Un troubadour de Santiago de Cuba guitariste de Carlos Gardel
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Un troubadour de Santiago de Cuba guitariste de Carlos Gardel
Un troubadour de Santiago de Cuba guitariste de Carlos Gardel Par Lino Betancourt Molina Traduit par Alain de Cullant Numéro 9, 2014 Nous avons connu le troubadour Roberto Moya un dimanche après-midi, dans la Peña de Sirique. Un ami commun, Félix Cobo, me l’a présenté comme l'auteur de la guajira Ranchito mío que venait d’interpréter le duo formé par Luisito Pla et sa femme. J'ai su alors que ce troubadour de Santiago de Cuba avait accompagné Carlos Gardel dans plusieurs spectacles et films. Je lui ai demandé : Comment un troubadour de Santiago est arrivé à être un des guitaristes du célèbre artiste Carlos Gardel ? « J'ai rencontré Gardel en 1933 quand je suis allé à l'hôtel Anzonia, à New York, sur l'Avenue de Broadway et la 72e rue, où mon partenaire de duo, l'argentin Carlos Spaventa, et moi séjournions. Le directeur de l'hôtel, qui savait que nous étions musiciens, m’a dit : Carlos Gardel vient juste de partir et il cherche des guitaristes. Ce jour-là nous n’avons pas pu le voir, mais son ami Eligio Potorosi nous a invités afin de le connaître. Le lendemain nous sommes allés dans un appartement que Gardel louait à l'Est de la ville. Quand nous l'avons vu il savait déjà qui nous étions et il s’est comporté avec nous comme si nous étions de vieux amis. En effet, à ce moment il cherchait des guitaristes d'expérience sachant interpréter la musique argentine pour l'accompagner car les guitaristes de son groupe n’étaient pas arrivés à cause de problèmes avec les visas. Il nous a fait une accolade et il nous a dit de sortir nos guitares, nous avons alors chanté une samba qu'il a fredonné. Il a dit immédiatement : « C’est bien, il n’y a pas de problème, nous nous voyons demain à une heure dans les studios de la Paramount ». C’est ainsi que nous avons participé au premier film que Gardel a tourné aux ÉtatsUnis, intitulé Cuesta Abajo. Gardel a été satisfait de notre performance dans ce film et il nous a invité à prendre part à d'autres comme Tango à Broadway, El día que me quieras et Tango bar, bien que je n’apparaisse pas personnellement dans le dernier, je l’accompagnais dans la musique de fond. À cette époque ses guitaristes étaient arrivés mais il nous a laissé joué avec eux car Gardel voulait que nous participions également à ces films. Je suis resté avec Gardel et je l’ai accompagné dans certains spectacles. Lorsque nous avons terminé les engagements aux États-Unis, il a voulu que je l’accompagne dans sa tournée en Amérique du Sud mais Lepera, son administrateur, s'y est opposé car cela accroîtrait les coûts. Gardel a compris et il m'a dit : « C’est bien, tu pars à Cuba et le 24 juin tu viens ici et nous nous retrouvons le 1er juillet à New York parce que nous tournerons cinq film de plus dans lesquels je pense que tu va t’améliorer ». J'ai accepté avec réticence, mais je voulais rentrer à Cuba et donner un peu d'argent à ma famille. Le 24 juin 1935 j'ai pris le ferry Florida à La Havane en partance pour Cayo Hueso, ensuite j’ai pris le train pour New York. À la gare, j'ai vu comment les vendeurs de journaux les vendaient immédiatement. Un ami m'en a apporté un ayant en gros titre : « UN ACCIDENT AÉRIEN À MEDELLIN. GARDEL ET TOUS SES ACCOMPAGNATEURS ONT PÉRI. LE CORPS DE GARDEL ÉTAIT CARBONISÉ. IL A ÉTÉ IDENTIFIÉ PAR LA RASTRA QU’IL PORTAIT ». La rastra est une ceinture de cuir que les Argentins portent sur le corps pour garder leur monnaie, et je dois préciser que Gardel était un collectionneur de monnaie. Je suis retourné à Cuba sur le même bateau… pourquoi allais-je continuer ? J’ai alors pensé que si j’avais continué comme guitariste avec Gardel je serai mort dans le tragique accident de Medellín, en Colombie, le 24 juin 1935 ». Roberto Moya, gaucho transitoire et troubadour de Santiago, est né le 26 septembre 1897 à Santiago de Cuba, dans une maison de la rue Santa Lucia, entre les rues San Pedro et de San Tomás. Son père, Francisco Moya Portuondo était professeur de piano et il alternait cette profession avec celle d’assistante de notaire, d’huissier, de secrétaire d'un tribunal et procurateur public. Son père lui a donné ses premières classes de musique et lui a appris à jouer de la guitare. Sa première composition fut un boléro, il le composa à l'âge de 16 ans et il était intitulé Mujer querida, inspiré par une ravissante jeune fille de Santiago de Cuba appelée Conchita Caula. Plus tard, en 1917, il composa Labios de amapola et Quisiera ser tu dueño. Il a composé sa guajira Ranchito mío à Manzanillo. Roberto Moya ne s’est pas dédié entièrement à la musique, il a été correspondant de presse, greffier de la Cour de Bayamo et même juge correctionnel à Santiago, où il a rencontré l'avocat Alfredo Yabur. Il s'est installé à La Havane en 1928 et, suite aux conseils du chanteur Eusebio Delfín, il a formé un trio avec Pepe Figarola et Valeriano Daugherty, qui se sont présentés dans le théâtre Campoamor avec beaucoup de succès. Lorsque le trio s'est séparé, il a continué comme chanteur soliste et il donnait des leçons de guitare. Il a été l’auteur du livre Método Práctico de Guitarra (Méthode Pratique de Guitare) dont plusieurs centaines d'exemplaires ont été publiés. Durant cette même époque il a aussi travaillé à la radio cubaine, récemment créée, avec le maestro Gonzalo Roig. Il fonde le Cuarteto Trovadores Líricos de Cuba en 1932 et, avec ce groupe musical, il se présente à Miami et à New York. Quand les musiciens ont décidé de rentrer à Cuba, il est resté à New York et il a formé un duo avec l’Argentin Carlos Spaventa pour chanter des tangos. Ils se sont présentés comme artistes exclusifs du Miami Beach Tennis Club puis à New York et à Washington. C’est en séjournant dans l'hôtel Anzonia qu’ils ont appris que Gardel cherchait des guitaristes. Roberto Moya est décédé à La Havane le 27 janvier 1971. L’oraison funèbre a été prononcée par son ami Alfredo Yabur, ex Ministre de la Justice dans le Gouvernement Révolutionnaire. Source : - Entrevue de Roberto Moya par l’auteur de cet article. www.lettresdecuba.cult.cu [email protected] Facebook : Lettres de Cuba Twitter : @rlettresdecuba