Funéraire et nouvelles technologies
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Funéraire et nouvelles technologies
Compte-rendu du colloque du SIFUREP du 8 octobre 2015 COLLOQUE « Funéraire et nouvelles technologies : véritable bouleversement des usages ou simple effet de mode ? » ÉDITO Pour son 8e colloque annuel, qui s’est tenu début octobre, le Syndicat intercommunal funéraire de la région parisienne a opté pour un thème novateur : il a choisi de s’interroger sur l’ampleur et la pérennité des bouleversements induits par les nouvelles technologies sur le fonctionnement et l’équilibre du secteur funéraire. Jacques Kossowski, Président du SIFUREP Député-Maire de Courbevoie Voyant que, depuis plusieurs années, la sphère du funéraire est progressivement investie par le monde de l’Internet, il nous a paru intéressant de chercher à dessiner les contours de ce phénomène complètement inédit ; et d’explorer le panel des nouvelles offres de services qu’il a générées : avis de décès et de condoléances en ligne, comparateurs de devis d’obsèques, retransmission de cérémonies, création de mémoriaux virtuels… Le déploiement de ces nouveaux outils, accessibles d’un clic, sans avoir à pousser les portes d’une agence de pompes funèbres, pose, en effet, de nombreuses questions que le SIFUREP ne peut ignorer. Nous avons donc invité professionnels et observateurs du funéraire pour qu’ils nous aident à prendre la mesure des évolutions en cours, à identifier les problématiques réglementaires et juridiques qu’elles soulèvent, et à comprendre l’économie de ce secteur émergent. Plus fondamentalement encore, nous avons voulu tenter d’évaluer les incidences du recours aux nouvelles technologies sur le rapport à la mort et sur l’inévitable temps de deuil pour la famille. Acteurs historiques du funéraire et nouvelles sociétés de service nous ont ainsi donné quelques clés pour appréhender les bouleversements en cours et anticiper ceux qu’un avenir proche nous réserve. Face à ces enjeux culturels, économiques, techniques, voire éthiques, il nous a semblé indispensable que le SIFUREP, garant de la qualité du service public funéraire en région parisienne, se saisisse de ce sujet ; et veille, avec les élus et les équipes municipales qu’il accompagne, à ce que les transitions auxquelles nous assistons se fassent dans le respect des familles endeuillées, des principes et des valeurs du service public auxquels nous sommes tous si attachés. SOMMAIRE Peut-on parler de révolution 2.0 dans le funéraire ? 02 À la pointe de l’innovation Quelles limites ? 02 03 Zoom sur… Comparateur de devis : atouts et limites Quelle transparence ? Quelques limites 04 05 05 De la retransmission des cérémonies d’obsèques au cimetière virtuel : les questions posées par les nouvelles technologies. Réalités spatiales Précautions Immortaliser ses funérailles Zoom sur… Le rôle du service public face à ces évolutions 06 06 07 07 08 De nouvelles perspectives pour les collectivités locales : l’exemple de Fontenay-sous-Bois Prolongement numérique au cimetière Zoom sur… L’attrait des cimetières comme éléments de patrimoine Nouvelles technologies et travail de deuil : quelles précautions prendre ? 10 10 11 12 Peut-on parler de révolution 2.0 dans le funéraire ? Les agences des pompes funèbres ne sont plus les seuls lieux d’information sur les services funéraires. Depuis plusieurs années, les opérateurs se sont dotés de sites Internet qui fournissent toutes les données de base sur leurs activités et proposent une gamme de produits plus ou moins innovants. Une petite révolution qui bouleverse les habitudes des professionnels et des usagers. Choisir un monument funéraire en ligne et accéder, comme pour le montage de sa cuisine en kit, à une simulation de l’effet donné, en fonction des formes et des couleurs de granit choisies, voilà qui peut surprendre ! L’exercice est pourtant devenu François Michaud Nérard, Directeur général de la SEM possible, depuis que certains Funéraire de la Ville de Paris opérateurs ont conçu cette offre virtuelle. C’est notamment le cas du site « Révolution marbrerie », géré par les Services funéraires de la Ville de Paris. « Nous avons été obligés de nous lancer dans l’aventure, a déclaré, lors du colloque du SIFUREP, François Michaud-Nérard, Directeur général de la SEM Funéraire de la Ville de Paris. Tout ce qui se passe dans la sphère du digital nous interpelle forcément, car nous devons à la fois suivre les évolutions présentes et nous tenir prêts à affronter les bouleversements qui s’annoncent. » Cette nécessaire adaptation aux pratiques actuelles ne surprend pas Tanguy Châtel, Sociologue invité au colloque : « La mort étant un marqueur temporel, il n’est pas étonnant que les nouvelles technologies viennent sur le champ de la mort, a-t-il estimé. Il n’est pas anormal qu’on mobilise les moyens contemporains pour enterrer nos proches. » « Nous avons été obligés de nous lancer dans l’aventure » François Michaud-Nérard, Directeur général de la SEM Funéraire de la Ville de Paris 02 À la pointe de l’innovation Si l’apparition du digital dans le monde funéraire remonte déjà à une quinzaine d’années – les sites du groupe OGF ont, par exemple, vu le jour fin des années 90-début des années 2000 – la présentation de l’information et la diversité des outils accessibles sur le web se sont, en revanche, récemment perfectionnées Le nouveau site PFG a été mis en ligne en août 2012. « Nous avons progressivement approfondi nos offres sur Internet pour réduire le décalage entre nos services en ligne et en agence, a précisé Sandrine Abécassis, Directrice digitale et communication multi-canal à OGF. Du devis aux avis de décès et aux condoléances, notre site PFG est devenu très complet. Non seulement nous montrons sur Internet les produits et les prix que nous pratiquons en agence, mais nous sommes aussi à l’écoute de nos clients et en recherche permanente de pédagogie auprès des internautes. De courts films leur montrent, par exemple, comment est Sandrine Abécassis, installé un monument Directrice digitale et communication multi-canal funéraire ou comment se à OGF déroulent des obsèques. » De son côté, le site du crématorium du Père Lachaise, à Paris, donne la possibilité de réaliser des visites virtuelles de ses salles. « En tant que service public, estime François Michaud-Nérard, nous cherchons en permanence à être agile. Nous voulons être en capacité d’accompagner les Parisiens qui s’adressent à nous, quelle que soit leur demande. » C’est pourquoi la SEM Funéraire de la Ville de Paris a eu recours aux services d’un acteur spécialisé dans la vidéo, pour que ses clients disposent de la retranscription des séances d’obsèques au crématorium du Père Lachaise. Quelles limites ? Retransmission de cérémonies, QR code, mémorial virtuel (voir pages 6 à 8), la mobilisation de ces nouveaux outils constitue-t-elle une révolution ou une simple évolution ? D’après le sociologue Tanguy Châtel, il convient d’être prudent : « Les pratiques funéraires relèvent à la fois d’une longue tradition, comme si la mort pouvait échapper à l’air du temps, et de pratiques très contemporaines ». Et le chercheur de conclure : « La mort conserve un pouvoir de fascination ce qui peut expliquer en partie sur ce champ réputé traditionnel le recours aux nouvelles technologies. Mais celles-ci ne pourront ni sublimer ni banaliser la mort (voir interview page 9). Elles ne sont que des outils. Ce n’est donc pas une véritable révolution. » « La mort est le marqueur anthropologique primordial : en même temps qu’elle est sur le fond un invariant, elle est sur la forme assez changeante. Elle est toujours le reflet de son époque. On pourrait même dire qu’elle est toujours de son temps… Quand on enterre quelqu’un, on rend hommage à ce qu’a été sa vie et donc inévitablement aussi à l’époque dans laquelle il a vécu » Tanguy Châtel, Docteur en sociologie, spécialiste des questions de fin de vie, d’accompagnement et de la mort. Quel public cible ? Si 40 % des personnes interrogées par le CREDOC1 se disent prêtes à utiliser Internet pour s’informer sur les démarches à effectuer en cas d’obsèques, elles ne sont, en revanche, que 5 % à reconnaître avoir déjà eu recours à Internet pour organiser concrètement des obsèques. Encore marginale, l’utilisation d’Internet dans les pratiques funéraires concerne aujourd’hui un public ciblé, à la fois « diplômé, jeune et bénéficiant de revenus élevés », comme le souligne l’étude du CREDOC. Un profil type que révèlent aussi les données recueillies par les opérateurs : « La création de notre site Révolution obsèques grâce auquel les gens peuvent organiser des obsèques eux-mêmes, répond à la demande de cadres qui se connectent après 22 heures, témoigne ainsi François Michaud-Nérard. Ce public cherche avant tout à éviter d’avoir à se rendre en agence, il veut être acteur de l’organisation des obsèques et, pour cela, il veut disposer de tous les services, à la carte et à distance. » Si l’usage de ce service reste limité, le renouvellement des générations pourrait à l’avenir dynamiser la demande. 1/ La montée de l’immatériel dans les pratiques funéraires, une étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC), en octobre 2014. Compte-rendu du colloque du SIFUREP du 8 octobre 2015 03 Quid des contrats obsèques ? Bien que des informations relatives aux contrats obsèques soient accessibles sur Internet, les opérateurs présents au colloque ont prévenu que la conclusion de contrats en ligne exigeait une prudence particulière. « Nous sommes revenus sur ce que nous avions initié au départ, a indiqué Sandrine Abécassis. Nous proposons maintenant un accès à des simulateurs ou des demandes de devis », sans possibilité de conclure un contrat. « Car sur ce sujet complexe, souligne la professionnelle, il faut pouvoir échanger et bénéficier de conseils individualisés ». « L’interaction avec un conseiller reste primordiale, confirme de son côté François Michaud-Nérard. Peut-être ferons-nous évoluer notre offre, mais pour l’instant nous avançons avec circonspection. » Dans le domaine funéraire, plus qu’ailleurs, le déploiement du numérique est forcément progressif, contraint de prendre en compte le fait que les familles ont toujours besoin d’un face à face humain, tout particulièrement aux moments douloureux de leur vie. « Le courrier postal a régressé de 31 % ces dernières années, le nombre d’agences de voyage a été divisé par 20, celui des librairies par 10 : il n’y a aucune raison que le funéraire ne soit pas touché par cette révolution » François Michaud-Nérard, Directeur général de la SEM Funéraire de la Ville de Paris. ZOOM SUR… Comparateur de devis : atouts et limites Achat de billets d’avion, souscription d’un contrat d’assurance ou d’une mutuelle… il est aujourd’hui possible d’avoir recours à des comparateurs de prix, dans de très nombreux domaines d’activité. Y compris dans le funéraire, puisque plusieurs sites de comparateurs de devis ont prospéré ces dernières années sur la Toile. Tous conçus sur le même modèle, ils se font l’intermédiaire entre la famille et l’opérateur funéraire en proposant de collecter pour le compte de l’internaute plusieurs devis en matière d’organisation d’obsèques, de marbrerie, de rapatriement d’un défunt de l’étranger ou encore d’entretien de sépulture. Après avoir répondu en ligne à quelques questions très simples (inhumation ou crémation, cérémonie religieuse ou civile…) et laissé ses coordonnées, l’internaute est ensuite rappelé par l’équipe du site, qui lui fait préciser sa demande. Celle-ci sera alors transmise aux opérateurs funéraires, lesquels renverront un devis par mail au comparateur. « Même si ce n’est pas de gaieté de cœur, nous sommes obligés de faire avec cette nouvelle réalité, a souri François Michaud-Nérard. Il n’y avait aucune raison que cette évolution ne touche pas aussi notre secteur ! Nous faisons avec ! » Les différents opérateurs de pompes funèbres, qui reçoivent tous les jours, de la part des sites de comparaison, des demandes de devis, n’ont donc pas d’autre choix que d’y répondre dans les meilleurs délais. « Qu’elles passent par une agence ou par un site de comparateur de devis, nous nous devons de répondre aux demandes des familles, c’est notre métier », a résumé Sandrine Abécassis. 04 Quelle transparence ? Quelques limites Tout le problème reste de savoir si les familles qui ont recours à ces sites sont non seulement informées en toute transparence, mais aussi libres de choisir l’opérateur de leur choix. « Quelle est la véracité sur les prix a ainsi interrogé Jacques Ladreyt, Responsable du cimetière de Noisy-le-Sec. N’y a-t-il pas des prix d’appel ? » « Il faut être vigilant sur l’impartialité des comparateurs de devis, a noté Philippe Genty, Directeur général adjoint en charge du développement et de la stratégie de FUNECAP. Ces sites ne doivent pas être des prescripteurs, ils ne doivent pas influencer les familles dans leur choix. » Aussi faciles d’usage qu’ils soient, ces nouveaux outils ne répondent cependant que partiellement à la demande actuelle car, contrairement au secteur du voyage, par exemple, le critère prix n’est pas toujours prédominant. Comme l’a rappelé Tanguy Châtel, en se référant à l’étude du CREDOC de 2014, « le travail d’accompagnement autour des funérailles est essentiel et requiert de vraies compétences professionnelles ». Face à la nécessité de mettre en place des garde-fous efficaces, les acteurs du web venus assister au colloque ont reconnu qu’il était indispensable de s’assurer de la neutralité des sites de comparateurs de devis. Tandis que 51 % des personnes interrogées par le CREDOC se disent avant tout attentives au prix des produits et prestations du funéraire, elles sont 58 % à privilégier la qualité de l’accueil. « Les personnes endeuillées cherchent de plus en plus un véritable accompagnement humain pour faciliter la mise en œuvre d’une démarche psychologiquement éprouvante », note l’étude. Une tendance qui se renforce ces dernières années, quel que soit le succès des sites de comparateurs de devis. « Avant, les familles allaient se renseigner en agence ; aujourd’hui, elles le font de plus en plus sur Internet ; notre site se doit de leur offrir une information de qualité. » Sandrine Abécassis, Directrice digitale et communication multi-canal à OGF. Compte-rendu du colloque du SIFUREP du 8 octobre 2015 05 De la retransmission des cérémonies d’obsèques au cimetière virtuel : les questions posées par les nouvelles technologies Grâce aux nouvelles technologies, les acteurs du secteur funéraire proposent désormais de filmer les cérémonies d’obsèques et éventuellement de les retransmettre en direct ou en différé. Ils développent aussi de nouveaux produits, QR codes et mise en ligne de cimetières virtuels, qui, s’ils décuplent le champ du souvenir, multiplient aussi les questions juridiques et morales posées par ces innovations. Venue d’outre-Atlantique et du Japon, la possibilité de retransmettre une crémation se développe, lentement mais sûrement, en Europe. « Sommesnous sur le point d’importer des cérémonies d’obsèques 2.0 comme nous avons hier importé des cérémonies de mariage ? » a interrogé Catherine Dumas, la Directrice adjointe du SIFUREP, pour lancer le débat sur le sujet. En effet, même si on ne filme pas des funérailles comme on filme un mariage, le recours à la vidéo ouvre, dans les deux cas, de nouvelles perspectives, à la fois économiques, techniques et symboliques. 06 Réalités spatiales « Les retransmissions d’obsèques que nous proposons dans les crématoriums ou les chambres funéraires répondent, tout d’abord, au besoin des familles qui sont éclatées géographiquement, a argumenté Eric Fauveau, Président de la société Afterweb-venture. Les proches n’ayant pas forcément ni le temps ni les moyens de se déplacer, la retransmission leur permet de suivre la cérémonie à distance. » Ou bien même d’y participer : suite à une intervention de Pierre Bernard, Ancien délégué du SIFUREP, qui se demandait si ses petits-enfants installés au Mexique pourraient lire un texte à distance, lors de ses obsèques, Eric Fauveau a expliqué que les internautes pouvaient laisser des messages vidéos qui sont projetés dans la salle du crématorium, au cours de la cérémonie. Performante, la retransmission ne remplacera jamais, cependant, la présence physique : « Pour l’instant, nous ne vendons qu’une vingtaine de retransmissions par an, explique François Michaud-Nérard. C’est une prestation qui reste chère (200 euros) et que nous ne cherchons pas à promouvoir pour remplacer les obsèques car nous jugeons que c’est mieux que les gens viennent physiquement pour soutenir les proches en deuil. » Précautions Même s’il ne s’agit que d’une solution de secours, reste qu’elle soulève de nombreuses questions, avant tout juridiques comme l’a rappelé Danielle da Palma : « Pour filmer, il faut avoir réglé la question du droit des personnes à l’image, a ainsi pointé l’Avocate du cabinet Seban et Associés. S’il est formellement interdit de reproduire l’image des mineurs, il ne faut pas oublier qu’il faut aussi recueillir l’autorisation des adultes.» Une précaution que les acteurs du secteur prennent très au sérieux : au Père Lachaise, par exemple, le maître de cérémonie prévient les invités que la séance est filmée et leur indique à quel endroit ils doivent se tenir, dans la pièce, s’ils ne souhaitaient pas être filmés. Autre sujet délicat soulevé lors du colloque : comment sécuriser la diffusion et contrôler l’accès aux images ? « Nous avons mis en place avec les équipes d’Eric Fauveau un protocole rigoureux, affirme François Michaud-Nérard. Parmi les points évoqués, les aspects techniques sont importants : ils doivent garantir un débit suffisant et la sécurité des flux. » Quant à savoir qui a accès aux films, c’est aux familles d’en décider : « Login et mots de passe sont transmis par SMS et mail à la personne qui a qualité à pourvoir aux funérailles, a rappelé Eric Fauveau. C’est à elle seule d’inviter les personnes à pouvoir suivre la cérémonie. » Reste, enfin, la problématique de la propriété des films, qui sont systématiquement enregistrés, même si leur diffusion se fait en direct. « Nous avons anticipé la question de la propriété des images qui revient de droit à la famille », note Eric Fauveau. Pour quel usage ultérieur ? « Il convient de bien faire la distinction entre les diffusions privées qui se limitent au cercle familial et les diffusions plus larges qui exigent que soient rédigés des contrats précis » Danielle da Palma, Avocate, cabinet Seban et Associés Immortaliser ses funérailles Certaines familles sont-elles prêtes à organiser des rediffusions d’obsèques comme on se repasse le film d’un mariage ? Si l’histoire ne le dit pas pour l’instant, l’apparition des QR codes dans les cimetières (voir encadré), la création de mémoriaux virtuels et de blogs post-mortem, comme autant de prolongements à la vie, revisitent notre rapport à la mort et nous interpellent. « Parmi les initiatives que nous pouvons repérer, il faut distinguer ce qui est amateur et ce qui est professionnel, a tenu à souligner François Michaud-Nérard. Un opérateur funéraire doit être rigoureux. » Et se garder de proposer des sites actifs qui iraient jusqu’à faire envoyer des messages de la part du défunt… « Ce serait le pire en matière de deuil, estime le Directeur général de la SEM Funéraire de la Ville de Paris. Il n’en est pas de même des sites Danielle da Palma , passifs, alimentés par des Avocate, cabinet Seban proches, et qui ont pour seul et Associés. objectif de rassembler des traces de vie ». Si comme l’a expliqué Eric Fauveau, « beaucoup d’acteurs cherchent des solutions numériques nouvelles pour rendre hommage aux morts ou pour perpétuer leur souvenir », il convient d’être attentif au statut des différents sites et blogs. Quelles garanties de sécurité des informations ? Qui est en droit de créer un mémorial, sur qui ? « Il faut prévoir, dans le cadre d’un contrat de prestation de service, les conditions de diffusion des données relatives à la vie du défunt et les accès autorisés, a précisé Danielle da Palma. Sans oublier que la personne qui signe le contrat ne sera plus là pour le gérer par la suite… » Qui sera responsable de la gestion future du site ou du blog ? Que se passera-t-il en cas de résiliation du contrat ou de faillite de la société qui héberge le site ?... Toutes les incidences des nouvelles technologies sur l’organisation et la réglementation propres au secteur funéraire n’ont pas encore été évaluées. Compte-rendu du colloque du SIFUREP du 8 octobre 2015 07 ZOOM SUR… Le rôle du service public face à ces évolutions Tandis qu’une épitaphe se lit directement sur une pierre tombale, sans médium, le contenu des données auxquelles renvoient les QR code est moins immédiat et donc plus difficile à vérifier. QR Code de quoi s’agit-il ? Ces petits graphiques géométriques noir et blanc, les QR code – pour quick abréviation s’affichent aujourd’hui sur de nombreux supports, plans de métro, produits de consommation, publicité… Ils peuvent être décodés rapidement par un lecteur de code barres ou tout simplement par un smartphone. D’un geste, l’utilisateur a ainsi accès à un site Internet, une vidéo, des photos, des informations sur un produit ou, dans le cas qui nous intéresse, à un mausolée virtuel dédié au défunt qui repose dans la tombe sur laquelle a été fixé le QR Code. Comme pour les vidéos de funérailles ou les cimetières virtuels, l’origine, le contrôle et la durée de vie des données posent d’importantes questions juridiques et éthiques. Un problème que le sénateur socialiste du Loiret, Jean-Pierre Sueur, a soulevé, dans une question écrite adressée en avril 2014 au ministre de l’Intérieur. L’apparition des nouvelles technologies dans les cimetières rend nécessaire, selon l’élu, de préciser la réglementation qui leur est applicable, de manière à ce que les maires puissent continuer à surveiller le contenu des données relatives aux défunts, y compris celles qui sont désormais accessibles par le biais d’un smartphone ou d’une tablette. Pourquoi la vidéo ne concerne-t-elle que les cérémonies de crémation ? Adaptée au cadre d’une cérémonie de crémation, qui se déroule à l’intérieur, dans un espace clos que le vidéaste peut aménager et délimiter, la possibilité de filmer des obsèques ne concerne pas pour l’instant les inhumations. « Il y a avant tout un problème d’autorisation et de droit à l’image, a expliqué Éric Fauveau, président de la société Afterweb-venture. Dans l’espace ouvert d’un cimetière, les gens risquent d’être filmés de face et non pas uniquement de dos comme le permet l’agencement d’une salle de crématorium. » À cette première réalité, s’ajoutent des aspects techniques : bruits ambiants de l’extérieur, accès difficile au Wifi, à la 3 ou 4G… Eric Fauveau , Président de la société Afterweb-venture 08 De bonnes conditions de tournage et de diffusion ne sont pas réunies lors d’une inhumation. Non pas qu’il s’agisse d’exercer une quelconque censure sur ces informations mises en ligne par des proches, la préoccupation de Jean-Pierre Sueur se situant plutôt du côté de l’éthique publique et de la responsabilité des services publics censés protéger les citoyens : « Le contrôle du maire sur le respect par ce dispositif de l'ordre public et de la dignité des lieux (absence de publicité commerciale ou de mentions contraires aux bonnes mœurs) est donc rendu plus difficile », indique-t-il dans sa question écrite n°11151. Tout en rappelant les pouvoirs que confère aux maires l’article R.2223-8 du code général des collectivités publiques - qui donne aux élus « la possibilité de refuser toute inscription injurieuse, irrespectueuse ou nature à troubler l’ordre public » - le ministre de l’intérieur a reconnu dans sa réponse au sénateur en date du 12 mars 2015 que le développement des nouvelles technologies complique l’application de cet article et qu’il convient d’engager une concertation avec les associations d’élus et le Conseil national des opérateurs funéraires. « Avec la publication des échographies prénatales sur les réseaux sociaux, la vie numérique commence pour certains avant la naissance ; pourquoi n’aurions-nous pas droit à une petite parcelle d’éternité numérique après la mort ? » Éric Fauveau, Président de la société Afterweb-venture Compte-rendu du colloque du SIFUREP du 8 octobre 2015 09 De nouvelles perspectives pour les collectivités locales : l’exemple de Fontenay-sous-Bois Utiliser tablettes et portables pour valoriser le patrimoine municipal, telle est l’ambition de la Ville de Fontenay-sous-Bois qui a lancé en 2013 son projet « Flashe ta ville ! ». En quelques mois, quelques dizaines de QR codes ont fleuri sur les bâtiments et dans l’environnement urbain de Fontenay-sous-Bois, comme autant de traits d’union entre l’espace physique et le monde virtuel. « Nous sommes partis de l’idée que les nouvelles technologies devaient nous permettre de mieux partager l’histoire de Fontenay-sous-Bois, a expliqué Loïc Damiani-Aboulkheir, Maire adjoint de Fontenay-sous-Bois, lors du colloque du SIFUREP. C’est pourquoi nous avons installé ces QR codes qui renvoient à des explications et mettent ainsi le patrimoine et l’histoire de la commune à portée de clic. » Si depuis 2013, trois parcours balisés sont proposés aux habitants - « Fontenay dans la guerre », « les bâtiments remarquables », « œuvres d’art » - les promeneurs ont également tout simplement le loisir de picorer les informations auxquelles ils ont envie de goûter, au fil de leurs itinérances. Une formule qui se veut souple, de manière à ce que chacun se l’approprie librement. Résultat : le succès est indéniablement au rendez-vous, puisque les parcours enregistrent une centaine de consultations par mois. 10 Prolongement numérique au cimetière Parmi les sites mis en valeur, le cimetière et le monument aux morts communal ont été équipés de QR codes, qui fournissent une information précise et complète sur les guerres du siècle dernier, leurs enjeux et leurs liens avec Fontenay-sous-Bois. « Le QR code renvoie à un monument aux morts virtuel, qui est plus complet que le monument réel, indique Loïc Damiani-Aboulkheir. Grâce à la participation de la population, nous avons pu recenser plus de 550 Fontenaysiens morts au cours de la 1ère guerre mondiale, alors que nous n’en n’avions identifié que 300 auparavant, plutôt que de graver leur nom sur un monument, nous avons créé un mémoriel sur internet, sur le site des archives de la ville. » Le monument aux morts numérique, auquel renvoient les QR codes positionnés au cimetière et sur le monument aux morts, présente en outre des cartes pour visualiser les endroits où ont péri les combattants et des photos de ces derniers, quand les familles ont pu en transmettre à la Mairie. « C’est un moyen, souligne Loïc Damiani-Aboulkheir, de donner vie à ces hommes Loïc Damiani-Aboulkheir, de qui, autrement, seraient Maire-adjoint Fontenay-sous-Bois restés dans l’oubli ». ZOOM SUR… L’attrait des cimetières comme éléments de patrimoine Le simple fait d’avoir regroupé dans une même délégation la ville numérique, le patrimoine historique et le cimetière prouve que la Municipalité de Fontenay-sous-Bois veut faire du cimetière un lieu vivant du patrimoine municipal. D’autres initiatives franciliennes témoignent de cette même volonté de valoriser les cimetières, comme l’a souligné Catherine Dumas : « La visite du cimetière intercommunal des Joncherolles, le 21 septembre dernier, à Villetaneuse, dans le cadre des Journées européennes du Patrimoine, a rencontré un grand succès, a rappelé la Directrice adjointe du SIFUREP. Les visiteurs ont pu suivre une visite guidée, qui avait été organisée en partenariat avec l’Office du tourisme de Plaine commune. » Une preuve supplémentaire du rôle des services publics dans la mise en valeur du patrimoine, y compris funéraire. « Avec plus de 2000 visiteurs uniques par mois, nous sommes heureux de constater que les QR codes du cimetière et le mémorial numérique que nous avons créé sont consultés par beaucoup plus de personnes que nous ne l’aurions imaginé » Loïc Damiani-Aboulkheir, Maire-adjoint délégué à la ville numérique, au patrimoine historique et au cimetière de Fontenay-sous-Bois. En novembre, une visite nocturne du cimetière Tablettes numériques en main, les Fontenaysiens ont été invités à découvrir de nuit le cimetière communal, pour le voir sous un nouveau jour ! Ils vont ainsi avoir la possibilité d’accéder en temps réel et in situ à de nombreuses informations sur les personnalités inhumés à Fontenay, mais aussi sur la Pleureuse du cimetière ou encore la tombe du soldat allemand. Compte-rendu du colloque du SIFUREP du 8 octobre 2015 11 Nouvelles technologies et travail de deuil : quelles précautions prendre ? Craignez-vous que les innovations telles que la retransmission d’obsèques ou la création de mémoriaux virtuels entretiennent un mensonge autour de la mort ? Entretien avec Tanguy Châtel, Docteur en Les funérailles sont des moments de rassemblement sociologie, spécialiste des questions de fin où il faut pouvoir toucher la réalité de la mort d’une de vie, d’accompagnement et de la mort. façon sensorielle. Si je comprends les motivations L’arrivée des nouvelles technologies dans le secteur funéraire peut-elle changer le rapport que nous avons à la mort ? Bien que nous nous inscrivions toujours, en Europe, dans une culture traditionnelle de la mort, je crois qu’avec les nouvelles technologies, quand elles sont utilisées pour rendre la mort plus légère, moins triste, nous nous trouvons face à une nouvelle expression du déni de la mort. Les progrès techniques et les résistances culturelles permettent de « virtualiser » la mort. Cela peut contribuer à troubler l’appréhension réelle de cet événement. Sous couvert d’adoucir le chagrin, les nouvelles technologies ne doivent donc pas faire perdre le lien physique et psychique à la mort, sauf à générer des réactions pathologiques. Tanguy Châtel , Docteur en sociologie, spécialiste des questions de fin de vie, d’accompagnement et de la mort. « Un enterrement et une naissance restent des événements intimes qui exigent le rassemblement des vivants » Tanguy Châtel, Docteur en sociologie, spécialiste des questions de fin de vie, d’accompagnement et de la mort. pratiques de la retransmission (notamment en cas de réelle indisponibilité ou d’éloignement géographique), je pose toutefois la question de savoir cela ne risque pas d’escamoter le besoin de se « rendre (physiquement, psychiquement, socialement) présent » ou si cela va permettre simplement d’ « assister » aux funérailles ? Je me demande également si ces technologies ne vont pas permettre de figer un événement (en l’enregistrant) alors même que les funérailles constituent un moment vivant et éphémère qui doit nous aider à nous détacher de la personne aimée ? D’un point de vue anthropologique, il y a une contradiction entre la nécessité de se détacher de la personne défunte et la possibilité de conserver durablement cette trace. Il y a enfin une tension entre le temps court des nouvelles technologies et le temps long des funérailles et du deuil. Ces innovations sont donc à considérer prudence et vigilance. Quel sage usage faudrait-il faire, selon vous, de ces nouveaux outils pour être en mesure de concilier ces exigences contradictoires que vous mentionnez ? La mémoire est nécessaire au deuil, qui consiste à tisser un nouveau lien avec celui qui n’est plus présent, via le souvenir ; mais il est nécessaire de séparer le monde des vivants et la mort ! Dès lors que les nouvelles technologies vont nous permettre de simuler que le défunt n’est pas défunt, ce qui est tentant dans un monde qui ne veut pas croire à la mort, c’est embêtant… Face à ce désir social de ne pas se confronter au deuil et à l’arrivée de progrès techniques qui le rendent possible, il faut engager une réflexion avec les professionnels et le Comité national d’éthique du funéraire. Il ne s’agit pas de rejeter les nouvelles technologies – car les refuser reviendrait à nier que la mort est toujours dans son temps – mais de faire le tri : qu’est ce que je prends de ces innovations et qu’est ce que je me retiens d’incorporer ? Comment, en somme, dans un moment aussi sensible, être en capacité d’innover sans trahir ? Directeur de publication : Jacques Kossowski Comité de rédaction : service communication du SIFUREP et Isabelle Friedmann. Conception et réalisation : www.tempsreel.info – Crédits photos : Didier Fournet, Wilfried Gremillet. Impression : LE REVEREND, certifié Imprim’Vert, garantit la gestion des déchets dangereux en filières agréées. Imprimé sur papier certifié FSC, garantissant un impact réduit sur l’environnement.