L`écologie urbaine
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L`écologie urbaine
à idées L e p ris m e . L e p r i s m e L’écologie urbaine Entretien avec Aymeric Zublena La ville, un écosystème dominé par l’Homme ? . Que faire des connaissances naïves ? Entretien avec Andrée Tiberghien Nos connaissances ne sont pas toutes scientifiques : comment concilier l’apprentissage et l’expérience quotidienne ? Les nanobiotechnologies, une utopie ? Entretien avec Christian Amatore À la confluence de plusieurs disciplines, une réalité émerge, avec incertitudes, difficultés et promesses, mais aussi, déjà, des réussites 2 décembre 2009 ISSN : 1967-161X . L e p r is m e e m s i r p e L Comité de relecture Christian AMATORE (ENS), Emmanuel BOURGEOIS (Ponts et chaussées), Sophie BRASSELET (ENSInstitut Fresnel), Christian CALENGE (Université François Rabelais, Tours), Carole CHATEIL (ENS), Anthony CORBIN (service étude et qualité eau du centre régional des Yvelines de la Lyonnaise des eaux), Mikael COZIC (ENS), Amy DAHAN DALMEDICO (Centre Alexandre Koyré), Frédéric DEVAUX (ENS), Eric GAFFET (CNRS), Etienne GUSTIN (Ecole nationale supérieure d’architecture et du paysage de Lille-ENSAPL), Alain JARDY (ESPCI), Peter KEARNS (OCDE), Jacques LAUTREY (Paris V), Michelle LEE (OCDE), Laurent LEVY (Nanobiotix), Jean-Louis MATHIEU (Lycée Fénelon (CPGE)), Audrey MURATET (Paris VI), François NEDELEC (European molecular biology laboratory EMBL, Heidelberg), Emmanuel PARIS (Paris XIII), Dominique PESTRE (EHESS), Clotilde POLICARD (ENS), Anne-Caroline PREVOT-JULLIARD (Paris-Sud XI), T.V. RAMACHANDRA (Center for sustainable technologiesIndian institut of science), Magali REGHEZZA (ENS), Andrée TIBERGHIEN (CNRS), Franck VALLERUGO (ESSEC), Chris YOUNES (Ecole nationale supérieure d’architecture de Clermont-Ferrand), Aymeric ZUBLENA (Agence SCAU). Le Prisme à idées est une revue scientifique interdisciplinaire regroupant des étudiants d’écoles et d’universités variées. Sa rédaction est validée par un comité de relecture. Retrouvez d’autres articles sur le site www.leprisme.eu et visitez le blog participatif de la rédaction Le Prisme de tête (www.leprisme.eu/blog) Pour vous abonner, par e-mail : [email protected] par courrier : Association Le Prisme à Idées Ecole Normale Supérieure 61 avenue du Président Wilson 94235 Cachan Cedex Les titres, les intertitres, les textes de présentations et les légendes sont établis par la rédaction du Prisme à idées. La loi du 11 mars 1957 interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. 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Selon moi, l’architecte doit être capable de transcender des exigences strictement techniques, fonctionnelles et hygiénistes. Pour cela, il s’entoure d’experts. Il fait œuvre d’architecture lorsqu’il a réussi à susciter l’émotion. Un bâtiment remarquable est une synthèse parfaite entre une réponse technique et fonctionnelle et une réflexion esthétique. L’architecte est comme un metteur en scène, il doit diriger des hommes, servir un texte, veiller à l’originalité de l’espace qu’il créé, respecter un budget. Le développement durable tel qu’il s’exprime aujourd’hui est une nouvelle exigence qu’il doit prendre en compte dans sa réflexion. En tant qu’architecte en chef de Marne-la-Vallée à partir de 1967, vous participez à la conception 4 Le Prisme l décembre 2009 et à la création de cette ville nouvelle. Comment l’environnement a-t-il été placé dans le processus de création de ce grand projet d’urbanisme ? Marne-la-Vallée abrite entre 400 000 et 500 000 habitants sur 20 kilomètres de long, répartis sur quatre secteurs urbains séparés par quatre couloirs verts qui correspondent à ce que l’on appelle maintenant les corridors écologiques. Ce type d’espaces verts est désormais prôné par le Grenelle de l’environnement. Ils permettent une mise en valeur paysagère et écologique de l’ensemble urbain. Dans les années soixante, nous en étions donc aux prémices de l’écologie urbaine. L’habitation pavillonnaire individuelle avec jardin n’était pas pour nous un modèle satisfaisant, parce que destructrice d’espaces qui assuraient le développement économique et agricole de la région. De plus, le pavillon individuel affaiblit le tissu social et il est coûteux pour la collectivité puisque les dépenses pour la construction de réseau routier, de canalisation, de câblage, de collecte d’ordures, d’infrastructures publiques sont multipliées… La ville idéale est selon moi une ville dense et dotée de nombreux espaces verts collectifs, plutôt qu’un émiettement de petits jardins individuels. C’est dans ce sens que nous avons imaginé Marne-la-Vallée. La création d’une ville nouvelle est l’occasion de prendre en compte toutes les dimensions des enjeux urbains. La question de l’écologie urbaine s’y pose-t-elle avec plus d’évidence qu’ailleurs ? La région Île-de-France compte quatre villes nouvelles : Évry, Saint-Quentin-en-Yvelines, Cergy-Pontoise et Marne-la-Vallée. Chacune de ces villes nouvelles a été l’occasion de centrer l’urbanisation sur les problématiques environnementales. Ceci ne date pas d’hier : l’édification de la ville de Val-de-Reuil (Eure) a amorcé une réflexion autour de l’écologie dans les villes nouvelles il y a déjà 20-25 ans. Avec le recul des années, que pensez-vous des aménagements de Marne-la-Vallée ? Est-ce une réussite écologique ? Si Marne-la-Vallée devait être construite aujourd’hui, je pense que l’on procèderait de la même façon… mais en veillant à respecter les objectifs originaux. Bien que formulée en d’autres termes, l’écologie était au centre de nos préoccupations. C’est en cela que le projet de Marne-la-Vallée était visionnaire. Nous avons réussi, me semble-t-il, à réaliser à la périphérie de Paris un urbanisme créateur de lien social en y apportant des services, des équipements, des infrastructures et des habitats variés. Certains points auraient-ils pu être mieux pensés ? Des erreurs écologiques à Marne-la-Vallée ? Les nappes souterraines d’eau chaude auraient pu être mieux exploitées pour assurer le chauffage urbain de certains quartiers. Le RER et l’A4, en partie en tranchée, auraient pu être plus recouverts Le Prisme l décembre 2009 Environnement crédit photo : Hélène CECCATO Diplôme d’architecte (1963) et d’urbaniste (1965) en poche, Aymeric Zublena (1936 ;) reçoit en 1967 le Grand Prix de Rome pour un projet intitulé « Une maison de l’Europe à Paris ». La même année, il devient architecte en chef de la ville nouvelle de Marne-la-Vallée. Durant près de 15 ans, il y développe le principe de la mixité sociale et de la densité urbaine organisée autour de transports publics puissants et ouverte sur de grands espaces paysagers. Parallèlement, il remporte de grands concours publics (Hôpital européen Georges Pompidou, université scientifique de Strasbourg, Stade de France...). Entre 1986 et 1993, il est architecte conseil au ministère de l’Équipement. En juin 2008, il est élu membre de l’Académie des Beaux-Arts. 5 pour des aspects environnementaux et paysagers, et ces nouveaux espaces auraient pu être aménagés en grands espaces verts ou urbanisés. Il était envisagé d’enterrer les lignes à haute tension. Mais cela n’a jamais été fait. Résultat, ces lignes posent encore problème et sont comme des cicatrices dans le paysage… Par contre, la création d’un parc sur une décharge comblée a été une réussite en terme de réhabilitation des terrains industriels. De façon plus générale pour l’écologie urbaine : peut-on parler de contraintes ou d’incitations à la réflexion ? Les deux. Prenons l’exemple de l’aluminium. Ce matériau est très beau et pratique pour l’architecte puisqu’il est à la fois léger et résistant… Mais sa production entraîne d’importantes pollutions et son bilan écologique est négatif. L’intégration des préoccupations de l’écologie urbaine dans l’architecture conduit logiquement à abandonner ce matériau comme revêtement réponses architecturales pour y répondre. Pensez-vous que l’écologie urbaine pourrait être à l’origine d’une nouvelle mode architecturale ? Je n’aime pas le mot mode. Je lui préfère le terme de nouvelle conception architecturale et urbaine, à condition que les moyens financiers permettent d’imaginer des solutions adaptées. Je pense par exemple aux vitrages qui s’opacifient avec la lumière. Ce matériau est connu, mais il reste pour l’instant au stade du laboratoire, car il est coûteux. C’est le cas également de certains revêtements de façades auto-lavables. L’industrie du bâtiment n’est pas comparable à celle de l’automobile ou celle de l’aéronautique, il est difficile d’appliquer des technologies de pointe à tous les bâtiments. L’attention portée au choix des matériaux et surtout à la conservation de leur qualité dans le temps est une façon de prendre en compte « Pour l’architecte, l’écologie urbaine représente une série d’exigences nouvelles qui complexifient sa tâche et qui peuvent limiter, dans un premier temps, la liberté plastique du créateur » de façades. Le bois et la terre cuite sont des pistes de plus en plus explorées. À condition d’accepter des coûts supplémentaires d’investissement en contrepartie d’économies d’énergie, de nouvelles volumétries, de nouvelles textures de façades, des rapports contrastés entre les pleins et les vides du bâtiment vont apparaître. Dans ce sens, les architectes conçoivent déjà des bâtiments avec des vitrages plus performants, des terrasses végétalisées, une isolation thermique extérieure plutôt qu’intérieure. Lorsque les budgets sont plus généreux, par exemple pour la construction de sièges sociaux, des solutions techniques plus pointues qui déterminent l’architecture du bâtiment sont envisageables. Ainsi, la double paroi vitrée et ventilée permet une très bonne isolation thermique, assure un parfait éclairement naturel des locaux et crée des effets architecturaux particulièrement intéressants. C’est une réponse technique et esthétique à un problème économique. D’une manière générale, pour l’architecte, l’écologie urbaine représente une série d’exigences nouvelles qui complexifient sa tâche et qui peuvent limiter, dans un premier temps, la liberté plastique du créateur. C’est à lui d’inventer de nouvelles 6 Le Prisme l décembre 2009 la qualité de l’environnement et d’éviter sa dégradation qui contribue aussi à la rupture du lien social. Toute mode cherche à attirer le regard, forcer l’admiration ou montrer sa richesse. L’écologie urbaine peut-elle être utilisée par le client comme un faire-valoir pour augmenter son prestige ? L’architecture a toujours eu des liens forts avec le prestige du client : c’est une vitrine qui met en valeur le maître d’ouvrage. C’est pour cela que les sociétés concurrentes font construire des bâtiments toujours plus impressionnants. Aujourd’hui, faire construire son siège social de façon écologique est un argument économique fort pour les grands groupes, car ils doivent montrer que les préoccupations environnementales sont importantes pour eux. La construction dans les Émirats arabes de cités nouvelles, parfois très novatrices en matière d’écologie s’inscrit aussi sans doute un peu dans cette logique. Quel est le coût de ces préoccupations environnementales ? A priori, le surcoût d’investissement moyen est de 10-15 % à la construction, justifiant une économie de fonctionnement. Les constructeurs s’engagent à garantir ces économies de fonctionnement sur une période de 10 ans. Cette tendance se développe, car elle est attractive pour les investisseurs et les utilisateurs. Le problème est de trouver le juste équilibre entre le coût de maintenance des matériels et leur obsolescence. L’obsolescence correspond à la façon dont le vieillissement des matériaux affecte leurs qualités, non pas intrinsèquement (il ne s’agit pas de dégradation), mais au regard des attentes nouvelles du marché : une technologie peut devenir obsolète si une nouvelle, bien plus performante, apparaît. Ainsi, en quelques années la technologie des panneaux solaires a beaucoup évolué. Mais les investissements consentis il y a moins de 10 ans ont-ils été rentabilisés ? Vont-ils être remplacés par des produits plus performants ? C’est peu probable. Ces nouvelles préoccupations écologiques augmententt-elles le carnet de commandes des architectes ? C’est une approche plus complexe et intéressante pour l’architecte, mais elle n’entraîne pas de nouvelles commandes. Elle a cependant généré l’apparition de nouvelles professions : il faut de nouveaux spécialistes pour appliquer certaines normes HQE (cf. article Qu’est-ce que la HQE d’Antoine ROSE pp. 24-25), pour calculer les performances écologiques des constructions, évaluer les bénéfices en matière de dépense énergétique pour le client... L’État peut-il jouer un rôle économique positif pour promouvoir l’écologie urbaine ? L’État fixe les normes environnementales. conscience des conséquences sociales de la dégradation de la planète. En fait, l’écologie urbaine est une exigence face aux problèmes de consommation des sociétés développées. L’écologie urbaine est-elle un concept exportable, en particulier dans les pays en développement ? Il n’y a pas de raison que ces pays ne soient pas concernés. On peut même dire qu’en matière d’écologie, certaines solutions existent depuis longtemps ! Ainsi, l’habitat traditionnel en Égypte est un exemple de construction remarquable ! Utiliser des murs en briques d’argiles, simplement séchées au soleil, des couleurs claires, de petites ouvertures, des toits en terrasses, des circulations d’air judicieuses… c’est thermiquement parfait. Seulement, cela ne correspond pas à un modèle économique très viable : un père de famille préfère partir en ville vivre dans un habitat précaire et trouver un travail qui lui rapporte un peu plus plutôt que de rester dans sa campagne à faire ses briques en argile ! Mais dans ces pays, d’autres solutions sont particulièrement adaptées : l’énergie solaire, par exemple, constitue une véritable ressource, bien plus qu’en Europe. Comment les architectes sont-ils formés aux aspects environnementaux et énergétiques de l’architecture ? Ils sont sensibilisés depuis les années soixantequinze, quatre-vingt, années où sont apparues dans les écoles d’architecture des spécialisations en architecture bioclimatique. Mais pour avoir moi-même longtemps enseigné, je dois rappeler Son rôle est donc fondamental. Par des mesures incitatives de défiscalisation en faveur de construction écologique, il contribue à développer tel ou tel type de construction. L’action de l’État est aussi déterminante pour la réalisation de grandes infrastructures ou de très grands équipements publics, car toutes les normes environnementales y sont appliquées. La question est de savoir s’il peut les financer. Diriez-vous que l’écologie urbaine est un caprice de pays riches ? Non, il faudrait dire plutôt caprice de pays devant compter avec le prix du pétrole et qui prennent que les préoccupations environnementales au sens plus global ont toujours été prises en compte dans la formation des architectes. Où se concentrent les enjeux architecturaux en matière d’écologie urbaine ? L’architecture a une fonction de prestige et les architectes mettent surtout en avant leurs grandes réalisations : la construction d’un stade, d’une université, d’un centre d’affaires. Mais cela ne rend pas compte de la majorité des travaux qui concernent des bâtiments ordinaires (logements, bureaux, usines...). Quantitativement, c’est surtout ce type de construction qui a un Le Prisme l décembre 2009 Environnement « La préoccupation écologique est une approche intéressante pour l’architecte, mais elle n’entraîne pas de nouvelles commandes » 7 impact environnemental. Par ailleurs, une grande partie des réalisations va maintenant concerner la rénovation de constructions existantes. Cela va devenir un enjeu majeur. Il s’agit alors non plus de construire aux normes, mais de mettre en accord avec des exigences écologiques nouvelles des constructions qui ne l’ont jamais été, ou qui ne le sont plus à cause de leur vétusté. Travailler et améliorer le bilan thermique, en repensant les ouvertures d’un bâtiment, en choisissant de nouveaux matériaux d’isolation thermique ou de revêtement de façades en imaginant de nouveaux systèmes de récupération d’eau pluviale... sont les thèmes qui pèseront lourd dans le bilan de l’écologie urbaine. Ces nouvelles exigences conduiront donc certainement à des architectures plus modestes, à des prouesses esthétiques moins gratuites dans les réalisations courantes. Il est même possible que des immeubles destinés à des programmes exceptionnels s’expriment avec moins d’ostentation. D’une certaine façon, les problèmes d’écologie urbaine sont reliés à des enjeux sociaux : changer les plans d’urbanisation pour être en accord avec des exigences environnementales, c’est forcer une transition vers de nouveaux modèles de société ? Une architecture plus modeste ne veut pas dire une architecture moins inventive, bien au contraire. Des périphéries urbaines peu denses, déstructurées, tailladées de grandes infrastructures sont des modèles dépassés tant sur le plan écologique que social. Il faut repenser la densité, réinventer la vie collective, créer de nouveaux centres bien crédit photo : Hélène CECCATO « Il faut repenser la densité des villes, réinventer la vie collective, créer de nouveaux centres bien équipés et faciles d’accès » 8 Le Prisme l décembre 2009 équipés et faciles d’accès, imaginer de nouvelles formes architecturales, rejeter des a priori tels que « les barres et les tours ce n’est pas bien », mais mener au contraire une réflexion sur les valeurs de telle ou telle volumétrie au regard des nouveaux enjeux environnementaux. Pour conclure, quelles influences a l’écologie urbaine sur l’architecture ? L’histoire de l’architecture est marquée de grandes innovations qui ont profondément modifié la conception et l’aspect des bâtiments. L’architecte a vu s’ouvrir grâce à celles-ci un nouvel univers de formes et une nouvelle esthétique. Ainsi pour ne citer que quelques-unes de ses innovations, l’invention de l’ascenseur a eu un effet radical sur la hauteur des bâtiments, la possibilité de fabriquer des verres de grandes dimensions a suscité une architecture moins massive, plus lumineuse, le béton a permis de couvrir d’immenses surfaces sans point d’appui intermédiaire. Je n’ai pas le sentiment que l’écologie urbaine entraînera des évolutions aussi spectaculaires. Elle engendrera en revanche des évolutions plus subtiles et concernera sans doute plus l’urbanisme. . Propos recueillis par Clément FABBRI, Florent MEYNIEL, Mathieu MOSLONKALEFEBVRE et Antoine ROSE