Le Monde, 2006
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Le Monde, 2006
Le Monde, 2006 Le MONDE du 2 janvier 2006 Jean-Pierre Stroobants Translation with a webtranslator Collages of mysterious Karl Waldmann When looking at the often dazzling 120 paintings from the German artist that the galerist of Brussels is presenting , the work produced by the artist is more as a novel, structured, says the galerist “like an essay on the madness of the 20th century” rather than a mystery. Nevertheless, mystery remains central to Waldmann’s work. One knows very little about his life, save he was born in Dresden just a few years before 1900 and that he disappeared in a Russian work camp in 1958. His work was discovered thirty and one years later, at the time of the Fall of the Wall. At the « market of the Poles » in Berlin amongst caviar, bone china, and trinkets, a nosy journalist discovered, in 1989, in a shirt out of paperboard marked “K. W.”, very beautiful collages of Constructivism inspiration. Then he began to inquire and to gather, for ten years, more works signed either with the two letters of the artist or the full name. The first great shows started in 2000 and revealed to a larger audience a work, that is coded, strong and belongs to a such aesthetics that it projects Waldmann’s collages at the top of Constructivist and Dadaism art. FEVERISHED VS DISTRUSTED More than 900 works of this barely unknown artist have been listed today. Gouaches, collages, photographic montages, and various assemblies have been gathered in Italy, in Ukraine, in Belgium, and in the United States. Those works raise fever and passion among some people – Pascal Polar is one of them. Some others, such as 'curators' are sceptical towards the work, and even suspicious. The Waldmann mystery seems to them too beautiful to be true. One doesn’t know on what their caution is based. Nevertheless, one can only be subjugated by a work, which strikingly portrays a century whose madness has also destroyed the secrete artist of Dresden. Waldmann didn’t belong to one single school but his inspiration sources are various: collages of Karl Schwitters, photomontages of Raoul Haussmann, primitivism. –Dresden was home to an important ethnographic museum, which seems to have inspired the artist definitely. Denouncer of the rise of the Nazism, witness of the fall of Weimar and the failure of the spartakism, Waldmann, who met Rodchenko, Maïakovski and Malevitch, was witness to the Russian revolution, even though he always refused to become a propagandist. His work denounces Hitler’s delirious racism as well as the apocalypse which it would generate. His work also shows Stalin surrounded by Al Capone and Lenin, who has red lipstick on his lips and a woman, who , obviously, didn’t succeed in making him kinder. Actresses, mythical women,Venus hottentotes, wheel women (allusion to those who should make turn the world differently). They are everywhere in Waldmann’s work, who went through the greatest pain of his life when his Russian girlfriend died with him in a Gulag. The threatening city, human grinding machines, the cinema, and the Black are the other key themes of the witness that even his family depicted, apparently, as a dangerous dissident during his whole life. His work gives, in addition to its upsetting message, an amazing beauty, omnipresent red and black colours, blood and death colours, making it definitively timeless. Les collages du mystérieux Karl Waldmann Le MONDE du 2 janvier 2006, Jean-Pierre Stroobants Pascal Polar n'aime pas parler du "mystère" Karl Waldmann. En jetant un regard sur les 120 oeuvres, souvent éblouissantes, de cet artiste allemand qu'il expose actuellement, le galeriste bruxellois évoque plutôt "un roman", structuré, dit-il, "comme un essai sur la folie du XXe siècle". C'est bien le mystère, cependant, qui est au coeur de l'oeuvre de Waldmann. On sait peu de choses de sa vie, hormis qu'il est né à Dresde un peu avant 1900 et qu'il a disparu dans un camp de travail russe en 1958. Son travail a été découvert trente et un ans plus tard, lors de la chute du Mur. Au "marché des Polonais" de Berlin, entre caviar, porcelaines et bibelots, un journaliste fouineur découvrit, en 1989, dans une chemise en carton marquée "K. W.", de très beaux collages d'inspiration constructiviste. Il allait commencer un travail d'enquête et collecter, en une dizaine d'années, d'autres travaux signés soit des deux initiales de l'auteur, soit en toutes lettres. C'est à partir de 2000 que les premières expositions d'envergure allaient dévoiler à un public plus large une oeuvre codée, puissante, d'une esthétique telle qu'elle projette les collages de Waldmann au sommet de l'art constructiviste et dadaïste. FIÉVREUX CONTRE MÉFIANTS Plus de 900 oeuvres de ce quasi-inconnu ont aujourd'hui été recensées. Gouaches, collages, montages photographiques et assemblages divers ont été collectés en Italie, en Ukraine, en Belgique, en Allemagne, aux Etats-Unis. Ils déclenchent chez certains — et Pascal Polar est du lot — des accès de fièvre et de passion. Chez d'autres, des conservateurs au sens propre du terme, ces travaux suscitent une relative indifférence, voire de la méfiance : le "mystère Waldmann" leur semble un peu trop beau pour être vrai. On ignore ce sur quoi se fondent leurs réserves et, en tout cas, on est subjugué par une oeuvre qui brosse un saisissant portrait d'un siècle dont la folie a, aussi, emporté l'artiste clandestin de Dresde. Waldmann ne se recommandait d'aucune école, mais ses sources d'inspiration sont multiples : les collages de Karl Schwitters, les photomontages de Raoul Haussmann, le primitivisme — Dresde abritait un important musée ethnographique qui semble avoir beaucoup inspiré l'artiste. Dénonciateur de la montée du nazisme, témoin de la chute de Weimar et de l'échec du spartakisme, Waldmann, qui connut Rodtchenko, Maïakovski et Malevitch, fut un compagnon de route de la révolution russe, mais se refusa toujours à devenir un propagandiste. Son oeuvre dénonce le délire raciste d'Hitler et l'apocalypse qu'il devait engendrer. Elle montre aussi Staline entouré d'Al Capone et un Lénine aux lèvres maquillées de rouge par une femme qui, à l'évidence, n'est pas parvenue à l'amadouer. Femmes actrices, femmes mythiques, Vénus hottentotes, femmes-roues (allusion à celles qui devraient faire tourner autrement le monde) : elles sont partout dans l'oeuvre de Waldmann, qui aura connu l'ultime souffrance de sa vie en voyant sa compagne russe disparaître avec lui au Goulag. La ville menaçante, les machines broyeuses d'individus, le cinéma, le juif, le Noir sont les autres thèmes-clés de ce témoin que même sa famille dépeignait, semble-t-il, comme un dangereux dissident, aux différentes époques de sa vie. Il reste de son oeuvre, outre son message bouleversant, une beauté fulgurante que le rouge et le noir, omniprésents, couleurs du sang et de la mort, rendent définitivement intemporelle. Jean-Pierre Stroobants