des jeunes et des vieux - Institut de l`entreprise

Transcription

des jeunes et des vieux - Institut de l`entreprise
Introduction
Des jeunes et des vieux
Jean-Marc Daniel
D
éjà au IVe siècle avant JésusChrist, dans son célèbre
Panégyrique d’Athènes, l’orateur
Isocrate se plaignait d’une jeunesse dissolue, ayant perdu ses repères et ne sachant
que se plaindre de ses aînés. Cela fait donc
longtemps que la jeunesse désespère les
anciens, mais aussi que symétriquement elle
est persuadée, pour reprendre la formule
de Musset, d’être venue « trop tard dans un
monde trop vieux ».
Le monde a changé
Pourtant, on ne peut écarter le problème
des rapports entre les différentes générations d’un revers de main en disant que
rien ne change et que les conflits de générations sont une constante de l’histoire
humaine. La situation actuelle a en effet ses
spécificités. La première est le formidable
allongement de l’espérance de vie, qui fait
se côtoyer de plus en plus de générations :
il n’est désormais plus rare de connaître
ses arrière-grands-parents. La deuxième est
le ralentissement de la croissance, qui rend
les transferts entre groupes sociaux, mais
aussi entre générations plus douloureux
pour ceux qui sont ponctionnés, et donc
in fine plus contestés. La troisième est liée
également à ce ralentissement. En effet, s’est
installé du fait de cette croissance atone un
chômage de masse durable qui frappe en
priorité les jeunes. Pour essayer de répondre
à ce manque d’expansion, les États occidentaux se sont engagés dans des politiques
systématiques de déficit budgétaire, provoquant une accumulation significative de dette
publique qui perturbe la répartition future
des revenus. C’est là la quatrième spécificité
de la situation. La cinquième est la rapidité
des mutations de l’appareil productif, qui fait
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La guerre des générations n’aura pas lieu
que non seulement la génération montante
n’aura pas le même métier que ses parents,
mais encore elle va devoir fournir en permanence un effort d’adaptation personnel et
de formation professionnelle pour rester en
phase avec l’évolution économique.
Au-delà des apparences
Ces spécificités constituent-elles pour autant
un facteur de « guerre des générations » ? Si
c’est l’intuition qui se dégage à la lecture de
l’analyse de Mickaël Mangot, qui insiste sur le
problème de la dette publique et des charges
de remboursement qu’elle fera porter sur la
jeunesse en passe de devenir contribuable,
pour Pierre-Henri Tavoillot, cette guerre
ne semble, à bien des égards, qu’un poncif
populaire mais infondé. Il n’y a ni guerre ni
indifférence entre les générations. Il y a des
mécanismes divers de transferts, et de solidarité. En outre, s’il est toujours possible de
faire le bilan de la génération qui s’apprête
à quitter la vie, il est difficile de tirer des
conclusions définitives sur le destin de celle
qui prend la sienne en main. Les soixantehuitards, qui sont montrés du doigt pour
leurs retraites élevées et la facilité apparente qui leur a été donnée de trouver un
emploi, ont commencé leur vie avec des
tickets d’alimentation dans un monde de
pénurie. La génération née dans les années
1920, qui vit son sort s’améliorer de façon si
spectaculaire pendant les Trente Glorieuses,
a vu aussi certains de ses membres emportés par la canicule de 2003 et connaître une
étrangement sinistre fin, dans la solitude et
l’abandon.
Préparer l’avenir, toujours
Revenons à la dette publique, souvent présentée comme un fardeau laissé par la génération
ancienne sur le dos de la génération future.
Cette présentation qui passe pour une évidence n’a pas toujours été la pensée dominante. La dette n’a pas toujours eu ce statut
de fléau imposé à la jeunesse et a même
été vécue à certaines époques comme une
aubaine. Ainsi, bien avant les enthousiasmes
fallacieux du keynésianisme pour la dette, au
XVIIIe siècle, en 1785 plus précisément, parut
un livre appelé à devenir un best-seller. Son
titre était le Testament de M. Fortuné Ricard,
maître d’arithmétique à D**�. Et que disait ce
livre ? Que la meilleure chose que puisse
laisser une génération à une autre est de la
dette publique ! L’époque venait de découvrir
l’exponentielle et les charmes des intérêts
composés. Et Fortuné Ricard annonçait à ses
fils que, grâce à la dette publique, ils seraient
associés à la croissance du pays sans avoir
à fournir un quelconque effort. En effet, les
cent livres qu’il léguait à chacun sous forme
de titres de dette deviendraient en un siècle
13 100 livres ! Pour Fortuné Ricard, grâce à
la dette publique, une partie de la population
hérite de ses parents la possibilité de vivre de
ses rentes, à l’instar de la noblesse de l’époque.
Et, de fait, si la dette est un fardeau pour ceux
qui en paient les intérêts, elle est une source
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de revenus pour ceux qui les reçoivent. Et en
général les deux groupes appartiennent à la
même génération.
La démographie joue un rôle déterminant
dans l’économie et, au-delà, dans la vie des
sociétés. L’Allemagne vieillissante est obligée
de dégager un surplus d’épargne, comme
naguère le Japon, dont la traduction la plus
évidente est l’excédent de ses comptes courants. Se focaliser sur sa compétitivité n’a
guère de sens car, au travers de son excédent extérieur, son enjeu est de réaliser
les placements dont les revenus paieront
ses retraites à venir. Il en va de même de
la Chine, et la carte des balances des paiements est moins une carte des coûts salariaux qu’une carte des pyramides des âges.
Ces pyramides des âges sont donc une clé
de lecture indispensable à la compréhension
de notre monde. Mais cette clé doit s’utiliser
moins pour ouvrir comme dans l’Antiquité
les portes du temple de Janus que pour
ouvrir celles du temple de la raison, la raison
économique s’entend.
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