Lutter contre les discriminations

Transcription

Lutter contre les discriminations
Conseil
Rennais
de la
Diversité
et de l’
Egalité
des
Droits
er
1 Forum professionnel
de l’Égalité
Lutter contre les discriminations :
pratiques d’aujourd’hui, chantiers de demain
21 mars 2012
Journée internationale de lutte contre les discriminations
ACTES
Sommaire
Programme de la journée.....................................................................................................................................................3
Discours d’ouverture.............................................................................................................................................................4
La lutte contre les discriminations, entre théorie et pratiques ...................................................................................6
Échanges avec le public......................................................................................................................................................18
Peut-on mesurer les discriminations ? Le cas des discriminations liées à l’origine..............................................22
Échanges avec le public......................................................................................................................................................32
Ateliers thématiques...........................................................................................................................................................35
Atelier Emploi/Marché du travail .....................................................................................................................................37
Atelier École ..........................................................................................................................................................................40
Atelier Logement .................................................................................................................................................................43
Atelier Santé .........................................................................................................................................................................46
Atelier Travail Social............................................................................................................................................................49
Échanges avec le public après la restitution des ateliers ...........................................................................................52
Discours de clôture .............................................................................................................................................................58
Annexe 1 : Powerpoint de Philippe Cormont................................................................................................................60
Annexe 2 : Powerpoint de Jean-Luc Richard.................................................................................................................72
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Programme de la journée
9h00 > 9h15
Accueil des participants
9h15 > 9h30
Discours d’ouverture
Marie-Anne Chapdelaine, adjointe au Maire de Rennes, déléguée à l’égalité des droits et à la laïcité
9h30 > 11h00
Conférence « La lutte contre les discriminations, entre théorie et pratiques »
Philippe Cormont, consultant et formateur, COPAS (Conseil en Pratiques et Analyses Sociales)
11h15 > 12h45
Table ronde « Peut-on mesurer les discriminations ? Le cas des discriminations liées à l’origine »
Anne Morillon, sociologue, collectif TOPIK.
Jean-Luc Richard, maître de conférences, Université de Rennes I
12h45 > 14h00
Pause déjeuner
14h00 > 15h30
Ateliers thématiques
• Atelier 1 « Emploi/Marché du travail » :
« Égalité, diversité, lutte contre les discriminations sur le marché du travail
et dans le monde de l’entreprise : échanges sur les outils existants »
Philippe Cormont, COPAS
Mustapha Laabid, directeur de FACE (Fondation Agir Contre l’Exclusion)
• Atelier 2 « École » :
« Discriminations dans le parcours scolaire (orientation, accès aux stages) :
les comprendre pour les combattre »
Laurence Ukropina, chargée de mission, Académie de Metz-Nancy
Sabine Baudont, responsable du secteur "culture, insertion, discrimination",
Ligue de l’Enseignement 35
• Atelier 3 « Logement » :
« Logement et discriminations : faut-il questionner le principe de mixité sociale ? »
Aude Rabaud, maître de conférences, Université Paris VII – URMIS (Unité de Recherches
« Migrations et Société »)
Pierre Ulliac, directeur général adjoint, Aiguillon Construction
• Atelier 4 « Santé »
« Prise en charge clinique et qualité des soins : identifier les pratiques discriminatoires pour agir »
Marguerite Cognet, maître de conférences, Université Paris VII – URMIS (Unité de Recherches
« Migrations et Société »)
Christine Bodin, Responsable Pôle Migrants, Réseau Ville Hôpital 35
• Atelier 5 « Travail social »
« Travail social et discriminations : comment assurer l’égalité de traitement
dans la prise en charge du public ? »
Niky Béquet, sociologue et formatrice, ISCRA (Institut social et coopératif de Recherche appliquée)
Patrice Preter, directeur du centre social Carrefour 18
16h00 > 17h30
Restitution des ateliers et échanges avec le public
17h30 > 17h45
Discours de clôture
Patrice Allais, directeur général adjoint, Direction Générale Proximité cohésion sociale, Ville de Rennes
Marie-Anne Chapdelaine, adjointe au Maire de Rennes, déléguée à l’égalité des droits et à la laïcité
Deux courts-métrages à visionner :
« Il paraît qu’eux », réalisé par l’association Étrange Miroir
« Le bruit et la rumeur », réalisé par l’association Ya Fouei
Animateur : Erwann Le Hô
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Discours d’ouverture
n Marie-Anne Chapdelaine, adjointe au Maire de Rennes, déléguée à l’égalité des droits et à la laïcité
ainsi un point d'étape majeur issu d'un travail
collectif et qui s'inscrit dans la durée pour
une valeur commune à toutes et tous les
membres du CRDED : la promotion et la
défense de l'égalité des droits, ainsi que
l'égalité de traitement.
Mesdames, Messieurs,
C'est un plaisir de vous accueillir aujourd'hui dans
les locaux de Rennes Métropole à l'occasion de la
journée internationale de lutte contre les discriminations.
Je me dois tout d'abord d'excuser Daniel Delaveau,
Maire de Rennes et Président de Rennes Métropole,
qui, en raison d'une obligation de dernière minute,
ne pourra malheureusement pas être parmi nous ce
matin.
À Rennes, nous sommes convaincus que pour vivre
ensemble en harmonie, le respect de cette valeur doit
être effectif. C'est pour cela qu'en 2009, le Plan de
Lutte contre les Discriminations a été adopté
à l'unanimité par le Conseil Municipal du
8 juin. Ce plan, décliné en cinq axes a pour priorité
la mobilisation de la collectivité en interne, mais
aussi la mobilisation des partenaires de la collectivité. C'est pourquoi vous avez été conviés à participer à ce Forum. Vos expériences de terrain
et vos témoignages sont indispensables
pour envisager les chantiers de demain,
en s'appuyant sur un diagnostic partagé
des pratiques d'aujourd'hui.
Merci d'être si nombreux (plus de 200 inscrits) pour
la première édition du Forum professionnel de l'Égalité. Cette journée, qui a pour objectif de favoriser
les échanges et mobiliser les réseaux institutionnels, professionnels et associatifs
autour de la lutte contre les discriminations,
est attendue depuis longtemps.
En effet, le Conseil Rennais de la Diversité et
de l'Égalité des Droits, le CRDED, s'est investi
depuis maintenant, deux ans pour la tenue d'un tel
évènement. Ce comité consultatif a été crée en 2009
par le Conseil Municipal. Il est composé d'habitants,
d'associations, de représentants d'institutions, de
chercheurs et d'élus. Toutes ces personnes travaillent
ensemble autour de trois thématiques : la lutte
contre les discriminations, l'accès aux droits des
étrangers et l'histoire de l'immigration à Rennes. Les
membres du CRDED se réunissent en groupes projet,
en séances plénières, et dans le cadre d'une cellule
de veille, afin de faire avancer l'engagement citoyen
autour de ces questions. Ce Forum représente
Cette journée s'annonce riche, grâce à votre participation massive qui montre tout l'intérêt que vous
portez à la question de la lutte contre les discriminations. La transversalité des enjeux de l'égalité
engage tout un chacun à interroger ses propres pratiques.
Professionnels des services publics et du
secteur privé, des domaines de l'emploi, de
l'entreprise, de l'éducation, du logement, de
la santé et du travail social ; vous nous avez
fait part des questionnements qui se posent dans le
cadre de votre travail quotidien. Nous avons aussi
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eu l'occasion de connaître des projets et des actions
sur lesquels certaines et certains d'entre vous se sont
investis dans vos secteurs respectifs pour faire avancer l'égalité. Il nous semble donc important
pour cette première édition, de commencer par
le partage de ces questionnements et de
ces expériences.
Cognet de l'Unité de recherche Migrations et Société
de l'Université Paris 7, Niky Béquet de l'Institut
Social et Coopératif de Recherche Appliquée,
Laurence Ukropina de l'Académie Metz-Nancy,
Mustapha Laabid de la Fondation Agir Contre
l'Exclusion, Sabine Baudont de la Ligue de
l'Enseignement, Alice Naturel de Léo Lagrange,
Pierre Ulliac d'Aiguillon Construction, Christine Bodin
de Réseau Ville Hôpital, et Patrice Préter de
l'Association Rennaise des Centres Sociaux.
La matinée de cette journée sera consacrée
à deux conférences-débats. Philippe Cormont
du cabinet Conseil en Pratique et Analyses Sociales
(COPAS) assurera la conférence d'ouverture, qui rappellera le cadre juridique et les mécanismes des discriminations. Suivra une table ronde portant sur la
mesure des discriminations et du débat autour des
statistiques ethniques, animée par Anne Morillon, sociologue du collectif Topik, et Jean-Luc Richard, enseignant chercheur à l'Université Rennes I et au
centre de recherche pour l'action publique en Europe
(CRAPE). À la suite de chaque intervention, un temps
important sera dédié à vos réactions et à vos questionnements.
Je suis convaincue que cette journée sera riche en
échanges. J'espère que ces échanges permettront de
répondre à vos questionnements, qu'ils constitueront un terreau fertile pour envisager ensemble,
les chantiers de demain vers plus d'égalité.
Je vous remercie et vous souhaite une très bonne
journée.
L'après-midi sera consacrée aux échanges
entre professionnels en ateliers thématiques. Ils permettront à chacun d'entre vous d'apporter votre expertise et de soulever vos
interrogations issues de votre expérience.
Je tiens à remercier tout particulièrement l'ensemble
des intervenants de cette journée, à la fois les chercheurs, les experts, et les membres du CRDED sans
oublier l'animateur, qui se sont fortement investis
pour préparer cette journée de travail. En plus de
celles et ceux déjà cités, Aude Rabaud et Marguerite
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CONFÉRENCE
La lutte contre les discriminations,
entre théorie et pratiques
n Philippe Cormont, consultant et formateur au cabinet COPAS (Conseil en Pratiques
et Analyses Sociales)
Je vais vous présenter pendant une heure un survol assez rapide et
le plus complet possible des questions de discriminations tant en termes
de ressort intellectuel, cognitif, rationnel qu’en termes également
de politiques publiques et de cadre juridique. J’ai une heure,
c’est relativement bref donc, si vous avez des questions, n’hésitez pas à les poser
plutôt à la fin, il y aura tout un temps de débat, mais comme le temps m’est compté,
j’aurais du mal à répondre pendant mon intervention.
CHRONOLOGIE DE L’ÉMERGENCE
DES POLITIQUES PUBLIQUES DE LCD
des Droits, mais dont les missions n’ont pas été modifiées de
façon drastique, se crée en décembre 2004 mais devient effective en 2005.
Lutte contre les discriminations
En 2008, un aménagement de la Loi de 2001 va introduire la
notion de harcèlement telle qu’elle est définie (« Harcèlement : créer un environnement intimidant, hostile, dégradant,
humiliant ou offensant ») avec une chose intéressante, c’est
qu’aujourd’hui et depuis deux ou trois ans, la question des
discriminations devient une partie importante des réflexions autour des risques psychosociaux au sein des
organisations.
La discrimination est un sujet neuf, cela peut sembler provoquant. Ca ne l’est pas du tout, c’est un sujet neuf en termes de
politiques publiques. Vraisemblablement, la discrimination
existe depuis que l’homme est homme, on peut être à peu près
sûr de cela. Par contre, en termes de politiques publiques,
c’est récent, il faut attendre 1997. En fait, c’est une volonté
européenne : l’article 13 du traité d’Amsterdam qui
avait imposé à tous les États membres de l’Europe de mettre en
place une politique publique de lutte contre les discriminations.
Vous allez voir que c’est quelque chose d’assez intéressant
puisque c’est aussi un marquage en termes d’outils pratiques.
La question des discriminations, ce sont avant tout
des questions de management, d’outils, très praticopratiques. Marie-Anne Chapdelaine le rappelait très justement,
ce sont des questions d’égalité réelle, pas d’engagement moral. Ce sont vraiment des questions d’outillage,
de façons de faire, de process.
Ces politiques vont se décliner évidemment différemment suivant les droits nationaux. En France, cela va prendre un petit peu
de temps, il va falloir déjà reconnaître l’existence des discriminations en France, j’y reviendrai juste après. Cela a été un petit
peu long, il a fallu attendre 1998.
La Loi de 2008 va bien insister sur ce côté-là en intégrant les
questions de harcèlement.
À l’époque, c’est Martine Aubry, ministre de la cohésion sociale
qui reconnaît, à la sortie d’un conseil des ministres, l’existence
des discriminations. À partir de ce moment-là, il devient légitime
pour les acteurs de la politique publique de s’emparer du sujet.
Il y a des budgets, on peut commencer à travailler en termes de
projets notamment, des gros projets européens qui vont marquer le territoire national sur la question des discriminations.
n
DÉFINITION CONCEPTUELLE
DE LA DISCRIMINATION
Le moment le plus important a été, peut-être, l’inscription dans la loi, celle du 16 novembre 2001 que je
vous présenterai tout à l’heure, qui va définir le cadre juridique.
Je vais vous donner une première définition conceptuelle de la
discrimination : « un traitement défavorable à situations
comparables ». C’est ça qui est peut-être le plus important à
comprendre pour le moment. On est bien à situation égale ou
comparable, à niveaux équivalents de revenus pour l'accès au
logement, à niveaux de diplômes égaux. Là, il peut y avoir des
discriminations. S’il faut le permis B pour tel poste et que je n'ai
pas le permis B, il ne peut pas s'agir de discrimination.
Donc c’est en 2001 qu’on va commencer à avoir des éléments
extrêmement concrets, extrêmement précis, pour dire ce qui est
légal, ce qui est illégal, ce qui est interdit, ce qui est toléré en
France autour des questions de discrimination. Puis, la HALDE
qui, l’année dernière est passée sous le chapeau du Défenseur
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C'est une des grosses différences avec les questions
d'inégalité, d'injustice, etc.
qui va donner lieu à tout un tas de politiques notamment de discrimination positive, je vais y revenir tout à l'heure.
Si je prends l'exemple des anciennes colonies françaises, en
Algérie française, dans certaines élections, le vote d'un Français
vaut le vote de 7 Français musulmans, comme on les appelait à
l'époque donc vous voyez 1/7. Vous pouvez parler bien sûr
d'injustice, de ségrégation de ce que vous voulez mais pas de
discrimination puisque la différence des droits était instituée.
Racisme vs Discrimination
Précisons le terme de « racisme » qui malheureusement ne sort
pas de l'actualité. Alors, pour rappel, pour l’anecdote, un peu
pour rire, je vous rappelle qu'on partage plus de 98% de nos
gènes avec les chimpanzés, donc en termes de différence entre
nous, il n’y en a pas tant que ça.
Donc les questions de discrimination se posent dans
le même cadre juridique, à situations de départ comparables ou égales. Alors, ce qu'on entend classiquement
par discrimination est qu’il faut que ça soit fondé sur un traitement défavorable, fondé sur un critère illégal ou illégitime, entraînant un préjudice. C'est-à-dire que vous privez
quelqu'un de quelque chose, ce n'est pas un préjudice au sens
moral, c'est un préjudice au sens absolument concret
et matériel des choses. Je prive quelqu'un de l'accès à un
stage ou une formation, un logement, un emploi, un revenu, etc.
c'est bien ça qui va définir une discrimination, un critère prohibé
par la loi - je vous le présenterai tout à l'heure - qui va entraîner
un préjudice.
Le racisme, comme mot au sens où il est employé autour des
questions de discrimination, la race étant définie comme
couleur de peau. Sur le plan génétique, ça n'a aucun
sens. Vous voyez ce qui est écrit sur les différences entre les individus, il n'y a pas de distinction, elles sont vraiment marginales
en termes génétiques. Il ne s'agit pas non plus de nier les différences de couleur de peau de l'espèce humaine.
Le danger du racisme, si je suis un raciste blanc, je hiérarchise et
dans ma tête je pense que n'importe quel Blanc vaut plus que le
plus intelligent des Noirs, des personnes d'origine maghrébine
ou des asiatiques. Le problème n'est pas de dire qu’il y a
des couleurs de peau différentes, c'est de penser qu'il
y a une hiérarchisation entre ces couleurs de peau.
Tout à l'heure, je définissais la discrimination en disant que ça
crée un préjudice. Si j'ai une insulte raciste envers quelqu'un, je
traite quelqu'un de « sale noir » dans la rue, je suis dans une logique raciste mais pas discriminante parce que je ne crée pas un
préjudice, je ne le prive pas de l'accès à quelque chose, c'est une
des grosses différences avec les questions du racisme.
n
DISTINGUER LES DIFFÉRENTS
CONCEPTS : DISCRIMINATIONS,
ÉGALITÉ DES CHANCES, RACISME…
Le racisme, c'est la loi Pleven, c'est évidemment interdit mais ce
n'est pas la loi de lutte contre les discriminations qui est plus
large que la simple question des couleurs de peau. Je voulais
vous préciser ce point de vocabulaire là parce que c'est souvent
très ambigu dans les discours.
Égalité de traitement vs Égalité des chances
Très souvent, le champ des discriminations est un champ assez
large, complexe, peu ou prou structuré aujourd'hui, mais qui a
mis du temps à émerger. Il y a beaucoup de confusions avec les
mots que je vous présente derrière (référence au powerpoint,
voir en annexe) : égalité de traitement, égalité des chances, notamment avec le racisme et les questions plus larges d'interculturalité, d'intégration, etc.
Quand je parle de discrimination, je fais clairement référence à
ça : « une discrimination c'est une inégalité de traitement fondée
sur un critère prohibé dans un domaine visé par la loi ». Tout ce
que je vais dire ce matin, vaut pour tout le champ de l'échange
sur un marché d'échanges de biens et de services, pas dans
votre vie personnelle. Dans votre vie personnelle, si vous ne souhaitez pas fréquenter telle ou telle catégorie de personnes, c'est
votre droit le plus strict. Il y a des psychologues qui travaillent
là-dessus, vous pouvez toujours y aller. Mais là, c'est vraiment
en termes d’accès au logement, échanges de biens et services,
droit du travail, tout ce qui encadre la vie professionnelle et les
échanges marchands dans notre société. Pour être plus précis,
le terme « marchand » concerne également les services publics
et les relations avec les usagers, bien entendu, où là on n'est pas
sur un rapport marchand.
L'égalité de traitement c'est très simple à définir puisque je
peux inverser la phrase, je traite les gens en égalité, tout
le monde est traité pareil. Imaginons qu'il y a une course
de 100 mètres, il y a un top départ, il y a cinq concurrents, à la
fin du 100 mètres, on peut vérifier qui est le premier, qui est le
dernier, tout le monde a été traité d'une façon parfaitement égalitaire. Évidemment, on se rend compte que si je suis en situation
de handicap des membres inférieurs, par exemple, vous aurez
beau me faire participer à plein de courses de 100 mètres, il y a
très peu de chance que je gagne.
Donc il a fallu développer une réflexion autour de ça, qui va donner lieu à la question d'égalité des chances, c'est-à-dire qu'on
va donner les mêmes chances aux gens en tenant
compte de leur handicap. C'est la grosse différence avec
l'égalité de traitement. Dans l'égalité de traitement, on est aveugle aux différences, on traite tout le monde de la même manière.
Dans l'égalité des chances, on va tenir compte des handicaps
des personnes. C’est une différence extrêmement importante
n
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n
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LES DIFFÉRENTES FORMES
DE DISCRIMINATION
LE PROBLÈME DU DÉNI
AUTOUR DES DISCRIMINATIONS
Il existe quatre formes de discrimination : la discrimination peut
être directe, indirecte, légale ou justifiée. Les discriminations directe et indirecte sont les deux qui font l'objet soit
d'amendes, soit de délit et peuvent être estées au pénal. Là, c'est
interdit, condamné en termes d'amende voire de peine de prison
par la loi.
Un des gros soucis avec l'émergence de la problématique des
discriminations, personnellement j’y travaille depuis 1998 et si
vous voulez jusqu'en 2003-2004, c'était le déni des discriminations en France, au nom de l'égalité non pas réelle
mais formelle.
Nul ne peut être traité différemment en fonction de son origine,
sa race ou sa religion, principe fondamental de la Constitution,
on niait réellement l'existence des discriminations. « Après tout,
si je n'embauche pas de personnes de plus de 50 ans c'est parce
qu'ils ne sont plus adaptés au monde du travail d'aujourd'hui.
Les femmes sont tout le temps enceintes, les gamins malades,
on ne peut pas compter dessus. Les Maghrébins ils sont violents
et puis il y a le problème de compétences ». Donc on entendait
un tas d'argumentations de la part des entreprises ou des
services publics qui justifiaient les discriminations, un
peu comme si les discriminations étaient une projection politique
et pas du tout quelque chose de réel, d'ancré, et de prouvé statistiquement ou démographiquement ou sociologiquement.
Les discriminations légales et justifiées sont considérées comme
légitimes et tolérées en droit français. Également depuis 2008,
la discrimination peut prendre la forme d'un harcèlement dans
une logique très symétrique à celle du harcèlement moral. Ce
sont exactement les mêmes logiques d'instruction.
Une discrimination positive : c’est quand on va donner plus à une personne ou à un groupe de personnes
pendant un temps donné pour rattraper un écart
constaté.
Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, il y en a beaucoup
en France. Les 6% d'obligation d'emplois pour les personnes en
situation de handicap de l’AGEFIPH, c'est une discrimination positive, la parité en politique, égalité homme/femme 50/50, c'est
une discrimination positive. Toute la Politique de la Ville, c'est
uniquement de la discrimination positive. Dès que vous voyez
des contrats aidés pour les jeunes dans l'accès au travail ou pour
les seniors pour éviter un départ précoce en retraite, c'est de la
discrimination positive. Ce sont toutes des discriminations
légales. Vous ne pouvez pas, vous, dire : « je vais privilégier tel
ou tel type de personne, telle ou telle catégorie de personne ».
£Il faut que ça entre dans des catégories légales et définies.
n
PRÉSENTATION D’UNE ÉTUDE
PAR TESTING POUR DÉTECTER
LES DISCRIMINATIONS A L’EMBAUCHE
Il y a une étude qui a été réalisée, ce n'est pas la seule, il y en a
eu plein mais celle-ci est une des premières et une des premières
en masse. Il y a eu 1 806 CV qui ont été envoyés, c'est la
méthode par testing.
Les discriminations positives, c'est un concept qui vient des pays
anglo-saxons. En France, il n’y en avait aucune fondée sur la couleur de peau contrairement aux États-Unis : vous avez toujours
cet exemple que tout le monde connaît dans les séries américaines, vous avez trois Blancs, un Noir, un Asiatique, une Hispanique, une femme etc…. c'est l'histoire de quotas, qui renvoie
évidemment au débat qui se déroulera autour des statistiques
ethniques évidemment. En France, on n'est pas du tout dans
cette logique-là, pour des raisons historiques, pour des raisons
pratiques également. Sachez juste qu'il existe beaucoup de discriminations positives en France et à chaque fois, elles sont bâties sauf pour le handicap et pour les femmes, sur les handicaps
sociaux et économiques. C'est la principale grille de lecture des
politiques publiques françaises.
On fait un CV de référence : Jean Touchard, 31 ans, BTS,
force de vente, 8 ans d'expérience professionnelle, marié,
habitant rue Saint Hélier à Rennes, deux enfants… Le truc le plus
banal et classique. On est sur un secteur du commerce parce
qu'on sait qu'il y a de l'offre et de la demande perpétuelle donc
de l'entrée et sortie. On envoie le CV de notre ami Jean Touchard
et on regarde combien il a de réponses positives, étant donné
qu'une réponse positive, c'est une convocation à un entretien
d'embauche. Notre candidat de référence a 75 réponses positives.
À chaque fois, c'est la méthode du testing, on va changer une variable et une seule dans le CV pour voir les
résultats.
Je prends un exemple très simple. Dans le recensement en
France, vous êtes Français, ressortissant de l'Union Européenne.
Hors Union Européenne, aux États-Unis vous avez des dizaines
de catégories, vous êtes Africano-Arabinéo-Caribéen, vous êtes
Hispano-Africain, etc.… Dans cette logique-là, vous avez des catégories statistiques qui sont différentes et qui vont permettre
de mettre en place des politiques de discrimination positive envers les catégories ethnicisées que je viens de citer. Ce qui n'est
pas du tout le cas en droit français, c'est même interdit de
construire ce type de statistiques.
Ce n'est plus Jean Touchard, c'est Caroline Touchard. Caroline Touchard, c'est la même, il y a juste le prénom qui a changé,
mêmes compétences, même adresse, tout pareil, c'est juste Caroline au lieu de Jean. Caroline, elle a 69 réponses positives.
On est sur un secteur qui est très peu discriminant à l'égard des
femmes. On serait dans l'industrie lourde ou le BTP, ce serait plus
délicat pour les femmes. À l’inverse on serait dans les métiers
de la petite enfance, ça serait plus délicat pour les hommes.
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Deuxième exemple, on change l'adresse, au lieu d'habiter
rue Saint Hélier, il habite Villejean ou la Zup sud, les quartiers qui peuvent être stigmatisés sur Rennes, il n'a plus que 45
réponses positives. On est bien d'accord, tout est pareil, juste
l'adresse a changé. Il a les mêmes compétences, les mêmes qualités, c'est le même. Vous commencez à comprendre la logique.
dans le quartier… En gros, vous pouvez économiser vos timbres, ça va être très délicat.
Le plafond de verre
Petit zoom sur les femmes. Les chiffres que je précise là, ce ne
sont pas du tout les chiffres d’une association engagée type
« Chiennes de garde » ou autre, ce n’est pas une association militante du tout. Ce sont les chiffres de l’État, c’est le Service des
droits des femmes et de l’égalité.
Ensuite, on a rajouté une photo avec un visage disgracieux. « Déontologiquement, on ne peut pas prendre quelqu'un
de laid, vous comprenez bien, ce n'est pas entendable ». Donc
on a trafiqué le visage sur Photoshop et on a envoyé le CV, la
personne n'a plus que 33 réponses positives.
Les femmes n’occupent que 10 % des postes de direction dans
l’enseignement supérieur et la recherche, 18 % dans la fonction
publique territoriale, 18 % dans la fonction publique hospitalière.
Pour incise, les femmes sont plus diplômées que les
hommes depuis les années 80 et la fonction publique hospitalière, c’est féminin à plus de 80 %. C’est ce qu’on appelle le
plafond de verre, c'est-à-dire qu’à un moment, les femmes
progressent dans la hiérarchie et puis elles se heurtent à quelque chose d’invisible et de résistant qui les
empêche d’avoir accès aux postes de direction. Sachant qu’en plus, quand on regarde dans le détail quels postes
de direction elles occupent, elles sont sur des postes qu’on
appelle « genrés » ou « sexués », c'est-à-dire la petite enfance, le lien social, la Com, les RH éventuellement, mais certainement pas la finance ou l’aménagement du territoire. Les
femmes ne sachant pas lire les cartes, on ne va pas leur confier
l’aménagement du territoire donc là, on est évidemment en plein
stéréotype.
Ensuite, la personne Jean Touchard, il n’a plus 33 ans, il a 50
ans, on a rempli le CV en conséquence de façon à ce qu'il n'y
ait pas de trou. Comme on est sur le marché privé, on n'a pas
augmenté les prétentions salariales pour ne pas biaiser les
résultats. Là, il n'a plus que 20 réponses positives.
Étape d'après, on teste l'origine, ce n’est plus Jean Touchard
c'est Sayed Abdelatif, il n'a plus que 14 réponses positives. C'est le même, il a les mêmes compétences, juste son
nom et son prénom changent. C'est-à-dire que concrètement,
moi je m'appelle Philippe Cormont, si je m’appelais Sayed Bechouri, j’aurais quatre fois moins de chances d’être là et cela aurait commencé, évidemment, dès la fin de mes études donc je
n’aurais évidemment pas le même parcours.
Enfin dernier exemple, une personne en situation de handicap qui se sert d’un appareil auditif. Ce n’est pas un tétraplégique pour être couvreur, là on voit bien que cela va être
compliqué, un appareil auditif qui ne nuisait absolument pas
à l’emploi, au poste ou à la mission. La personne n’a plus que
5 réponses positives.
Peut-être plus gravement en termes d’écart de salaire,
dans le secteur privé bien entendu, une gérante gagne en
moyenne un tiers de moins qu’un gérant, à taille égale d’entreprise bien sûr. Et une cadre dans le privé, gagne en moyenne
23 % de moins qu’un cadre tous secteurs confondus malgré la
loi sur l’égalité.
Alors cela a été testé, retesté, refait, vous avez des variations
suivant les secteurs. Par exemple, le BTP est très peu
discriminant quant à l’origine. Il y a peu de discrimination
liée au nom, par exemple ou à la couleur de peau. Vous allez
en avoir une beaucoup plus forte liée au sexe ou à
l’âge. Ce dont il faut bien prendre conscience, c’est que les
écarts là ne s’expliquent absolument pas pour des niveaux de
compétence, ce sont des problématiques subjectives de
stéréotypes, de préjugés qui vont fonder les discriminations. Donc, les écarts sont quand même extrêmement importants. L’étude rend compte aussi d’autres choses.
Selon les statistiques sur la parité en politique (18,5%
de députées, 12,3% de conseillères générales, 13,9% de maires),
on voit bien que malgré la loi de discrimination positive, l’accès
des femmes aux postes politiques, on est très loin des
50/50. On est dans le dernier wagon européen sur la représentation des femmes à l’assemblée nationale. On est derrière la Lituanie. Je n’ai rien pour mais je n’ai rien contre la Lituanie, et vous
voyez, moins de 14 % des maires 18,5 des députés, on est très
loin de la volonté de 50 %. La discrimination positive envers les
femmes, elle fonctionne sur les listes pluri-nominales dans les
élections en plusieurs tours, dès qu’on est sur les listes uninominales, ça coince.
n
LES FEMMES FACE
À LA DISCRIMINATION
Deux petites incises sur les femmes.
Il y a une étude qui est sortie très récemment sur le management
et on demande aux gens : un manager qui se met en colère, cela
renvoie quoi comme image ? Quand c’est un homme manager
qui se met en colère, c’est considéré comme faisant preuve d’autorité, quand c’est une femme qui se met en colère, elle perd ses
nerfs, voilà ! Et on est bien en plein dans les représentations évidemment.
La double peine
Pour les femmes, vous avez bien compris que c’est la double peine puisque les femmes sont dans toutes les catégories,
vous êtes femme noire, femme pas très jolie, femme du Val
Fourré, femme handicapée, etc. c’est la double peine pour
les femmes et puis surtout, c’est cumulatif. Vous êtes
une vieille femme pas très jolie d’origine maghrébine habitant
Dernière chose, une sociologue américaine qui a travaillé sur la
9
notion de plafond de verre, a fait une étude sur les trombinoscopes des entreprises du CAC 40 pour faire simple, entreprises
américaines. Le trombinoscope, c’est intéressant puisque vous
mettez les photos de tout le monde et puis vous voyez tout de
suite qui c’est. Donc, elle a cette phrase un peu provocante mais
assez juste : « Les grandes entreprises américaines, c’est comme
les montagnes rocheuses. En bas, vous avez des petits torrents,
des gros ruisseaux, des feuillus, des conifères, des petits graviers,
des névés, des gros cailloux, il y a de tout, c’est divers et puis,
plus on monte, plus ça devient gros, blanc et chauve… ». C’est
tout à fait juste quand vous regardez les images.
types qu’on connaît tous : « les gros, ils sont sympas et conviviaux », « les Noirs, ils aiment la musique, ils sont bons en sport »,
« les femmes, elles sont naturellement douces », « les coiffeurs
hommes, ils sont homosexuels », etc. On en a plein la tête. Le
problème c’est qu’est-ce que je fais de ce que j’ai dans ma tête,
là ?
Une lecture simpliste du monde
L’avantage du stéréotype, il ne faut pas le nier, l’énorme avantage du stéréotype c’est que cela me donne une lecture simple du monde. Le monde est bien ordonné dans ma tête, je
n’ai pas à réfléchir, c’est comme ça, les choses sont ce qu’elles
sont, « on ne peut rien y faire, ma pauvre dame, c’est dans la nature humaine ». Alors évidemment, cela pose quelques questions sur l’efficacité des choses, les process et des façons de
raisonner.
n
DISCRIMINATIONS ET STÉRÉOTYPES
La prédominance des stéréotypes
Les stéréotypes sont intériorisés dès le plus jeune
âge. J’ai un enfant en bas âge et quand je lui lis une histoire, il
faut sauver la princesse. Elle est comment la princesse ? Elle est
jeune, elle est blonde, elle est belle et elle est blanche. Qui l’empêche d’aller chercher la princesse ? le dragon noir, le chevalier
noir, la forêt noire. Vous regardez Petit Ours Brun qui est diffusé
partout dans toutes les crèches. Petit Ours Brun, sa maman elle
fait quoi ? Maman, elle fait les gâteaux, elle fait la vaisselle. Papa,
il conduit la voiture, et il joue au foot. Les gamins ils ont deux à
quatre ans.
Les questions de discrimination sont liées aux stéréotypes.
Quand je dis « secrétaire », vous n’allez pas imaginer un homme
de 50 ans avec une moustache. Quand je dis « sage-femme »,
pareil. Quand je dis « maçon » vous n’allez pas imaginer une
jeune femme de 20 ans. Je vais vous poser une question mais je
pense que vous n’allez pas me répondre. Si je vous dis c’est un
peuple inassimilable de fanatiques religieux qui a un rapport violent avec ses femmes, un peuple de voleurs. Immédiatement, il
y a quelque chose qui est venu là, dans notre front à tous, de
l’ordre du préréflexif, il y a une image qui est venue juste derrière
notre front. Personne n’a réfléchi, vous n’allez pas comparer tout
votre savoir avec ce que je viens de dire, vous n’avez même pas
réfléchi à ce que dit le monsieur. Est-ce que cela a du sens ou
pas ? Cela s’est imposé à vous. Donc je ne vais pas vous demander à qui vous avez pensé, je vais juste vous dire que ce que je
viens de citer au mot près vient d’un tract de salariés des années
30 et qui parle des Italiens et je pense que personne n’avait pensé
aux Italiens. Si je dis cela aujourd’hui des Italiens, on va me dire :
« Monsieur Cormont, il faut peut-être aller vous reposer, faire un
break en thalasso, il y a un truc qui ne va pas bien là ».
Exemples d’expériences
Expérience de psychologie aux résultats assez angoissants sur la couleur de peau, aux États-Unis : des petites filles blanches, des petites filles noires en classe de
maternelle, 3 à 4 ans, fin de crèche début de maternelle, on les
fait jouer avec des poupées. Il y a des poupées noires, des poupées blanches. Première consigne : jouez avec des poupées. Les
petites filles blanches cherchaient des poupées blanches, les petites filles noires cherchaient des poupées noires.
Si je dis cela à d’autres catégories de populations, on va me dire
vous exagérez un peu mais c’est vrai quand même qu’il y a des
problèmes. Ce que je veux vous montrer par là, c’est que le
mécanisme d’exclusion, au fil du temps, est extrêmement robuste. Par contre, le groupe cible, lui, bouge
dans le temps mais le mécanisme d’exclusion est le
même.
Deuxième consigne : prenez les plus jolies des poupées, tous les
enfants ont cherché des poupées blanches. À trois ans, elles
ont intégré le stéréotype dominant de la beauté aux
États-Unis : blanc. Trois ans, et évidemment, nous en tant
qu’adultes, on participe à cette construction-là.
Autre expérience : on fait visiter une pouponnière de
bébés de deux mois à un groupe de parents. À deux
mois, les bébés sont totalement indifférenciés sexuellement. Premier groupe, ils sont maillotés en rose : « elles sont douces et
attentives », selon les parents. Deuxième volet, on les habille en
bleu-marine : « ils sont vifs et intelligents ». Nos propres projections vont construire la réalité. Alors évidemment, là
je suis sur des expériences qui sont décalées du monde du travail, vous imaginez bien l’impact que cela a quand c’est une
femme qui vient se proposer à un poste de soudeur ou un
homme à un poste de secrétaire.
Stéréotypes et risques de discrimination
La question des stéréotypes est fondamentale sur les
questions de discrimination. Prendre conscience des stéréotypes qu’on peut avoir, de leur poids, va conditionner vos engagements à lutter ou pas contre les discriminations, à faire un
travail un peu fin en termes de processus et d’outils.
Pourquoi j’insiste sur les processus et les outils ? Parce que des
stéréotypes on en a plein la tête. Je vous listais plein de stéréo-
10
ment de la charge de la preuve. Si j’estime être discriminé
par une structure, ce n’est pas à moi de prouver que j’ai été discriminé, c’est à la structure de prouver qu’elle ne m’a
pas discriminé.
Autre expérience : on a filmé des dizaines de recrutements, avec des personnes éloignées de l’image qu’on
se fait du poste – donc un homme pour un poste de secrétaire, etc. Secrétaire au sens commun du terme évidemment, si
vous êtes SGAR ou secrétaire national, là c’est pour les hommes,
il faut avoir fait l’ENA, ce sont les hommes, ce n’est pas pour
vous mesdames ! Vous, c’est taper à la machine, dactylo tout
ça, secrétaire quoi ! Plus l’image ne correspond pas au
poste, plus l’entretien est court, moins les questions
sont précises de la part du recruteur. Plus les réponses
de description du poste sont imprécises, plus la posture non verbale est fermée. Les premiers surpris sont les recruteurs quand
on diffuse le film parce qu’ils n’en ont pas conscience.
Un exemple très concret : j’envoie un CV à Rennes Métropole et
je pense que j’ai été discriminé. Alors un grand classique : je
m’appelle Abdelatif, j’envoie un CV, je n’ai jamais eu de réponse
puis, là, je mets Philippe Cormont et je suis convoqué. Je photocopie les deux lettres, je saisis la HALDE. Dans ce cas-là, ce ne
sera pas à moi de prouver que j’ai été discriminé, ce sera à
Rennes Métropole de prouver qu’elle ne m’a pas discriminé.
Prouver que vous n’avez pas discriminé, ce n’est pas votre
bonne parole, c’est par rapport aux procédures de recrutement,
au traitement des critères, aux modes de sélection.
n
Les dix-huit critères
METTRE EN PLACE DES OUTILS
DE GESTION DES RH POUR LUTTER
CONTRE LES DISCRIMINATIONS
Donc, dix-huit critères interdits par la loi, ne vous affolez
pas, personne ne les connaît à part les spécialistes. Je vous ai
mis en orange les critères les plus discriminants en
France. Je vais vous les commenter.
Du coup, autour des stéréotypes, je ne peux pas me faire
confiance.
 L’origine : d’où vous venez, de Bruz, Vezin-le-Coquet, de Montauban, de Corse, du Mali, d’Autriche. Sachant qu’au sens de la
HALDE, l’origine prend le sens de couleur de peau, pas d’origine
géographique, d’origine en termes de couleur de peau.
Moi, je recrute pour ma structure, quand je vois sur un CV, en
haut à gauche, marqué 53 ans, ma première réflexion c’est de
dire non ! Puis bon, comme je vieillis, je me dis qu’un jour ou l’autre, ça va m’arriver donc, je commence à être plus attentif. Donc
je me suis fait un bandeau qui « anonymise » le haut du CV. Ce
n’est pas du tout pareil de lire l’expérience professionnelle de la
personne et de dire : « Ah ben oui ! Pour avoir fait tout ça, forcément, il a de l’expérience », que de commencer d’emblée par
l’âge, c’est du ressort psychologique mais très important.
 Le sexe : homme, femme et personne en opération. Ce n’est
pas si rare que ça, c’est pour ça que je vous dis cela.
 Les mœurs : vous faites ce que vous voulez de votre vie tant
que le matin vous êtes en situation d’assurer votre travail. Vous
pouvez être mort saoul tous les soirs, vous avez le droit tant que
cela ne nuit pas à votre travail. Il y a eu des cas de licenciements
pour des raisons de mœurs dont un qui m’a toujours épaté, c’est
un homme qui a été licencié pour avoir été vu en club échangiste
et cela fait cinq ans que je me demande comment ils ont fait pour
le voir en club échangiste. Donc il y a eu des cas comme ça, un
homme a été licencié pour avoir été vu sortant d’un bar fréquenté notoirement par la communauté homosexuelle. Alors
évidemment, ils ont gagné leur procès en appel. Il y a quelques
postes dans la fonction publique qui sont restreints en termes
de mœurs mais c’est tout.
Si on veut stériliser les stéréotypes, comme je ne peux pas me
faire confiance, je suis obligé de les mettre à distance. Pour les
mettre à distance, je n’ai pas d’autre choix que d’avoir
des outils de gestion des ressources humaines, des
grilles d’évaluation qui soient transparentes avec des
critères. Vous imaginez toutes les tensions qu’il y a dans l’attribution des primes de la fonction publique. C’est un problème
de critères, les critères ne sont pas transparents, ne sont pas forcément objectifs donc, pas objectivables. À fois que vous
êtes dans des situations où ce n’est pas objectivable,
c’est la porte ouverte aux discriminations.
 L’orientation sexuelle : C’est clair, cela concerne les homosexuels, il n’y a pas quelqu’un qui a été licencié pour être hétérosexuel. Ça peut être aussi des refus : vous appelez pour
prendre une chambre d’hôtel, vous arrivez, vous êtes avec une
personne du même sexe et le gérant va vous refuser l’accès à la
chambre, je cite : « je ne veux pas de ces gens-là chez moi ». Ce
sont des cas réels évidemment que je vous cite.
LA LOI DE 2001
L’aménagement de la charge de la preuve
Vous commencez à comprendre que c’est un traitement différencié fondé sur un critère « interdit » qui s’applique en matière
d’emploi, accès aux biens et services, fournitures, protection sociale, santé, avantages sociaux, éducation et logement. Cela
couvre donc tous les champs, en gros, de notre vie, sauf notre
vie individuelle et personnelle. Alors, il y a une chose très importante dans la loi de 2001, c’est ce qu’on appelle l’aménage-
J’insiste sur hétéro/homo parce que c’est une discrimination
extrêmement peu travaillée par les entreprises
comme l’origine, alors que si vous regardez les rapports des associations homosexuelles c’est très violent. Notamment pour
les femmes homosexuelles, ça semble être plus vio-
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lent que pour les hommes homosexuels. C’est encore
la double peine.
lez en France. Par contre, comme il était adhérent de l’association, il ne respectait plus les valeurs de l’association CGT, c’est
ce motif-là qui a conduit à son exclusion. S’il avait été salarié,
cela aurait été un autre droit. Des fois ces questions-là peuvent
être subtiles, donc je précise.
 L’âge, ça c’est facile à comprendre.
 La situation familiale : Ça peut avoir des incidences dans
le champ de l’emploi, beaucoup plus de droit des assurances,
réversion de pension, etc. Situation familiale, que vous soyez
veuf, pacsé, marié une fois, marié deux fois, pas divorcé, etc. Cela
ne doit pas jouer dans votre trajectoire professionnelle.
 Les convictions religieuses, c’est comme les opinions politiques. Sachez juste qu’entre le droit privé et le droit de la fonction publique il y a une vraie différence. Tous les signes
distinctifs d’appartenance religieuse sont strictement
interdits dans la fonction publique, ce qui n’est pas le
cas dans le privé.
 Les caractéristiques génétiques : C’est un rajout parce
qu’évidemment mon sexe, c’est dedans, mon phénotype, ma
couleur de peau, c’est dedans. Ça a été rajouté, en fait, pour protéger les parents dont les enfants ont une maladie dégénérative
génétique de façon à éviter les surprimes des assureurs. Comme
il y avait un mouvement des assurances pour qu’il y ait plus de
primes, là c’est le principe de fraternité républicain, collectivisation, la fraternité c’est l’impôt. Ce n’est pas transcrit autrement
en droit et du coup, la collectivisation des risques donc refus de
prendre en compte les caractéristiques génétiques.
 L’apparence physique : Dans les médias vous avez des
exemples de gens qui sont en surpoids et qui n’ont pas le droit
de monter dans l’avion. C’était il y a deux ans puis ça s’est refait
l’année dernière. Vous êtes grand, petit, beau, moche, etc. ça ne
doit pas jouer.
 Le patronyme : votre nom. Que vous vous appeliez Traoré,
Abdel Kader, Cormont, Touchard, Gwenalec, ça ne doit pas jouer.
 Appartenance ou non appartenance vraie ou supposée à une ethnie, une nation ou une race
 Handicap ou état de santé : C’est ça qui est extrêmement
important sauf inaptitude constatée par le médecin du
travail. Il n’y a que ça qui vaille, vous n’avez jamais à prendre
une décision en disant : « Non vous êtes trop fragile, vous n’arriverez pas à porter ce poids là » ou « c’est un métier dur vous
savez ». Ca c’est un grand classique sur la discrimination des
femmes, « c’est un métier dur vous savez, je ne préfère pas vous
donner le poste parce que ça va être trop dur pour vous, vous
n’allez pas être bien ». Moi, je ne sais pas ce que c’est un métier
dur. Nous, on accompagne une association qui fait de l’accompagnement à la fin de vie. Personnellement, je trouve ça extrêmement dur et physiquement, il n’y a rien, vous êtes assis, vous
tenez la main. Mais je préfère pousser les wagonnets au fond de
la mine que faire ça, parce que ce n’est pas le même stress. Donc,
je ne sais pas ce que c’est un métier dur, ce que je sais c’est que
vous êtes déclaré apte ou pas. Alors, vous comprenez bien notamment dans la fonction publique que ça, ça fonctionne s’il y a
des fiches de postes qui sont à jour, s’il y a des descriptifs de
postes qui tiennent la route. Quand je vous parle d’outillage, la
question elle est là, si vous avez des fiches de postes imprécises,
sur quoi va statuer le médecin du travail ?
Ethnie, on peut le définir comme homogénéité de culture, de
coutume, de lieu, de territoire et de langue. En France, on n’a
quasiment pas d’ethnie, il faudrait vraiment tirer le concept très
fortement et on pourrait tomber sur Corse, Breton, Basque éventuellement, mais ça n’a pas de sens vraiment en France.
Race au sens couleur de peau, j’insiste vraiment là-dessus. Peutêtre pour préciser davantage, on appartient à la même espèce. Ce qui définit une espèce, c’est le fait qu’on peut se
reproduire ensemble. Or, l’histoire nous a montré qu’un Groenlandais avec une Chilienne, ils peuvent se reproduire, il n’y a pas
de souci donc on appartient bien à la même espèce. Quand il y
aura des Martiens ou des Plutoniens, on pourra commencer,
peut-être, à parler d’autres choses mais jusqu’à preuve du
contraire, la notion de race biologiquement n’a aucun sens.
 Les opinions politiques : pas les pratiques mais les opinions politiques. Dans votre tête, vous pensez et vous avez le
droit de penser ce que vous voulez, vous pouvez être anarchosyndicaliste tendance bakounine. Vous n’avez pas le droit d’appeler à la grève et à la révolution toutes les cinq minutes dans
votre service, c’est deux choses différentes. Donc en termes
d’opinion, ce que vous voulez, pas en termes de pratique.
 État de grossesse, situation de maternité : cela a été
rajouté en 2008. Ça désigne le retour, quand les femmes après
avoir pris un congé de maternité, reviennent dans l’entreprise.
Elles sont couvertes par la loi.
 Les activités syndicales ou mutualistes. C’est facile à
comprendre, c’est tout le droit des associations. Vous n’allez pas
être embêté parce que vous militez à SOS Racisme, au Club des
boules de l’amicale du Conseil général ou ce que vous voulez.
Petite incise, vous vous souvenez certainement, il y a deux ans,
d’un militant de la CGT, candidat Front National qui a été exclu
de la section. Alors, on pourrait se dire là, il y a un viol des opinions politiques, il a le droit de faire ça. Là, c’est intéressant parce
que si cet homme avait été salarié de la CGT, on n’aurait pas pu
le virer ! Vous êtes absolument libre de penser ce que vous vou-
Vous remarquerez que ces critères fondamentalement
couvrent deux champs : celui du respect et de la dignité des individus. Dans vos têtes, dans nos têtes, on a le
droit de penser ce qu’on veut en France. Et deuxième chose, ça
couvre les choses sur lesquelles je n’ai pas de choix.
Je suis né homme ou femme, noir ou blanc, à Mulhouse ou à
Rennes, je n’y peux strictement rien, je n’ai pas à en être fier ou
pas fier, c’est une donnée de ma vie dès le démarrage.
Ces dix-huit critères-là couvrent tous ces champs : les
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choses sur lesquelles vous n’avez pas de prise et la liberté absolue de penser, pas d’agir mais de penser.
d’amende pour l’Oréal plus dommages et intérêts etc.
Première défense de l’Oréal : « Nous on ne peut pas… Attendez,
on est engagé dans les politiques de diversité, on est sur une politique de communication qui dit qu’il faut qu’on soit à l’image
de nos clients ». Vous regardez les affiches de l’Oréal c’est du
marketing ethnique. Il y a une noire pas trop noire quand même,
aux cheveux défrisés, une asiatique et puis une rousse ou une
blonde, et puis, suivant les types de cheveux vous achetez des
produits l’Oréal. Donc ils étaient très embêtés. Leur première défense a été de dire : « ce n’est pas nous, c’est l’intermédiaire à
l’emploi ». Sachez juste que dans tous les cas, c’est l’intermédiaire à l’emploi qui est davantage puni que le donneur d’ordre.
Les sanctions
Aucune mesure, règle, pratique, ne peut être prise en défaveur
d’une personne ou en faveur en fonction d’un de ces critères,
pour l’accès aux stages, les primes, les emplois, le recrutement.
Vous êtes couverts à partir du moment où vous envoyez un CV
ou vous écrivez pour postuler à un concours jusqu’à votre décès
ou la retraite, vous êtes couverts sur le champ du travail par
cette loi-là, il en est de même dans l’accès au logement.
Qu’est-ce que vous risquez ? Dans le privé, moi je risque - vous
aussi et tous les ressortissants du droit privé - trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende par personne
discriminée. Il n’y a jamais eu de peine de prison ferme, en
France, pour discrimination mais des centaines de milliers d’euros - je vais vous présenter quelques exemples tout à l’heure - il
y en a eu un paquet.
Ce sont les services RH qui seront davantage punis
si je suis dans un groupe. Je suis responsable d’atelier, je
recrute dix personnes en disant « je ne veux pas de Noirs » ou
« je ne veux pas de femmes » ou « je ne veux pas de plus de 50
ans ». C’est le service RH, s’il accède à ma demande, qui sera davantage puni que moi, pourquoi ? Parce que c’est eux qui sont
censés connaître le droit et la législation, tout simplement, ils
sont garants de ça donc, c’est logique. Procès : l’Oréal est donc
condamné.
Pour la fonction publique, ce qui est logique, c’est cinq ans
et 75 000 €. C’est davantage puni quand l’État met en place
des directives d’émancipation, ce n’est pas pour que la fonction
publique déroge. Pour les personnes morales 225 000 €.
Deuxième exemple : Moulin Rouge et Adecco, très connu.
Le restaurant du Moulin Rouge à Paris ne souhaitait pas de serveurs de couleur en salle, c’est un grand classique des discriminations. On veut bien prendre des personnes de couleur mais
pas en front-office, pas quand il y a contact avec les clients.
Juste une incise, si moi je discrimine, c’est moi qui vais être puni.
Si moi, plus mon supérieur hiérarchique, plus notre supérieur
hiérarchique, tout le monde est au courant et qu’on continue à
discriminer, là ça va être la personne morale qui va être condamnée ainsi que les parties classiques. Et puis, vous avez la HALDE,
la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et promotion de l’Égalité qui, elle, intervient pour gérer, délivrer les
amendes autour du champ des discriminations.
Procès IKEA : Il y a sept ans c’est exactement le même, vous
n’avez en vendeurs que des personnes de couleur blanche et en
back-office que des personnes de couleur, tout ce qui est logistique etc., ce sont des personnes de couleur, un grand classique.
Bosch : Mesdames : les machines à laver, Messieurs : les perceuses à percussion. L’entreprise Bosch est condamnée pour
double discrimination : syndicale et liée à l’origine. C’est assez
simple, les gens rentrent - c’est un exemple vraiment patent de
la question des discriminations - ils sont embauchés, tous ouvriers non qualifiés. Trente ans après, là vous avez les ouvriers
non délégués syndicaux d’origine maghrébine, là, les délégués
syndicaux d’origine magrébine dans la hiérarchie de l’entreprise.
C’est la CGT qui porte plainte, première justification de l’entreprise : c’est normal, il y a des problèmes de performance, ils sont
moins productifs, etc. tout cela est très logique.
Mais le souci c’est que l’enquête a montré qu’on n’a jamais proposé de formations qualifiantes aux délégués syndicaux d’origine maghrébine, donc sur trente ans de carrière, vous imaginez
bien le décalage. Là il y a eu 50 000 € d’amende et 20 000 € de
rattrapage de carrière par salarié puis, comme Bosch a fait appel,
c’est passé à 400 000 €. Il n’y a pas à discuter c’est tout à fait
logique.
n
EXEMPLES DE SANCTIONS
POUR DISCRIMINATION
Quelques exemples récents de procès pour discrimination qui
ballaient tous les champs.
Le procès l’Oréal/Garnier/Districom qui avait fait du bruit
à l’époque. L’Oréal, (« parce que vous le valez bien »), petite PME
qui a du mal avec les services juridiques, ils n’étaient pas très au
courant de la loi sur la lutte contre les discriminations, je pense.
L’Oréal demande des hôtesses, ils organisent le lancement d’un
produit et prennent des hôtesses auprès de Districom. Districom
étant à l’époque un intermédiaire à l’emploi. Un intermédiaire à
l’emploi ça peut être Adecco, Adia des gens qui font l’appariement offre/demande sur le marché du travail et ils leur demandent 30 hôtesses. Puis, vous voyez il y a un sigle à côté « BBR ».
BBR cela veut dire Bleu, Blanc, Rouge, évidemment ce n’est pas
Bleu et Rouge l’important, c’est Blanc, donc on (l’Oréal)
demande 30 hôtesses blanches. Une hôtesse de couleur noire
porte plainte pour discrimination et gagne son procès, 30 000 €
Des exemples autour du logement : sur la non-prise en
compte du critère du handicap pour l’accès à un logement social.
Alors là on est plus sur des conseils généraux, fonction publique
territoriale, etc. Un grand classique : refus de location à des
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Enfin dans les annonces, on ne le voit quasiment plus mais
ça a existé très longtemps des critères de type BBR (Bleu –
Blanc – Rouge), BYB (Blanc aux Yeux Bleus) donc les bons
aryens, Gaulois, pas de 99 (pas d’étrangers) ou que des 01 (que
des nationaux). Ça n’existe plus de façon écrite depuis 2006.
femmes voilées, des préférences de couleur etc.
Il y a quelque temps, j’habite Rennes depuis 3 ans, j’ai voulu louer
un logement. On m’a demandé le livret de famille, combien
j’avais d’enfants, etc. Tout cela n’a aucun sens du moment que
je suis en capacité et que j’ai les revenus, que j’ai des preuves de
mes revenus correspondant au loyer demandé, le reste est illégitime voir illégal. Le logement étant certainement un
des endroits aujourd’hui où il y a le plus de tensions
sur la question des discriminations.
n
LES PRINCIPAUX MÉCANISMES
DE DISCRIMINATION
Préemption d’un maire : Un maire d’une petite commune
qui préemptait les maisons uniquement quand des familles d’origine maghrébine devaient les acheter. Justification à la barre du
Tribunal : « je ne voulais pas de cela chez moi ». Un maire en
France, il y a six mois, ce n’est pas vieux.
Les arguments
Quatre arguments massifs qu’on entend partout : l’argument
de la clientèle : « moi je vous prendrais bien mais auprès de
mes clients cela ne va pas être possible, ma petite dame ».
Dans le cadre de l’accès aux biens et services, refus de l’accès aux avions à des passagers se déplaçant en fauteuil roulant
de façon autonome, ils n’avaient pas d’accompagnateurs ni rien,
ils étaient autonomes mais en fauteuil. Refus d’accès à des
sourds, très récemment, et puis des personnes en surpoids, on
en avait entendu parler l’année dernière.
L’argument du personnel : « je vous prendrais bien mais les
gars dans l’équipe, ils sont un peu durs, de culture un peu macho,
une femme ou un Noir, ça ne va pas être simple donc je préfère
que vous n’intégriez pas l’entreprise, c’est mieux pour vous ». Ça,
c’est rassurant parce que ce n’est pas moi qui discrimine, ce sont
les autres.
Ensuite, je voulais vous montrer un exemple un peu finaud, c'està-dire des choses auxquelles on ne pense pas et qui
peuvent être considérées comme des discriminations.
Un masseur kinésithérapeute installé dans une résidence au rezde-chaussée, sa clientèle est constituée de personnes en situation de handicap notamment en fauteuil. Pour la rénovation de
la résidence, on va installer un portail et puis on met le bouton
à 1,50 mètres, c’est ballot ! Je veux dire que ce n’est pas méchant
mais c’est de la discrimination puisque le préjudice est là. Cela
empêche les personnes en situation de handicap d’accéder à la
résidence. Il suffit de descendre le bouton et il n’y a plus de problème. On est bien sûr des choses concrètes d’outillage, pas sur de l’engagement moral mais sur des choses
absolument concrètes.
Une phrase terrifiante : une femme de l’éducation nationale, inspectrice d’académie qui publie cette demande : elle cherche un
poste à énorme charge de travail donc « très peu compatible
avec le métier de mère de famille ».
L’argument des seuils d’équilibre : « j’ai déjà tant de
femmes dans mon équipe, j’aimerais bien recruter un homme ».
Le « mauvais » exemple généralisé : « j’ai déjà travaillé
avec des Maghrébins, que des soucis, des retards, des absences
donc je n’en veux plus, les femmes pareilles, les enfants malades
on ne peut pas compter dessus ». Voilà le mauvais exemple généralisé, ça marche très bien.
Les processus
Les processus, il y en a quatre : ethnicisation et sexisation
des tâches, c'est-à-dire qu’on va attribuer les qualités intrinsèques aux gens en fonction de leurs origines.
Par exemple, si vous êtes une jeune fille d’origine asiatique, on
vous attribue automatiquement des capacités de concentration,
de minutie, d’attention, plus élevées que pour le reste de la population. Mais il n’y a pas de gêne, ce n’est pas vrai.
Puis, sexisation, par rapport aux femmes. J’ai un exemple extraordinaire, vous voyez ce qu’est la brigade anti-criminalité, la
BAC, quand elle se crée : quatre hommes, au bout de six mois,
des problèmes de tension avec les citoyens, la violence etc. La
police se dit qu’il faut faire quelque chose et réfléchit. Et évidemment, qu’est-ce qu’ils ont fait ? Trois hommes et ils ont mis une
femme. Pourquoi une femme ? Parce que les femmes, c’est naturellement doux et empathique donc, ce n’est pas dans la violence donc, ça va naturellement baisser le niveau de violence. Ils
évaluent à trois mois et ça marche bien. Ils étendent à la France
entière. Ils évaluent un an après, catastrophe, les femmes se sont
sur-adaptées aux comportements de leurs collègues masculins
et elles sont, a minima, aussi violentes que les hommes. Et pour
venir de quartier dit prioritaire, je peux vous dire qu’on préfére-
Dans l’éducation nationale : gros problème lié à
l’orientation sexuée dans les métiers. Les études montrent qu’on propose 30 métiers aux femmes et 300 aux
hommes. Dans l’orientation : « Tu ne sais pas quoi faire ? Esthéticienne ou coiffeuse ou la petite enfance ? C’est bien la petite enfance pour les femmes ! » Et puis, des stéréotypes dans les
manuels notamment autour de l’Afrique.
Fonction publique territoriale, il y en a plein, mais j’en ai
pris qu’un et c’est un grand classique, on refuse l’agrément à une
assistante maternelle pour raison de surpoids. Évidemment, il
n’est pas question d’aptitude ou pas au poste. Elle n’est pas passée devant le médecin, c’est la personne qui donne les agréments qui a dit : « Non, vu votre état, ça ne va pas être possible ».
On est en pleine discrimination.
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rait tous être contrôlés par les hommes, il y a moins de violence.
Voilà la sexisation des tâches, c’est un grand classique.
et pas 1,74 mètre, personne ne le sait. Enfin, si on le sait, c’est
parce qu’il y avait un stock d’uniformes à écouler, c’est pour cela
que c’est 1,75 mètre, c’est vrai.
Deuxième exemple, vous allez peut-être moins rire parce que ça
va vous concerner, les jobs d’été réservés aux enfants des salariés. Pourquoi mon gamin il ne peut pas intégrer les postes dans
les collectivités ? Il n’y a pas de gêne dans la fonction publique
que je sache. On sait que c’est une discrimination indirecte, un
critère apparemment neutre va entraîner un traitement défavorable. Maintenant, là, on est typiquement sur un objet où les employeurs sont d’accord, les syndicats sont d’accord, les
employés sont d’accord et l’État est d’accord donc ça règle le
problème. Ces deux types-là de discrimination sont interdits.
La préférence locale et familiale : je vais recruter dans le
village duquel je suis. Je ne vais pas aller chercher des compétences, je vais chercher des gens qui sont en adéquation culturelle avec moi. Je vais recruter Jean, le fils de Gérard puisqu’avec
Gérard : « on va à la pêche depuis 30 ans ensemble alors on se
comprend bien puis c’est un gars bien donc je vais recruter plutôt
Jean ». C’est valable à haut niveau de qualification : énarque recrute énarque, polytechnicien recrute polytechnicien, etc.
On n’est plus sur des logiques de compétences, on est sur une
logique de réseaux.
Intériorisation et non positionnement par les intermédiaires : par exemple « je ne veux pas de femmes ». L’intermédiaire à l’emploi, qu’il soit RH ou Pôle Emploi - pas la mission
locale, ils ont été formés ou d’autres - dit « non, très bien j’agrée
votre demande » donc il y a coproduction de discrimination.
Ces deux-là sont plus qu’autorisées.
Intériorisation et non candidature par les personnes
cibles : Enfin, moi-même, je ne candidate pas à des postes de
vendeur en parfumerie. De ma vie, j’en n’ai jamais vu donc ce
n’est pas un métier pour les hommes, c’est un métier pour les
femmes donc, j’intériorise les discriminations.
La discrimination justifiée liée à une compétence essentielle et déterminante pour exercer l’activité ou le métier. Par
exemple, moi, pour jouer Nelson Mandela, je ne suis pas hyper
crédible, il n’y a pas plus discriminant en France qu’un directeur
de casting. Il a le droit, il a tout à fait le droit.
Un exemple : La petite France, quartier de Strasbourg, maison
à colombages, kouglof à tous les étages, etc. vraiment la vitrine
de l’Alsace. Un restaurant traditionnel alsacien recrute un serveur parlant alsacien. Un serveur ne parlant pas alsacien attaque
pour discrimination. Il est débouté parce que le restaurateur a
montré que parler alsacien était une compétence essentielle et
déterminante. La carte est en alsacien, la moitié de la clientèle
est alsacienne et la langue de travail peut être l’alsacien donc,
c’est justifié. Vous comprenez bien que le MacDonald’s de Strasbourg, lui, ne pourrait pas passer une telle annonce, cela n’aurait
pas de sens.
La discrimination légale, c'est-à-dire qu’elle est prévue par
un texte de loi. La loi ne dit pas le juste, elle dit le droit. C’est
comme ça.
Différence entre sélection et discrimination
Juste un rappel en cas de recrutement. En termes de sélection,
tant que vous êtes sur des critères objectifs, il n’y a aucun souci,
vous pouvez avoir une liste énorme d’attentes, tant qu’elle est
légitime par rapport au poste.
Dès que vous rajoutez des critères subjectifs, là, vous tombez
dans la discrimination. En fait, la solution et il faut peut-être penser à ça, plus vous êtes en capacité d’objectiver vos décisions
rationnellement, de justifier vos prises de décisions, moins il y a
des risques de discrimination, c’est assez simple. Maintenant,
c’est difficile à faire, c’est simple à comprendre, pas si simple que
cela à faire.
Deuxième chose très importante, parler alsacien est une compétence, il aurait mis « être Alsacien » c’est d’emblée discriminant, être Breton n’est pas une compétence, parler breton est
une compétence parce qu’on peut tous apprendre à parler alsacien si on veut. Mais être Alsacien, on ne pourra rien y faire, vous
l’êtes ou vous ne l’êtes pas.
Types de discrimination
Discrimination directe : C’est très simple, pas de femmes,
pas de noirs, pas de plus de 50 ans, cela a quasiment disparu depuis 2006 dans les annonces.
Discrimination indirecte : Là, c’est plus subtil. On met en
place un critère apparemment neutre qui va entraîner un traitement défavorable d’une partie de la population. L’exemple le
plus évident c’est le critère de taille pour entrer dans la police
nationale, 1,75 mètre et puis on se rend compte que - je pèse
mes mots - dans l’espèce humaine, la femelle est plus petite que
le mâle donc, du coup, forcément, si je mets le même critère pour
les deux, j’exclus davantage de « femelles » de l’espèce que de
« mâles ». Du coup, c’est assez simple, il faut deux critères 1,75
– 1,70 mètre. Ne me demandez pas pourquoi c’est 1,75 mètre
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16
La Halde
n
Depuis mars de l’année dernière, c’est Dominique Baudis, le Défenseur des Droits, qui chapote tout un
tas de choses : il est défenseur des enfants, médiateur de la république, la HALDE et la commission nationale
de déontologie de la sécurité. C’est elle qui gère les relations entre les citoyens et les forces de sécurité en
France. Quand il y a des problèmes, contrôle au faciès par exemple.
Les missions de la HALDE n’ont pas changé, lutter contre les discriminations donc par de l’affichage, par du
testing, par de la sensibilisation, fournir toute l’information nécessaire. Vous allez sur le site où il y a effectivement
toute l’information nécessaire. Ce qui est intéressant c’est que sur le site de la HALDE vous avez aussi des documents en termes de RH, d’outils pour les collectivités publiques, d’outils pour les entreprises, pour les PME, autour
de ces questions de discrimination. Des outils tout à fait concrets.
La HALDE c’est également promouvoir l’égalité des droits. Elle est exactement dans son rôle quand elle
dit, par exemple, à propos des femmes ayant élevé seule trois enfants qui bénéficient d’un aménagement de l’âge
à la retraite de deux ans, pourquoi les hommes, les pères ayant élevé seuls trois enfants n’en bénéficieraient pas.
On est vraiment dans une démarche de promotion de l’égalité de la part de la HALDE. Je vous renvoie au site de
la HALDE si vous voulez plus d'informations.
Aujourd’hui, on est à 15 000 réclamations (chiffre multiplié par 10 en 5 ans), ce n'est pas le nombre de discriminations, c'est le nombre de réclamations qui sont faites à la HALDE.
Par contre, ce qui est extrêmement intéressant, c'est que les critères sont très stables dans le temps.
Tout à l'heure, je vous ai mis en orange les critères interdits par la loi, ce sont aussi les plus massifs : l'origine,
l’état de santé et handicap, sexe et grossesse - on pourrait dire que c’est sexe –, âge. Pour ce qui est de l’activité
syndicale, on sait que les organisations portent plainte systématiquement à la HALDE. Là, on est plus proche
d'une photographie, si vous voulez, parce qu'on sait que les personnes les plus discriminées sont
aussi celles qui portent le moins plainte parce qu'elles ont bien sûr intégré les choses.
J'attire votre attention sur les convictions religieuses par rapport au bruit médiatique, c'est loin d'être le plus
massif. Évidemment, quand on a un thermomètre pour mesurer un phénomène social, ça monte au démarrage
c'est évident, tout l'enjeu c'est de voir si dans cinq ans, on va avoir un étiage ou pas.
Voilà ce que je voulais vous présenter dans le temps qui m'était imparti. Je vous remercie de votre attention.
n
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CONFÉRENCE
Échanges avec le public
n Crédit : Didier Gouray/Rennes Métropole
 Erwann Le Hô - Merci beaucoup Philippe Cormont pour
votre intervention. Marie-Anne Chapdelaine l’a dit tout à
l'heure, c'est aussi un temps d'échanges, aujourd'hui. Donc,
on va vous proposer un moment de débats, il y a sûrement
des questions, des interrogations, des demandes. C'est le moment, n'hésitez pas à lever la main et on pourra vous passer
la parole. Madame ?
 Marguerite Cognet, maître de conférences à Paris
VII – URMIS - Bonjour. D’abord, je vous remercie de votre
intervention qui était à la fois tout à fait précise, concise et
drôle. Mais j’aurais peut-être aimé que vous discutiez, que vous
reveniez sur la notion de préjudice qui me semble présenter un certain nombre d'ambiguïtés, ne serait-ce d'ailleurs que
par rapport à un certain nombre d’exemples que vous avez
donnés quand on parle de celle liée à la sexisation. Vous avez
rappelé que ça commence très, très jeune, que déjà à 3 ans,
les petites filles et les petits garçons sont socialisés à penser
en termes de naturalité des genres.
 Participante - Je voulais simplement attirer l'attention sur
une catégorie de la population qu'on ne retrouve jamais évoquée dans ce genre de débat ou pratiquement jamais alors que
la HALDE, aussi bien que le Défenseur des droits s’en sont
préoccupés, ce sont les gens du voyage pour lesquels effectivement tous les types de discriminations se rencontrent
à commencer, par le logement.
C'est difficile souvent, du coup, de penser ce qu'est le préjudice
quand les gens pensent que ce sont des comportements naturels ou des compétences naturelles, mais j'aurais aussi un autre
exemple : la discrimination n'est pas toujours privative.
On en parlera cet après-midi dans l'atelier que j'anime sur la
santé, elle peut se traduire aussi par des surinvestissements. Et
à titre d'exemple seulement, je donnerais le fait qu’on a tendance
dans les services de santé psychiatrique à surprotéger les
gens catégorisés comme Noirs. On a aussi tendance, par
exemple, à donner plus d’électrochocs à cette population. Voilà,
donc ça ce n'est pas privatif en quelque sorte, ils ont un plus
mais c’est un traitement inégalitaire.
Vous parliez du droit de préemption, par exemple, quand un
voyageur essaye d'acheter quelque part, le maire, en général,
fait état de son droit de préemption y compris quand le droit
n'est pas appliqué c’est-à-dire quand la zone de la localité n'est
pas concernée. Là, on est vraiment dans une catégorie sociale,
ce sont des Français tout à fait banals, par ailleurs mais qui est
discriminée, je dirais, quasiment dans l'invisibilité totale.
 Philippe Cormont - Vous avez raison, c'est juste.
18
 Philippe Cormont - Vous avez raison, c'est dans les deux
sens. Je pense l’avoir évoqué justement pour les jeunes
femmes d'origine asiatique qui bénéficient justement d’un a
priori qui peut être positif, on va leur donner du plus alors qu'il
n'y a pas de raison.
grande exclusion qui ont assimilé leur état discriminatoire et que
l'on ne rencontre pas.
Dernière remarque, il n'y a pas un bon secteur public et
des mauvaises entreprises privées. On s’aperçoit tous les
jours que, malheureusement, les discriminations - et ça, c'est
comme la bêtise - elles sont largement partagées dans le secteur
public et dans le secteur privé. Quelquefois, le secteur public a
même des outils pour les masquer, notamment je pense au niveau du handicap, avec tous ces gens qu'on
« reclasse ». « On les a reclassés, on a atteint notre quota ! »
Maintenant, je ne suis pas assez calé sur les discriminations dans
la santé pour entrer dans le débat. Le préjudice se définit par rapport à des normes qui sont ce qu’elles sont, c’est-à-dire qui évoluent dans le temps. Mais le souci, c'est l’adéquation
temporelle entre changement de normes et lutte
contre les discriminations ou prise en compte de ce que
vous évoquiez au démarrage sur la détermination du sexe et les
gender studies, voilà, des choses qui apparaissent depuis
quelques années, qui sont très impactantes, très difficiles à la
fois à comprendre, à faire admettre. On est dans des champs qui
sont à la fois subtils et complexes.
 Philippe Cormont - Ce qu'on peut dire sur la différence, on
sait que c'est vous qui nous apportez l'information de toute
façon, c’est la HALDE, mais le secteur public est moins discriminant lors du recrutement par l'effet massif concours et encore, on pourrait discuter des jurys, de l'oral, etc. mais
statistiquement, c'est vrai par rapport au secteur privé. Par
contre, en termes de gestion de carrière, il est a minima aussi
discriminant que le secteur privé, voire plus, dans certaines catégories que vous citiez comme le handicap, par exemple. Il
n'y a pas le bon secteur public et la méchante entreprise.
 Marguerite Cognet - Juste pour ajouter, ce problème est
très lié aussi à la définition même de la discrimination juridique
en France. On a aujourd'hui des définitions de la discrimination
qui viennent d'autres pays comme la discrimination systémique qui permet de penser un peu mieux les choses.
 Erwann Le Hô - Si je peux me permettre une question à Philippe Cormont, vous avez effleuré ça dans votre exposé tout à
l'heure. Dans les années 80-90, on parlait d'intégration de lutte
contre les discriminations, on avait un vocabulaire très ferme,
très républicain. Aujourd'hui, depuis quelques années, depuis
le milieu des années 2000, on va parler d'égalité des chances,
on va parler de promotion de la diversité, on va créer des
chartes de la diversité, on a des termes beaucoup plus rassembleurs, beaucoup plus libéraux. Est-ce que ce glissement sémantique est symbolique de quelque chose, est-ce que
quelque part on a un petit peu marqué le pas dans la volonté ?
 Philippe Cormont - Je n'avais pas le temps pour la discrimination systémique mais oui.
 Marguerite Cognet - Elle n'est pas reconnue ?
 Philippe Cormont - Non, elle n'a pas de sens légal, c'est une
notion sociologique en France, c’est tout.
 Olivier Andrieu - Nous sommes ici les trois délégués du défenseur des droits (Olivier Andrieu, François Danchaud, Eddie
Alexandre), chargés de lutte contre les discriminations donc
on vit cette pratique que vous avez exposée au quotidien.
Brève remarque par rapport à votre excellent exposé, d'abord
les critères de discrimination, vous avez présenté les critères
nationaux, il est clair que ces critères varient selon les régions.
Ici, en Bretagne, spécifiquement à Rennes et en Ille-et-Vilaine qui est notre territoire d'action, c'est la santé, le handicap au travail qui arrive en premier avec derrière,
l'origine. Donc ça varie selon les niveaux géographiques.
 Philippe Cormont - Alors là, on entre dans le vif du sujet et
du débat politique de fond, c'est évident. Je vais vous donner
mon point de vue. Tout ce que je vous ai présenté là, c'est un
point de vue extrêmement stabilisé sur les questions de discrimination. Tous les gens qui travaillent sur la question seraient
d'accord. Après, la façon de le présenter, on peut le voir mais
bon, là, je vous ai donné un point de vue plus personnel, enfin
je ne suis pas le seul à le penser.
Deuxième réflexion, c'est que les personnes qui viennent nous
voir sont des personnes qui sont incluses et on ne traite pas
de la discrimination des personnes qui sont exclues
et il y a tout un champ de gens qui sont en grand état
d'exclusion sociale, qui sont victimes de discriminations - quelquefois d'ailleurs la discrimination a conduit à l'exclusion - mais qui ne viennent pas faire la démarche vers nous.
Ils ont intégré leur situation discriminante et si on rajoutait à ces
statistiques que vous avez présentées - effectivement on arrive
à 12 000 dépôts de gens qui sont venus nous rencontrer
parce que ces gens-là qu’on voit au quotidien, - les personnes
en état d'exclusion, les chiffres seraient multipliés
par 10, peut-être par 20. Il y a tout ce phénomène-là qui
nous préoccupe avec des collègues, mais aussi au niveau national dans le champ de nos réflexions, de ces personnes en très
Vous avez historiquement le modèle d'intégration
républicain qui renvoie au modèle d'égalité formelle. La république est une indivisible égalitaire. À partir du moment où vous
êtes Français il n'y a pas de souci : modalités d'intégration, acquisition des connaissances, tout le monde parlera la langue,
pas de souci, vous serez intégré, vous aurez des compétences.
Premier modèle porté par les politiques, de droite comme de
gauche, pendant très longtemps.
Deuxième modèle : émergence politique de la lutte
contre les discriminations en 1997-1998, dans la douleur. Si je prends l’exemple du recrutement, on travaille plutôt
sur les process, sur la tuyauterie, sur l'organisation, sur comment recruter, comment présenter un poste, etc.
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Aujourd'hui, le souci de la notion de diversité, si vous
voulez, c'est la définition même. C’est quoi la diversité,
c'est ça le souci alors que la lutte contre la discrimination, j'ai le
cadre juridique, j'ai la loi, j'ai les critères, j'ai les arguments, donc
je peux travailler.
Troisième modèle, fort dominant pendant tout un temps y compris à un moment à la HALDE, 2004, la notion de la diversité. Je vais prendre un exemple qui, peut-être, va vous
choquer mais peu importe. Vous voyez, ce n'est pas du tout
pareil de dire je prends la logique lutte contre les discriminations et de dire comment je fais pour que les gens accèdent à
tel poste en les traitant de façon banale, qu’ils soient rouges,
à petits points verts, femmes, homosexuels, gros ou pas. Banalement, comment peuvent-ils accéder au poste ? Il y a deux
exemples évidents : la nomination d'un Préfet musulman,
alors on sait qu'il est musulman uniquement parce qu'il est
musulman, on ne dit jamais qu'un préfet est catholique, athée
ou autre. Deuxième exemple, la nomination d'un journaliste
Harry Roselmack au 20 heures. Vous pouvez poursuivre les
exemples.
Dans beaucoup de textes, vous voyez « nous sommes favorables à la diversité culturelle, sociale et ethnique ». Très bien, ditesmoi ce que c'est ? Et là, vous allez avoir des soucis de
définition et donc de mise en œuvre de projets et
donc de réalisation concrète des choses. Voilà ce que je
pourrais dire là-dessus si ça répond à votre question.
 Un participant - Je voulais revenir sur une question qui est importante, celle de la place de l’humain et de la valeur
humaine dans ce mécanisme de lois qu'on a mis en place.
Là on est dans une logique de diversité, c’est-à-dire de
l'exemple exemplaire. On ne s'intéresse pas du tout à la
façon de faire, c'est-à-dire qu'on va nommer Harry Roselmack,
on ne va pas se dire : « Tiens ! Comment ça se fait que dans une
école de journalisme il y ait aussi peu de personnes de couleur ? ». Il y en a donc, hop, on le met en avant. On ne va pas se
dire : « Tiens ! Comment ça se fait qu'à l'ENA ou dans les grands
corps d'État, les gens d'origine maghrébine ou de confession
musulmane sont une minorité totalement infime ? ». On ne se
pose plus la question mais on en a trouvé un, donc on le met en
avant.
La deuxième chose, vous avez cité tout à l'heure que le mécanisme d'exclusion bouge donc, moi je me rappelle historiquement, hier Abdallah, Mohamed travaillaient, ils étaient dans le
bâtiment, aujourd'hui ce n'est pas le cas. Vous avez cité aussi
pas mal de cas particuliers, est-ce qu’un cas particulier
peut générer une loi et est-ce que trop de lois ne tue
pas la loi ou la politique ?
Une autre question sur la victimisation : est-ce que le fait
d'être victime d'une exclusion, n'amplifie pas un petit peu cette
position d'être exclu/victime ?
Là, vous avez des luttes de fond entre diversité et lutte
contre les discriminations.
 Philippe Cormont - Je vais essayer de reprendre à rebours
parce qu'il y a beaucoup de questions. Je vais essayer de répondre à la dernière sur la victimisation. Ce sont évidemment des risques qui guettent le grand public, c'est très
classique. J’envoie un CV, deux CV, trois CV, je ne suis pas pris,
je ne suis pas pris, je ne suis pas pris. Je fais la course au logement et on ne veut jamais de moi, on ne veut jamais de moi,
on ne veut jamais de moi. Le schéma est extrêmement classique : perte de confiance en soi, repli, tendance à généraliser
son cas à l'ensemble des catégories auxquelles j'appartiens,
colère, rancœur voire haine, posture de victimisation et quand
les gens sont dans une posture de victimisation, les remèdes
dans le droit commun, c'est lourd et c'est long.
La diversité, vous êtes dans du privatif avec l'exemple exemplaire, qui ne s'embarrasse pas de valeurs égalitaires. On est
dans le pratico-pratique à court terme.
Dans la lutte contre les discriminations, on est sur les
fondements républicains à la recherche de l'égalité
réelle etc. C'est plus long, c'est plus compliqué, en termes de
communication, c'est moins valorisé, moins valorisant. Mais
c'est évident que là, on est sur une ligne de fracture entre les tenants de l'un et de l'autre sachant, quand même, que la charte
de la diversité est un bon outil. C’est le pied dans la porte pour
engager les discussions, c'est évident, - et La HALDE pourrait
confirmer ce que je dis –.
Je renvoie à l'exemple emblématique, même s'il est caricatural,
de l'entretien qu’allait faire quelqu’un abattu par la police en
1993 pour attentat du GIA, des bombes à Paris etc. Il raconte
son parcours, et son parcours c'est exactement ce que je viens
de dire. Il est Français, diplômé de l'enseignement supérieur français, il a un BTS en chimie je crois, major de sa promotion, pas
de stage, pas de stage, pas de recrutement, rien. Il bascule, donc
perte de confiance en soi, désocialisation, rupture, violence, victimisation, c'est un schéma malheureusement classique et une
fois que les gens sont dans une posture victimaire, là, c'est du
travail de psychologie, on n'est plus dans du droit commun classique si vous voulez, ça c'est évident.
On se rend compte dans l'analyse des rapports que les organisations publiques ou privées travaillent sur âge, handicap, sexe.
Mais pas sur origine, pas sur homophobie, pas sur gens du
voyage. On ne va pas être là-dessus. Ce n'est pas un hasard non
plus s'il y a des fonds publics sur ces trois domaines là, il ne faut
pas se leurrer - en même temps, s'il y a des fonds publics, c'est
bien pour faire une politique publique donc il n'y a pas de souci
-. Le problème, c'est qu'on risque d'être limitatif et on est sur les
enjeux les moins politisés de la question de discrimination, les
plus acceptables par le corps social, cela pose évidemment des
questions.
Après, vous avez dit « trop de lois tue les lois ». Oui, peut-être,
mais en fait ce n'est pas tellement le problème pour moi.
Le droit, c'est la jurisprudence. La chaire du droit c'est quel
droit est actif, quel droit est acté ?
Votre question, c'est une question de fond, la HALDE pendant
assez longtemps, à sa création, était assez pro diversité et y
compris les tenants de la diversité étaient évidemment pro diversité.
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est la profession qui discrimine le moins en fonction
de l'origine, nous sommes assurément la profession
qui discrimine le plus entre les hommes et les
femmes. Si vous en doutez, il y avait dix femmes présidentes
d'universités jusqu'à quelques semaines, avec la loi qui a été
mise en vigueur depuis trois ou quatre ans, il n'y aura, je pense,
peut-être plus qu'une seule femme présidente d'université dans
quelques semaines puisque les femmes présidentes d'universités en Bourgogne, à Créteil etc. ne sont pas élues ou pas réélues
ou ne se sont pas représentées et il n'y a que des hommes qui
sont élus.
Il reste toujours ce décret à Paris comme quoi le port du pantalon est interdit aux femmes sauf avec une cravache, et ce n'est
pas pour rire hein ! C’était pour faire du cheval. Il reste ça, mais
voilà, c’est tombé en désuétude. Le droit c'est ce que les tribunaux rendent comme verdict. Après, on est dans une espèce de
temporalité depuis quelques années où un fait divers, une loi.
Le port du voile, la « Burqa », on est vraiment dans cet exemple
caricatural. Il y a deux cas et hop, on fait une loi. Maintenant estce qu’elle va être appliquée ? Le harcèlement discriminant, c'est
très bien mais c'est comme le harcèlement moral, vous discutez
deux minutes avec un inspecteur du travail, il vous dit : « C'est
bien gentil mais enfin en termes d'instruction… », puis les gens
de la HALDE pourraient vous dire à quel point c'est difficile d'instruire ce genre de cas. Donc la loi existe, les gens sont protégés.
Si vous lisez Ouest France, ce matin, page7, je ne dis pas que les
propos qui sont tenus sont discriminatoires mais on lit pour une
des deux universités de Rennes, ballottage pour la présidence
entre, d'un côté, un président homme sortant et, de l'autre côté,
une femme professeur des universités qui a été membre du bureau du précédent président qui siège depuis quatre ans au
conseil d'administration de l'université. Il y a eu deux projets et
les deux projets ont obtenu sept voix chacun aux élections et
que dit un des deux candidats, ce matin dans Ouest France,
page 7 : « vous savez, pour présider une université, il faut une
sacrée expertise de nos jours ».
Maintenant, très clairement, les optiques de la HALDE et de la
lutte contre les discriminations, ce n'est pas de punir les gens,
les entreprises, les organisations, le but c'est qu’il y ait
moins de discrimination en France. C’est un peu comme
les radars si vous voulez, le but ce n'est pas uniquement de punir
les gens, c'est que l'année dernière il y a eu 2 000 morts en
moins. Après, vous êtes d'accord ou pas avec les radars, maintenant c'est purement efficace, et le but est de réduire les accidents, comme le but de la HALDE ce n'est pas de sanctionner
les entreprises. Son fondement c'est de lutter contre les discriminations pour que les entreprises changent de pratiques, ou
les collectivités publiques. Quand je dis entreprise c'est organisation, en fait. On est dans cette logique là.
Je ne dis pas mais ça montre quand même qu’il peut exister des
dynamiques globales qui font que dans ce domaine là, sans accuser nominativement la personne, on voit que finalement, alors
qu'il s'agit d'un débat politique entre deux forces qui ont obtenu
le même nombre de sièges, il y a une position. Et c'est souvent
le cas dans le milieu de l'enseignement supérieur que je connais
bien, qui est de remettre en cause non pas le programme ou les
idées, mais les compétences et là, une expertise, alors que dans
les deux cas, il s'agit pour l'un comme pour l'autre et je le dis
clairement, aussi bien du président sortant que de sa candidate
opposée, de deux grands professeurs d'université qui ont tous
les deux l'expérience de l'université au plus haut niveau.
Maintenant, « trop de lois tue les lois », je ne peux pas vous répondre plus que ça, je ne sais pas. Évidemment c'est compliqué, ça rajoute à la complexité du droit, c'est évident.
Maintenant c'est tout ce que je peux en dire et les cas particuliers qui créent des lois, je dirais que malheureusement c'est
le cas.
 Jean-Luc Richard, maître de conférences à l’Université Rennes I - J'interviendrai tout à l'heure pour discuter des
questions de discrimination et notamment de discrimination sur
le marché du travail à l'encontre des jeunes issus de l'immigration ou perçus comme d'origine immigrée. J’étudierai les différences entre les hommes et les femmes, on en parlera mais
d'abord je voudrais poser une question à Philippe Cormont.
 Erwann Le Hô - Bien, je pense qu'on peut remercier Philippe
Cormont pour cette intervention. Alors, « Peut-on mesurer les
discriminations, le cas de discriminations liées à l'origine », ce
sera la suite de notre programme, ce sera ici dans la salle plénière à 11h15. Pour l’heure, nous vous invitons à sortir, on va
souffler un petit peu, on va prendre une pause café et n'hésitez
pas à prendre ce temps justement pour aller visionner nos
courts métrages et on se retrouve tout de suite après.
Vous n'avez pas du tout évoqué la question de la nationalité
comme étant un facteur, à la fois, légal dans certains aspects du
droit et parfois illégal de discrimination. On pense souvent la discrimination en raison de l'origine, du nom, du phénotype, de la
couleur de peau, mais la nationalité a aussi un effet. Je
pense que c'est important de rappeler que parmi les critères,
cette nationalité peut être parfois légale et parfois illégale
comme facteur de discrimination et il y a une seule profession
dans la fonction publique qui ne discrimine pas selon la nationalité, c'est la profession d'universitaire où il n'y a aucune condition mais sinon, dans tous les autres domaines de la fonction
publique, il y a cette question.
Mais je voudrais faire une transition du coup, c'est l'occasion en
parlant d'université et d'universitaire, parce que si d'un côté on
21
TABLE RONDE
Peut-on mesurer les discriminations ?
Le cas des discriminations
liées à l’origine
n Anne Morillon, sociologue, collectif TOPIK.
Jean-Luc Richard, maître de conférences, Université Rennes I,
CRAPE (Centre de Recherche sur l’Action Politique en Europe).
n Crédit : Simona Mattia
 Anne Morillon – En France, même si le phénomène est ancien, l’intervention publique en matière de prévention et de
lutte contre les discriminations liées à l’origine - j’aime toujours
ajouter « réelle ou supposée » -, n’existe que depuis une petite
dizaine d’années. Une des difficultés de cette politique publique
qui peine à s’affirmer, c’est justement, précisément, la détermination de l’ampleur du phénomène en France. Or, dans
un pays qui ne reconnaît pas les groupes ethniques
et qui, en conséquence, ne les comptabilise pas, il
est peu aisé de mesurer les discriminations liées à
l’origine et agir de manière ciblée.
n
DE QUELS OUTILS DISPOSE-T-ON
POUR MESURER L’AMPLEUR
DES DISCRIMINATIONS EN FRANCE ?
Ils existent bel et bien et résultent d’enquêtes statistiques de
grande ampleur ou d’études plus qualitatives. Ces enquêtes sont
suscitées par le politique, la société civile ou les chercheurs euxmêmes et donnent donc des indications sur la situation des minoritaires au regard de l’emploi, du chômage, du logement etc.
mais aussi, dans une certaine mesure et dans certains cas, sur le
vécu plus subjectif de la discrimination.
Toutefois, des outils existent même s’ils sont partiels et la table
ronde consistera donc à présenter les quelques travaux scientifiques, enquêtes statistiques, études qualitatives, qui permettent
justement de mesurer l’ampleur des discriminations en France.
Il s’agira aussi de discuter à la fois la nécessité et la pertinence
des statistiques dites ethniques pour améliorer la prise en charge
de ce problème tout en soulignant les enjeux idéologiques sousjacents.
Je vais présenter quelques outils, évidemment ce n’est pas
exhaustif, ce n’est pas d’ailleurs un exercice très facile que de rassembler en une demi-heure cette réflexion sur l’enjeu de la mesure
des discriminations, je vais quand même m’y atteler et puis on essayera d’avancer un peu dans la réflexion qui n’est pas simple.
Dans un premier temps, je vais aborder les enjeux de la mesure
des discriminations liées à l’origine et poser les termes du débat
sur les statistiques ethniques qui agitent le monde politique et
universitaire depuis une vingtaine d’années.
Les rapports de la HALDE
Je voudrais tout d’abord signaler et évoquer rapidement les rapports annuels de la HALDE, Défenseur des droits depuis,
vous le savez, l’année dernière, pour montrer combien ces données sont encore peu à même d’informer sur l’ampleur du phénomène en France.
Dans un second temps, Jean-Luc Richard qui a récemment pris
position contre les statistiques ethniques expliquera ce choix et
proposera une alternative à partir de ses propres travaux statistiques.
Philippe l’a dit tout à l’heure, il est vrai que les réclamations
déposées devant la HALDE sont en augmentation constante.
22
On est passé de 2005 à 2010, de 1 410 réclamations à
12 467 réclamations en 2010, mais pour diverses raisons il
y a peu de qualifications juridiques de la discrimination et ce qu’on
peut dire - et je pense que les personnes qui représentent le Défenseurs des droits auront aussi des ajouts à faire - c’est que
cette augmentation traduit davantage la meilleure
connaissance de l’institution par la population et peut
être, peu à même de refléter l’ampleur du phénomène.
fants ? Quels sont leurs parcours ? Des différences existent-elles
entre les différents courants migratoires selon l'ancienneté de ces
derniers ? Quelles sont les conditions de vie des personnes originaires des DOM et de leurs descendants en France Métropolitaine ? Quels sont les obstacles à l'intégration économique,
sociale et citoyenne de ces populations ? Quel est leur vécu des
discriminations et ces discriminations ont-elles un incident sur
leurs opportunités professionnelles, scolaires et résidentielles ?
En effet, malgré l'augmentation du nombre de réclamations, on
peut continuer à s'interroger sur la visibilité de la HALDE et peutêtre surtout depuis la mise en place du Défenseur des droits et sa
capacité à prendre en compte le vécu des discriminations, condition importante de sa sollicitation par les victimes.
Ainsi l'enquête dite « Trajectoires et origines » vise-t-elle à étudier
les conditions de vie au moment de l'enquête mais aussi les
trajectoires sociales des enquêtés dans divers domaines de
la vie sociale, dans l'éducation, l'emploi, le logement, la vie citoyenne, et d'identifier, comme son nom l'indique, l'impact des
origines sur les conditions de vie et les
trajectoires sociales des individus tout en prenant en
considération d'autres caractéristiques sociodémographiques, comme le milieu social, le quartier, l'âge, la
génération, le sexe, le niveau d'étude, etc. Par l'étude de
l'impact des origines, il s'agit pour cette étude aussi bien d'identifier les discriminations liées aux origines, que les solidarités auxquelles ces origines donnent lieu.
Quelques études quantitatives et qualitatives
Beaucoup plus significatives sont les études statistiques sur
la question de l'intégration des populations immigrées
et de leurs descendants. En France, ces études sont peu nombreuses mais elles existent. La première du genre est celle réalisée
par l'INED avec le soutien de l'INSEE en 1992-1993 qui s'intitule
« Mobilité Géographique et Insertion Sociale (MGIS) »
et qui a donné lieu, d'ailleurs, à la publication de deux ouvrages
Faire France et De l'Immigration à l'Assimilation notamment
écrits par Michèle Tribalat et d'autres auteurs. Cette enquête d'ailleurs aborde très peu la question des discriminations.
Les enquêtés sont questionnés sur trois thèmes : l'environnement familial et social, l'accès aux différentes ressources de la vie sociale, les différentes dimensions de
l'origine et de l'appartenance culturelle et, bien entendu, sur la question des discriminations.
Ensuite, des études qualitatives et quantitatives ont été
menées au milieu des années 1990, abordant le thème du racisme
et de la discrimination. On peut citer, mais ce ne sont pas les
seules, l'enquête du CADIS qui a donné lieu à un ouvrage intitulé Le racisme au travail en 1997 écrit par Philippe Bataille et
les travaux de l'URMIS qui ont donné lieu notamment à l'ouvrage L'inégalité raciste écrit par Véronique de Rudder, Christian
Poiret et François Vourc’h en 2000. Je citerai également la thèse
de Jean-Luc Richard, intitulée Partir ou Rester : destinée des jeunes
issus de l'immigration, ouvrage publié en 2004.
Je ne présenterai qu'un résultat, il en existe un grand nombre et
d'ailleurs tous les résultats, à ma connaissance, ne sont pas encore publiés, je vous invite à consulter le site de l'INED qui est extrêmement complet pour la restitution de cette enquête.
Un résultat tout de même concernant l'emploi des immigrés
et de leurs descendants, l'enquête pointe, par exemple,
que le taux de chômage des immigrés est particulièrement élevé pour ceux originaires d'Algérie, du Maroc, de Tunisie et d'Afrique subsaharienne et que ce taux de chômage élevé
est encore plus vrai pour leurs descendants et toutes choses étant
égales par ailleurs. Une fois pris en compte un grand nombre d'effets structurels, comme je l'ai signalé tout à l'heure, ces populations connaissent un risque plus élevé de chômage par rapport à
la population majoritaire.
L’enquête « Trajectoires et origines » (« TeO »)
de l’INED
Il semble qu'aucune enquête statistique – je suis prudente –
n’aborde simultanément les problématiques d'intégration et de
discrimination en s'adressant aux populations immigrées ou descendantes d'immigrés. Par contre, je dois citer et c'est l'enjeu
d'ailleurs de l'enquête « Trajectoires et origines »
(« TeO »), réalisée à partir de 2006 par l'INED, notamment par
Bertrand Lhommeau, Patrick Simon et Chris Beauchemin. Cette
enquête vise à satisfaire ce besoin d'informations exprimé tant
par les pouvoirs publics que par la société civile.
Donc ces résultats sur le sur-chômage des immigrés et de leurs
descendants notamment immigrés d'Algérie, Maroc, Tunisie et
Afrique Subsaharienne, concordent avec ceux sur la perception
des discriminations, ce sont en effet les populations les plus touchées par le chômage qui déclarent le plus avoir subi un refus injuste d'emploi dans les cinq dernières années.
Mais est-ce que ces données sont suffisantes ? Est-ce
que cette enquête est suffisante ? Est-ce que les travaux qui existent jusqu'à présent sont suffisants pour mesurer les discriminations ?
Dans cette enquête « Trajectoires et origines », les questions posées sont les suivantes : Quelles sont aujourd'hui les conditions matérielles d'existence des immigrés en France ?
Qu'en est-il des conditions matérielles d'existence de leurs en-
23
Il y a un argument assez fort, me semble-t-il, dans la défense des
statistiques ethniques, c'est le fait que les catégories ethniques existent déjà dans les testings qui sont désormais
reconnus devant les tribunaux. L'exposé de ce matin de Philippe
était très clair à ce sujet quand il a présenté les résultats des travaux d'Amadieu notamment, à partir de testings.
n
DÉBAT AUTOUR
DES STATISTIQUES ETHNIQUES
Je vais évoquer le débat sur les statistiques ethniques,
c'est une question importante aussi bien en termes de recherche, en termes scientifiques qu’en termes politiques.
Par contre, les résultats de ces opérations dites de testing ne permettent pas d'obtenir des données générales et de suivre l'évolution des discriminations dans
le temps. La méthode de testing dévoile donc l'existence de
discriminations dans un secteur et à un moment donné mais,
est limitée en ce qui concerne la mesure du phénomène dans
son ensemble et sur le long terme. L'argument consiste à dire :
puisque ces catégories ethniques existent via les testings, pourquoi ne pas les étendre à des enquêtes plus larges, à des enquêtes statistiques ?
Le débat sur les statistiques dites ethniques n'est pas récent, en
fait, il débute au début des années 1990 chez les démographes
et porte sur l'opportunité d'introduire des catégories ethnoraciales dans les statistiques publiques.
En effet, les démographes s'interrogent sur l'actuel découpage
de la population française par le recensement, découpage composé de Français, Français par acquisition, étrangers et immigrés
et ils se demandent si ce découpage répond aux enjeux
d'une société française devenue visiblement
multiculturelle.
Enfin, dernier argument mais qui évidemment rejoint le premier,
le suivi d'indicateurs statistiques mesurant l'évolution de ces phénomènes guiderait les politiques publiques
dans les différents domaines de la vie sociale et permettrait de
mettre en place des politiques correctives adaptées aux problèmes identifiés.
Il convient de préciser, Philippe l'a dit tout à l'heure, qu'au début
des années 90 comme aujourd'hui, le droit français interdit
la production de telles données. Alors, au départ, ce débat
- je pense - ne s'inscrit pas à proprement parler dans le débat sur
les discriminations qui n'apparaît comme on l'a vu qu'à partir
de la fin des années 1990 et plutôt début des années 2000.
Les arguments « contre »
Les arguments « contre » reposent essentiellement sur le registre, sur l'argument inutile et dangereux.
C’est au milieu des années 2000, alors qu'une politique publique
se met timidement en place pour lutter contre les discriminations, que le débat sur les statistiques ethniques rebondit en
quelque sorte et dès lors, et c'est d'ailleurs assez problématique,
la question importante tant sur un plan politique que scientifique
de la mesure des discriminations liées à l'origine
réelle ou supposée, se confond avec le débat sur les
statistiques ethniques.
Les statistiques ethniques conduiraient ainsi, selon les opposants à ce comptage, à penser la société à travers des
groupes culturels ou religieux en oubliant le poids du social et consisteraient à penser ces groupes comme des groupes
antagonistes. En cela, elles pourraient même avoir un effet
auto-réalisateur, c'est-à-dire contribuer à faire émerger des groupes qui n'existent pas en tant que tels.
Par exemple, je trouve cette citation assez éclairante, qui émane
d'une pétition lancée en février 2007 qui s'appelle « Engagement
républicain contre les discriminations » et qui a notamment été
signée par Jean-François Amadieu, Patrick Weil et Dominique
Sopo : « Inutiles, les statistiques ethniques sont également dangereuses. Loin de donner une image de la diversité, elles reviendraient à la simplifier outrageusement. Une classification unique
serait forcément réductrice et inappropriée. Elle inventerait des
groupes qui n'existent pas, créerait des divisions là où il y a des
rapprochements, suggérerait homogénéité là où il y a diversité,
mettrait des frontières là où il y a de la continuité. Les statistiques
ethniques auraient pour effet de faire droit à la notion de race
dont chacun connaît le caractère non scientifique et le danger et
de développer les affrontements communautaires. ».
Les arguments « pour »
Le débat sur les statistiques ethniques repose en substance sur
les arguments suivants.
Un des arguments c'est d'interpeller l'opinion publique
et le monde politique sur la situation des minorités
dites visibles par rapport à la population majoritaire. Ainsi,
grâce à ces statistiques, on connaîtrait, par exemple, le taux de
chômage des « minorités visibles », je mets à cette notion-là des
guillemets, quels que soient par ailleurs leur nationalité, leur niveau de diplôme, leur expérience par rapport à ce taux de chômage des majoritaires.
Les partisans des statistiques ethniques souhaitent mettre au
jour les mécanismes de production des discriminations et établir
dans les inégalités ce qui relève de ce qu'on appelle le social dans
le jargon sociologique, (par exemple, les différences en termes
de capital économique, social et culturel), de ce qui relève à proprement parler de l'inégalité raciste et les discriminations. Selon
eux, ces statistiques pourraient contribuer à faire la part des
choses et à mettre à sa place la question de la discrimination par rapport aux autres formes d'inégalité.
Les opposants s'interrogent également sur les catégories
ethno-raciales en question et la notion de minorité
visible. Par exemple, la couleur de la peau n'est pas
une information objective et s'avère particulièrement
difficile à apprécier. À partir de quel moment devient-on
Noir, suffit-il de se sentir Noir ou doit-on utiliser un critère objectif
et comment traiter les populations métisses ?
24
déclaration - ça c'était très fort dans les intentions de Sabeg l'interviewé choisira de se dire de telle ou telle catégorie, il exclut
toute référence au lieu de naissance, à la nationalité des parents,
au patronyme bref, aux données sur l'origine car, selon Yazid
Sabeg, elle renvoie un statut d'étranger héréditaire. Il est en
revanche favorable à ce que les sondés se définissent selon leur
sentiment d'appartenance à une communauté. C'est le
ressenti à caractère ethnique et/ou religieux qui doit
être pris en compte : je me sens Noir, Maghrébin, Asiatique,
Juif, Musulman, etc.
Autre argument très fort, il existe un risque de dérapage
dans la constitution et le traitement des fichiers. En
effet, en cas de généralisation, il y a aurait un grand risque d'utilisation à des fins néfastes envers des populations déjà victimes
de discrimination. Le souvenir de l'esclavage, de la colonisation,
de Vichy, époque à laquelle étaient fichées, à laquelle on a traité
les populations selon les origines suffisent pour les opposants
aux statistiques ethniques à écarter l'éventualité d'un tel classement.
Enfin, et ça aussi c’est un argument de poids sur lequel reviendra
Jean-Luc Richard, les informations sur l'origine des immigrés sont disponibles en France mais sont insuffisamment exploitées par les chercheurs.
Le 5 février 2010, François Héran remet au commissaire à la diversité, donc à Yazid Sabeg, un rapport avec essentiellement
deux préconisations.
- Concernant la statistique publique, l'INSEE collecterait,
lors du recensement, la nationalité, le pays ou le département de naissance des parents pour avoir des informations sur l'origine en recourant à des
critères objectifs et on le voit, le COMEDD écarte
donc la notion de ressenti d'appartenance, défendue
par Yazid Sabeg.
Le débat aujourd’hui
Il me semble intéressant de mentionner une initiative de la
société civile, celle du CRAN (Conseil Représentatif des
Associations Noires) 2006 qui a réalisé un sondage consacré
aux Noirs. Cette enquête est sans équivalent. C'est en effet la
première fois qu'un institut de sondage, la SOFRES en l'occurrence, après avoir interrogé plus de 13 000 personnes, s'est fixé
pour objectif de recenser les Noirs de France et d'identifier le
vécu de la discrimination.
- Deuxième préconisation, parmi un certain nombre de
préconisations, j'en ai retenu deux, rendre obligatoire la publication d'un rapport de situations
comparées sur la diversité pour les entreprises de plus de 250 salariés sur le modèle de
celui qui existe sur l'égalité professionnelle
homme/femme. Là aussi, le critère d'observation se limitera à l'origine déterminée selon la nationalité et le
lieu de naissance du ou de la salariée ainsi que de ses
parents. recueil de données serait anonyme sur la base
du volontariat. Leur exploitation serait confiée à un organisme extérieur agréé par la HALDE Défenseur des
droits et les résultats obtenus et la composition salariale de l'entreprise pourraient être alors comparés aux
données recueillies dans le cadre du recensement.
Selon cette enquête, il y aurait deux millions de Noirs en France
âgés de plus de 18 ans et parmi ces personnes interrogées, 56%
des personnes se déclaraient victimes de discriminations raciales. Je précise quand même que la Commission Informatique
et Liberté (CNIL) avait autorisé ces démarches parce que l'anonymat des sondés a été respecté, qu'aucun fichier n'a été constitué et que les données recueillies ont été détruites.
Sur le plan des décisions politiques, vous le savez sans doute, en
décembre 2008, le Président Sarkozy s'est prononcé contre les
statistiques ethniques et face à la complexité de la question, a
nommé Yazid Sabeg, Commissaire à la diversité.
Je terminerai là-dessus, il y a eu en 2010 un contre-rapport,
le rapport de la Commission Alternative de Réflexion
sur les « Statistiques Ethniques » et les Discriminations (CARSED). Dans ce manifeste co-signé par un grand
nombre de chercheurs dont Jean-Luc Richard, intitulé Le retour
de la race contre les statistiques ethniques, les auteurs examinent les données existantes et s'interrogent sur la pertinence
d'en produire de nouvelles, sur la place des immigrés et de leurs
descendants dans la société française.
Yazid Sabeg est un homme d'affaires qui devient au début des
années 2000, spécialiste des questions d'intégration et de diversité dans le monde de l'entreprise. Il publie notamment en 2004
avec Laurence Méhaignerie, Les oubliés de l'égalité des chances,
pour l'institut Montaigne - l'institut Montaigne est un espace de
réflexion et d'inspiration libérale - et il met en place, en
mars 2009, un Comité pour la Mesure et l'Évaluation
des Discriminations (COMEDD) chargé je cite : « de proposer des catégories d'observations pour la mesure et l'évaluation de la diversité et des discriminations selon des méthodes
incontestables ».
D'une façon plus générale, la CARSED offre des angles d'approche différents pour lutter contre les discriminations et
débusquer, et c'est important, très important, dans les prises
de position, les risques de racialisation de la société
française. Elle préconise notamment de s'intéresser aux
modes de discrimination plutôt qu'aux discriminés,
donc aux processus, et de privilégier les études ponctuelles,
qualitatives autant que quantitatives qui s'intéressent aux
modes de discrimination, aux discriminateurs également et non,
aux seuls discriminés, pour en comprendre les motifs et proposer des moyens d'action concrets.
Les scientifiques et experts présents dans le COMEDD sont plutôt
favorables - enfin je le crois, assez largement et Jean-Luc pourra
le dire tout à l'heure - à la prise en compte du critère ethnique dans
la statistique publique. Il s'agit pour Sabeg, et c'est assez paradoxal, de rendre licite le comptage des minorités visibles.
La mesure de la diversité et non des discriminations, je précise, devrait se faire dans le cadre d'enquêtes anonymes
sur la base du volontariat et le principe de l'auto-
25
De quelles données disposons-nous ?
Je vais laisser la parole à Jean-Luc Richard qui précisera peutêtre un certain nombre de propos que j'ai tenus et apportera
des éléments très concrets par rapport à son propre travail de
recherche.
Les données qui existent en France sont des données sur les citoyens français et étrangers, des données sur les personnes qui
ont été étrangères avant et qui sont devenues Françaises (Français, Français par acquisition ou étrangers), on peut croiser ça
avec le lieu de naissance, on a la catégorie qu'on appelle en
France « les immigrés » par exemple.
 Jean-Luc Richard - Merci Anne. J'ai fait le même exposé pour
la ville de Grenoble le 15 décembre et puis pour la région Pays
de la Loire qui lance un grand programme ambitieux de lutte
contre les discriminations sur l'ensemble de la région Pays de
la Loire, il y a quelques jours.
À peu près la moitié des pays de l'Union Européenne a
des données équivalentes à celles qui existent en
France. Si vous prenez l'article que j'avais fait qu'on vous a mis
dans votre dossier, vous avez, pages 206-207 un tableau qui
présente le nombre d'enfants d'immigrés en France lors d’un recensement et puis, la page d’à côté, c'est le tableau équivalent
pour les Pays-Bas. On a des données sur le nombre d'enfants
d'immigrés aux Pays-Bas, c'est-à-dire des personnes dont un ou
deux parents étaient immigrés, c'est-à-dire entrés étrangers aux
Pays-Bas et pour la France entrés étrangers en France. On a, en
fonction de l'origine des parents, la décomposition des effectifs
de ces jeunes issus de l'immigration pour la France ou les PaysBas. La moitié des pays de l’Union Européenne ont ce genre de
données.
n
QUELLES MÉTHODES POUR MESURER
LES DISCRIMINATIONS ?
Ce que je voudrais dire c'est que si on souhaite connaître les discriminations parce qu'on conviendra qu'elles existent, on souhaiterait quantifier les phénomènes. Alors, quelles sont les
méthodes dont on dispose ?
D'abord, on a bien entendu l'enregistrement des décisions
judiciaires sachant que tous les processus, toutes les discriminations ne sont pas enregistrées, ne font pas l'objet d'une
sanction judiciaire. Il y a aussi les cas de flagrants délits qui peuvent être constatés mais c'est rare et qui peuvent aussi apparaître dans des données de référencements.
Il existe, dans ce groupe de pays, des différences. En France, on
ne parle pas de groupes ethniques. Aux Pays-Bas, à partir des
données équivalentes, il n'y a pas de questions ethniques au recensement. Ensuite, quand on qualifie les groupes qu'on a
constitués à partir de ces données-là qui ont été faites à partir
des nationalités et lieux de naissance des individus ou de leurs
parents, on utilise le vocabulaire ethnique, mais ce ne sont pas
des données ethniques.
Sinon, si on souhaite connaître l'ampleur des phénomènes pour
savoir si c'est important de consacrer des moyens de politique
publique pour lutter contre les discriminations, si on souhaite
connaître ainsi l'ampleur des difficultés que peuvent éprouver
des populations, il est clair que des enquêtes peuvent être utiles.
L’autre moitié des pays de l'Union Européenne a des
statistiques ethniques. On va demander aux gens à quels
groupes ethniques ils appartiennent. Et puis, il y a un pays qui
est un peu différent à mes yeux, même s'il considère qu'il fait
des statistiques ethniques, c'est la Grande Bretagne. Le
Royaume-Uni maintenant puisque ce n'était pas le cas la première fois qu'ils l'ont fait, mais désormais c'est aussi le cas en
Irlande du Nord. En réalité, les modalités que les gens peuvent
choisir sont des catégories raciales puisqu'ils peuvent répondre
Blanc ou Noir sinon ils peuvent répondre Pakistanais, Bangladeshis, etc. C'est donc un mélange de catégories dites
ethniques et de catégories raciales. Ils appellent ça les
statistiques ethniques, permettant aux gens de se classer
comme Blanc ou Noir mais, en réalité, ce sont des statistiques
raciales.
Alors, deux types d'enquêtes : soit on aura des enquêtes
comme le testing qui sont aussi des démonstrations de l'existence de discriminations tout comme les décisions judiciaires ou
les flagrants délits le sont. C'est la mesure directe de discriminations et de phénomènes discriminatoires sachant que l'exhaustivité est difficile puisqu'on ne va pas mettre un policier, un
gendarme ou un juge derrière chaque citoyen pour que chaque
acte discriminatoire qui puisse exister soit référencé.
Puis il y a une autre manière d'envisager ces questions, c'est
l'approche par des données statistiques générales,
macro-sociales qui permettent de faire une mesure de ce qu'on
appelle l'approche indirecte des discriminations, c'est-à-dire étudier la fréquence de certaines situations pour des groupes de
populations que l'on distingue selon leur genre, selon leur origine, selon leur nationalité, selon leur ressenti d'appartenance
éventuellement ou au contraire selon des catégories qu’on leur
attribue de manière plus ou moins autoritaire.
Il n'y a que trois pays dans le monde qui ont des statistiques raciales actuellement, deux de manière incontestable donc ÉtatsUnis et Brésil. La Grande-Bretagne, de fait, puisque les modalités
des catégories ethniques sont de type racial et peuvent être rattachées à ce groupe. Un autre pays en a eu historiquement mais
depuis que l’apartheid n'existe plus, ce n'est plus d'actualité,
c'est bien sûr l'Afrique du Sud.
26
n
nage et puis, pour étudier les familles, on considère, à la fois, les
caractéristiques du père et de la mère, en général.
PRÉSENTATION DES TRAVAUX
DE JEAN-LUC RICHARD
Puis, on a les origines sociales parce que c'est clair que selon les
origines sociales ou la taille de la famille et puis le diplôme du
jeune aussi, diplôme déclaré en 1982, on peut imaginer qu'il
puisse y avoir des effets sociaux. Il valait mieux être diplômé
de l'enseignement supérieur, Bac et plus, par exemple en 1982,
que, par exemple, n'avoir aucun diplôme ou simplement un certificat d'études primaires. C'était les premiers modèles économétriques de la discrimination en France.
En 1992, j'ai commencé à travailler sur une grande base de données de l'INSEE qui contient des informations sur les immigrés,
leur nationalité de naissance, leur pays de naissance et aussi des
informations sur leurs enfants. Ma préoccupation était de
mesurer les discriminations à l'encontre des jeunes
issus de l'immigration.
Je le faisais aussi parce qu'au même moment, il y avait cette
enquête MGIS « Mobilité Géographique et Insertion
Sociale » qui était lancée, qui interrogeait de mémoire 10 000
immigrés, 2 000 enfants d'immigrés et 2 000 Français de naissance. Mais cette enquête ne s'intéressait que très peu à la question des discriminations.
Ensuite j'ai poursuivi les recherches et avec des données plus récentes, effectivement, j'ai réalisé pendant quatre ans une thèse
sur le sujet et j'ai étudié, par exemple, le chômage des jeunes
issus de l'immigration. Alors là, excusez ce biais un peu
masculin puisque je ne présente que les tableaux pour les
hommes mais dans mes articles ou mes recherches, il y a les
données équivalentes pour les femmes. Vous verrez et qu'il y a
d'autres graphiques tout à l'heure ou tableaux où il y a des
femmes qui y sont indiquées.
Dans le livre qui en est issu, il n’y avait que trois ou quatre pages,
s'appuyant sur la question « pensez-vous, avez-vous avoir déjà
été victime de discriminations ? » et le rapport remis au financeur officiel écartait l'hypothèse de l'existence de
discriminations. « Si les jeunes d'origine immigrée sont plus
souvent au chômage, c'est sans doute qu'ils refusent plus souvent
les emplois qui leur sont proposés » était-il écrit dans le rapport
au financeur.
On voit le taux de chômage issu des jeunes d'origine algérienne,
de parents immigrés Algériens, qui est nettement supérieur à
celui qu'on observe pour les jeunes d'autres origines immigrées,
ce sont des vagues un peu anciennes. Il y a une vague espagnole,
italienne ou portugaise. Ce sont des données du début des années 1990 et je continue à utiliser des modèles statistiques
économétriques qui montrent l'existence de ces discriminations.
Ça m'a laissé un peu sceptique et je me suis dit « comment
mesure-t-on les discriminations » à l'étranger, aux États-Unis,
en Grande Bretagne avec des modèles statistiques économétriques, sachant qu'en France, je n'ai pas de statistiques ethniques ou raciales mais, après tout, j'ai des données sur les
enfants d'immigrés.
Le tableau est peut-être un peu petit à lire, difficile, j'ai utilisé les
modèles classiques pour étudier les discriminations, ce qu'on
appelle des modèles d'économétrie des comportements
pour les variables qualitatives.
Par exemple et là on voit que les jeunes d'origine algérienne et
marocaine sont sensiblement plus au chômage, toutes choses
égales par ailleurs comme on dit, plus 185% plus 252%... que le
fils d'un père qui était Français de naissance. Par contre, il y a des
jeunes d'origine portugaise qui, eux, sont même moins au chômage que les enfants de Français de naissance pour des raisons
culturelles, historiques ou de concentration sectorielle de maind’œuvre, d'engagement précoce sur le marché du travail etc.
Donc je regardais le chômage des jeunes issus de l'immigration à partir des données du recensement de 1982,
c'est ce dont on disposait à l'époque. Je prenais une situation
de référence, donc un jeune dont les parents étaient Algériens,
Marocains, Tunisiens. Puis je voyais que tous les jeunes d’origine
immigrée dont les parents étaient d'une autre origine, espagnole, italienne, portugaise, autres ressortissants de la CEE, autres pays ou parents Français par acquisition aussi. On avait des
coefficients négatifs qui apparaissaient avec des petites étoiles
et ça veut dire que c'est significatif. Le taux de chômage
était en moyenne de 69 à 76%, et inférieur lorsque
l'individu n'était pas d'origine algérienne, marocaine
ou tunisienne.
On voit aussi qu'à origine identique - c'est en bas du tableau,
« Foreign citizenship » en 1990 ou citoyenneté étrangère en
1990 - un jeune qui n'a pas la nationalité française est plus au
chômage qu'un jeune qui a la nationalité française et ça, quelle
que soit l'origine. Le fait d'être jeune d'origine algérienne n'étant
pas français fait que votre taux de chômage est augmenté. Là,
c’est alors le chômage des hommes âgés de 25 à 33 ans qui est
augmenté de plusieurs pour cent et donc, par rapport à la situation de référence de ce tableau, le fait d'être étranger augmente
de 43% la probabilité d'être au chômage, si on n'a pas la nationalité française par rapport à celui qui a la nationalité française.
Même si certains peuvent souhaiter des statistiques ethniques,
et il y a des arguments pour, et je vous dirai quelles sont les faiblesses de la position que je défends, on ne peut pas se contenter
d'étudier les discriminations en faisant les tableaux croisés entre
chômage et origine ethnique, ça ne suffit pas. On passe à côté
d'un grand nombre de phénomènes sociaux. Ce n'est pas parce
que j'ai montré, tout à l'heure, des graphiques avec des courbes
qui ne sont pas au même niveau qu'il y a de la discrimination.
Je contrôlais réellement l'effet de la nationalité d'origine, de l'origine familiale dans la mesure où j'avais aussi contrôlé l'effet de
l'âge, l'effet de la CSP (catégorie socioprofessionnelle) du père
chef de famille comme on disait à l'époque. On ne dit plus chef
de famille, là aussi, les mœurs évoluent. Avant, le chef de famille
c'était l'homme de la famille, maintenant pour l'INSEE il n'y a
plus de chef de famille. Il y a une personne de référence du mé-
27
Si on prend des données, cette fois, plus récentes,
quelles sont les données dont on dispose ?
Derrière ces différences entre la courbe la plus élevée et les autres, il y a l'effet des origines sociales, il y a l'effet du fait qu'on
ait ou qu'on n'ait pas la nationalité française, qu'on soit citoyen
ou pas de l'Union Européenne, qu'on ait accès ou pas aux emplois de la fonction publique. Il y a la taille moyenne des familles,
il y a la CSP des parents qui font qu'il y a des réseaux sociaux
ou pas.
On dispose là, par exemple, pour les 20-29 ans en 1999, du pourcentage de jeunes qui sont au chômage et le taux de chômage,
ce qui n'est pas la même chose.
Le pourcentage de jeunes au chômage, c'est par rapport
à l'ensemble d'une génération, c'est la première colonne.
Mon idée pour que la démonstration des discriminations soit
prouvée statistiquement, ça a été d'intégrer dans les modèles, un grand nombre de variables censées limiter
l'explication des différences pour qu'au final, les coefficients qui restent et qui sont forts, vous l'avez vu, liés à l'origine,
démontrent bien qu'il y a de la discrimination.
Le taux de chômage, c’est quand on ne prend en compte
que les actifs, on enlève ceux qui ne sont pas actifs, ceux qui ne
veulent pas travailler ou ceux qui sont étudiants.
Par exemple, chez les 20-29 ans, les enfants dont les deux parents sont Français de naissance, 13% sont au chômage chez
les 20-29 ans ce qui représente un taux de chômage de 18%.
18%, c'est par rapport à ceux qui sont actifs. 13%, c'est par rapport à l'ensemble des générations. Et on voit que les jeunes
hommes de 20 à 29 ans sont moins au chômage que les femmes
nées de deux parents français de naissance. Et puis ensuite, pour
l'origine algérienne, pour les hommes, on a 29% qui sont au chômage et pour les femmes 24%, ce qui fait un taux de chômage
pour ces jeunes hommes de 41%, ce qui est considérable, bien
entendu, et pour les jeunes femmes de 37%.
Ce sont des données longitudinales qu'on appelle
l'« échantillon démographique permanent » de
l’INSEE. 1% des personnes qui vivent en France sont suivies,
recensement après recensement. Ces personnes sont nées les
quatre premiers jours d'un mois de l'année. Quand dans les mairies l’INSEE récupère les bulletins de recensement, il va mettre à
part quelques bulletins qui correspondent aux personnes qui
sont nées ces quatre jours de l'année très particuliers, qui ont
été tirés au sort, en quelque sorte, et on va ensuite constituer
des bases de données longitudinales où on suit les gens de recensement en recensement, ça s'appelle l'échantillon démographique permanent.
Pour les jeunes issus de familles d'Afrique subsaharienne, on a
des taux de chômage de 35 et 33%, à peu près 20% de ces
jeunes sont au chômage ce qui représente un jeune actif sur trois
qui est au chômage.
Il y a actuellement plus de 630 000 personnes qui sont
dans l'échantillon démographique permanent.
Dès qu'il y a des éléments de leur état civil qui arrivent, soit
s'ils naissent, un de ces quatre jours de l'année ou s’ils se marient ou s'ils divorcent ou s'ils décèdent, on intègre dans cette
base de données les informations. Comme ça, on peut étudier
différents phénomènes : la mortalité selon les milieux sociaux,
selon la nationalité.
Pour les jeunes d'origine marocaine, on a aussi des taux élevés.
Ils sont généralement un peu moins élevés que pour les jeunes
d'origine algérienne. Il est clair qu'en France, les jeunes d'origine
algérienne sont plus discriminés que les jeunes d'origine marocaine qui, eux-mêmes, sont plus discriminés que les jeunes d'origine tunisienne. Ça apparaît, là aussi, vous voyez, jeunes
d'origine tunisienne, 19% sont au chômage ce qui représente
un taux de chômage de 30%, ce qui est inférieur au chiffre plus
élevé qu'on a pour les jeunes d'origine algérienne, par exemple.
Mais on peut aussi remarquer qu'il y en a qui quittent la
France. D'ailleurs, mon livre s’appelait Partir ou rester, parce
que justement j'étudiais ceux qui restent vivre en France mais
je regardais aussi quelles étaient les caractéristiques de ceux qui
avaient quitté la France.
Lorsque j'étudie cette discrimination, au préalable,
j'étudie la réussite scolaire des jeunes issus de l'immigration parce que - je vais dire une phrase assez terrible - si
le système éducatif discrimine, selon l'origine, alors les employeurs n'ont plus besoin de le faire de fait puisque le système
éducatif l'a fait à leur place, c'est-à-dire que si on pénalise les
jeunes en fonction de leur origine dans le système scolaire, ensuite les employeurs, eux, diront : « non, on ne discrimine pas,
c'est en fonction du diplôme obtenu qu'on recrute les gens ». Le
préalable à une étude scientifique rigoureuse des phénomènes
discriminatoires, c'est de se demander si le système éducatif discrimine.
Socialement, ce n'est pas neutre, ceux qui quittent la France. Ça
va être soit ceux qui étaient les plus en difficulté sur le plan familial, scolaire et professionnel, c'est une intégration ratée si
vous voulez. C'est le découragement dans la société française,
on quitte la France pour partir vers un autre pays ou pour partir
vers le pays d'origine des parents. C’est rare au début des années 1990 pour les jeunes d'origine algérienne quand il y a eu
les conflits armés en Algérie. Mais ensuite, ça redémarre un petit
peu. Pour les jeunes d'origine polonaise, c'est sûr que tant qu'il
y avait la dictature dans les années 80, aucun jeune d'origine
polonaise ne retournait vivre en Pologne. Maintenant il y en a
quelques-uns, ce sont des phénomènes minoritaires surtout
pour ceux qui sont nés en France. Mais socialement c’est
soit les plus défavorisés, soit au contraire, ceux qui
ont le mieux réussi leurs études qui peuvent espérer être
diplomates, universitaires, hauts fonctionnaires, chefs d'entreprises, avocats dans le pays d'origine. Donc, on a cet effet là qui
apparaît et je l'ai étudié dans mes travaux.
Les données existent. On peut étudier les diplômes des 20-29
ans selon les fils de parents français de naissance, les filles de
parents français de naissance, les enfants dont les parents sont
immigrés, les fils de parents immigrés etc. On peut étudier selon
qu'on a par exemple, un père immigré maghrébin et une mère
française de naissance, ou une mère immigrée Maghrébine et
un père français de naissance. On peut aussi étudier quand il y
a des familles monoparentales, par exemple maghrébines. On
28
toutes caractéristiques équivalentes égales, c'est pénalisant, ça
augmente le chômage. On a un pourcentage relatif de 19%
comme vous le voyez sur la troisième ligne du tableau, en haut,
dans la dernière colonne, ça a donc un effet.
peut aussi étudier au moins un parent d'Afrique subsaharienne
par exemple ou au moins un parent d'Asie du Sud-Est ou au
moins un parent turc. Dans 95% des cas - car il y a moins de mariages mixtes dans ce cas là - les deux parents étaient Turcs. Et
on a des données très précises sur le niveau de formation qu'ils
obtiennent.
J'ai poursuivi ces enquêtes en envisageant aussi la mixité
possible des origines des jeunes issus de l'immigration. Avoir un père immigré et une mère française ou avoir un
père français et une mère immigrée, en fonction de l’origine en
plus, immigrée maghrébine ou immigrée d'Afrique subsaharienne etc. Donc, on voit que les jeunes dont les deux parents
sont immigrés maghrébins vont être plus discriminés que ceux
dont le père est maghrébin et la mère française de naissance,
par exemple. Vous voyez le coefficient de plus 110% pour les
deux parents immigrés maghrébins et seulement - si on peut se
permettre de le dire - de plus 40% lorsqu'il y a le père Maghrébin
et la mère française de naissance et puis, quand la mère est Maghrébine et le père français de naissance, pas de différence significative.
En complément de ces travaux, j'ai été dans les services du
Premier Ministre entre 2000 et 2002 pour diriger un rapport
qui s’appelait « Immigration, marché du travail et
intégration » pour le Commissariat au plan, commandé par
Jospin. Puis j'étais de ceux, avec quelques économistes, qui ont
initié aussi le rapport « Ségrégation urbaine et intégration sociale » qui a été publié ensuite par Raffarin en 2004,
après qu'il ait attendu dix-huit mois dans les placards. Ce rapport
« Ségrégation urbaine » intégrait aussi la question de la
discrimination en fonction du lieu de résidence des
populations. Habiter au Val Fourré ce n'est pas la même chose
qu’habiter dans le 16ème arrondissement.
On peut relier ça à plusieurs facteurs mais notamment au patronyme parce que quand le père est Français de naissance et
que la mère est maghrébine, le jeune va porter un patronyme français, moins susceptible d'entraîner la discrimination.
C'est une dimension que j'ai intégrée aussi dans les travaux économétriques que j’ai fait plus récemment comme vous pouvez
le voir dans la partie haute, à droite de la diapositive. Là, ce sont
des jeunes hommes actifs d'origine maghrébine, versus ceux qui
dont les parents sont deux Français de naissance, on voit qu’il y
a un coefficient positif 0,371, deux petites étoiles ça veut dire
que statistiquement ça signifie quelque chose.
De plus, dans ce cas-là, certains de ces jeunes d'origine mixte ne
veulent pas être classés comme jeunes issus de l'immigration,
allez ensuite leur faire des statistiques ethniques, je peux vous
dire qu’eux, généralement, ils sont aux deux tiers, contre. Ces
jeunes-là sont de nationalité française ce qui montre bien, en
plus, la réalité de l'ampleur de l'effet de la nationalité française
qui apparaît souvent.
Je ne vous ai pas précisé la situation de référence sur les tableaux. On avait un taux de chômage de 15%. Ce qu'on appelle
la situation de référence, ça apparaît en haut à gauche, si on a
les mêmes caractéristiques mais qu'on habite en zone urbaine
sensible, le taux de chômage est non pas de 15% mais de 21%,
c'est-à-dire de 5 à 6% supérieur, c'est-à-dire une augmentation
relative de 36%. Ça montre qu’on est discriminé en
fonction de son lieu d'habitation. Ça, c'est montré par les
testings, qu'on soit Français de naissance ou pas. Alors, quand
on habite des quartiers défavorisés de la Politique de la Ville,
il est clair qu'il y a un effet stigmatisant qui joue.
Habiter en zones urbaines sensibles apparaît aussi pour les
jeunes femmes, pénalisant. Ça augmente le chômage de 35%,
on retrouve un chiffre tout à fait comparable.
n
Alors là, on quitte l'origine au sens ethnoculturel comme diraient
certains du terme, mais c'est un problème qui est important
parce que derrière cela, ce sont les problèmes aussi d'accessibilité au marché de l'emploi, de développement
des réseaux de transport en commun. À Rennes ce n'est
pas le cas parce qu'on a voulu construire une ligne de métro qui
aille du Blosne à Villejean, du quartier sud à Villejean, mais il y a
des villes et des régions en Ile-de-France ou dans l'agglomération
de Marseille ou de Lyon où les élus ont consciencieusement fait
en sorte que, justement, les transports en commun ne desservent pas bien ces quartiers de la Politique de la Ville et ces zones
défavorisées. C'est un véritable problème pour pouvoir ensuite
accéder à l'emploi.
LA POSITION DE JEAN-LUC RICHARD,
NON FAVORABLE AUX STATISTIQUES
ETHNIQUES
Je suis de ceux qui pensent que les statistiques ethniques
ne semblent pas une solution. Alors que je suis non seulement convaincu que les discriminations existent, je me suis, y
compris, engagé dans l'action publique pour contribuer à des
politiques publiques de lutte contre les discriminations. Mais je
ne suis pas favorable aux statistiques ethniques parce que je
considère d'abord que les données existantes permettent d'étudier les questions.
Là, on voit encore une fois que les jeunes d'origine algérienne
sont davantage discriminés que ceux d'origine marocaine ou tunisienne, on peut imaginer qu'il y a des raisons liées aux contentieux historiques de la guerre d’Algérie.
L’équivalent en Angleterre s'appelle la National Longitudinal
Study. Il y a 150 chercheurs qui travaillent dessus. En France,
nous sommes cinq chercheurs à travailler sur l'échantillon démographique permanent et sur les cinq, il n’y en a qu'un seul qui
travaille sur les discriminations. Le vrai problème c'est que ces
On voit toujours dans ces modèles, là ce sont des jeunes
femmes, par exemple, qu’être étrangère et non pas Française, à
29
données qui coûtent des millions d'euros ne sont pas
facilement accessibles et sont sous-utilisées, ça c'est
un vrai problème.
pas dit oui aux statistiques ethniques telles qu'on les entend
dans certains pays où ça existe, alors qu’ils étaient majoritairement pour, au départ. Il y a eu un débat et, effectivement, nous,
on a créé notre contre-rapport, notre contre-commission sur ce sujet avec le démographe breton Hervé Le Bras que
vous connaissez peut-être, avec Elisabeth Badinter, on était 22
avec des positions très variées. Vous en aviez de gauche comme
de droite, des nationaux républicains comme on dit qui veulent
surtout pas qu'on fasse de statistiques de quoi que ce soit. Vous
en aviez d'autres qui, comme moi, en ont une approche beaucoup plus modérée.
Depuis quelques années, ce débat sur les statistiques ethniques a rebondi, il traverse la gauche et la droite.
Vous allez trouver des universitaires de gauche qui sont pour et
des universitaires de gauche qui sont contre. Vous allez trouver
des gens de droite qui sont pour et des gens de droite qui sont
contre. Vous allez trouver des gens d'extrême droite qui sont
pour parce qu'ils veulent faire des projections démographiques
apocalyptiques de la population française dans les trente ans
qui viennent. Et en plus, ils font des hypothèses où il n'y aura
pas de mariage mixte, où tout enfant ayant un seul parent immigré garde la nationalité de ses parents et ne prend pas la nationalité française alors qu'il l'a dès la naissance, juridiquement.
Mais vous en avez aussi à l'extrême droite qui sont contre les
statistiques ethniques, j'ai cru comprendre que c'était aussi la
position de Marine Le Pen, par exemple, qui n'est pas celle de
Gollnish ou de Mégret.
Donc, on a fait notre contre-rapport et finalement, ce rapport
a eu une influence puisque le COMEDD a beaucoup
évolué et est arrivé à une solution qui est, finalement, pas très
éloignée de la mienne dans la mesure où elle dit qu’il faut
surtout utiliser les données qui existent. Il faut avoir des
données sur les nationalités et lieux de naissance des individus
et de leurs parents et c'est à partir de ça qu'on va pouvoir faire
des études. Alors ils ont proposé une généralisation totale de ce
genre de données, pour quasiment toutes les enquêtes - moi je
pense que c'est peut-être un peu excessif - il faut voir quand c'est
pertinent, mais il y a eu un net progrès.
Le récent débat autour des statistiques ethniques et l’évolution du COMEDD
Cependant, comme ils avaient pris position pour les statistiques
ethniques pendant des mois finalement, et surtout que la première version du rapport disait clairement qu'il en fallait et que
c'est avec des débats, des discussions en leur sein qu'ils ont évolué, ils ont dit : « mais finalement, à partir des catégories existantes, on pourra faire comme aux Pays-Bas, c'est-à-dire utiliser
le vocabulaire de groupe ethnique sans avoir à demander aux
gens, dans les questionnaires, quel est leur groupe ethnique ».
Comme aux Pays-Bas, où on demande aux gens la nationalité
de naissance des individus et de leurs parents et à partir de ça,
les chercheurs qui le veulent disent : « bon il y a des personnes
d'origine ethnique algérienne ou marocaine ». C’est un glissement sémantique qu'ils proposent mais pas une remise en cause totale du système statistique.
Le Président de la République s'est fait élire sur un programme
qui intégrait le fait qu'il y ait des statistiques de la diversité et,
en particulier, des statistiques ethniques. Donc, dans un premier
temps, il a sollicité la CNIL. La CNIL a donné un avis assez
nuancé sur le sujet. Ensuite il a créé la commission Simone
Veil pour modifier les articles de la Constitution qui rendraient
alors possible la création de statistiques ethniques. À la surprise
générale, la commission présidée par Simone Veil a pris position
contre les statistiques ethniques alors qu'elle avait été composée pour que la décision soit autre. Ensuite, il y a eu le vote d'une
loi qui créait les statistiques ethniques dans un amendement à
un projet de loi qui n'avait pas grand rapport avec ça d'ailleurs,
en tous les cas pas de rapport direct. Le Conseil Constitutionnel
a censuré la loi.
Moi je suis de ceux qui pensent qu'on doit garder les mêmes
données et qu'on ne doit pas aller vers ce glissement sémantique ethnicisant, mais vous voyez que les oppositions se sont
beaucoup atténuées. Si vous en doutez - c'est Jean Luc Masson
qui m'a dit ça tout à l'heure - il y avait un article de Patrick Simon,
samedi, dans Le Monde. Patrick Simon est un chercheur qui militait depuis quinze ans avec des forts arguments pour les statistiques ethniques et qui a fait des tests expérimentaux sur le
sujet. Aujourd'hui, il se rend compte qu’il y a un certain nombre
de personnes que certains auraient envie de classer dans les
groupes ethniques et qui ne veulent pas l'être.
Puis, il y a eu la création par Yazid Sabeg, Haut Commissaire à
la Diversité qui est favorable aux statistiques ethniques, d'une
commission, le COMEDD (Comité pour la Mesure de la
Diversité et la Lutte contre les Discriminations), qui a
fait un rapport avec cette particularité, c’était que cette commission a été composée d'une manière un peu particulière
puisque, dès lors qu'on avait fait des recherches sur la discrimination et qu'on était contre les statistiques ethniques, on n'était
pas invité ni auditionné. Donc je n'ai pas été invité ni auditionné,
je ne m’en suis pas formalisé. Quand j'ai réalisé que d'autres
grands noms de la recherche sur le sujet n’y étaient pas, je me
suis dit : « Tiens ! C’est bien curieux ». Il y en a un seul, Monsieur
Amadieu qui a été invité. On était 22 autour de lui le jour où il a
pris la décision d'y aller. Il a lu une position au nom de 22 chercheurs qui étaient opposés au projet de statistiques ethniques
avec cette particularité : on avait exigé de lui, contrairement à
tous les autres intervenants devant cette commission et qui
étaient auditionnés, qu'il remette, huit jours à l'avance, le texte
de ce qu'il allait dire. Mais les gens de cette commission n'ont
La difficulté du classement
C'est aussi l'enjeu du débat de savoir si les gens doivent être
classés dans tel ou tel groupe de manière volontaire en se déclarant comme tel ou, si au contraire, on va les classer, c'est-àdire si c'est celui qui fabrique les données qui classe les gens ?
Il y a peut-être des gens que vous auriez envie de classer comme
Breton ou pas Breton, Noir ou pas Noir, Maghrébin ou pas
30
leurs parents ce qui permet aussi déjà d'approcher les situations,
ça ne donne pas une photographie parfaite.
Maghrébin et qui ensuite, si vous leur apprenez que vous les avez
classés comme ça, ne seraient pas d'accord qu'on les classe ainsi
parce que eux-mêmes ne se ressentent pas comme tels.
Le petit enfant d'Antillais, par exemple, dont les quatre grands
parents étaient Antillais mais qui sont venus en Métropole, donc
ensuite, ils ont eu des enfants en France et puis cet enfant d'origine antillaise s'est marié avec une autre personne d'origine antillaise et a des enfants, donc on en est aux petits-enfants. Si
effectivement, les quatre grands-parents sont d'origine antillaise, on pourra éventuellement, facilement le retrouver mais
est-ce qu'il faut des données sur les grands-parents comme aux
heures les plus tragiques de l'histoire de France, c'est un débat
qu'on peut avoir.
L'expérience que j'ai, à la fois, des données et aussi de pas mal
d'entretiens avec de jeunes issus de l'immigration, c'est qu'il y
en a un tiers qui se considère comme Français. Je suis né en
France, je suis à l'école de la République, je suis Français et je n'ai
pas envie de cocher autre chose dans une enquête. Et c'est clair
que ces jeunes-là, ce sont ceux qui ont eu le moins de difficultés
donc ils vont plutôt habiter dans des quartiers mieux intégrés
que dans des quartiers les plus stigmatisés, ils ont souvent eu
une réussite scolaire un peu meilleure, ils ont eu peut-être moins
de difficultés dans l'accès à l'emploi. Comme ils ont la nationalité
française, ils ont parfois, assez souvent, dans certaines filières,
réussi à devenir fonctionnaire et à être recrutés dans la fonction
publique.
Et puis, il y a la mixité des origines, des mariages.
On ne peut pas classer les gens en première,
deuxième, troisième et quatrième génération parce
que quand un enfant d'immigré se marie avec un arrière-petit
enfant d'immigré, il est quoi alors, il est deuxième ou quatrième
génération ? Ou alors, on fait deux plus quatre divisé par deux
et on dit troisième génération alors qu'en réalité, c'est ni l'un ni
l'autre, ce n'est pas trois, ça peut être deux ou quatre. Ça pose
des questions complexes, mais c'est une critique qui mérite
qu'on fasse des études sur les discriminations et les enquêtes
qui sont autorisées actuellement peuvent être amplifiées et généralisées.
Il y a un tiers des jeunes qui dit : « nous, c’est sûr, on est Français
mais on est d'origine étrangère ou d'origine immigrée, nos origines ça compte et on est prêt à répondre dans des enquêtes ce
que sont nos origines ».
Et puis vous avez, à peu près, un tiers des jeunes qui considère
qu’ils font partie de groupes ethniques et qui sont prêts à répondre oui, je suis de l'ethnie kabyle ou je suis de l'ethnie arabe, musulmane ou maghrébine ou je suis un Black ou un Noir ou un
afro-français, enfin toutes sortes d'expressions, sachant que
c'est très difficile d’ailleurs de faire des catégories. On trouvera
même aussi des nationalistes bretons qui seraient ravis de cocher une case au recensement, je suis Breton.
Dernier point, c'est toujours sur cette question des populations
que l'on n'a pas, ce sont les petits-enfants dont les quatre
grands-parents étaient immigrés d'un autre pays et
donc souvent, les enfants nés en France dans ce cas-là sont devenus Français, alors les enfants des enfants, ils sont Français aussi.
Donc c’est vrai que dans les bases de données, on n'a pas les petits-enfants de quatre ou trois grands-parents immigrés et que
pour étudier dans ce cas-là, c'est un problème. Alors il faut réfléchir
quels sont les avantages et les inconvénients de ces limites.
En réalité, il n'y a pas une communauté, moi, j’utilise très peu ce
mot « communauté ». Parmi nos concitoyens aussi bien bretons
d'origine comme moi ou issus d'immigration étrangère, il y en
a qui vont se sentir très bretons et d'autres pas tellement, d'autres très français et d'autres pas tellement. L'idée
de communauté, d'avoir une lecture ethnique de la
société ne me semble pas pertinente, mais je ne suis
pas non plus de ceux qui nient l'influence des
origines. Je pense que les tableaux que j'ai présentés aujourd'hui le démontrent.
Vous pouvez trouver sur le site, pour ceux qui sont intéressés,
outre l'article que vous aviez, les tableaux etc. que j'ai présentés.
Ils sont disponibles sur mon site perso sur le site de l'université
de Rennes I et vous pourrez ainsi trouver les données et les chiffres détaillés si ça vous intéresse.
Quelle est la limite de sa position ?
On n’a pas parlé de ceux dont la couleur de peau peut faire
qu’ils sont victimes de discriminations mais qui n'apparaissent pas dans les données. On peut penser, par
exemple, à beaucoup de nos compatriotes issus de l'Outre Mer, des Antilles ou de La Réunion. Sur cette question-là j'ai une réponse claire, c'est qu'il faut redévelopper des
grandes enquêtes sur les processus d'intégration ou migratoires
et d'insertion professionnelle de nos ressortissants issus des
DOM TOM. Ça s'est fait dans les années 1990, 1992 je crois,
c'est une question de volonté politique de financement mais on
pourrait envisager des études et qui traitent bien évidemment
de la discrimination.
On dispose quand même de la possibilité de demander aux gens
- on a dans les données - le lieu de naissance des individus, de
31
Échanges avec le public
Du coup, je ne me suis pas encore posé vraiment la question
de savoir comment on pourrait le faire, mais on peut demander aux gens leur nationalité et leur lieu de naissance. Il y a déjà des collectivités locales, à Rennes, par
exemple, qui commencent à réfléchir à ces sujets et qui cherchent à accompagner justement un certain nombre de concitoyens issus de l’immigration dans une préparation à des
concours de la fonction publique afin que contractuels des collectivités locales puissent espérer réussir les concours de la
fonction publique territoriale. Moi, je suis plus pour des mesures
incitatives de ce type que pour des fichiers généralisés.
 Erwann le Hô - On va essayer de prendre un gros quart
d'heure pour les échanges sur la question des statistiques ethniques. Vous l'avez dit, c'est une question délicate et ça a dû
forcément susciter des interrogations et des demandes de
compléments dans le public donc, n'hésitez pas, c'est la séance
d'échanges avec nos invités.
 Participante - En fait, très souvent sur la question de la mesure des discriminations liées aux critères d’origine réelle ou
supposée, il est posé la question d’outils de pilotage dans les
organisations et les entreprises et je suis très intéressée à entendre les moyens que vous déployez pour mieux connaître
ces discriminations. Mais, je m’interroge sur quels seraient les moyens en entreprise ou dans les organisations publiques pour réaliser cette mesure plutôt
quantitative et qualitative ?
 Participant - Je voulais juste poser quelques questions. La
première, vous avez cité des Algériens, j’aimerais bien savoir qui sont les Algériens. L’immigration algérienne que
vous avez sondée, à qui avez-vous posé les questions et estce que ce sont les immigrés qui sont arrivés après l’indépendance ou est-ce que vous avez choisi aussi les fils de Pieds
Noirs ou de la première vague d’immigration algérienne ? En
sachant qu’aujourd’hui, il y a un autre phénomène migratoire
qui est en train de se faire, c’est celui de l’immigration vers
l’Algérie. Donc il y a des Français qui sont en train de demander la nationalité algérienne aussi, cela existe.
 Jean-Luc Richard - C’est une question qui est essentielle,
vous l’avez dit. Vous avez vu que le COMEDD propose qu’il y
ait des instruments, comme on dit, de monitoring pour toutes
les entreprises de plus de 250 salariés ce qui pose la question
de savoir pourquoi à 248 salariés, il n’y aurait rien et on peut
imaginer qu’un certain nombre de salariés d’entreprises de
moins de 250 salariés se sentiraient du coup discriminés par
rapport à ceux qui seraient dans des entreprises de plus de 250
salariés.
La deuxième question c’est : qui sont les immigrés ? Estce que ce sont simplement les Maghrébins, les gens de l’Afrique
subsaharienne, pourquoi n’avez-vous pas questionné les Chinois ? L’immigration aussi de l’Europe de l’Est ?
Au-delà de cette remarque, il est clair que l’établissement de
données serait un changement total de la philosophie et de ce
qui a prévalu en France depuis des décennies et pour nous, ce
serait un grand changement. Donc c’est quelque chose qui est
assez impensé finalement.
Et puis, il y a un constat aussi, un troisième, c’est celui du futur.
Ce sondage sert à quelque chose, il sert à donner des leçons.
Or, nous savons que bientôt va se dérouler, je suis peut-être un
peu fataliste, une immigration qui est écologique donc liée à
l’écologie. Dans le sud, nous avons la désertification et dans le
nord il y a la montée des eaux. Pourquoi ne pas dépasser ce
stade, un peu alarmiste, si je peux oser, et parler aussi du futur ?
Les entreprises, celles qui le font actuellement ou les institutions
publiques ou parapubliques le font de manière illégale, on le
sait, des offices d’HLM, par exemple, qui de fait ont été condamnés aussi pour ce genre de pratique.
 Jean-Luc Richard - Il y a trois questions et je vais répondre
aux trois questions. Dans la première, vous avez évoqué l’immigration départ hors de France. Effectivement, c’est un phénomène qui mérite d’être étudié. Ayant écrit le bouquin Partir
ou rester, je dois vous avouer que j’étais le premier à étudier
les personnes issues de l’immigration en France. Non pas en
se demandant simplement s’ils s’intégraient en France, mais
en se posant la question de savoir s’il n’y en a pas
qui quittaient la France, cela n’avait jamais été fait. Donc,
sur les 15 000 que j’avais suivis pendant 15 ans avec les données de l’INSEE, il y en avait effectivement 3 000 sans doute, à
peu près, qui avaient quitté la France. Donc, je suis de ceux
qui sont convaincus que c’est un phénomène important mais, par rapport à la thématique de la lutte
contre les discriminations, le lien existe mais il n’est
pas essentiel, ce n’est pas le plus fort. Nous ici, en France,
on étudie les discriminations des personnes qui vivent en
France, on est bien d’accord. C’est vrai qu’il y a un lien dans la
Jusqu’à présent, c’est illégal. On ne peut pas s’appuyer
sur des bonnes expériences françaises parce qu’en plus, on voit
bien qu’il faudrait que ce système soit compatible avec l’ensemble des autres traditions que l’on a en France et notamment, cette réticence générale des Français à être fichés qui est
beaucoup plus grande que dans d’autres pays.
Il y en a qui sont pour, Patrick Lozes, le président du CRAN est
totalement favorable, vous l’avez peut-être vu, il souhaitait être
candidat à l’élection présidentielle il y a quelques jours encore.
Lui, il souhaite qu’il y ait des statistiques sur les Noirs en France.
J’ai participé, l’autre jour, à une réunion avec plusieurs dizaines
de jeunes actifs d’associations issus de l’immigration d’Afrique
subsaharienne qui, eux, étaient totalement contre. Donc, je
pense qu’actuellement, nous ne sommes pas dans une situation où il y a une acceptation, une acceptabilité de tels systèmes de monitoring, c’est ma position.
32
de départ les mêmes données et ensuite ils ont interrogé les
jeunes qui étaient dans cette base de données que j’utilise moi
aussi.
mesure où des personnes discriminées peuvent du coup décider de quitter la France et j’ai fait le lien entre ces deux phénomènes mais ce n’était pas eux, c’est vrai, l’objet principal du
propos aujourd’hui.
Sur 100 jeunes qui étaient présents en France en 1975, il n’y a
eu que 59 % pour lesquels on avait eu les questionnaires MGIS
en 1992 alors qu’on sait qu’il y en avait 75 % qui étaient encore
en France au même moment. Il y avait eu de l’ordre de 20 %
de refus de réponse parmi les jeunes issus de l’immigration au
moment de répondre à cette enquête.
Votre deuxième question : qui sont ces personnes interrogées ?
On a 1 % des jeunes issus de l’immigration et, par
exemple, là, vous voyez que ce tableau il porte sur - c’est écrit
en bas – un nombre d’individus - en bas à droite – 21 634.
Vous voyez ce sont des échantillons de très grosse taille qui
permettent d’étudier les trajectoires de plusieurs milliers de
jeunes issus de l’immigration.
Pour l’enquête TeO, il y a aussi d’autres aspects, l’enquête est
sans doute mieux acceptée mais il y a encore d’autres problèmes. Un des problèmes des statistiques ethniques ou des
catégories s’en approchant, quand on interroge les gens sur
les discriminations, c’est que les gens se déclarent d’autant plus
dans des groupes qu’ils se déclarent comme discriminés ou
dans des groupes ethniques qu’ils ont ressenti eux la discrimination.
Là, vous voyez, ce sont de très gros échantillons de l’INSEE, Il y
a 21 634 jeunes qui ont entre 23 et 29 ans en 1999 donc, si je
ne me trompe pas, ils ont entre 23 et 29 ans en 1999, les plus
vieux sont nés en 1970. Ils sont arrivés en France après
l’indépendance de l’Algérie et surtout, en plus, la majorité d’entre eux sont nés en France. Là, le critère était
qu’il y ait, au moins, un des parents immigré et ensuite, parmi
ces jeunes, la majorité sont nés en France mais il y en a aussi
une minorité qui était arrivée en France durant leur enfance, en
même temps que leurs parents ou un peu après. J’ai d’ailleurs
étudié le fait qu’ils soient ou pas immigrés eux-mêmes. Voilà
les données dont on dispose.
Donc, je dirais que ces statistiques ethniques ou quasi
ethniques ne reflètent pas forcément la réalité puisque les
jeunes qui n’ont pas été discriminés n’ont pas envie ou, moins
souvent, se déclarent comme membres des communautés
dites discriminées ou des groupes minoritaires. Du coup, ce
sont plutôt les discriminés qui vont se déclarer
comme membres de groupes minoritaires.
Comme c’est un centième de la population française, on peut
étudier toutes les origines. Moi, par rapport au sujet, j’ai étudié notamment dans ce tableau là, les jeunes issus
de l’immigration maghrébine. Dans les études que j’ai
faites, j’ai aussi des jeunes issus de l’immigration d’Asie du Sudest ou les jeunes issus de l’immigration turque et j’ai fait des tableaux équivalents pour étudier les phénomènes.
Il y a une directrice de recherche de l’INED qui a fait un article
qui s’appelle « Chronique de discrimination annoncée », elle a
dit : « je peux d’ores et déjà vous dire qu’on va trouver des
niveaux très élevés de discrimination dans cette enquête TeO »
puisque justement tout est fait pour les gens qui se sentent discriminés se déclarent comme tels et se déclarent comme membres de groupes potentiellement discriminés.
Justement, ces données permettent d’avoir la grande diversité
des vagues migratoires mais le problème c’est qu’elles sont
sous-utilisées. J’ai écrit peut-être quelques centaines de pages
à partir de ces données, depuis vingt ans. Mais il est clair que si
on était quatre ou cinq à travailler sur ce sujet, on aurait eu un
panorama bien plus complet de l’intégration des jeunes issus
de l’immigration turque, des jeunes de l’immigration d’Asie du
Sud-est, de l’immigration d’Afrique subsaharienne, que je ne
peux faire seul, avec cette volonté qui est de ne froisser personne. C'est-à-dire, présenter à la fois les tableaux pour
l’Afrique subsaharienne, pour l’Asie du Sud-est, pour la migration turque etc. et d’essayer d’apporter au moins les données
générales de cadrage pour chacune des grandes vagues migratoires qui ont marqué l’histoire de l’immigration en France.
Cela ne veut pas dire que les discriminations n’existent pas,
elles existent, elles sont massives mais il faut faire attention
que les enquêtes que l’on mène n’amènent pas à exagérer la
situation, notamment, en incitant essentiellement ceux qui
sont discriminés à se déclarer comme membres de groupes
discriminés alors que les autres ne seraient pas finalement incités à se déclarer soit comme membres de ces groupes, soit
comme non discriminés.
 Participante - Je voulais savoir quelle est la position de
l’Europe sur la statistique. Il me semble qu’actuellement,
on a des subventions du Fonds Social Européen (FSE) pour certaines politiques publiques et que les statistiques FSE indiquent
des critères sur les migrants, entre autres. Et la politique française est assez différente, donc je voulais savoir quelle était
l’évolution de l’Europe par rapport à cela.
Il y a des progrès à faire mais ces données elles existent fondamentalement. En plus, contrairement aux enquêtes spécifiques,
parce que j’ai été très critique vis-à-vis à la fois de l’enquête
MGIS et maintenant de l’enquête TeO, ces données qui sont issues du recensement ne sont pas des enquêtes faites sur cette
thématique là. Parce que quand on dit aux gens qu’on va enquêter sur une thématique particulière, on entraîne en réaction
des comportements spécifiques des gens interrogés. Je le sais
d’autant plus que par exemple, l’enquête MGIS (Mobilité Géographique et Insertion Sociale) de 1992 avait pris comme base
 Jean-Luc Richard - Il y a deux choses, il y a les incitations et
les obligations. À ce jour, la politique d’intégration et
de lutte contre les discriminations relève de la souveraineté nationale et des politiques de chacun des
États. Donc il n’y a pas de directive européenne qui obligerait
les États à choisir tel ou tel type de politique. La directive eu-
33
mais utilise le vocabulaire ethnique et puis la Grande-Bretagne,
par exemple, a des statistiques ethno-raciales. Mais il n’y a pas
une position claire au niveau européen sur le sujet puisque dès
qu’un pays n’est pas d’accord, il peut dire : « mais cela relève de
notre souveraineté ».
ropéenne oblige les États à mettre en œuvre une politique de
lutte contre les discriminations, elle n’oblige pas les États à
choisir tel ou tel type de politique.
Après, il y a différentes instances européennes, cela peut être le
Parlement, la Commission, en dehors de l’Union Européenne, le
Conseil de l’Europe, le Conseil Économique et Social européen
qui peuvent, chacun, prendre des positions diverses ou variées
selon les majorités ou selon les rapporteurs à qui on confie ces
dossiers, ou les experts qu’on auditionne pour savoir s’il faut que
les États créent ou pas des statistiques ethniques.
Aux États-Unis, ils se demandent s’ils vont continuer à faire des
statistiques ethno-raciales parce que de plus en plus de gens c’est minoritaire - refusent de répondre à ces questions et de
plus en plus de gens comme le grand golfeur Tiger Woods ont
coché quatre cases au recensement. Tiger Woods, il a un grand
parent asiatique, un grand parent descendant d’esclave noir
comme on dit, un grand parent irlandais et le quatrième, c’est
indonésien, je pense, il a coché quatre cases.
L’Europe a progressé dans l’harmonisation des statistiques sur les immigrants. Qu’est-ce qu’un immigrant,
qu’est-ce qu’un immigré comme on le dit plutôt en France ? Il n’y
a qu’en France qu’on dit immigré, dans tous les autres pays, on
dit immigrant. On a progressé à ce niveau là, l’harmonisation
des statistiques européennes sur l’immigration est faite, l’harmonisation des statistiques sur les populations issues de l’immigration n’est pas faite parce qu’elle n’existe pas, dès lors qu’il
y a des pays qui ont des statistiques ethniques et d’autres qui
n’en ont pas.
Au prochain recensement, il y aura des statistiques ethniques
et raciales aux États-Unis mais est-ce qu’à celui d’après il y en
aura encore ? On ne sait pas. En Afrique du Sud, ça a disparu,
Nelson Mandela, Président de l’Afrique du Sud a dit : « nous allons construire une République post-raciale ». Donc, il y a un
mouvement qui est complexe. Les pays qui en avaient se demandent si cela vaut le coup de continuer à en avoir et les pays
qui n’en ont pas sont animés par un débat sur le fait qu’il serait
peut-être très bien d’en avoir mais la situation est très complexe.
Mais il y a deux grandes tendances, la moitié des pays de
l’Union Européenne a des statistiques ethniques et l’autre moitié
n’en a pas. L’Espagne, l’Italie et la France n’en ont pas et n’utilisent pas du tout le vocabulaire ethnique, la Hollande n’en a pas
34
ATELIERS THÉMATIQUES
Rappel des objectifs et
de la méthode d’animation
Le déroulement des ateliers était prévu comme suit :
L’après-midi, ont eu lieu cinq ateliers thématiques
autour de la lutte contre les discriminations dans les
domaines suivants :
 Brève introduction par le membre du CRDED pour présenter
l’atelier et l’expert(e)/chercheur(e)
 marché du travail/monde de l’entreprise
 école
 Intervention de 15 minutes par l’expert(e)/chercheur(e) sur les
discriminations dans le champ concerné
 santé
 Réactions des participants/Présentation d’expériences locales
 logement
 Débats/Échanges
 travail social
Il s’agissait d’échanges interactifs entre les participants, où
pour chaque atelier, les règles juridiques, les processus discriminatoires propres à chaque champ et des présentations d'actions
de lutte contre les discriminations ont été abordés.
Des rapporteurs par atelier étaient chargés de prendre des notes, et de repérer les éléments principaux
pour la restitution de l’atelier en plénière :
Le but était de questionner les expériences respectives
d'actions visant à prévenir et à lutter contre les discriminations
en les présentant comme des démarches valorisantes pour les
professionnels, et dans la perspective de les développer ou de
les renforcer.
 Contexte/état des lieux des discriminations dans le domaine
concerné
 Présentation d’actions de lutte contre les discriminations
 Questionnements
 Perspectives
À l’issue des ateliers, les rapporteurs et les co-animateurs membres du CRDED ont préparé ensemble la restitution de l’atelier
et la rédaction du powerpoint.
L’animation dans chaque atelier était assurée par un
binôme :
 un(e) chercheur(e)/expert(e), dont le rôle était d’apporter
un éclairage scientifique et théorique, de favoriser la prise de
conscience des pratiques discriminatoires, et de répondre aux
réactions des participants.
Cette restitution des cinq ateliers par cinq membres du
CRDED en salle du conseil avait pour objectif de permettre à tous
les participants de prendre connaissance du contenu des ateliers
auxquels ils n’avaient pas participé. Dix minutes de présentation
étaient prévues par atelier.
 Un(e) membre du CRDED, dont le rôle était d’apporter un
regard local sur cette question, assurer la modération des
échanges, donner la parole aux participants, dynamiser
l’échange…
35
Mise en garde à propos de la
rédaction des synthèses des ateliers
Bien qu’il existait une trame que les ateliers devaient suivre, chaque animateur
disposait cependant d’une certaine marge de manœuvre. Cela explique pourquoi
les synthèses n’ont pas tout à fait la même forme.
Nous avons tenté de synthétiser de la manière la plus fidèle possible les ateliers,
et de mettre en valeur leur aspect interactif, sans que le contenu en soit dénaturé.
Les propos ont été restitués par thèmes et non de manière chronologique.
La plupart des noms des participants qui ont pris la parole lors des ateliers ont
été anonymisés, sauf pour les co-animateurs (experts et membres du CRDED).
Cependant, lorsque cela s’avérait pertinent et en lien avec le contenu des propos,
les fonctions et les structures de ces personnes ont été précisées.
Enfin, le contenu des ateliers figurant déjà dans les synthèses suivantes, nous
n’avons pas retranscrit la restitution des ateliers qui a eu lieu en plénière, pour
éviter la redondance. Nous avons en revanche reporté les échanges qui ont suivi
cette restitution.
36
ATELIER
Emploi / Marché du travail
« Égalité, diversité, lutte contre les discriminations sur
le marché du travail et dans le monde de l’entreprise :
échanges sur les outils existants »
n Intervenant : Philippe Cormont, formateur et consultant au cabinet COPAS (Conseil en Pratiques et Analyses sociales)
Animation : Mustapha Laabid, directeur de FACE (Fondation Agir Contre l’Exclusion) Rennes
Restitution : Anne Morillon, sociologue du collectif TOPIK
Participants : Entreprises (Keolis, Peugeot Citroen, La Poste…), intermédiaires de l’emploi (MEIF, Mission Locale, Pôle Emploi,
CLPS…), associations (Ligue des Droits de l’Homme 35, Réseau Ville Hôpital…), représentants syndicaux, consultants…
n
On est donc sur des actions concrètes. Il s’agit de percuter les
façons de faire des collègues, comme traiter des CVs d’une
manière illégale. Ce n’est pas un supplément, c’est simplement
une autre manière de faire. Il faut donc travailler sur ce qu’il
faut changer, et les raisons pour lesquelles il faut le changer.
INTRODUCTION
L’apparition progressive de la lutte contre les discriminations et de la promotion de la diversité
comme outil de management
Il ne s’agit pas de mettre en place des outils de lutte contre les
discriminations par philanthropie. Mais à moyen terme, il existe
aussi un intérêt économique à travailler de cette manière.
Si Pôle Emploi commence à travailler la question des discriminations, cela permet également d‘éviter des risques juridiques.
On est dans des logiques d’action qui ne sont pas dénuées d’intérêt.
Il existe un flou conceptuel entre la « lutte contre les discriminations » et la « promotion de la diversité », même si cela évolue
depuis 2004 autour des pratiques de RH.
Dans les premières années, en 1999-2000, il y a eu beaucoup de
travail autour de la lutte contre les discriminations et de la
diversité en termes d’engagement moral, avec la signature
de la charte de la diversité, etc.
Le concept de « lutte contre les discriminations » glisse de plus
en plus vers le concept de « diversité ». Il y a moins d’enjeux idéologiques et politiques autour de ces questions. Il existe de très
bons Plans de Lutte pour la Promotion de la Diversité portés par
des grands groupes, tout comme il existe de très mauvais Plans
de Lutte contre les Discriminations.
De 2004 à 2008, le travail a eu beaucoup de mal à se concrétiser
jusqu’à ce qu’il y ait un rabattement global sur le cadre
juridique, qui donnait des éléments bien plus concrets qu’un
engagement d’une direction ou d’un président.
Le débat est pertinent quand il se situe au niveau des
pratiques professionnelles, des RH, de l’outillage.
De nombreux outils existent, la majorité financée au niveau
européen, qui s’adressent aux grandes entreprises ou aux PME.
On a donc une base commune, tout le monde travaille dans
la même direction. La question des discriminations bénéficie désormais d’un portage et d’engagements plus importants.
n
QUESTIONNEMENTS ET ÉCHANGES
DE BONNES PRATIQUES
Conditions nécessaires : engagement de la
hiérarchie et changement des pratiques
professionnelles
Quels outils pour agir contre les discriminations
en interne ?
Une des conditions d’actions essentielles pour engager un Plan
de Lutte contre Discriminations et pour la Promotion de la
Diversité, c’est l’engagement de la hiérarchie. Travailler
sur ces questions, c’est changer ses pratiques professionnelles, c’est professionnaliser les RH. C’est donc de l’outillage, du management, que ce soit dans une entreprise privée
ou un service public.
 La difficulté de mettre en place la promotion de la
diversité ou la lutte contre les discriminations
Selon une participante, qui travaille aux RH d’un grand groupe,
la promotion de la diversité et la lutte contre les discriminations
est un travail de tous les jours qui n’est pas facile.
37
vent. C’était un sujet très peu connu. Aujourd’hui, la question
suscite de la curiosité et de l’intérêt. Les résistances sont toujours là mais il y a aujourd’hui une meilleure connaissance du
cadre juridique, de la discrimination et des critères. Néanmoins,
les résistances sont de plus en plus subtiles et donc
de plus en plus difficiles à percevoir.
Quand on évoque la non-discrimination, ou la diversité en entreprise, on peut se retrouver face à des murs, sur la sémantique,
sur la compréhension. Car, pourquoi parler de non-discrimination là où on ne devrait pas la pratiquer ? Stratégiquement selon
elle, le terme de diversité est plus approprié car c’est plus positif
que le terme discrimination, qui rappelle le militantisme, l’idée
de lutte. Elle est donc en faveur de l’initiation et de la sensibilisation à la diversité, sur les dix-huit critères de non-discrimination.
Donc quel est l’intérêt pour les entreprises de s’engager dans
la lutte contre les discriminations ? Il ne s’agit pas seulement
d’une question de technicité ou de choix des critères, c’est aussi
une question de pouvoir. Cette résistance est encore forte
en fonction des secteurs professionnels.
 Comment connaître la « carte d’identité » d’une l’entreprise ? Comment repérer les discriminations,
lorsqu’on n’a pas de chiffres ?
Le Label Diversité, qui est une certification AFNOR, est selon
cette consultante, un outil de gestion de projet qui peut permettre de donner une entrée sur les actions à mener, et qui lève des
résistances au sein des entreprises. Mais le Label est très exigeant et performant. Le nombre restreint d’entreprises qui l’ont,
montre qu’il est difficile de l’obtenir et de le conserver.
Pour Philippe Cormont, la mesure n’est pas un problème important. Ce sont les actions qui comptent. C’est une conception très moderne de l’action d’aujourd’hui. On est
dans une logique de fonctionnement efficace, performant, en
ordre de marche.
Aujourd’hui, en France, on peut mesurer : l’âge, la nationalité, les syndicats, le handicap, le genre… Vous pouvez aussi faire des mesures pour les grands groupes à
partir des noms patronymiques en demandant une dérogation de la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique
et des Libertés). C’est par cet outil qu’il y a le moins de biais
possibles. Il est donc possible d’établir une « carte d’identité »
de l’entreprise autour de cela.
 Exemples de bonnes pratiques
À La Poste, une sorte de « Halde interne » a été créée, par
la mise en place d’un numéro vert, qui arrive à la Direction de
la Diversité, au niveau du siège de La Poste et où les personnes
peuvent faire part d’une discrimination. C’est une première
étape en interne, avec une personne référente à laquelle on
peut s’adresser. Cela permet d’avoir une vision plus globale de
l’égalité de traitement dans l’entreprise.
 Comment inciter les entreprises à s’emparer de
cette question ?
Chez PSA, trois axes ont été développés :
- La Commission Diversité, au sein de laquelle 18 membres
représentent les six organisations syndicales du site, accompagnés d’un animateur. Les échanges portent sur la manière
de promouvoir la diversité.
Il ne s’agit pas de faire un Plan sur les dix-huit critères. L’idée
c’est de regarder les process. L’idée générique, c’est
qu’il faut banaliser le public. On a la capacité d’évaluer si
une personne possède les compétences qui intéressent l’organisation de manière neutre et objective, et donc d’assurer à
cette personne une carrière au sein l’organisation, public
comme privé.
- L’engagement de la hiérarchie par une sensibilisation
par un stage de sept heures par le cabinet Altidem (cabinet
conseil qui accompagne les structures à la promotion de la
diversité et à la lutte contre les discriminations), sur le management de la diversité. L’impact est plus fort quand la démarche est portée par quelqu’un d’extérieur et neutre. Les
cibles sont d’abord les membres des RH, puis les interlocuteurs des partenaires sociaux.
Ce qui importe, ce ne sont pas les critères, mais
comment rendre les process aveugles aux différents
critères. Il faut être neutre là-dessus, et pas que dans les recrutements, mais aussi dans les fiches d’évaluation. Si vous ne
prenez pas de Noirs, pas de femmes, pas de roux et pas de plus
de 40 ans, vous ne recrutez que sur 5% des personnes disponibles sur le territoire. Cet argument est assez parlant pour des
personnes qui discriminent.
- Il existe également un numéro vert pour les personnes en
détresse psychologique. Il s’agit d’une cellule de veille au sein
de l’entreprise, suivi au plus haut niveau.
Pour que les gens s’engagent autour de ces questions, il est
nécessaire de les évaluer car il n’y a engagement que s’il y a
un intérêt, qui n’est pas forcément financier. On n’évalue pas
les résultats, mais les process. Il est très important de former
les recruteurs et les managers d’équipe.
Philippe Cormont se pose cependant la question de l’efficacité
des numéros verts. Que fait-on des plaintes enregistrées, comment les cas sont-ils traités ?
La règle d’or selon lui, c’est l’engagement hiérarchique,
être sur une logique de projet, bien cadrer les buts et
évaluer les process.
 Quelles résistances des entreprises face à la lutte
contre les discriminations ?
Les modalités d’action sont différentes en fonction des structures.
Dans les associations, il faut mettre en place des formations pour partager une culture, car les associations
sont souvent peu formalisées. Les logiques de projet ne sont pas
habituelles. S’il y a un turn over, il faut continuer à former les gens.
Une consultante du cabinet Altidem constate une évolution en
ce qui concerne la résistance des entreprises. Il y a quatre ans,
lors de formations chez PSA, la question « mais on va travailler
sur quoi ? sur la diversité technique des pièces ? » revenait sou38
Cela peut être efficace d’utiliser le registre émotionnel.
Parfois, une personne va basculer parce qu’elle a été touchée.
Si on est sur un changement des cultures, des activités comme
le théâtre forum etc, des exemples exemplaires peuvent
fonctionner. Il faut s’adapter aux gens en face. Pour les PME,
les formations descendantes par des consultants ne sont pas
forcément efficaces.
Le rôle des intermédiaires de l’emploi, repose sur l’exigence professionnelle, de modifier les codes et les demandes du
donneur d’ordre qui discrimine. On est sur de l’analyse de
cas, sur les mises en situations réelles, sur la construction d’argumentaires. Le plus important étant de glisser sur la commande discriminante. Par exemple, si une entreprise
demande : « je voudrais 3 soudeurs, mais que des hommes de
40 ans », il faut répondre « OK, vous voulez 3 soudeurs compétents, on va regarder dans nos CVs qui correspondent à ce profil
de poste ».
 Un problème majeur : le mode de recrutement en
France
Il faut neutraliser les process de recrutement, de façon
à ce que les gens ne soient pas écartés d’emblée par
une caractéristique subjective. Il faut des mises en situation, il faut se former sur ces questions. Mais en aucun cas il
ne faut répondre à une demande discriminante, car ce
sont les intermédiaires de l’emploi qui ont la responsabilité du
traitement égalitaire dans le recrutement. Il faut leur dire : « ça
nous est interdit », rappeler que la discrimination est un délit.
Pour Philippe Cormont, les effets du CV anonyme sont mitigés. Dans une petite structure comme la sienne, un bandeau
pour cacher le haut du CV peut être efficace pour la pré-sélection
des candidats. Mais il y a eu des tests dans des grandes entreprises, et on s’est rendu compte que le recrutement était moins
divers. Le problème, c’est que les CV sont normés, tout le monde
fait le même. Les politiques de recrutement les moins
discriminantes, ce sont les mises en situation réelle
de travail.
Une intermédiaire de l’emploi a évoqué sa manière de travailler
pour ne pas avoir une posture discriminante. Elle a pour mission
de rencontrer les entreprises, d’évaluer leurs besoins, et d’être
sur des critères objectifs. Mais lorsqu’un candidat est proposé, son CV n’est pas donné à l’entreprise, ce qui
marche très bien lorsque les entreprises n’ont pas d’a priori.
Il faut aussi travailler le libellé des offres d’emploi pour
un avoir vivier de candidats un peu plus large. Par exemple, dans
certaines offres d’emploi, on lit qu’il faut être « dynamique, motivé, souriant ». Par contre, il n’y a pas plus d’informations
concernant les compétences requises.
Pour compléter les propos précédents, une autre intermédiaire
de l’emploi parle d’un problème d’intégration des nouveaux recrutés, qui peut effrayer les entreprises. Par exemple, une entreprise de BTP peut être résistante pour recruter une femme, parce
qu’elle a peur pour l’intégration dans l’équipe. Parce que recruter c’est aussi intégrer : il faut donc rassurer les entreprises.
Il faut travailler avec elles la manière de s’y prendre
pour intégrer une personne quelle qu’elle soit, pour
qu’elle soit bien accueillie.
Liens entre discriminations et activité syndicale
Les délégués syndicaux sont sujets à la discrimination et au harcèlement. Cette question renvoie également aux questions de management. Où en est le niveau de dialogue social
dans l’organisme ? Cela dépasse le syndicat, on est sur les politiques de relations sociales internes aux entreprises. Auparavant, le dialogue social était bloqué sur la question de la
diversité. Aujourd’hui, le dialogue social s’est renoué sur cette
question, car cela transcende les employeurs et les salariés, etc.
Lorsqu’on ne donne pas de CV, les entretiens ont lieu sur le
poste, et on est déjà dans une phase d’intégration. Il ne s’agit
pas de faire du placement à tout prix, mais de placer la bonne
personne au bon endroit, réduire les a priori basés sur les représentations et les stéréotypes.
Un représentant syndical affirme avoir récolté un certain nombre de témoignages de salariés. Ceux-ci sont tellement forts qu’il
se sent incapable d’écrire un courrier de réclamation à la DRH
car il craint de devenir lui-même « harceleur » et qu’il pense qu’il
va se « sentir mal » par la suite.
Selon Philippe Cormont, le terme « je suis mal » n’a pas à intervenir car ce n’est pas l’affect qui compte. Se demander si l’on a
bien fait, est une question qui traverse beaucoup les problématiques de discrimination. Or ce n’est pas la question du
bien, c’est la question du juste qui importe.
Les intermédiaires de l’emploi face
aux discriminations
Avant, une entreprise qui discriminait, c’était normal et banal.
Aujourd’hui, une entreprise qui discrimine, ça veut
dire qu’elle dysfonctionne. Donc, quel est mon intérêt
de rentrer en relation commerciale avec une entreprise
qui dysfonctionne ?
39
ATELIER
École
« Discriminations dans le parcours scolaire (orientation,
accès aux stages) : les comprendre pour les combattre »
n Intervenante : Laurence Ukropina, enseignante à mi-temps et chargée de mission à l’Académie de Metz-Nancy
Animation : Sabine Baudont, responsable du secteur "culture, insertion, discrimination", Ligue de l’enseignement 35
Restitution : Alice Naturel, coordinatrice du réseau « Démocratie et Courage », Léo Lagrange Ouest
Participants : personnel de l’Éducation Nationale et Rectorat (Professeur, CPE, Directrice CIO…), Associations (Ligue de
l’enseignement 35, Léo Lagrange Ouest, AFEV, Aroeven, MRAP…), équipements de quartier (maison des squares), services de la Ville,
Rennes Métropole, et de l’État (DRJSCS), élus…
n
Si la question des discriminations avance sur certains critères
comme le genre, la question des discriminations liées à
l’origine reste inaudible.
INTRODUCTION
L’Académie de Metz-Nancy a mis en place un plan de lutte
contre les discriminations à l’école, qui part des discriminations
dans le parcours scolaire jusqu’à l’entreprise, issue d’une démarche régionale, le projet Talent (Territoires en Action Lorrains
pour l’Égalité Nouvelle au Travail). Celui-ci s’est réalisé
entre 2006 et 2008 dans le cadre du programme Equal financé
par le Fonds Social Européen. Dans ce contexte, Fabrice Dhume
de l’ISCRA a réalisé un diagnostic sur les difficultés d’accès aux
stages des élèves de lycée professionnel en région Lorraine.
Une réalité douloureuse
Les exemples de discrimination dans l’accès aux stages et dans
l’orientation sont pourtant nombreux. Les discriminations
génèrent une grande souffrance, et d’autant plus lorsqu’elles
commencent tôt, souvent dès la 3e. L’impact sur le futur est alors
très grave.
Parmi les exemples cités, une personne d’origine sénégalaise décide de changer de métier et choisit l’orientation « logistique »
pour travailler de manière à ne pas être visible par les autres. Il
y a ainsi un glissement dans l’identité : cette personne ne va plus
se considérer française mais étrangère car noire, puis finit par
se considérer comme sénégalaise.
L’axe de travail pour l’Académie a été l’accès aux stages et
l’orientation pour les jeunes issus de l’immigration.
n
Une jeune d’origine maghrébine obtient un stage dans un salon
de coiffure. Mais on lui impose d’aller dans l’arrière boutique.
Cette personne ressent alors un énorme sentiment de honte.
Elle garde ça pour elle et n’arrive pas à en parler à ses amis.
ÉTAT DES LIEUX
DES DISCRIMINATIONS A L’ÉCOLE
Les discriminations à l’école : un déni persistant
Un jeune qui s’appelle Yacine trouve un stage dans une entreprise mais lorsqu’un professeur appelle cette entreprise pour
rencontrer le tuteur, l’entreprise met du temps à comprendre et
dit « Ah ! vous vous voulez dire Jasmin », car ils avaient francisé
son prénom.
La question des discriminations reste un tabou à l’école,
car l’école a, a priori, une mission d’égalité. Entrer par les stages
pour aborder la question des discriminations à l’école est
donc stratégique.
La discrimination est souvent reportée sur les familles et les
élèves entre eux (question du racisme et du communautarisme
entre élèves par exemple). L’institution scolaire elle-même est
rarement interrogée, car la discrimination est extrêmement culpabilisante pour les professeurs. Or les discriminations sont souvent inconscientes et involontaires.
Le professeur veut réagir mais cet élève ne souhaite pas que ce
professeur intervienne parce qu’il aimerait que son stage se
passe le mieux possible et qu’il n’y ait pas de problème. Le professeur ne sait pas s’il doit intervenir ou non. Il reconnaît qu’il y
a discrimination, mais il se retrouve ensuite démuni face à cette
situation, qui n’est pas simple.
40
Les enseignants peuvent jouer un rôle dans cette
discrimination systémique
Faire le lien avec les discriminations à l’emploi
Certaines entreprises ne veulent pas prendre des stagiaires d’origine supposée maghrébine etc. Les professeurs eux-mêmes,
avec la liste des entreprises qu’ils ont, savent que certaines parmi
celles présentent dans leurs listes, ne souhaitent pas de personnes d’origine étrangère et donc ne proposent pas ces stages
à des personnes d’origine étrangère. Cela implique des questionnements sur la manière de lutter contre ces phénomènes.
Les professeurs peuvent participer à la discrimination dans
l’orientation. Certains professeurs n’orientent pas les femmes
d’origine maghrébine dans les secteurs du secrétariat ou de l’hôtellerie. En conseil de classe, sont évoquées des personnes qui
auraient le « profil STG » : souvent il s’agit de personnes d’origine
maghrébine ou turque… La phrase « je ne le vois pas faire des études longues » revient
souvent également, or selon quels critères reposent de telles affirmations, si ce n’est le critère ethnico-racial ?
Reconnaître la responsabilité collective en interrogeant ses propres pratiques
Les responsabilités collectives impliquent toute la communauté
enseignante mais aussi tous les parents d’élèves avec lesquels
il faut interroger nos propres pratiques.
De même, il existerait des filières pour les garçons (bâtiment,
mécanique…) et d’autres pour les filles (soins à la personne, secrétariat…).
Les cas de discriminations sont également entendus en Bretagne, donc il s’agit d’une réalité présente sur tout notre territoire, qui n’est pas reléguée à des secteurs urbains ou ruraux.
Pour ne pas se sentir coupable, la faute est rejetée sur l’autre : les professeurs vont dire que ce sont les entreprises qui demandent tel ou tel profil pour leurs postes. À l’inverse, les
entreprises vont dire que ce sont les professeurs qui orientent.
Ainsi, il faut faire des efforts pour travailler sur la notion du genre
mais aussi sur le critère ethnico-racial.
Parfois, la discrimination est justifiée par le fait de vouloir
bien faire pour l’autre. Est cité l’exemple d’une enseignante
dans le primaire qui ne voulait pas avoir d’enfants noirs. Suite à
cela, d’autres enseignants ont déclaré ne pas en vouloir non plus.
On invoque le fait qu’un enfant noir serait maltraité, que l’environnement ne serait donc pas favorable à l’enfant.
n
ÉCHANGES
 Participante, conseillère d’orientation : Cela peut être
vrai qu’un élève, quelque soit son origine, ait des problèmes
vis-à-vis de l’autorité des femmes. Proposer à un élève d’aller
en filière STG n’est pas forcément péjoratif, ça peut être bien
pour l’intérêt de l’enfant. Enfin, une discrimination n’a pas été
évoquée : celle de la carte scolaire. Elle ne concerne donc pas
seulement les étrangers, car on est plus sur l’origine sociale.
Des enseignants démunis face
aux discriminations
Il y a également de la souffrance au niveau du corps enseignant.
Les professeurs peuvent avoir des préjugés comme tout le
monde, et ils ne sont pas à l’abri d’avoir des pratiques discriminantes ou discriminatoires, souvent de manière inconsciente et
involontaire.
 Laurence Ukropina : La carte scolaire peut faire des
dégâts, car elle renforce la ségrégation sociale. La question
de l’origine est évidente par rapport à la question de l’autorité
des femmes. Quant au profil STG, il doit être justifié. Si orienter
un élève vers la voie STG n’est pas justifié, cela est vide de sens
et on se retrouve avec des filières ethnicisés.
Mais il existe un grand manque de formation, d’accompagnement du personnel de l’Éducation Nationale face à la question
des discriminations, du racisme, de l’égalité, de la violence entre
élèves. Les enseignants n’ont quasiment aucune heure de formation sur ces sujets-là. L’analyse de pratiques est quasiment
inexistante.
 Participante, chargée de mission à l’Inspection académique : Dans l’Éducation nationale, il n’y a pas moins de
discriminations qu’ailleurs. On a plus tendance à réagir par ses
émotions. Mais comment gérer cela dans l’établissement ?
Comment vérifier que tel élève a des difficultés ? Comment
prendre en charge collectivement ?
n
PERSPECTIVES PROPOSÉES
En général, il y a une différence de traitement entre les filles et
les garçons. Les sanctions visent davantage les garçons. Comment corriger cela ? Est-ce le plus efficace de sanctionner ? La
situation est compliquée.
Favoriser les espaces de parole,
l’analyse de pratiques
Il serait important de pouvoir favoriser les espaces de parole,
l’analyse de pratiques et créer des temps de régulation avec des
experts, des collègues, et également des élèves et des parents.
 Participant : Il faut peut-être relativiser la question des discriminations à l’école car de façon générale, il y a de la discri-
41
 Participante, chargée de mission Politique de la
Ville : Il existe un lien très fort avec les discriminations liées à
l’emploi. On ne va pas présenter les métiers de la fonction publique dans les quartiers par exemple, par contre les métiers
du bâtiment, oui. Or, la qualité des stages pèse beaucoup dans
le CV.
mination. Par exemple, les élèves dyslexiques sont traités différemment.
 Laurence Ukropina : Ce n’est pas parce que tout le monde
peut connaître des échecs qu’il n’y a pas de discrimination. Il
ne faut pas banaliser l’échec. Je connais une enseignante d’origine maghrébine qui porte cette illégitimité et qui doit toujours
se justifier auprès des autres. Il ne faut pas faire porter
au public la lourdeur de la tâche.
OUTIL :
DVD : « Lutter contre les discriminations et promouvoir l’égalité de traitement à l’école, en stage, dans l’entreprise »
(2008), issu du projet Equal-Talent en Lorraine.
42
ATELIER
Logement
« Logement et discriminations : faut-il questionner le
principe de mixité sociale ? »
n Intervenante : Aude Rabaud, maître de conférences, Université Paris VII – URMIS (Unité de Recherches « Migrations et Société »)
Animation : Pierre Ulliac, directeur général adjoint, Aiguillon Construction
Restitution : Jean-Baptiste Voisin, directeur clientèle, Aiguillon Construction
Participants : Bailleurs sociaux, services de la Ville, de Rennes Métropole, de l’État, élus, associations…
n
son âge, ses revenus, des informations qualitatives sur le logement
recherché…
LE CAS RENNAIS : LA MIXITÉ SOCIALE
COMME OBJECTIF
Pour attribuer un logement, on étudie l’adéquation entre la candidature et le logement recherché, avec pour principe que
tout logement ne convient pas à tout le monde.
Favoriser la mixité sociale par une répartition du logement social
dans les communes est une spécificité de l’agglomération rennaise,
issue d’une forte volonté politique.
Peut-on tout objectiver ?
Si en 1977, 80 % des logements sociaux étaient concentrés dans les
quartiers prioritaires de Rennes, aujourd’hui, il y en a 40 %. Cela montre qu’il y a une évolution vers plus de mixité sociale.
Il n’est pas toujours possible de s’appuyer sur des critères objectifs
pour assurer la mixité sociale ou la paix sociale. C’est parce qu’il y a
une part de subjectivité que peuvent intervenir des discriminations.
Procédures d’attribution de logements sociaux
Lorsque la demande donne lieu à un refus ou à un ajournement
d’attribution, il s’agit toutefois de rester dans les critères objectifs.
Il existe des critères légaux de refus : dépassement du plafond de
ressources quelque soit le logement ; non-possession d’un titre de
séjour régulier … Les bailleurs essaient cependant de garder des
marges de manœuvre.
Toute personne qui souhaite un logement HLM doit déposer un dossier au guichet unique, à la direction de l’habitat social de la Ville de
Rennes.
L’attribution d’un logement social repose sur un certain nombre de
« critères objectifs », donnant un certain nombre de points : les revenus (avec un plafond à ne pas dépasser), si la personne est déjà
locataire, hébergée en structures ou à la rue, si la personne a un emploi, temporaire ou non, l’état de santé… Ce système de points
ne repose pas uniquement sur l’ancienneté de la demande mais tient
également compte des situations sociales.
L’ajournement peut s’expliquer par le souci d’assurer la paix sociale
et la mixité, qu’elle soit générationnelle, économique ou sociale, et
le souci de ne pas concentrer les problématiques sur un même immeuble. Lorsqu’on ajourne sur un logement, cela suppose que la personne retourne dans le « pot commun des demandeurs », dans la
file d’attente.
Les logements sont proposés en fonction des disponibilités et des
critères des candidats. Lorsqu’un logement se libère, un candidat est
proposé au bailleur et la décision collective se fait en commission
d'attribution. En cas d’urgence, la Commission Locale de l’habitat, qui est une instance partenariale (Direction de l’habitat, bailleurs, structures associatives, travailleurs sociaux) décide d’attribuer
un logement ou non.
Concrètement, que signifie être en adéquation avec
le logement recherché ?
Par exemple, dans une cage d’escalier, si on constate la présence de
locataires qui ne supportent pas le bruit (ce qui peut être le cas s’il y
a des personnes âgées, ou des personnes touchées par la maladie,
une personne ayant des problèmes d’alcool), on va être vigilant pour
qu’il n’y ait pas d’enfants qui vivent au-dessus, car on suppose qu’ils
peuvent être bruyants et déranger leurs voisins.
On dispose d’un certain nombre d’éléments sur le candidat : s’il
possède la nationalité française, s’il est ressortissant de l’Union
Européenne ou hors Union Européenne, s’il possède un emploi,
43
n
même temps, son application est toujours compliquée car on est
pris dans toute une série de contradictions.
QUELLE DÉFINITION DE
LA MIXITÉ SOCIALE
POUR LES BAILLEURS SOCIAUX ?
Par exemple, sur la Politique de la Ville : on souhaite désenclaver certains territoires. On a une politique volontariste en fonction de ces
quartiers, on y met plus de moyens financiers. Mais ces territoires
sont ensuite pointés du doigt. On a donc un risque de restigmatiser des territoires. Ce qui provoque une tension : on fait à la fois
du droit commun et du spécifique sur des territoires en particulier.
Il n’existe pas de définition concrète de la mixité sociale.
En 2011, sur Rennes Métropole, 70% des nouveaux locataires vivent
en dessous du seuil de pauvreté. Il peut y avoir un risque de
concentration de ménages bénéficiant de minima sociaux dans certains quartiers. La réflexion impulsée par Rennes Métropoles est de voir comment les bailleurs peuvent accueillir ces
personnes à faibles ressources dans des quartiers où les loyers sont
plus élevés.
L’origine des habitants comme risque
et ressource
L’un des postulats de la mixité repose sur l’idée de dispersion des populations immigrées, car il y aurait un risque de dévalorisation du
parc social. Par une politique de mixité sociale, on va alors pousser
à l’intégration individuelle. En même temps, il existe une tendance
à la sur-sollicitation et à la participation locale des populations immigrées, pour favoriser la compréhension de la « culture
de l’autre », avec l’idée de se rencontrer, d’apprendre à se connaître,
de manger ce que mange l’autre.
Il existe plusieurs catégories de logements sociaux, destinés à des
publics avec des revenus différents. Les PLAI (Prêt Locatif Aidé d’Intégration) sont les moins chers, ensuite on a les loyers dits PLUS
(Prêt Locatif à Usage Social), et les PLS (Prêt Locatif Social) etc. Si on
ne construit que du PLAI sur un territoire donné, on favorise la
concentration de certaines catégories sociales.
On va déclarer que ces quartiers sont « pleins de ressources », de
dynamisme, et de savoir-faire. L’origine est à la fois vue comme un
risque et comme une ressource.
De ce fait, depuis cinq ans à Rennes Métropole, l’objectif du Plan
Local de l’Habitat (PLH) est de favoriser la mixité sociale,
en répartissant les nouvelles constructions comme telles : 25% de
logements sociaux, 25% d’accession sociale, et 50% libre sur l’ensemble des communes.
La France véhicule ce modèle-là : se détacher des origines pour s’intégrer, s’adapter aux normes, aux valeurs… en même temps, on
met en scène les personnes d’origine d’étrangère, dans des traditions
de solidarité, on souhaite des représentants de telles ou telles « communautés » dans des fêtes de quartier… Or cet acharnement peut
avoir un contre-effet.
L’objectif est de redynamiser les quartiers, de répartir la population
pour ne pas avoir des poches de précarité, de donner à des personnes avec des revenus médians, une situation sociale stable et
leur donner envie d’aller dans certains quartiers, et ce dans le but de
favoriser la mixité sociale.
À quelle échelle appliquer la mixité sociale ?
n
Quel est le territoire adapté ? L’agglomération, la commune, l’immeuble, la cage d’escalier ?
LE SOUCI DE MIXITÉ SOCIALE ET
SES INJONCTIONS CONTRADICTOIRES
(Aude Rabaud)
Cette question renvoie à celle de la distance, qu’on ne peut
pas mesurer, car on ne peut pas l’objectiver. Au mieux, on peut recueillir une représentation d’une différence qu’on aurait avec un
groupe. Par exemple, les personnes âgées auraient du mal à gérer
la cohabitation avec des jeunes. La représentation suppose qu’on
anticipe les problèmes et qu’on essaie d’organiser les relations sociales en faisant attention aux « différences » entre les profils de ménages. Le conflit de cohabitation est ainsi anticipé. On a tendance à
ne pas déconstruire ce qui semble être évident. Il faut donc travailler
sur ces représentations et sur la manière dont on les intériorise.
Idée sous-jacente à la mixité sociale : lutter
contre la ségrégation / le communautarisme
Ce flou de la mixité sociale est repris dans les politiques
publiques (Politique de la Ville, politique du logement) : la mixité fait
consensus, c’est un idéal, elle représente toutes les vertus. Pourtant,
elle n’est jamais définie, ou alors elle est définie en creux. La mixité
sociale est en réalité une forme d’euphémisation pour ne pas dire
mixité ethnique. Au fond, il y a l’idée de « démixisation » de certains
quartiers : on est contre les ghettos, contre la logique ségrégative.
La lutte contre le communautarisme est un débat ethnonationaliste, très franco-français et très républicain.
Catégories sociales et stratégie de distinction
La distinction dans l’entre soi est un enjeu de prestige, de
dignité, de reconnaissance sociale. L’idée est de « prendre de
la distance par rapport à celui qui me tire vers le bas car j’ai peur de
la mauvaise réputation ». Cette stratégie de distinction est très intéressante, elle peut avoir lieu entre immeubles, selon leur réputation.
L’injonction à la mixité sociale peut créer la
stigmatisation des territoires
Aude Rabaud évoque une enquête qu’elle a autrefois mené dans un
quartier, où dans les représentations, les « tours » s’opposaient aux
« immeubles de trois étages ». L’ascension sociale était représentée
par l’accès aux immeubles bas. On parlait des « gens des tours »
Il faudrait faire de la mixité pour favoriser la cohésion sociale, pour
un vivre-ensemble harmonieux. Cette rhétorique est très forte, et en
44
comme d’une catégorie à part, on faisait appel aux intervenants sociaux pour parler à ces « gens des tours ». En même temps, les « gens
des tours » étaient invités à intervenir partout, on les incitait à participer à la vile locale. Alors que les habitants des bâtiments bas
n’avaient pas besoin de ça.
de solidarité, s’ils font une demande de rapprochement, peut-être
faut-il parfois les entendre ?
On a toujours besoin d’un tiers par rapport auquel on veut se distinguer, tout en ayant la possibilité d’un entre-soi qui crée d’autres
types de sociabilité, un vrai « vivre ensemble ». Il n’est pas naturel
de vouloir côtoyer les gens qui sont différents de nous. Il est en effet
peu aisé de se brasser, de se mélanger, de découvrir l’autre, d’être
tolérants par rapport aux autres…
Une chargée de mission Politique de la Ville constate que créer des
sociabilités artificielles entre catégories sociales différentes ne fonctionne pas. Mais la question de l’entre-soi dans un système qui ne
permet pas de passerelles est importante, car le cloisonnement reste
problématique. Il faut que cela reste possible de sortir de
l’entre-soi pour éviter de rester dans des logiques de ségrégation.
Ne pas forcer la mixité sociale, mais rendre possible
les passerelles
Selon Aude Rabaud, c’est la mobilité résidentielle qu’il faut
travailler, et non pas la logique de peuplement d'un quartier. Les
regroupements ne sont pas problématiques. Il faut simplement laisser la possibilité de partir si les personnes le veulent via l’accession
au logement privé.
n
RÉACTIONS ET QUESTIONNEMENTS DES
PARTICIPANTS
Le choix de la Ville de Rennes et de Rennes
Métropole d’éviter la concentration de certaines
« communautés »
Accession à la propriété et mixité sociale
Pour accéder à la propriété, les personnes partent souvent à l’extérieur de Rennes. Cela crée des problèmes de mixité, car ceux qui n’ont
pas les moyens d’accéder à la propriété à l’intérieur de Rennes partent en périphérie.
Selon la présidente de la Commission Logement de la Ville de Rennes,
la mixité sociale à Rennes peut être objectivable par les ressources.
Les personnes avec le moins de ressources doivent pouvoir avoir
accès au centre-ville. Dans la résidence de Lucien Rose (81 logements
sociaux ont été construits au sein du quartier aisé de la Duchesse
Anne, près du Thabor), on a pu loger des personnes très démunies
grâce à une politique volontariste.
Quant à l’accession aidée à la propriété, elle s’adresse aux ménages
dont les revenus ne permettent pas, ou difficilement d’acheter un logement dans le privé, d’accéder à la propriété. Il existe un certain
nombre de critères pour pouvoir bénéficier de l’accession aidée à la
propriété : plafond de ressources à ne pas dépasser, réaliser son premier achat immobilier etc. Les familles avec enfants sont favorisées.
Toutefois, certains « groupes ethniques » déterminés expriment la
demande de vouloir vivre au Blosne. Mais comment répondre à leur
demande tout en laissant les autres ménages aller au Blosne également ? Ce qui est important, c’est que toute personne puisse habiter
où elle veut.
C’est une opportunité pour ceux qui peuvent en bénéficier, mais peu
de familles rentrent dans les critères, car il faut être dans la « fourchette plutôt haute » des revenus.
Quelques craintes exprimées face au programme de
rénovation urbaine au Blosne
Une mixité sociale réussie à Rennes ?
Selon la directrice d’études de l’AUDIAR (Agence d’urbanisme et de
développement intercommunal de l’agglomération rennaise), la
mixité peut être définie par une sur-représentation. À Rennes, on
parle de mixité de revenus et de mixité générationnelle. Par rapport
à d’autres agglomérations, il y a une spécificité à Rennes, une sorte
de « mosaïque », où la mixité au sens large est réussie.
Il existe aujourd’hui 53% de logements sociaux au Blosne. L’actuel
programme de rénovation urbaine au Blosne prévoit des logements
neufs sur le quartier, afin d’inciter des ménages plus aisés à s’installer
dans le quartier, favorisant ainsi la mixité sociale. Selon le directeur
d’un équipement de quartier du Blosne, cela risque de provoquer la
concurrence des publics dans la fréquentation des équipements
de quartier, où les tarifs sont déjà très bas. Ce nouveau public, plus
aisé, va avoir des demandes plus importantes, notamment de gardes
d’enfants. Il s’agira d’un public déjà informé, qui possède un certain
capital économique, social et culturel. On risque donc d’avoir un
quartier à deux vitesses.
La mixité sociale vs l’entre-soi
Sociologiquement, la volonté d’être entre-soi s’explique par le fait
que lorsque l’on a été fragilisé, et qu’on parvient ensuite à s’en sortir,
on a besoin de se reconnaître, et d’être fier de son logement. La volonté de se distinguer est forte quand on parvient à avoir plus de
moyens et à accéder à la propriété.
Par ailleurs, la construction des nouveaux logements aura lieu le long
des routes. On va donc rendre encore moins visible la population à faibles ressources, de plus en plus pauvre, et de plus en
plus discriminée. On va finir par dire que le Blosne est un quartier riche.
Seuls les riches ont le choix de leur logement. La ségrégation se fait
par le prix de l’immobilier. Être entre-soi fait augmenter les loyers.
Mais au niveau des quartiers à Rennes, il n’y a pas de tamis social
comme ailleurs. Mais il y a toujours la tension entre « je vous brasse,
ou j’admets une certaine homogénéité ? ». Donc si certaines « communautés » veulent vivre ensemble au Blosne pour des questions
Ainsi, nos pratiques doivent être interrogées. Comment offrir des
services adaptés à toutes les populations, ces catégories sociales qui
habitent le quartier ?
45
ATELIER
Santé
« Prise en charge clinique et qualité des soins : identifier
les pratiques discriminatoires pour agir »
n Intervenante : Marguerite Cognet, maître de conférences, Université Paris VII – URMIS (Unité de Recherches « Migrations
et Société »).
Animation et restitution : Christine Bodin, chargée de mission – Réseau Ville Hôpital 35
Participants : personnel médical (infirmière de l’inspection académique, médecins et infirmiers de CHU), CPAM, doctorants, …
n
Trois formes de discrimination peuvent être distinguées dans l’accès à la santé
PARLER DE « DISCRIMINATION
SYSTÉMIQUE » DANS LE DOMAINE
DE LA SANTÉ
 L’accès juridique : l'accès aux droits à la santé (discrimination légale : Aide Médicale de l’État, réservé aux étrangers en
situation irrégulière et n’entrant pas dans la catégorie CMU).
Nous sommes tous co-producteurs de discriminations, il est
donc nécessaire de prendre le temps de s'arrêter sur ce que l'on
voit et sur ce que l'on vit pour mieux identifier les discriminations. Marguerite Cognet préfère la notion de discrimination
systémique à celle de discrimination car elle permet de sortir
de la notion d’intentionnalité, de la discrimination comme action
concrète, et d'apporter une vision plus large que celle des
"actes". Les discriminations peuvent aussi être liées à des regards, des façons de se comporter, or la définition juridique des
discriminations en France nécessite qu'il y ait un "acte" pour
qu'il y ait une discrimination reconnue.
 L’accès physique : il existe de grandes disparités régionales
en ce qui concerne les services disponibles, dues à la répartition
géographique des professionnels et à l'existence d'inégalités
territoriales de santé
 L’accès équitable dans les soins qui relève plus de la relation patient-médecin, savoir si le patient A est aussi bien traité
par le médecin que le patient B, toute raison clinique contrôlée,
etc. en fonction de ses origines, de son sexe, de qui il est…
Exemples de discriminations dans la prise en
charge clinique
À priori, le monde de la santé n’est pas vu comme un monde discriminant : la santé bénéficie d’un blanc-seing les soignants ne sont perçus comme pouvant être auteurs de
discriminations. En réalité, ces discriminations existent, mais
elles ne sont pas conscientisées. En effet, elles sont souvent inconscientes et involontaires, et elles sont difficiles à prouver. En
réalité, le secteur de la santé n'est pas si différent des autres.
 La surprotection des femmes, qui est un préjudice.
 Les stéréotypes influent la prise en charge, par exemple, en
matière de prévention du SIDA, les Africaines sont mises sous
observation car il y a des idées préconçues qui induisent le fait
que le traitement serait mal suivi.
Par exemple, les premières recherches qui ont porté sur l'accès
aux soins des bénéficiaires de l'Aide Médicale de l’État (AME) et
de la Couverture Mutuelle Universelle (CMU) ont montré que
certains soignants trouvaient des justifications, des arguments
pour expliquer le refus de recevoir certains patients, qui cachaient en réalité des discriminations.
 Dans les hôpitaux, on regroupe des patients de telle et telle origine car ils seraient culturellement incompatibles avec d’autres.
 Une personne (des gens du voyage) s’est faite retirer un rein
(alors qu'on aurait pu lui proposer un traitement au lieu de
cette ablation) car on a supposé qu’elle n’était pas en capacité
de suivre son traitement. Elle a voulu porter plainte contre le
chirurgien, mais l’action était prescrite.
46
 Aucun médecin d’une commune n’a souhaité se déplacer pour
soigner un jeune homme de la communauté des gens du
voyage ayant eu un accident.
De ce fait, il faut améliorer l’information, la lisibilité auprès des
victimes potentielles, et des accompagnants. Les personnes
n’ont d’ailleurs pas forcément besoin de réparations financières
mais d’une juste reconnaissance du préjudice subi.
Réseau ville Hôpital 35 assure la prise en charge médicale
des primo-arrivants. Le public est constitué à 90% de primo-arrivants et de demandeurs d’asile. Au centre Louis Guilloux, les
consultations peuvent avoir lieu en présence d’interprètes.
Harmoniser les pratiques professionnelles
Il s’agit également de travailler à une harmonisation des pratiques professionnelles en termes d’accueil et d’instruction.
On constate une grande méconnaissance du système de soins
français et de son organisation qui génèrent des conséquences
néfastes comme par exemple, le non-respect des rendez-vous.
Il faut aussi envisager de mettre en place des modules dans la
formation initiale des professionnels de santé pour que
cette question de la discrimination soit étudiée par les futurs professionnels. Le mouvement s’amorce mais très lentement. Le domaine du travail social est plus avancé que le domaine de la
santé.
On constate également que la barrière de la langue et le fait
d'avoir une couverture médicale totale demeurent des freins qui
expliquent encore le refus de certains médecins de recevoir des
patients.
Exemples de discriminations dans l’accès juridique (au niveau des dispositifs légaux)
Être vigilant par rapport aux dérives culturalistes
Des médecins sont parfois victimes de tensions, voire d'agressions physiques et verbales car certaines populations ne
connaissent pas leur façon de travailler et de fonctionner. La méconnaissance et l'incompréhension réciproques des particularités et des contraintes de chacune des deux parties est facteur
de discriminations et de peurs mutuelles. Il faut une co-éducation
pour comprendre pourquoi les médecins et les populations n'arrivent pas à s'entendre.
On a également constaté que les politiques migratoires actuelles
et la fermeture des frontières qui en découle avaient un effet discriminant sur le public étranger, notamment en terme d’accès
aux droits de santé, comme l’accès à l’Aide Médicale de l’État.
La dernière réforme a accentué la discrimination. Depuis un an,
L’AME est une couverture maladie payante. On demande un
droit d’entrée de 30 €.
Il faut cependant veiller à éviter le risque de culturalisation dans la prise en charge des patients. Les années
post-coloniales ont laissé des traces et le risque est de tout transformer en termes de culture. Il faut revenir vers la relation humaine et éviter de mettre la culture là où elle n’a pas sa place.
Selon un participant, il peut y avoir de la discrimination dans les
procédures pour obtenir la carte vitale ou la CMU. La question
de la photo sur la carte vitale ou la CMU peut poser problème
pour des personnes en psychiatrie. Déclarer un médecin traitant
peut être complexe pour des personnes en errance. Les discriminations sociales sont donc de plus en plus marquées.
Exemples de bonnes pratiques
La CPAM d’Ille-et-Vilaine est en train de travailler actuellement à la lutte contre les refus de soins en faisant de l’information auprès des professionnels, en essayant de mettre en place
des outils pour permettre d’améliorer cette prise en charge et
de remédier à ce problème de refus de soins.
n
QUELS MÉCANISMES PEUT-ON METTRE
EN PLACE POUR ÊTRE PLUS OBJECTIF
DANS LES PRATIQUES CLINIQUES,
DANS LA RELATION SOIGNANTSOIGNÉ ?
Une charte a été mise en place auprès des dentistes
leur rappelant leurs droits et leurs devoirs par rapport aux personnes bénéficiaires de la CMU et de la CMU-C (Couverture Médicale Universelle complémentaire).
Mettre en place une meilleure communication
Il convient de travailler sur une meilleure communication,
une meilleure information auprès du public, en envoyant des
messages plus simples pour que les gens comprennent bien le
système de soins français. Par exemple, améliorer l’information
dans le GIP Gens du Voyage, par des actions d’accompagnement vers le soin, des actions de prévention.
Une des difficultés à travailler sur ce volet est que les personnes
victimes de discriminations du fait de leur CMU ne portent pas
plainte. À la CPAM, un travail est mené pour mettre en place des
imprimés afin que les gens puissent faire plus facilement des signalements en cas de discrimination réelle et faire les remonter.
Il faut en effet faire un effort de lisibilité des mécanismes de recours possibles.
Aujourd’hui, les mécanismes de recours sont peu visibles, peu
opérationnels, et loin du terrain. Les personnes discriminées ne
vont pas forcément vers la HALDE.
La CNAM fait un travail de guide pour les personnes
qui instruisent les dossiers. La politique du chiffre, c’est-à-
47
dire l’avancement de carrière en fonction du nombre de dossiers
traités, génère des effets pervers dans le traitement des dossiers,
et notamment des discriminations. Il y a des différences de traitement d’une CPAM à l’autre de la CMU. Un travail d'analyse
des pratiques professionnelles des personnels des CPAM serait
intéressant car il permettrait d'identifier les interprétations différentes d'un même dossier et de limiter les inégalités de traitement, en instaurant une pratique commune.
Définitions :
Aide Médicale de l’État (AME) : Elle permet l’accès aux soins des personnes étrangères résidant en France, de
manière irrégulière (absence de titre de séjour ou de récépissé de demande), depuis une durée ininterrompue de trois mois minimum et ayant sur le territoire français leur foyer ou leur lieu de séjour principal.
À titre exceptionnel, l’AME peut être accordée à des personnes de passage sur le territoire français dont l’état de santé le justifie
(maladie ou accident survenu de manière inopinée), sur décision individuelle du ministre chargé de l’action sociale.
Couverture Mutuelle Universelle (CMU) : Elle permet l’accès à l’Assurance Maladie pour toute personne
de nationalité française ou étrangère, résidant en France depuis plus de trois mois de manière stable et régulière, avec ou sans
domicile fixe et qui n’est pas déjà couvert par un régime de Sécurité sociale. Elle est gratuite pour les assurés ayant un revenu
inférieur à un plafond déterminé, les autres devant s’acquitter d’une cotisation de 8 % de la part de leurs revenus fiscaux supérieure à ce plafond qui est de 9 164 euros depuis le 1er octobre 2011
Couverture Mutuelle Universelle complémentaire (CMU-C) : C’est une complémentaire santé
gratuite qui prend en charge ce qui n'est pas couvert par les régimes d'assurance maladie obligatoire. Elle est accordée pour
un an sous condition de ressources. Au 1er juillet 2011, le plafond annuel de ressources pour bénéficier de la CMU-C est fixé à
7 776 euros par an (soit 648 euros par mois) pour une personne seule en métropole.
48
ATELIER
Travail Social
« Travail social et discriminations : comment assurer
l’égalité de traitement dans la prise en charge du public ? »
n Intervenante : Niky Béquet, formatrice, ISCRA (Institut social et coopératif de Recherche appliquée)
Animation et restitution : Patrice Preter, directeur du centre social Carrefour 18
Participants : Centres sociaux, associations, Ville de Rennes (DPAP), formatrice IRTS, Conseil Général 35, ASFAD, étudiants…
Quel lien entre les représentations et les prises de
décision ?
n
RETOUR SUR LA DÉFINITION DE LA
DISCRIMINATION
L'objectif de l'atelier est de s'interroger sur nos pratiques, c’està-dire, comment chacun de nous raisonne et quelle est l'attitude
prise dans le travail : quand avons-nous recours à ces catégories ? Quand est-ce que les catégories interviennent dans les
prises de décision ?
Discriminateur – discriminé :
une relation dissymétrique
Exemple de catégorisation : la politique des
« grands frères »
Rappel des 18 critères prohibés : origine, appartenance réelle ou
supposée à une ethnie, appartenance réelle ou supposée à une
nation, appartenance réelle ou supposée à une race, âge, genre,
orientation sexuelle, situation de handicap, état de santé, état
de grossesse, convictions religieuses, opinions politiques, activités syndicales, mœurs, apparence physique, patronyme, situation de famille, caractéristiques génétiques.
La politique des « grands frères » menée dans les années 80-90
dans certains quartiers qui « posaient problème » est un exemple
du processus d'altérisation. Il s'agissait de faire appel à des
animateurs issus eux-mêmes de ces quartiers, c'est-à-dire des
animateurs ayant des origines sociales et ethniques similaires
aux jeunes des quartiers, pour pouvoir avoir accès à ces jeunes.
C'est le processus d'altérisation selon lequel, l'autre est trop différent et considéré comme inaccessible, et « les grands frères »
sont alors utilisés comme un intermédiaire.
Ce sont les critères à travers lesquels on ne doit pas refuser l'accès à des biens et services.
Le discriminateur c'est toujours celui qui a la position haute par
rapport à la personne qui est discriminée, il est en position de
pouvoir prendre des décisions.
Retour sur la notion de « victimisation »
Les discriminations sont liées aux représentations
Niky Béquet n'est pas d'accord avec les propos tenus dans la
matinée, selon lesquels les discriminations subies augmentent
le sentiment de « victime ». Les personnes discriminées sont réellement des victimes.
Les critères prohibés sont rattachés à des catégories. Le problème de la « catégorisation », c’est qu’on classe des personnes dans des catégories en fonction de représentations, et
en leur attribuant des caractéristiques propres, pouvant amener
une stigmatisation.
Des chercheurs affirment que si les catégories discriminées
connaissent l’existence des discriminations, elles risquent de rentrer dans un processus de « victimisation ». Dans ce cas, faut-il
pointer du doigt les difficultés pour que les personnes qui en sont
victimes ne soient pas considérées comme des victimes ? Autrement dit, faut-il ne pas leur dire qu’elles sont discriminées pour
les protéger ?
n
S’INTERROGER SUR SES PROPRES
PRATIQUES DANS LE TRAVAIL SOCIAL
49
Mais si on ne parle pas de discriminations, les victimes considèrent que le problème relève d’elles (en tant que jeune, femme,
noir etc.), et donc le risque est que les personnes ignorent
qu’elles sont victimes.
condition qu'elle soit temporaire et qu'elle puisse permettre à
ses bénéficiaires de rattraper le niveau.
Les acteurs sociaux peuvent rencontrer des problèmes vis-à-vis
des financements basés sur la territorialisation, qui contraignent
leurs pratiques professionnelles en rendant difficiles des projets
ou actions ouverts à tout public.
L'important est de retourner les rôles : le délinquant n'est pas
celui qui est Noir, étranger, jeune etc., mais c'est celui qui
discrimine !
Discriminations et hiérarchisation
Discrimination vs Intégration
Le principe de la hiérarchisation dans les processus discriminatoires implique que l'individu considère qu'il existe différents niveaux de cultures, de langues etc… et place une langue,
une culture au-dessus des autres, en dévalorisant les autres. La
hiérarchisation implique que parler français, anglais, ou allemand serait un plus, alors que parler arabe, turc, kabyle serait
plutôt vu comme quelque chose de dévalorisant, ou comme desservant la personne.
Jusque dans les années 90, on ne parlait pas de discriminations.
On était dans un autre mode de pensée : les vertus intégratrices de la nation. Une fiction de l’égalité républicaine
était inventée. Parallèlement, on distinguait des « populations à
problèmes ». La France se plaçait comme une nation qui avait
les bonnes valeurs. Ce n'était donc pas la faute de l'État, mais
celle des populations qui n'auraient pas fait assez d'efforts. Il y
avait ainsi une forte incapacité de l'État à se remettre en cause.
Il faut donc se poser la question des processus de hiérarchisation dans nos pratiques. Par exemple, en Algérie, la population post-coloniale relève d’une hiérarchisation historique.
Le rapport avec la population d’origine algérienne est différent
qu’avec les autres immigrés. Cela vient de l’historique des rapports de domination. Le zonage relève de la manière dont on a
accueilli ces personnes, par la gestion ethnicisée de l’accès au
logement. Aujourd’hui, on a une sorte d’ethnicisation de la gestion de la rénovation urbaine, où la mixité sociale correspond en
fait à une « mixité ethnique ».
On a alors crée différentes politiques d'insertion : pour les handicapés, pour les jeunes... Le chômage n’était pas expliqué par
le fait que conjoncturellement, il y avait moins de travail et que
les personnes qui étaient employées en priorité étaient les personnes les plus favorisées, mais parce qu’il y avait des « catégories à problèmes » (l’handicapé, le jeune…).
Même après ce qui aura été appelé plus tard "la Marche des
Beurs" (la marche pour l'égalité et contre le racisme) de 1983,
l'État, au lieu de regarder quelles étaient les failles du système
d'accès à l'emploi, a mis en place des politiques d'intégration.
De cette manière, la faute était rejetée sur le public et non sur
les failles de la société. Tous ceux qui n’étaient pas dans la fiction
républicaine devenaient des « catégories à problèmes ».
D’ailleurs, le fait que ce rassemblement ait été renommé
« Marche des Beurs » montre bien cette tendance à faire porter
le problème par le public.
Ces mécanismes existent aussi dans le rapport à la religion, qui
est lui aussi à déconstruire historiquement.
Discriminations et repli sur soi
La catégorie stigmatisée est socialement valorisée à l’intérieur
des communautés. En l'occurrence pour des personnes étrangères qui se sentiraient rejetées par la société française, le repli
se fait vers les personnes de sa communauté ou bien de sa religion, c'est-à-dire des personnes avec lesquelles elles partagent
des appartenances socialement dévalorisées.
n
ÉCHANGES AVEC LES PARTICIPANTS
Géographie prioritaire et dispositifs spécifiques à
des territoires
Discriminations et catégorisation
Si on mène un projet avec une population particulière (ex : les
femmes turques), est-ce de la discrimination ? Car ça crée de l’exclusion (des autres), des tensions.
Exemple de la superposition pour un quartier de l'appellation :
ZEP (Zone d’éducation prioritaire), CUCS (Contrat urbain de cohésion sociale)… qui peut apporter une image dévalorisante
pour les personnes qui y habitent : « si on attribue ces dispositifs
à mon quartier c'est forcément que je suis pauvre et que j'ai besoin d'assistance ».
La catégorisation est une construction sociale, au quotidien, elle
revient régulièrement. Aujourd'hui de nombreux dispositifs sont
proposés en direction des catégories. On peut donc se demander si les politiques ne seraient pas elles aussi discriminantes à
leur manière, en ne s'adressant qu'à des publics cibles (Politique
de la Ville, politique envers les jeunes, les chômeurs, géographie
prioritaire…) ? Donc, comment renverser ce problème dans la
mise en œuvre ? On manque d’outils pour arriver à traiter différemment ces catégories.
Retour sur la question de la victimisation : faut-il nommer
ou ne pas nommer les différences ? En les nommant on conforte
les individus dans cette position, en ne les nommant pas il est
difficile d'agir avec la discrimination positive pour « relever le niveau ». Une politique de discrimination positive peut être utile à
50
Niky Béquet précise toutefois que le fait de travailler dans un
premier temps avec un groupe fermé, en restant dans l'entresoi, peut favoriser la libération de la parole à condition que ces
groupes soient ouverts par la suite.
Sur ce thème de la question des genres, un contre-exemple a été
donné : l'exemple d'un groupe de femmes qui s'est réuni pour
discuter ensemble des problématiques dont elles sont victimes,
ce qui leur a permis de se sentir plus écoutées, et de pouvoir s'exprimer. Une deuxième étape est celle du partage et de l'intégration d'autres personnes, de l'autre genre dans les débats. Les
groupes qui subissent un rapport de domination ont besoin,
dans un premier temps de se retrouver entre eux pour partager
l'expérience vécue, mais ensuite il faut arriver à aller au-delà, et
c’est ce qui est difficile pour les professionnels.
Question de la temporalité : difficultés urgentes,
mais solutions de long terme
Quelle réponse donner après avoir nommé une expérience discriminatoire ?
 Accompagnement des victimes : il faut une écoute pour permettre à la parole de se libérer. Les travailleurs sociaux doivent
être formés.
Exemple d’expérience au Blanc-Mesnil
Il y a d’abord eu une formation du personnel, puis des réunions
publiques, avec toute la population représentée. Une association
s’est créée, le CILDA (Centre d’information, de lutte et d’action
contre les discriminations). Les citoyens se sont engagés pour
l’ouverture de la parole, à l’aide d’outils : théâtre forum, permanences juridiques, etc.
 Traitement juridique : pour permettre l’objectivation des problèmes
Les réponses institutionnelles et juridiques sont très lentes et
s'accordent mal avec le sentiment vécu de la discrimination, le
sentiment d'avoir été dévalorisé.
Quelles perspectives ?
Dans certains cas, le simple fait pour une personne de nommer
la discrimination, d'en avoir parlé et d'avoir vu que légalement
ce n'était pas normal, suffit à la « sauver » car elle est remise
dans la dignité. Elle ne ressent alors plus autant le besoin d'avoir
recours à la justice.
La lutte contre les discriminations implique une attitude active : elle demande de s’arrêter, d’analyser, de poser
les questions, de chercher des outils, de se former, pour arriver
à changer de paradigme.
Sur ces thématiques de lutte contre les discriminations, il serait
intéressant de créer un collectif de professionnels du
travail social dans une démarche commune et concertée sur le territoire, et se réunir régulièrement pour trouver
des solutions ensemble, et être accompagnés dans ce processus.
Il est important de parler de ce qui se passe au quotidien, pour
capitaliser les expériences, déconstruire ensemble les pratiques,
et mettre en place des outils communs.
Comment agir face à la discrimination légale ?
Par exemple, les gens du voyage sont victimes de discriminations. Il y a des différences notables en ce qui concerne l’accès
aux droits dans les communes, le droit de vote, et il existe également le manque de connaissance de leurs droits : ils n’ont pas
accès aux différents recours juridiques lorsqu’ils sont victimes
de discrimination. Par exemple, le carnet de circulation est aujourd’hui illégal. Et pourtant il serait encore demandé lors de certains contrôles d'identité, ce qui renforce le sentiment d'être
considéré comme une catégorie à part.
Mais il faut d’abord se rendre compte des catégories qu’on utilise
en changeant de lunettes sociales.
Dans leurs pratiques, de nombreux animateurs et responsables
de structures sociales et culturelles sont face à des questionnements par rapport à l'égalité de genre, en ce qui concerne la
fréquentation de leurs équipements.
OUTIL
« Je, tu, ils discriminent », film réalisé en 2009
à l’initiative du CILDA, collectif d'information, et
lutte et d'action contre les discriminations, crée en
mars 2007, à la Maison des Tilleuls de la ville de
Blanc-Mesnil.
Par exemple lorsque dans un équipement, on a constaté que peu
de filles, de femmes fréquentaient la structure, des activités
« connotées » féminines ont été organisées, comme des ateliers
de cuisine. Dans ce cas, est-ce de la discrimination ? Le questionnement des professionnels repose sur le fait d'utiliser une pratique qu'ils ont eux-mêmes intégrée comme « genrée » (atelier
cuisine, couture) pour attirer les femmes. Avec cette logique, mécaniquement, le genre masculin est exclu de l'activité proposée.
Le problème n’est alors pas le choix de l’activité, mais sa représentation en tant qu’activité connotée féminine.
51
Échanges avec le public
après la restitution des ateliers
 Erwann le Hô - Il y a beaucoup de choses qui résonnent de
manière très saillante entre vos différents travaux, j’en ai listé
quelques-unes, que je vais vous citer. Puis on passera à un
temps d'échanges avec le public. Il y a certainement des compléments à apporter, des questions qui vont encore se poser.
 Jean-Baptiste Voisin – Je ne suis pas un spécialiste du
monde bancaire, de l'accession à la propriété. Pourtant, je vous
rejoins sur le fait que c'est tout à fait discriminant et que le
principe même de l'assurance fait que cette mutualisation ne
devrait pas conduire à ce que des personnes aient des primes
d'assurance plus importantes que d'autres.
Une chose qui est ressortie en commun c'est la notion de culture, d'a priori, le fait de pouvoir parler de culture, qui déterminerait des comportements individuels, qui justifierait des
comportements individuels. Il faut faire l'effort, je pense, de reconnaître que nous portons tous finalement des a priori, des
ignorances, que nous avons été socialisés. Et finalement, nous
sommes tous amenés un jour à avoir des pratiques
discriminatoires.
Ce qui est certain c'est que, dans le domaine du logement social que je maîtrise mieux, on a une liste de
documents interdits et une liste de documents autorisés pour le dossier de constitution initiale pour accéder à
un logement social. Je ne réponds pas à votre question mais
je n'ai pas la réponse.
 Participante - J'interviens tout de suite parce que je voudrais,
moi aussi, intervenir sur le logement. Je crois qu'il y a quand
même un certain nombre de choses qui vont laisser perplexe.
D'une part, à aucun moment, il n'a été évoqué le fait que la situation est quand même aggravée par la pénurie de logements. Il y a effectivement, y compris sur une ville comme
Rennes - je n'ai pas les chiffres en tête mais ici, beaucoup de
gens doivent les avoir - un nombre de demandes de logement non satisfaites extrêmement important et
pas seulement pour des demandeurs d'asile, ou des
gens sans papiers.
L’idée principale, c’est il faut en parler, il faut en parler parce
que c'est un enjeu fort du vivre-ensemble, c'est un enjeu fort
dans l'immeuble, dans l'école, dans l'entreprise, dans le quartier, dans la ville, en tout cas c'est un enjeu fort. Pourquoi ?
Parce qu'il y a souffrance et quand il y a souffrance, il faut éviter le tabou, il faut de toute façon en parler.
Vous avez toutes et tous travaillé sur les perspectives, apporté
les solutions éventuelles. Ce qui se dégage, c'est travailler
des pratiques communes entre professionnels, améliorer les pratiques communes, développer, parler, s'outiller,
avoir des choses en commun pour mieux combattre les discriminations. On retombe sur la pertinence de ce Forum
puisqu'on est bien là pour ça, aujourd'hui.
C’est quand même une première donnée qui fait que la discrimination est forcément plus facile à partir du moment où on
est sur un bien rare. C’est Gwenaëlle Calvez, juriste, qui insiste
beaucoup sur le fait que la discrimination s'applique, quand
même d'abord, sur un bien rare et le logement est ô combien
un bien rare y compris dans la ville de Rennes, et je ne parle
pas évidemment de Paris ou de la région Île de France.
Alors, on va avoir une petite demi-heure pour en parler, débattre, continuer, peut-être rebondir sur ce qui a été dit. Donc,
c'est le même jeu que ce matin, si vous avez une question, une
remarque, n'hésitez pas, levez la main – j’en vois déjà – et on
vous donnera la parole.
Deuxième chose, sur la question des quartiers. Quand on
dit qu'il n'y a pas sur Rennes de quartiers discriminants - bon
ce n'est pas Sevran ou le Val Fourré - mais, pour occuper mes
loisirs dans le Blosne, bien que je n'y habite plus, sur la place
du Landrel, quand on la traverse, on a quand même le
sentiment de visu, que le logement social est quand
même très largement coloré. Ce qui est vrai sur le
Blosne et surtout sur certains secteurs du Blosne,
s'accompagne évidemment d'une réalité sociale,
aussi de précarité, de chômage, etc. qui est extrêmement importante. Si mes souvenirs sont bons mais je
pense que mes chiffres sont peut-être un peu anciens mainte-
 Participant - Moi, j'avais plutôt une question sur le logement.
Vous parliez de logement en tant que locataire, de l'acquisition
en tant que locataire. Mais en tant que propriétaire, il y a une
question qui me vient à l’esprit. Les banques à qui on emprunte si on n'a pas gagné au loto, ont-elles le droit
de demander par questionnaire notre taille, notre
poids, si on est fumeur, etc. ? Moi, je trouve ce procédé
assez discriminatoire par rapport à l'individu.
52
nant, la population sur le quartier du Blosne est étrangère à
10% ce qui correspond quand même à huit fois, à peu près, le
taux de population étrangère sur l'ensemble de la ville ou de
l'agglomération. Donc c'est quand même quelque chose qui
est extrêmement important.
lez, c'est la vente HLM. C'est acheter son propre logement.
 Participante - Oui, il y a eu de la vente de logements HLM
sur Rennes. Il y en a eu à Thorigné. Je connais quelqu'un qui a
acheté son logement. Il y en a eu sur le Blosne, il y a au moins
un nombre d'années respectables, je reconnais.
La répartition du logement social est bien équilibrée, semblet-il. Effectivement il y a une volonté que je ne mets pas du tout
en cause et que je ne nie pas, de construire du logement social
dans d'autres quartiers et c'est une bonne chose. Mais tant
que le logement social aura des loyers qui tiennent essentiellement compte de l'âge dudit logement social puisque les plus
anciens sont les moins chers, les plus mal construits aussi, les
moins agréables et dont la rénovation est davantage un coup
de peinture extérieure que l'isolation phonique, on aura
forcément un phénomène de discrimination sociale
puisqu’ on attribue les logements en fonction des revenus des
familles. Donc, si le logement n'est pas cher, le revenu de la
famille est encore plus pris en compte.
D’autre part, cette accession sociale à la propriété pose le problème aussi - on l'a vu dans d'autres secteurs et encore une
fois, pas sur Rennes - de la paupérisation des copropriétés qui entraîne effectivement tout un ensemble de non-paiement des charges qui deviennent trop lourdes pour entretenir
les locaux.
Je voulais vous indiquer une dernière chose. Une famille française, originaire de La Réunion avec cinq enfants vient s'installer à Rennes, demande un logement en urgence et reçoit
une réponse lui disant qu'elle ne correspond pas aux critères
de l'urgence. Le courrier continue avec la phrase « nous vous
conseillons donc de rentrer à la Réunion ». Eh bien, je me demande si on aurait pu m'apporter un courrier disant à
quelqu'un : « on vous conseille de retourner à Marseille ».
La discrimination naît aussi du mode même de fonctionnement de notre système de logement social. Il
y a très longtemps, j'ai proposé une idée qui ne plaît pas du
tout, sauf à moi, c'est que la totalité des logements sociaux
ait le même loyer et qu'ensuite ce soit l’allocation logement,
l'aide personnalisée au logement qui compensent les uns et
les autres. Manifestement, je n'ai pas fait l'unanimité sur la
question chaque fois que j'en ai parlé.
 Erwann Le Hô - Juste avant de vous laisser la parole, je rappelle également à nos chercheurs sociologues qui ont coanimé les ateliers qu’ils peuvent aussi apporter leur
complément, notamment Madame Béquet, si vous voulez intervenir un moment, je vous en prie.
Je crois que tant qu'on ne se pose pas les questions aussi de
cette façon-là, on ne pose pas bien la question de la mixité sociale. La mixité sociale, elle est sociale, elle est économique et
elle est évidemment ethnico-raciale, si l'on veut.
 Jean-Baptiste Voisin – Je comptais bien solliciter Aude Rabaud qui a co-animé l'atelier pour répondre sur certains points,
je pense qu'elle aura quelques éléments. Vous venez de soulever à peu près tous les sujets qui touchent au logement et au
logement social en France, aujourd'hui. Donc, je ne vais pas
répondre sur tous les points.
Je rappelle aussi et là, je ferai référence cette fois-ci à Pinçon
et Pinçon-Charlot (sociologues) que le premier communautarisme, c'est le communautarisme des riches, on reste entre soi.
Sur l'agglomération rennaise, il y a quand même une ville où
est en train de se construire un quartier entièrement clos, avec
tous les processus de sécurisation, chers évidemment, réservés aux plus riches, les autres n'ayant pas les moyens de se
les payer car sinon, ils seraient sans doute d'accord aussi pour
les avoir.
Sur le manque de logements sociaux, tout à l'heure MarieAnne Chapdelaine pourra en dire quelques mots. Je pense
qu'effectivement, l'agglomération rennaise fait partie des agglomérations françaises qui sont les plus volontaristes en matière de construction de logements sociaux, tout le monde le
sait, c'est un modèle qui est envié par certains. Il y a 1 125 logements sociaux qui sortent chaque année de terre. Il faut voir
aussi une chose, c'est que par rapport à d'autres métropoles
françaises, on est sur un taux de rotation qui est de l'ordre de 10% qui permet aussi d'avoir une offre de logements conséquente par rapport à des territoires
beaucoup plus tendus, comme Paris ou Marseille où on
est sur 4-5% de taux de rotation.
Donc, quelle échelle pour évaluer ces politiques ?
Je vois effectivement dans l'accession sociale à la propriété,
un très petit moyen de modifier, pourquoi ? Parce que dans
l'accession sociale à la propriété, les logements sociaux sont
proposés prioritairement aux personnes qui les occupent déjà,
donc en définitive, il n'y a pas de véritable mobilité avec, il y a
une prime pour les occupants quand on achète un logement
social…
Sur les quartiers non discriminants, à l'échelle de notre réflexion, et je reste dans le cadre de ce que nous nous sommes
dit, je ne vais pas extrapoler, justement quand on se compare
à d'autres métropoles françaises, on ne peut pas dire que
Rennes ait des quartiers dans lesquels il y ait des
problématiques telles que certaines personnes ne
 Jean-Baptiste Voisin – Non pas tout à fait. Excusez-moi, je
réponds à votre dernière question, il n'y a pas sur Rennes
et Rennes Métropole de vente HLM. Ce dont vous par-
53
veuillent pas y aller. Après, on ne nie pas le fait qu'il y a
des concentrations qui se sont faites avec de l'habitat social
massif, on pense notamment aux quartiers comme Maurepas
ou éventuellement comme le Blosne. Mais le travail mené depuis trente ans fait ces quartiers se sont totalement
désenclavés et que la proportion de logements sociaux dans ces quartiers a été divisée par deux. Ce
qui veut bien dire qu'il y a eu un travail qui s'est fait sur les statuts d'occupation et sur la mixité.
c’est qu'il y a la filière de droit commun dont on parlait. À
Rennes, il y a un système d'attribution et des systèmes de pondération et d'équité c'est-à-dire que les gens qui ont le plus
d’ancienneté ont des systèmes de points liés à leur situation,
leur situation sociale, de non-logement, d'hébergement en
structure sociale, etc. Ce qui veut dire qu’ils vont aller plus vite
que les autres, mais tout le monde est sur la même ligne de
départ. Il existe un système d'équité qui a été reconnu par la
HALDE, je crois, sur son rapport de l'année.
Pour vous répondre sur les loyers, je vous rejoins sur le fait
qu'il y a une forme de discrimination quant à l'ancienneté du patrimoine. Donc, au niveau du loyer, les bailleurs sont engagés mais c'est un projet national, dans un
projet de conventionnement global qui vise à redistribuer les
loyers et à faire en sorte que sur des quartiers de centre-ville
avec des immeubles plus récents, des loyers plus accessibles
soient proposés aux candidats de façon à recréer de la mixité.
Effectivement, aujourd'hui, on est un petit peu piégé par le système, et des personnes à ressources faibles vont dans des
quartiers où les immeubles sont les moins chers. Il y a donc
une forme de concentration. Là-dessus je vous rejoins.
Par ailleurs, il y a la filière dite prioritaire où, en fait, les situations seront envoyées à la commission locale de l'habitat
avec une évaluation sociale du travailleur social, donc elles sont
toutes regardées. Pour un ordre d’idée, l'année dernière on a
eu 1 650 demandes. Sur ces 1 650 demandes, à peu près 75 à
80% ont été reconnues prioritaires. Toutes ces personnes ont
été relogées.
Pour les personnes qui ne sont pas reconnues prioritaires, le principe est que les bases de prix et de
priorité dépendent des critères très précis de la loi
DALO, ajoutés à des critères un petit peu supérieurs du
PDALPD, donc des critères de ressources, des critères de situation, c'est-à-dire quelqu'un sans logement, quelqu'un dans un
logement décent…
 Alexandre Simon (Service Habitat, Rennes Métropole) - Sur les logements actuels, certes de fait, les logements
anciens sont globalement moins chers mais actuellement les
livraisons de logements sociaux actuels sont financées en PLAI
(Prêt Locatif Aidé d’Intégration), c'est-à-dire qu'on a des niveaux de loyer qui sont à peu près équivalents aux niveaux de
loyers anciens. On peut retrouver sur des communes de la Métropole, les 37 communes, des logements actuellement neufs
avec des coûts de loyer équivalant approximativement à des
loyers les plus anciens du parc rennais. Mais de fait, il y a quand
même pas mal d'années à rattraper donc il y a des quartiers
d'habitation où, des loyers peu chers sont sur-représentés.
Pour les personnes qui viennent des départements extérieurs,
l'idée c’est qu'on ne leur dit pas de retourner d’où elles viennent, le courrier type c'est de dire « vous n'êtes pas prioritaires
sur Rennes ». En cas de situation d'urgence, vous êtes prioritaires sur le secteur d'où vous venez, c'est-à-dire qu’on ne gère
pas les priorités des départements limitrophes. On gère les
priorités du secteur ici.
Sur le département, je voudrais préciser qu'au niveau de la loi
DALO, l'année dernière on a eu cinq situations reconnues
prioritaires au niveau DALO sur le département. Sur le département de la Loire-Atlantique, sur le département limitrophe
on est 180 par mois.
 Jean-Baptiste Voisin – Je te remercie pour cette précision.
Effectivement, le modèle français du logement social est basé
sur un accueil universel des publics, on l'a dit pendant l'atelier.
70% de la population française peut accéder à un logement
social par ses revenus. La discrimination, enfin en tout cas, la
mixité sociale se fait par rapport au mode de financement. Alexandre parlait de PLAI, il y a aussi des « logements plus » qui sont dits logements sociaux classiques puis
des logements intermédiaires, et je pense que la mixité
vient aussi de la construction de logements qui
appartiennent à chacune de ces catégories.
 Marie-Anne Chapdelaine - L'intérêt de pouvoir construire
y compris du logement social en centre-ville, c'était de permettre aux personnes d'aller soit sur le Blosne, soit
sur Villejean ou peu importe, mais aussi d'aller en
centre-ville. Et là, était pointé du doigt dans l’atelier, le fait
de la différence de loyer. Sous l'égide de Rennes Métropole
avec les bailleurs, les PLAI, les PLUS, les PLS ont été élaborés.
C'est vrai que cela tarde à se mettre en œuvre pour une ville
attractive comme Rennes. Il y a 5 000 personnes - je parle sous
le contrôle du service habitat social - de demandeurs en attente, non 6 700. Après, je crois que sur les 6 700, il y en a certains qui vont attendre très longtemps parce qu'ils ne vont
vouloir que le centre-ville et peut-être que la résidence Lucien
Rose ou peut-être que Maurepas ou peut-être que le Blosne…
mais ça veut dire quand même qu'on a une forte demande et
en même temps, les aides à la pierre ont baissé.
Sur la famille de La Réunion, je pense qu'effectivement on
ne peut pas écrire ce genre de chose, on est tous d'accord làdessus ?
 Alexandre Simon - J'y répondrai puisque ça concerne ma
partie. Je m'occupe du logement social prioritaire sur Rennes
Métropole. Clairement, ça me surprendrait d’avoir un courrier
où on dit à des gens de « rentrer à la Réunion ». Ce qui se passe,
54
On a un État qui s'est totalement désengagé et
quand on vous parle des dispositifs qu'on met en œuvre pour
essayer d'offrir du logement, c'est uniquement parce que
Rennes Métropole est volontariste. Je veux dire que rien
n'oblige Rennes Métropole à y aller et on y va parce qu'on est
encore en train de pallier un désengagement de l'État,
donc ça veut dire que ce qu'on met là, on ne va pas le mettre
ailleurs.
porte ouverte à tout un ensemble de discriminations.
Puis cette fameuse mixité sociale qui permettrait de discriminer à bon compte parce que comme il faut atteindre cet
objectif-là…
Ce qui était intéressant dans l'atelier, on a commencé comme
ça bille en tête sur les modes d'attribution. Donc l'intérêt, c’était
de dire : regardons, essayons d'intervenir sur les causes en
étant très au fait qu'il y a un marché. Comme vous dites, c’est
un bien rare au même titre que l'emploi et d’autres choses et
c'est ça qui est intéressant. Dans le logement, on ne l'a pas dit
et ça n'a pas été défini, on a affaire à la discrimination
systémique. Les cas de discrimination directe sont très rares,
peut-être dans le parc privé où il y a des choses illégales, assez
décomplexées de la part de certains, agences de location,
propriétaires. Mais là, on a vraiment affaire à un ensemble
cumulatif d'acteurs avec de la non intentionnalité.
Il faut être vigilant sur ça, je pense, il faut toujours l'articuler
avec l'idée de la ségrégation et pas de la discrimination.
Effectivement, moi je dirais qu'actuellement nous sommes en
train de loger des personnes qui sont parmi les minima sociaux
les plus bas. Cela veut dire que quand on les loge, non seulement on se préoccupe du loyer, mais aussi des charges. Ça
veut dire qu'il faut que les charges soient prises par l'APL.
Donc, on arrive à être sur du collectif et sur du collectif, on retombe sur des quartiers.
Je crois que là-dessus, ce qui avait été pointé du doigt, c'était
un problème avant tout social, discriminatoire peut-être mais
sans doute social. Donc c'était comment se donner les
moyens d'y remédier. À Rennes Métropole, on est en train de
réfléchir sur d'autres possibilités mais à un moment donné il
faudra réinterroger les sommes qu'on y met.
 Participant - Je vais vous parler d'un cas puisque je suis délégué syndical, on s'occupe évidemment des problèmes au travail mais aussi des dossiers privés. C'est un homme qui
divorçait et qui était propriétaire d'une maison, il a voulu demander un logement social en location pour pouvoir accueillir
ses enfants pour prouver au Tribunal des Affaires Familiales
qu’il était capable d'acquérir un logement social etc. Sauf que
la difficulté dans l'acquisition c'est qu'en fait, ce Monsieurlà était obligé pour obtenir ce logement social de
s'acquitter de la première confrontation au Tribunal
c'est-à-dire la séance de conciliation, ce qui est injuste.
 Anne Rabaud - Il y a deux points que j’ai trouvés effectivement intéressants dans l'atelier. On parle beaucoup de discrimination mais je pense que concernant le logement, on
ne peut absolument pas le déconnecter de la ségrégation. La discrimination, c'est ce qui arrive à la fin parce que
de fait, la première discrimination c'est la ségrégation sociospatiale donc c'est délicat de pouvoir agir de la même manière.
Et puis, chose dont on n’a pas parlé mais que j'aimerais évoquer c'est que, de fait, ce n'est pas l'immobilier qui coûte cher,
mais le foncier, donc il y a aussi un travail à faire sur le patrimoine foncier et le coût du foncier.
 Jean-Baptiste Voisin - Je vous entends Monsieur, mais
c'est légal. C’est un point de difficulté pour les bailleurs sociaux
que le grand nombre de séparations et de divorces. La loi
nous oblige à avoir dans le dossier une ordonnance
de non-conciliation qui prévoit l'ensemble de ces
mesures. On l'a évoqué pendant l'atelier, les bailleurs sociaux, rennais notamment, ont des positions très souples par
rapport à ce document et on reloge facilement des ménages
qui viennent de se séparer dès lors qu'on est certain qu'une
démarche a été engagée en vue d'une séparation parce que,
légalement, on n'a pas le droit d'attribuer deux logements à chacun des époux.
Cette articulation discrimination et ségrégation est intéressante parce qu'il peut y avoir de la ségrégation socio-spatiale
sans discrimination et inversement, il peut y avoir de la discrimination au logement sans forcément qu’il y ait ségrégation
socio-spatiale. Souvent, les études sociologiques se focalisent
sur du descriptif et sur la répartition socio-spatiale. Les politiques publiques, aussi, inversent souvent l'effet
cause/conséquence et regardent les conséquences.
Elles s'attaquent donc à ce qui est de l'ordre de la
concentration, du regroupement. On disait spécialisation, repli, la peur du ghetto finalement, c'est un peu ça. Je parlais d’habitus républicain, c'est une collègue Mireille Eberhard
qui dit qu'on est pétri de ça, de cette peur du ghetto.
 Philippe Cormont - Ce n'est pas étonnant que le logement émerge vu que c’est certainement un des secteurs les plus tendus aujourd'hui en France face aux
questions de discrimination.
De fait on s'intéresse aux conséquences, on voudrait agir sur
les concentrations. On ne regarde pas forcément les
causes qui sont : un marché du logement très tendu
et une offre qui ne correspond pas forcément à la
demande. Puis, la fameuse question des attributions des logements qui serait une boîte noire où, en gros, ce serait la
Je voulais juste intervenir parce que je ne suis pas à l'aise avec
ce que j'entends. Par rapport aux questions, ce matin, on a essayé de définir clairement ce qui était de la discrimination ou
pas et là, on s'éloigne du champ de la discrimination, on commence à mélanger. C'est tout le problème de la Politique
de la Ville, c'est tout le problème du logement et Madame
55
vous renvoie à la conférence de Sylvie Tissot sur le site de l’ISCRA, en libre accès, qui est une pure merveille. Elle dit que finalement, l'important c'est aussi de définir la mixité sociale ici,
spatialement, avec les auteurs locaux, c'est-à-dire d'éclaircir
ce que chaque bailleur, chaque participant met derrière. Il n'y
a pas forcément besoin de se référer à une définition immanente de ce qu’est la mixité sociale pour qu'elle soit active.
Voilà, je voulais juste intervenir là-dessus pour essayer de
faire la part des choses entre ce qui relève du champ
de la discrimination et ce qui relève de l'injustice
notamment sociale.
qui est partie - ça va faire le lien - a souligné ça en creux. C’està-dire que effectivement, il y a les personnes de couleur dans
telle place à Rennes autour du logement social.
Si je chausse mes lunettes ethno-racialistes, elles vont être de
couleur, si je chausse mes lunettes républicaines, elles vont
être pauvres. Là, j'ai des outils de politique publique, sinon je
n'en ai pas et c'est toute la difficulté notamment sur le logement. C'est-à-dire que là, on n'est pas dans une discrimination, on est dans une stigmatisation et je vais
regarder les gens à partir de critères qui eux sont des critères
ethno-raciaux.
 Niky Béquet - Juste pour dire que là où il y a un glissement,
c'est quand il y a une confusion effectivement entre
les termes de mixité sociale et mixité ethnique,
c'est-à-dire quand on va ethniciser la question. C'està-dire qu'on va considérer, effectivement, qu’on doit traiter
cette question de la mixité sociale en ayant recours à la catégorie ethnique. C’est le fameux ghetto dont il a été question
tout à l'heure, indépendamment de la nationalité des gens et
indépendamment de leur droit à accéder au titre du dossier.
Celui-ci ne doit contenir que les pièces qui sont autorisées par
la loi et qui relèvent d'un traitement qui, lui, est déterminé aussi
légalement : circulation du dossier, des délais de traitement,
une composition des commissions d'attribution etc. Là, je fais
référence aux travaux qui ont été faits là-dessus, le GELD a travaillé là-dessus, la HALDE avait produit un rapport aussi qui
n'était pas inintéressant. Parce que là, on ne traite que du logement social, mais il n'y a pas que le logement social qui est
en cause.
Un très bon exemple, là où ça peut conduire en termes de
politique publique, ce sont les illustrations des émeutes de
novembre 2005, où on dit ce sont des enfants de familles polygames africaines encadrés par les imams musulmans qui fomentent les émeutes. C'est la parole du gouvernement sauf
que c'est bien évidemment faux.
Si j'avais pris une grille marxiste, j'aurais pu dire que c’est le
prolétariat, les classes dangereuses qui se révoltent. Ce n'est
pas simplement un jeu de langage que je me permets, c'est-àdire que la façon dont on regarde le problème va définir les solutions. Et si on regarde les gens en termes de
couleur de peau, je ne vois pas du tout comment on peut éviter
la question des statistiques ethniques, la question des quotas,
la question de discrimination positive. Donc derrière, il y a
des enjeux politiques bien plus importants que simplement couleur ou pas couleur, c'est fondamentalement quelle politique publique je mets en place.
J'ai été un peu gêné de ça.
On sait qu'aujourd'hui, et dans le logement social, et
dans le parc privé, le type de discrimination qui revient de
façon récurrente, c'est sur la couleur de la peau, c'est sur l'origine réelle ou supposée, sur la composition de la famille, c'està-dire femme isolée avec enfants et puis, la catégorie « jeune »,
présupposée comme étant une catégorie qui va poser problème. À chaque fois, les catégories à problèmes dont on sait
qu’elles sont éloignées de l'accès au parc privé, parce qu'elles
sont considérées comme effectivement pouvant poser problème, et qui ont tendance à se rabattre sur la demande de logement social, où on a de vraies discriminations qui s'exercent
en interne et qui font que les gens n'auront pas accès.
Deuxième chose, la définition du cadre légal. C'est un critère
prohibé, interdit par la loi. Une discrimination, dans un cadre
couvert par la loi, ce n'est pas autre chose.
Or, je suis tout à fait touché par l'exemple de Yacine (Jasmin,
cf atelier école), ça me touche en termes de respect de dignité
de la personne. D'autant plus que pendant sept ans, j'ai dû
changer de prénom pour travailler et pourtant mon phénotype
ne me pousse pas à ça. J'avais demandé de m'appeler Youssef
et on me l’a refusé. Vous voyez que ça peut être inversé. Ce
n'est pas de la discrimination, c'est une atteinte à la personne, bien sûr, ce n'est pas de la discrimination.
Ce n'est pas anodin parce qu'on a quand même des OPHLM
publics qui, dernièrement, ont été condamnés. Faiblement
certes, mais je pense par exemple à Saint-Étienne qui
avait carrément fait un travail de catégorisation
ethnique des habitants de son parc. La catégorie la plus
criante étant celle qui consistait à regrouper toutes les personnes dites de couleur, tous les Noirs, sous l'appellation « africain » et dedans, il y a des gens des DOM TOM, etc. et à mettre
en plus des annotations par cage d'escalier. À savoir, est-ce
qu'on pouvait encore en mettre ou pas ou est-ce qu’on pouvait continuer d'en mettre ou pas, où est-ce qu'il fallait pas en
mettre parce qu'on risquait d'avoir une cité… Ce sont des
Comme le retour à la Réunion, c'est évidemment maladroit,
c'est une atteinte à la dignité de la personne, ce n'est pas une
discrimination. Il faut quand même être très précis sur
ce qu'on entend par discrimination ou pas, le risque
étant un glissement dans une espèce de « landerneau » où tout
va être confus et on n'arrivera plus à penser simplement.
Discriminer au sens commun, c’est aussi affiner sa
pensée et c'est intéressant d'avoir des précisions de
vocabulaire. Un exemple patent c'est la mixité sociale, je
56
cevable au nom de l’égalité de traitement, s'il faut construire
un ascenseur abattre deux cages d'escaliers, ça devient « entendable ». La loi est floue mais c'est l'aménagement raisonnable et si ça ne coûte pas cher, il n'y a pas de raison … C'est
un peu la même logique sur les employeurs qui disent : pas de
vestiaires, pas de femmes, alors que les coûts sont pris en
charge par l'État donc ce n'est plus une justification.
choses qui existent, qui sont en cours et qui viennent interpeller très fermement aussi les décideurs politiques parce que derrière, on a les questions sous-jacentes qui sont celles des
politiques de peuplement sur lesquelles, on doit se poser des
questions. Merci.
 Participante - Une petite question qui peut aider à la définition de la discrimination parce que moi je me la suis posée. Un
stagiaire en fauteuil roulant, mon bureau n'est pas
du tout accessible. Est-ce que ma réponse était discriminante, je ne peux pas prendre cet étudiant parce qu’il ne va jamais venir travailler sur son terrain de stage ?
 Erwann Le Hô - Merci. Est-ce qu'on a d'autres remarques,
questionnements ? Eh bien non, on peut clôturer, vous êtes
sûrs ? On va peut-être clôturer ce Forum professionnel de l'Égalité. Je vais laisser la parole dans deux minutes à Marie-Anne
Chapdelaine, adjointe au maire de Rennes, déléguée à l’égalité
des droits et à la laïcité et également à Patrice Allais, directeur
général de la direction générale proximité et cohésion sociale.
 Philippe Cormont - Je peux essayer de vous donner des éléments de réponse. Un peu. C'est l'aménagement « raisonnable » du poste de travail qui est prévu par la loi,
tout est dans « raisonnable ». Si cela ne vous coûte pas cher
au sens purement pécuniaire du terme, votre réponse est irre-
57
Discours de clôture
n Patrice Allais, directeur général de la Direction Générale
Proximité et Cohésion Sociale (Ville de Rennes/Rennes
Métropole)
tion un peu au – j’allais dire – au mot-valise, au concept peutêtre parfois un petit peu trop large. Je trouve que l'intérêt de
journées comme celle-là, c'est d’essayer d’être bien
précis sur les faits, sur ce dont on parle pour, du coup,
savoir après sur quoi on va travailler. Est-ce que c'est de
la ségrégation sociale ou socio-spatiale ou de la discrimination ?
La réponse, elle, n'est pas évidente.
Je n'ai pas été présent sur toute la journée mais sur une bonne
partie de la matinée puis à la restitution. En tant que pilote responsable de certains nombres de politiques publiques notamment Politique de la Ville ou autres sur la Ville de Rennes et
Rennes Métropole, il y avait trois ou quatre petites choses, un
peu en perspective, que je proposais d'évoquer.
Là-dessus, il y a des données plutôt assez intéressantes dans les
données brutes - même si les commentaires parfois sont un petit
peu plus contestables - de l'observatoire national des zones urbaines sensibles qui utilise ou qui retravaille notamment des
données d'une enquête « Trajectoires et Origines ». On voit bien
que c'est un peu plus compliqué que ça sur les questions d'accès
à l'emploi où il y a peut-être de la discrimination liée à l'origine
mais il y en a, peut-être aussi, liée à l'adresse et il y en a, peutêtre aussi, voire peut-être surtout, liée au fait qu'il y a un niveau
de formation faible et très faible dans ces quartiers. Là, c'est un
peu la casquette Politique de la Ville qui parle, il faut
qu'on agisse sur les aspects de discrimination mais
aussi peut-être, même surtout, sur des questions de
politique de droit commun, de politique publique.
Tout d'abord, je pense qu’on peut tous se satisfaire, même si les
gens commencent à partir, du nombre de participants important à cette journée qui est plutôt un succès, succès
aussi promoteur et je dirais intérêt de voir se réaliser concrètement un des projets du CRDED. Donc je pense que ça amènera
sûrement d'autres moments ou d'autres suites, Marie-Anne en
parlera un petit peu.
J'ai bien aimé l'accroche qui était, pas sur le programme complet
mais sur la première petite plaquette de la journée, qui disait
« comprendre, échanger, agir ». Je pense que c'est un peu
l'idée. Alors on ne fait pas forcément tout en une journée mais
si on a pu déjà comprendre et échanger aujourd'hui, l'idée c'est
peut-être qu’ensuite, soit collectivement, soit chacun un peu
dans son institution, on puisse s'améliorer ou avancer sur l’agir.
Ce que j'ai trouvé bien dans cette journée, c'est la palette
assez large des sujets qui ont été évoqués qui étaient
liés, en partie, à la palette assez large de vos champs d'origine.
Ce qu'on a évoqué sur les questions d'orientation des collégiens,
des lycéens, illustre bien, je trouve, ce qu'on pouvait se dire sur
les stéréotypes et sur les discriminations non intentionnelles.
Ce que je retiens, moi, de la journée c'est qu’on s'est posé
sur des questions de vocabulaire notamment dans l'intervention de Philippe Cormont mais pas seulement. Je crois que
c'est important pour essayer d'être à peu près clair sur les
concepts et puis aussi, pour travailler sur des choses qui existent
et je dirais un peu cerner ces combats.
Sur la santé, moi, je n'avais jamais réfléchi plus de deux secondes
aux questions de discrimination dans ce champ-là et je trouve
que c'est intéressant qu’il y ait pu avoir un atelier là-dessus.
On a parlé, ce matin, des stéréotypes. Je pense qu'on a tous
des stéréotypes, je pense que, individuellement ou collectivement, on en porte ou on en colporte. La question n'est peut-être
pas de se dire qu'il faut les supprimer, c'est aussi d'en avoir
conscience et de faire avec.
Un regret sur les questions du logement lié au fait qu'on s'est
beaucoup concentré sur la question du logement social et qu’il
y a quand même beaucoup de questions aussi sur le logement
privé. Un regret que parmi les participants, on n'ait pu avoir personne de ce champ logement, hors logement social. Dans les regrets également, à part deux exceptions je crois, pas grand
monde du champ de l'entreprise privée en termes de DRH et
deux ou trois fois du coup, on est retombé assez souvent sur
des questions d'accès aux droits.
Toujours sur la question des mots ou du vocabulaire, deux ou
trois fois lors des échanges, a été abordée, par exemple, la question de la promotion de la diversité qui participe à la lutte contre
la discrimination dans le champ de l'emploi. Moi, j'ai un petit peu
réagi, je me suis dit que ce n’est peut-être pas forcément si évident ou automatique que ça.
J'ai bien aimé l'intervention du représentant du défenseur des
droits, ce matin, qui parlait des non-inclus etc. et qui a nous amenait à prendre avec un petit peu de recul ou de pincettes, la liste
Quand ont été évoquées les questions de ségrégation socio-spatiale ou de mixité sociale etc., on voit bien qu'il faut faire atten-
58
des réclamations les plus fréquentes. Il faut effectivement qu'on
ait toujours en tête la base de ceux qui osent réclamer.
ces petites réflexions avant de laisser Marie-Anne compléter un
petit peu sur d'autres suites ou perspectives opérationnelles
pour nous.
Au final, on voit bien que les questions qu'on a abordées
interrogent des politiques publiques locales ou nationales. Ce qu'on a dit sur les questions de logement social, comment toute la politique du logement social et son financement
via la Caisse des Dépôts, via des prêts etc. Le fait qu'on est sur
un système où le loyer de logements est lié à son époque de
construction, aux prêts etc. On voit bien que c'est très, très compliqué d'essayer d’en sortir, notamment des questions de
conventionnement global etc. Pour avoir travaillé cinq ans sur
la convention ANRU de Rennes, c'était déjà un objectif d'y arriver. On voit bien que c'est tellement techniquement compliqué
que ça avance d'une manière très difficile mais ça avance quand
même un petit peu.
n Marie-Anne Chapdelaine, adjointe au Maire de Rennes,
déléguée à l’égalité des droits et à la laïcité
Moi, je dirais, j'ai la partie la plus facile parce que déjà, c'est de
me réjouir. On était plus de 200, ce matin et du coup, ça
m'amène aux perspectives. Ces perspectives peuvent être
soit, de se dire qu’au cours d’un forum comme celui-là qui a mobilisé 200 personnes. Des choses ont été dites, mais pour avoir
été dans un atelier où on avait l'impression d'être un peu resté
sur sa faim, ça nécessite forcément une suite, ça nécessite soit d'avoir des objets spécifiques de réunion,
soit, de refaire ce type de forum.
Dans ces perspectives là, moi je dirais aussi, qu’il manque un
petit peu le Temps Fort grand public parce que là, on l'avait dit,
c'est un forum qui s'est adressé à des personnes, des professionnels au sens très large.
Sur les sujets et les suites pour ce qui, je dirais, nous concerne
plus, nous, Ville de Rennes ou Rennes Métropole, en
tant qu'employeurs, on a déjà, dans le cadre du plan
de lutte contre les discriminations, avancé sur certains sujets. Je pense au sujet des emplois d'été par exemple
où on était, il y a deux ou trois ans, dans la situation qu'évoquait
Philippe, ce matin, et on a désormais changé.
Donc moi, je me dis que quelque part, il nous faudra - et ça c'est
plus dans l'objectif du CRDED, c'est vrai, ça faisait deux ans qu'ils
préparaient ce forum-là envisager peut-être un des nouveaux chantiers du CRDED, à savoir comment on en
fait un Temps Fort plus grand public.
Sur la formation de certains agents, je pense aux agents d'état
civil, je pense aux agents du service logement social, on a
avancé. Il reste d'autres choses. On a découvert un certain nombre de choses, en travaillant sur la question dans les cantines,
des repas sans porc et de la mise en place ou non de repas sans
viande. De manière générale, l’air de rien, sur ces questions on
mettait souvent les agents de terrain qui sont sur des postes
concrets pour servir les repas, dans des situations assez compliquées de devoir parfois faire du tri entre enfants, d'autointérioriser des choses, de se demander si un enfant dont on
pourrait penser qu'il est musulman mais qui se met manger du
porc, va-t-on oser lui dire : « t’es sûr que t’as le droit d’en manger
ou pas etc. ». On se rend compte qu'on laisse les agents peutêtre, parfois un peu seuls avec des questions pas forcément faciles. Ça, c'est plutôt dans les suites mais il y aurait une dizaine
de sujets comme ça, c’est un parmi dix qui nous restent à traiter
en termes de formation de nos agents.
Autre chose aussi que je voulais dire à Patrice : il y avait quand
même des directeurs de RH qui étaient là, je les vois là-bas. Mais
comment être plus performant ? C'est vrai aussi qu’il faut,
quelque part, continuer à pouvoir parler et échanger parce que
je crois qu’il est très important de réfléchir à ses propres pratiques parce que c'est collectivement qu'on avance et surtout,
c'est collectivement qu'on fera reculer ces discriminations.
Donc moi, j'ai envie de terminer en vous remerciant tous. Puis,
si vous voulez bien, peut-être à dans un an, peut-être avant mais
ça, c'est collectivement qu'on le décidera.
Pour finir, je retiens ce qui a été dit aussi, ce matin, sur le fait que
ce n'est peut-être pas tout à fait innocent que les trois discriminations sur lesquelles il y a le plus de travail ou qui sont peutêtre les mieux ou les moins mal traitées sont âge, sexe et
handicap. C'est peut-être lié au fait que ce sont aussi ces trois
discriminations sur lesquelles des politiques publiques existent
avec un peu d'argent incitatif là-dessus ou incitatif et sanction.
On sait bien que les questions « carotte/bâton », c'est aussi ce
qui fonctionne et qu’il faudrait seulement ouvrir un champ de
réflexion pour qu'au niveau national ou local on puisse aussi voir
s’il n'y a pas des dispositifs d'incitation financière sur les autres
discriminations qui pourraient être mises en place. Voilà pour
59
Annexe 1 :
Powerpoint de Philippe Cormont
RENNES
Présentation générale de la discrimination
et du cadre juridique.
Entre THÉORIE & PRATIQUES.
Philippe CORMONT
Chronologie de l’émergence des
politiques publiques de LCD
1997 : Une volonté de l’Europe
Article 13 du Traité d’A
Amsterdam qui impose de mettre en place
une politique publique de LCD,
•
1998 à 2008 : Les étapes clés
Reconnaissance de l’existence des discriminations par les
pouvoirs publics (98 / Conseil des ministres),
•
Loi du 16 novembre 2001
•
HALDE (2004 => 2005)
•
Loi de Mai 2008 (harcèlement).
Créer un environnement
intimidant, hostile,
dégradant, humiliant ou
offensant.
60
Risques psychologiques/RPS
Conceptuellement
La discrimination est un traitement défavorable, à situation
comparable, d'un individu ou d'un groupe, dans le cadre
d'un processus de réppartition d'un bien ou d'un service :
• Fondé sur un critère illégal et/ou illéggitime,
• Entraîîn
nant un préj
réjudice pour cet individu ou ce
groupe.
Clarification / Distinction
Racisme, Assimilation, Intégration, Exclusion, Injustice …
Égalité de traitement : Désigne l’égalité de tous les citoyens devant la loi
et devant la fourniture de biens et services.
Égalité des chances : Désigne le fondement de la société mériitocratique,
c-a-d la possibilité pour chacun de parvenir à tout emploi ou toute
responsabilité en fonction de son seul mérite.
Interculturalité : Vise à permettre la reconnaissance mutuelle, le dialogue
et la rencontre ente cultures. Promotion de la synergie de toutes les différences
pour dépasser la peur et entrer en relation avec l’autre sans perdre son identité.
Multiculturalisme : Désigne la reconnaissance de différences culturelles
jugées irréductibles, au détriment de l’universalité des valeurs de la société.
Pour rappel, on partage 98,5% de nos gènes avec le chimpanzé…
Le danger est dans la hiérarchisation des différences entre les êtres
et non dans la reconnaissance de ces différences.
Il y a plus de diversité génétique, en moyenne, au sein des individus
d'une ethnie particulière qu'entre deux ethnies différentes, fussentelles apparemment si dissemblables que le sont des populations
scandinaves ou mélanésiennes.
61
1
Vo u s avez dit DISCRIMINATION ?
Une discrimination est une inégalité de traitement fondée sur un
critère prohibé par la Loi dans un domaine visé par la Loi
(2001).
Elle peut être directe ou indirecte, légale ou justifi ééee.
Elle peut également prendre la forme d’un harcèlement (2008).
Discrimination positive : action qui vise à éliminer la
discrimination passée ou actuelle subie par un groupe de personnes
en leur accordant temporairement certains avantages préfé
férentiels,
notamment en matière de recrutement (+/_ Affi rmative action). :
AGEFIPH, Paritéé,, Cucs, Contrats jeunes/seniors….
s
R é s u l t a t s A M A D I E U ( 1 8 0 6 c v, 2 6 1 r é p o n s e s > 0 )
80
75
69
70
60
C U M U L AT I F
D o u b l e p e in e
4
50
40
33
30
20
20
14
5
10
0
C a n d id a t d e
ré fé r e n c e
Fem m e
R é s id a n t a u
Val fou rré
Vis a g e
d is g r a c ie u x
62
50 an s
N o m et
p ré n o m
M a g h ré b i n
H a n d ic a p é
Homme / Femme (SDFE)
DIRECTION
%
Enseignement supérieur et recherche
10 %
De la FPT
18 %
De la FPH (corps des directeurs d’hôpitaux)
18 %
Écarts de salaire F/H
Dirigeants salariés
é
- 32 %
Cadres (privés)
- 23 %
18,5 % Députées,
13,9 % Maires
Des stéréotypes…?
…
• Les Bretons sont têtus et boivent,
• Les gros sont conviviaux et chaleureux,
• Les coiffeurs sont des homosexuels,
• Les femmes sont douces,
• Les noirs dansent bien et aiment la musique (changement au fi l du
temps),
• Les Arabes sont des voleurs,
• Les Juifs sont riches,
• Les Allemands sont organisés,
• Les fonctionnaires sont des fainéants,
• Les jeunes qui habitent ce quartier sont dangereux,
• Le Français porte un béret et sa baguette sous le bras,
• Les Chinois sont forts en Kung-Fu,
Etc…
63
Des stéréotypes…
…?
• Mode de catégorisation rigide et persistante (résistant au
changement) de tel ou tel groupe humain, qui dé
d forme et appauvrit
la réalité sociale dont il fournit une grille de lecture simplifi catrice,
et dont la fonction est de rationaliser la conduite du sujet vis-à-vis du
groupe catégorisé.
• Lee processus de catégorisation « stéréotypante » implique, d’une
part, une accentuation des difffééérrences entre le groupe
d’appartenance et les autres groupes (effet de contraste), et, d’autre
part, une accentuation des ressemblances dans le groupe
d’appartenance comme dans les autres (effet d’assimilation).
« La raison, le jugement, viennent lentement, les prééju
jugééss accourent en foule »
JJ Rousseau
Je ne peux pas me faire confiance.
Nécessité d’avoir des outils, des
critères objectifs de décision,
d’attribution, de sélection …
Que dit la loi ?
• Une discrimination, c'est le fait de traiter
difffééremment une personne pour des motifs interdits
par la loi.
• La lutte contre les discriminations s'applique en
matière d'emploi, d'accès aux biens et services, de
fournitures de biens et services, de protection sociale,
santé, avantages sociaux, d'éducation et de logement.
• Il existe 18 motifs de discrimination interdits par la
Loi.
Aménagement de la charge de la
preuve
64
4
Les critères prohibés
b
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
L’origine,
Le sexe,
Les mœurs,
l’orientation sexuelle,
L’âge,
La situation familiale,
Les caractéristiques génétiques,
L’appartenance ou la non appartenance vraie ou supposée à une
ethnie, une nation ou une race,
Les opinions politiques,
Les activités syndicales ou mutualistes,
Les convictions religieuses,
L’apparence physique,
Le patronyme,
Les handicaps ou l’état de santé sauf inaptitude constatée par le
médecin du travail,
État de grossesse ou situation de maternité.
Les sanctions
Le code pénal
Le code du travail
Articles L225 - 1 et L225 - 2
L1132
• Réintégration du salarié
• 3 ans d’emprisonnement et 45 000
dans l’entreprise en cas de
licenciement pour des motifs
discriminatoires
euros d’amende pour les personnes
physiques,
• de 5 ans de prison et de 75 000 !
d’amende pour toute personne
dépositaire de l’autorité publique ou
chargée d’une mission de service
public,
ou
• Indemnités
t !6 mois de
salaire + indemnités de
licenciement (si refus de
réintégration par le salarié).
• de 225 000 !pour les personnes
morales ( 432-7 duu code pénal).
HALDE /
Défenseur des droits
65
L’ORÉAL/Garnier (et DISTRICOM) : discrimination raciale (hôtesses BBR); 30 000 !
MOULIN ROUGE (et ADECCO) : refus serveur de couleurs; 10 000!
BOSCH : double discrimination : syndicale et origine; 50 000 !
LOGEMENT : non prise en compte du critère prioritaire du handicap pour l’accès à un
logement social; refus de location à des femmes voilées, préférence de couleurs (6 mois avec
sursis + 1500!), Préemption d’
d un maire….
ACCÈS BIENS ET SERVICES: En refusant l’accès aux avions à des passagers se déplaçant
en fauteuil roulant (à des sourds) au prétexte qu’ils voyageaient seuls. 70 000 !
Installation d’un portail automatisé fermant l’accès d’une résidence, entravant l’accès des
patients d’un masseur-kinésithé
h rapeute.
ÉDUCATION NATIONALE : « ce poste deemandee une één
norme charge dee travail très peu
compatible avec le mééttier dee mè
m re dee famille (mêêm
me si les choses éévvoluent c’est très lent), je
ne l’ai doonc signalé qu’à dees collègues hommes ou dees collègues "femmes" sans enfant ».
Stéréotypes dans les manuels. Orientation sexuée.
FPT : Refus d’agrément d’une assistante maternelle pour surpoids…
Annonces / Recrutement : BBR, BYB, Gaulois, Pas de 99…(en voie de disparition). Fichier
ethnique.
Les principaux mécanismes de
discrimination
Arguments
et processus
66
Les arguments
• L’argument de la clientèle
• L’argument du personnel
– (ce n’est pas moi c’est l’autre…))
• L’argument des seuils d’équilibre
• Le « mauvais » exemple généralisé
Les processus
• L’ethnicisation et sexisation des tâches ==>
essentialisation, naturalisation (identité vs appartenance).
• La préférence locale et familiale, « la proximité », le
clonage.
• Intériorisation et non positionnement par les
« intermédiaires » ==> « Coproduction »
• Intériorisation et non candidature par les personnes
cibles ==> « Victimisation » (RPS)
67
Différence entre sélection et
discrimination illicite
Une sélection
Une discrimination
En droit, discriminer, c’est
traiter de manière défavorable
une personne plus qu’une autre,
dans une situation comparable
et pour un motif prohibé.
Discriminer signifi e dans le
langage commun distinguer.
C’est un processus neutre, une
distinction entre 2 objets ou
sujets à partir de traits
distinctifs.
Dans un recrutement, les
caractéristiques d’un candidat
(origine, choix de vie…) seraient
le motif de la mise à l’écart de sa
candidature
Dans un recrutement, cela revient
à sélectionner en fonction de
critères objectifs et légitimes
Types de discriminations
Discrimination directe :
Elle se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins
favorable qu’une autre, dans une situation comparable, sur la base
de critères discriminatoires. C’est utiliser ces critères pour fonder
une rupture d’égalité de traitement.
Ex: Dans une annonce, prééssence de critères sur l’origine, le sexe sans que le
poste ne le justifi e.
Discrimination indirecte :
Elle se produit lorsqu’
u un critère, une disposition ou une pratique
apparemment neutre est susceptible d’entraaîîner un désavantage
particulier pour un certain groupe de personnes par rapport à
d’autres personnes..
Ex: La prééssence du critère de taille minimum sans que le poste ne le justifi e
ééccarte statistiquement une certaine catééggorie de la population. Job d’éétté.
68
Discrimination légale et justifi ée
• Discrimination légale :
Il s’agit d’une discrimination organisée et prévue par un texte légal (ex: la
nationalité comme critère pour accéédder à certains emplois)
• Discrimination justifi ée :
Objectivement et raisonnablement, liée à une compétence essentielle
et déterminante….
Situations dans lesquels le méti er, ( l’emploi, la mission) nécessite de satisfaire
à un critère singulier (ex: être noir pour jouer le rôle de Mandela dans une
pièce de théâtre)
Que dit la loi ?
Lee principe de non-discrimination (renforcé par la loi de lutte
contre les discriminations du 16/11/2001) est contenu dans
l’article L1132 du code du travail et les articles L225 du code
pénal, article 6 &18 loi Le pors, 1983
Le droit interdit toutes mesures discriminatoires directes
ou indirectes prises par un employeur tout au long du
déroulement de la vie professionnelle.
Ainsi seront prohibéees toutes mesures, règles, pratiques… défavorabbles à
une personne ou un groupe de personnes, en raison des différents critères
suivants:
Aménagement de la charge de la
preuve
69
70
[email protected]
www.copas.coop
06 03 29 46 33
71
Annexe 2 :
Powerpoint de Jean-Luc Richard
Etudier les discriminations :
concepts et méthodologies à
partir d!enquêtes offi cielles
ou indép
pendantes
Studying discriminations : concepts and methodologies regards t o offi cial
and independent surveys in France
Jean- Luc Richard
Univ. Rennes 1 - CRAPE
Rennes, France
Discriminations : l!apparition d!une
problématique dans la sociét é, dans les
politiques publiques, dans la recherche
- Des mobilisations à partir des années 1980
" - lois de 1972 et 1990 to ur nées vers la condamnation des
propos racistes
" - Les chercheurs en sciences sociales s!emparent de la
question dans les années 1990
Avant la question est trait ée de manière marginale - les
étrangers sont pr ésent ées comme exclus de certains
processus car à la fois en bas de l!échelle sociale et “ non
français” (voir Noiriel 1987 ; Tripier 1990; Weil 19881991)
- étudier les
discriminations n!e
est pas un sujet de recherche valorisé
(sociologie, économie) en France
"
72
“ Integration in France”
Le paradigme de l!int égration fait que certains chercheurs
ou acteurs, dans les années 1980- 1990, alors que la
situation sociale évolue négativement (mont ée du
chômage, baisse de la mobilit é sociale dite panne de l
“ ascenseur social”)) passent sous silence l!existence de
discriminations
Tous les chercheurs qui utilisent le concept d!int égration ne
nient pas l!existence des discriminations :
- on peut utiliser le concept d!int égration sans référence à
un modèle politique (plus ou moins injonctif) et affi rmer
qu!il existe dess discriminations (Tripier)
- on peut penser un modèle d!int égration soutenu par des
politiques publiques sur le registre de l! “ idéal- type” et ne
pas nier l!écart avec la réalit é des pratiques sociales
Mais jusqu!en 1997, les discriminations ne sont pas l!objet
de politiques publiques visant à les combattre en tant que
telles
19800 1992 : on étudie la
situation des étrangers ou
l!int égration sociale
"
Les recensements, mais l!INSEE ne parle pas de
discriminations car pas de tradition et prudence
"
L!int égration étudiée, mais pas les discriminations
"
Et les enfants d!immigr és, et les Français d!Outre- mer ?
Enquêt e DOM 1992 :
h t t p : / / ww w.persee.
e f r/web/revues/home/ prescript /article/ e
stat 0336- 1454 1993 num 270 1 5825
Enquêt e MGIS 1992- 1993 INED
Ouvrages 1995 Rapport (pas de discriminations) et Faire
France ( 4 pages) 1996 De l!immigration à l!assimilation
73
A la recherche des
discriminations
littérature anglo-saxonne
-nouvelles approches plus fondées
exclusivement sur le critère de la nationalité
(voir Borkowski 1990 dans INSEE Données
sociales), on utilise des catégories telles que
« enfant d!étranger », « enfants
d!immigrés »
-apparition de nouvelles techniques :
modèles log-linéaires (modéles logit /
probit) -? (régressions logistiques)
-L!Ecole discrimine-t-elle ? Se poser la
question est un préalable à l!étude des
discriminations sur le marché du travail car,
c!est horrible à dire, mais si le système
éducatif discrimine, les employeurs qui
auraient voulu le faire n!ont plus à le faire
(voir Tapinos 1974)
Première études : Richard (1993) Vallet et
Caille (1995, 1996) ; Tribalat MGIS 1995
(perceptions de discriminations )
-Limites de ces études nature des données
1992 : un contre-projet à MGIS
à partir de l!échantillon
démographique permanent :
Toujours à la recherche des
discriminations
-1997 – 2000
-Création du GED
-Rapport du HCI
-transformation du GED en GELD
Et les première recherches sur le sujet
-Rapports de l!URMIS, Le racisme au travail de P. Bataille
(CADIS), travaux de Roxane Silberman (1997) , Jean-Luc
Richard (thèse 1997, publiée 2004)
74
75
1999 - 2000
-
< Docs officiels UE: liens é
éttroits entre intégration et
lutte contre discriminations
Conclusions du sommet européen de Tampere
(1999)
« Une politique plus énergique en matière
d'int é
ég
gration devrait avoir pour ambition d!offrir [aux
RPT] des droits et obligations comparables à ceux
des citoyens de l'UE. Cette politique devrait
également favoriser la non-discrimination dans la vie
économique, sociale et culturelle et mettre en place
des mesures de lutte contre le racisme et la
xénophobie ».
2 0 0 1 - 2 0 0 2 : l!a r r ê t ( t e m p o r a ir e ) d u
d é v e lo p p e m e n t d e s p o lit iq u e s p u b liq u e
A p r è s le v o t e d e la lo i d e 2 0 0 1
im p o s é e p a r l !U E s u i t e a u s o m m e t d e
T a m p e r e d e 1 9 9 9 , l a F ra n c e c r o i t a v o ir
d é s o r m a is le s i n s t r u m e n t s d e l u t t e
c o n t r e le s d is c r im in a t io n s … .
" L e C o m m i s s a r i a t a u P la n é v o q u e u n
p e u le s u je t d a n s s o n r a p p o r t
« I m m ig r a t io n , m a r c h é d u tr a v a il,
i n t é g r a t i o n » ( H é r a n , R ic h a r d , A o u d a ï
– d ir . - , n o v 2 0 0 0 – m a r s 2 0 0 2 , p u b lié
en n o v. 2 0 0 2 )
" D e s u n i v e r s i t a i r e s la n c e n t d é b u t 2 0 0 1 ,
a u C A E , u n g r o u p e d e tr a v a il s u r
« S é g r é g a t io n u r b a in e e t in t é g r a t io n
s o c ia le » ; D e r n i è r e r é u n i o n l e 2 2 a v r i l
2 0 0 2 , r a p p o r t r e m i s a u P r e m ie r
m in is t r e e n n o v 2 0 0 3 , p u b lié e n f é v
2004.
"
76
2002- 2006
"
Cr éation de la HALDE
se saisir « de toutes les discriminations, directes ou indirectes, prohibée
es par la loi ou par un
engagement international auquel la France est partie » cr éée par la loi n° 2004- 1486 du 30
décembre 2004, (Journal offi ciel, 31 décembre 2004). La loi a é
étt é complé
étt ée par le décret
n°2005- 215 du 4 mars 2005 qui fi xe l'organisation générale et administrative et les procédures
applicables.
Mobilisations pour les “ discriminations positives” , pour les
statistiques ethniques” qui s!intensifi e vers 2006
Institut Montaigne, Sarkozy, Yazid Sabeg d!u
une part
Le CRAN, les proches de la revue “ Mouvements”,
Charte de la diversit é dans les entreprises
Testing
CV anonyme
Et la recherche se développe ( Mirna Safi , Roxane Silberman, JF
Amadieu, Etienne Wa
Wasmer , D Fougère)
77
78
79
80
81
2007- 2011 : le débat rebondit
Avis de la CNIL
Commission Simone Veil
Conseil constitutionnel
Loi de 2008
Enquêt e TEO
COMEDD
et le contre rapport CARSED
HALDE # Défenseur des droits
Contact
" jean- luc.richard@univ- rennes1. f r
" h t t p : / / h t t p : / / p e r s o . univ- rennes1. f r /j e a n-
luc.richard/iNDEX2.pdf
" h t t p : / / w w w. crape. univrennes1.f r/membres/richard_jean- luc.ht m
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Contact
[email protected]