L`ylang-ylang, une fleur envoûtante. - all-in-web

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L`ylang-ylang, une fleur envoûtante. - all-in-web
L’ylang-ylang, une fleur envoûtante.
Si, comme on le dit couramment à Grasse, le jasmin est « La Fleur »,
l’ylang est « La Fleur des Fleurs », comme l’appellent les
Indonésiens.
Ne considère-t-on pas l’huile essentielle d’ylang comme la petite
sœur de l’absolue jasmin ? En effet, la ressemblance, toutes
proportion gardées, est due à la présence de composés aromatiques
communs, dont un qui est majoritaire dans ces deux matières
premières : l’acétate de benzyle. Dans la palette du parfumeur,
l’ylang est associé aux prestigieuses matières premières que sont la
rose, le jasmin, le néroli et le vétyver.
Tout d’abord, une précision s’impose pour éviter toute confusion : l’HE d’ylang est très
souvent confondue avec celle du cananga ; en effet, les deux sont issues du Cananga
Odorata, mais l’ylang est la forma Guenina, tandis que le cananga est la forma
Macrophylla. La différence réside dans des feuilles considérablement plus larges dans le
cas du cananga, d’où cette appellation de « macrophylla ». De plus, si l’ylang est très
riche en composés oxygénés qui font la richesse de cette HE (acétate de benzyle, linalol,
méthyl para cresol, benzoate de benzyle, salicylate de benzyle, géraniol), l’HE de cananga
est très riche en sesquiterpènes, olfactivement moins riches que les composés oxygénés
(germacrène, farnésène, caryophyllène, absence d’acétate de benzyle), ce qui se traduit
par une odeur plus âcre, plus brûlée, se rapprochant de l’ylang III de composition très
voisine. De plus, le cananga n’est cultivé qu’à Java.
L’ylang appartient à la famille des
Annonacées et pousse principalement
aux Comores (Anjouan), à Madagascar
(Nossy-Bé), et à Mayotte. Son origine est
toujours
très
controversée.
Les
premières plantations datent des années
1920 et, si l’île de la Réunion a été l’une
des premières à cultiver cette fleur, elle a
préféré ensuite se tourner vers la
production de vétyver et de géranium
dont la production a pratiquement
disparu à cause, principalement, des
coûts de main d’œuvre très élevés.
L’année 1990 a marqué un record important des importations en France ; depuis cette
date, la consommation a très sensiblement baissé. Les raisons de cette baisse sont de
plusieurs ordres : prix à la hausse, justifiant la part grandissante des produits de
synthèse dans la formulation ; problème de qualité des fractions hautes de cette HE, très
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souvent falsifiées ; dégradation des alambics en cuivre ou en fer, particulièrement
sensibles à la chauffe à feu nu ; absence d’un suivi technologique de qualité.
La production est ainsi passée de 120-130 tonnes en 1980 à 70 tonnes aujourd’hui aux
Comores et à Madagascar, et de 30 tonnes à moins de 1 tonne à Mayotte.
L’arbre à l’état naturel peut mesurer jusqu’à
30 mètres ; pour faciliter la cueillette des
fleurs par les femmes et les enfants, on l’étête,
tous les 3 mois, à environ 2,50 m, ce qui
permet aux branches de s’étaler à l’horizontale
en forme de parapluie, et également peut
produire jusqu’à 5 kg de fleurs par an, et peut
vivre jusqu’à 70 ans en étant toujours
productif.
Les fleurs poussent en grappes de 2 à 20, en
forme de grandes étoiles, et passent de la
couleur verte à la couleur jaune à maturité. La
production florale a lieu toute l’année, avec
deux pointes importantes : la saison sèche, de
mai à novembre, et la saison pluvieuse,
pendant lesquelles on ramasse les fleurs
respectivement tous les 10 à 15 jours et tous
les 20 à 30 jours.
La récolte, comme pour toutes les fleurs fragiles, se fait très tôt le matin et se termine
vers 9-10 h. Les fleurs sont rapidement acheminées vers la distillerie et stockées dans
des paniers en lianes tressées, pour éviter la fermentation qui détériorerait la qualité de
l’HE.
Les alambics et le contrôle de la distillation sont très rudimentaires : alambics en cuivre
ou en tôle galvanisée, foyer à feu nu, petits alambics de 500 litres ne permettant la
distillation que de 50 kg à la fois. Les fleurs baignent dans l’eau en ébullition, sans grille
pour les empêcher de tomber au fond de l’alambic, ce qui leur fait subir de plein fouet
l’intensité du feu.
La distillation se fait d’une façon empirique : bien que les différents « grades » de qualité,
comme on le verra plus loin, soient vendus en fonction de leur degré d’intensité, les
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distillateurs séparent les fractions au fur et à mesure de la distillation, en fonction du
nombre de petites bouteilles de 50 ml obtenues, ou du temps de distillation.
Paradoxe pour la distillation de cette fleur fraîche : elle dure de 15 à 20 heures, ce qui
rend nécessaire la présence d’un opérateur pendant tout ce temps, qui doit maîtriser
tous les paramètres.
Les premiers distillateurs ont pu observer la
richesse olfactive des premières fractions
récupérées dans l’essencier, qui s’appauvrissent
peu à peu jusqu’à perdre les notes fleuries
envoûtantes du début de la distillation.
D’où l’originalité encore de cette HE qui est la seule
à subir un fractionnement au cours de sa
distillation : mesure de la densité, remplissage de
petits flacons, durée de distillation en sont les
éléments déterminants.
Au cours des deux premières heures, on va ainsi
récupérer l’HE d’ylang extra, puis la 3e heure
l’ylang Ier, puis jusqu’à la 6e heure l’ylang II et
enfin, jusqu’à la fin de la « cuite », l’ylang III.
Depuis quelques années, une petite fraction de
tête, distillée la première heure, peut être
récupérée au détriment de l’ylang extra, et
constitue l’ylang extra supérieur.
De même, si on distille sans fractionnement,
comme dans une distillation classique, on
récupère l’HE d’ylang complète.
Autre paradoxe de cette HE : contrairement à
toute logique physico-chimique, les portions d’HE
les plus lourdes sont distillées en premier ! Une
des explications qu’on pourrait avancer serait la formation initiale d’un azéotrope entre
la vapeur d’eau et les produits oxygénés, permettant leur récupération en tête de
distillation.
Les fractions majoritairement récupérées aux Comores et à Mayotte sont l’extra et le
IIIe ; à Madagascar, on récupère peu ou pas d’extra, mais du I, du II et du III.
L’HE d’ylang a une odeur forte, envoûtante, à mi-chemin entre le jasmin et la tubéreuse.
Elle est utilisée dans les bouquets floraux, et plus particulièrement dans les bouquets de
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fleurs blanches, les floraux orientaux, où elle se marie bien avec les notes vanillées
originaires de ces mêmes pays.
De nombreux parfums contiennent cette HE : elle a été rendue célèbre par Bois de Iles de
Chanel en 1926 et par Joy de Patou en 1935. Elle est très présente dans Loulou (1986) de
Cacharel, Samsara (1989) de Guerlain, Ysatis (1984) de Givenchy, Coco (1984) de
Chanel, Poison (1985) de Dior, Organza (1996) de Givenchy et bien d’autres encore…
Le développement d’une filière Bio très à la mode aujourd’hui permettra-t-elle aux
jeunes parfumeurs de se réapproprier cette HE ? Issue d’une fleur hypnotique et
envoûtante, l’HE d’ylang-ylang restera toujours cette petite merveille du monde olfactif
qui enrichira la palette du parfumeur.
Ange Zola
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