Une sélection d`enfer pour les sapeurs professionnels
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Une sélection d`enfer pour les sapeurs professionnels
Genève23 Tribune de Genève | Jeudi 16 janvier 2014 Reportage Ecole latine de pompiers Une sélection d’enfer Tribune de Genève, 16.01.2014 Ils étaient cent. Ils ne sont plus que six, choisis pour devenir demain sapeurs professionnels. Concours L’épreuve de la claustrophobie. Le candidat pénètre dans un container, le visage masqué. PIERRE ALBOUY Thierry Mertenat O n ne devient pas pompier professionnel comme on court l’Escalade. Temps de parcours initial: quatre mois. Des épreuves à rallonge, des nuits sans sommeil à la lampe frontale, des prises de tête, de jambes et de bras durant deux week-ends au cours desquels le peloton fond à vue d’œil. Beaucoup de candidats au départ — une centaine pour le canton de Genève — peu d’élus à l’arrivée. Un podium à six et c’est tout. Il vient d’être désigné, au sortir d’un ultime tour d’entretiens personnels mené en caserne, au son des sirènes, au rythme des petites et des grandes alarmes. Six aspirants qui, en avril, intégreront l’Ecole latine. Choisis mais prévenus: «Ce jour-là vous repartez à zéro et on ne va pas vous materner.» Parole de commandant recruteur. A prendre à la lettre. Les fausses illusions se traitent comme les feux cachés: frontalement. Jus de crâne en ébullition L’image ci-dessus donne la couleur (même si elle n’est plus de saison) de la sélection «extrêmement pointue» mise en place au Centre de formation de Richelien (CECOFOR) sur les hauteurs de Versoix. Camp retranché sous le soleil. L’ambiance n’est pas aux jeux télévisés. Concours d’admission: les corps constitués de toute la Suisse romande ont envoyé leurs candidats, après un premier tri Contrôle qualité «On veut des gens qui ont la tête bien faite, tout en sachant travailler avec leurs mains. Un pompier doit être débrouillard, efficace et résistant» Nicolas Schumacher Capitaine au SIS sur dossier. Impossible de reconnaître les provenances, sauf à l’accent. Et encore: le silence est la discipline la mieux partagée au moment du retrait des dossards. Un numéro sur la poitrine et basta! La matinée se déroule assise; ça chauffe déjà, mais dans les crânes. Les examens théoriques s’enchaînent: mathématique, chimie, culture générale, dictée sous forme de texte lacunaire. Les classiques pièges de la syntaxe française, en tenue de sport. L’appétit vient en suant. Au menu de la mi-journée, riz, poulet et sauce aux champignons. La sauce est en option. Mieux vaut y renoncer. La suite retourne l’estomac. Une poutre de 8 cm de large, à 5 mètres du sol. On teste ici l’une de ces peurs universelles incompatible avec la profession de sapeur: l’épreuve du vertige. Elle est éliminatoire. Il faut trouver son appui sur un cure-dent en sapin de 6 mètres de long et avancer, tout en demandant à son corps d’absorber sans se crisper les oscillations d’un bois résistant mais souple. C’est coton. Les funambules ne tombent pas; la sensation du vide est dominée. Hurlements et bruits hostiles Le poste suivant pousse le raffinement dans la désorientation voulue. Deuxième peur, humaine elle aussi: la claustrophobie. Un container bleu maritime au mobilier de train fantôme. «Souriez, vous êtes filmés», lance en aparté le chef de convoi. Les rires disparaissent derrière les masques de protection respiratoires. On a pris soin d’obscurcir les visagères avec du scotch de chantier. Le concurrent ne voit pas ses mains, il évolue dans un milieu confiné. Noir total. Un tuyau de 60 cm de diamètre à traverser en rampant. Pour ajouter au stress, on diffuse une bande sonore qui n’est pas de la musique de chambre. Des cris, des craquements, des bruits hostiles. Peu d’échecs individuels. Commentaire de l’adjudant Bertrand Mesot, commandant de l’Ecole latine: «Les gars ne sont pas là parce qu’ils ont vu de la lumière! Ils sont motivés et bien préparés.» L’un d’eux confirme: «Ce concours, je m’entraîne depuis six mois pour le Dix nouveaux postes créés par Guillaume Barazzone U En décembre dernier, le jour de la Sainte-Barbe, lors de la fête annuelle des pompiers, sa présence a été très applaudie. Normal, Guillaume Barazzone, en charge du Département de la sécurité, avait des bonnes nouvelles à annoncer. L’effectif du SIS, inchangé depuis 1972, s’étoffera en 2014 de dix postes supplémentaires. Sept ont été votés par le Municipal, trois sont reconstitués à partir des disponibilités budgétaires. 2014, nous y sommes et les six aspirants qui entameront demain leur formation, avant de rejoindre dans huit mois les sections du SIS, profitent de ce renforcement remarquable — au sens littéral — des effectifs. «Il était nécessaire d’adapter nos moyens aux besoins actuels, tout en optimisant le temps des interventions en constante augmentation (2800 en 1972 contre 9852 en 2012)», précise le conseiller administratif. Une année de travail et de persuasion pour cela. Les pompiers sont certes populaires, encore faut-il se battre politiquement pour décrocher les postes qui donnent de la consistance à cette popularité reconnue. C’est chose faite. L’un d’eux conduira à l’engagement d’un officier NRBC, spécialisé dans le traitement des risques contemporains. TH.M. réussir. Du sport et des maths. J’ai pris un coach. J’en suis à ma seconde candidature. Carreleur de profession, j’ai envie de me sentir vivre, de me rendre utile aux autres et de me lever le matin en sachant que je vais rejoindre une équipe soudée et forte.» Cette «décla» de motivation ne suffira pas. A l’épreuve du groupe, l’individu cherche sa place sans forcément la trouver. Recalé. Profil recherché? «On veut des gens qui ont la tête bien faite tout en sachant travailler avec leurs mains, résume le capitaine du SIS, Nicolas Schumacher. On a rajouté des épreuves manuelles. Un pompier doit être débrouillard, réagir à toutes les circonstances et trouver des solutions dans l’urgence. On évalue également son comportement social en situation de fatigue accumulée, en le faisant sortir de sa zone de confort. Il doit apprendre à brûler ses nuits, à enchaîner les interventions, à puiser dans ses ressources physiques et mentales.» Une profession à part entière Un surhomme? Non, l’exact contraire: un homme instruit et compétent à qui «je peux confier ma vie en sursis en sachant qu’il mettra tout en œuvre pour la sauver dans la minute qui va suivre», renchérit le sergent Nicolat Millot. Cette exigence supérieure se paie au prix d’une sélection impitoyable. On parle ici d’un métier à part entière, d’une profession reconnue en 2008 au niveau suisse, sanctionnée par un brevet fédéral. Bref, on ne naît pas pompier, on le devient. Plus que jamais.