Utiliser le français en classe d`anglais?
Transcription
Utiliser le français en classe d`anglais?
Education et Sociétés Plurilingues n° 9-décembre 2000 Utiliser le français en classe d'anglais? Andréa BENGUIGUI-MEJIA Le raccomandazioni ufficiali a proposito dell’insegnamento della lingua inglese in Francia vietano qualsiasi uso della lingua francese durante le lezioni, o ne limitano fortemente l’uso. Si tratta di una visione unilaterale delle competenze linguistiche secondo cui si passa da un mondo monolingue ad un altro, attraversando una frontiera che si auspica essere impermeabile. L'autrice esamina la funzione attribuita alla riflessione sulla lingua nel processo di acquisizione di una L2 da una parte, e dall’altra il divieto quasi assoluto dell’uso della L1 nei corsi di lingua moderna, dimostrando che una buona padronanza della lingua non viene ottenuta solamente tramite l'accumulo delle conoscenze. E’ comprendendo meglio la logica interna di tale lingua che ci si mette in grado di reinvestire questa conoscenza in situazioni nuove. Il riferimento ai risultati di ricerche, il confronto con l’insegnamento bilingue e il resoconto di una sperimentazione condotta in un istituto tecnico consentono di concludere che, piuttosto, il francese può aiutare, in certi casi, a parlare in inglese. The official recommendations regarding the teaching of English in France forbid any use of French during the lessons, or strongly restrict that option. According to this onesided interpretation of linguistic competences, students should pass from one monolingual world to another, through a border that is conceived as something impermeable. Here the author analyses the function given to the reflexion about language during the L2 learning process, and also the almost total prohibition about using the L1 during modern language learning, showing that a good command of a language is not simply achieved through an accumulation of knowledge. On the contrary, the better one understands the internal logic of a language, the more likely one will reinvest this knowledge in new situations. The reference to results of research, the comparison with bilingual teaching and the account of a teaching experience in a technical college convince us that in some cases French can help pupils speak English. Dans la droite ligne de l'école de pensée behavioriste prônée par l'approche dite communicative, les consignes officielles concernant l'enseignement de l'anglais langue vivante en France proscrivent tout usage du français pendant le cours. Ou plutôt, elles en limitent strictement l'emploi, le réservant aux quelques minutes de la fin de l'heure, consacrées à la réflexion sur le fonctionnement de la langue. En effet, comme on a pu l'entendre lors d'un stage de formation, autoriser l'usage du français en classe de langue étrangère reviendrait à "permettre à un cancer de se développer", empêcherait la construction d'un certain "bain linguistique", et serait source d'erreurs, dues aux effets d'interférences de la L1 (la langue maternelle et/ou institutionnelle, ici, le français) sur la L2 (la langue vivante enseignée, ici, l'anglais). A. Benguigui-Mejia, L'utilité du français en classe d'anglais Quant à l'usage autorisé du français durant les ultimes minutes du cours consacrées à la PRL (Pratiques Raisonnée de la Langue), on précise qu'en aucun cas cette phase ne doit excéder le temps imparti, encore moins se substituer à la pratique linguistique, "amplement suffisante" pour accéder à la maîtrise de la langue pour la majorité des élèves. Selon le discours officiel, donc, et la pratique de classe courante, l'anglais doit être le seul médium de communication employé, tant par le professeur que par les élèves, de façon à ce que ceux-ci soient exposés à la L2 le plus possible et aient ainsi les moyens de réemployer les structures et le lexique fournis en classe. Le passage au français marque invariablement la fin du cours. Il s'agit d'une vision unilatérale des compétences linguistiques où l'on passe d'un monde monolingue à l'autre au travers d'une frontière que l'on souhaite la plus étanche possible. Je me suis peu à peu détachée de ce modèle, en tous cas avec certaines classes de lycée technique, en particulier (mais pas seulement) avec mes classes de STT ( Sciences et Techniques du Tertiaire), constituées d'élèves venant du secteur professionnel (BEP, Brevet d'Enseignement Professionnel), où l'emploi du français par les professeurs de langue vivante est plus courant qu'ailleurs. Dans cet article, je voudrais essayer de mieux comprendre les raisons de mon recours plus affirmé au français en classe d'anglais. J'aimerais tout d'abord envisager le rôle dévolu à la réflexion sur la langue dans l'acquisition de la L2, d'une part, et d'autre part, l'interdit quasi absolu de l'emploi de la L1 en cours de langue vivante. Renforcer la réflexion sur la langue Il me semble qu'au lieu de limiter la réflexion sur le fonctionnement de la langue à une "élite" (les "bons" élèves, ayant acquis la pratique et pouvant de surcroît en comprendre les mécanismes) ou à quelques instants annonçant la fin du cours, on devrait lui accorder une place beaucoup plus importante. En effet, ce n'est pas seulement l'accumulation des connaissances qui permet d'acquérir une bonne maîtrise de la langue. Combien de fois avonsnous pu constater qu'un élève ayant parfaitement appris son dialogue ou son cours sur le bout des doigts, ne maîtrisait pourtant pas la langue lorsqu'il s'agissait de créer son propre texte. L'entrée dans le système linguistique étudié permet de comprendre son fonctionnement plutôt que de simplement savoir l'appliquer, et c'est en comprenant mieux sa logique interne qu'on devient capable de réinvestir ce savoir dans des situations nouvelles. Le manque de temps (argument de l'inspection) et le déficit en A. Benguigui-Mejia, L'utilité du français en classe d'anglais lexique de la majorité des élèves impliquerait donc que l'on renforce au contraire leur appréhension de ce qui fait la spécificité de la langue étudiée par rapport à leur propre L1. De plus, l'analyse contrastive des systèmes linguistiques de la L1 et de la L2 (et pourquoi pas d'autres langues encore) permet non seulement de sensibiliser nos élèves aux différentes visions du monde inscrites au coeur même du fonctionnement de la langue (entrée dans le pluriculturalisme), mais se révèle être aussi un outil efficace pour lutter contre l'interférence des deux systèmes linguistiques en présence, grâce à une prise de conscience de leurs différences. Plutôt qu'une porte ouverte aux erreurs, l'emploi délibéré de la L1 pour la comparer avec la L2 devient donc, selon notre point de vue, un outil efficace à long terme pour lutter contre ces erreurs. L'analyse contrastive permettrait aussi de décloisonner les enseignements, en favorisant les rapprochements existants entre plusieurs langues. Par exemple, ne serait-il pas judicieux d'expliciter les similitudes de valeur entre le present perfect anglais et le passé composé tel qu'il est employé en espagnol et partiellement en français? Le tabou qui pèse sur l'emploi de la L1 en cours de L2 Le rôle de la L1 dans l'acquisition de la L2 est un fait de plus en plus reconnu parmi les chercheurs et linguistes (cf. le colloque international sur l'alternance des langues qui s'est tenu à Saint-Cloud en 1997, intitulé Alternance des langues et apprentissage. Situations, modèles, analyses, pratiques). Le principe d'interdépendance des L1 et L2 de Cummins stipulait, déjà en 1979: "il faut un seuil de compétence en L1 pour que l'apprentissage en milieu institutionnel se révèle bénéfique"; d'autre part, "L1 et L2 relèvent d'une compétence sous-jacente commune ("common underlying proficiency"), définie en termes d'aptitudes cognitivo-académiques et transférable sur les apprentissages ultérieurs" (Gajo, 2000, p. 112). Des études telles que celle de Michèle Garabédian et Magdeleine Lerasle (1997) ont permis de montrer que le fait de prohiber tout usage de la L1 pouvait avoir des effets inhibiteurs plutôt qu'incitatifs. Comparant le modèle pédagogique suivi par divers enseignants en classe de maternelle des écoles françaises à l'étranger, il apparaît clairement que l'enseignant qui insiste tout au long de sa leçon pour que les élèves ne s'expriment que dans la L2, qu'ils ne dominent pas, leur impose une règle qui, "loin d'être une aide à l'apprentissage, devient un obstacle insurmontable, à la fois sur le plan linguistique et sur le plan cognitif" (p. 436). A. Benguigui-Mejia, L'utilité du français en classe d'anglais Par contraste, l'enseignant qui, exposant ses élèves à des énoncés complexes dans la L2, mais qui ne censure pas systématiquement ses élèves lorsqu'ils s'expriment dans la L1 et ne les contraint pas toujours à s'exprimer dans la L2, "s'appuie très largement sur la dimension affective de la communication, se rapprochant en cela d'une relation authentique de communication" et offre aux élèves la possibilité de formuler des énoncés complexes dans la L1, "ce qui permet de penser qu'ils seront plus aptes ultérieurement à gérer la complexité des apprentissages linguistiques"(p. 441). Enfin, dans les situations d'immersion des écoles bilingues dispensant un enseignement en L2 dans des disciplines non linguistiques, il a été observé que le recours à la traduction et à la L1 servent non seulement à vérifier la compréhension mais permettent aussi d'affiner la construction de concepts par les éclairages différents apportés par les diverses langues (Rioux, 2000). L'exemple de l'enseignement bilingue Le fait que, dans les écoles secondaires "classiques" en France, le point de vue qui prime sur l'apprenant soit le point de vue du monolingue, censé acquérir une deuxième ou troisième compétence de monolingue dans une L2 ou L3, tend à conduire, comme nous avons tenté de le démontrer précédemment, à des situations de blocage. Alors que dans des contextes d'enseignement bilingue, où la compétence de traduction "simultanée" est valorisée, puisqu'il est clairement posé qu'élèves et professeurs sont censés maîtriser au moins deux codes presque à égalité, dans le contexte traditionnel, lorsqu'un élève parle français en cours de langue – en particulier lorsqu'il s'empresse de traduire une phrase pour "aider" ses camarades – , cela est perçu comme une gène à l'apprentissage, comme une rupture du contrat didactique, qui impose le tout-en-anglais. Nous pouvons bien entendu faire comprendre aux élèves qu'ils peuvent poser leurs questions dans la L2 plutôt que de solliciter une traduction, mais dans l'exemple donné, il importe de distinguer plus clairement les choses. Ce n'est pas tant le recours à la L1 qui serait néfaste pour l'apprentissage, que le fait que le camarade, bien loin d'aider l'autre, fait à sa place et l'empêche ainsi de construire son propre savoir. Par conséquent, au lieu de bannir tout recours à la L1 – puisqu'à la limite il est impossible d'en contrôler strictement l'usage, les élèves y ayant recours malgré tout – , ne vaut-il pas mieux tenter de l'intégrer le plus judicieusement possible au déroulement du cours? Mieux vaut, à mon sens, A. Benguigui-Mejia, L'utilité du français en classe d'anglais maintenir l'intérêt des apprenants et ne pas rompre la communication que fixer une règle de conduite trop rigide. Il s'agit ici de prendre en compte le découpage de l'apprentissage linguistique en compétences distinctes mais néanmoins liées – les fameuses quatre compétences: expression orale et écrite, et compréhension orale et écrite – et d'identifier clairement à chaque fois quelle est la compétence visée en priorité, et quelle est celle que l'on va évaluer. Pourquoi ne pas proposer comme base d'un travail visant l'expression orale ou écrite en L2, des documents tant en L1 qu'en L2, comme c'est le cas dans des situations d'enseignement bilingue? J'ai visionné avec mes élèves cette année un film américain qu'ils avaient eux-mêmes choisi (un film ayant eu beaucoup de succès chez les adolescents mais très peu connu, du public des professeurs en tout cas, American History X), mais en version française car la version originale n'était pas disponible. Nous avons ensuite travaillé, à partir de ce document, dans la L2 (en anglais). Après ce visionnement, deux de mes élèves les plus réticentes à parler anglais, se sont mises à parler en anglais, comme pour exprimer leur satisfaction que je leur aie ainsi facilité la tâche de compréhension. De même, l'usage de la L1 pourrait permettre d'introduire plus de rigueur dans les procédures d'évaluation de la compréhension écrite ou orale des élèves. Ceci est important pour les élèves faibles en particulier, qui, faute de pouvoir comprendre les questions dans la L2, ne parviennent pas toujours à y répondre, ou sont induits en erreur, par les difficultés nouvelles (lexicales ou syntaxiques) posées par ces questions elles-mêmes. On peut aussi très bien concevoir de vérifier la compréhension d'un document en L2, en demandant aux élèves d'exprimer ce qu'ils ont compris du document soit dans la L1 soit dans la L2 (compétence développée dans les établissements bilingues, où l'on demande aux élèves de restituer dans une langue un contenu appris dans l'autre). En ce qui concerne les compétences d'expression dans la L2, pourquoi ne pas ménager un temps de recherche individuel et/ou collectif préparant cette expression, recherche qui dans la réalité des classes s'effectue de toute façon déjà dans la L1 ? Ce dispositif, ménageant un temps de préparation, s'oppose au dispositif traditionnel du cours de langue, où l'élève doit répondre immédiatement aux questions posées par le professeur et où la réponse est construite à la fois par les élèves et le professeur mais à travers une expression fortement guidée, ou semi-guidée, par lui. A. Benguigui-Mejia, L'utilité du français en classe d'anglais A l'inverse, mis devant une tâche de production précise en L2 (réponse à une question), les élèves seront confrontés à des lacunes linguistiques, qu'ils devront chercher à combler pour pouvoir s'exprimer. Il ne s'agit plus d'ingurgiter un contenu fourni par le professeur mais de s'approprier des outils, qui seront sollicités par les élèves eux-mêmes. Cette recherche peut certes se faire entièrement dans la L2; mais le plus souvent, c'est la L1 qui prédominera dans cette phase, bien que l'on puisse les entraîner à utiliser chaque fois davantage la L2. La spécificité de l'enseignement des langues: "le fond et la forme" Le problème (si l'on peut dire) de l'enseignement des langues, c'est que la langue est à la fois outil de communication (et en ce sens, elle doit "se faire oublier" pour ne laisser apparaître que le contenu du message exprimé) et objet d'étude (et dans ce cas, la valeur sémantique propre aux signes linguistiques est indépendante de tout message spécifique). Ainsi on constate que, lorsqu'il se trouve devant un niveau de complexité qu'il juge trop élevé pour son public, l'enseignant a souvent tendance à essayer de simplifier la tâche de l'apprenant, soit en éliminant la question du déchiffrage du code – et il a alors recours à la L1 – , soit en sacrifiant le fond (on maintient l'emploi de la L2 mais on simplifie au maximum le message... et son intérêt). Au cours de l'étude d'un texte, je me suis rendue compte que mes élèves ne savaient pas vraiment à quoi il était fait référence lorsque l'on parlait de "révolution copernicienne et darwinienne". N'ayant pas prévu cet aparté, je suis automatiquement passée au français, comme pour marquer une parenthèse dans le déroulement du cours. Au même moment où nous expliquions ces notions en français, je me disais que j'aurais très bien pu maintenir la conversation en anglais. Mais il m'était alors spontanément apparu que l'importance du contenu exigeait que l'outil de communication soit le plus transparent possible et j'eus donc recours au français. Inversement, lorsque le message à communiquer ne revêt pas une importance primordiale, je tente de profiter au maximum des situations de communication véritables pour utiliser l'anglais. Par exemple, lorsque je leur raconte une anecdote qui m'est arrivée ou bien lorsque je leur communique leurs notes, les élèves témoignent souvent de l'intérêt, et si j'ai commencé mon récit en français, je passe rapidement à l'anglais. Poussés par leur désir de connaître le message, les élèves redoublent alors d'efforts pour comprendre et le code et le contenu! A. Benguigui-Mejia, L'utilité du français en classe d'anglais On le voit, l'intérêt (la motivation) restent au coeur du problème, et à trop vouloir faire attention à la correction de la langue, on risque de finir par rendre stérile bon nombre d'échanges en classe. Afin de (re)motiver les élèves, c'est le fond qui doit primer, c'est à leur capacité d'expression et de création que nous devons faire appel. Ce n'est qu'une fois qu'on a quelque chose à dire ou à rechercher que l'on va prendre la peine de s'en donner les moyens. Il ne faut donc pas attendre que les élèves soient capables de s'exprimer pour les inciter à le faire mais les inciter à s'exprimer pour apprendre à le faire. Cela implique que l'on n'exige pas la perfection d'emblée mais que l'on revienne à plusieurs reprises sur une production, qui se perfectionne au fur et à mesure que le sujet apprenant construit son savoir. De fait, on assiste à une évolution dans les pratiques de classe reflétant un changement de posture par rapport à l'apprenant. Comme le dit très bien Louise Dabène (1998), "ce qui traditionnellement était au coeur des pratiques pédagogiques en langue étrangère, c'était la forme normée de la langue, la langue standard. Or on constate que ce qui occupe maintenant cette place centrale c'est la variation individuelle, puisqu'on s'appuie sur elle pour avancer progressivement vers la langue standard" (p. 14). Conclusion: et si le français aidait à parler anglais? La réalité plurilingue pénètre aujourd'hui derrière les murs de l'école, par le biais des échanges sur l'internet, par exemple, ou par celui d'études de documents étrangers authentiques (films, chansons), dont l'intérêt peut être grandement augmenté si ce sont les élèves eux-mêmes qui les proposent à l'étude. La comparaison effectuée avec l'enseignement bilingue permet de renouveler nos pratiques. On pourrait envisager l'emploi de la L2 pour l'enseignement des matières non linguistiques (les maths ou l'histoire, par exemple). Il est clair que cette approche nécessite la collaboration de plusieurs enseignants de matières différentes. Courante dans les contextes d'enseignement bilingue, une telle pratique peut nous aider à trouver des domaines d'études motivants pour les élèves. Je pense à l'étude contrastive d'un film français et de son "remake" américain (par exemple, Trois hommes et un couffin), qui permettrait de mettre en évidence ce qui fait la spécificité de la culture américaine à une époque d'américanisation de notre culture nationale. Enfin, c'est bien souvent la vision de l'apprentissage des enseignants qui conditionne la vision de l'apprentissage des élèves. Si le professeur se présente à ses élèves comme étant, lui aussi, une personne en recherche, A. Benguigui-Mejia, L'utilité du français en classe d'anglais dont le savoir ne cesse de se construire, dont le savoir n'est donc pas fini et sans faille, les élèves auront moins de mal à entrer dans ce processus. Le bilingue n'est pas bilingue une fois pour toutes et d'un seul coup, il construit son bilinguisme (1). TRAVAIL EN ANGLAIS À PARTIR D'UN FILM... EN FRANÇAIS (Carnet de bord) Public concerné: Classe de Première, Arts Appliqués (anciennement F12); 15 élèves de niveau moyen; 2 heures hebdomadaires. Visionnement en entier d'un long métrage proposé par les élèves euxmêmes, très populaire parmi les adolescents et pratiquement inconnu du public adulte (des profs en tout cas): American History X, traitant du problème racial aux Etats-Unis aujourd'hui (développement des groupes néo-nazis). Méthode Un élève de la classe se propose d'amener la version anglaise du film, mais au dernier moment il m'annonce qu'il ne peut se la procurer. Je décide donc de visionner le film dans sa version française, ce qui me permet de passer directement à la phase d'exploitation du document, sans avoir à en vérifier la compréhension orale. Cette "économie " de temps est précieuse comptetenu de leur horaire réduit en anglais. J'ai "scotché" trois grandes affiches vierges ("posters") aux murs. Je donne les consignes en anglais. Je leur explique que nous allons d'abord essayer de nous remémorer le film, que nous avons vu la semaine auparavant, que je leur demanderai ensuite d'écrire chacun un texte en anglais et de faire des jeux de rôle. Déroulement Durant la première heure, les élèves ont pour consigne de remplir les posters en renseignant trois rubriques: retrouver le plus de personnages du film; se remémorer des scènes du film (descriptif rapide); énumérer les idées, les thèmes soulevés par ce film. Je constate que les élèves n'énumèrent que les personnages principaux du film, bien que je leur aie précisé que les personnages secondaires aussi pouvaient figurer sur leur liste. Au fur et à mesure que les élèves écrivent, je corrige avec eux les erreurs d'anglais ou leur fournis une aide lexicale. Trois erreurs récurrentes: l'oubli du "s" à la 3° personne, "the" devant des noms abstraits (hatred); la construction du cas possessif. A. Benguigui-Mejia, L'utilité du français en classe d'anglais Les élèves sont beaucoup plus prolixes pour les affiches "scènes" et "thèmes", où ils expriment déjà des opinions personnelles contre le racisme. Nous clorons cette première heure en lisant ces affiches à haute voix. Pour la deuxième heure, je n'ai remis au mur que l'affiche contenant les thèmes suscités par le film, ainsi que les réactions des élèves (par exemple: hatred; prison changes a man; you must respect the others; reason wins over hatred; racism is bad...). Au tableau, je commence par leur demander de compléter la liste des personnages, afin de voir apparaître des personnages secondaires mais non moins essentiels. Puis je leur demande de choisir un personnage, de l'inscrire sur une feuille et de marquer à côté trois mots qu'ils associent à ce personnage. J'écris au tableau le vocabulaire qu'ils me demandent. Puis, je leur demande de choisir un deuxième personnage et de faire la même chose; enfin, je leur demande de choisir un "thème" et d'y associer aussi trois mots. Ensuite, je leur donne les consignes d'écriture d'un texte individuel, qu'ils recopieront sur des affiches (papier A3), afin que tous puissent les lire. J'écris les consignes en anglais au tableau et ils me demandent de les réexpliquer en français: "Vous êtes un des deux personnages que vous avez choisis; vous écrivez une lettre au deuxième personnage de votre choix ou vous écrivez à propos de ce deuxième personnage (dans votre journal intime par exemple); vous tenez compte du thème que vous avez choisi". Les élèves poussent des petits cris de surprise enthousiastes à l'idée de devoir s'identifier à leur personnage. Ils me demandent s'ils peuvent penser à d'autres thèmes que ceux figurant sur le poster, s'ils peuvent inventer des scènes qui ne viennent pas du film, ressusciter un personnage mort par exemple. Je leur explique qu'ils sont absolument libres d'inventer tous les cas de figure qu'ils souhaitent, que mes indications sont là pour les guider, pour les aider à écrire mais ne sont aucunement obligatoires. Au moment de recopier leurs textes, ils proposent de maintenir l'identité de leurs personnages secrète pour que les autres essaient de la deviner. Troisième séance: J'affiche leurs textes (en ayant pris soin de les photocopier auparavant pour moi-même) et je les invite à les lire et à indiquer en bas des affiches le nom du personnage qu'ils pensent avoir été choisi comme "auteur" du texte. Puis nous les lisons ensemble et vérifions l'exactitude de nos suppositions auprès de chaque élève. A. Benguigui-Mejia, L'utilité du français en classe d'anglais Je répartis ensuite les élèves en trois groupes, constitués en fonction de points communs que j'ai pu repérer dans leurs textes. La consigne suivante est d'écrire dans chaque groupe un texte commun, qui servira de support à une représentation jouée de ce texte. Chaque groupe reçoit une consigne un peu particulière car il s'agit de mettre en scène trois personnages principaux du film: "Mettez en scène Danny, en faisant ressortir les différentes facettes de sa personnalité; Derek, en mettant en scène les différentes étapes de sa vie; leur mère en faisant ressortir l'ambiguité de ses sentiments face à son fils Derek". Je leur distribue de grandes feuilles de papier A3. Lors de la quatrième séance, les élèves terminent leurs textes, se mettent d'accord sur la représentation de ceux-ci (ils se répartissent les répliques). Ils sont debout et se tournent vers la classe, tout en jetant des regards vers le texte affiché derrière eux car ils n'ont pas eu le temps de l'apprendre. Il s'agit donc davantage d'une lecture représentée que d'une représentation théatrale. La diversité des productions est toujours surprenante: un groupe a fait une sorte d'autobiographie, où le même personnage s'exprimant à la première personne avait donc plusieurs voix; un groupe a fait le portrait de son personnage en parlant de lui à la troisième personne, tandis que le dernier groupe a fait parler plusieurs personnages du film dans une scène inventée. A l'issue de ces lectures jouées, je leur ai demandé ce qu'ils pourraient suggérer pour améliorer ces représentations. En fait, c'est la forme dialoguée, pourtant la plus vivante, qui a porté le plus à confusion car on ne savait pas toujours qui parlait (le rôle de la mère étant joué par deux élèves); après analyse, la classe a estimé que c'était parce que ces personnages ne s'étaient pas présentés au public. Pour les autres groupes, nous avons trouvé que les voix étaient bonnes mais que les corps étaient beaucoup trop statiques, qu'il n'y avait pas de jeu visuel du tout. Je leur ai demandé d'imaginer des solutions. Quelqu'un a par exemple suggéré de représenter le tiraillement d'un des personnages par un mouvement d'étirement des bras dans les deux sens. Nous n'avons pu approfondir ce travail ni rejouer ces scènes, faute de temps. Puis, je leur ai proposé de retravailler leurs textes individuels et d'aborder l'étude d'un point de grammaire important: les temps du passé. A la cinquième séance, je commence l'étude du present perfect et du prétérit. Je leur ai demandé d'écrire individuellement six phrases concernant le personnage principal: trois concernant sa vie passée et trois concernant sa vie présente. Puis, sur une grande affiche, chacun devait A. Benguigui-Mejia, L'utilité du français en classe d'anglais recopier une phrase pour le passé et une phrase pour le présent. Nous avons lu ces phrases, relevé peu d'erreurs mais un problème pour l'emploi du present perfect: parfois il est possible dans un context passé, parfois non ("He's killed two blacks"). Par la suite, pendant deux ou trois séances, j'ai enchaîné avec une série d'exercices où je les place devant la différence entre le français et l'anglais en ce qui concerne l'emploi des temps du passé. J'utilise des exemples en contexte par rapport à l'histoire du film entre autres. Entre temps je leur rends un devoir où ils devaient imaginer la fin d'une nouvelle. Je lis certaines de ces fins et j'en distribue une que j'ai transcrite au tableau en mettant des blancs à la place des verbes. Enfin, je leur redistribue leurs premiers textes individuels, écrits à partir du film, et leur demande de corriger les erreurs que j'ai uniquement soulignées, en faisant particulièrement attention aux temps des verbes. Puis ce fut la fin de l'année scolaire! * J'ai l'impression d'avoir avancé avec eux à la fois de manière globale, sur plusieurs plans à la fois, et de manière plus précise, sur certains points, plus approfondis que d'autres. Sur certains aspects j'ai le sentiment d'avoir effleuré uniquement les choses et pourtant c'est déjà mieux que de ne pas les avoir abordées du tout. Je pense par exemple à la partie jouée, qui autant pour les élèves que pour moi-même, était peut-être la partie la plus "périlleuse", où j'ai dû insister pour qu'ils jouent. Cest la première fois que je ménage un moment de métacognition sur une telle activité et il est dommage que nous n'ayons pas vraiment pu recommencer. Mais ils l'ont fait tout de même et cela ouvre en soi tout un champ de possibles. D'autre part, j'ai ressenti chez les élèves une demande non verbalisée de revenir à une étude plus précise de la langue elle-même comme outil de communication et non plus seulement (!) comme moyen d'expression et de création. Et ils ont bien raison, car la maîtrise de l'outil permet la liberté d'expression et de création. J'ai donc abandonné momentanément le travail créatif sur le film, pour faire un détour plus classique sur un point de grammaire précis. Détour grammatical s'appuyant le plus possible sur une démarche de construction du savoir: priorité donnée au sens, à la valeur de la forme étudiée, à partir de l'observation de ses emplois et des différences avec le français. A. Benguigui-Mejia, L'utilité du français en classe d'anglais Enfin, impression d'avoir tout de même "bouclé la boucle", en revenant à leurs premiers textes pour en corriger un aspect essentiel (les verbes). Note (1) "L'apprenant est vu comme épistémiquement autonome, et doté d'un potentiel cognitif multilingue qu'il importe de prendre en compte pour l'encourager à le mettre à contribution dans la construction du savoir nouveau, l'apprentissage étant, dès lors, envisagé comme un bilinguisme en construction". (Louise Dabène, op. cit.) Références DABÈNE, Louise. 1998. "A propos du colloque sur le thème de l'alternance", Lidil n° 18 (novembre). GAJO, Laurent. 2000. "Le bilinguisme par l'apprentissage et le bilinguisme pour l'apprentissage", Le français dans le monde, n.s. coord. par Jean Duverger (janvier). GARABÉDIAN, Michèle & LERASLE, Magdeleine. 1997. "L'alternance codique, la double contrainte", Etudes de Linguistique Appliquée, n°108 (oct.-déc.). GFEN. 1999. Réussir en langues. Un savoir à construire. Lyon: Chronique sociale (Groupe Français d'Education Nouvelle). RIOUX, Jean-Pierre. 2000. "Histoire en deux langues, histoire de l'Europe", Le français dans le monde, n.s. coord. par Jean Duverger (janvier).