Funéraire et nouvelles technologies

Transcription

Funéraire et nouvelles technologies
Compte-rendu du colloque du SIFUREP du 8 octobre 2015
COLLOQUE
« Funéraire et nouvelles technologies :
véritable bouleversement des usages
ou simple effet de mode ? »
ÉDITO
Pour son 8e colloque annuel, qui s’est tenu début octobre, le Syndicat intercommunal funéraire de la région
parisienne a opté pour un thème novateur : il a choisi de s’interroger sur l’ampleur et la pérennité des
bouleversements induits par les nouvelles technologies sur le fonctionnement et l’équilibre du secteur
funéraire.
Jacques Kossowski,
Président du SIFUREP
Député-Maire de Courbevoie
Voyant que, depuis plusieurs années, la sphère du funéraire est progressivement investie par le monde de
l’Internet, il nous a paru intéressant de chercher à dessiner les contours de ce phénomène complètement
inédit ; et d’explorer le panel des nouvelles offres de services qu’il a générées : avis de décès et de condoléances
en ligne, comparateurs de devis d’obsèques, retransmission de cérémonies, création de mémoriaux virtuels…
Le déploiement de ces nouveaux outils, accessibles d’un clic, sans avoir à pousser les portes d’une agence
de pompes funèbres, pose, en effet, de nombreuses questions que le SIFUREP ne peut ignorer.
Nous avons donc invité professionnels et observateurs du funéraire pour qu’ils nous aident à prendre la
mesure des évolutions en cours, à identifier les problématiques réglementaires et juridiques qu’elles soulèvent,
et à comprendre l’économie de ce secteur émergent.
Plus fondamentalement encore, nous avons voulu tenter d’évaluer les incidences du recours aux nouvelles
technologies sur le rapport à la mort et sur l’inévitable temps de deuil pour la famille. Acteurs historiques
du funéraire et nouvelles sociétés de service nous ont ainsi donné quelques clés pour appréhender les
bouleversements en cours et anticiper ceux qu’un avenir proche nous réserve.
Face à ces enjeux culturels, économiques, techniques, voire éthiques, il nous a semblé indispensable que le
SIFUREP, garant de la qualité du service public funéraire en région parisienne, se saisisse de ce sujet ;
et veille, avec les élus et les équipes municipales qu’il accompagne, à ce que les transitions auxquelles nous
assistons se fassent dans le respect des familles endeuillées, des principes et des valeurs du service public
auxquels nous sommes tous si attachés.
SOMMAIRE
Peut-on parler de
révolution 2.0 dans
le funéraire ?
02
À la pointe de l’innovation
Quelles limites ?
02
03
Zoom sur…
Comparateur de devis :
atouts et limites
Quelle transparence ?
Quelques limites
04
05
05
De la retransmission des
cérémonies d’obsèques
au cimetière virtuel :
les questions posées par les
nouvelles technologies.
Réalités spatiales
Précautions
Immortaliser ses funérailles
Zoom sur…
Le rôle du service public face
à ces évolutions
06
06
07
07
08
De nouvelles perspectives pour
les collectivités locales :
l’exemple de Fontenay-sous-Bois
Prolongement numérique au
cimetière
Zoom sur…
L’attrait des cimetières comme
éléments de patrimoine
Nouvelles technologies et
travail de deuil : quelles
précautions prendre ?
10
10
11
12
Peut-on parler de
révolution 2.0
dans le funéraire ?
Les agences des pompes funèbres ne sont plus
les seuls lieux d’information sur les services
funéraires. Depuis plusieurs années, les
opérateurs se sont dotés de sites Internet qui
fournissent toutes les données de base sur leurs
activités et proposent une gamme de produits
plus ou moins innovants. Une petite révolution
qui bouleverse les habitudes des professionnels
et des usagers.
Choisir un monument
funéraire en ligne et
accéder, comme pour le
montage de sa cuisine en
kit, à une simulation de
l’effet donné, en fonction des
formes et des couleurs de
granit choisies, voilà qui
peut surprendre ! L’exercice
est
pourtant
devenu
François Michaud Nérard,
Directeur général de la SEM
possible, depuis que certains
Funéraire de la Ville de Paris
opérateurs ont conçu cette
offre
virtuelle.
C’est
notamment le cas du site « Révolution marbrerie »,
géré par les Services funéraires de la Ville de Paris.
« Nous avons été obligés de nous lancer dans
l’aventure, a déclaré, lors du colloque du SIFUREP,
François Michaud-Nérard, Directeur général de la
SEM Funéraire de la Ville de Paris. Tout ce qui se
passe dans la sphère du digital nous interpelle
forcément, car nous devons à la fois suivre les
évolutions présentes et nous tenir prêts à affronter
les bouleversements qui s’annoncent. »
Cette nécessaire adaptation aux pratiques actuelles
ne surprend pas Tanguy Châtel, Sociologue invité au
colloque : « La mort étant un marqueur temporel, il
n’est pas étonnant que les nouvelles technologies
viennent sur le champ de la mort, a-t-il estimé. Il n’est
pas anormal qu’on mobilise les moyens
contemporains pour enterrer nos proches. »
« Nous avons été obligés de
nous lancer dans l’aventure »
François Michaud-Nérard,
Directeur général de la SEM Funéraire
de la Ville de Paris
02
À la pointe
de l’innovation
Si l’apparition du digital dans le monde funéraire
remonte déjà à une quinzaine d’années – les sites du
groupe OGF ont, par exemple, vu le jour fin des années
90-début des années 2000 – la présentation de
l’information et la diversité des outils accessibles sur
le web se sont, en revanche, récemment
perfectionnées Le nouveau site PFG a été mis en ligne
en août 2012. « Nous avons progressivement
approfondi nos offres sur Internet pour réduire le
décalage entre nos services en ligne et en agence, a
précisé Sandrine Abécassis, Directrice digitale et
communication multi-canal à OGF. Du devis aux avis
de décès et aux condoléances, notre site PFG est
devenu très complet. Non
seulement nous montrons
sur Internet les produits et
les prix que nous pratiquons
en agence, mais nous
sommes aussi à l’écoute de
nos clients et en recherche
permanente de pédagogie
auprès des internautes. De
courts films leur montrent,
par exemple, comment est Sandrine Abécassis,
installé un monument Directrice digitale et
communication multi-canal
funéraire ou comment se à OGF
déroulent des obsèques. »
De son côté, le site du crématorium du Père Lachaise,
à Paris, donne la possibilité de réaliser des visites
virtuelles de ses salles. « En tant que service public,
estime François Michaud-Nérard, nous cherchons
en permanence à être agile. Nous voulons être en
capacité d’accompagner les Parisiens qui s’adressent
à nous, quelle que soit leur demande. » C’est pourquoi
la SEM Funéraire de la Ville de Paris a eu recours aux
services d’un acteur spécialisé dans la vidéo, pour
que ses clients disposent de la retranscription
des séances d’obsèques au crématorium du Père
Lachaise.
Quelles limites ?
Retransmission de cérémonies, QR code, mémorial
virtuel (voir pages 6 à 8), la mobilisation de ces
nouveaux outils constitue-t-elle une révolution ou une
simple évolution ? D’après le sociologue Tanguy
Châtel, il convient d’être prudent : « Les pratiques
funéraires relèvent à la fois d’une longue tradition,
comme si la mort pouvait échapper à l’air du temps,
et de pratiques très contemporaines ». Et le chercheur
de conclure : « La mort conserve un pouvoir de
fascination ce qui peut expliquer en partie sur ce
champ réputé traditionnel le recours aux nouvelles
technologies. Mais celles-ci ne pourront ni sublimer
ni banaliser la mort (voir interview page 9). Elles ne
sont que des outils. Ce n’est donc pas une véritable
révolution. »
« La mort est le marqueur anthropologique
primordial : en même temps qu’elle
est sur le fond un invariant, elle est sur
la forme assez changeante.
Elle est toujours le reflet de son époque.
On pourrait même dire qu’elle est toujours
de son temps…
Quand on enterre quelqu’un, on rend
hommage à ce qu’a été sa vie et donc
inévitablement aussi à l’époque dans laquelle
il a vécu »
Tanguy Châtel,
Docteur en sociologie, spécialiste des questions de fin de vie,
d’accompagnement et de la mort.
Quel public cible ?
Si 40 % des personnes interrogées par le
CREDOC1 se disent prêtes à utiliser Internet
pour s’informer sur les démarches à effectuer
en cas d’obsèques, elles ne sont, en revanche,
que 5 % à reconnaître avoir déjà eu recours à
Internet pour organiser concrètement des
obsèques.
Encore marginale, l’utilisation d’Internet dans
les pratiques funéraires concerne aujourd’hui
un public ciblé, à la fois « diplômé, jeune et
bénéficiant de revenus élevés », comme le
souligne l’étude du CREDOC.
Un profil type que révèlent aussi les données
recueillies par les opérateurs : « La création
de notre site Révolution obsèques grâce
auquel les gens peuvent organiser des
obsèques eux-mêmes, répond à la demande
de cadres qui se connectent après 22 heures,
témoigne ainsi François Michaud-Nérard.
Ce public cherche avant tout à éviter d’avoir
à se rendre en agence, il veut être acteur
de l’organisation des obsèques et, pour cela,
il veut disposer de tous les services, à la carte
et à distance. » Si l’usage de ce service reste
limité, le renouvellement des générations
pourrait à l’avenir dynamiser la demande.
1/ La montée de l’immatériel dans les pratiques funéraires, une étude du
Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie
(CREDOC), en octobre 2014.
Compte-rendu du colloque du SIFUREP du 8 octobre 2015
03
Quid des contrats obsèques ?
Bien que des informations relatives aux
contrats obsèques soient accessibles sur
Internet, les opérateurs présents au colloque
ont prévenu que la conclusion de contrats
en ligne exigeait une prudence particulière.
« Nous sommes revenus sur ce que nous
avions initié au départ, a indiqué Sandrine
Abécassis.
Nous proposons maintenant un accès à des
simulateurs ou des demandes de devis »,
sans possibilité de conclure un contrat.
« Car sur ce sujet complexe, souligne
la professionnelle, il faut pouvoir échanger
et bénéficier de conseils individualisés ».
« L’interaction avec un conseiller reste
primordiale, confirme de son côté François
Michaud-Nérard. Peut-être ferons-nous
évoluer notre offre, mais pour l’instant nous
avançons avec circonspection. »
Dans le domaine funéraire, plus qu’ailleurs,
le déploiement du numérique est forcément
progressif, contraint de prendre en compte
le fait que les familles ont toujours besoin d’un
face à face humain, tout particulièrement aux
moments douloureux de leur vie.
« Le courrier postal a régressé de 31 %
ces dernières années, le nombre d’agences
de voyage a été divisé par 20, celui des
librairies par 10 :
il n’y a aucune raison que le funéraire
ne soit pas touché par cette révolution »
François Michaud-Nérard,
Directeur général de la SEM Funéraire de
la Ville de Paris.
ZOOM SUR…
Comparateur de devis :
atouts et limites
Achat de billets d’avion, souscription d’un contrat
d’assurance ou d’une mutuelle… il est aujourd’hui
possible d’avoir recours à des comparateurs de prix,
dans de très nombreux domaines d’activité. Y compris
dans le funéraire, puisque plusieurs sites de
comparateurs de devis ont prospéré ces dernières
années sur la Toile. Tous conçus sur le même modèle,
ils se font l’intermédiaire entre la famille et l’opérateur
funéraire en proposant de collecter pour le compte
de l’internaute plusieurs devis en matière
d’organisation d’obsèques, de marbrerie, de
rapatriement d’un défunt de l’étranger ou encore
d’entretien de sépulture.
Après avoir répondu en ligne à quelques questions
très simples (inhumation ou crémation, cérémonie
religieuse ou civile…) et laissé ses coordonnées,
l’internaute est ensuite rappelé par l’équipe du site,
qui lui fait préciser sa demande. Celle-ci sera alors
transmise aux opérateurs funéraires, lesquels
renverront un devis par mail au comparateur. « Même
si ce n’est pas de gaieté de cœur, nous sommes
obligés de faire avec cette nouvelle réalité, a souri
François Michaud-Nérard. Il n’y avait aucune raison
que cette évolution ne touche pas aussi notre secteur !
Nous faisons avec ! »
Les différents opérateurs de pompes funèbres, qui
reçoivent tous les jours, de la part des sites de
comparaison, des demandes de devis, n’ont donc pas
d’autre choix que d’y répondre dans les meilleurs
délais. « Qu’elles passent par une agence ou par un
site de comparateur de devis, nous nous devons de
répondre aux demandes des familles, c’est notre
métier », a résumé Sandrine Abécassis.
04
Quelle transparence ?
Quelques limites
Tout le problème reste de savoir si les familles qui ont
recours à ces sites sont non seulement informées en
toute transparence, mais aussi libres de choisir
l’opérateur de leur choix. « Quelle est la véracité
sur les prix a ainsi interrogé Jacques Ladreyt,
Responsable du cimetière de Noisy-le-Sec.
N’y a-t-il pas des prix d’appel ? » « Il faut être vigilant
sur l’impartialité des comparateurs de devis, a noté
Philippe Genty, Directeur général adjoint en charge
du développement et de la stratégie de FUNECAP.
Ces sites ne doivent pas être des prescripteurs, ils ne
doivent pas influencer les familles dans leur choix. »
Aussi faciles d’usage qu’ils soient, ces nouveaux outils
ne répondent cependant que partiellement à la
demande actuelle car, contrairement au secteur du
voyage, par exemple, le critère prix n’est pas toujours
prédominant. Comme l’a rappelé Tanguy Châtel, en
se référant à l’étude du CREDOC de 2014, « le travail
d’accompagnement autour des funérailles est
essentiel et requiert de vraies compétences
professionnelles ».
Face à la nécessité de mettre en place des
garde-fous efficaces, les acteurs du web venus
assister au colloque ont reconnu qu’il était
indispensable de s’assurer de la neutralité des sites
de comparateurs de devis.
Tandis que 51 % des personnes interrogées par
le CREDOC se disent avant tout attentives au prix des
produits et prestations du funéraire, elles sont 58 %
à privilégier la qualité de l’accueil. « Les personnes
endeuillées cherchent de plus en plus un véritable
accompagnement humain pour faciliter la mise en
œuvre d’une démarche psychologiquement
éprouvante », note l’étude. Une tendance qui se
renforce ces dernières années, quel que soit le succès
des sites de comparateurs de devis.
« Avant, les familles allaient se renseigner
en agence ; aujourd’hui, elles le font de
plus en plus sur Internet ; notre site se doit
de leur offrir une information de qualité. »
Sandrine Abécassis,
Directrice digitale et communication
multi-canal à OGF.
Compte-rendu du colloque du SIFUREP du 8 octobre 2015
05
De la retransmission
des cérémonies d’obsèques
au cimetière virtuel :
les questions posées par
les nouvelles technologies
Grâce aux nouvelles technologies, les acteurs
du secteur funéraire proposent désormais
de filmer les cérémonies d’obsèques et
éventuellement de les retransmettre en direct
ou en différé. Ils développent aussi de nouveaux
produits, QR codes et mise en ligne de
cimetières virtuels, qui, s’ils décuplent le champ
du souvenir, multiplient aussi les questions
juridiques et morales posées par ces
innovations.
Venue d’outre-Atlantique et du Japon, la possibilité
de retransmettre une crémation se développe,
lentement mais sûrement, en Europe. « Sommesnous sur le point d’importer des cérémonies
d’obsèques 2.0 comme nous avons hier importé des
cérémonies de mariage ? » a interrogé Catherine
Dumas, la Directrice adjointe du SIFUREP, pour lancer
le débat sur le sujet. En effet, même si on ne filme
pas des funérailles comme on filme un mariage, le
recours à la vidéo ouvre, dans les deux cas, de
nouvelles perspectives, à la fois économiques,
techniques et symboliques.
06
Réalités spatiales
« Les retransmissions d’obsèques que nous
proposons dans les crématoriums ou les chambres
funéraires répondent, tout d’abord, au besoin des
familles qui sont éclatées géographiquement, a
argumenté Eric Fauveau, Président de la société
Afterweb-venture.
Les proches n’ayant pas forcément ni le temps ni les
moyens de se déplacer, la retransmission leur permet
de suivre la cérémonie à distance. » Ou bien même d’y
participer : suite à une intervention de Pierre Bernard,
Ancien délégué du SIFUREP, qui se demandait si ses
petits-enfants installés au Mexique pourraient lire un
texte à distance, lors de ses obsèques, Eric Fauveau
a expliqué que les internautes pouvaient laisser des
messages vidéos qui sont projetés dans la salle du
crématorium, au cours de la cérémonie.
Performante, la retransmission ne remplacera jamais,
cependant, la présence physique : « Pour l’instant,
nous ne vendons qu’une vingtaine de retransmissions
par an, explique François Michaud-Nérard. C’est une
prestation qui reste chère (200 euros) et que nous
ne cherchons pas à promouvoir pour remplacer
les obsèques car nous jugeons que c’est mieux
que les gens viennent physiquement pour soutenir
les proches en deuil. »
Précautions
Même s’il ne s’agit que d’une solution de secours,
reste qu’elle soulève de nombreuses questions, avant
tout juridiques comme l’a rappelé Danielle da Palma
: « Pour filmer, il faut avoir réglé la question du droit
des personnes à l’image, a ainsi pointé l’Avocate du
cabinet Seban et Associés. S’il est formellement
interdit de reproduire l’image des mineurs, il ne faut
pas oublier qu’il faut aussi recueillir l’autorisation des
adultes.» Une précaution que les acteurs du secteur
prennent très au sérieux : au Père Lachaise, par
exemple, le maître de cérémonie prévient les invités
que la séance est filmée et leur indique à quel endroit
ils doivent se tenir, dans la pièce, s’ils ne souhaitaient
pas être filmés.
Autre sujet délicat soulevé lors du colloque : comment
sécuriser la diffusion et contrôler l’accès aux images
? « Nous avons mis en place avec les équipes d’Eric
Fauveau un protocole rigoureux, affirme François
Michaud-Nérard. Parmi les points évoqués, les
aspects techniques sont importants : ils doivent
garantir un débit suffisant et la sécurité des flux. »
Quant à savoir qui a accès aux films, c’est aux familles
d’en décider : « Login et mots de passe sont transmis
par SMS et mail à la personne qui a qualité à pourvoir
aux funérailles, a rappelé Eric Fauveau. C’est à elle
seule d’inviter les personnes à pouvoir suivre
la cérémonie. »
Reste, enfin, la problématique de la propriété des
films, qui sont systématiquement enregistrés, même
si leur diffusion se fait en direct. « Nous avons anticipé
la question de la propriété des images qui revient de
droit à la famille », note Eric Fauveau. Pour quel usage
ultérieur ?
« Il convient de bien faire la distinction
entre les diffusions privées qui se limitent
au cercle familial et les diffusions plus
larges qui exigent que soient rédigés
des contrats précis »
Danielle da Palma,
Avocate, cabinet Seban et Associés
Immortaliser ses
funérailles
Certaines familles sont-elles prêtes à organiser des
rediffusions d’obsèques comme on se repasse le film
d’un mariage ? Si l’histoire ne le dit pas pour l’instant,
l’apparition des QR codes dans les cimetières (voir
encadré), la création de mémoriaux virtuels et de
blogs post-mortem, comme autant de prolongements
à la vie, revisitent notre rapport à la mort et nous
interpellent. « Parmi les initiatives que nous pouvons
repérer, il faut distinguer ce qui est amateur et ce qui
est professionnel, a tenu à souligner François
Michaud-Nérard. Un opérateur funéraire doit être
rigoureux. »
Et se garder de proposer des
sites actifs qui iraient jusqu’à
faire envoyer des messages
de la part du défunt… « Ce
serait le pire en matière de
deuil, estime le Directeur
général de la SEM Funéraire
de la Ville de Paris. Il n’en est
pas de même des sites Danielle da Palma ,
passifs, alimentés par des Avocate, cabinet Seban
proches, et qui ont pour seul et Associés.
objectif de rassembler des
traces de vie ». Si comme l’a expliqué Eric Fauveau,
« beaucoup d’acteurs cherchent des solutions
numériques nouvelles pour rendre hommage aux
morts ou pour perpétuer leur souvenir », il convient
d’être attentif au statut des différents sites et blogs.
Quelles garanties de sécurité des informations ? Qui est
en droit de créer un mémorial, sur qui ? « Il faut prévoir,
dans le cadre d’un contrat de prestation de service,
les conditions de diffusion des données relatives à la
vie du défunt et les accès autorisés, a précisé Danielle
da Palma. Sans oublier que la personne qui signe le
contrat ne sera plus là pour le gérer par la suite… »
Qui sera responsable de la gestion future du site
ou du blog ? Que se passera-t-il en cas de résiliation
du contrat ou de faillite de la société qui héberge
le site ?...
Toutes les incidences des nouvelles technologies sur
l’organisation et la réglementation propres au secteur
funéraire n’ont pas encore été évaluées.
Compte-rendu du colloque du SIFUREP du 8 octobre 2015
07
ZOOM SUR…
Le rôle du service public
face à ces évolutions
Tandis qu’une épitaphe se lit directement sur une
pierre tombale, sans médium, le contenu des
données auxquelles renvoient les QR code est moins
immédiat et donc plus difficile à vérifier.
QR Code de quoi s’agit-il ?
Ces petits graphiques géométriques noir et
blanc, les QR code – pour quick abréviation s’affichent aujourd’hui sur de nombreux
supports, plans de métro, produits de
consommation, publicité… Ils peuvent
être décodés rapidement par un lecteur
de code barres ou tout simplement
par un smartphone.
D’un geste, l’utilisateur a ainsi accès
à un site Internet, une vidéo, des photos,
des informations sur un produit ou, dans
le cas qui nous intéresse, à un mausolée
virtuel dédié au défunt qui repose dans
la tombe sur laquelle a été fixé le QR Code.
Comme pour les vidéos de funérailles ou les
cimetières virtuels, l’origine, le contrôle et
la durée de vie des données posent
d’importantes questions juridiques
et éthiques.
Un problème que le sénateur socialiste du Loiret,
Jean-Pierre Sueur, a soulevé, dans une question
écrite adressée en avril 2014 au ministre de
l’Intérieur. L’apparition des nouvelles technologies
dans les cimetières rend nécessaire, selon l’élu, de
préciser la réglementation qui leur est applicable,
de manière à ce que les maires puissent continuer
à surveiller le contenu des données relatives aux
défunts, y compris celles qui sont désormais
accessibles par le biais d’un smartphone ou d’une
tablette.
Pourquoi la vidéo ne concerne-t-elle que
les cérémonies de crémation ?
Adaptée au cadre d’une cérémonie de
crémation, qui se déroule à l’intérieur, dans un
espace clos que le vidéaste peut aménager et
délimiter, la possibilité de filmer des obsèques
ne concerne pas pour l’instant les inhumations.
« Il y a avant tout un problème d’autorisation
et de droit à l’image, a expliqué Éric Fauveau,
président de la société Afterweb-venture.
Dans l’espace ouvert d’un cimetière,
les gens risquent d’être filmés de face
et non pas uniquement de dos comme
le permet l’agencement d’une salle
de crématorium. » À cette première réalité,
s’ajoutent des aspects
techniques :
bruits ambiants
de l’extérieur, accès
difficile au Wifi,
à la 3 ou 4G…
Eric Fauveau ,
Président de la société
Afterweb-venture
08
De bonnes conditions
de tournage et
de diffusion ne sont
pas réunies lors d’une
inhumation.
Non pas qu’il s’agisse d’exercer une quelconque
censure sur ces informations mises en ligne par des
proches, la préoccupation de Jean-Pierre Sueur se
situant plutôt du côté de l’éthique publique et de la
responsabilité des services publics censés protéger
les citoyens : « Le contrôle du maire sur le respect
par ce dispositif de l'ordre public et de la dignité des
lieux (absence de publicité commerciale ou de
mentions contraires aux bonnes mœurs) est donc
rendu plus difficile », indique-t-il dans sa question
écrite n°11151.
Tout en rappelant les pouvoirs que confère aux
maires l’article R.2223-8 du code général des
collectivités publiques - qui donne aux élus
« la possibilité de refuser toute inscription injurieuse,
irrespectueuse ou nature à troubler l’ordre public »
- le ministre de l’intérieur a reconnu dans sa réponse
au sénateur en date du 12 mars 2015 que le
développement des nouvelles technologies
complique l’application de cet article et qu’il convient
d’engager une concertation avec les associations
d’élus et le Conseil national des opérateurs
funéraires.
« Avec la publication des échographies
prénatales sur les réseaux sociaux, la vie
numérique commence pour certains avant
la naissance ; pourquoi n’aurions-nous
pas droit à une petite parcelle d’éternité
numérique après la mort ? »
Éric Fauveau,
Président de la société Afterweb-venture
Compte-rendu du colloque du SIFUREP du 8 octobre 2015
09
De nouvelles perspectives
pour les collectivités
locales : l’exemple
de Fontenay-sous-Bois
Utiliser tablettes et portables pour valoriser
le patrimoine municipal, telle est l’ambition de
la Ville de Fontenay-sous-Bois qui a lancé
en 2013 son projet « Flashe ta ville ! ».
En quelques mois, quelques dizaines de QR codes
ont fleuri sur les bâtiments et dans l’environnement
urbain de Fontenay-sous-Bois, comme autant de
traits d’union entre l’espace physique et le monde
virtuel. « Nous sommes partis de l’idée que les
nouvelles technologies devaient nous permettre de
mieux partager l’histoire de Fontenay-sous-Bois, a
expliqué Loïc Damiani-Aboulkheir, Maire adjoint de
Fontenay-sous-Bois, lors du colloque du SIFUREP.
C’est pourquoi nous avons installé ces QR codes
qui renvoient à des explications et mettent ainsi
le patrimoine et l’histoire de la commune à portée
de clic. »
Si depuis 2013, trois parcours balisés sont proposés
aux habitants - « Fontenay dans la guerre »,
« les bâtiments remarquables », « œuvres d’art »
- les promeneurs ont également tout simplement le
loisir de picorer les informations auxquelles ils ont
envie de goûter, au fil de leurs itinérances. Une formule
qui se veut souple, de manière à ce que chacun se
l’approprie librement. Résultat : le succès est
indéniablement au rendez-vous, puisque les parcours
enregistrent une centaine de consultations par mois.
10
Prolongement numérique
au cimetière
Parmi les sites mis en valeur, le cimetière et le
monument aux morts communal ont été équipés de
QR codes, qui fournissent une information précise
et complète sur les guerres du siècle dernier, leurs
enjeux et leurs liens avec Fontenay-sous-Bois.
« Le QR code renvoie à un monument aux morts
virtuel, qui est plus complet que le monument réel,
indique Loïc Damiani-Aboulkheir. Grâce à la
participation de la population, nous avons pu recenser
plus de 550 Fontenaysiens morts au cours de la
1ère guerre mondiale, alors que nous n’en n’avions
identifié que 300 auparavant, plutôt que de graver leur
nom sur un monument, nous avons créé un mémoriel
sur internet, sur le site des archives de la ville. »
Le monument aux morts numérique, auquel renvoient
les QR codes positionnés au cimetière et sur
le monument aux morts,
présente en outre des
cartes pour visualiser les
endroits où ont péri
les combattants et des
photos de ces derniers,
quand les familles ont pu
en transmettre à la Mairie.
« C’est un moyen, souligne
Loïc Damiani-Aboulkheir,
de donner vie à ces hommes Loïc Damiani-Aboulkheir,
de
qui, autrement, seraient Maire-adjoint
Fontenay-sous-Bois
restés dans l’oubli ».
ZOOM SUR…
L’attrait des cimetières
comme éléments de
patrimoine
Le simple fait d’avoir regroupé dans une même
délégation la ville numérique, le patrimoine historique
et le cimetière prouve que la Municipalité de
Fontenay-sous-Bois veut faire du cimetière un lieu
vivant du patrimoine municipal. D’autres initiatives
franciliennes témoignent de cette même volonté
de valoriser les cimetières, comme l’a souligné
Catherine Dumas : « La visite du cimetière
intercommunal des Joncherolles, le 21 septembre
dernier, à Villetaneuse, dans le cadre des Journées
européennes du Patrimoine, a rencontré un grand
succès, a rappelé la Directrice adjointe du SIFUREP.
Les visiteurs ont pu suivre une visite guidée, qui avait
été organisée en partenariat avec l’Office du tourisme
de Plaine commune. » Une preuve supplémentaire
du rôle des services publics dans la mise en valeur
du patrimoine, y compris funéraire.
« Avec plus de 2000 visiteurs uniques par
mois, nous sommes heureux de constater
que les QR codes du cimetière et le
mémorial numérique que nous avons créé
sont consultés par beaucoup plus de
personnes que nous ne l’aurions imaginé »
Loïc Damiani-Aboulkheir, Maire-adjoint délégué à la ville
numérique, au patrimoine historique et au cimetière de
Fontenay-sous-Bois.
En novembre, une visite nocturne
du cimetière
Tablettes numériques en main,
les Fontenaysiens ont été invités à
découvrir de nuit le cimetière communal,
pour le voir sous un nouveau jour !
Ils vont ainsi avoir la possibilité d’accéder
en temps réel et in situ à de nombreuses
informations sur les personnalités inhumés
à Fontenay, mais aussi sur la Pleureuse
du cimetière ou encore la tombe du
soldat allemand.
Compte-rendu du colloque du SIFUREP du 8 octobre 2015
11
Nouvelles technologies et
travail de deuil : quelles
précautions prendre ?
Craignez-vous que les innovations telles
que la retransmission d’obsèques
ou la création de mémoriaux virtuels
entretiennent un mensonge autour
de la mort ?
Entretien avec Tanguy Châtel, Docteur en Les funérailles sont des moments de rassemblement
sociologie, spécialiste des questions de fin où il faut pouvoir toucher la réalité de la mort d’une
de vie, d’accompagnement et de la mort.
façon sensorielle. Si je comprends les motivations
L’arrivée des nouvelles technologies dans
le secteur funéraire peut-elle changer
le rapport que nous avons à la mort ?
Bien que nous nous inscrivions toujours, en Europe,
dans une culture traditionnelle de la mort, je crois
qu’avec les nouvelles technologies, quand elles sont
utilisées pour rendre la mort plus légère, moins triste,
nous nous trouvons face à une nouvelle expression du
déni de la mort.
Les progrès techniques et les résistances culturelles
permettent de « virtualiser » la mort. Cela peut
contribuer à troubler l’appréhension réelle de
cet événement. Sous couvert
d’adoucir le chagrin, les
nouvelles technologies ne
doivent donc pas faire
perdre le lien physique et
psychique à la mort, sauf
à générer des réactions
pathologiques.
Tanguy Châtel ,
Docteur en sociologie,
spécialiste des questions
de fin de vie,
d’accompagnement
et de la mort.
« Un enterrement et une naissance
restent des événements intimes qui exigent
le rassemblement des vivants »
Tanguy Châtel,
Docteur en sociologie, spécialiste des questions de fin de vie,
d’accompagnement et de la mort.
pratiques de la retransmission (notamment en cas de
réelle indisponibilité ou d’éloignement géographique),
je pose toutefois la question de savoir cela ne risque
pas d’escamoter le besoin de se « rendre
(physiquement, psychiquement, socialement)
présent » ou si cela va permettre simplement d’
« assister » aux funérailles ? Je me demande
également si ces technologies ne vont pas permettre
de figer un événement (en l’enregistrant) alors même
que les funérailles constituent un moment vivant et
éphémère qui doit nous aider à nous détacher de la
personne aimée ? D’un point de vue anthropologique,
il y a une contradiction entre la nécessité de se détacher
de la personne défunte et la possibilité de conserver
durablement cette trace. Il y a enfin une tension entre
le temps court des nouvelles technologies et le temps
long des funérailles et du deuil. Ces innovations sont
donc à considérer prudence et vigilance.
Quel sage usage faudrait-il faire, selon
vous, de ces nouveaux outils pour être
en mesure de concilier ces exigences
contradictoires que vous mentionnez ?
La mémoire est nécessaire au deuil, qui consiste à
tisser un nouveau lien avec celui qui n’est plus présent,
via le souvenir ; mais il est nécessaire de séparer le
monde des vivants et la mort ! Dès lors que les
nouvelles technologies vont nous permettre de simuler
que le défunt n’est pas défunt, ce qui est tentant dans
un monde qui ne veut pas croire à la mort, c’est
embêtant… Face à ce désir social de ne pas se
confronter au deuil et à l’arrivée de progrès techniques
qui le rendent possible, il faut engager une réflexion
avec les professionnels et le Comité national d’éthique
du funéraire. Il ne s’agit pas de rejeter les nouvelles
technologies – car les refuser reviendrait à nier que
la mort est toujours dans son temps – mais de faire
le tri : qu’est ce que je prends de ces innovations et
qu’est ce que je me retiens d’incorporer ? Comment,
en somme, dans un moment aussi sensible, être en
capacité d’innover sans trahir ?
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