue, rire partout ailleurs,
changer le monde avant
que se comptent les heures, que je devienne grand.
En fait, ça m’arrangerait
que vous changiez le monde avec moi.
Carl NORAC
D’îles en ailes
Couleur livres, 2012
TOTO
Dis d’où tu viens Toto ?
Je viens par ma mère
de Quito et par mon père de Toronto
j’ai sept frères
et sœurs et un manteau
plein de courants d’air
comme la cordillère et les hauts plateaux
mon père a une grande voiture vert
eau et ma mère cette vieille photo
où son père et sa mère
s’embrassent sur le bateau
qui un hiver
les conduisit de Quito à Toronto
Bernard CHAMBAZ
in
Je suis un enfant de partout
Rue du Monde, 2008
26
PIROGUE
DOUCEUR
Tolli Tolli
Vogue ma pirogue.
Tolli Tolli
Vogue dans l'océan.
Sa voile est une palme,
Un balai lui sert de rame.
Premier mai
Dans les rues
Les manifs
Les enfants
Dans les épaules
Des nuages
Tolli, Tolli
Vogue ma pirogue.
J'irai vers la Chine,
L'Amérique latine et Jérusalem.
J'irai partout dans le monde
Où il faut semer la paix.
Le refus
Dans les poings
Du soleil
Les paroles
Dans les poitrines
Fraternelles
Vogue ma pirogue,
Tolli, Tolli,
Ma pirogue sans haine,
Ma pirogue sans chaîne
Où je voudrais voir
Tous les enfants du monde.
La douceur
Dans l’extrême
Liberté
Mbaye Gana KÉBÉ
in
Poèmes d’Afrique pour les enfants
anthologie
Le Cherche-midi
Jean-Claude TOUZEIL
in
Nous, la multitude
Le Temps des Cerises, 2011
LE BOURLINGUEUR
Il prit sa brosse à dents,
Son sac de faux croco,
Une flûte de Pan,
Un pot d’encre de Chine,
Un pinceau, un stylo
Et du papier machine.
Impatient d’être en l’air,
Il courut ventre à terre,
Jusqu’à l’aéroport.
C’était la grève des transports.
Pierre CORAN, D’îles en ailes, Couleur livres, 2012
27
PARAPLUIE ET PARASOL
QUAND JE PENSE À LA MER
Quand je pense à la mer
C'est à l'eau que je pense, verte et mouvante
Pas au poisson, pas au bateau.
Quand j'écoute la mer
C'est bien l'eau que j'entends, sourde et roulante
Et pas le coquillage et pas le vent.
Quand j'entre dans la mer
Froide et secrète comme un grand abreuvoir
C'est moi le coquillage et le bateau
Et la vague et le vent et l'eau
Et je bois le soleil.
Jacqueline DAOUD
in
Poèmes d’Afrique pour les enfants
anthologie
Le Cherche-midi
E
Un jeune Esquimau sur un Éléphant,
c'est original et c’est amusant,
car l’un vient du froid
et l’autre du chaud.
Mais un éléphant sur un Esquimau,
c'est très dangereux, car ça pèse trop
même si ce n’est qu’un éléphanteau.
Pierre GAMARRA
ABC
Messidor / La Farandole, 1988
Au pays des parapluies
S’en alla un parasol.
Au pays des parasols
S’en alla un parapluie.
Ils se rencontrèrent
Devant la frontière.
— Viens sur ma toupie !
Dit le parapluie
— Entre sur mon sol !
Dit le parasol.
Voilà pourquoi depuis,
Entre soleil et pluie,
La frontière nouvelle
Est un grand arc-en-ciel
Pierre CORAN
D’îles en ailes
Couleur livres, 2012
Y
Sur un Yacht, un Yack s’embarqua
pour aller à Yokohama,
mais sur le pont du Yacht, voilà
qu’une vague le balaya.
Le Yack quitta Yokohama
sur une Yole et s’en alla
chez son papa.
Pierre GAMARRA
ABC
Messidor / La Farandole, 1988
28
DEUX PETITS LAPINS
Deux petits lapins
Quatre pommes de pin
Ont déjeuné à Moscou
Ont soupé à Tombouctou
Sont rentrés coucher chez nous.
Charles CROS
in
Poèmes à dire et à manger
Seuil Jeunesse, 2002
APRÈS LES ANNÉES
« Papa, quand je serai grande,
après les années,
est-ce que j’aurai un cœur grand comme ça ?
— Oui, il va grandir un peu.
— Est-ce que ça veut dire que je pourrai
mettre plus de gens à l’intérieur ?
— Pourquoi dis-tu ça ?
— Parce que moi, j’aime tout le monde. »
Carl NORAC
Petits poèmes pour passer le temps
Didier Jeunesse, 2008
Ta maison et ma maison
C’est le monde
La terre est ronde
Voyagerons-nous dans le même sens ?
DEUX OURSES
Sur la banquise au pôle
Deux ourses
Rigolent.
— Oh, ces étoiles,
Qu’elles sont drôles !
Elles s’appellent comme nous
Mais ressemblent à des casseroles…
Samuel MARCHAK
in
Anthologie de la poésie russe pour enfants
Circé, 2000
PALESTINE II
C’est un jeu d’enfer que ce jet
de pierres
et de grenades
mais j’aurais aimé te lancer mon cœur
dans un jeu d’enfant
Ali El Hadji TAHAR
in
Terres d’Afrique
anthologie
NDZÉ, 2011
J’ai posé le pied sur terre
Sans trop savoir où j’allais
Plein du soleil et du vent
J’ai continué
…
Yvon LE MEN
À l’entrée du jour
Flammarion, 1984
Yvon LE MEN
À l’entrée du jour
Flammarion, 1984
29
Une république de roulottes
de frontières
disparues à l’aube
frontières qu’avec l’ange
de son silence
la nuit a imposées
La marche
est l’alliance de ceux
qui ont tout perdu
De ceux qui rêvent la plaine
de l’autre côté de la mer
et au pied d’une montagne
attendent que le soleil se couche
Myriam MONTOYA
Traces / Huellas
L’Oreille du Loup, 2009
LE JARDIN
Des milliers et des milliers d’années
Ne sauraient suffire
Pour dire
La petite seconde d’éternité
Où tu m’as embrassé
Où je t’ai embrassée
Un matin dans la lumière de l’hiver
Au parc Montsouris à Paris
À Paris
Sur la terre
La terre qui est un astre.
Jacques PRÉVERT
Paroles
Gallimard, 1949
Pour que rien ne s’efface
sous la cendre et la neige
pour que rien ne s’abrège
en chaque instant qui passe
laissons les mots partir
vers de lointains rivages
au bout de leur voyage
c’est là-bas qu’ils doivent fleurir
Thierry PIET
Les jours sans bagages
Écho Optique, 2004
TERRE
Dans ta tombe
J'ai lancé
Une fleur de ton jardin
Trois cailloux de chez nous
Et une poignée de terre
De ton village
Pour que tu retrouves
Ton chemin
Dans l’autre monde
Jean-Claude TOUZEIL
Petits cailloux pour Gita
Écho Optique, 2007
30
DEVINETTES DE PARTOUT
DEVINETTES
1 Quelle main pour recouvrir le monde ?
(ahtna d’Alaska)
2 Qui voyage plus vite que toi ?
( Indiens Arapahos)
3 je suis debout il s’allonge, je m’allonge, il se met debout
(Guadeloupe)
4 Né dans les bois, il vit sur la rivière
(Guarani du Paragay)
5 Elle a traversé la rivière sans se mouiller
(Kabylie)
6 J’ai quitté un pays où je ne peux revenir
(Cameroun)
7 Quatre bouteilles de lait, tête en bas et qui ne coulent pas
(Réunion)
8 Je marche, elle reste
(Turquie)
9 Qu’est-ce qui fait le tour de la maison sans bras ni jambes ?
(France)
10 Pas à toi, pas à moi, à nous tous
(Philippines)
11 Né dans un bosquet de bambous, je me referme l’hiver pour m’ouvrir quand vient l’été
(Vietnam)
12 Que l’on me retire une lettre, deux lettres, trois lettres, je demeure toujours le même
(Seychelles)
RÉPONSES
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
L’obscurité
Tes pensées
Le pied
Le canoë
L’ombre de l’oiseau
L’enfant qui sort du ventre de sa mère
Les pis de la vache
La trace
La clôture
La terre
L’éventail
Le facteur
Jean-Marie HENRY
Devinez-moi ! 185 devinettes-poèmes du monde
Rue du Monde, 2011
31
EXIL
Je pense à ceux qui sont restés
Amis
Parents
ou ennemis
Comme de rudes sentinelles
guettant le feu ou la poussière
par vanité
ou par amour
Je pense à ceux qui sont là-bas
et l'exil est une mangue
qui éclate sous mes dents
doucement comme un baiser
la tendresse d'une sœur
et la chaleur de l'amitié
Je pense à ceux qui sont restés
caresser le soleil levant
ou poursuivre l'ambition
Amis
Parents
ou ennemis
comme des statues de sel
ou des guerriers solennels
des rois ou des mécréants
Je pense à ceux qui sont restés
et que je ne cesse d'aimer.
Élie STÉPHENSON
La conscience du feu
Ibis Rouge, 1996
32
ICI
CITÉ
Ici
qu'ils montent ou descendent
les chemins sont les mêmes
qui conduisent au silence
Plus rien ne plane
par-dessus les haies blanches
plus personne ne tremble
dans le soir des auvents
Demain est un soleil malade
que tirent de longs chalands
dans les canaux gelés
comme les ombres qui me croisent
Où s'éteignent les lampes
demeure un pays creux
où je vais
vieux ramoneur de songes
aux yeux brûlés
Six ans
au quatorzième étage
À la lisière du silence
l'enfant
sur la pointe des pieds
habite un instant de lumière
Et c’est dans le feu du regard
que la feuille au bout du rameau
devient la forêt qu’il espère.
Alain BOUDET
in
Je suis un enfant de partout
Rue du Monde, 2008
par une étoile errante
Hugues RICHARD
in
La poésie suisse romande
Écrits des Forges / Le Castor Astral /
Les Éditions de l'Aire
SIGNE 26
L’âme ouvre ses fenêtres
aux bergeries de l’univers
elle s’abreuve à ses océans
elle ouvre ses portes
au vent des gens de passage
elle offre au corps ses plaisirs
et le corps lui offre
sa vie
Maram Al-MASRI
Par la fontaine de ma bouche
Bruno Doucey, 2011
TU ME GRONDES
parce que j’ai les doigts
de toutes les couleurs
noir-polar
ou jaune-sable des squares
parfois blanc-banquise
ou rouge-révolution
et même bleu-contusion
Tu me grondes
et tu te trompes
mes doigts je les ai trempés
dans l’amitié
des mains
des enfants
du quartier
des enfants
du monde entier
Joël SADELER
in
La cour couleurs
Rue du Monde, 1997
33
Pourquoi les vagues sont-elles dehors ?
Qui a frappé si fort ?
Qui sommes-nous, d'où venons-nous ?
Que faisons-nous sur ce morceau de terre
Au cœur de la mer indienne ?
Que sommes-nous
Peuple mauricien ?
Quelle qualité de peau avons-nous ?
Quelle chair,
Quelle nation, quelle espèce
Sommes-nous dans l'évolution ?
LE CHANT DES HAÏTIENS
Nous ne sommes pas frères
ni mêm’ lointains cousins
de toi je suis si loin
et pourtant je l’entends…
oui, je l’entends ton chant,
le chant des Haïtiens
texte traduit du créole par l'auteur
Khaleel TORABULLY dit KHAL
Kot sa parol là?
Rôde parole
Le Printemps, 1995
Alain-René de NILPERTHUIS
in
Poètes pour Haïti
L’Harmattan , 2010
ULTRA-MARINE
(extrait)
Je suis d’Outre-mer :
de la mer de désespérance
où de Caracas à Guantánamo s’agitent
sur les flots inlassablement
les mains vertes d’une humanité naufragée.
Je suis outre-mer :
de Saint-Domingue à Trinidad
parenthèse verte d’îles américaines
si riches de leur dénuement
et si pauvres de leur richesse.
Et je brave à pleins bras la violence des flots vers le soleil
vers le soleil
vers le soleil
Sonny RUPAIRE
in
Outremer, trois océans en poésie
Bruno Doucey, 2011
34
L’ORANGE
Boris, assis sur un rondin,
Mangeait une orange.
Quartier après quartier.
Nicolas est venu s’asseoir près de lui.
— C’est bon ?
— Très bon ! répond Boris.
— Ah ? soupire Nicolas.
Si j’avais eu une orange,
je l’aurais partagée avec toi.
— Ouais, dit Boris en avalant son dernier quartier
d’orange.
Dommage que tu n’aies pas d’orange !
Oleg ORIGORIEV
in
Hardi hérisson et autres poésies russes
Albin Michel Jeunesse, 2011
EN BRETON…
En breton, pour dire « la jument blanche »,
on dit : « Ar gazeg wenn ».
En arabe, on dit : « El fâras lè bêda ».
En anglais, on dit : « the white mare ».
En esquimau, on ne dit rien parce que chez eux
il n’y a pas de juments blanches.
En espagnol, on dit : « la yegua blanca ».
En flamand, on dit : « de witte merrie ».
Comme vous pouvez le voir, toutes ces juments sont très différentes.
Mais ce sont toutes des juments blanches.
Paul ANDRÉ
in
Enfantaisies
Sous la lime, 2012
35
EN FERMANT LES YEUX
Le long de la mer qui bavarde,
Sur la plage où marquent les pas,
Je rêve à des Îles là-bas,
Avec des oiseaux bleus qui gardent
Des merveilles et des trésors ;
Et des personnages magiques
Dansant sur de douces musiques.
Le long de la mer sur la plage,
Je suis parti sur un nuage,
Je vole vers ces paysages.
LA BOUCHERIE
At number one,
Le boucher découenne.
Al número dos,
Le boucher désosse.
Et au numéro trois,
Le boucher parle chinois.
Si tu veux être du voyage,
Ferme les deux yeux et regarde
En toi l’autre mer qui bavarde,
Et qui te fait voir mon poème ;
Si tu l’aimes.
Alain SERRES
Salade de comptines
Rue du Monde, 2002
Georges JEAN
Écrit sur la page
Gallimard Jeunesse
L’ENFANCE
Mon enfance aux doigts tachés d’encre !
Les cloches au matin.
Le muezzin au crépuscule.
Des collections de vieilles boîtes et de timbres anciens,
L’échange d’un Ceylan
Contre deux Luxembourg.
C’est ainsi qu’il s’en est allé
Le temps de l’enfance.
Il a couru en soulevant de la poussière et des cris
À la poursuite d’une balle en chiffons.
Une balle en chiffons,
De ces chiffons gris de l’Albanie.
Ismaël KADARÉ
in
Chaque enfant est un poème, anthologie
Rue du Monde, 2012
36
LA GRANDE CHANSON
un jour une grande chanson
déferlera sur la planète Terre
avec des mots de toutes les saisons
sucrés et forts de chair de pierre
de ciel de sang de neige et d’or
aux couleurs de toutes les fleurs
des cent nuances de la peau
courant du pôle à l’équateur
avec tous les rayons de la rose des vents
une chanson d’amoureux et d’enfants
à s’embrasser à s’envoler
avec six milliards de couplets
un refrain à battre des ailes
à danser de plaisir
joyeux et vif comme un petit soleil
avec le premier mot universel :
SOURIRE
Armand MONJO
in
On n’aime guère que la paix
anthologie
Rue du Monde, 2003
à Maël, 2 ans
Tu marches au hasard
dans le plaisir de tes pas
un peu à gauche
un peu à droite
dans l’ignorance des boussoles
Ce qui te guide assurément
C'est un petit rêve de plein jour
Tu déambules à l’intérieur.
Alain BOUDET
in
Cairns n° 3
37
LES HIBOUX
Ce sont les mères des hiboux
Qui désiraient chercher les poux
De leurs enfants, leurs petits choux,
En les tenant sur les genoux.
Leurs yeux d’or valent des bijoux
Leur bec est dur comme cailloux,
Ils sont doux comme des joujoux,
Mais aux hiboux, point de genoux.
Votre histoire se passait où ?
Chez les Zoulous ? les Andalous ?
Ou dans la cabane bambou ?
À Moscou ? ou à Tombouctou ?
En Anjou ou dans le Poitou ?
Au Pérou ou chez les Mandchous ?
Hou ! Hou !
Pas du tout, c’était chez les fous !
Robert DESNOS
Chantefables, chantefleurs…
Gründ, 2000
Tout ces longs parcours
et ces fuseaux horaires
et les jambes fatiguées
des corps qu’il faut porter
de monument
en monument
en plus de la gourde
et du sac banane
c’est le prix du voyage
avec pour récompense
la preuve qu’ils sont mieux
tellement mieux
chez eux
que partout ailleurs
François DAVID, Oh ! les Amoureux, Sarbacane, 2006
38
SOURCE RACINE
Quand je parle de mes sœurs
De mes frères
Je dis MON PEUPLE
Je les fonds en un seul
Les confonds
Je les aime si fort
J'en suis jaloux éperdument
Je nous aime mon peuple
Mes sœurs mes frères
De toute la force de ma faiblesse.
Eddy GARNIER
Prolongement de cassure, Dappiyanp bout monyon (créole haïtien)
Écrits des Hautes-Terres / Éditions Paris Méditerranée, 2001
RÊVER
Tourner le dos aux voyages
aux rires des cartes postales
soleil figé
papier glacé
Partir en restant là
peut-être
Retrouver l’enfance en nous-mêmes
libérée
Partir comme Hélice
au pays des merveilles.
Alain BOUDET
Carré de l’hypothalamus
Donner à Voir, 2001
39
WATATI BALALOU
LOIN
Watati Balalou
pati navou déla
Didon, didon,
en quoi tu causes là ?
Japonais, Sardino ?
Amazodoutuvien ?
J’appelle un mien cousin
mangeur de sable fin
qui parle gazouillis
au pays des enfants.
Mais ça ne s’apprend pas.
On l’a su, on l’oublie,
une fois devenu grand.
Ce qui est face à moi
je n’ai pas besoin de le voir
parce qu’il est présent.
On me dit
que j’ai des yeux de rêves,
que j’ai des yeux tristes
que…
que sais-je ?...
Mes yeux sont ici
mais mon regard est loin.
Pef
in
Chaque enfant est un poème
Anthologie
Rue du Monde, 2012
Humberto AK’ABAL
Le gardien de la chute d’eau
L’Harmattan
JE ME SOUVIENS
Je me souviens du village près de l'Escaut,
D'où l'on voyait les grands bateaux
Passer, ainsi qu'on rêve empanaché de vent
Et merveilleux de voiles,
Le soir, en cortège, sous les étoiles.
Je me souviens de la bonne saison;
Des parlottes, l'été, au seuil de la maison
Et du jardin plein de lumière,
Avec des fleurs, devant, et des étangs, derrière;
Je me souviens des plus hauts peupliers,
De la volière et de la vigne en espalier
Et des oiseaux pareils à des flammes solaires.
Émile VERHAEREN
in
Ça rime et ça rame
Anthologie de poètes francophones de Belgique
Labor, 1985
40
Quand je marche
l'univers marche
avec moi
À l’heure déserte
l'infini me traverse
Je suis le pas
dans le pas
Binaire
je tremble
et me divise
Je marche
à ma rencontre
L’univers jaillit
jungle de couleurs
Anne KOLTZ
Chants de refus II
Éditions PHI,1995
Robert J. MAILHOT
D’aube et de torpeur
Écrits des Hautes-Terres, 2001
SOIT
se faire silence
si l’on veut
en soi
s’entendre
envahir son terrain
le mettre quelque temps
en sagesses
en jachères
marcher soit
se tenir debout soit
mais
faire une pause
faire halte en soi
Augustin BARBARA
Inséparantes
Le chat qui tousse, 1998
Un instant seul
abandonné par le vent
je cherche ma terre
Éclat noir d’écume
Je cours ivre d’océan
Ce monde est si neuf
**********
Bercé d’étourneaux
Le canal promène un homme
Quel bleu formidable
**********
Tu ouvres les bras
Le vent t’envole
Et tu planes
Visage au soleil
Patrick JOQUEL
Un bleu formidable
Le chat qui tousse, 2011
Nicolas COTTEN
Titré Haïkus
Les Carnets du Dessert de Lune, 2009
41
Au creux
du chemin
du bout
du monde
la terre
bleue de rien
EXIL
À deux pas
**********
Mes pas
au creux de l’autre
on marche à deux
refait le monde
Pascal ALBERT
Le pied au vert
Écho Optique, 2009
Dans le métro
Les enfants jouent, rient, chantent
Font des signes de la main
Au train d’à côté
Envoient même des baisers
Nous, on a les yeux rivés au sol
Ou dans un livre
Ou sur la ligne à suivre
C’est la même chose
C’est la même chose qu’on veut
Antonello PALUMBO
Carnet d’un poète assis sur l’horizon
Les Carnets du Dessert de Lune, 2005
Je porte en moi
Le lourd mystère
La peine des exclus
À jamais disparus
Dans les plaines de l’Est
Et les forêts glacées
L’oiseau frissonne
Et son chant lancinant
Exhume les traces du passé
Je porte en moi
La chaîne des esclaves
Titubants et transis
Sous le joug récurrent
Des haines séculaires
Je porte en moi
L’incertitude
Sans attaches et sans patrie
Les racines brisées
Par l’absence des morts
Sans sépulture
L’écriture est un naufrage
Où s’écueillent les jours
Les pays désertés
Et les rêves obscurs
Le cheminement perpétuel
De la mémoire en exil
Mireille PODCHLEBNIK
Passeur de sens
En forêt, 2007
42
POÈME POUR CONTINUER SA ROUTE
L’automobile a pétulé
L’automobile a démarré
L’automobile a klaxonné
L’automobile a dépassé
L’automobile a dérapé
a capoté
Elle est cassée !
… Et j’ai appris à pédaler.
Mais le vélo a déraillé !
Et le vélo il a crevé
Il a ripé dans le fossé
… Il est cassé !
Alors j’ai appris à marcher !
Pendant les vacances
je ne t’enverrai pas
de cartes postales
du Mont-Saint-Michel
d’Arcachon
ou de Bastia
mais un puzzle
Comme ça
tu penseras
plus longtemps
à moi
Joël SADELER
Dis, c’est grand comment, la vie ?
Éditions du Jasmin, 2011
Alain BOUDET
Poèmes pour sautijouer
Les Carnets du Dessert de Lune, 2010
AU REFUGE
Le nomade a des attaches élargies
Son territoire est plus vaste
Que celui de nos habitudes sédentaires.
Ici
Nous sommes
En Berbérie
Son chez-lui
De cet infini-ci
À cet infini-là.
Jean FOUCAULT
Voyage en Berbérie
Éditions du Jasmin, 2006
Autour de la table en bois
Y’avait un chef Iroquois
Deux Bretons qui parlaient pas
Trois Chiliens et leur lama
Quatre Suisses en chocolat
Cinq Suédois dans leur sauna
Six Turcs avec de gros bras
Sept Flamands et leurs cabas
Huit Cubains transis de froid
Neuf Italiens un peu las
Dix Chinois en pyjama…
Mais y’avait plus de place pour moi.
Claude BURNEAU
Par monts et par mots
Soc et Foc, 1997
43
LES ANNÉES PASSENT
Je ne comprends plus
La nature du monde
Le tourbillon qui m’emporte
Me fait suffoquer
Je sens que je suis
Au carrefour de plusieurs vérités
Les années passent
Et toujours rien
Je regarde plus loin
Je vois la misère
L’indifférence et la violence
La terre malmenée
Perd de sa saveur
L’intolérance défigure la ville
Les années passent
Et toujours rien
Pourtant je suis faite
Pour me planter dans la terre
Pourtant je suis faite
Pour boire l’eau du ciel
Pourtant je suis faite
Pour toucher l’écorce des arbres
Les années passent
Et toujours rien
Nous retrouverons-nous
À la frontière du monde ?
Nous retrouverons-nous
Pour bâtir enfin
Pierre par pierre
La maison de nos rires d’enfance ?
Les années passent
Les années passent
Véronique TADJO
in
Tout l’espoir n’est pas de trop
Douze voix francophones
Le Temps des Cerises
Ainsi immobile
où vas-tu ?
Tu as jeté le ciel sur tes épaules
et la pluie ne peut rien effacer
de ton envie de voyage
Là-bas sans doute
quelqu'un t’attend
ou quelque chose
Tu ne saurais dire où tu vas
mais tu vas dans tes yeux
Tu fixes un soleil rouge à l’horizon
iris d’un rêve
qui te regarde
Alain BOUDET
Si peu, mais quelques mots
La Renarde Rouge, 2006
C’est comme ça la vie
Un jour après l’autre
Tu salues les fleurs
Tu écris des mots doux
Et parfois tu as mal
Au cœur et à la tête
Mais tu vas au soleil
Un pas après l’autre
Encore un jour, encore une porte
Le monde est fait pour toi
Tu ouvres doucement
Tu te réveilles
Marc BARON
Comme un soleil entre deux pluies
Pluie d’étoiles, 2002
44
Un jour m’a dit la vague
Je partirai
Dans le sillage des bateaux
Je visiterai le monde
Les zoulous et les esquimaux
Les derviches et les navajos
Les mandarins et les gauchos
J’avalerai toutes les images
Je deviendrai la danse de la houle
La vague déferlante
Et le raz de marée
Mais quand je reviendrai
J’emporterai pour seul bagage
Le souvenir de cette plage
Où des enfants jouaient
Jean-Max TIXIER
Petites histoires de la mer
Pluie d’étoiles, 1999
Je me demande si je suis dans la bonne direction.
*******
Je me demande ce que déclarait le douanier Rousseau quand il passait une frontière.
*******
Je me demande où serait arrivé Christophe Colomb si le continent américain n’avait
pas existé.
*******
Je me demande où vont les mouches les jours de grand vent.
*******
Je me demande où va le monde, par quel moyen de transport et à quelle heure on va
arriver.
Pierre BARACHANT
Je me demande
Atelier du Hanneton, 2005
45
D’asile en exil, tu verras bien un jour
avant que la lumière ne déserte
pointer une terre délivrée des cartes,
de la brume et des intempéries,
une terre dont tu seras l’inventeur,
l’habitant de plein soleil, qui sait,
et dont tu célèbreras la douceur
des collines et des prairies.
Arrête et médite
Le chemin danse au soleil
Laisse-toi danser
********
À marée basse, au fil de la nuit,
tu t’en iras, réconcilié avec les ombres
ou les saisons, mais pour quelle odyssée ?
Max ALHAU
D’asile en exil
Voix d’encre, 2007
Sur ma carte Michelin
court, en bottes de sept lieues,
une coccinelle
Jacques FERLAY
Équinoxes et solstices
L’Amourier, 1998
Je sais que les frontières entre deux milieux sont pleines de mystère : ville
et campagne, atmosphère terrestre et milieu interplanétaire, maintenant et
tout à l’heure…
À partir de quand l’un devient l’autre ?
**********
Je sais que je déteste voir les pigeons s’écarter devant moi dans la rue, que
cette manière qu’a l’homme d’occuper tout l’espace est désespérante.
**********
Je sais que j’ai mis longtemps à voir qu’insulter l’autre, c’est avant tout
s’humilier soi-même : par le mépris qu’on s’inspire après coup.
Ita NAGA
Je sais
Cheyne, 2006
46
SANS FRONTIÈRES FIXES
Bienheureux les fleuves
qui n’ont pas de frontières
et bienheureux les vents
qui sautent les murailles ;
ils sont du pays où ils respirent
Bienheureuse la nuit
que partout on accueille
comme une amie de toujours
et bienheureux le chêne
qui partage son hasard
avec le tremble et l’églantier
Ah faites-moi un homme
comme une rivière
comme un vent comme un arbre
jouissant du droit du ciel
citoyen du songe
où son regard se pose
Jean-Pierre SIMÉON
Sans frontières fixes
Cheyne, 2001
MER
Souvent je sens la mer
remonter dans mes veines
en grande douceur.
C’est bon d’être la mer
dont l’âme erre et se perd
tout autour de la terre.
Yves HEURTÉ
Chocolats chauds et autres poèmes à savourer
Milan, 2001
VISION
Dans le regard des autres
Que de solitude
Même si votre chaleur
Me touche
Mon esprit vagabonde
Étrange solitude
Dans laquelle je vis
Aurélie de la SELLE
Sans la miette d’un son
Tarabuste, 2001
47
IN LIMINE
Sur le seuil de ma porte,
J’ai souri
À l’Étoile du Matin,
Au lys de la vallée,
À la première hirondelle,
Aux feuilles mortes.
Sur le seuil de ma porte,
J’ai cueilli
Le vent froid du nord,
Des étincelles de neige,
Un croissant de lune,
Le cri du coyote.
Sur le seuil de ma porte,
J’ai mûri,
En ramassant mes souvenirs,
Le soleil, lentement, a reculé,
Debout, face au jour qui meurt,
J’ai franchi en souriant,
Le seuil de ma porte.
Lorraine DIOTTE
in
La poésie acadienne
Perce-Neige / Les Écrits des Forges, 1999
Laissez-moi retrouver
Mes racines mes sources
Mes marées et mes fêtes
J’ai perdu le feu qui me faisait marcher
Jean ZIMMERMANN
Car j’ai affaire en ce pays
fédérop, 2000
48
WALDEN PONT
EN MARCHANT VERS LE MONT
TREMBLANT
à Henry Miller
à Gaston Miron
Les oies sauvages de l’Ontario
ne s’arrêtent pas sur l’étang gelé.
Elles croisent au-dessus de Concord
le cou tendu vers de plus douces terres,
ignorant la cabane du sage
qui du seuil les regardait passer.
Frédéric-Jacques TEMPLE
Poèmes américains
Jacques Brémond, 1993
Je suis lac, je mélèze,
je raquette, je harfange,
je portage, j’épinette
Je boucane, je castore,
je saumone, je trainaude,
j’omble, je truite, j’ourse,
j’orignale, je mirone,
je hurone, je rondine,
j’érablise, je québèque,
le cœur en fête, je marche :
là est le Sud, aussi.
FABLE
Le zébubus
Transportait
Noirs et Blancs
Indifféremment
Il croisa
Un crocomobile
Qui en faisait
Tout autant
Et l’éléphanfare
Se mit à chanter
Que le monde
Était bien fait
Maintenant
Joël SADELER
Poèmes pour ma dent creuse
À Cœur Joie, 1986
Frédéric-Jacques TEMPLE
Poèmes américains
Jacques Brémond, 1993
Être
le marcheur attentif
patient à démêler
dans la toile du jour
les éclats laissés
par la chute des étoiles.
Christine BILLARD
Ronces de douleurs
La Renarde Rouge, 2007
49
LE COSMONAUTE ET SON HÔTE
Sur une planète inconnue,
un cosmonaute rencontra
un étrange animal ; il avait le poil ras,
une tête trois fois cornue,
trois yeux, trois pattes et trois bras !
— Est-il vilain, pensa le cosmonaute
en s’approchant prudemment de son hôte.
Son teint a la couleur d’une vieille échalote,
son nez a l’air d’une carotte.
Est-ce un ruminant ? Un rongeur ?
Soudain, une vive rougeur
colora plus encor le visage tricorne.
Une surprise sans bornes
fit chavirer ses trois yeux.
— Quoi ! Rêvé-je ? dit-il D’où nous vient, justes cieux,
ce personnage si bizarre sans crier gare ?
Il n’a que deux mains et deux pieds,
il n’est pas tout à fait entier.
Regardez comme il a l’air bête,
il n’a que deux yeux dans la tête !
Sans cornes, comme il a l’air sot !
C’était du voyageur arrivé de la terre
Que parlait l’être planétaire.
Se croyant seul parfait et digne du pinceau,
il trouvait au Terrien un bien vilain museau !
Nous croyons trop souvent que, seule, notre tête
est de toutes la plus parfaite.
Pierre GAMARRA
in
Le fabuleux fablier
Rue du Monde, 2001
50
RONDE DU MONDE ENTIER
Comptine pour tous les enfants,
les Italiens, les Abyssins,
les Russes et les Anglais,
les Américains, les Français…
Enfants noirs comme le charbon,
enfants rouges comme la brique,
enfants jaunes des rues de Pékin
où c’est le soir quand vient notre matin,
pour les enfants du cœur des glaces
qui dorment sous un tas d’étoffes,
pour les enfants de la forêt
où les singes font sans cesse la fête,
pour les enfants de là-bas, d’à côté,
de la campagne ou des cités,
pour les enfants du monde entier
qui font ensemble une grande ronde
en se tenant tous par la main,
par-delà les parallèles,
par-delà les méridiens.
Gianni RODARI
De la terre et du ciel
Rue du Monde, 2010
Je mènerai mon enfant
Partout où je n’ai pas été.
Avec lui sur du marbre blanc,
Dans des palais d’Orient
Je rirai aux gens de couleur.
Et aussi sous le soleil clair
Qui éclaire toute la terre
Pour ceux qui n’ont jamais pu faire
Tout ce que j’ai fait,
Pour ceux qui n’ont pas vu
Tout ce que j’ai vu.
Paul ÉLUARD
in
Premiers poèmes pour toute ma vie
Milan Jeunesse, 2003
51
MON RÊVE
Mon rêve
serait de me réveiller un matin
voir le bleu du ciel
non le rouge des terres
croiser un sourire
sans traces de soupirs
Mon rêve
serait qu’un jour
en marchant je lève les yeux au ciel
sans avoir peur de le rejoindre
ce serait voir le fil du temps s’allonger
sans vouloir l’arrêter
Mon rêve
Serait qu’un jour
Toutes les couleurs se ressemblent
Ahmed Miloud HOUGGANA
Pays de paradoxes
Art et culture, 2001
CHEMINEMENT
Je ne parle pas de labyrinthes.
Jamais je ne les ai connus.
J’ai cherché à marcher en ligne droite.
Parfois, comme tout poète,
j'ai pris une barque de nuages.
Et je suis arrivé à tout et à rien.
Marche
J’ai marché J’ai marché J’ai marché.
J’ai marché J’ai marché J’ai marché.
Tant !
qu’aujourd’hui je m’assois sur ce banc
sans savoir si je suis arrivé.
Artur Eduardo BENEVIDES
in
Poésie du Nordeste du Brésil
Cahiers bleus, 2002
52
Dans une pêche rose,
les cercles concentriques
du cosmos.
Minako TSUJI
Des oies sauvages
partent vers les bras protecteurs
du soleil et de la mer.
Midorijo ABÉ
Le fil se détend.
Maintenant, le cerf-volant
Est une portion du ciel.
Miyoko HASHIMOTO
Dans l’avion,
je décolle pour l’envers
du ciel bleu d’hiver.
Monoko KURADA
in
Du rouge aux lèvres
haïjins japonaises
La Table Ronde, 2008
J’ai toujours la nostalgie du lointain
mais lorsque j’ai atteint ce lointain
le proche est de nouveau trop vaste.
Peter SANDELIN
in
Poésie de Finlande
Le Temps Parallèle, 1989
53
Je t’apporte le poème
cette toute petite maison de nuage blanc
où tu peux te chauffer en rentrant
ou être seul avec toi-même.
Ici on ne met pas la table
avec des couverts d’argent.
Ici on n’a pas déroulé le tapis rouge.
Mais je ne veux pas
que tu passes
la nuit
sans un abri.
Janina DEGUTYTÉ
in
Vingt poètes lituaniens d’aujourd’hui
Éditions du Petit Véhicule, 1997
LE PINGOUIN
Sur ton glaçon à la dérive
tes rêves sont l’argent et l’or
des tempêtes que tu esquives
la nuit est ton dernier trésor
Tu as perdu le sablier
la carte des pays lointains
la clarté des lacs oubliés
la poudre de perlimpingouin
Gérard BIALESTOWSKI
La pieuvre bricole et autres poèmes
Milan, 2000
54
GIBRALTAR
Ceux-là ne vont pas à la mer
pour la mer
pas pour nouer leurs rires
à la gerbe des vagues
pas pour cuire leur sommeil
sur le sable
ils sont devant la mer
debout sous la nuit sans étoiles
comme devant l’abîme
derrière eux la terre qu’ils aiment
harassée
dépourvue
où il n’y a de choix
qu’entre la mort et la mort
devant eux rien la mer immense
un abîme à franchir
comme on doit bien franchir le désespoir
ils savent que leur barque
est plus fragile qu’un rêve
ils savent
que là-bas peut-être à l’autre bout du vide
la mer recrachera leur corps
sur le sable froid
ils savent
debout devant la mer
Jean-Pierre SIMÉON
Ici
Cheyne, 2009
55
49ème VERSET
La révolte
Au fond de moi
Et j’imagine un monde
Où le crime cèdera
La place à l’amour
Je suis un rêveur
Vous savez
Je crois qu’un jour
La vie sera belle
Je crois que les frontières
Tomberont
Que les hommes vivront
En frères
Je crois que le monde
Vivra de chansons
Et de poésie
Ah je rêve trop !
Lochard NOËL
in
Anthologie de la littérature haïtienne
Mémoire d’encrier, 2003
CAMÉLÉON
Caméléon, prête-moi ta robe verte
Pour cueillir l’herbe des prairies.
Prête-moi ta robe grise
Pour pêcher au fond de l’eau,
Prête-moi ta robe bleue
Pour prendre un pan du ciel.
Prête-moi ta robe rouge
Couleur de feu,
Donne-moi ta robe jaune
Couleur de moisson,
C’est elle la plus jolie.
Fatou NDIAYE SOW
in
Le français est un poème qui voyage
anthologie de poèmes francophones
Rue du Monde, 2006
56
De rapides nuages filent
vers le sud, me laissant
à mes solitudes
Jacques CANUT
Oiseau migrateur survolant le visage
Le village aussi
Est de passage
Thierry CAZALS
Accroché au ciel
le moulin à vent jamais
n’a pu s’envoler
Paule DOMENECK
Si vaste le ciel
si vaste le Saint-Laurent
d’un bleu à l’autre
Sylvie LANGLOIS
Du côté du nord
L’impatience des talus
En manque de neige
Jean-Claude TOUZEIL
in
Chevaucher la lune
Anthologie du haïku contemporain en français
David, 2001
57
PETIT-GRAIN-DE-RIZ
Ils m’appellent
Petit-grain-de-riz
J’ai la peau jaune ils disent
oui jaune comme la fleur
qui a bu tous les soleils de l’été
J’ai les yeux bridés ils disent
oui bridés comme ceux du chat
qui voit plus loin que la nuit
J’ai un chapeau pointu ils disent
oui pointu comme des mains jointes
pour faire bonjour merci et bienvenue
Je suis un enfant d’Asie ils disent
oui d’Asie ou de hasard
d’Asie ou pas
d’ici ou là
comme on est tous grands ou petits
un petit grain du grand bol de riz
Jean-Pierre SIMÉON
in
Je suis un enfant de partout
Rue du Monde, 2008
Tu suis des yeux
la flèche rouge de ta boussole
Loin là-bas
au-delà de la montagne
un éléphant de mer t’attend
Tu vois
tu n’es pas seul au monde
Patrick JOQUEL
Le bruit d’un brin de bambou que brise un
panda ébrèche l’unibers
Gros Textes
58
BOUSSOLE
Midi
montre le Nord
Trois heures
indiquent l’Est
Six heures
pointent le Sud
Neuf heures
précisent l’Ouest
Et l’aiguille des secondes,
modeste trotteuse,
en une seule minute,
vous fait le tour du monde.
PEF
Poëtic-Tac
Lo Païs, 1994
NAÎTRE PLUS LOIN
J’entrevois d’autres cités
D’autres espaces
D’autres rivages
J’aimerai franchir le temps
Naître plus loin
Rallier l’avenir
J’imagine d’autres chimères
D’autres désirs
D’autres langages
J’aime dérouter les ans
Vivre plus loin
Ressurgir
Andrée CHÉDID
Naître plus loin
Lo Païs, 1997
PALMIER
Le palmier
du Gué *
quel voyageur
exotique
est venu
le planter là
en terre
inhospitalière
l’hiver
il faut
l’emmailloter
bandes
molletières
pour un soldat
du froid
il souffre
dans ses feuilles pennées
dan son tronc hérissé
dans son cœur d’exilé
et même l’été
il reste
palmier
pelé
en peine
de degrés.
* le Gué de Launay, hameau de la Sarthe où l’auteur a passé son enfance
Joël SADELER
Trente-six chants d’arbres
Lo Païs, 2000
59
LA LUNE DE KIEV
Qui sait si la lune
de Kiev
est aussi belle
que la lune de Rome,
qui sait si elle est la même
ou plutôt sa sœur…
« Je suis unique
et partout la même,
proteste la lune,
je ne suis pas
qu’un bonnet de nuit
posé sur ta tête.
Quand je voyage ici,
je répands la lumière
en veux-tu en voilà,
par ici et par là,
depuis l’Inde jusqu’au Pérou,
du Tibre à la Mer Morte.
Et mes rayons voyagent
du pôle Sud au pôle Nord
sans aucun passeport. »
Gianni RODARI
De la terre et du ciel
Rue du Monde, 2010
Un tout petit secret
fait le tour de la terre
il traverse les murs
les collines les rivières
jusqu’aux oreilles d’Arthur
c’est mon secret voyageur
qui cherche ton petit cœur
Françoise LISON-LEROY
Les bretelles du crayon
LoPaïs / Éditions du Rocher, 2004
60
UN RÊVE
Si tous les mots du monde
voulaient se donner la main
peut-être qu’il y aurait moins de maux
à la fin.
François DAVID
Les croqueurs de mots
Lo Païs / Éditions du Rocher, 2004
LE POÈTE
Jamais jamais je ne pourrai dormir tranquille
aussi longtemps
que d’autres n’auront pas le sommeil et l’abri
ni jamais vivre de bon cœur
tant qu’il faudra que d’autres
meurent qui ne savent pas pourquoi
J’ai mal au cœur mal à la terre mal au présent
Le poète n’est pas celui qui dit
Je n’y suis pour personne
Le poète dit J’y suis pour tout le monde
Ne frappez pas avant d’entrer
Vous êtes déjà là
Qui vous frappe me frappe
J’en vois de toutes les couleurs
J’y suis pour tout le monde
Claude ROY
in
Paroles des poètes d’aujourd’hui
Albin Michel, 1997
61
Ne cherche pas l’ailleurs
Dans l’ailleurs
Mais tout près
Tout près d’ici
Frère Bernard PERROY
Cœur à cœur
Al Manar, 2006
Je vous écris parce que vous êtes loin, là-bas, de l’autre côté des prairies,
des collines, de l’autre côté des montagnes, de l’autre côté du vent, de
l’autre côté de l’horizon, là-bas, plus loin que les nuages qui déferlent
jusqu’au fond de mon silence.
…
Je vous vois cependant, là-bas, dans vos villes ou vos villages, de l’autre
côté de l’horizon
Dans les lumières d’un autre ciel, dans la lumière, peut-être de l’espoir, je
ne sais, enfin, dans votre vie.
Et c’est à vous que j’écris parce que vous êtes loin
Et que le soir revient et puis voici la nuit qui tourne et vire et erre
Comme moi qui erre, vire, tourne
Sans plus savoir le sens des mots le sens des choses
Et qui suis-je donc au bord du soir qui pleure ?
Jean ZIMMERMANN
Car j’ai affaire en ce pays
Fédérop, 2000
Les cerfs-volants
soudainement
ont coupé leurs fils
envolés migrateurs
aux rives de soleil.
J’attends qu’ils reviennent
François DAVID
Pommes de pin
Lo Païs / Éditions du Rocher, 2004
62
LE VOYAGEUR
De Paris à Bruxelles
Par ailes d’hirondelle
Et à dos de chameau,
Bruxelles-Concarneau,
Concarneau-Alicante
Sur une pie qui chante,
Alicante-Amsterdam
Sur un hippopotame,
Sur un rhinocéros,
Amsterdam-Saragosse
Et en catamaran
De Lisbonne au Liban,
À pied ou à moteur,
De Madrid à Madère,
Je suis le voyageur
Des rêves sans frontières.
Pierre CORAN
J’y suis, j’y rêve
Lo Païs / Éditions du Rocher, 2004
LE COQUILLAGE
Sur la plage
un enfant noir m’a dit « il est à toi ce coquillage ? »
« Pas à moi, à tous, à toi si tu veux. »
Heureux
il s’est enfui serrant son trésor, dans un au revoir.
Michelle DAUFRESNE
Envol
Lo Païs, 2000
63
EXCEPTION
Tous parviennent à destination
Le fleuve, le train
La voix, le navire
La lumière, les lettres
Le télégramme de condoléances
L’invitation au dîner
La valise diplomatique
Le vaisseau spatial
Tous parviennent à destination
Sauf… mes pas vers mon pays
Mourid Al-BARGHOUTI
in
Anthologie de la poésie palestinienne contemporaine
Le Temps des Cerises / Maison de Poésie Rhône-Alpes
Enfant d’Afrique
mon p’tit copain
as-tu du mil
as-tu du pain ?
Enfant d’Asie
aux yeux noisette
le p’tit copain
de ma planète
as-tu du riz
dans ton assiette ?
Xavier BOUGUENEC
Y’a plus d’enfants !
Soc et Foc, 2006
Petit gars
d’où vient ton chocolat
d’où vient ton tapioca
d’où viennent tes bananes
petit gars ?
Connais-tu la savane
les déserts, les forêts
les banquises ?
C’est sous ton ciel, tout ça,
petit gars
Xavier BOUGUENEC
Y’a plus d’enfants !
Soc et Foc, 2006
64
TEMPLE DU SOMMET
Temple du sommet, la nuit :
Lever la main et caresser les étoiles.
Mais chut ! baissons la voix :
Ne réveillons pas les habitants du ciel.
LI PO
in
Poésie chinoise
Albin Michel, 2001
Nuage
dis-moi encore les belles soirées d’été
le vent doux des genêts
les pétales au fond de la gorge
le duvet dans les yeux
les fruits sucrés du temps
Dis-moi les pays traversés
le chant des oiseaux des îles
Dis-moi les oies sauvages
qui passent dans mon cœur
et partent vers le sud
LA FLAMME
Petits enfants de la terre,
il faut apprendre à rêver
pour que brûle sur vos paupières
une flamme en liberté :
oiseau de feu, de clarté
qui s’envole, enchante l’air
et fait le tour de la terre.
Michel COSEM
Voyages d’hirondelles
Pluie d’étoiles, 2004
Jean JOUBERT
La maison du poète
Pluie d’étoiles, 1999
Nous irons ensemble
dans les galaxies bleues
dans les soleils de la magie
dans les grands bras de la fraternité
Nous planterons des champs de blé
et ferons danser les lacs et les cascades
Nous mélangerons les colombes
Michel COSEM, Lisières futiles et rieuses, Lo Païs, 2000
65
MONSIEUR TOUT LE MONDE
Monsieur Tout le Monde
ne sourit pas
à n’importe qui.
N’importe qui
c’est un peu moi
Quand je croise Monsieur Tout le Monde.
Je dis : bonjour ! Je crie : ça va ?
Monsieur Tout le Monde
Dans l’escalier
Ne me voit pas.
Un jour, je lui dirai
que même
si je ne suis pas d’ici,
mes dents, comme les siennes,
sont blanches quand je souris.
Carl NORAC
Petites grimaces et grands sourires
Lo Païs / Éditions du Rocher, 2006
Le chat poursuit la souris
Le tigre la gazelle
La mangouste le cobra
Et le chasseur le lièvre affolé
Partout pareil
Sur toute la terre
Les bêtes poursuivent d’autres bêtes
François DAVID
Le calumet de la paix
Lo Païs, 2002
66
MONSIEUR Z
— Enfin seul !
dit Monsieur Z
en enfermant dehors
le monde entier, à double tour.
Il tira même le verrou.
Il alluma la lumière,
il alluma la télévision,
il s’installa dans son fauteuil,
et du téléviseur
le monde se répandit
sur le plancher,
remplit la pièce, les meubles, les tiroirs.
Mais Monsieur Z dormait
et ne vit rien du tout.
Gianni RODARI
La tête du clou
Lo Païs, 1996
Nous crions de colère
de dégoût
de détresse
Et puis nous nous taisons
par habitude
ou par paresse
Le vent
mieux que nos voix
bouleverse le monde.
Alain BOUDET
Ici là, sur le rivage
La Renarde Rouge, 2010
67
CE QUE DIT LE TAM-TAM
Ce que dit le tam-tam
Est au fond de mon cœur
Le tam-tam chante
L’arrivée de la pluie
Le tam-tam chante
Le passage des perroquets
Le tam-tam chante
Le départ des combattants
Le tam-tam chante
La naissance des jumeaux
Ce que dit le tam-tam
Est au fond de mon cœur
Le tam-tam chante
La fleur qui naît et meurt
Sans bruit
Le tam-tam chante
L’aube des temps nouveaux
Le tam-tam chante
La terre nourrissante
Le tam-tam chante
Le ciel fleuri d’étoiles
Ce que dit le tam-tam
Est au fond de mon cœur
Le tam-tam chante
La solitude de l’exilé
Le tam-tam chante
Le lever du soleil
Le tam-tam chante
La vie qui s’ouvre à l’enfance
Le tam-tam chante
Ce que dit mon cœur
Tout bas tout bas.
Pierre-Edgar MOUNDJEGOU MANGANGUE
in
Le français est un poème qui voyage
anthologie de poèmes francophones
Rue du Monde, 2006
68
Perché sur ton planisphère
tu éblouis d’imaginaire
un ou deux lampadaires
ils écoutent alors
les degrés de ta boussole
et toi
pour mieux savourer tes trésors
tu fermes les yeux
tu t’en vas frotter la terre des Amériques
Patrick JOQUEL
Perché sur ton planisphère
Lo Païs, 2001
Allonnes, La Suze, Douarnenez
Juillet-septembre 2012
69