Trois personnages de qualité
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Trois personnages de qualité
Entre Genève ET Winterthur Trois personnages de qualité Par Joëlle Kuntz W interthour a contribué au meilleur de Genève: son industrie textile au XVIIIe siècle, son tourisme au XIXe et son œuvre humanitaire au XXe. Trois noms marquent le commun des deux villes. C’est d’abord, en 1720, le marchand de toile de Winterthour Jacob Biedermann, qui vient s’installer à Genève pour devenir le fournisseur principal de coton des fabriques d’indiennes de la ville. Son neveu et fils adoptif, Jacques, joue un rôle de pointe dans la révolte anti-patricienne des artisans et industriels genevois, encouragée par Rousseau. L’échec de la révolution, en 1782, l’oblige à s’enfuir à Bruxelles avec ses partenaires économiques. Il fonde là-bas la Société maritime suisse, financée par des commerçants en textile et des financiers de Genève. Elle devient rapidement l’une des plus grosses compagnies de commerce avec l’Inde, avant que la guerre maritime franco-anglaise ne provoque son effondrement. Biedermann perd sa fortune vers la fin de la période napoléonienne, non sans avoir laissé un fils qui la recommencera, marié à une Du Pont, dans l’Etat américain du Delaware, sur une ferme baptisée New-Winterthour. C’est ensuite l’entreprise Sulzer Frères, qui livre le Genève, le troisième bateau-salon à deux ponts sur le Léman, commandé par la Compagnie générale de navigation pour transporter les visiteurs de l’Exposition nationale de 1896 à Genève. Le vapeur de grande taille – 1200 passagers – est à la pointe de la technologie et de l’esthétique, le joyau du programme idéologique «patrie et technique» fixé pour l’Expo. La manifestation terminée, le Genève prend sa place dans l’horaire régulier de la CGN. Le 10 septembre 1898, à 13h40, il s’apprête à quitter le quai du Mont-Blanc, la cloche sonne, quand une passagère accourt encore, suivie de sa dame de compagnie. Elle monte à bord et s’écroule. Une fine lame de poignard vient de lui tra- verser le cœur. C’est Sissi, l’impératrice d’Autriche, tuée par le geste diabolique de Luigi Lucheni. En 1934, Sulzer installe un moteur diesel-électrique sur le Genève, un exploit technique commenté dans le monde scientifique. Désaffecté en 1974, le bateau est sauvé de la casse par une association qui le transforme en buvette et centre de réinsertion sociale et professionnelle. Il est aujourd’hui à louer pour des mariages et des divorces. C’est enfin Hans Bachmann, l’avocat de Winterthour qui choisit en 1942 de venir seconder Jakob Burkhardt, le président du Comité international de la Croix-Rouge. Il s’y rend célèbre par son génie de l’organisation. Il joue son rôle dans la Fondation pour les transports de la Croix-Rouge, dont les bateaux assurent le ravitaillement d’une partie de l’Europe pendant la guerre. Il brave les blocus, les problèmes d’achats, de douane, de devises, négocie sans cesse avec les belligérants. En mars 1945, il est aux côtés de Burkhardt pour rencontrer le haut commandant allemand Kaltenbrunner et lui demander de permettre au CICR de visiter les camps de concentration, de nourrir et faire libérer les déportés. Décision est alors prise de ravitailler plusieurs camps de concentration avec des colonnes de camions venus de Suisse. Un certain nombre de femmes françaises détenues à Ravensbrück sont délivrées. Fin avril 1945, Hans Bachmann négocie directement avec Kaltenbrunner les mesures pratiques d’évacuation de déportés et la présence de délégués du CICR dans certains camps de concentration. Hans Bachmann devient membre à part entière du Comité en 1958. Il y reste jusqu’en 1976. Il en assume la vice-présidence durant quatre ans. Rentré à Winterthour en 1947, où il est devenu conseiller municipal, il est comme un pont entre sa ville et Genève.