De la diplomatie singulière à la diplomatie plurielle : qui trop

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De la diplomatie singulière à la diplomatie plurielle : qui trop
DE LA DIPLOMATIE SINGULIÈRE À LA DIPLOMATIE PLURIELLE
QUI TROP EMBRASSE MAL ÉTREINT
Laurent Fabius demeurera sans conteste le ministre des Affaires étrangères le plus réformateur
des dernières décennies. Pour s’en convaincre, il n’est que de lire ses multiples interventions sur
une gamme variée de sujets. Sous sa férule exigeante et impatiente, il n’est pas un pan de l’action
diplomatique qui n’ait été passé au crible de la machine à moderniser. Après le temps des
exigences de la RGGP (« Révision générale des politiques publiques ») vient celui des rigueurs de la
MAP (« Modernisation de l’action publique »). Cette vieille Dame qu’est le Quai d’Orsay en avait
particulièrement besoin dans un monde globalisé et imprévisible tant les conformismes et les
corporatismes étaient légions dans cette Maison. Le ministre des Affaires étrangères et du
développement international est également le père d’une « Révolution numérique au Quai d’Orsay »
qui fait entrer son Département ministériel dans l’ère de la « e-diplomatie ». Plus encore, Laurent
Fabius fait franchir un cap significatif à l’action extérieure de la France en transformant la
diplomatie de singulière en plurielle.
Un retour sur le passé : la diplomatie singulière
La diplomatie du possible. L’Histoire nous livre quelques enseignements utiles pour
appréhender un concept aussi galvaudé que celui de diplomatie. Ce n’est pas une science qui
puisse se traduire par des formules d’application universelle. Tout d’abord, « une politique étrangère
vaut par la cohérence de son dessein, une diplomatie par l’agilité de ses mouvements » (Gabriel Robin). Ensuite
et surtout, elle doit faire la part du possible. Ne dit-on pas que « la supériorité des diplomates, c’est
d’être borné et de le savoir. Ils ne visent que des objectifs limités dans le champ du possible » (Comte de SaintAulaire, 1929). Les diplomates savent que les choses peuvent résonner par décennies et, quelques
fois, même, par siècles. Ils cherchent l’efficacité, pas l’effet. Anthony Eden déclarait, avec une
certaine malice, que la diplomatie doit déterminer quelles difficultés se résoudront d’elles-mêmes
et quelles sont celles qui s’aggraveront si on les laissait sous le boisseau. Enfin, l’action
diplomatique est rarement cohérente mais la cohérence est souvent gage de son succès. En
dernière analyse, la diplomatie renvoie à une réalité qu’il va falloir dévoiler.
La diplomatie du réel. Une fois encore, mieux que de grands traités, la pratique nous éclaire sur
une discipline dont on prétend qu’elle est le second plus vieux métier du monde. En premier lieu,
elle se concentre sur l’essentiel de ce qu’est son cœur de métier, en un mot sur sa substance :
information, négociation représentation, et surtout aujourd’hui, coordination des multiples
acteurs en charge de l’action extérieure. Centre d’influence, le chef d’orchestre ne se substitue pas
à ses musiciens, sous peine de cacophonie. En second lieu, elle anticipe sans réagir ou commenter
l’évènement, les médias s’en chargent. Talleyrand attend des diplomates qu’ils aient « de l’avenir
dans leurs vues ». Le premier devoir du diplomate est de ne pas se laisser surprendre. En dernier
lieu, la diplomatie ignore la sentimentalité (Stefan Zweig). Elle ne doit pas évoluer dans la passion
et la compassion au risque de se perdre. Elle doit savoir surmonter ses impressions et ses
préjugés, évitant ces « pétards diplomatiques » qui font beaucoup de bruit, mais sont dépourvus
d’efficacité (Robert Schuman).
Un arrêt sur le présent : la diplomatie plurielle
L’inflation des diplomaties. Jack Lang dit « tout est considéré comme culture », des œuvres d’art aux
gestes de la vie quotidienne. Laurent Fabius déclare : « il y a trente ans, la diplomatie traditionnelle
traitait des grandes questions séparément. Nous étions dans un rapport Est-Ouest. Aujourd’hui, le problème est
global ». Ministre multicarte (commerce extérieur, tourisme depuis le dernier remaniement), il
traite les sujets qui lui semblent utiles pourvu qu’ils impliquent la France à l’étranger. Il parcourt
le monde (un tour du monde par mois et quatre voyages en Chine par an), joue les VRP de
l’image France. Sa vision peut se résumer ainsi : « tout est diplomatie ». A travers ses interventions, le
ministre des Affaires étrangères et du développement international précise sa vision de la
diplomatie. De figée, la diplomatie devient évolutive : économique, culturelle, environnementale,
climatique, touristique, sportive, spatiale, culinaire, religieuse, numérique, de la santé, d’influence
et de la communication… Le programme de la XXIIIe conférence des ambassadeurs (25-30 août
2014) : « L’action extérieure de la France : une diplomatie globale » en est la quintessence.
La déflation de la diplomatie. Si l’intention est louable, la réalité est malheureusement plus
prosaïque, moins lyrique. Pour faire court, on pourrait dire : « plus rien n’est diplomatie ». D’un
inventaire à la Prévert qu’est aujourd’hui devenue la diplomatie, il est difficile de faire un tout
cohérent dans le temps et dans l’espace pour deux raisons essentielles. Raisons matérielles,
d’abord. Dans un monde où la concurrence est rude, il est essentiel pour la diplomatie française
de disposer d’une assise humaine et financière suffisante. Or, tel est de moins en moins le cas
avec le dernier plan de rigueur pour les ministères (- 4,8% entre 2014 et 2017). Raisons
conceptuelles, ensuite. On peine à trouver les linéaments d’une véritable politique étrangère mise
en œuvre par une diplomatie imaginative. « On parle pour se donner bonne conscience. Pour créer l’illusion
et cacher son impuissance, souvent son indifférence. Pour gagner du temps aussi » (Bertrand Badie).
Qu’importe la perte de substance puisque les apparences sont sauves. La diplomatie que Laurent
Fabius présente comme globale n’est seulement que plurielle.
La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf
A monde globalisé, diplomatie globale ! Qui trouverait à y redire ? A monde globalisé, diplomatie
plurielle ! La question mérite débat. La fragmentation, la dilution de la diplomatie à laquelle nous
assistons aujourd’hui pourrait conduire à une impasse préjudiciable aux intérêts de la France.
Ainsi, la géopolitique ne serait plus au cœur de la diplomatie, elle serait à sa périphérie. La
diplomatie se plierait aux événements alors qu’elle prétendrait les influencer. Elle serait conçue en
fonction de ce qui va séduire : émotion, réaction, exclusion, diabolisation, coercition,
médiatisation tant les « spin doctors », nouveaux conseillers des princes, auraient pris l’ascendant sur
les décideurs politiques. Soupçon qu’il n’y a pas de vision stratégique inscrite dans le temps court
et le temps long, combinant histoire et prospective, analysant niveau local, régional et
international, jouant de la coercition et de la négociation. Est-ce une (r) évolution souhaitable
dans un monde aussi incertain et imprévisible ? A trop regarder partout et ailleurs, le risque est
grand que ne devienne réalité la maxime : qui trop embrasse mal étreint !
Guillaume BERLAT. Pseudonyme d’un ancien haut fonctionnaire. Les opinions exprimées ici
n’engagent que leur auteur.