LE «PROBLEME DES FEMMES

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LE «PROBLEME DES FEMMES
LE «PROBLEME DES FEMMES»
DANS LA NOUVELLE JEUNESSE
1915-1922
Francesca Cini
Introduction
«Le processus de réalisation d'une vie indépendante
pour les femmes commence avec la naissance de Xin
Qingnian et le mouvement du 4 mai en est une des
périodes-clé.» (1)
Même si, à la lumière des multiples études effectuées
à ce jour sur la libération des femmes chinoises (2),
cette affirmation de Chen Dongyuan est en partie
discutable, nul ne peut contester le rôle fondamental de
Xin qingnian et de ses animateurs dans le processus
auquel il est fait allusion (3).
C'est à un moment où la Chine traverse une période
d'incertitude, où elle peut voir, sous la présidence de
Yuan Shikai, s'achever le naufrage de la Révolution du
1911, que Chen Duxiu (4) crée la revue pour adjurer les
jeunes de ne pas se laisser emporter par la décadence
des mœurs de leur époque, d'abandonner tout intérêt pour
la politique traditionnelle, et de rechercher les causes
profondes de la défaite de la République. Née en 1915 à
Shanghai malgré la sévérité des lois qui limitent la
liberté de la presse, Xin qingnian s'impose tout de suite
au public et le premier numéro est vendu à 200 000
exemplaires. Dirigée pendant trois ans par le seul Chen
Duxiu, la revue se fait remarquer par l'audace de ses
propos, par la variété et la richesse des thèmes abordés.
Le «problème des femmes» va vite devenir l'un des
principaux.
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Parmi les collaborateurs de la revue, nombreux sont
les jeunes qui ont fait leurs études à l'étranger, ce qui
explique pour une part la grande ouverture de Xin
qingnian sur la culture occidentale. De nombreuses œuvres
sont traduites, et quelquefois publiées avec le texte
original en regard. C'est d'ailleurs aux Etats-Unis que
s'engage la discussion qui aboutira au plus grand succès
de Xin qingnian : celle qui concerne la réforme de la
langue chinoise. En effet le remplacement du wenyan
(langue classique) par le baihua (langue parlée) dans les
textes littéraires est d'abord discuté, puis expérimenté
dans la composition de poèmes et de romans, par u n
groupe d'étudiants chinois de l'université Columbia à New
York. Parmi eux Chen Hengzhi, première femme professeur d'université chinoise, et seule femme, à partir de
1918, à collaborer régulièrement à Xin qingnian.
Née dans une famille de magistrats où, déjà, sa mère
et sa grand-mère avaient reçu un minimum d'éducation,
Chen est élevée par des oncles maternels qui lui apprennent à suivre l'exemple des femmes occidentales
libres et indépendantes. Après avoir étudié dans des
écoles privées et avoir refusé le mariage arrangé par son
père, elle p a r t pour les Etats-Unis avec une des deux
premières bourses d'études attribuées en Chine à des
femmes. Elle y fait la connaissance de Hu Shi (5) et de
Ren Hongzhun, son futur mari, et commence avec eux à
utiliser le baihua pour écrire des poèmes et des nouvelles
qu'en 1918 elle envoie à Xin qingnian. Ecrivain, poétesse,
journaliste et professeur, elle ne s'est jamais occupée
dans ses œuvres du «problème des femmes», et elle est
l'une des rares femmes écrivains de son époque à ne pas
avoir écrit de roman autobiographique ou intimiste (6).
Xin qingnian et le problème des femmes
C'est à cette époque que l'expression «problème des
femmes» (funù wenti, traduisible aussi par «question
LES FEMMES DANS LA NOUVELLE JEUNESSE
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féminine») commence à se répandre en Chine, du moins
dans les milieux urbains, et que les revues consacrées au
sujet se multiplient (7). De nombreuses publications
d'intérêt général lui consacrent articles, rubriques et
numéros spéciaux - et parmi elles, Xin qingnian.
Deux grandes catégories thématiques s'y trouvent
groupées sous cette étiquette. D'une part, les valeurs
négatives qu'il convient de critiquer : la chasteté, le
suicide, le concubinage, l'ignorance érigée en vertu
féminine, le confinement des femmes à la maison, les
mariages arrangés et la dépendance économique des
femmes. D'autre part, les éléments qu'il faut encourager :
la liberté de choix en amour, l'égalité dans les jugements
moraux portés sur hommes et femmes, l'égalité des droits
politiques, des possibilités de travail et d'étude, la
monogamie, la liberté de divorce, l'éducation publique des
enfants, le droit de la femme à l'héritage... Il est
également fréquent que ces points de vue soient pris en
considération dans des articles généraux sur le confucianisme, la famille, les problèmes des jeunes, des ouvriers,
et même les problèmes de langue (8)!
La revue sert à la fois de porte-parole et de guide
spirituel pour les protagonistes des événements politiques
et culturels de l'époque; elle constitue donc un facteur
essentiel dans l'histoire du mouvement des femmes,
considéré dans le contexte plus vaste du mouvement du 4
mai. Nous verrons en effet que le développement du
débat dans Xin qingnian anticipe en quelque sorte sur
l'évolution du mouvement féministe proprement dit,
passant comme ce dernier, mais avec une légère avance
dans le temps, d'une approche romantique et individualiste à une approche plus matérialiste et collectiviste, sur
laquelle s'exercera l'influence marxiste.
C'est pendant cette phase d'épanouissement et
d'ouverture de la société chinoise que le mouvement des
femmes atteindra son sommet. Pour la première fois l'on
va voir des Chinoises participer en masse à un mouve-
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ment politique, créer leurs propres revues et leurs
propres associations, exiger, et parfois obtenir, le droit
de voter et d'être élues; elles réclament en outre la
possibilité de recevoir la même éducation et d'exercer les
mêmes emplois que les hommes, et d'aimer librement dans
ou en dehors de l'institution du mariage. La plupart de
ces revendications ne sont pas nouvelles (9), mais
nouvelle est la façon de les présenter en soulignant
l'aspect psychologique des problèmes, en m o n t r a n t
comment les limitations subies par les femmes dans leur
vie privée, tout a u t a n t que leur mise à l'écart de la vie
publique, rendent impossible le développement de
personnalités autonomes et indépendantes. Cette attitude
nouvelle découle pour une p a r t des discussions menées
dans Xin qingnian, qui a ainsi fourni, sans que ce fût
toujours son objectif délibéré, des points de repère au
mouvement des femmes. Et, de même que les idées
exprimées dans Xin qingnian finiront par s'aligner sur des
principes marxistes imposant avec rigidité le sacrifice de
la liberté individuelle a u nom du bien-être collectif, de la
même manière le mouvement des femmes sacrifiera son
essence au nom d'une politique fondée sur la lutte des
classes, et donc sur la division des femmes en groupes
antagonistes.
Le problème des femmes dans Xin qingnian avant le 4
mai
Une question parmi
d'autres
Pendant les deux premières années d'existence de Xin
qingnian (1915-1916), le problème des femmes n'y est
jamais traité de façon spécifique : tout au plus intervient-il à l'intérieur d'articles plus généraux où la revue
en appelle aux jeunes pour qu'ils se réveillent et sauvent
le pays.
Dans son premier éditorial, par exemple, Chen Duxiu,
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sans faire de distinction entre femmes et hommes, incite
l'ensemble de la jeunesse à repousser les vieux principes
moraux et à s'émanciper. «S'émanciper signifie se libérer
de l'esclavage et conquérir une personnalité libre et
indépendante» (10) : nombre d'articles reprennent cette
exhortation, dont il va de soi qu'elle s'impose particulièrement dans le cas des femmes.
Même si elle ne se consacre pas spécialement à la
question féminine, la revue n'en présente pas moins de la
femme une image complexe et contradictoire. Le texte qui
reflète le mieux ce type féminin est «Thoughts on
women» de Max O'Rell, qui abonde en lieux communs
particulièrement représentatifs d'une certaine tradition
occidentale : «La femme est u n ange qui peut devenir un
diable...», «les femmes n'ont pas été créées pour commander, mais elles ont un pouvoir inné qui leur permet de
commander l'homme qui commande...», ou encore :
«L'intuition de la femme est plus aiguë que sa vue : en
réalité c'est un sixième sens que la n a t u r e lui a donné,
plus puissant encore que les cinq autres.» (11)
Dans «An idéal husband», Oscar Wilde accentue encore
cette description du type féminin sensible, frivole et
dangereux, et fait avouer à l'une de ses héroïnes : «La
force des femmes dérive du fait que la psychologie
n'arrive pas à nous comprendre : l'homme peut être
analysé, la femme... seulement adorée.» (12) Au sein du
petit monde bourgeois dont parle Wilde, la protagoniste,
«génie le jour, beauté la nuit», n'est pas seulement
«adorable», mais tellement intelligente qu'elle arrive à
démasquer et à humilier un homme important.
Les romans de Tourgueniev (13) complètent le panorama avec des héroïnes déchirées par des amours
compliquées et passionnées. Tous ces personnages sont
apparemment très loin de la réalité chinoise, ou alors peu
utilisables comme modèles : telle est du moins l'opinion
de Chen Duxiu, qui q u a n t à lui propose en exemple sept
Européennes d'un style totalement différent. Louise
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Michel, Marie Curie, Florence Nightingale, Madame
Roland, Sophia Petrovskaia, Jeanne d'Arc et Clémence
Royer (14) ne sont pas spécialement connues pour leur
sensibilité ou pour leurs amours, mais plutôt pour avoir
marqué l'histoire par une action typiquement «masculine».
Elles symbolisent la femme émancipée et indépendante,
patriote, ou exerçant une profession libérale; ce symbole
l'emportera sur celui de la femme romantique et gardera
sa force en Chine jusqu'à nos jours.
Un an plus tard, dans «Le Confucianisme et la vie
moderne», Chen Duxiu va examiner la condition féminine
plus en profondeur. Il propose les Occidentales comme
modèles non plus seulement sur le plan professionnel ou
politique, mais aussi sur celui de leur vie privée. Grâce à
une comparaison entre les conditions de vie des veuves
et des belles-filles, les rapports sexuels, et le rôle
économique des femmes en Occident et en Chine respectivement, il montre à quel point les principes confucéens
qui règlent encore la société chinoise sont arriérés et
inhumains. «Etre femme signifie être soumise», «il est
interdit aux hommes et aux femmes de s'asseoir sur la
même natte», «les femmes doivent couvrir leur visage en
sortant», «il est interdit à un homme et à une femme de
se toucher en se donnant quelque chose», «une femme
doit servir ses beaux-parents comme ses propres parents» (15) : ces principes vont, certes, à l'encontre des
idéaux de liberté et d'autonomie individuelle défendus par
la revue pendant cette période, et il n'est pas surprenant
que nombre d'articles dénoncent à grands cris l'injustice
du confucianisme envers les femmes et affirment qu'il
faut en venir à bout si l'on veut que la société chinoise
progresse effectivement (16).
Individualisme, romantisme, fureur iconoclaste, refus
de la politique traditionnelle, occidentalisme et anticonfucianisme sont donc les tendances qui caractérisent Xin
qingnian pendant ces deux premières années. Le problème
des femmes n'est pas encore posé de façon spécifique :
LES FEMMES DANS LA NOUVELLE JEUNESSE
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ce n'est qu'un aspect, certes fondamental, des problèmes
d'arriération morale et culturelle qui se posent à la
Chine. Il est donc soumis aux mêmes critères d'analyse,
et relève des mêmes solutions.
Un problème
spécifique
En février 1917 paraissent dans la revue deux articles
signés par des femmes et regroupés sous une même
rubrique, intitulée : «Le problème des femmes». Animés
d'un patriotisme ardent, ces textes dénoncent l'état
d'infériorité dans lequel sont maintenues les femmes en
Asie, et y voient l'une des causes majeures de l'affaiblissement de la Chine.
Pour Li Zhang Shaonan (17), on en a l'illustration
dans le fait que les Occidentales sont capables de
remplacer les hommes partis à la guerre dans n'importe
quelle activité, alors que les Chinoises restent illettrées
et demeurent confinées à la maison. Chen Qian Qichen (18), de son côté, estime que l'éducation féminine
devrait avoir pour objectif de former des «bonnes
épouses» et des «bonnes mères», capables à leur tour
d'éduquer une jeunesse saine et forte en mesure de
sauver le pays.
Cette vision utilitariste du rôle de la femme est
présente pendant toute la période d'élan patriotique, et
nombreux sont les journaux progressistes qui considèrent
les femmes soit comme u n boulet pour la nation chinoise,
soit en fonction de leur utilité potentielle comme épouses
et mères. Par contre, l'appel lancé aux femmes pour
qu'elles s'instruisent et prennent sur elles la responsabilité de sauver la Chine, par lequel Chen conclut son
article, est le symptôme d'une prise de conscience des
femmes, d'une volonté de ne plus être complices de leur
propre soumission. Ces deux articles inaugurent une série
consacrée a u problème des femmes, publiée pendant toute
l'année 1917, et due presque entièrement à des auteurs
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femmes.
L'éducation féminine reste un des principaux thèmes
abordés. Rappelons ici que les Chinoises n'ont été admises à l'école qu'à la fin du XIXe siècle, et qu'avant le 4
mai 1919 le nombre d'écoles supérieures mixtes restait
dérisoire. La grande majorité de la population féminine
demeure donc illettrée et le principe confucéen, encore
très généralement accepté, selon lequel plus une femme
est ignorante et plus elle sera vertueuse, engendre une
forte résistance à l'entrée des filles à l'école. En outre,
la femme é t a n t considérée comme un facteur d'instabilité,
de confusion et même de perversion, on la tient le plus
possible à l'écart, et, quand il devient nécessaire de la
scolariser, on essaye de ne pas lui donner plus que
quelques notions élémentaires et de l'enfermer dans u n
ghetto éducatif où elle apprendra les disciplines féminines
liées aux travaux ménagers.
Même les progressistes sont partagées sur ce sujet. La
majorité, comme on l'a vu, considère que le b u t de
l'éducation doit être de former des bonnes épouses et des
bonnes mères qui élèveront une génération nouvelle
capable de relever le sort de la patrie. D'autres pensent
au contraire que pour devenir un pays moderne la Chine
doit donner dès l'abord aux femmes la possibilité de
recevoir la même éducation que les hommes, et ce dans
tous les domaines. D'autres encore considèrent les écoles
mixtes comme le seul moyen de former des hommes et
des femmes capables de vivre en bonne intelligence.
L'amour et le mariage sont un autre thème de
discussion important. La publication d'une traduction du
texte d'Emma Goldman, «Le mariage et l'amour» (19),
représente le sommet de la vision libertaire et idéaliste
des rédacteur de Xin qingnian dans ce domaine. Le point
de vue audacieux d'Emma Goldman, difficilement applicable même en Occident, est en fait pris en considération
dans le cadre d'une réflexion sur les contradictions
vécues p a r les femmes d'Occident, contradictions
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également analysées par le biais de traductions de textes
d'Ibsen et par l'illustration des idées de Carpenter (20).
Il nous semble en effet difficilement imaginable, vu le
nombre d'articles défendant dans la revue le mariage et
le couple monogame (21), que les rédacteurs aient pu
sérieusement envisager de propager en Chine l'amour
libre tel que l'envisageait Goldman (22).
De toutes manières, on voit pendant cette période se
côtoyer dans Xin qingnian les positions les plus diverses
et les plus irréalistes. Quelques exemples : Liang Hualan
(cf. n. 18) imagine une France dans laquelle les contraceptifs sont utilisés par toutes les femmes qui refusent
de travailer et sont en proie à l'oisiveté et à la perdition; Emma Goldman, on l'a vu, défend l'amour libre,
tandis que Chen Huazhen se contente de demander
l'éducation publique des enfants (cf. n. 21). En fait, ce
n'est pas t a n t le caractère réaliste ou non des théories
et des modèles présentés qui importe ici; c'est plutôt leur
variété et leur caractère contradictoire, preuve d'une
ouverture d'esprit qui malheureusement ne durera pas
longtemps. Une autre caractéristique intéressante est le
fait que ces articles sont tous écrits par des femmes. Il
ne faut en effet pas perdre de vue que Xin qingnian
n'est pas une revue féministe, qu'elle n'est pas rédigée
par des femmes et qu'elle n'est pas destinée à un public
féminin. Cette série d'articles ouvre et clôt la seule et
brève période de présence féminine dans la revue.
L'article de Wu Zenglan (23) sur l'égalité des droits
politique entre hommes et femmes mérite encore qu'on
s'y arrête. Wu affirme que les problèmes des femmes
résultent non de l'oppression subie à l'intérieur de la
famille, mais de leur totale absence de pouvoir politique
au sein de la société, et qu'on ne saurait par conséquent
parler de réforme de la famille avant d'avoir obtenu
l'égalité des individus devant la loi. Cette prise de
position n'est que le premier exemple d'un discours sur la
participation politique et l'intégration sociale de la femme
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que l'on retrouvera plus tard en Chine, mais qui n ' a u r a
guère de suite dans Xin qingnian.
E n 1918, le comité de rédaction s'est élargi. Il
comprend désormais les intellectuels progressistes les plus
importants de l'époque, réunis à l'université de Pékin.
Tao Menghe est le premier à publier u n article sur la
question féminine (24). Ayant constaté que tous les
articles parus sur le sujet ne font que répéter les mêmes
analyses sur les dégâts causés par le confucianisme et les
mêmes lieux communs sur la merveilleuse avance des pays
occidentaux, il tente une analyse sociologique des causes
économiques et spirituelles du degré supérieur d'émancipation des Occidentales. Recourant aux théories évolutionnistes, et considérant les mécanismes économiques
comme la cause principale des problèmes des femmes,
aussi bien en Occident qu'en Chine, Tao conclut que les
différences de conditions de vie dans les deux populations
ne font que correspondre à deux phases d'un même
processus : l'Europe et les Etats-Unis ne sont pas des
sociétés mythiques et lointaines, mais la simple projection
du futur de la Chine.
C'est ensuite au tour de Zhou Zuoren (cf. n. 20)
d'aborder, même si ce n'est qu'indirectement, le problème
féminin. La traduction d'un article de la poétesse
japonaise Akiko (25) lui est en effet l'occasion d'ouvrir
un débat sur la chasteté qui va avoir un retentissement
considérable. Conscient de ce qu'un tel sujet provoquera
immanquablement u n choc dans l'opinion, Zhou espère
susciter la discussion, jusqu'alors esquivée, sur ce grave
problème qui concerne aussi bien les hommes que les
femmes. Même si elle n'a rien contre le principe l u i même, Akiko considère le fait d'imposer la chasteté aux
seules femmes comme responsable de l'oppression dont
elles sont victimes et de la corruption qui règne dans la
société. Pour elle, pareille discrimination ne peut
qu'induire des comportements et des sentiments faux, et
empêcher l'édification d'une société saine et libre. Q u a n t
LES FEMMES DANS LA NOUVELLE JEUNESSE
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à la chasteté elle-même, elle considère qu'il s'agit d'un
choix individuel qui ne saurait être imposé par une
morale quelconque.
La quantité énorme d'articles et de commentaires
publiés en réponse prouve la perspicacité de Zhou Zuoren
et démontre que la question est effectivement d'une
brûlante actualité. Les premiers à réagir sont Lu Xun et
Hu Shi, qui abordent le problème des femmes en dénonçant la conséquence la plus tragique, en Chine, d'une
morale prêchant la chasteté : le suicide. Hu Shi (26)
dénonce concrètement les lois barbares récompensant les
familles des veuves ou des fiancées-veuves qui se sont
donné la mort, tandis que Lu Xun (27) condamne
l'ambiguïté et l'hypocrisie du comportement masculin,
décrit la souffrance d'être femme et démontre l'absurdité
de toute cette arriération morale. Tous deux s'accordent
avec Akiko sur le caractère nécessairement privé du
choix de la chasteté. On notera encore, sur le même
sujet, les interventions de Lan Zhixian, rédacteur en chef
du Guomin gongbao (28), qui défend la fidélité conjugale
réciproque en t a n t que modérateur des pulsions sexuelles,
et celle de Chen Qixiu (29), qui analyse l'évolution du
concept de chasteté au cours des siècles en recourant au
matérialisme historique.
Pour dénoncer l'horrible réalité, la revue publie non
seulement des articles théoriques, mais aussi de nombreux
témoignages. Particulièrement cruelle est l'histoire racontée dans «Une fille chaste» (30), où l'on voit un père
laisser mourir de faim sa fille, qui a perdu son fiancé,
pour obtenir les honneurs et les primes réservés a u x
familles des fiancées-veuves s'étant donné la mort.
Cela dit, la dénonciation des souffrances imposées aux
femmes, l'illustration du chemin qui reste à parcourir
pour qu'elles sortent de cette situation, ne passent pas
seulement par l'étude de sujets aussi spécifiques. Dans le
numéro consacré aux œuvres d'Ibsen (31), on retrouve
l'analyse du rôle de la femme dans la famille occidentale,
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et la revue propose à nouveau aux Chinoises le modèle de
l'Européenne émancipée. Le personnage de Nora fera
désormais de fréquentes apparitions dans les pages de Xin
qingnian, et il va devenir un symbole pour les étudiantes
du 4 mai.
L'analyse du problème des femmes a donc fait un pas
en avant. L'idéal des «bonnes épouses» et des «bonnes
mères» est considéré comme dépassé, et l'on reproche
surtout aux femmes leur manque d'indépendance et de
personnalité : il leur faut se considérer comme des
individus autonomes, et pas simplement comme u n
appendice du monde masculin. Telle est du moins la
théorie de Hu Shi, auteur d'articles sur Nora et sur les
autres personnages féminins d'Ibsen, ainsi que d'une
étude sur la vie des femmes américaines. Dans ce dernier
texte (32), Hu exalte l'image d'une femme a r r i v a n t à
concilier son travail avec ses rôles de mère et d'épouse;
c'est en fait la première fois que l'on rencontre en Chine
des concepts et des expressions qui évoquent de très près
le féminisme contemporain.
L'existence d'une telle position, où est affirmée
ouvertement la nécessité d'une participation autonome et
indépendante des femmes à la vie sociale et politique si
l'on veut que la société change radicalement (un tel
changement é t a n t impossible sans la libération de la
femme), aide à comprendre comment, pour la première
fois dans l'histoire de la Chine, les femmes ont pu
participer en masse à un mouvement politique.
Le problème des femmes dans Xin qingnian et le mouvement du 4 mai 1919
Dès la deuxième moitié de 1918, les principaux thèmes
qui animeront le mouvement du 4 mai font leur apparition
dans la revue, de même que s'y fait jour l'influence des
théories marxistes répandues en Chine à la suite de la
Révolution d'octobre. Surtout connues, au départ, à
LES FEMMES DANS LA NOUVELLE JEUNESSE
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travers leurs aspects libertaires et humanitaires, les idées
marxistes et socialistes se diffusent très rapidement
parmi les intellectuels et les étudiants chinois; cette
diffusion va provisoirement donner naissance à un
amalgame bizarre dans lequel entrent également les
théories libérales et anarchistes déjà répandues en Chine.
Ainsi, pour nous en tenir a u problème féminin,
l'article de Hua Lin, «La société et le problème de la
libération des femmes» (33). Après avoir théorisé sur
l'interdépendance absolue entre la libération de la femme
et le développement de la société, l'auteur constate deux
obstacles. Le premier est la décadence morale de la
société, à laquelle on peut remédier par l'institution
d'écoles mixtes, seul moyen de former des individus
honnêtes et des personnalités autonomes. Le deuxième
obstacle, la pauvreté de la Chine et son faible développement économique, s'explique par le système de propriété
privée, dont Hua Lin propose p a r conséquent l'abolition.
Cocktail des idées déjà exprimées dans la revue sur le
problème de l'éducation et des nouvelles idées marxistes
sur l'économie, cet article est le premier dans lequel se
trouve érigée en théorie l'identification des intérêts des
femmes à ceux des travailleurs.
A partir de mai 1919, la revue publie avec une
certaine régularité des articles sur le marxisme, tout en
commençant à donner une interprétation marxiste des
divers problèmes qu'elle aborde. La séparation entre ceux
qu'on pourrait schématiquement appeler les «marxistes»,
autour de Li Dazhao, et les «libéraux», autour de Hu Shi,
se fait dès lors de plus en plus nette. Seule l'action
politique et la participation au mouvement du 4 mai
préviennent la rupture, qui deviendra inévitable un an et
demi plus tard.
Ces divergences se manifestent aussi dans les articles
sur le problème des femmes. On retrouve la vision
marxiste dans «Le Matérialisme historique et le problème
de la chasteté» de Chen Qixiu (cf. n. 29) et dans «Le
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Problème de la femme après la guerre» de Li Dazhao
(34); la position libérale s'exprime dans «Le Problème de
la chasteté» (cf. n. 26) et «Les Femmes américaines» (cf.
n. 32) de Hu Shi. Comme c'était le cas pour le problème
de la chasteté, déjà évoqué, la description de la vie des
Occidentales dans Xin qingnian reflète deux approches
totalement différentes. Le choix du sujet déjà est
révélateur : tandis que Hu Shi s'attarde avec u n optimisme sans doute excessif à décrire la vie indépendante et
autonome d'une bourgeoise américaine, Li Dazhao dépeint
dans les tons les plus grisâtres la vie toute de souffrance
des mères et des épouses des travailleurs européens qui
remplacent les hommes partis à la guerre.
Si ces points de vue sont désormais irrémédiablement
opposés, la complexité et les incertitudes du temps
empêchent Li Dazhao de prendre ouvertement parti
contre le mouvement des femmes en train de ressurgir. Il
conclut donc son article d'une manière ambiguë, incitant
l'ensemble des femmes à s'unir pour lutter contre
l'arbitraire des hommes, et les femmes prolétaires à
combattre les riches.
E n même temps que cette nouvelle vague de dénonciation des m a u x de la société traditionnelle, suscitée par la
diffusion des idées socialistes, la recherche de nouveaux
modèles se poursuit. Une série d'articles sur l'expérience
japonaise dite du Nouveau Village (35) et sur l'éducation
des enfants (36) nous présente la libération de la femme
dans le cadre plus général d'une nouvelle organisation
sociale fondée sur u n égalitarisme absolu, et dans laquelle
la vie de chacun est strictement réglementée pour
garantir l'égalité des individus dans l'intérêt de la
communauté.
Ces textes sont imprégnés d'un puritanisme qui
rappelle fort la tradition confucéenne, et qui a souvent
marqué les articles sur le mariage, l'amour ou le sexe
publiés p a r la revue. Mais si, au départ, cette tendance a
pu côtoyer des attitudes plus ouvertes, comme celle
LES FEMMES DANS LA NOUVELLE JEUNESSE
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d'Emma Goldman, elle prédomine désormais et va à la
rencontre des exigences organisationnelles et de la
discipline propres au style de vie du parti communiste en
t r a i n de naître.
Alors que ces nouvelles idées prennent forme dans les
pages de Xin qïngnian, le mouvement des femmes
s'organise; que ce soit aux côtés de ses alliés masculins
ou de façon autonome, il va agir pour répandre et mettre
en œuvre les idées sur la liberté du mariage et sur
l'égalité dans l'éducation que la revue avait véhiculées
pendant la période précédente.
Le marxisme s'impose
Après la sortie de prison de Chen Duxiu et une suspension de six mois, Xin qingnian reparaît avec une toute
a u t r e structure organisationnelle : la revue est désormais
l'organe de la «Société de la nouvelle Jeunesse», et elle
publie u n manifeste (37) censé préciser ses buts. L'enthousiasme de l'action politique a momentanément fait
taire les divergences, et ceci explique sans doute que ces
nouveaux principes, pourtant fort différents de ceux qui
avaient animé la revue à ses débuts, ont reçu l'approbation unanime des rédacteurs.
Le manifeste, il est vrai, n'est qu'une assez vague
déclaration d'intentions dans laquelle est réaffirmée la
volonté de lutter contre l'ancien système et contre la
tradition, sans vraiment rien proposer de nouveau. Lutte
des classes et marxisme-léninisme sont des concepts que
rejette encore Chen Duxiu lui-même, l'initiateur et
l'auteur du manifeste.
Un changement important est tout de même à noter :
la nécessité de l'appartenance à une organisation politique, et donc des partis, est en effet affirmée. Cette volonté d'engagement politique (dans le sens traditionnel du
terme), combinée à u n patriotisme qui n'envisage la
libération des femmes qu'en fonction du salut national,
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P. CINI
inspire de toute évidence la seule phrase du manifeste
qui soit consacrée à ces dernières : «Nous considérons
que le respect des droits et de la personnalité de la
femme est à l'heure actuelle indispensable pour faire
progresser la société; nous espérons en outre que les
femmes sont elles-mêmes conscientes de leurs responsabilités sociales.» (38)
Bien que ces propositions initiales s'inspirent d'une
sorte de socialisme idéaliste plutôt que du marxisme-léninisme proprement dit, la tendance qui va s'affirmer peu à
peu pendant cette période favorise clairement ce dernier.
Les colonnes de la revue s'ouvrent de plus en plus
souvent à des enquêtes sociales sur les conditions de vie
des ouvriers et des paysans (39); on inaugure une
rubrique consacrée aux activités et aux programmes des
associations estudiantines, et les articles d'auteurs
soviétiques, ou décrivant la vie dans la Russie socialiste,
font leur apparition. Le problèmes des femmes perd
définitivement sa spécificité et se trouve inséré, lui
aussi, dans ces nouveaux schémas.
A partir de 1920, les idées de Bebel (40) et de
Lénine (41) s'imposent dans les articles où il est question
de la libération des femmes. La femme russe (42) prend
la place de l'Américaine, et la condition féminine est
considérée uniquement comme un aspect de la condition
ouvrière (43), quand elle n'est pas u n simple prétexte
pour parler de cette dernière (44).
E n revanche, alors même que Chen Duxiu évolue
rapidement vers le marxisme, e n t r a î n a n t Xin qingnian
derrière lui et provoquant au début de 1921 le départ de
Hu Shi, de Lu Xun et d'autres rédacteurs de tendance
libérale, le mouvement autonome des femmes manifeste
une activité grandissante. Cette fois c'est la réalité qui
va influencer les écrits, et le thème des droits politiques
des femmes est repris dans Xin qingnian après une longue
période d'oubli. Parmi d'autres, on signalera l'intervention
de Chen Duxiu (45), qui considère la participation des
LES FEMMES DANS LA NOUVELLE JEUNESSE
149
femmes à la gestion politique comme une garantie de
paix, de sécurité et de tranquillité; et celle d'une
lectrice, peut-être fictive (46), qui appelle les femmes à
se révolter et à conquérir le droit de vote, fût-ce au
prix d'une dure répression.
J u s q u ' a u départ des libéraux, la revue reste donc très
perméable aux influences extérieures, et Li Dazhao
lui-même, dans un article de tendance clairement
marxiste (47), parle de la libération de la femme dans des
termes très féministes. L'hésitation des intellectuels
marxistes à prendre position contre un mouvement des
femmes autonome se manifeste également dans les articles
de Chen Wangdao (48). Certes, celui-ci reproche au
mouvement des femmes chinoises de n'avoir pas saisi
l'importance de la lutte des classes : toujours à la traîne
des hommes, elles en sont encore au stade du mouvement
politique, par opposition à u n mouvement social se
définissant en termes de classes... Mais il n'en approuve
pas moins un mouvement japonais «pour l'oppression des
hommes par les femmes»! En revanche il faut signaler u n
«Manifeste révisé de la Ligue des femmes chinoises»,
publié en septembre 1921 (49), qui ressemble fort aux
futurs manifestes des organisations féminines du Parti
communiste.
Le mensuel Xin qingnian finit par disparaître après u n
numéro isolé paru en juillet 1922. Il réapparaîtra en juin
1923 à Canton comme organe officiel du Parti communiste
chinois.
Conclusions
Nous l'avons rappelé au départ, Xin qingnian est la revue
la plus importante de cette période, et elle couvre une
multiplicité de sujets. Comme la plupart des journaux de
son époque, sa rédaction et son public sont essentiellement masculins. Ce n'est pas là un choix, mais la
conséquence d'une réalité : les femmes sont en grande
150
F. CIN1
majorité illettrées. Cette audience masculine explique
peut-être la vision patriotique donnée de la libération des
femmes, considérée en fonction du progrès et du salut de
la nation plutôt que comme une fin en soi. Mais,
indépendamment de ce facteur constant, les positions
prises p a r la revue sur la question féminine entre 1915 et
1922 évoluent à peu près comme évoluera le mouvement
des femmes dix ans plus tard. Après avoir en effet
contribué à l'élaboration des idées courageuses exprimées
dans Xin qingnian, après les avoir acceptées, propagées
et mises à l'essai, les étudiantes et les ouvrières
chinoises ont été contraintes d'affronter les mêmes choix
que le mouvement intellectuel et patriotique, et... elles
ont suivi.
Vingt ou trente années ne suffisent certainement pas
pour réfuter deux millénaires de tradition et pour
assimiler des idées, des attitudes et des façons de penser
totalement nouvelles. Ce qui aurait pu être, en Chine,
l'équivalent de ce que fut la révolution française en
Occident, a été trop tôt étouffé par la guerre, par
l'invasion étrangère, et p a r une situation économique
catastrophique. Les espoirs offerts à la démocratie et a u
libéralisme en ont été dramatiquement contrariés.
L'histoire du mouvement des femmes illustre bien cet
étouffement, dans la mesure où c'est lui qui a peut-être
souffert le plus de ces conditions. Déchiré entre nationalisme et féminisme, le mouvement féministe a sombré en
sacrifiant son essence - celle d'être le porte-parole de
toutes les femmes - pour des conquêtes certes fondamentales, mais bientôt rendues éphémères parce que récupérées, comme toujours, par une société fondée sur
l'oppression de l'homme par l'homme et surtout de la
femme par l'homme.
Francesca Cini prépare une thèse de troisième cycle à l'Ecole des
Hautes Etudes en Sciences Sociales sur les aspects sociologiques
de la libération de la femme pendant la période du 4 mai.
LES FEMMES DANS LA NOUVELLE
JEUNESSE
151
NOTES
1. Chen Dongyuan, Zhongguo funû shenghuo shi, Shanghai :
Shangwu yinshuguan, 1937, p. 364.
2. Sur les débuts du mouvement féministe en Chine, voir
notamment : Emmanuel Bellefroid, «Qiu Jin et le féminisme
chinois au début du XXe siècle», thèse de doctorat de n i e cycle,
Paris : EHESS, 1979; Catherine Gipoulon, Qiu Jin. Pierres de
l'oiseau Jingwei, Paris : Editions des femmes, 1976; Leslie Collins,
«The New Women. Psychohistorical Study of the Chinese Feminist
Movement from 1900 to the Présent», thèse de doctorat, New
Haven : Université de Yale, 1976; Charlotte Beahan, «The Women
Movement and Nationalism in Late Ch'ing China», thèse de
doctorat, New York : Université Columbia, 1976.
3. Cela même si à notre connaissance on n'a pas encore
examiné la place de la question féminine (comme nous le faisons
ici) dans les revues à grande diffusion antérieures à Xin qingnian,
par exemple le Minbao ou Dongfang zazhi, pour ne citer que les
plus connues.
4. Après avoir accepté le mariage arrangé par sa famille, Chen
Duxiu (1879-1942) avait abandonné sa femme et il eut par la suite
de nombreuses aventures sentimentales. Cf. Howard L. Boorman et
Richard C. Howard, Biographical Dictionary of Kepublican China,
New York : Columbia University Press, 1967, vol. I, p. 240.
5. La position de Hu Shi (1891-1962) à l'égard du problème des
femmes a été complexe et changeante. En 1914, il défend le
modèle traditionnel chinois et se montre hostile aux comportements libéraux qu'il observe aux Etats-Unis. Aussi accepte-t-il le
mariage arrangé par sa mère, bien qu'il soit alors épris d'une
étudiante américaine. Ayant abandonné cette position, il réfutera
par la suite la thèse suivant laquelle les femmes doivent se
contenter d'être de «bonnes épouses» et de «bonnes mères», et se
fera l'un des principaux défenseurs de leur statut en tant que
personnes et de leur vocation à étudier, travailler, etc. sur un
pied d'égalité avec les hommes (cf. infra). Sur ses rapports avec
les femmes, voir Jérôme B. Grieder, Hu Shi and the Chinese
Renaissance.
Liberalism
in the Chinese Révolution,
1917-1937,
Cambridge, Mass. : Harvard University Press, 1970, p. 351.
6. Sur Chen Hengzhi et ses écrits, cf. Huang Ying, Xiandai
Zhongguo nûzuojia, Shanghai : Beixin shuju, 1934, et Xue Fei,
Xiandai Zhongguo nûzuojia chuangzuo xuan, Shanghai : Zhonghua
shuju, 1932. Voir également Biographical Dictionary of Republican
China, op. cit., vol. I, p. 183.
7. Sur la presse féminine en Chine, voir l'étude et la bibliographie de Jacqueline Nivard dans le présent numéro, ainsi que,
du même auteur : «Histoire d'une revue féminine chinoise : Funû
zazhi, 1915-1931», thèse de doctorat de Hle cycle, Paris : EHESS,
1983. Sur la période du 4 mai, voir également Roxane Witke,
152
F. CINI
«Transformation of Attitudes Towards Women During the May
Fourth Era of Modem China», thèse de doctorat, Berkeley :
Université de Californie, 1970, et du même auteur, «Female
Emancipation in the May Fourth Movement», in The May Fourth
Movement in China - Major Papers Prepared for the XXth
International
Congress of Chinese Studies, Prague : Orientalni
Ustav, 1968. Selon R. Witke, plus de cent publications traitant du
«problème des femmes» font leur apparition durant la période du
4 mai. Chow Tse-tsung (Research Guide to the May Fourth Movement, Cambridge, Mass. : Harvard University Press, 1963, p. 297)
n'en recense qu'une vingtaine.
8. Cf. «Yingwen she zi yifa zhi shangque» (Sur la façon de
traduire le mot anglais she), lettre de Qianxuan à Qiming, Xin
qingnian (ci-après XQN), VI-2 (fév. 1919).
9. Le mouvement des femmes, dès son apparition à la fin du
XLKe siècle (cf. note 2), revendique l'égalité d'éducation et celle
des droits politiques, ainsi que le droit au travail et la liberté du
mariage. Sur l'évolution du mouvement et ses revendications à
l'époque du 4 mai, voir le panorama présenté par Catherine
Gipoulon dans ce même numéro.
10. Chen Duxiu, «Jinggao qingnian» (Respectueux appel à la
jeunesse), XQN, 1-1 (sept. 1915).
11. Le texte de Max O'Rell est publié en anglais et
accompagné d'une traduction en chinois par Chen Duxiu. XQN, 1-1
(sept. 1915).
12. Même présentation en deux langues pour l'œuvre de Wilde,
traduite par une femme, Xue Qiying, fille de lettré, diplômée
d'anglais et l'une des rares Chinoises à exercer le métier de
traducteur. XQN, 1-2, 3, 4, 6 (oct.-déc. 1915, fëv. 1916), II-2 (oct.
1916).
13. «Premier amour», XQN, 1-5, 6 (janv.-fév. 1916), II-l, 2
(sept.-oct. 1916), et «Eaux printanières», ibid., 1-1, 2, 3, 4
(sept.-déc. 1915). Les deux traductions sont vraisemblablement
l'œuvre d'une femme, Chen Jia, sur laquelle la revue ne donne
aucune information.
14. «Ouzhou qi nûjie» (Sept Héroïnes européennes), XQN, 1-3
(nov. 1915).
15. «Kongzi zhi dao yu xiandai shenghuo», XQN, II-4 (déc.
1916).
16. Voir par exemple : Chen Duxiu, «Xuanfa yu kongjiao» (La
Constitution et le confucianisme), XQN, II-3 (nov. 1916); Wu Yu,
«Jiazu zhidu wei zhuanzhizhuyi» (Le Système clanique fonde
l'absolutisme), ibid., II-6 (fëv. 1917); Chang Naite, «Wo zhi
kongdaoguan» (Mon Opinion sur le confucianisme), ibid., III-1
(mars 1917). Dans «Zhi sheng pian» (Pour une Réglementation de
la vie), ibid., H-4, 5 (déc. 1916, janv. 1917), Yang Changji
consacre un paragraphe aux progrès récents de la condition
féminine dans la famille chinoise.
LES FEMMES DANS LA NOUVELLE
JEUNESSE
153
17. «Ai qingnian» (Jeunes à plaindre), XQN, II-6 (fév. 1917).
L'auteur, vraisemblablement l'épouse d'un collaborateur de la
revue, écrit d'Angleterre. Elle a également signé «Yu zhi bingyuan
zhong jingyan» (Expériences dans un hôpital), ibid., Itt-4 (juin
1917), et «Xiketong tannanji» (Biographie de E. H. Shakelton),
ibid., IH-6 (août 1917).
18. «Xianmu zhi yu Zhongguo qiantu zhi guanxi» (Les Mères
vertueuses et l'avenir de la Chine), XQN, II-6 (fév. 1917). Sur le
même sujet, voir Liang Hualan (f.), «Nûzi jiayu» (L'Education
féminine), ibid., HI-1 (mars 1917), qui expose la même opinion,
alors que Gao Susu (f.) ne veut pas que le but de l'éducation
féminine soit la formation d'esclaves dociles. Cf. «Nûzi wenti zhi
da jiejue» (Grandes Solutions au problème des femmes), ibid.,
HI-3 (mai 1917).
19. XQN, IH-5 (juil. 1917).
20. Les idées de cet auteur sont exposées par Zhou Zuoren
dans «Suiganlu» (Au Fil de mes pensées), no. 34, XQN, V-4 (oct.
1918). Frère cadet de Lu Xun, écrivain et traducteur, Zhou
Zuoren a fait ses études a u Japon, où il s'est marié. D enseigne à
partir de 1917 à l'Université de Pékin. Cf. Biographical
Dictionary
ofRepublican China, op. cit., vol. I, p. 424.
21. Les articles sur le mariage et la famille constituent un
ensemble à part, que nous n'avons pas ici analysé en t a n t que
tel. Le seul (outre Emma Goldman) à s'attacher à l'aspect
spécifiquement «féminin» de la question est celui de Chen
Huazhen, «Lun Zhongguo nûzi hunyin yu yuer wenti» (Le problème du mariage e t de l'éducation des enfants pour les femmes
chinoises), XQN, III-4 (juin 1917). Bien que femme, Chen Huazhen
considère que la société chinoise n'est pas à même de réaliser
l'égalité entre hommes et femmes et adhère pleinement au
discours des «bonnes épouses» et «bonnes mères».
22. «La plus importante affaire de la vie», XQN, VI-3 (mars
1919), n'a pu être représentée dans aucune école de femmes, sans
doute en raison du caractère «révolutionnaire» du dénouement :
l'héroïne s'enfuit avec l'homme qu'elle aime et que ses parents,
malgré leurs idées «modernes», lui interdisent d'épouser... «Nan-nû
wenti» (Le problème homme-femme), de Zhang Shenfu, XQN, Vl-3
(mars 1919), est la première exposition en Chine des thèses de
Russell, en même temps qu'une apologie de l'amour, dont l'auteur
compare le caractère naturel et spontané aux changements
atmosphériques. Sur le féminisme (et le «libertinage») de Zhang
Shenfu, celui des collaborateurs de XQN qui est allé le plus loin
dans la défense de la liberté en amour, voir Vera Schwarcz,
«Libertine or Liberationist : Zhang Shenfu's Views of Women in
the May Fourth Era», communication au congrès de l'Association
for Asian Studies, 1985.
23. «Nûquan pingyi» (Sur l'Egalité des droits des femmes),
XQN, III-4 (juin 1917). Journaliste née dans une famille mandari-
154
F. CINI
nale, épouse de Wu Yu, l'un des principaux collaborateurs de la
revue, Wu Zenglan (1876-1917) partage l'intérêt de son mari pour
la littérature et pour la philosophie taoïste. Cf.
Biographical
Dictionary of Republican China, op. cit., III, p. 465.
24. «Nûzi wenti» (Le Problème des femmes), XQN, IV-1 (janv.
1918). Professeur de sciences sociales à Beida, Tao est le premier
doyen à admettre des femmes à l'Université. Il quittera la revue
en même temps que Hu Shi en 1921. Cf. Biographical
Dictionary
of Republican China, op. cit., III, p. 116, et Chow Tse-tsung, op.
cit.
25. Yosano Akiko (1878-1942), «Sur la chasteté», XQN, IV-5
(mai 1918). Voir les éléments biographiques donnés par Jacqueline
Nivard, op. cit.
26. «Zhencao wenti» (Le problème de la chasteté), XQN, V-l
(juil. 1918).
27. «Wo zhi jielie guan» (Mon opinion sur la chasteté), XQN,
V-2 (août 1918). Bien qu'il ait accepté le mariage arrangé par sa
mère, Lu Xun (Zhou Shuren) ne vivra jamais avec son épouse mais il ne la répudiera pas non plus. 0 épouse en 1927 Xu
Guangping. Ses personnages féminins, analysés avec une grande
sensibilité, sont à la fois complexes et réalistes. Cf. notamment
«Le remède», nouvelle publiée en mémoire de Qiu Jin, XQN, VI-5
(mai 1919). Et voir Biographical Dictionary of Republican China,
op. cit., I, p. 416.
28. Cf. «Zhencao wenti : Pinyin wenzi wenti - Gexinjia laidu
wenti» (Les problèmes de la chasteté, de la romanisation et de
l'attitude des réformateurs), XQN, VI-4 (avril 1919); ce texte
comprend une lettre de Hu Shi à Lan Zhixian, la réponse de ce
dernier à Hu Shi, une réponse de Zhou Zuoren à Lan Zhixian, la
réponse de ce dernier à Zhou Zuoren, et une réponse de Hu Shi à
Lan Zhixian. Le Guomin gongbao est un journal gouvernemental.
29. «Makesi de weiwu shiguan yu zhencao wenti» (Le matérialisme historique de Marx et le problème de la chasteté), XQN,
VI-5 (mai 1919). Economiste connu, Chen est le traducteur du
Capital. Il fréquente le groupe marxiste de Pékin.
30. Jue An (pseudonyme de Sun Shaohou), «Yige zhenlie de
nûhaizi» (Une Jeune fille chaste), XQN, VII-2 (janv. 1920).
31. IV-6 (juin 1918). Ce numéro spécial contient un article de
Hu Shi intitulé «Yibushengzhuyi» (Sur l'Ibsénisme), les traductions
de Maison de poupée, d'Un ennemi du peuple et du Petit Evolf,
ainsi qu'une biographie d'Ibsen.
32. «Meiguo de furen» (Les Femmes d'Amérique), XQN, V-3
(sept. 1918), est le texte d'un discours prononcé par Hu Shi à
l'Ecole Normale déjeunes filles de Pékin.
33. «Shehui yu funû jiefang wenti», XQN, V-2 (août 1918).
34. «Zhanhou zhi furen wenti», XQN, VI-2 (fév. 1918). Li s'est
marié jeune, vraisemblablement de manière traditionnelle, à une
paysanne qu'il n'a jamais répudiée. Cf. Biographical Dictionary of
LES FEMMES DANS LA NOUVELLE
JEUNESSE
155
Republican China, op. cit., H, p. 3.
35. Zhou Zuoren, «Riben de xincun» (Le nouveau village au
Japon), XQN, VI-3 (mars 1919). Cet article - l'un de ceux qui
décrivent une expérience dont Zhou s'est fait le porte-parole en
Chine - comporte les indications suivantes : «Parmi les travaux
quotidiens, certains conviennent plutôt aux hommes, d'autres
plutôt aux femmes... Quant aux rapports entre les sexes, l'expérience nous enseigne qu'il faut imposer des règles : vivre en
couple monogame, interdire la prostitution, les querelles et les
violences entre époux. L'idéal social auquel tout le monde doit
tendre est la pudeur». Cf., du même auteur, «Xincun de
qingsheng» (L'esprit du nouveau village), XQN, VII-2 (janv. 1920),
et «Fang Riben xincun» (Visite aux nouveaux villages du Japon),
Xinchao, II-l (janv. 1920).
36. Shen Jianshi, «Ertong gongyu» (L'éducation publique des
enfants), XQN, VI-6 (nov. 1919).
37. «Ben zhi xuanyan» (Manifeste de la revue), XQN, VI1-1
(déc. 1919).
38. Ibid.
39. Meng Zhen (pseudonyme de Fu Sinian), «Shandong yibufen
de nongmin zhuangkuang dalueji» (Notes générales sur la condition paysanne dans une partie du Shandong), XQN, VII-2 (janv.
1920), décrit la journée de travail ordinaire des paysannes.
40. A. Bebel, «Les femmes dans l'avenir», XQN, Vil 1-1 (sept.
1920).
41. Lénine, «Sur la théorie de la libération des femmes», XQN,
LX-2 (juin 1921), traduit par Li Da.
42. «Les femmes en Russie», XQN, VTO-5 (janv. 1921), traduit
par Chen Ying à partir de l'hebdomadaire Soviet Russia.
43. Gao Junmo, «Shanxi laodong zhuangkuang» (La Condition
des travailleurs dans le Shanxi); Mo Jia, «Nanjing laodong
zhuangkuang» (La Condition des travailleurs à Nankin); Li Zishan,
«Shanghai laodong zhuangkuang» (La Condition des travailleurs à
Shanghai); Ye, «Changsha laodong zhuangkuang» (La Condition des
travailleurs à Changsha), XQN, VII-6 (mai 1920), numéro spécial
consacré à la fête du travail.
44. Cf. «Shanghai Fusheng shachan Hunan niigong wenti» (Le
Problème des ouvrières hunanaises de l'usine textile Fusheng à
Shanghai), XQN, VII-6 (mai 1920); il s'agit d'un recueil d'articles
consacrés à l'embauche de cinquante ouvrières du Hunan par un
industriel «éclairé». Le fait qu'on parle d'ouvrières e t non d'ouvriers est absolument secondaire.
45. «Shixing minzhi de jichu» (Les Fondements pratiques de la
démocratie), XQN, VII-1 (déc. 1919) : «En réalité, je ne vois
aucun inconvénient à ce que les femmes prennent part à la vie
politique. J e pense au contraire que cela comporterait plusieurs
avantages : les femmes sont pacifiques, stables, ordonnées; elles
tiennent à leur réputation et sont animées d'un esprit de
156
F. CINI
compréhension... Elles peuvent repeindre un grand souffle de
propreté sur le corps social...»
46. «Funû xuanjuquan» (Le Droit de vote pour les femmes),
lettre de Minghui à la rédaction, XQN, VII-3 (fév. 1920). Prénom
féminin, Minghui est également l'un des nombreux pseudonymes de
Lu Xun...
47. «You jingji shang jieshi Zhongguo jindai sixiang biandong
de yuanyin» (Explication économique des causes des changements
intervenus dans la pensée moderne chinoise), XQN, VI1-2 (janv.
1920). V. aussi Maurice Meisner, Li Ta-chao and the Origins of
Chinese Marxism, Cambridge, Mass. : Harvard University Press,
1967.
48. «Suiganlu» (Au Fil de mes pensées), no. 108, «Nùren yapo
nanren de yundong» (Le Mouvement des femmes qui oppriment les
hommes), et «Cong zhenzhi de yundong xiang shehui de yundong»
(Du mouvement politique au mouvement social), XQN, VIII-6 (avr.
1921).
49. «Zhonghua nûjie lianhehui gaizao xuanyan», XQN, IX-5
(sept. 1921).

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