Actes Crack 14 juin
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Actes Crack 14 juin
ACTES Etats Généraux Crack, errance et poly-toxicomanie. Quelles réponses concrètes ? organisés par la Mairie du 18e arrondissement et la Ville de Paris 14 juin 2005 3 Sommaire Ouverture 5 Allocution de Daniel VAILLANT, Maire du 18 arrondissement, Député de Paris et ancien ministre 5 e Allocution de Bertrand DELANOË, Maire de Paris 8 Allocution de Didier JAYLE, Président de la MILDT 10 Description du phénomène : trafics et consommations dans le nord-est parisien, état des lieux des structures 15 Jean-Michel COSTES, Directeur de l'OFDT Les tendances nationales 15 Hélène DUPIF, Commissaire divisionnaire, chef de de la Brigade des Stupéfiants Rôle et point de vue de la Brigade des Stupéfiants-Préfecture de Police 16 Jean-Paul PECQUET, Commissaire central du 18e Rôle et point de vue de la police urbaine de proximité 17 Débat avec la salle 18 Françoise GUYOT, Vice-Procureure, chargée de mission toxicomanie Rôles et point de vue de la justice 19 Philippe COSTE, Directeur de la DDASS Rôle et point de vue de la DDASS 20 Débat avec la salle 21 Témoignages, pratiques et expériences de terrain 23 Lionel MAHIER, Membre du conseil d'administration de l'association Coordination Toxicomanies 18 Rôle de Coordination Toxicomanies 18 23 4 Témoignages d’habitants : 27 Olivier ANSART, Conseiller de quartier Eric LABBE, Président de l'association Stalingrad quartier libre Débat avec la salle 29 Docteur Michel SANANES, Responsable de l'ECIMUD Bichat Le point de vue d’une structure hospitalière 30 Monique ISAMBART, Responsable de l'association PROSES Le point de vue des associations de réduction des risques de Seine-Saint-Denis 30 Cas BARENDREGT, Membre de l’IVO (Bureau scientifique pour la recherche, l’expertise et le conseil en styles de vie, addictions et problèmes associés) Crack et la réponse de la ville de Rotterdam (Hollande) 31 Débat avec la salle 35 Clôture 37 Alain LHOSTIS, Adjoint au Maire de Paris chargé de la santé et des relations avec l'AP-HP 37 Jean-Marie BENEY, Procureur adjoint au parquet de Paris 38 Michel LALANDE, Préfet de Paris 39 5 Ouverture Allocution de Daniel VAILLANT, Maire du 18e arrondissement, député de Paris, ancien ministre Monsieur le Maire de Paris, Madame et Monsieur les Procureurs, Monsieur le Préfet de Paris, Monsieur le Secrétaire général du Tribunal de grande instance, Monsieur le Président de la MILDT, Mesdames et Messieurs les élus, Monsieur le directeur du cabinet du Préfet de Police, Mesdames et Messieurs les Présidents d’associations, Mesdames et Messieurs, C’est pour moi un plaisir de vous retrouver ce soir à ces Etats généraux, en présence du Maire de Paris qui va bientôt nous rejoindre, pour que nous puissions débattre et énoncer des propositions concrètes en réponse à un fléau dramatique, celui du crack et de la poly-toxicomanie. Ces Etats généraux, co-organisés avec la Ville de Paris, je les avais annoncés lors de mon discours de vœux suite à l’évacuation du squat du 29 bd Ney où, à nouveau, étaient regroupés des usagers de drogue, poly-toxicomanes en complète déshérence, vivant dans des conditions tout à fait indignes de notre époque, troublant de surcroît la tranquillité publique. Bref, nous n’étions pas à l’abri d’un drame humain, d’un incendie, et d’être responsables de non assistance à personne en danger. Bref, il était temps de se mobiliser pour ne plus revivre de telles situations. Comme vous le savez, le 18e arrondissement et le Nord-Est parisien connaissent une concentration des trafics et des usagers de drogues. Il s’agit de territoires spécifiques avec des flux importants de personnes, des grands axes, la proximité de deux gares et l’entrée de Paris. Sur ce territoire, le crack, dérivé extrêmement dangereux de la cocaïne, est la drogue la plus répandue. Face à ce défi qui nous est lancé, nous devons mener une politique innovante, c’est-à-dire complète et cohérente,alliant la prévention,la répression,les soins et un véritable accompagnement social. 6 L’Etat, à travers notamment les services de police, de justice et de santé, est le premier concerné au titre de sa compétence exclusive en matière de traitement de la toxicomanie. A ses côtés, les collectivités doivent aussi faire face à leurs responsabilités et ne peuvent occulter ce drame tout simplement parce que des vies sont en jeu, tout simplement parce que des habitants y sont aussi confrontés au quotidien. Je refuse l’immobilisme et le fatalisme. Ma première proposition porte donc sur une lutte sans faille contre les trafics. Il y a en effet urgence en la matière. Nos partenaires : la justice, la police, les éducateurs, les bailleurs, les associations spécialisées s’accordent aujourd’hui à reconnaître que le trafic a changé de main. Certains jeunes adultes, voire certains mineurs jusque-là enracinés dans le trafic de cannabis, s’en sont détournés pour passer au crack. Le produit est de plus en plus rentable. Aujourd’hui, nous sommes donc confrontés à une expansion de ce trafic, une “massification” et une banalisation de l’usage du crack qui ne cessera de s’accroître si nous ne mettons pas en œuvre une politique ambitieuse et volontaire pour combattre cette situation. Je souhaite que l’on s’attaque aux dealers non consommateurs, ceux qui sont difficiles à saisir, ceux qui sont à la source de cette économie souterraine, ceux qui utilisent les jeunes en les happant dans la spirale du trafic de crack, s’en servant parfois dès l’âge de 14 ans comme guetteur. J’appelle à une lutte déterminée et sans faille contre les trafics de crack mais je ne souhaite pas que cette seule lutte occulte la réponse sanitaire et sociale. En effet, je ne souhaite pas que nous gérions en France ce problème comme il le fut dans certaines villes américaines telles que New-York et comme certains seraient tentés de le faire ici. Une politique de tolérance zéro, largement diffusée à coups de visites médiatiques dans les quartiers en surchauffe, ne me semble pas être la réponse appropriée. Innovons donc par une mobilisation accrue des services centraux de la Préfecture de Police et du Parquet de Paris à côté de ceux de la police urbaine de proximité pour endiguer ce trafic, car les méthodes de ces dealers évoluent sans cesse et rapidement. Mais on ne peut envisager une répression accrue des trafics sans mener de pair une politique ambitieuse de prévention et ce dès le collège. Elle devra aussi viser les parents en insistant sur les effets destructeurs et irréversibles que ce produit de mort entraîne. La presse a aussi un rôle pédagogique à jouer. Je remercie tous ceux qui traitent le sujet pour informer et prévenir, qui dénoncent ceux qui l’exploitent à des fins politiques ou commerciales. En effet, le crack était jusqu’à aujourd’hui indissociable de la marginalisation, mais une part de plus en plus grande, par exemple de jeunes issus des milieux dit festifs, en consomme. Il y a donc aujourd’hui une nouvelle configuration. Cette tendance ne se retrouve plus seulement dans notre arrondissement, elle s’accompagne également d’une diffusion vers d’autres territoires : certaines villes d’Ile-de-France et de province commencent, elles aussi, à être touchées. Nous nous dirigeons vers une catastrophe sanitaire et sociale de grande ampleur si nous ne donnons pas l’alerte et n’entreprenons pas un plan d’urgence ambitieux que je demande ce soir. Cette politique de prévention, pour être utile et efficace, ne peut être ponctuelle ou occasionnelle. Il nous revient donc aujourd’hui d’élaborer une plaquette expliquant les risques du produit. Voilà ma deuxième proposition. Il conviendra aussi de former des professionnels qui interviendront dans les établissements scolaires. Autre urgence : prendre en compte par une politique d’accompagnement adapté la situation de ces consommateurs de crack, errants, malades pour lesquels peu de solutions sont aujourd’hui proposées. Comme je vous l’ai indiqué, je suis intervenu en octobre dernier pour que des solutions sanitaires et humanitaires innovantes soient trouvées, à la suite de l’évacuation d’un squat d’usagers de drogues installés, en pleine période hivernale, sur des emprises SNCF au 29 boulevard Ney dans le 18e arrondissement. Il s’agissait de regrouper sur un lieu provisoire et temporaire, sans proximité directe avec les habitations, plusieurs services assurant les conditions de survie (eau, sanitaires), complétés par un premier suivi médical et social. Un tel lieu, qu’il reste à bâtir, nécessite d’élaborer un partenariat d’un nouveau type entre l’Etat, compétent, les collectivités locales, les services sanitaires et sociaux et les structures hospitalières. Les Etats généraux de ce soir doivent donc s’inscrire dans la continuité de cette réflexion pour que l’hiver prochain soit différent de celui que nous avons connu. Ma troisième proposition consiste donc à mettre en place un dispositif inédit de prise en charge de ces poly-toxicomanes qui sont, avant tout, des personnes malades. Nous avons là un devoir humanitaire. Nous ne pouvons pas fermer les yeux plus longtemps en espérant que le phénomène se déplace sans faire trop de bruit dans la commune ou l’arrondissement voisin. Telle une bille de mercure sur une paillasse de laboratoire. Il y a, enfin, la réponse thérapeutique, à construire autour de la prise en charge des consommateurs de crack, poly-toxicomanes. Une nouvelle étape doit être franchie car le manque de suivi hospitalier et psychiatrique de ces centaines de poly-toxicomanes errants est frappant. Et les associations, si utiles, ne peuvent pas tout. J’en appelle à une mobilisation du milieu médical, des laboratoires et des chercheurs pour que des études soient lancées autour du produit cocaïne. Aujourd’hui, en effet, aucun traitement de substitution n’existe. Je suis surpris par l'insuffisance des travaux scientifiques consacrés à un sujet comme celui-ci 7 8 qui concerne dans le monde des millions d'individus et plusieurs milliers en France, principalement les départements de l’Outre-Mer et le Nord-Est parisien. Du moins pour l’instant. J’y vois deux causes : soit le sujet n’est pas porteur et trouver un produit de substitution n’est financièrement pas rentable pour les laboratoires, soit le caractère illicite des produits rend difficile le développement des études ? Nous nageons là en pleine hypocrisie. Sortons-en ! D’où ma quatrième proposition. Je souhaiterais que la dimension psychiatrique et le lien avec l’hôpital et les structures de droit commun soient pris en compte, que les structures d’accueil dites de “bas seuil” s’intègrent dans une chaîne de prise en charge globale du toxicomane, en lien avec l’hôpital. En effet, les associations ne peuvent pas être la seule réponse sanitaire des pouvoirs publics. Et le Maire de Paris, son adjoint Alain Lhostis dont je salue l’énergie et la détermination, partagent tout à fait mon sentiment. Nous sommes en effet dans une situation où les structures n’arrivent plus à faire face à la demande. Quand j’apprends qu’en Seine-Saint-Denis, il n’y a plus aucune structure d’accueil des toxicomanes, deux d’entre-elles ayant récemment fermé leurs portes, et qu’il ne reste que quelques équipes mobiles, oui cela me choque et m’attriste. Je serais profondément mécontent qu’il n’y ait pas de solidarité des territoires sur cette question. J’assume tout à fait les structures qui sont dans le 18e, mais si nous souhaitons que leur travail soit efficace, elles ne doivent pas être concentrées mais bien réparties sur l’ensemble du territoire régional. Quand j’apprends que les files actives des structures de notre arrondissement ne cessent d’augmenter, je ne peux pas m’empêcher de voir un lien direct entre la fermeture de structures dans le 93 et l’accroissement des personnes reçues dans le 18e. Jusqu’où devons-nous aller ? Demander aux toxicomanes de justifier d’une adresse pour être accueillis ? Soyons sérieux, il s’agit d’une population errante, marginale. A nous, que nous soyons élus, représentants de l’Etat, d’assumer et de prendre en charge ce problème, comme le Maire de Paris, le Préfet de Paris, comme les élus des 1e et 2e arrondissements, l’ont fait récemment en ouvrant une nouvelle structure d’accueil au cœur du quartier des Halles. Et je tiens à remercier M. Legaret, maire du 1e arrondissement, d’être présent ce soir et d’avoir soutenu l’initiative d’Alain Lhostis de créer cet accueil dans le centre de la capitale pour soulager les arrondissements du nord et plus particulièrement ceux des 10 et 18e. Sur cette question, les clivages politiques doivent être dépassés. Ce soir, je le redis, il y a urgence en la matière, les structures du 18e ne tiendront pas face à cette situation si aucune solution alternative n’est proposée à l’échelle inter-départementale. Prenons à titre d’exemple la question des femmes. Oui, j’ai là une vive inquiétude parce qu’elles sont doublement victimes de leur dépendance, de la prostitution à laquelle les contraint l'achat de leur dose quotidienne, sans parler du racket et des violences dont elles font l’objet. Que leur est-il proposé aujourd’hui ? Presque rien, alors qu’elles vivent un véritable drame. Je ne peux supporter de rester complice par passivité d’une telle situation. Je me refuse à fermer les yeux. Bref à rester inactif. J’attends donc aujourd’hui des réponses précises à toutes ces questions dans le cadre du plan crack du Nord-Est parisien, mis en œuvre par la MILDT, sous la direction de son président Didier Jayle, que je remercie pour sa mobilisation et de prendre en considération une problématique qui, jusque là, rencontrait peu d’écho. J’en profite aussi pour saluer la volonté du Préfet de Paris, Michel Lalande, qui, dès qu’il a pris ses fonctions, s’est mobilisé avec une véritable détermination pour trouver des réponses concrètes à ce fléau qu’est le crack, avec le ferme soutien du Préfet de région, Bertrand Landrieu. Enfin, mon propos serait incomplet sans évoquer la souffrance des habitants qui est bien réelle dans le 18e. Nous devons l’entendre. Les territoires du 18e sont extrêmement fragiles et des habitants vivent dans la précarité. C’est pour cela qu’avec les services de l’Etat, ceux de la Ville, la “Coordination toxicomanies 18 “ a pu voir le jour. Ses missions : limiter les nuisances causées par les usagers de drogues par des actions de médiation. Cette souffrance des habitants, confrontés à ce fléau, doit être au cœur de nos réflexions, parce que la consommation de drogues s’accompagne d’une délinquance, de violences et contribue au sentiment d’insécurité. Je sais que des habitants ont souhaité participer à ces Etats généraux pour faire entendre leur voix sur un projet d’amélioration qualitative de la “structure Espoir Goutte d’Or”. Des réponses leur seront transmises. Nos débats ne pourront pas se limiter à ce projet pour privilégier une approche concrète et globale. Et naturellement, je relaie l’inquiétude des habitants du 18e, le plan crack ne se limitera pas au 18e arrondissement pour les raisons que j’ai indiquées tout à l’heure. Enfin, avant de passer la parole au Maire de Paris, je sais que la toxicomanie constitue un problème majeur et massif de santé publique ; il s’agit aussi d’un domaine qui suscite toujours la passion. Je voudrais que nous dépassions ce débat sur la toxicomanie en général pour concrètement travailler sur la situation que nous vivons. Je terminerai mon propos en vous disant : soyons francs, soyons directs, soyons vifs. Cela n’est pas préjudiciable tant que l’objectif qui nous rassemble ce soir est bien de défendre l’intérêt général et de débattre avec le respect et la bonne foi indispensable à la sincérité du débat démocratique. Je propose ce soir un front uni et partenarial contre la drogue. Je tiens ici à remercier tout particulièrement Dominique Demangel et Serge Fraysse, mes adjoints chargés, ce soir, de l’animation de la rencontre et qui en exposeront tout à l’heure le déroulement. J’y associe bien volontiers les intervenants, qu’il s’agisse d’Alain Lhostis, Michel Lalande, Préfet 9 10 de Paris, Jean-Marie Beney, Procureur adjoint, les commissaires divisionnaires Hélène Dupif et Jean-Paul Pecquet, Françoise Guyot, Vice-Procureure, Jean-Michel Costes, directeur de l’Observatoire Français des Drogues, Henri d’Abzac, directeur adjoint du cabinet du Préfet de Police. La liste est longue et je ne peux malheureusement tous vous citer mais un grand merci à vous tous qui allez enrichir ce soir nos débats de vos expériences. Je vais maintenant passer la parole au Maire de Paris qui a vraiment tenu à être parmi nous ce soir pour marquer sa solidarité et son engagement. Je tiens à l’en remercier chaleureusement. Je vous remercie. Allocution de Bertrand DELANOË, Maire de Paris Chers amis, Cher Daniel, Je suis venu vous apporter le soutien de la Ville de Paris sur un sujet extrêmement douloureux. Le phénomène de la drogue marque, en ce début de XXIe siècle, la plupart des grandes villes du monde et s’ajoute à de nombreuses autres souffrances et à d’autres dangers. En particulier le crack témoigne d’une nouvelle forme de désespérance et de nuisance pour de nombreux citoyens. Lorsque Daniel Vaillant m’a indiqué l’intention de la Mairie du 18e d’organiser cette rencontre pour tenter de comprendre et d’agir, j’ai jugé important d’impliquer la Mairie de Paris. Ce qui a été réalisé au centre de Paris peut apporter une expérience dont pourront témoigner les élus présents ce soir et que je salue. La Mairie de Paris a débloqué des moyens importants au service des citoyens à travers une Mission de prévention des toxicomanies pour prendre en compte cette souffrance et ce grave problème de santé publique. Nous sommes fortement engagés pour faire reculer ce phénomène, avec Alain Lhostis, mon adjoint à la santé, qui coordonne les actions. Je l’ai déjà exprimé ici même, mais je veux être clair. Je ne peux pas opposer les souffrances les unes aux autres. Lorsque des parents souffrent de la dégradation de la santé de leurs enfants et qu’ils appellent au secours, notre devoir est d’agir pour les aider. Lorsque des habitants des quartiers touchés par ce phénomène subissent une atmosphère lourde pour eux et leurs enfants, je ne veux pas opposer leur souffrance. Notre devoir est d’agir pour tous, de répondre à toutes ces souffrances. Parfois, seule la répression est mise en avant. Parfois, certains ne pensent qu’à soulager les drogués. Les deux aspects nous interpellent, les deux exigent notre action. Daniel, tu as considéré que ce phénomène ne se limitait pas à un quartier, et que sans prendre en compte l’environnement de ce quartier, il n’y avait pas de solution lucide. Je veux saluer les élus des quartiers voisins du 18e ou de Seine-Saint-Denis, ici ce soir pour que nous associions notre détermination, nos analyses et nos perspectives d’action. Lorsque l’on est de bonne volonté et volontariste, on parvient à des résultats. Je veux saluer aussi le Préfet Lalande et Didier Jayle. Après plusieurs années de discussions, y compris avec des oppositions et des contradictions, nous avons pu travailler sur le centre de la rue Saint-Denis. Nous nous y sommes rendus avant même qu’il n’existe. Nous avons accepté que s’expriment et que soient réellement entendues des demandes au départ contradictoires. Avec des associations d’aide aux malades, de lutte contre la toxicomanie, des associations de riverains qui étaient pourtant violemment opposées à ce centre, nous avons pu créer ce centre. Tout le monde a apporté sa contribution. Aujourd’hui il vit, il apporte un vrai service et est intégré dans ce quartier. Les habitants de ce quartier ont influé sur son existence même. Ils peuvent maintenant le vivre sereinement. Mais M. le Préfet – et ce n’est pas votre personne qui est en cause –, si l’Etat ne met pas les moyens suffisants, nous n’y arriverons pas. Sans l’aide de l’Etat, nous, les élus locaux, dont ce n’est pas le rôle de par la loi, nous n’y arriverons pas. Nous sommes pourtant déterminés et solidaires. Nous y consacrons de l’argent, la Ville de Paris engage 1,2 million d’euros par an sur les questions de la toxicomanie et j’ai bien l’intention de continuer. Cependant, j’ai besoin que vous soyez entendu, M. le Préfet, que M. Jayle, dont je salue la crédibilité et les compétences, soit entendu. Il faut que nous partagions plus que des réflexions et des analyses. Il faut qu’on vous soutienne, pour être positif. J’ai confiance en notre travail commun, mais il faut que les moyens suivent. Il y aura les moyens de la Ville de Paris, il y aura, je l’espère, tous les liens nécessaires avec tous les acteurs, avec toutes leurs différences. Cependant, sans les moyens de l’Etat, notre efficacité sera extrêmement limitée. J’ai vu tous ceux qui vont intervenir ce soir, je connais les sujets qu’ils vont aborder. Se dégageront de cette rencontre des idées, certainement dans la confrontation, mais je soutiendrai toutes les bonnes volontés et je serai aux côtés de ceux qui veulent qu’on se sorte de cette grande difficulté. J’ai confiance dans tous les partenaires, je le dis franchement mais je ne connais que les résultats. Même avec intelligence, générosité, et rapprochement des sensibilités, sans résultats à partir d’une analyse commune, nous serons dans deux ans dans la même désespérance. J’ai envie que ce soir dans l’action et dans la vérité naisse une forme d’espérance, pour des personnes gravement atteintes, pour des personnes potentiellement en danger - le crack c’est une saloperie - et pour des personnes qui aspirent légitimement à vivre leur ville avec le sourire, sans un certain nombre de désordres - et j’assume le mot. Merci. Allocution du Docteur Didier JAYLE, Président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie Monsieur le Ministre, Monsieur le Maire, Monsieur le Préfet, Mesdames, Messieurs, Chers amis, Je vous félicite, Monsieur Vaillant d’avoir organisé cette soirée sur un sujet sur lequel vous avez déjà montré quel était votre engagement et votre implication personnelle. Quant à vous, Monsieur le Maire de Paris, votre présence à cette réunion montre votre intérêt ; mais votre engagement ne date pas d’hier, je peux en témoigner ; peu de responsables politiques ont votre connaissance fine des dossiers et des gens, ce qu’on appelle le terrain. 11 12 Je voudrais, comme vous, commencer par rendre hommage à tous ceux qui se battent, chaque jour, pour venir en aide aux toxicomanes, les arracher à leur misère, à leur dépendance, à leur cauchemar, dans des conditions toujours extrêmement difficiles. Je pense aux associations, à toutes les associations du 18e, du 10e ou du 19e, mais aussi à celles de Seine-Saint-Denis, je pense aux forces de police et je salue le travail exemplaire du commissaire Pecquet et de son équipe qui agissent avec un souci de paix et de respect. Pendant longtemps, je croyais que toutes les drogues étaient équivalentes, qu’il s’agisse de l’héroïne, de l’ecstasy ou du crack, que la seule chose qui comptait était la notion de personne et d’usage, quelque soit le produit. Et bien, je vous le dis, ce n’est pas vrai, il y a quelque chose de spécifique avec le crack, qui déstructure la personne, la pousse à rechercher en permanence une nouvelle dose, la rend capable parfois de gestes incompréhensibles de violence, qui font peur aux habitants, et à toutes les personnes qui se retrouvent en première ligne. Le crack est installé dans le Nord-Est parisien depuis une quinzaine d’années, il concernait principalement des antillais, comme d’ailleurs dans les départements français d’Amérique. Non seulement il ne recule pas, mais il touche maintenant d’autres quartiers, d’autres populations. La majorité des usagers sont sans travail, sans domicile, sans ressources régulières, souvent malades dans un monde soumis aux lois du trafic, du chantage, de l’embrouille, de la prostitution, aux lois du plus fort. Nous sommes donc face à un problème de drogues, un problème de pauvreté, un problème d’exclusion, un problème de violence. Une autre caractéristique de cette population est l’errance, fruit de l’effet propre du produit, et de l’absence de lieu pour se repérer, pour se poser. D’où la multiplication des squats, le plus important ayant été celui de Saint-Denis, devenu un lieu de non droit, un lieu de trafic incontrôlable, de violence, de prostitution, que tout le monde s’est accordé à fermer malgré les risques ; ce que personne ne regrette aujourd’hui et on peut se féliciter des conditions dans lesquelles s’est déroulée la fermeture. Le problème est qu’une fois fermé, à part quelques personnes qui ont pu être relogées, pour la plupart l’errance a repris de plus belle. J’ai organisé à la MILDT des réunions avec toutes les parties concernées (vous étiez là, M.Vaillant) nous n’avons pas trouvé de solutions miracles ; le principal bénéfice de ces réunions est que pour la première fois, tous les interlocuteurs étaient présents, de Paris et de la Seine-Saint-Denis, des associations, des collectivités locales et de l’Etat, et ont manifesté leur volonté de travailler ensemble. Mais vous savez, c’est plus facile de trouver une unité pour accueillir les JO que pour accueillir des crackeurs. Avant l’hiver, nous avons essayé de trouver une solution d’hébergement, même précaire, mais nous nous sommes heurtés au problème du lieu. Car l’une des conséquences de l’errance est que personne ne se sent responsable de ces exclus. Ils n’appartiennent ni au 18e, ni au 19e ni à la Seine-Saint-Denis. Tout le monde aimerait bien qu’ils soient ailleurs, tout en souhaitant une solution. Je pense qu’il faut arrêter de se renvoyer la balle et aborder le problème plus globalement. Et ne pas en rajouter encore à l’exclusion. Face à cette violence primaire de la rue, tout le monde a peur ; et c’est légitime. Mais ce n’est pas avec la peur que nous allons résoudre les problèmes. L’Etat assumera ses responsabilités en ce qui le concerne et je vais vous donner les grandes lignes de la politique que nous sommes déterminés à mettre en œuvre et à soutenir dans les mois à venir. Si j’ai souhaité faire du crack un des axes forts du plan gouvernemental, c’est qu’il y a urgence et qu’il faut une réponse globale et des moyens (je vous rappellerais que l’Etat apporte 23 millions d’euros par an à Paris pour le volet sanitaire de la toxicomanie). La première priorité du gouvernement sera de lutter contre le trafic de cocaïne et de crack, lutter contre le trafic local, démanteler les réseaux dans cette zone qui va de Châtelet à Saint-Denis. Le Préfet de Région, Bertrand Landrieu, comme le Préfet de police ont décidé de mettre des moyens importants pour renforcer à tous les niveaux la répression du trafic, avec des moyens nouveaux. Le Préfet Lalande qui est là vous en parlera tout à l’heure. La seconde priorité est de rendre plus efficace le soin. Vous savez que Paris est riche de 20 centres spécialisés aux soins aux toxicomanes (CSST), il y en a 5 en Seine-Saint-Denis.Tous ceux qui sont dans cette aire géographique reçoivent des crackers. Avec les DDASS concernées, nous étudions les possibilités de développer cette offre de soins en prenant appui sur tout le dispositif. Il faut reconnaître que la recherche ne nous a pas encore apporté d’outils efficaces pour traiter la dépendance au crack. Cependant, à partir des pistes qui se dégagent, des travaux menés dans différents pays et de l’expérience acquise, nous avons l’intention d’ouvrir à titre expérimental un CSST à orientation crack. Il y a eu beaucoup d’émoi en ce qui concerne l’ouverture d’un nouveau lieu rue Saint-Jérôme. Il n’y aura pas de nouveau lieu d’accueil rue Saint-Jérôme. Il n’y aura pas de crackers rue Saint-Jérôme. Le local loué par l’association EGO sera réservé à l’administration et exclusivement à celle-ci. Les locaux actuels seront aménagés pour être plus conformes aux normes de sécurité, l’équipe sera étayée sur le plan médical. Il est indispensable que la prévention soit adossée au soin, et la présence dans l’équipe de médecins, d’infirmières, de psychiatres viendra consolider la dimension sanitaire de la prise en charge. Je vous propose d’organiser une réunion spécifique sur cette question avec les associations de quartiers dans les tout prochains jours. La troisième priorité est celle de l’hébergement dans un contexte de tension très forte sur le marché du logement. Mais, pour autant, nous ne pouvons pas nous retrouver en octobre prochain dans la même situation que celle que nous avons connue à l’hiver 2004. Les services de l’Etat font un inventaire de toutes les structures mais il n’y aura pas de solution sans un effort commun. Une structure d’accueil pour les femmes seules ou avec des enfants est sur le point d’être créée dans un département de la petite couronne. D’autres solutions sont à l’étude, dont vous parlera le Préfet Lalande. Enfin, une recherche action a été commandée à Coordination Toxicomanie 18, une étude régionale. Mais qu’on ne s’y méprenne pas, ne vous attendez pas à avoir un énième rapport pour caler la porte ! Parce que le produit de cette recherche, ce n’est pas de faire un rapport, c’est de faire un plan d’action. L’objectif est de dégager les marges de manœuvre autour de situations concrètes dans lesquelles il y a blocage. A titre d’exemple : • Où accueillir une mère avec son nouveau-né ? • Comment faire pour adresser une urgence psychiatrique ? • Quelle structure peut accueillir en résidentiel un usager de crack du quartier ? • Comment un résident peut faire appel au dispositif de médiation, quand son immeuble sert de lieu de consommation ? • Comment mieux impliquer les services médicaux de l’Assistance Publique ? La réduction des risques nous a appris qu’il y a toujours un bénéfice à intervenir au plus près 13 14 des situations à risque et qu’on peut construire sur ces acquis (la substitution n’a été possible qu’après l’expérimentation des programmes d’échange de seringues). L’objectif est de redonner confiance aux acteurs pour que le poids ne soit pas uniquement porté par les associations et ceux qui s’occupent des plus précaires. La confiance, c’est la condition première pour agir, pour faire face ensemble à ce drame humain. Le moment n’est pas à la division, nous ne pourrons être forts qu’ensemble, nous avons besoin de toutes nos volontés, de toutes nos énergies pour faire de nos quartiers des lieux de vie ouverts, tolérants, généreux. C’est notre détermination à ne pas nous laisser aller à la fatalité, à ne pas accepter l’impuissance et l’immobilisme qui nous permettra de réussir et de relever le défi. Je vous remercie. 15 Description du phénomène : trafics et consommations dans le Nord-Est parisien, état des lieux des structures Jean-Michel COSTES, Directeur de l’Observatoire français des drogues et de la toxicomanie Je souhaite vous présenter quelques tendances nationales de ce phénomène du crack. Le crack est de la cocaïne fumable. Il faut donc distinguer le crack de la cocaïne sous forme de poudre, consommée par voie nasale et par une population bien insérée. La cocaïne est rendue fumable par l’ajout d’un agent alcalin, bicarbonate ou ammoniac. Les cailloux de crack sont essentiellement fumés même s’il existe aussi une consommation par voie intraveineuse à Paris. En France, la consommation de cocaïne est faible par rapport à d’autres pays européens. On estime que 850 000 Français ont expérimenté de la cocaïne au cours leur vie et 200 000 au cours de l’année passée. Cette population est essentiellement âgée de 18 à 35 ans. Parmi les toxicomanes eux-mêmes, la proportion est plus forte : 20 % des usagers reçus en centre spécialisé (et 35 % en première ligne) ont consommé de la cocaïne au cours du dernier mois. Il est difficile d’estimer le nombre de consommateurs de crack en France. En extrapolant sur les chiffres 2002 des centres de soin spécialisés, 6 % des 67 000 usagers reçus avaient consommé du crack dans le mois, soit 4 000 personnes environ. Les structures de première ligne dénombrent 18 % de consommateurs de crack parmi les 30 à 35 000 usagers reçus, soit 6 000 personnes. Les 6 000 à 10 000 consommateurs en France se répartissent à égalité entre les AntillesGuyane et la région parisienne. Un tiers de cette population est féminine. Il faut distinguer entre les consommateurs de crack fumé ou injecté, une population à forte précarité sociale, qui ont une image négative de leur consommation, et les amateurs de “cocaïne free base”. Celle-ci est identique au crack mais transformée par l’usager qui lui associe une image positive, de produit “pur” et fumé dans un milieu festif. Cette dernière consommation se développe fortement. Les effets de ces prises de drogue sont multiples. La co-morbidité psychiatrique est multiforme : délires de persécutions, paranoïa, insomnie, anxiété, agressivité. Les dommages physiques – tels des blessures aux pieds, aux doigts, un amaigrissement et des troubles broncho-pulmonaires ou dentaires liés à une mauvaise hygiène de vie – peuvent être reliés à l’errance. D’autres problèmes sont liés à l’injection. 16 Quatre hypothèses sont avancées pour expliquer l’injection à Paris. Les consommateurs seraient d’anciens héroïnomanes habitués à l’injection, à la différence des fumeurs de crack aux Etats-Unis. De plus les effets seraient prolongés, les produits injectables plus accessibles et l’image est plus positive (produit “pur”). Enfin, si les squats induisent une forte marginalité et un état sanitaire extrêmement dégradé, leur évacuation soulève le problème du retour du “deal de rue”et du regroupement dans des lieux moins visibles. L’ORS (Observatoire régional de la santé) vient de rendre public un rapport sur les phénomènes émergents liés aux drogues (dispositif TREND de l’OFDT) qui aborde ces questions. Rôle et point de vue de la police nationale Hélène DUPIF, Commissaire divisionnaire, chef de la Brigade des stupéfiants Préfecture de police Je suis heureuse d’être présente ce soir car il me semble normal que la police nationale rende des comptes à la population. Je comprends les inquiétudes qui sont les vôtres ; les crackeurs sont effectivement plus excités et effrayants qu’un alcoolique par exemple. Les policiers qui travaillent avec moi en sont conscients et mettent beaucoup de cœur à la lutte contre le trafic. Les consommateurs de crack sont les plus âgés des consommateurs de psychotropes illicites, aux alentours de la trentaine. M. Costes l’a indiqué, le crack est un mélange de cocaïne, d’eau et de bicarbonate, chauffé. Malheureusement le bicarbonate est parfois remplacé par de l’ammoniac, qui procure un flash d’excitation et pousse le consommateur à reprendre une dose immédiatement. La dépendance en est accrue. La Brigade des stupéfiants a pour mission essentielle la lutte contre les trafics. Celle-ci est identique pour les divers produits, mais la production de crack se fait en petites quantités. Ceci explique la faible quantité des saisies: Ainsi en 2004, nous avons saisi 5,8 tonnes de cannabis, 127 kg de cocaïne en poudre, 59 kg d’héroïne et 2 kg de crack. Une saisie unique de 760 grammes l’an dernier était une réussite majeure. La fabrication est artisanale : un “laboratoire” se compose en fait d’une cuisinière et d’une casserole en aluminium. Les trafiquants de crack étaient initialement tournés vers la cocaïne ; le crack étant un produit fortement demandé, peu cher à fabriquer et à forte rentabilité, ils se sont diversifiés dans ce commerce de détail – une galette de crack coûte 15 euros. Ceci ajoute une difficulté, car il est difficile de savoir si un consommateur de cocaïne pure est également dealer de crack. L’an dernier, 129 personnes ont été interpellées pour détention de cocaïne. De plus, les réseaux d’approvisionnement s’étendent bien audelà du 18e arrondissement. Les trafiquants s’entendent avec des Colombiens installés en Espagne, et le produit suit cette filière jusqu’à Paris. Au niveau local, ce trafic a changé de mains. Il était tenu essentiellement par des Sénégalais, à l’époque où les consommateurs étaient principalement des Antillais venus en métropole. Aujourd’hui des jeunes d’origine africaine mais nés à Paris ont repris une part du trafic. Les interpellations sont plus difficiles car elles exigent de longs mois de surveillance. Même quand les habitants savent qui sont les trafiquants, la réunion de preuves exige un travail minutieux, ce qui explique les 20 interpellations de l’année dernière. Il faut encore insister sur la différence des populations d’usagers. Les héroïnomanes, les usagers de Subutex ont pu être pris en charge, mais les cocaïnomanes ou les crackeurs exigent de nouvelles approches. Rôle et point de vue de la police urbaine de proximité Jean-Paul PECQUET, Commissaire central du 18e arrondissement Préfecture de police Nous, police urbaine de proximité, sommes là pour parler de répression. Celle-ci est jugée insuffisante par de nombreux habitants tandis que d’autres trouvent nos interventions disproportionnées. Sur les 5 000 gardes à vue comptabilisées dans le 18e arrondissement, 1 200 sont liées à des trafics et usages de drogues – dont un nombre croissant concerne le crack. Le problème est très concentré puisque 22 % des interpellations ont eu lieu dans la partie sud du quartier de la Goutte d’Or, 19 % dans sa partie nord et 12 % dans le quartier de Château Rouge. D’autres quartiers ont été touchés, suite à l’expulsion d’un squat en novembre dernier, qui a entraîné une diffusion au nord de l’arrondissement. Il y a quelques années, le trafic était géré par ceux que le milieu toxicomane nomme les “Modous”, des Sénégalais. Depuis deux ans, des jeunes issus des cités commencent à prendre en charge ce trafic, qui tend à se substituer à celui du cannabis, moins rentable, car les “cuisines” sont faciles à construire. Les principales affaires sur lesquelles enquê- tent les policiers du 18e les font remonter jusqu’en Seine-Saint-Denis. Les dealers viennent fournir les toxicomanes dans les quartiers de la Goutte d’Or ou à ses portes. Auparavant, le deal s’effectuait quasiment au vu et au su de tous, mais désormais les jeunes travaillent en bande, communiquent par portable et vendent dans des endroits clos : leurs cités, leurs immeubles. La surveillance en est évidemment plus complexe. Nous ne sommes pas seuls à lutter contre ces trafics. Nous épaulent la Brigade des stupéfiants, la 2e DPJ, la BAC N75 qui patrouille de nuit dans ces secteurs sensibles, ainsi que la Compagnie de sécurisation créée l’année dernière, qui dépend de la police urbaine de proximité. Nous disposons donc d’une capacité d’action non négligeable, mais qui ne répond pas toujours à vos attentes. En effet, il reste, à la sortie du métro Château Rouge, des toxicomanes qui font du bruit à cinq heures du matin. Je peux cependant vous assurer de la volonté sans faille de tous ces services dans leur lutte contre ce fléau. 17 18 Débat avec la salle Jean-François LEGARET, maire du 1e arrondissement : Je suis heureux d’avoir été invité ce soir et je souhaite vous faire partager mon expérience concernant le centre de soins ouvert au centre de Paris. Il se situe entre le 1e et le 2e arrondissement, qui n’ont pas la même couleur politique, ni toujours la même approche de la toxicomanie. Cependant, lorsque M. Coste et les services préfectoraux m’ont approché pour trouver une solution, j’ai été favorable à la création d’un centre de soins dans mon arrondissement, au plus près des personnes à aider. Il faut composer avec la réalité de son arrondissement, même si ce n’est pas facile vis-à-vis des riverains. Soyons honnêtes : personne n’est enthousiaste à l’idée d’héberger un centre de traitement dans son immeuble ! C’est pour cela que le débat et l’écoute sont nécessaires. Le centre a été ouvert ; il est géré par un personnel médical compétent qui a eu la sagesse de monter en puissance progressivement. Avec Jacques Boutault, Maire du 2e arrondissement, nous avons créé un comité de suivi. Nous nous réunissons avec les riverains, les associations, les policiers – et je salue Mme Dupif et le commissaire Pecquet, qui ont œuvré dans le quartier des Halles. Nous essayons, tous les deux mois, d’évaluer les résultats. Cette dimension de l’évaluation est à mes yeux indispensable et malheureusement trop souvent absente dans l’administration française. Pour conclure, je souhaite en appeler au dépassement des clivages, comme l’a dit Daniel Vaillant, pour conjuguer nos efforts, nos analyses, nos énergies. Il faut lutter contre la drogue, il faut lutter pour aider les toxicomanes. De la salle : J’habite rue des Poissonniers et je suis professeur de droit. Il me semble que le bilan est incomplet. Le quartier a des problèmes et engendre des toxicomanes, mais il subit aussi une concentration artificielle du fait du rassemblement des structures d’accueil. Le bilan d’EGO le montre puisque ces centres accueillent chaque année plusieurs centaines de nouveaux toxicomanes, bien plus que ne peut en engendrer la Goutte d’Or seule. Ce marché professionnel du traitement de la toxicomanie est d’autant plus opaque que l’évalué et l’évaluateur sont parfois identiques ou presque. Ainsi, Coordination 18 va évaluer EGO et inversement. Enfin, les personnes qui sont sous injonction thérapeutique n’ont pas à être dans des centres d’accueil qui les maintiennent dans la toxicomanie. Personne n’a de légitimité pour contrevenir à une condamnation judiciaire. Le président de la MILDT nous affirme que les structures seront renforcées en personnel médical ; j’en conclus qu’elles sont actuellement sous-dotées, ce qui illustre le flou relatif aux objectifs. S’agit-il de sortir ces personnes de l’intoxication ou de les soigner pour les y maintenir ? De la salle : J’habite 5, rue de Tombouctou. J’insiste pour que l’on parle d’usagers de drogues, plutôt que toxicomanes. Les fumeurs le sont aussi. J’ai ici une veste qui m’a été offerte par le Vice-Président de l’Assemblée nationale bolivienne, qui appartient au mouvement MAS, soutenu par tous les cocaleros boliviens. Ils rappellent que la coca est différente de la cocaïne. Si nous souhaitons apporter une réponse globale, à quand la légalisation de la coca au niveau international, pour se centrer sur la lutte contre la cocaïne et le crack ? La MILDT a publié un livre de M. Sanchez sur ces problèmes ; aussi je pose la question à M. Jayle et à M. Vaillant, ancien Ministre de l’Intérieur : va-t-on sortir des conventions internationales de 1961 qui empêchent le dialogue, sortir de la loi de 1970, pour avoir un véritable débat sur la place des drogues ? De la salle : Je suis journaliste et habitante du quartier de La Chapelle. Il nous a été décrit une partie de la réalité du trafic de crack dans le quartier. Vous n’avez pas évoqué de délinquance spécifique entraînée par le trafic. Estce la vérité que vous constatez, ou une omission ? Y a-t-il davantage de cambriolages, de violences ? Jean-Paul PECQUET, commissaire central du 18e arrondissement : Je ne souhaitais pas laisser supposer cela. A trente euros la galette, un toxicomane qui en ingurgite parfois cinq par jour commettra certainement des délits. L’usage entraîne des vols avec violence à l’arme blanche, des vols à la roulotte, de petits cambriolages maladroits. De nombreuses personnes gardées à vue pour délit sont usagers de drogues. Hélène DUPIF, chef de la Brigade des Stupéfiant : Un témoignage inclus dans le rapport TREND (Tendances récentes et nouvelles drogues) illustre ce fait. Un usager de crack revendait des médicaments car son RMI ne subvenait pas à ses besoins qu’il évaluait ainsi : 35 euros de frais d’hôtel, 5 euros pour la nourriture, 50 euros pour le crack – soit trois galettes –, 5 euros pour les cigarettes et 10 euros pour la bière, soit un total de 105 euros quotidiens. Jean-Michel COSTES, Directeur de l’OFDT : La localisation des usagers est un problème complexe. Les structures de soins et de première ligne traitent effectivement des personnes qui ne sont pas toutes originaires du Nord-Est parisien. Les usagers sont marqués par l’errance. De plus, la consommation de crack étant compulsive, les usagers ne s’éloignent jamais trop des lieux de deal. Les ressources sont également une contrainte qui peut rapprocher certains usagers des lieux de prostitution par exemple. Châtelet Les Halles ou le Nord-Est parisien sont de plus facilement accessibles par le train. Rôle et point de vue de la Justice Françoise GUYOT, Vice-Procureure, chargée de mission toxicomanie Parquet de Paris Bonsoir à tous. Je salue tous les partenaires de l’Etat et des structures associatives de l’arrondissement avec qui je travaille en bonne harmonie. Le Parquet a parfaitement sa place dans un dispositif de lutte contre la drogue puisque c’est lui qui décide de l’opportunité des poursuites engagées contre les personnes interpellées par la police. Nous menons une politique de fermeté à l’encontre des toxicomanes et des trafiquants. Nous intervenons pour favoriser la prévention auprès des usagers et pour réprimer les trafics de stupéfiants et la délinquance dérivée de ces trafics. Rappelons que les usagers de crack sont des délinquants. Les services de police doivent donc placer en garde à vue tous les usagers interpellés. Ils seront ensuite déférés devant un magistrat du Parquet qui va leur proposer 19 20 une injonction thérapeutique dans une logique de soins. Une permanence, à proximité du dépôt du tribunal, regroupe médecins, psychologues et travailleurs sociaux de la DDASS. Si cette injonction est acceptée, l’usager de stupéfiants aura un entretien avec le médecin ou le psychologue de permanence qui orientera ce consommateur de crack vers une consultation adaptée. Cette alternative aux poursuites n’en demeure pas moins une mesure de justice. Ce suivi fait l’objet d’un rapport au Parquet qui peut classer l’affaire sans suite si l’usager respecte les obligations et ne récidive pas. Ceux qui ne se sont pas présentés aux rendez-vous fixés par les services de la DDASS sont poursuivis. Il est clair que ces personnes n’ont pas souvent d’adresse fixe et peuvent donc disparaître, mais elles seront tout de même jugées en leur absence et à l’occasion d’une nouvelle interpellation, le jugement leur sera signifié… Les trafiquants sont systématiquement placés en garde à vue, déférés au Parquet et jugés en comparution immédiate. Nous obtenons des peines très significatives de la part des juges, des peines d’emprisonnement sont de plus en plus souvent prononcées. La délinquance dérivée la plus fréquente est le vol avec violence, par exemple l’arrachage du sac à main sur la voie publique. Nous sommes très fermes sur ce point, les délinquants même primaires sont déférés et jugés en comparution immédiate. Notre activité a considérablement augmenté. Nous avons prononcé 1,5 fois plus d’injonctions thérapeutiques en 2004 par rapport à 2003. Les procédures pour usage de crack représentent 25 % de ces mesures alternatives. Une vraie politique pénale doit protéger les habitants, être ferme et constante, tout en étant associée à de la prévention. Rôle et point de vue de la DDASS Philippe COSTE, Directeur des affaires sanitaires et sociales de Paris La DASS, vous le savez, ne s’occupe plus de l’aide sociale à l’enfance mais de l’urgence sociale – hébergement et insertion des personnes à la rue –, de l’autorisation de financement et du suivi de structures pour personnes âgées ou handicapées. Dans le champ sanitaire, la DDASS est notamment en charge du suivi des professionnels de santé, des risques sanitaires – saturnisme, insalubrité-, de la gestion des maladies à déclaration obligatoire (sida, hépatites) en lien avec l’assurance maladie et enfin des addictions aux drogues, alcool et tabac compris. Sur Paris, on compte vingt centres spécialisés de soins aux toxicomanes (CSST) dont deux dans le 18e. Ils ne sont donc pas concentrés dans le 18e. Il existe aussi six équipes de coordination et d’intervention pour malades usagers de drogues (ECIMUD), les plus proches étant à Bichat et à Lariboisière dans le 10e. Le lien avec les structures de soins est aussi assuré par le fait que trois des CSST sont gérés par des établissements psychiatriques (Maison-Blanche, Sainte-Anne, Marmottan) et deux d’entre eux par des hôpitaux de l’Assistance publique. Pour la substitution, la méthadone ne peut être prescrite que par un médecin hospitalier ou de CSST pour la première prise et ensuite par tout autre médecin. Le Subutex, qui est moins encadré, donne lieu à un mauvais usage et à des trafics. 4 000 personnes bénéficient de ces programmes. Nous avons mis en place trois programmes d’échange de seringues dans des lieux fixes et trois dans des bus. Des kits sont aussi disponibles en pharmacie ou dans l’un des 25 automates de Paris. Pour ce qui est des boutiques, deux boutiques sur quatre sont situées dans le 18e avec une équipe de rue. Ces boutiques gèrent environ 3 000 personnes, qui forment une population très mouvante. Le volet hébergement de la prise en charge compte 300 places spécialisées, 120 en appartement thérapeutique relais dans le cadre d’un parcours de soin, 31 places d’hébergement collectif situées rive gauche, 30 places d’hébergement d’urgence, des places pour mères avec enfants et 94 places à l’hôtel. Tous ces lieux sont loin des scènes de deal et sont disséminés dans tout Paris. Je voudrais aussi indiquer que les réactions de ce soir étaient aussi très présentes lors du projet d’ouverture d’un CSST rue Saint-Denis. La première réunion avait été très houleuse, alors qu’ici l’accueil est plus convivial. De même, encore auparavant, le centre Beaurepaire avait suscité des inquiétudes que la mise en place effective a soulagées. Il s’avère que l’installation de ce centre n’a pas même affecté le prix de l’immobilier, ce qui avait été l’une des craintes majeures du voisinage. Pour conclure, je peux témoigner qu’un lieu surchargé a plus d’impact négatif sur son environnement qu’un lieu ayant les moyens de faire face par un travail de qualité. Je l’ai vérifié sur la problématique des SDF. Des moyens en locaux et en professionnels adaptés permettent un travail efficace et un environnement pacifié. Débat avec la salle De la salle : Je suis psychiatre à La boutique rue Philippe de Girard. Les structures de soins et réduction des risques sont budgétairement étranglées. Les besoins d’hébergement thérapeutique ou de séjours hors de Paris, adaptés aux usagers de crack, ne font que diminuer. Nous sommes handicapés par la régionalisation qui empêche d’éloigner ces populations hors d’Ile-de-France. De la salle : La décision d’extension du local de la rue Saint-Jérôme a été décidée sans y associer les habitants. On nous assure que le local sera purement administratif, cependant il me semble que lorsqu’on souhaite installer une structure ou étendre un local, on consulte les habitants, qu’on fasse un référendum local. De la salle : J’habite le 18e et je souhaite savoir si vous disposez, en dehors des centres médicalisés, de locaux pour que les usagers puissent s’administrer leur produit. De la salle : Anne Coppel fait mention dans un livre de 2003 d’une circulaire de juin 1999 qui empêcherait la police d’intervenir aux alentours des structures dites “à bas seuil”. Celle-ci existe-t-elle encore ? De la salle : J’habite rue Philippe de Girard et il me semble que La Chapelle est également touchée par le trafic. Celui-ci est tenu par des jeunes de plus en plus jeunes, de quinze à vingt-cinq ans, d’origine maghrébine qui ont délaissé le cannabis au profit du crack, pas- 21 22 sant de la délinquance au crime. Quelle est la réponse des forces de police face à cette évolution ? A ce sujet, le directeur du magasin Monoprix de La Chapelle se plaint de trafics devant son magasin alors que les associations du quartier avaient obtenu la réouverture de son entrée rue Philippe de Girard. De la salle : Je suis infirmière en hôpital et j’ai travaillé avec Médecins du Monde. M. Vaillant avait un jour dit que le 18e ne pouvait pas supporter toute la misère du monde. Depuis des années, je revois les mêmes toxicomanes. La politique de prévention ne semble pas efficace. Cette prévention doit aussi concerner l’alcoolisme qui devient un vrai fléau, alors même que la vente d’alcool s’étend de plus en plus tard. Jean-Paul PECQUET, commissaire central du 18e arrondissement : Ma collègue Hélène Dupif me confirme qu’une circulaire d’avant 1998 irait dans ce sens. Ma réponse personnelle sur ce sujet est claire : les policiers ont déjà suffisamment de travail pour éviter d’aller aux abords des structures d’accueil. Faire de la répression ne veut pas dire oublier les aspects humains et préventifs. A ce titre, nous avons des réunions tous les mois avec Coordination Toxicomanies 18, des liens avec les élus et les associations. J’ai évoqué des problèmes principalement ancrés sur Château Rouge et Goutte d’Or, mais effectivement le quartier de La Chapelle n’est pas exempt de problèmes de toxicomanie. Le problème du Monoprix dépasse la toxicomanie pour toucher au problème des sans domicile fixe, de la propreté des lieux qui dépasse la seule compétence de la police. Philippe COSTE, Directeur des affaires sanitaires et sociales de Paris : Il est vrai que chaque année nous avons du mal à faire face à tous les besoins avec les moyens qui nous sont délégués. De plus, il y a beaucoup de besoins en banlieue, territoires moins bien dotés que Paris, et en province. Il est clair qu’une action en banlieue est parfois moins efficace car la présence de toxicomanes est plus diffuse et la géographie des transports facilite des déplacements de la banlieue à Paris plutôt que de banlieue à banlieue. Les séjours de rupture sont effectivement mis en cause par la logique d’évaluation. Mes collègues de province ont leurs propres priorités, comme l’alcoolisme par exemple. Les élus de province eux-mêmes n’accueillent pas toujours de bonne grâce ces lieux. Les services de l’Etat ne pratiquent plus la décision dans l’ombre, simplement parce qu’il est préférable d’expliquer en amont afin d’éviter le phénomène NIMBY (Not in my backyard). A Paris, cela est compliqué par la situation de l’immobilier. Le temps de la concertation peut amener l’Etat à perdre une opportunité d’acquisition. De nombreux projets ont échoué de fait des lenteurs pour débloquer les crédits. La question de lieux d’injection, ou “salles de shoot”, relève de la politique nationale, M. Jayle pourra en parler. Elles existent chez certains de nos voisins européens mais pas en France à ma connaissance. La lutte contre l’alcoolisme fait partie des attributions de la DDASS, c’est un travail de longue haleine. La répression des attitudes insupportables du fait de la consommation d’alcool relève de la police. 23 Témoignages, pratiques et expériences de terrain Le rôle de Coordination Toxicomanies 18 Lionel MAHIER, Membre du Conseil d’administration de l’association Coordination Toxicomanies 18 Je suis à Coordination Toxicomanies 18 depuis un an en tant que représentant d’une association de riverains des 18e et 19e arrondissements. C’est à ce titre que la Présidente a souhaité que je présente le point de vue de la Coordination. Les habitants ne doivent pas être caricaturés comme étant systématiquement contre les usagers de drogues. Le thème de ces Etats généraux,“Crack, errance et poly-toxicomanie : quelles réponses concrètes ?” est pour beaucoup d’entre nous, habitants et acteurs de terrain, une question ancienne qui garde toute son actualité. Nous ne pouvons que nous réjouir de l’intérêt porté par les politiques et les institutions d’Etat à une problématique aussi complexe, face à une urgence… qui dure depuis plus de 15 ans ! Urgence qui s’est répétée, ces derniers mois, pendant et après l’évacuation des squats du Nord-Est parisien, accentuant les nuisances que connaissent les habitants des quartiers et aggravant encore la précarité des conditions de vie des usagers, mettant en cause leur vie même. Les expériences du passé doivent éclairer notre présent. Il nous paraît donc utile de retracer en quelques mots, avant de présenter les missions et l’action de la Coordination toxicomanies, ce qui a présidé à sa création, à une époque où l’errance des usagers de drogues a amené des associations d’habitants engagées dans des actions de proximité à rencontrer des intervenants en toxicomanie déjà installés dans cette partie du territoire du Nord-Est parisien. I - Naissance de “Coordination Toxicomanies” Rappelons quelques repères historiques : ■ 1987 : Création de l’interservices en toxicomanie La Terrasse, hôpital Maison-Blanche ; ■ 1988 : création d’EGO (Espoir Goutte d’Or) dans le contexte de la rénovation sociale du quartier ; ■ 1993-1994 : implantation de la Boutique 24 (rue Philippe de Girard), puis du Sleep’in (rue Pajol), concrétisant ainsi une des modalités de la politique de réduction des risques impulsée par le ministère de la Santé d’alors ; ■ fin 94 - 1995 : après leur évacuation de la place de Stalingrad, dispersion des usagers de drogues dans les quartiers voisins, en particulier ceux de La Chapelle et de Marx Dormoy ; ■ Vives réactions d’un certain nombre habitants et des commerçants de ces quartiers qui se plaignent des nuisances occasionnées par la présence des usagers de drogues et qui mettent en accusation les structures déjà implantées ; ■ Parallèlement, initiative prise par d’autres associations d’habitants, sensibles à la nécessité de conserver pour les usagers de drogues des outils d’accompagnement social et sanitaire, de rencontrer les acteurs de terrain et de favoriser une logique de concertation afin : 1. D’envisager l’élaboration de réponses pratiques et non ségrégatives aux problèmes posés par la présence des usagers de drogues ; 2. De permettre des échanges positifs entre les structures déjà implantées et la population du quartier ; 3. De soutenir l’action des structures déjà présentes tout en réclamant qu’aucune implantation ne se fasse plus sans le préalable d’un travail d’élaboration et de concertation. ■ En novembre 1998, cet embryon de coordination énonce un ensemble de propositions, demandant, outre le renforcement des outils de soins, la création d’équipes de médiation, la mise en place d’une formation à destination des habitants et des professionnels implantés sur les quartiers, la création d’une cellule locale d’observation et de recherche, la mise en articulation de diverses institutions (habitants / structures d’accueil / police, par exemple) ; ■ 1998-1999 : Ce projet trouve un écho auprès des responsables politiques locaux (Mairie du 18e) et nationaux (ministère de la Santé). Soucieux de trouver, rapidement, sinon en urgence, des réponses adaptées aux difficultés du moment, ils proposent un plan d’action sous forme d’une approche psychiatrique de la problématique des usagers errants, mais sans concertation préalable ; ■ Après de nombreuses discussions, il est décidé, sous l’impulsion de la Mairie du 18e, de créer un dispositif expérimental qui rassemblerait représentants d’habitants, représentants de structures de soins et d’accompagnement, acteurs politiques, afin de mener des actions concrètes et coordonnées. Ce nouvel outil se donne deux axes d’action : • Etre un outil politique de concertation entre porteurs de points de vue différents voire opposés ; • Etre un outil d’intervention de proximité en proposant une médiation entre les habitants subissant des nuisances, les usagers de drogues et les structures d’accueil ; • Parallèlement, on assiste au renforcement des structures de soins (ECIMUDS) et à la création de ELP (équipe de liaison psychiatrique) ; ■ Après 18 mois d’existence et évaluation des résultats, il est décidé, en 2001, de donner à ce dispositif expérimental une existence institutionnelle pérenne via la création de l’association Coordination Toxicomanies 18. II - Bilan des apports d’un travail de Coordination Je me contenterai de donner, ici, les quelques éléments de l’activité de la Coordination, ces 4 dernières années, vous renvoyant, pour un bilan plus complet, aux différents rapports d’activité annuels : ■ Interventions de médiation, en espace privé, auprès des habitants de 3 quartiers du 18e arrondissement (Chapelle, Simplon, Goutte d’Or) et, marginalement du 19e (Aubervilliers, Stalingrad). Ce travail quotidien, effectué par les équipes de médiation, a souvent permis de calmer le jeu entre usagers de drogues en difficulté et habitants parfois excédés par le comportement des premiers et d’ouvrir à nouveau des perspectives aux usagers de drogues en rupture avec le dispositif ; ■ Médiation judiciaire réussie entre structures d’accueil (Boutique, Sleep’in) et associations d’habitants qui demandaient leur départ ; ■ Organisation de la table ronde de décembre 2001 ; ■ Accompagnement de l’évacuation de squats, à l’automne 2004. Recherches de solutions alternatives dans un cadre multipartenarial (responsables politiques locaux, municipaux, départementaux et régionaux, responsables de la SNCF et de RFF, responsables institutionnels (MILDT), acteurs de terrain…). Cette tentative de mise en commun d’un travail de réflexion concrète n’a pu déboucher sur une solution probante. Elle a permis, pour la première fois, que des interlocuteurs évoluant sur des positions souvent radicalement différentes puissent se rencontrer. Au-delà de ces quelques exemples saillants, qui concernent plus précisément l’action de la Coordination, il faut insister sur le travail fait par les équipes de première ligne qui, au cours de ces 15 dernières années, ont su s’adapter à l’accueil et au suivi d’usagers de drogues poly-toxicomanes. Il est incontestable que le travail de terrain, sous-tendu par une réflexion de l’ensemble des acteurs, a permis qu’aujourd’hui la situa- tion ne soit pas explosive comme elle l’a été par le passé. La mobilisation des partenaires publics et associatifs, le travail de diagnostic, d’analyse des évolutions du territoire, permettent de replacer au coeur de nos préoccupations ce principe : la tranquillité et la sûreté de chacun sont au prix d’une vie digne pour tous. Cette dignité ne peut être trouvée, pour les usagers de drogues, qu’à travers la solidarité. Solidarité de proximité autant que solidarité nationale. Et cette solidarité doit s’adresser à tous, usagers de drogues ou simples habitants, qui subissent par contre coup les conséquences de cette exclusion. Ainsi, non sans difficulté, peut se construire une nouvelle manière de concourir aux orientations d’une politique publique, mettant en jeu une approche globale, organisée en réseau, implantée sur un territoire déterminé. C’est l’un des enjeux de la Coordination que d’y participer activement. III - Pour conclure 5 ans d’existence nous permettent, désormais, de préciser : ■ ce qu’est la Coordination ; ■ ce qu’elle n’est pas ; ■ ce qu’elle pourrait être appelée à devenir. 1. Ce qu’elle est : • Une instance de médiation qui place à égalité les préoccupations en direction des usagers (accompagnement social, orientation vers des réseaux de soins…) et en direction des habitants (aide à la gestion des problèmes de cohabitation, recherche de solutions pratiques, intermédiaire entre habitants et institutions…) ; • Un poste d’observation territorialisé des questions liées à l’usage de drogues. Une sorte de “sémaphore” qui signale les problèmes et tente de les éclairer en leur donnant du sens. 25 26 2. Ce qu’elle n’est pas : • Une instance de représentation de chacune des structures qui y adhèrent. Celles-ci gardent leur autonomie de gestion et sont seules responsables des projets qu’elles soutiennent. Pour autant, leur participation à la Coordination témoigne de leur souci d’articuler leur action particulière au sein d’un projet politique cohérent, partagé avec d’autres ; • Une solution définitive aux questions posées par l’usage de la drogue. Nous sommes amenés comme d’autres, à constater l’amplification des phénomènes de consommation (en quantité et en diversité de produits) et la dégradation des conditions de vie de la population, qu’elle soit ou non usagère de drogues. 3. Ce qu’elle pourrait être amenée à devenir : • C’est la question de son extension : on ne peut se contenter de réduire la notion de territorialisation aux seules constructions administratives et politiques (les frontières d’une municipalité ou d’un arrondissement). Le territoire doit renvoyer à des réalités sociodémographiques qui peuvent (et doivent !) être partagées au-delà de ces frontières. C’est ainsi que se pose, après la tenue du panel citoyen du 19e arrondissement et après les décisions prises par les responsables politiques de cet arrondissement, de la ville et de l’Etat, l’extension de l’action de la Coordination sur une aire élargie (rappelons les interventions en direction des habitants du quartier Flandre Aubervilliers, l’intervention récente en conseil de quartier restreint, la tenue du « panel citoyen » en 2002-2003…) ; • Un véritable organe de confrontation, d’articulation et d’élaboration des différentes solutions envisageables quant à la mise en place d’une politique de soin en direction des usagers de drogues (“soin”étant pris dans sa double acception d’action thérapeutique et d’accompagnement social). D’une politique suffisamment élaborée pour permettre d’éviter l’addition de réponses à une somme de situations à chaque fois singulières et urgentes. Des questions graves méritent d’être traitées. Il en est ainsi de celle qui consiste à opposer soins de proximité, qui permettent de maintenir un lien social mais qui génèrent promiscuité pour les usagers de drogues et sentiment d’insécurité pour les habitants des quartiers, et soins extériorisés (en centres de soins en milieu extra-urbain) qui permettent la mise à l’écart d’un milieu traumatogène mais qui peuvent engendrer relégation et exclusion. Cette opposition rappelle celle que connaissent bien les psychiatres, c’est celle qui oppose l’asile, dans son idéal de retour à la nature mais dans sa réalité concentrationnaire, et le travail de psychiatrie dans la cité, avec son idéal de socialisation et sa réalité d’isolement des individus perdus dans la masse. Sur ce point comme sur beaucoup d’autres, le débat n’est sans doute pas terminé ; • La recherche action, impulsée et financée par la MILDT, à la suite de l’échec de la tentative de mise en place d’une solution d’hébergement temporaire après l’évacuation des squats, se devra d’apporter une contribution à ce débat. D’une part, en établissant un niveau de connaissance commun des pratiques de chacun des acteurs de terrain, afin de rendre plus adéquates les offres de soins en direction des usagers de drogues. D’autre part, en faisant mieux apparaître les besoins, directement exprimés ou encore latents, des usagers de drogues et des habitants des quartiers du Nord-Est parisien. 27 Olivier ANSART, Conseiller de quartier J’habite La Chapelle depuis plus de 25 ans et souhaite articuler mon propos autour de trois points : les constats, les questions, et les propositions des riverains. Il y a trois ans et demi, nous nous sommes réunis ici même ; la table ronde avait été un succès mais les actes se sont fait attendre… La situation du seul point de vue de la toxicomanie ne s’est pas améliorée et s’est même plutôt dégradée. La toxicomanie est un problème de société mais aussi de cadre urbain. Ainsi depuis 2001, le point positif concerne les travaux d’urbanisme dans le quartier qui sont de nature à faire reculer ce fléau (résorption de l’habitat insalubre à Château-Rouge, traitement des friches industrielles telles que Pajol, cour du Maroc…). On observe une densification de la population touchée par la toxicomanie : plus de femmes, plus de jeunes. Cette population se trouve dans le Nord-Est et dans le centre de Paris. Dans le triptyque prévention/prise en charge/répression, les efforts se concentrent sur la prévention, trop peu sur la répression et pas du tout sur la prise en charge. Les structures à bas seuil poursuivent une politique de réduction des risques, ou “comment se droguer propre”, et la répression est insuffisante. Le fort développement des petits dealers nous interpelle. Il y a un manque criant de prise en charge des toxicomanes, comme l’ont montré les évacuations de squats de la Plaine Saint-Denis et du boulevard Ney. Quelles ont été les actions menées depuis par la Ville, la Région, l’Etat ? Quelles sont les perspectives dans chacun des domaines du triptyque ? Ces propositions sont le fruit d’une réflexion appuyée sur l’observation. Pas d’extension de structures à bas seuil dans les secteurs déjà pourvus (Goutte d’Or, Chapelle). La politique de prévention des risques doit exister et se développer ailleurs. S’il est prévu de s’orienter vers une structure d’hébergement à mi-chemin entre le bas seuil et l’hôpital, son implantation géographique doit faire l’objet d’une vaste concertation publique et se situer en dehors du cœur de la ville. Il s’agit d’éviter les erreurs du passé des rues Pajol ou Philippe de Girard qui ont vu surgir des structures sans concertation avec la population riveraine. Mettre l’accent sur le volet thérapeutique dans des structures médicalisées. Les riverains ont l’impression que l’hôpital ne remplit pas son rôle de prise en charge médicale de la toxicomanie. A l’instar de ce qui se passe en Allemagne par exemple, il faut que l’hôpital en France et à Paris en particulier, considère la toxicomanie comme une pathologie à part entière et offre des lits d’accueils aux usagers de drogue. Ceux-ci doivent être équitablement répartis dans au moins deux établissements entre l’Est et l’Ouest de la capitale. Une idée proposée par le collectif anti-crack me semble utile : un projet de SAMU Toxicomanie. Celui-ci offrirait une première prise en charge d’urgence à travers une structure souple et mobile et offrirait ainsi une première réponse médicale en éloignant le toxicomane des scènes de drogue. Enfin la répression doit être dotée des moyens suffisants pour mener une action volontariste et exercer une pression constante sur les dealers. 28 Eric LABBE, Président de l’association Stalingrad Quartier Libre L’association Stalingrad Quartier Libre rassemble des habitants d’un quartier à cheval sur les 10e, 18e et 19e arrondissements. En 2002, suite à de gros problèmes liés à la consommation et au trafic de crack dans les halls d’immeuble, la police est intervenue massivement et le problème avait semblé disparaître. En fait, les usagers de drogues s’étaient réinstallés dans le quartier Marx Dormoy. En 2003, un léger mieux a été observé sur ces trois arrondissements, dû en fait à l’existence d’un immense squat de 300 personnes dans le nord de Paris. Au moment où tous se demandaient quelles structures attiraient le plus les usagers, il est donc apparu que la plus importante d’entre elles était sauvage. Sa fermeture a dispersé les usagers de nouveau dans les parkings et les caves. Pour se mobiliser contre ce phénomène, notre association en a appelé aux habitants pour réfléchir à la question de l’espace. Une pétition est née lors de ces réunions publiques. Je vous en donne lecture. « Pour la sécurité, la santé et la tranquillité de tous, pétition pour la création de lieux ouverts de jour et de nuit afin d’accueillir et d’héberger les toxicomanes SDF : Après l’évacuation des deux squats de la Porte de La Chapelle, aucune solution n’a encore pu être trouvée pour les toxicomanes expulsés. En cette période d’hiver, la plupart d’entre eux se sont à nouveau réfugiés dans les immeubles, les parkings et les caves du Nord de Paris. Ces dernières semaines, les peurs et les tensions ont repris et plusieurs personnes toxicomanes sont mortes. Nous, habitants des quartiers Nord de Paris, demandons que l’Etat et les élus locaux prennent des mesures en urgence pour répondre à cette situation inacceptable tant d’un point de vue humanitaire que du point de vue de notre qualité de vie. Le manque d’hébergement et de lieux de vie dédiés aux toxicomanes SDF, loin de les “chasser” puisqu’ils sont toujours là, les contraint à occuper les rues, les parcs, et les immeubles dans lesquels nous vivons. Nous demandons que soient ouverts des lieux de vie et d’hébergement adaptés (et non uniquement des accueils de jour) afin de résoudre les problèmes là où ils se posent à toute heure du jour et de la nuit. Si plusieurs petits lieux de ce type venaient à voir le jour de manière à répartir cet accueil, nous pensons que nous aurions franchi un pas important pour la sérénité de nos quartiers tout en permettant peut-être à ces hommes et à ces femmes de faire un premier pas vers les soins et la réinsertion. Nous appelons tous ceux qui se sentent concernés à soutenir notre démarche : habitants des autres quartiers ou de banlieue, toxicomanes, parents et amis de toxicomanes, associations, commerçants, élus, professionnels… » Cette pétition a recueilli 1 300 signatures. Ces habitants souhaitent plus de structures, pas moins. Plusieurs personnes ici ont expliqué les difficultés propres au crack. Si l’on attend du soin ou de la répression une solution miracle, nous ne pourrons pas nous en sortir. Nous appelons à la création de lieux ouverts pour que ces personnes soient quelque part et pas nulle part, c’est-à-dire dans vos rues et vos immeubles. Débat avec la salle De la salle : J’interviens au nom de l’Association La Chapelle, une association d’habitants qui œuvre depuis 1994 pour une meilleure qualité de vie. Nous avons mis en place un Point écoute jeunes. Nous avons soutenu dès le début la mise en place des structures d’accueil pour les usagers de drogues. Nous avons contribué, avec d’autres associations et la Mairie à la mise en place de Coordination Toxicomanie 18. Après dix ans, nous constatons que ces structures sont efficaces, et ont contribué à plus de sécurité dans les quartiers. Leur travail est remarquable, mais elles demeurent fragiles faute de moyens. Après évacuation des squats de la Porte de La Chapelle, aucune solution viable n’a été proposée. Nous sommes revenus dix ans en arrière, avec des usagers dans les espaces publics et privés. Notre association ne souhaite pas que les habitants soient considérés comme des victimes mais comme des acteurs. Le traitement des personnes les plus fragiles est un indicateur de l’humanisme de nos sociétés. Nous demandons qu’après toutes les réunions et concertations des mesures concrètes soient retenues, en particulier l’ouverture de lieux d’hébergement et d’accueil et un dispositif socio sanitaire conséquent. Le retard des politiques est peut-être dû à la crainte du manque de soutien des habitants. Si certains expriment des craintes, nombreux sont ceux qui ont soutenu notre démarche en signant une pétition demandant des structures diversifiées, correctement financées, qui contribuent à la sérénité dans le quartier. Nous attendons maintenant du courage. Aujourd’hui la seule proposition tangible est l’extension d’EGO, la concentration dans un même quartier. Il faut renforcer les structures de première ligne, au plus près des usagers, dans les 18e, 19e, 10e arrondissements et dans les communes limitrophes. Au-delà de l’urgence, il faut se donner les moyens d’une action dans la durée. Des lieux de réinsertion peuvent s’implanter dans tout Paris et sa banlieue. Quelles seront les nouvelles initiatives du plan gouvernemental 2004-2008 ? Nous attendons des réponses concrètes. De la salle : J’habite dans le 18e depuis 1980, le quartier de la Goutte d’Or depuis 1991. Aucun pays occidental n’a trouvé de solution radicale et simple. Pourtant il faut s’y attacher. Il est certes insupportable de voir des toxicomanes mourir dans la rue. Je discerne une amélioration globale via les tentatives de réduction de la pauvreté, du chômage. Les habitants essaient de comprendre un phénomène incompréhensible. Des réunions De la salle : M. le Maire a indiqué vouloir traiter le problème du crack au niveau régional mais les mesures concrètes ne concernent que la Goutte d’Or.De nombreuses personnes dans cette salle s’engagent au quotidien dans l’accompagnement des toxicomanes. Elles sont donc favorables à l’extension des structures. Dans le 1er arrondissement, un comité de suivi a été mis en place pour réellement entendre les habitants et dépasser l’opposition entre associations de riverains favorables et défavorables à cette structure. Michel NEYRENEUF, adjoint au Maire du 18e : L’urgence de trouver d’autres solutions est criante. Les squats des divers quartiers sont menacés par le bulldozer de l’urbanisme qui est en marche. Je citerai quelques adresses : 13, rue d’Aubervilliers, grande scène, 40, rue Myrha, 16-18 et 24, rue Laghouat. Tous ces squats qui ont disparu poussent des gens à la rue. Où vont-ils ? 29 30 d’écoute et de dialogue comme celle-ci m’encouragent à rester dans le 18e. De la salle : Je suis présidente d’une association dans la Goutte d’Or depuis 23 ans qui fait de l’alphabétisation, et du soutien scolaire. J’interviens également depuis 28 ans dans le quartier en tant qu’éducatrice spécialisée. La souffrance, quand un jeune meurt de drogue ou est tué à coups de couteau, est partagée par tous. Il faut arrêter de stigmatiser qui les Arabes, qui les Sénégalais. La drogue n’a pas de couleur, la souffrance pas de frontières. Nous devons chercher une solution ensemble et s’attaquer aux échelons supérieurs du trafic, plutôt qu’au simple revendeur. Docteur Michel SANANES, Responsable de l’Equipe de Coordination et d'Intervention auprès des Malades Usagers de Drogues (ECIMUD) de l’Hôpital Bichat Nous intervenons systématiquement auprès de tous les usagers de drogue hospitalisés à Bichat. Chaque patient est vu dans les 24 heures de son hospitalisation. Il lui est proposé une consultation médicale, une prise en charge psychologique et un traitement de substitution pour lui permettre de rester hospitalisé et de ne pas sortir contre avis médical, comme on le constatait auparavant. Depuis dix ans, ces structures innovantes disposent de beaucoup de moyens, y compris humains Les équipes comportent des médecins, infirmiers, psychiatres, assistantes sociales et secrétaires pour tout coordonner. Un suivi est fréquemment demandé par les patients. Celui-ci est réalisé avec les réseaux de médecins de ville et d’hôpital, avec les CSST ou en interne. Aujourd’hui ce suivi représente 60 à 70% de notre activité. Nous effectuons aussi des sevrages. Malheureusement, certains cas sont plus complexes lorsque les urgences ou les associations nous adressent des patients dans des phases aigües, suite à une consommation de crack par exemple. Si le patient présente une pathologie médicale qui justifie sa prise en charge par l’hôpital, il sera accepté. Si sa pathologie est seulement psychiatrique, essentiellement liée à l’errance, à l’épuisement, les services de psychiatrie vont le refuser et la médecine générale également. Ces patients sont donc souvent renvoyés sans solution. Je formulerai donc quelques propositions. Douze lits non sectorisés psychiatriques vont être ouverts à Bichat. Il conviendrait de flécher certains de ces lits pour des patients usagers de drogues. Nous avons également un projet de lits infirmiers, peu coûteux, qui permettent à nos patients de faire une pause et de ne pas mourir dans la rue. Monique ISAMBART, Responsable de l’association PROSES Intervention au nom des quatre associations de réduction des risques de Seine-SaintDenis. Je travaille depuis 35 ans à la réduction des risques en toxicomanie. M. Vaillant a fort justement pointé le manque d’intervenants en Seine-Saint-Denis. Nous sommes 25 intervenants dans quatre associations pour l’ensemble du territoire – ARTEMIS, FIRST, AIDES Ile de France, pôle Seine-Saint-Denis et PROSES. La population des crackeurs est comme un iceberg : on n’en voit que les consommateurs abusifs, les plus précaires. Leur situation sociale est déplorable. Sans hébergement, les femmes ont souvent recours à la prostitution. Leurs droits sociaux sont souvent refermés car les usagers de drogues ne complètent pas tous leurs formulaires administratifs et perdent leur RMI, CMU ou AME pour les étrangers sans papiers. Le travail de réduction des risques consiste à distribuer du matériel, seringues, embouts de pipes à crack, kit kiff ou préservatifs et de la documentation informative. Il vise également à aider à la réouverture des droits, à la recherche d’hébergements et aux premiers soins. Le réseau ARTEMIS, ainsi que FIRST, qui travaille à Aulnay, à Sevran et au Tremblay, des villes plus résidentielles ne signale pas de scènes ouvertes et seulement 7 usagers en 2004. En interrogeant les usagers dans le cadre de TREND, FIRST a constaté que 130 usagers suivis avaient consommé du crack de façon sporadique, soit 70 % de sa file active. AIDES Ile-de-France, pôle Seine-Saint-Denis, a rencontré 60 consommateurs, fumeurs et injecteurs à la fois dont 30 % de femmes.Trente de ces usagers se fournissaient à Saint-Ouen, trente au quartier Villette à Aubervilliers. Il semblerait que l’essentiel du phénomène reste parisien car la capitale ouvre le plus de squats possibles dans des bâtiments délabrés ainsi qu’un marché de la prostitution. PROSES a rencontré 25 femmes et 34 hommes consommateurs de crack en 2004 soit 35% des personnes suivies. Ces usagers résident à Bagnolet ou Montreuil mais commercent dans le 18e arrondissement. Quarante d’entre eux avaient déjà été reçus à la Boutique de l’association Charonne, les autres étant des consommateurs plus ponctuels. L’équipe a réalisé 74 interventions à la demande de la DDASS 93 sur le squat Wilson, rencontrant 222 usagers de drogue dont 35 % de femmes. AIDES a pris le relais, mais partage nos interrogations sur l’utilité de l’expulsion de ce squat qui s’est recréé dans le 18e, dans de plus mauvaises conditions. Les problèmes d’hébergement restent criants. L’accompagnement psychiatrique est indispensable, mais embryonnaire. Enfin, nous regrettons que les crédits ne soient débloqués que pour Paris. A titre personnel, je suis heureuse d’avoir pu collaborer avec les associations Coordination Toxicomanies 18 et Charonne grâce aux usagers du squat Wilson. Le crack et la réponse de la ville de Rotterdam Cas BARENDREGT, Membre de l’IVO (Bureau scientifique pour la recherche, l’expertise et le conseil en styles de vie, addictions et problèmes associés) Rotterdam, Pays-Bas Mesdames, Messieurs, Je remercie la Ville de Paris et l’arrondissement du 18e, pour l’invitation à partager avec vous quelques expériences de la ville de Rotterdam sur le problème de la consommation du crack. Je m’appelle Cas Barendregt et je travaille dans un bureau de recherche qui étudie, entre autres, le phénomène de la drogue et les réponses de la société. Je vous demande de m’excuser pour mes fautes de français. Je vais faire de mon mieux pour vous présenter les expériences de la ville de Rotterdam. 31 32 Le temps disponible est très limité. Je vais vous présenter l’histoire de l’épidémie du crack et la réponse de la ville. Le point de départ c’est Rotterdam, une ville de 600 000 habitants et un chiffre estimé entre 3000 et 4000 (poly) consommateurs de drogues dures. Avant-propos : La forme sous laquelle “le milieu de la drogue” se manifeste est en interaction permanente avec la politique locale sur la drogue. Je commence avec un avant-propos : les interventions (ou l’absence d’interventions) des pouvoirs publics ont toujours des conséquences positives ou négatives sur les consommateurs de drogues, les trafiquants et les quartiers et leurs habitants. Par la suite, je vais brièvement placer les choses dans un cadre historique depuis les années 70, en essayant de souligner les interactions entre le milieu des usagers et la communauté municipale. • Drogues : introduction de l’héroïne • Milieu : trafic dans certains cafés, rues et à des adresses privées • Esprit de l’époque : - accent sur “la dépendance” et désintoxication - idée : victime consommateur • Réponses - centres de désintoxication - programmes de méthadone L’introduction de l’héroïne a choqué notre société. A Rotterdam, le trafic se faisait dans des cafés au centre de la ville et dans la périphérie de la gare. Les adresses privées se trouvaient plutôt dans les quartiers populaires. L’héroïne était une véritable menace à la jeunesse. L’héroïne nous faisait connaître ‘la dépendance’ d’une manière terrifiante. Les usagers de drogues justifiaient leurs actes criminels en disant :“j’étais en manque”. Les réponses de la société se centraient sur les centres de désintoxication et les premiers programmes de méthadone ont été réalisés. • Drogues : introduction de la cocaïne fumable (1985) • Milieu : - trafic dans les rues, adresses privées - une “scène ouverte”émerge à coté de la gare Centrale : quai Zéro - tourisme de la drogue - marginalisation des usagers de drogue • Esprit de l’époque - la santé publique est en danger: début de l’épidémie du SIDA, - émancipation des usagers de drogue (syndicat des junkies), - naissance de la notion de nuisance. • Réponses - échange des seringues / réduction des risques, - politique de ‘tolérance’ pour mieux contrôler le milieu. Au milieu des années 80, la cocaïne fumable a été introduite. Fondamentalement, crack et cocaïne fumable sont les mêmes produits. Mais, à cette époque les usagers préparaient la cocaïne-eux mêmes avec de l’ammoniac ou du sel bicarbonate. A Rotterdam, les développements principaux du milieu étaient : 1. l’émergement d’une “scène ouverte” à coté la Gare Centrale, qui s’appelait Quai Zéro 2. Le développement du tourisme de la drogue. A la même époque, le SIDA est devenu une grande préoccupation de santé publique. En fait, la menace du SIDA a retardé le développement de la notion de nuisance. Les principales réponses de la société étaient une approche de réduction des risques. Une approche très importante d’ailleurs. • Drogues : introduction et expansion du crack (cocaïne “prête à fumer”) (1993) • Esprit de l’époque, transformation de vision : - “naissance” de la lutte contre la nuisance, - côté social : responsabilisation des usagers de drogue, - côté soin : prise en charge psychiatrique des usagers de drogue. • Réponse de la ville : “soin et répression” - lutter contre la nuisance - prendre en charge les usagers de drogue. L’introduction du crack a accéléré la marginalisation des usagers de drogue. Notamment au début de l’épidémie du crack, beaucoup d’usagers ont perdu le contrôle de leur consommation. Il semble que seul l’épuisement total chez l’usager limite sa consommation. Beaucoup de jeunes adultes dans les quartiers touchés entrent dans le “business”, parce que le crack se vend facilement. Le téléphone mobile facilite la vente et limite le risque d’être arrêté par la police. Du côté de la société, il se développe un sentiment d’urgence d’agir efficacement contre la dégradation de quelques quartiers. Les usagers de drogue et les dealers deviennent les bêtes noires des quartiers défavorisés. Par contre, le discours scientifique de la dépendance se développe vers une explication de la prédisposition psychiatrique. 2. Répression : réduction des nuisances (trafiquants et usagers). Réponses législatives contre les nuisances : • Législation nationale : - loi Victoria (fermeture des appartements sources de nuisances). • Municipalité : - Interdiction des attroupements (réglementation municipale) - refus d’entrée au quartier (réglementation municipale) - installation d’un organe de sécurité municipale (2002) • Arrondissements : - permanence de signalisation de la nuisance (1996). En 1996 la loi Victoria est voté par le Parlement. La loi Victoria va permettre la fermeture des appartements sources de nuisances par une procédure administrative. Cette loi a ajouté un instrument de plus à coté de la loi pénale contre la drogue. Par la suite, plus de 200 adresses privées ont été fermées par une procédure administrative. Sur le plan municipal, la réglementation municipale a été changée afin de lutter contre les nuisances sur la voie publique. De plus, un organe de sécurité municipale a été mis en place. Liés par la loi Victoria, les arrondissements touchés ont installé des permanences de signalements des nuisances. Ces permanences enregistrent et vérifient les plaintes relatives aux nuisances publiques. 1995 - 2005 : réponses concrètes La Ville de Rotterdam développe une approche “soin et répression” : 1. Soin : réduction des risques (ciblée aux usagers). • Trafic dans les rues : - surveillance caméra, - surveillance policière. 33 34 • Consommation en public : Salles de consommation dans les quartiers touchés (30 usagers de drogues). • Augmentation des sans-abri : Extension de l’accueil de nuit. • Usagers nuisibles : Approche individualisée : “soins imposés”. Liste 700, traitement de la dépendance et le soin. Outre les réponses institutionnelles, plusieurs initiatives privées ont été mises en oeuvre. L’église Paulus a ouvert la première salle de consommation (1995) et a soutenu la vente contrôlée des drogues (1997). Le syndicat des junkies, dit Junky Bond, a initié un projet de travail intérim pour usagers :Top Score (1996). Les résultats : • Ennui & inactivité : “Projet de travail” : intérim. Du fait notamment, du succès de la loi Victoria, la vente de la drogue aux usagers a évolué vers la vente mobile et la vente dans les rues. La réaction municipale sur ces phénomènes a été d’installer des caméras de surveillance et d’intensifier la surveillance de la police. Afin d’empêcher l’effet dit “du matelas d’eau”, il est nécessaire de mettre en place les interventions dans plusieurs quartiers. Par exemple, les salles de consommations, ciblées sur les usagers sans abri, ont été ouvertes dans plusieurs quartiers. A Rotterdam, 8 salles de consommation ont été ouvertes. La plupart de ces salles sont relativement petites, elles ont une capacité entre 20 et 35 places. De plus, elles sont uniquement accessibles aux usagers sans abri. On trouve une exception au centre de la ville : dans le Pauluskerk, les salles de consommation sont ouvertes à une population de plus de 150 usagers de drogue. Le dernier développement est l’approche individualisée. Plusieurs acteurs concernés ont établi une liste de 700 usagers de drogue responsables de la plus grande partie des nuisances publiques. Les personnes sur la liste sont suivies intensivement par des équipes multidisciplinaires. Ils essayent de les faire entrer, d’une façon “imposée”, dans l’un des cinq parcours de soins. Deux parcours incluent l’emprisonnement combiné avec le • Moins de consommation en public • Trafic moins visible (téléphone mobile) • Moins d’usagers visibles dans les rues - centres d’accueil (jour et nuit) - salles de consommation (capacité totale 150 à 200 places), - emprisonnement (traitement obligatoire / amendes), - autres villes. • Moins de tourisme (visible) de la drogue • Augmentation du sentiment de sécurité Milieu : Fin du tourisme de la drogue Expansion et fin des adresses privées Émergence du trafic par téléphone mobile Conclusions • Les réponses concrètes doivent être soutenues par une volonté politique / administrative. • Les réponses concrètes doivent être diverses, réprimer sans soigner diminue l’efficacité. Merci beaucoup de votre attention. Débat avec la salle Roxane DECORTES, conseillère de Paris et du 18e arrondissement : J’habite La Chapelle depuis 34 ans et je suis conseillère de Paris. Je ne passe pas une journée sans être interpellée sur cette question. J’ai trouvé un certain décalage entre la composition de la salle ce soir et les remarques des habitants. La toxicomanie est un problème complexe et sensible. Je souhaite rendre hommage aux ECIMUD de Lariboisière et Bichat ainsi qu’aux Urgences qui accueillent les crackeurs. En effet, il me semble qu’il est louable de soigner les toxicomanes au-delà d’une simple réduction des risques. Plutôt que de créer une nouvelle structure dans l’arrondissement, il me semble que l’hôpital Lariboisière dispose d’un pavillon qui pourrait être aménagé. Les toxicomanes disposeraient d’un vrai traitement, dans un bâtiment doté d’une sortie autonome. Ceci permettrait de ne pas demander toujours aux mêmes de faire un effort. De la salle : Les avis sont contrastés ce soir, mais je me félicite de cette réunion. D’importants projets d’urbanisme sont prévus dans le quartier mais nous ignorons quelles seront les conséquences pour les toxicomanes. Il y a une urgence à traiter les polytoxicomanes mais aussi à tenir compte des habitants. Je demande donc que l’on envisage la délocalisation du centre de la rue Philippe de Girard, pourquoi pas à l’hôpital Lariboisière. De la salle : Je suis membre de Stalingrad Quartier Libre. J’ai eu beaucoup de difficultés pour être ici ce soir. Nous avons envie de construire des prisons, de sévir contre la drogue, mais nous devons avoir conscience que nous sommes tous concernés. Personne ne peut savoir si son enfant ne va pas sombrer dans la drogue. Je trouve magnifique ce qui se fait en Hollande. Lucien MAREST, adjoint au maire d’Aubervilliers : Travailler sur ce genre de problèmes avec une vraie concertation entre Paris et villes de banlieue est une nouveauté et une fantastique démarche. Travaillons ensemble, nous y avons intérêt. N’oublions pas la dimension sociale qui pèse sur la capacité d’action. En Seine-Saint-Denis, l’accumulation de difficultés se combine avec des moyens plus faibles qu’ailleurs. Il y a un manque de crédits d’Etat pour assurer une indispensable péréquation. Il est très positif de ne plus entendre de diktats de Paris, mais une volonté de dialogue. Aubervilliers et l’ensemble du département s’engageront d’autant plus que nous pouvons apporter notre expérience dans le domaine de la lutte contre la misère sociale. L’union fait la force, si nous n’oublions pas la dimension sociale nous prouverons ensemble qu’il n’y a pas de fatalité à la drogue, que l’on n’a pas à tolérer que des personnes tombent dans un tel dépouillement. De la salle : Quand appliquerons-nous les solutions pragmatiques suggérées par notre ami hollandais ? 35 36 37 Conclusions Alain LHOSTIS, Adjoint au Maire de Paris, chargé de la santé et des relations avec l’AP/HP En décembre 2001, je venais de prendre les responsabilités que m’avait confiées Bertrand Delanoë. Nous étions en cours de définition d’une approche globale de la toxicomanie dans Paris. J’ai mesuré alors le chemin qui avait déjà été parcouru par les équipes du 18e. Beaucoup de travail, de mises en commun d’expériences m’ont aidé dans ma démarche de réflexion. Je suis élu du 10e arrondissement et j’ai entendu un cri commun à ces deux arrondissements : “Pas tout chez nous !” Un soir, le conseil d’arrondissement a dû siéger à huis clos, encerclé par la police, car une partie des habitants souhaitait empêcher l’implantation d’une structure d’accueil de la rue Beaurepaire. Je ne viens donner aucune leçon, mais aujourd’hui personne, à une ou deux exceptions près, ne s’oppose à ce centre. L’agent immobilier, qui avait pris la tête d’un des collectifs les plus violemment opposés à ce projet, est parti ailleurs après avoir fait fortune. En effet, les prix ont explosé autour du canal Saint-Martin. J’avais pris également comme engagement qu’une structure serait ouverte au centre de Paris et que la Mairie de Paris financerait l’installation bien que cela ne soit pas de son ressort. Nous l’avons fait, grâce aux élus du secteur, et je salue M. Legaret, Maire du 1e arrondissement qui était présent ce soir, malgré les divergences politiques. « Pas tout chez nous », nous dit-on, mais nous proposons d’agir précisément là où sont les difficultés, là où sont les personnes en errance, là où sont les crackeurs. Nous ne les amenons pas. Ce phénomène qui se développe a été bien exposé par les uns ou les autres. Le problème dont nous discutons depuis plusieurs mois n’est pas un lieu pour prendre en charge les crackeurs. Avec le représentant de l’Etat, nous travaillons sur une politique d’ensemble sur le Nord-Est parisien et la proche banlieue. J’ai bien insisté sur le fait que l’approche ne pouvait se limiter à des questions d’un lieu à créer ou à agrandir. Le but est d’éviter de faire un déversoir vers nos collègues de banlieue, présents ce soir. Daniel Vaillant le signalait il y a peu au cours d’une réunion de travail : il nous faut éviter de déplacer les populations sans résoudre globalement le problème. En tant que président des Hôpitaux de Paris, je me suis efforcé de faire en sorte que les services hospitaliers, et notamment les ECIMUD, puissent être concertés. Il a été évoqué tout à l’heure le problème des urgences qui accueillent de plus en plus de monde, notamment des personnes en difficulté faute de prise en compte en amont. 38 L’hôpital Lariboisière traite 85 000 patients par an et 20 000 consultations sans rendez-vous. Cette situation n’est pas tenable et il nous faut donc trouver des alternatives. C’est pour cela que nous allons moderniser et agrandir le centre Marcadet dans votre arrondissement. Il faut augmenter l’offre de soins dans ce quartier pour accueillir toute la population de ce secteur. Nous travaillons bien sur une approche globale de la santé publique. Dans ce contexte, il y aura effectivement des décisions à prendre sur des lieux. Au-delà des structures d’accueil, il faut faire de l’hébergement. Les associations l’ont indiqué, il faudra être courageux dans le 17e arrondissement, à Aubervilliers, dans le 10e autant que dans le 18e. Les projets ne sont jamais totalement figés, on peut toujours discuter de diverses modalités de mise en oeuvre. La proposition suggérant d’utiliser un pavillon de Lariboisière me paraît une fausse bonne solution. Je suis cependant disposé à en rediscuter avec vous. Notre ami hollandais nous a montré comme d’autres venus il y a un an lors de nos rencontres à l’Hôtel de Ville, que des volontés communes sont là pour défendre la dignité humaine. Ville de Paris, mairie d’arrondissement et Etat, main dans la main, ont vocation à répondre aux attentes de tous les habitants que nous avons entendus ce soir. Nous allons nous quitter avec la volonté d’avancer pour répondre aux usagers de drogues et aux populations riveraines. Cela me semble vital et je m’y emploie. Jean-Marie BENEY, Procureur adjoint, Parquet de Paris La justice est au bout de la chaîne. Elle doit réussir là où tout a échoué auparavant. Le rôle du procureur est avant tout d’appliquer la loi. Or, en l’état, tout ce qui a été évoqué ce soir constitue une infraction pénale. Cependant, en France, nous disposons d’une possibilité de contrôle de l’opportunité des poursuites. Ma collègue vous en parlait tout à l’heure, en matière de stupéfiants nous pouvons utiliser des procédures alternatives. La politique du Parquet de Paris est de favoriser ces procédures pour les infractions d’usage. Il faut renforcer les contrôles sur l’injonction thérapeutique. Cette mesure qui date de 1970 était innovante à l’époque. Sa crédibilité passe par un encadrement et un suivi rigoureux pour que ses échecs soient limités. Je suis par ailleurs favorable à une politique de fermeté, même vis-à-vis de l’usager revendeur. Il s’agit là d’une infraction de trafic qui doit être poursuivie comme telle, en différenciant évidemment suivant les produits et les circonstances. La répression n’est pas la seule solution mais doit participer de la solution. Le sursis avec mise à l’épreuve serait adapté à ces usagers revendeurs mais les juges d’application des peines sont surchargés. Monsieur le Maire évoquait le manque de moyens dans divers domaines, l’actualité nous démontre encore, dans un autre domaine, la nécessité d’assurer un suivi efficace. En matière de trafic, nos poursuites sont précédées d’une enquête pour remonter le plus haut possible dans les filières. Celles-ci sont particulièrement difficiles à suivre car les traces sont peu nombreuses. De nouvelles lois renforcent la panoplie des moyens légaux d’investigation, mais il s’agit d’une véritable course poursuite entre policiers et trafiquants qui réactivent d’autres réseaux.Je dois dire que la police urbaine de proximité ainsi que la police judiciaire de Paris que le Procureur dirige dans ce domaine sont particulièrement investies dans leur mission et je leur rends hommage. La politique pénale est une politique publique du Parquet sur sa juridiction qui comprend la Ville de Paris et le boulevard périphérique. Elle s’inscrit dans une globalité de politiques publiques et nécessite un véritable travail en réseau. Cela nous conduit à tisser des liens avec tous les acteurs depuis les services de la Préfecture à ceux de la Ville de Paris ou de la DDASS. Nous avons du travail et certainement une marge de progression, mais nous nous y employons avec détermination et fermeté. Michel LALANDE, Préfet de Paris Je suis très honoré qu’en réquisitionnant des locaux un après-midi de janvier pour accueillir des personnes en errance, cela ait suscité un débat. Les lignes ont bougé. Ce soir, les certitudes se sont transformées en convictions et nous sommes plus déterminés que jamais pour réaliser ce CSST, ce centre de santé. L’Etat a été pris à partie ce soir. J’en retiens qu’il s’est montré sous un jour extrêmement professionnel. Tous, ce soir, vous l’ont montré : la justice, indépendante, la police, sous son autorité et sous celle de la Préfecture de Police ainsi que la DDASS et les collaborateurs de la Préfecture de Paris sous mon autorité. Nous ne sommes pas inertes face à un sujet qui vous accable. Je suis sensible à ce qu’expriment les habitants de ce quartier. Le métier de représentant de l’Etat est bien de conforter la tranquillité publique, pas de la troubler. Lorsqu’un projet de soutien à des personnes en déshérence se heurtent aux réalités vécues par des habitants, il est urgent de se mettre autour d’une table pour élaborer un projet. Ce soir, pendant quatre heures, nous avons parlé d’action. Avant tout, demandons-nous quelle est la commande publique. En effet, l’Etat paie 23 millions d’euros pour lutter contre la toxicomanie à Paris. Le budget de l’Etat, c’est votre argent en tant que contribuables. Sur un dossier d’une telle importance, il est indispensable de se donner des objectifs et un dialogue aussi large que possible. On a parlé d’un comité de suivi, qui portera ce nom ou un autre. Il me semble indispensable pour la tranquillité publique de donner à tous voix au chapitre. L’Etat responsable n’a pas pour ambition de semer le désordre dans le 18e arrondissement. Notre objectif doit être que les dizaines, voire centaines de personnes qui conjuguent les droits de l’Homme en négatif aient droit à une prise en charge digne de notre République de liberté, égalité, fraternité. Ces mots se doivent d’être concrets. Nous continuerons à avancer. Ce projet sera mené dans des conditions de transparence et avec une évaluation qui permette à chacun de faire le point six mois ou un an après, comme pour d’autres projets menés à Paris. Chacun doit avoir le droit de s’asseoir à la table de la République. Je salue les débats remarquablement organisés. Les échanges, parfois vifs sont toujours constructifs. Les projets publics sont réussis lorsqu’on ne trompe pas celles et ceux qui restent jusqu’à 22h15 écouter le Préfet de Paris. 39 Ce débat du 14 juin 2005, organisé par la Mairie du 18e, avec la Mairie de Paris, en concertation étroite avec les partenaires, a été animé par Dominique Demangel, adjointe au Maire du 18e, chargée de la santé et Serge Fraysse, adjoint au Maire du 18e chargé de la Prévention de la délinquance et du Contrat Local de Sécurité. 1, place Jules Joffrin, 75018 Paris Tél : 01 53 41 18 18