Un esprit non-violent dans un corps apaisé - Non

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Un esprit non-violent dans un corps apaisé - Non
Non violence
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-
N° 347 - Juillet-août 2016 - 6 €
Actualité
Revue bimestrielle sur la gestion non-violente des relations et des conflits - Fondée en 1978
Un esprit non-violent
dans un corps apaisé
Approches et techniques corporelles
pour prévenir la violence
Information aux lecteurs :
NON-VIOLENCE ACTUALITÉ
Centre de ressources sur la gestion
non violente des relations et des conflits
BP 20241, 45202 Montargis cedex - FRANCE
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Directeur de publication : Vincent Roussel
Secrétaire de rédaction : Fabien Parthelot
Rédaction : Bernadette Bayada, Anne-Catherine
Bisot, Sabine Chevalier, Susan Clot, Dominique
Demaria, Marie Echelard, Marie Garrigue Abgrall,
Marie Lebrun-Benard, Didier Lescaudron, MarieChristine Loiseau, Sandra Longin, Fabien
Parthelot, Vincent Roussel, Édith Tartar Goddet.
Pour des raisons économiques, l’association Non-Violence Actualité a déposé au mois
de juin au Tribunal de Grande Instance de Montargis une demande de sauvegarde judiciaire. Celle-ci sera examinée à l’audience du 15 septembre 2016.
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Date de création : janvier 1978
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2
Non-Violence Actualité, juillet-août 2016
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ÉDITO
NVA 347
Sommaire
Un esprit non-violent
dans un corps apaisé
Approches et techniques corporelles
pour prévenir la violence
• Un esprit non-violent dans un corps
apaisé, approches et techniques
corporelles pour prévenir la violence,
Édito
page 3
• Éducation : Réinjectons de la
corporéité ! Entretien avec Omar
ZANNA
page 4
• Anticiper la violence : S’entraîner
grâce aux techniques théâtrales, par
Guillaume TIXIER
page 8
• Ressource pour l’école maternelle :
des pratiques pour rendre les enfants
disponibles, par Michèle GUILLAUD
page 10
• La méthode éducative 3C : une
éducation à la non-violence, par Michèle
DREIDEMY
page 11
• Yoga et école : apaiser les élèves, par
Liberté KIEFFER
page 13
• P.E.A.C.E. : Méditer à l’école ? Sous
la direction de Candice MARRO
page 16
• Pratiquer le massage à l’école, par
Laurence LOMBARD
page 19
•Sophrologie : nettoyer son espace
intérieur, par Françoise RAFFAULT
page 21
• Livres
page 23
• Bloc-notes
page 24
• Formations
page 25
• La chronique de l’Institut Charles
Rojzman
page 28
COUVERTURE : Natalia Chircova
L
e vocabulaire lié à la violence - gifles, fessées, coups de poing, combats,
rixes, meurtres, etc. - évoque principalement les images de corps qui s’affrontent et de leurs actions destructrices. Notre corporalité est associée à
« l’animalité » de l’Homme et son contrôle est un enjeu important de l’organisation des sociétés ; que ce soit pour préparer la guerre ou pour garantir la paix
sociale. Et perdure l’idée qu’un moyen de rejeter cette animosité véhiculée par
cette enveloppe charnelle serait de la nier, de l’enchaîner et de la mettre à distance. Cela peut se traduire au quotidien par le refoulement ou la négation de
nos sensations, de nos émotions et de nos affects.
Depuis l’avènement de la science et de l’esprit des Lumières, l’intellect s’est imposé comme une valeur supérieure de la culture occidentale. Élever l’intelligence, quelle que soit la manière de le faire, est devenu un credo qui est notamment
porté par l’éducation dispensée de plus en plus largement aux citoyens. Mais
progressivement s’est introduit un biais dans les croyances : le corps et l’esprit
pourraient être dissociés. Le projet mené par ces hommes qui espèrent un jour
réussir le transfert d’une conscience dans une machine en est un symbole paroxystique : le dépassement de l’incarnation apporterait une réponse définitive
aux maux de notre condition humaine…
L’homme sans chairs sera-t-il toujours un être sensible ? Mais nous le savons aujourd’hui, l’intellect se développe et grandit notamment grâce aux sensations,
aux affects et aux émotions transmises par le corps. Notre condition humaine
est un tout inséparable alliant corps et esprit. Considérer « un esprit sain dans
un corps sain » appelle à prendre soin de l’un et de l’autre ! La richesse du langage non verbal est rarement transmise. Or, il est possible de l’apprendre pour
mieux l’entendre. Et cet apprentissage peut être d’une grande utilité pour désamorcer les tensions lors d’une situation de conflit, tout comme le sont celui de
l’écoute active et de la communication non violente.
Dans un contexte conflictuel se produit un déséquilibre dont le corps et l’esprit
cherchent à se dégager avec les moyens à leur disposition, au risque d’agir avec
violence. Être vigilant aux signes annonciateurs de ces comportements, en étant
capables de les décoder chez soi et chez l’autre, est une contribution importante
à la résolution non violente des conflits. Car il devient possible d’agir en amont
pour stabiliser la situation en émettant les signes de la recherche de l’apaisement. Pour alimenter vos idées sur ce thème, les éducateurs qui placent ces approches et techniques dans leur démarche vous livrent leurs expériences afin de
cultiver des esprits non-violents dans des corps apaisés !
Non-Violence Actualité, juillet-août 2016
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D OSSIER
Éducation
Réinjectons de la corporéité !
Entretien avec Omar ZANNA
Omar ZANNA est docteur en sociologie et en psychologie habilité
à diriger des recherches. Maître de conférences de l’université du Maine, il est actuellement responsable du laboratoire Violences, Identités, Politiques – Site Le Mans. Il intervient régulièrement sur les questions de prévention dans les réseaux de l’Éducation nationale, de la
Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et de l’animation des politiques de la ville. Il est l’auteur de « Restaurer l’empathie chez les
mineurs délinquants » (Dunod, 2010), « Le corps dans la relation
aux autres » (PUR, 2015), « Apprendre à vivre ensemble en classe » (Dunod, 2015). Il a coordonné l’ouvrage « Corps et climat scolaire » (Revue EPS, avec C. Veltcheff et P-Ph Bureau, 2016).
- Quel chemin a placé le corps au centre
de vos recherches ?
- Le corps est un espace d’expérimentation et nous pouvons grâce à lui aller à la
recherche de nos limites et des autres. Et
cette façon de voir s’est inscrite dans ma
biographie. Très tôt, dès l’âge de 8/10 ans,
et comme tous mes copains de quartier,
j’ai pratiqué le football autant en club qu’au
pied de nos immeubles. À l’adolescence
et par la suite, comme beaucoup de mes
copains également, j’ai pratiqué les sports
de combat et l’athlétisme jusqu’à un bon
niveau. Après l’obtention du baccalauréat,
je commençais des études de sociologie.
Rapidement, mon intérêt sociologique se
centra sur la question du sport, du corps
et à la manière dont ils pouvaient participer à la construction du lien aux autres.
Il me semblait être un lieu susceptible de
tisser des liens entre les différents espaces
et offrir aux individus la possibilité de passer d’un monde à l’autre.
Après quatre années d’étude en sociologie, j’eus à opérer une bifurcation. Je me
présentais en deuxième année de STAPS
(sciences et techniques des activités phy4
Non-Violence Actualité, juillet-août 2016
siques et sportives) où je fus accepté. Après
le Deug, la licence et une maîtrise « éducation et motricité », j’obtins le CAPEPS
et j’enseignais pendant quatre ans en collèges et lycées, sans jamais perdre de vue
la sociologie. Par la suite, je fus détaché
dans l’enseignement supérieur à Brest en
STAPS. Cela me donna l’occasion de reprendre mes études de sociologie. J’ai réalisé un DEA sur les pratiques sportives
en milieu carcéral et dans la foulée, une
thèse, soutenue en 2003, sur l’entrée en
délinquance des mineurs incarcérés
- C’est alors que vous entreprenez d’expérimenter un programme d’éducation
par le corps à l’empathie ?
- Lors de mes recherches en prison, j’observais que les mineurs incarcérés avaient
du mal à accepter de parler des personnes chez qui ils avaient généré de la
douleur/souffrance. Pour beaucoup de ces
mineurs, tout se passait comme s’ils ne
pouvaient solliciter cette disposition à percevoir les composantes et significations
émotionnelles de l’autre lors du passage à
l’acte. Ce qui m’a amené à émettre l’hypothèse selon laquelle la disposition à l’em-
pathie émotionnelle notamment serait
temporairement anesthésiée au moment
d’agir. La situation se traduit alors par une
difficulté à entrer dans le système d’interprétation de leurs victimes, qu’ils peinent
à envisager comme des versions possibles
d’eux-mêmes.
On comprend mieux alors pourquoi ils
convoquent rarement le mal causé aux
autres pour raisonner sur leur propre comportement. Le déni des conséquences des
actes commis contre l’autre, c’est-à-dire
le refus de ce qui lui est dû, signe dans ce
cas l’échange suspendu et rend saillante
une grammaire sociale momentanément
défaillante. Dénier à ce point la réalité de
l’autre – ce qui est un peu du même ordre
que le fait de lui dénier son aptitude à
ressentir, à avoir des émotions – participe
à le dévitaliser, à lui refuser son appartenance à l’humanité et même au vivant.
Tout laisse donc à penser qu’il existe un
lien entre anesthésie momentanée de l’empathie et délinquance violente, notamment. Il m’a donc fallu changer de lunettes
pour interroger les dimensions psychologique et psychique afin de compléter
mes observations sociologiques.
Le circuit training
Par la suite, il m’est apparu que dans le milieu carcéral comme à l’école, l’acte éducatif emprunte souvent, pour ne par dire
systématiquement, le seul chemin de la
cognition. Or une relation indissociable
existe entre émotions, sentiments, conscience et raison, c’est-à-dire entre corps et esprit. Le cogito seul est en effet un handicap en ce sens qu’il ne permet pas à l’affect d’advenir. De fait, seule une éducation qui combine, sans les hiérarchiser bien
sûr, corps/émotions et paroles/cognition
est susceptible de conduire à l’avènement
d’individus épanouis et équilibrés.
J’ai alors pensé qu’il serait pertinent
d’utiliser le corps comme une occasion,
un support d’éducation. C’est ce que je
développe dans mes travaux sur l’éducation par le corps à l’empathie. Pour ce
faire, j’ai mis en place plusieurs programmes
pour éprouver l’hypothèse de la restauration de l’empathie des mineurs délinquants
en passant par les éprouvés des corps. À
titre d’exemple, on peut citer le « circuit
training », une situation mise en place
avec les mineurs incarcérés pour rebooster chez eux l’empathie (Cf. encart cicontre).
À la lumière des résultats stimulants obtenus dans le cadre de ces différents programmes, il m’a progressivement semblé
intéressant d’intervenir aussi en amont
pour éduquer, avant même d’être réduit
à réprimer ou à rééduquer. Convaincu
qu’un entraînement à la sensibilité pour
développer l’empathie concerne tout un
chacun, je me suis naturellement orienté
vers l’école. C’est le cheminement qui m’a
conduit à concevoir et mettre en œuvre
des programmes d’éducation à l’empathie à l’adresse d’écoliers et de collégiens.
- Pouvez-vous nous parler de ce projet que vous avez mené dans la Sarthe
avec l’Éducation nationale ?
- Un programme a été mis en place au cours
de deux années scolaires consécutives (20122014) avec des élèves de 20 classes (CM1
puis CM2) dans 14 écoles primaires. Il s’est
déroulé sous la forme d’une recherche-action-intervention en partenariat entre l’Inspection académique de la Sarthe et le laboratoire VIP & S de l’Université du
Maine. Les élèves ont bénéficié d’une quinzaine d’interventions par an.
À l’instar des programmes menés avec les
mineurs délinquants, le cœur des interventions est l’occasion de proposer aux
élèves de vivre des situations permettant
d’accéder à la reconnaissance de l’autre,
de s’ouvrir à autrui. Dans cette perspective, il s’agissait d’utiliser la médiation des
émotions provoquées par la mise en jeu
des corps au travers d’activités physiques,
de théâtre-forum, de jeux de rôle, de jeux
dansés… Le jeu des mousquetaires
(Cf. encart ci-dessous) illustre les modalités d’intervention
Les observations révélaient que dès la
5/6ème séance les élèves acceptaient plus
facilement les regards de jugement d’autrui, des pairs notamment. S’exposer
leur a posé moins de problèmes et le regard critique d’autrui était plus acceptable ; cela était une avancée. Nous avons
également observé que chacun était capable à un moment donné de mettre
davantage de mots sur ses émotions, sur
Le circuit training est une méthode de préparation
physique conçue à partir d’un ensemble d’ateliers
où l’on réalise des exercices sollicitant différentes
parties du corps. Plusieurs ateliers (3 à 6)
composent le circuit en question (développés
couchés, abdominaux, triceps…). Ce jeu met en
scène un affrontement de plusieurs équipes (2 à 4)
de trois à cinq détenus. Sous la double pression du
partenaire et des spectateurs, tous les détenus ont
joué le jeu et se sont engagés pleinement dans
l’exercice. J’ai donc assisté à une lutte acharnée.
Comme on pouvait s’y attendre, la fin du circuit
était l’occasion pour les uns d’exprimer leur
fatigue, comme en attestaient les postures, les
rictus et les propos du style « Putain, je suis
explosé », « Ça fait mal ton truc », « Je vais
exploser » ; les autres, ceux qui n’étaient pas encore
passés, observaient, avec une légère inquiétude et
empathie, ce qu’ils allaient sans doute vivre une fois
leur tour venu. Les conditions de partage de
l’expérience de ressentis physiques étaient bel et
bien réunies.
Le jeu des mousquetaires
Ce jeu consiste à faire jouer ensemble plusieurs équipes de 4 élèves. Dans chaque équipe, les
élèves ont une position à tenir. L’un a, par exemple, les bras tendus parallèles au sol, l’autre
fait la chaise appuyé contre le mur, le troisième se tient sur une jambe et le quatrième (le
joker) court autour de la salle selon un parcours prédéfini. Les trois premiers peuvent
interpeller le joker pour se faire remplacer. Le groupe qui tient le plus longtemps toutes les
positions gagne la
manche…
Au cours de ce jeu,
il faut placer les
joueurs de telle
sorte que tous les
élèves prennent en
considération leurs
partenaires afin de
repérer celui qui va
lâcher la position
au risque de faire
perdre son équipe.
Chacun doit, par
conséquent, être
Image tirée de l’émission de France 5 « les maternelles - Comment prévenir le harcèlment à l’école ? »
attentif aux
mimiques, aux expressions du visage, aux cris, aux appels à l’aide… Dans ce jeu, comme dans
tous les autres, ce sont les corps qui s’expriment. En répondant immédiatement par une
réaction appropriée, l’observateur transmet de façon précise et éloquente à la fois sa
conscience de la situation de l’autre et son propre engagement. En tant qu’intuition vécue des
états affectifs de ses camarades, la faculté d’empathie inscrit les autres en soi. Partager des
sensations vécues – rictus, grimaces, souffles, rougeurs… – donne à chaque élève la possibilité
de reconnaître ses camarades comme une version possible de lui-même. C’est alors que
l’empathie prend corps.
Non-Violence Actualité, juillet-août 2016
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D OSSIER
Anticiper la violence
S’entraîner grâce aux
techniques théâtrales
Par Guillaume TIXIER
Un conte oriental raconte la discussion suivante entre quatre maîtres des arts martiaux :
- le premier dit : moi, en un seul coup, je terrasse mon ennemi,
- le second : moi, en un seul cri, je terrasse mon ennemi,
- le troisième : moi, il suffit que l’ennemi me voit pour qu’il s’avoue vaincu,
- le dernier : je n’ai pas d’ennemi.
Ce conte peut être interprété de différentes manières. Pour moi, il évoque d’abord toute l’importance
de l’anticipation dans un conflit pour prévenir la violence : voir venir les émotions qui montent, et les
accueillir pour les apaiser avant qu’elles ne conduisent à la violence, et surtout, construire avec chacun,
dès que possible, une relation de respect et de confiance, malgré nos peurs et nos différences, plutôt
que voir l’autre comme un ennemi ou un ennemi potentiel.
Pourquoi s’intéresser au
corps dans un conflit :
pour anticiper...
traîne généralement des comportements
agressifs non respectueux de l’autre, voire
de soi-même. Ces deux types d’attitudes
interviennent souvent de manière réflexe,
’être humain fonctionne avec deux car dans un conflit, le sentiment d’urgenregistres complémentaires que l’on ce nous pousse à agir vite, et donc à utilipeut avoir tendance à opposer l’un ser les modes réflexes, qui nous permetà l’autre, alors qu’ils sont indissociables et tent de gagner du temps.
se nourrissent mutuellement :
• le registre rationnel : la capacité à rai- Cependant, afin de trouver une solution
sonner, à analyser, à prendre du recul pour satisfaisante pour chacune des parties du
conflit, nous avons besoin d’intégrer les recomprendre et donner du sens,
• le registre émotionnel : la capacité à res- gistres émotionnels et rationnels, c’est disentir, à vivre les choses dans l’instant et re à la fois de ressentir et d’écouter les émotions, mais aussi de les considérer avec redans la spontanéité.
cul pour les interpréter et pour comprendre
Lors d’un conflit, si les protagonistes ne les besoins et valeurs qui en sont à l’origisont pas suffisamment vigilants pour ré- ne. Pour cela, un apprentissage peut-être
guler leurs émotions, celles-ci ont tendance utile, afin de construire d’autres types de
à prendre le pas sur la raison, et à devenir réflexes basés sur une approche globale des
incontrôlables, ce qui peut conduire à deux personnes ; ceux-ci impliquent de prendre
attitudes extrêmes. La première consiste à en compte non seulement les paroles, mais
privilégier le mode rationnel en mettant aussi le corps. En effet, si notre dimenun « couvercle » sur les émotions (pour sion rationnelle s’exprime prioritairetenter de les contrôler en évitant de les ex- ment par la parole, les émotions sont moins
primer), et à défendre son point de vue fréquemment mises en mots, car de nomen argumentant de façon « rationnelle » breux schémas sociaux et notamment
(mais souvent peu objective et donc peu concernant les attitudes éducatives conduiefficace, car l’émotion agit à notre insu en sent à une « répression émotionnelle ». Par
introduisant de la subjectivité). La deuxiè- contre, la dimension physiologique, réacme conduit à se laisser emporter par les tive et involontaire des émotions permet
émotions hors de toute raison, ce qui en- de les repérer rapidement à travers le lan-
L
8
Non-Violence Actualité, juillet-août 2016
gage du corps (postures, gestes, regard,
expression du visage…), qui « parle » à
notre insu. La prise en compte des signaux
non verbaux constitue donc un moyen
d’anticiper les débordements émotionnels
qui peuvent conduire du conflit à l’agression. C’est pourquoi un apprentissage peut
être utile en s’appuyant sur deux axes complémentaires :
• apprendre à reconnaître chez l’autre, et
notamment, à travers les signaux corporels, l’émergence des émotions, pour les
accueillir de manière empathique et favoriser leur apaisement,
• développer une conscience de ses propres
postures et attitudes corporelles, afin d’éviter que nos peurs ou nos colères ne soient
perçues comme des signes d’agressivité.
S’entraîner à observer les
signaux corporels de son
interlocuteur pour repérer au
plus tôt les émotions
Intuitivement, même si elles ne sont pas
exprimées verbalement, nous percevons
généralement les émotions des autres à travers l’observation du visage, les attitudes
corporelles ou le ton de la voix ; mais il est
parfois trop tard, car une émotion est un
peu comme un incendie : quand il dé-
DOSSIE
R
Le yoga à l’école
Apaiser les élèves
Par Liberté KIEFFER
« Je vous envoie des images, la mer,
avec les vagues, un sommet de neige étincelant... » : la voix claire de
Micheline Flak, enseignante d’anglais, résonne dans une salle de
classe du collège Condorcet à
Paris. Des enfants placent les
paumes de leurs mains sur les
yeux, comme des coquillages.
C’était au début des années 1970.
et à l’étranger. La consécration est
arrivée en 2013, lorsque le ministère
de l’Éducation nationale a accordé
l’agrément à l’association pour sa
contribution à l’enseignement public.
Le yoga n’est plus un projet pilote :
il fait son entrée à l’école par la grande porte.
La philosophie du RYE est simple :
le rejet et la démotivation ne sont pas
inéluctables à l’école et l’harmonisation des énergies à laquelle convie le
En pratiquant le yoga, j’étais moi- yoga peut rendre le plaisir d’apprendre.
même moins fatiguée et de plus en Cette philosophie a un succès expoplus désireuse d’enseigner autre- nentiel et le RYE organise désormais
ment. Un jour, j’ai proposé aux élèves des formations dans toute la France :
une séance de relaxation avant le cours. Paris, Lille, Bordeaux, Grenoble,
J’ai été frappée de leur meilleure écou- Rennes, La Réunion...
te, meilleures relations entre eux et avec
moi, meilleure participation. L’apprenLes formations vont du général - techtissage était favorisé. Les enfants étaient
niques de yoga pour enseignants dans
ravis », a-t-elle raconté.
l’éducation, techniques adaptées aux
enfants, aux adolescents... - au partiIl a fallu ensuite convaincre au-delà :
culier : préparation aux examens ou
les parents qui demandaient à l’enencore techniques de relaxation adapseignante pourquoi elle donnait des
tées aux jeunes. L’association forme
cours de « gymnastique », puis le
près de 700 personnes par an. Depuis
reste du corps enseignant. La classe
de « Miss Flak », soutenue par An- sa création plus de 10 000 personnes
drée Buisine, Principale du collège ont suivi ses différentes formations,
Condorcet, est devenue un labora- dont trois quarts des enseignants. Le
toire où elle testait les meilleures tech- yoga s’est implanté en milieu scolainiques de yoga pour faire progresser re et concerne des dizaines de milliers
d’élèves.
les élèves.
«
D’autres se sont ensuite lancés dans
l’aventure. L’association Recherche
sur le yoga dans l’éducation, le « RYE »
est né en 1978 et cinq ans plus tard
on y formait des enseignants.
Depuis le RYE, a essaimé en France
Le Yoga,
réponse à la violence
Un lycée de Pontoise...
Professeure d’EPS dans un établissement de Pontoise, Dominique Dau-
mail, enseignante depuis 33 ans,
évoque un quotidien parfois violent : « les élèves ne savent plus se parler, s’insultent, même s’ils en rient. Ils
s’invectivent en permanence, et puis d’un
seul coup, cela dérape en bagarre, en
bousculade. Ils me disent : “Il me calcule” (il m’insulte, CQFD). Cette année cela m’est arrivé deux ou trois fois.
Un coup de tête dans le nez d’une fille,
déplacement de cloison nasale. L’auteur
du coup m’a dit : “je n’arrive pas à me
contrôler”. » Les enfants vivent aussi
le stress des notes et 40 % d’échec à
la fac. « On n’a jamais vu un élève avec
un cinq en maths et un huit en histoire géographie rentrer heureux », ironise-t-elle.
Apaiser
Il existe de multiples exercices pour apaiser
les élèves en situation de stress, de colère
ou simplement avant de commencer le
cours. Au départ de tout se trouve la
respiration. Isabelle Quoy, enseignante en
collège, demande à ses élèves de respirer en
imaginant une forme géométrique : ils
voient un carré à hauteur des yeux. Ils
commencent par une inspiration de l’angle
en bas à gauche vers l’angle en haut à
gauche. L’expiration se poursuit en suivant
le haut du carré de la gauche vers la droite.
L’inspiration suivante de haut en bas à
droite, et une expiration de droite à gauche
en bas. « C’est la respiration qui équilibre les
phases respiratoires, puisqu’elles sont aussi
longues les unes que les autres. »
Non-Violence Actualité, juillet-août 2016
13
D OSSIER
P.E.A.C.E.
Méditer à l’école ?
Sous la direction de Candice MARRO
La méditation de pleine conscience se définit généralement par la capacité à être conscient du moment présent ; ce en s’arrêtant et en observant ce qui se passe en nous (sensations corporelles, émotions, pensées qui
défilent dans nos têtes…) ainsi que ce qui se passe à l’extérieur, autour de nous (sons, bruits, odeurs…). C’est
une technique contemplative qui vise à observer, sentir, laisser passer, accepter ce qui est, sans juger ni attendre quoi que ce soit. La pleine conscience s’est développée en France dans les années 2000 suite aux travaux de David Servan-Schreiber, Thierry Janssen, Matthieu Ricard et de Christophe André.
P
arler de méditation peut s’avérer
délicat, car la méditation est
souvent associée à des pratiques
religieuses. Certes, la méditation date de
plusieurs millénaires et elle est présente
dans la plupart des religions, sous différentes formes (par exemple sous forme
analytique via une longue et profonde
réflexion sur un sujet en particulier), mais
elle peut être pratiquée de manière tout
à fait laïque. Nous vivons dans une société où il faut à tout prix qu’un concept,
une idée soient exempts de toute connotation religieuse, politique ou autre pour
exister. Cette vision, au final très manichéenne, ne nous autorise plus à extraire les bénéfices et points positifs d’une
technique/pratique ou d’un sujet, quelle que soit son origine. C’est l’une des
raisons pour laquelle tant de personnes
peuvent être réticentes lorsqu’elles en-
L’Association pour la Méditation dans l’Enseignement (A.M.E) conçoit, met en place et diffuse
des programmes de Pleine Conscience (Mindfulness) au sein des établissements scolaires (de la
maternelle à l’enseignement supérieur). À travers
son programme PEACE (Présence, Écoute, Attention et Concentration dans l’Enseignement),
l’association propose une approche ayant pour but
de développer l’attention, la bienveillance, le bienêtre, l’apprentissage et la citoyenneté, dès le plus jeune âge et au sein même du temps scolaire.
16
Non-Violence Actualité, juillet-août 2016
tendent parler de méditation.
Or la méditation de pleine conscience
ou de pleine présence est basée sur des
valeurs telles que l’acceptation de soi, des
autres, de notre environnement. Elle permet aussi de modifier notre attitude par
rapport à l’expérience, de prendre de la
distance par rapport à nos pensées, de
développer résilience et capacité d’adaptation. Chaque individu, quelles que
soient son origine et sa religion, peut
donc se retrouver dans ces valeurs éthiques
et dans cette pratique.
Indépendamment de nos conditions sociales, culturelles, âges, la méditation de
pleine conscience nous offre un temps
de pause, un temps pour entreprendre
une démarche d’intériorité, de retour à
soi, afin de mieux se connaître, mieux
se comprendre et être également plus à
l’écoute des autres.
Les neurosciences, via les techniques
d’imagerie cérébrale, ont prouvé, entre
autres, que la méditation de pleine
conscience aidait à développer le lien
entre l’amygdale (siège des émotions) et
le cortex préfrontal (qui permet la gestion des réponses émotionnelles) (1). Cela signifie que la pleine conscience est un
moyen d’améliorer notre façon de fonctionner en ne « réagissant » plus à un
stimulus, mais en « choisissant d’y répondre » - ou non.
Mindfulness (Pleine Conscience) dans
une liste croissante de domaines tels que
la santé, l’enseignement, le management…
Ces études démontrent des améliorations
en ce qui concerne :
• le rapport au corps - santé, acceptation
de son corps, gestion de ses émotions
• le rapport à soi - confiance en soi, réduction du stress, de l’anxiété et de l’impulsivité
• le rapport aux savoirs - attention, concentration, mémoire, motivation
• les rapports aux autres - bonnes relations, empathie, résolution des conflits,
altruisme.
Intérêt dans le cadre scolaire
Le programme PEACE (Présence, Ecoute, Attention, Concentration dans l’Enseignement) a vu le jour en novembre
2014, inspiré par les programmes de
Mindfulness et s’appuyant sur une équi-
De nombreuses études, menées notamment aux États-Unis (2) et au Royaume-Uni, démontrent les bienfaits de la
À l’heure où l’Éducation nationale
cherche de nouvelles solutions et de nouveaux programmes pour améliorer l’apprentissage des élèves et le climat scolaire grâce à leurs capacités à se concentrer, à gérer leur stress et à faire preuve
de plus d’empathie les uns envers les
autres, la méditation laïque de pleine
conscience trouve tout son sens. En effet, on nous apprend à lire, à écrire, à
compter, on nous apprend l’histoire, la
géographie, on s’initie à la musique et
aux arts plastiques, mais qui nous apprend à nous connaître, à savoir comment nous fonctionnons ?
Genèse du projet
DOSSIE
R
Sophrologie
Nettoyer notre espace intérieur
Par Françoise RAFFAULT
À son arrivée, le bébé découvre les besoins de son corps à travers la faim, la chaleur, la fraîcheur... Cet
être de sensations, de perceptions se développe au fil du temps, et fait connaissance avec son corps au
travers du toucher, de la vue, de l’ouïe, du goût, de l’odorat. Il fait connaissance via ces mêmes sens avec
ses proches (parents, fratrie, grands-parents...), et son environnement extérieur dont il prend conscience peu à peu. Tout petits, nous sommes donc constamment reliés à notre propre corps et à ses besoins.
P
uis, arrivent les premiers temps
où des demandes sont faites à
l’enfant. Des demandes de l’ordre
du « faire », qui répondent à des critères
familiaux, scolaires, sociaux, culturels.
Au fil des années, les demandes vont
augmenter en nombre, et les exigences
se renforcer, dans un système où l’on
nous demande constamment du résultat, et ce, dès le plus jeune âge. Il nous
faut entrer dans des normes. Il faut « être
bon » à l’école, puis au collège, au lycée, avec la pression qui augmente à la
vue des premiers examens, et de tous
les enjeux cachés derrière cette exigence de réussite. Petit à petit, cet être venu au monde de manière corporalisée,
va donc s’éloigner de ses propres ressentis corporels et de ses propres besoins,
pour se centrer de plus en plus sur son
mental, afin de « faire » ce que l’on lui
demande.
Cette séparation entre le corps et le mental se creuse à nouveau au moment de
l’entrée dans le monde du travail, qui
pose les mêmes exigences de résultats,
au quotidien, avec différents moyens de
pression, quel que soit aujourd’hui le
domaine professionnel.
Et vu de l’extérieur, tout se passe bien :
l’enfant, l’adolescent, l’adulte, poussé
par ses besoins relationnels (la plupart
du temps inconscients), vont tout faire pour répondre à ces exigences. Il apprend ainsi à oublier les besoins du corps
(détente, repos, alimentation...). Mais
pouvons-nous nier longtemps les limites
de notre corps sans séquelles ? Au regard du nombre de maladies psychosomatiques en constante augmentation,
ainsi que des dépressions, des burn-out,
des suicides qui sont tout autant de violence que celles que l’on rencontre au
quotidien sous des formes plus visibles, dans les différents domaines de
nos vies, il en ressort que non.
En effet, nier son corps et ses propres
besoins ne peut durer qu’un temps, et
nous attendons la plupart du temps une
forme de point de rupture (maladie,
violence envers soi, envers les autres,
sous toutes ses formes), pour sentir à
nouveau que notre corps est bien présent, mais cette fois-ci parce qu’il nous
fait mal, à travers différents symptômes.
Notre corps nous rappelle qu’il est là,
et que oui nous sommes un mental,
mais dans un corps qui nous porte et
avec lequel nous œuvrons tout au long
de nos journées. Et nous voyons ainsi
des personnes arriver à ce point de
rupture de manière insidieuse, et des
conflits éclater violemment dans différentes sphères : familiale, sociale, scolaire, professionnelle, politique… Pour
cause, nier ses propres besoins déclenche
des frustrations.
Frustrations dont nous tenons les autres
pour responsables, car nous avons ap-
pris à tourner notre regard vers l’extérieur, sans plus l’orienter vers l’intérieur,
à l’écoute de nos sensations, de nos perceptions. Nous avons appris que tout
venait de l’extérieur, alors qu’en fait, tout
part de notre espace intérieur. C’est parce que nous avons appris à nous oublier
nous-mêmes que nous ne trouvons
pas l’équilibre nécessaire à notre bienêtre. Cette violence que nous constatons autour de nous, dans notre environnement extérieur réveille notre propre
violence et nous renvoie à nos propres
besoins.
Françoise Raffault est sophrologue et formatrice en Transformation Constructive des Conflits.
Non-Violence Actualité, juillet-août 2016
21
L’Institut Charles Rojzman ICR est le centre de référence international de la Thérapie Sociale TST, centre de
formation et d’intervention à cette approche créée par Chalres Rojzamn dans les années 1980.
www.institut-charlesrojzman.com
L’ICR mène des actions de Thérapie Sociale en France et à l’étranger dans des contextes très diversifiés, actions
ou formations qui consistent à réhabiliter le conflit comme moyen de transformer la violence.
L’ICR propose aux individus et aux groupes des outils afin de les former à une vie démocratique véritable en favorisant l’exercice de la raison critique, le développement de la responsabilité et de la sociabilité.
Chronique de l’Institut Charles Rojzman
De la dépression au pouvoir d’agir
« Quoi qu'il en soit, nous savons que la lutte que l'homme mène pour son salut est aujourd'hui plus que jamais la lutte pour le triomphe de la raison sur la folie »
Franco Fornari
« Ni les savoirs importants acquis sur
l’être humain, du fait des avancées de
la biologie, de la médecine, des
neurosciences et des sciences humaines
et sociales, ni l’enseignement de
l’éthique et de la morale, ni même les
lois ne suffisent plus aujourd’hui aux
hommes pour parvenir à cette paix
conflictuelle, une forme de santé sociale
et de cohésion démocratique dans
laquelle il pourrait vivre et s’épanouir
dans le respect des autres. Les êtres
humains se doivent de redécouvrir une
manière de vivre ensemble en mettant
en évidence principalement les obstacles
intérieurs, personnels et collectifs qui
les en empêchent.* »
mouvements politiques et sociaux luttent
pour un changement et une amélioration
du sort de tous, mais rien n’aboutit vraiment,
ou trop peu. La faute en est rejetée à des puissances invisibles qui semblent dicter nos vies
et notre avenir. Est-ce la vérité ? En tous
cas, certains le pensent et baissent les bras,
pris dans un lourd sentiment d’impuissance. Ainsi va la politique aujourd’hui et audelà d’elle, c’est de notre vie qu’il s’agit, de
notre avenir, de notre vieillesse ou de nos enfants.
Le bonheur des individus ne dépend pas
d’eux seulement, mais également d’un environnement social et politique dont ils subissent les influences, parfois douloureusement. Nous ne sommes pas des êtres isolés
dans une bulle : le monde est en nous,
comme nous sommes dans le monde.
La Thérapie Sociale permet de faire l’expérience et de créer durablement les conditions
d’une véritable vie démocratique qui décloisonne les communautés. Dans les groupes
de Thérapie Sociale qui mélangent les milieux, les classes sociales, les appartenances
religieuses ou idéologiques, les générations,
les personnes vivent un sentiment de fraternité, grâce à un processus très spécifique,
et apprennent à distinguer les fantasmes, à
l’origine des préjugés, de la réalité.
Trop souvent, nous avons l’impression de
vivre dans un monde fait de déceptions et
de désillusions. Tous les idéaux s’effondrent,
enfin presque tous… et nous voyons nos
concitoyens se battre avec rage autour de mesures décidées d’en haut, sans qu’ils ne soient
vraiment consultés ni écoutés. Les promesses
des politiques ne sont pas tenues, d’autres
ne conviennent pas à tous et suscitent la
colère et l’indignation des opposants. Des
Pourtant, cette énergie de combat est nécessaire : on ne peut pas vivre sans idéal et
sans rêver à un monde meilleur. Les évolutions sociales dépendent pour une grande
part de cet engagement individuel et collectif, comme l’histoire passée l’a montré.
La Thérapie Sociale aide à comprendre par
l’expérience les mécanismes qui nous conduisent à la violence contre nous-mêmes ou
contre les autres. La formation en Thérapie
sociale donne la possibilité de connaître ses
propres tentations de violence dans les si-
tuations de stress, de peur ou d’impuissance. La vie relationnelle expérimentée dans
le groupe apprend à distinguer la violence
qui est destructive, du conflit indispensable
pour dénouer les situations qui nous font du
mal et abîment la confiance et l’amour de soi.
La dépression est toujours liée à la haine de
soi, à toutes ces représentations abîmées que
nous conservons de nous-mêmes, à la suite
des blessures qui nous ont été infligées par
notre vie familiale et notre vie sociale. Des
violences et des blessures qui ont nécessairement des effets dans notre vie. La Thérapie Sociale permet de transformer ces représentations de soi illusoires qui empêchent
l’amour de soi.
Le pouvoir d’agir dépend à fois de la confiance en soi, de l’amour de soi et de la possibilité d’entrer en relation avec les autres, parfois dans l’harmonie et parfois dans le conflit.
Nous avons gardé cette illusion de croire que
le changement personnel peut être contagieux, que si nous nous changeons nousmêmes, nous changerons le monde. Mais
le changement que nous souhaitons, dans
un monde chaotique et dangereux tel qu’il
est aujourd’hui, dépend de la capacité à comprendre les causes des maux personnels et
collectifs à l’origine des violences collectives
et à mettre en place efficacement et sans illusions, les outils permettant de recréer une
fraternité et d’agir avec les autres, au-delà
de nos différences multiples.
* Charles Rojzman, Igor et Nicole Rothenbühler, « La
Thérapie Sociale », Éd. Chronique Sociale, 2015.