SUR LA COLLECTION DE COUTEAUx

Transcription

SUR LA COLLECTION DE COUTEAUx
DOSSIER 25
Le pliant Muscle Car de SOG fait
de nombreux clins d’œil aux “Muscle
Cars” dont il tire son nom. Le plus discret
est le marquage “427”. Le marquage
427 (en cubic inches) fait référence à
la cylindrée de cette Chevrolet Corvette.
Collection, collectionneur,
collectionnite…
P
our bien fixer les
choses, le recours au
dictionnaire s’impose.
Selon le Larousse, la
collection (du latin “collectio”) est
une “réunion d’objets rassemblés
et classés pour l’instruction, le
plaisir, l’utilité”. Pour certains professionnels, ce mot désigne aussi
l’ensemble des créations nouvelles présentées à chaque saison à
une clientèle donnée. C’est le cas
des vêtements de mode, mais
depuis peu le terme est employé
dans la coutellerie notamment
chez William Henry Knives. Le
verbe collectionner désigne “l’action de réunir en collection” et
a pour synonyme “rassembler”.
Quant au collectionneur, c’est une
“personne qui a la passion de collectionner”. Et, enfin, le collectionnisme (ou la collectionnite, plus
fréquent dans le langage courant)
renvoie à “une tendance pathologique à accumuler des objets de
toute sorte en l’absence d’un but
utilitaire”.
Pourquoi
collectionner ?
Il serait possible de penser que l’envie de collectionner présuppose un goût et
une connaissance de l’objet
désiré, en l’occurrence le
couteau. Mais, l’expérience le
démontre, celle-ci s’acquiert
au fil du temps par expérience, avec ou sans l’appui
d’un expert, d’ailleurs. Quel
Réflexions
sur la collection de couteaux
Au fil des ans, en France comme à l’étranger, le monde du couteau
a considérablement évolué. Parmi les évolutions les plus notables,
il convient de mentionner, entre autres, l’essor technique
du domaine industriel, le principe des “custom collaborations”,
le développement des mécanismes et l’apparition d’un nouveau
marché par l’intermédiaire d’Internet. Ces éléments ont
sensiblement influé sur une pratique, celle des collections.
L’approche sous la forme d’une réflexion personnelle,
forcément partiale et incomplète, mais visant à mettre
en lumière un phénomène inhérent au monde du couteau.
passionné n’a jamais observé
le comportement d’un célèbre
coutelier français accompagnant
un grand collectionneur sur les
salons pour guider ses choix ?
Collection “classique” s’il en est,
les couteaux artisanaux.
Ici des pièces retraçant la carrière
de Bud Nealy.
Cependant, un tel conseil n’est
au final pas indispensable car
les revues spécialisées jouent
aussi ce rôle d’apprentissage ou
de perfectionnement. Plusieurs
raisons expliquent, de façon très
classique d’ailleurs et sans pour
autant verser dans la psychologie
de bazar, comment, à partir d’un
simple achat, il est possible
de verser dans la collection.
Il n’entre pas dans mes intentions de les lister toutes, mais
d’évoquer brièvement les
principaux facteurs.
• Le plaisir : le premier
est évidemment le plaisir,
qui se révèle double, celui
de posséder et celui de la
La collection artisanale peut
accepter un modèle industriel,
comme ce Pesh Kabz pliant né
de la collaboration entre Bud Nealy
et CRKT. C’est tout de même
un prototype !!!
recherche, de la traque de l’objet. Il va de soi que tous deux se
combinent à loisir. Posséder un
ou des couteaux de collection,
quelle qu’en soit la valeur, permet
de l’exposer de manière égoïste
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Collection “Harley et couteaux” :
une partie de la gamme
Harley-Davidson Knives fabriquée
par Benchmade.
Milan, la manifestation
s’est ouverte avec la
vente des pièces artisanales de Bob Loveless,
dont certaines étaient
rares, voire rarissimes,
rassemblées par un
éminent collectionneur. Vendu d’un
ou pour faire partager à quelques “happy few” de ses amis
ou plus largement, cette passion
naissante ou déjà établie. Il faut
se garder de généraliser, mais
l’ouverture d’une collection aux
yeux d’un large public demeure
un phénomène rare. Le plaisir de
la recherche de la traque (salon,
ventes aux enchères) est un facteur important, commun à tous
les collectionneurs. Mais la pratique a considérablement évolué
au cours des dernières années,
et principalement grâce à l’essor
d’Internet et des sites marchands
dont la fameuse “baie” est un
exemple révélateur. Et malgré
le risque important de fraude et
de contrefaçon consécutif à un
sentiment d’impunité sur “la
toile”, le comportement
des consommateurs a
changé. Il est désormais
évident qu’Internet est
incontournable pour les
collectionneurs y compris
de couteaux.
• L’intérêt financier :
même si cette notion de “collection de couteaux - placement
financier” peut sembler incongrue pour nombre d’amateurs, elle n’en est pas moins
fondée quand bien même elle
reste rare. La récente crise économique semble avoir touché tous
les secteurs de la collection, couteau compris. Un récent exemple
démontre pourtant que l’intérêt
ne faiblit pas pour peu que les
moyens financiers soient là. Lors
de l’édition 2008 du Salon de
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différents paramètres. Elle
résulte d’une très habile
combinaison entre qualité
des pièces, rareté (entretenue ou non) de celles-ci, sans
oublier l’intervention du phénomène spéculatif inhérent à tous
les domaines de la collection.
être autrement ? Permettez-moi
d’en douter ! En France, point
de guide ni de cotation, car le
nombre d’artisans (et de collectionneurs aussi) est moindre. En
outre, les rares tentatives menées
dans une telle perspective se
• Phénomènes et épiphénomènes : dans le
domaine coutelier, des
phénomènes spécifi-
1
2
3
1 - Le Native de Spyderco
en édition limitée commémorant
l’opération Iraqi Freedom.
Notez la lame gravée de la phrase
« nous prions pour que vous rentriez
sains et saufs ».
2 - Collection thématique
“militaire” : la baïonnette Fulcrum
d’Extrema Ratio choisie
pour le combattant “FELIN”.
3 - Collection thématique
“Couteaux de cinéma” : ici un
véritable First Blood de Jimmy Lile,
c’est-à-dire le couteau de Rambo.
Collection thématique Papillon :
les modèles industriels de Spyderco
et les incontournables Benchmade
(Pacific Cutlery et Bali-Song Inc.).
Seul manque l’Arc-Angel
de Cold Steel.
Collection militaire “Iraqi Freedom” :
les deux modèles à vocation
patriotique créés par GERBER.
seul tenant, l’ensemble s’est
littéralement arraché. Une telle
situation est indubitablement
liée à la notion de cote d’amour
d’un coutelier. À cet égard, mieux
vaut rappeler que l’on touche
ici à un domaine où la raison
intervient peu dans la mesure
où la “valeur” accordée naît de
ques interagissent. En premier
lieu, il convient de différencier
les situations américaine et européenne. Aux USA, le concept de
guide de cotation s’est développé, non sans problème au
début, pour s’imposer et fournir
une base à l’image du “Levine’s
Guide” prenant en compte les
travaux de nombreux artisans
américains, bien sûr. Cette formule n’est pas exempte de
défaut, et les critiques perdurent. Il en est de même pour
les suspicions de partialité ou
de prise d’intérêt. Mais peut-il en
sont soldées par une levée de
bouclier. Toutefois, mes confrères auteurs et moi-même avons
pleinement conscience que
braquer le projecteur sur tel ou
tel coutelier agit à moyen terme
sur sa réputation. Sur ce constat,
viennent se greffer des considérations personnelles. Il peut
s’agir d’un événement tragique
comme le décès d’un artisan,
déjà connu, dont les pièces sont
recherchées, qui entraîne une
flambée incontrôlée des prix. Là,
se mêlent respect pour le travail
et spéculation. Les disparitions de
Bob Lum, il y a un peu plus de
deux ans, et de Frank Centofante,
en septembre dernier, illustrent
une telle situation. Plus sensible est la notion de valeur sûre
accolée au nom d’un coutelier à
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l’image de Bob Terzuola ou d’Ernest Emerson dont les modèles
customs initiaux s’arrachent à
prix d’or. Notons que, pour ce
dernier, la “surcote” touche aussi
bien les pièces de type Viper
que les modèles semi-customs.
L’anecdote est révélatrice puisque
le célèbre CQC-6 emblématique
modèle ayant créé le “tactical folder” n’existe que sous la forme
artisanale et que dix ans d’attente
sont nécessaires pour en obtenir
un. Et à ce jour, Ernest Emerson
s’est toujours refusé à en commercialiser une version industrielle !!! En outre, acquérir un
couteau de l’artisan sur un salon
américain relève du défi extrême
et de la chance puisque, face à
une demande croissante, Ernest
est obligé de procéder à un tirage
au sort. Seuls les “vainqueurs” de
cette tombola peuvent acquérir
les pièces customs et semicustoms. À tous ces éléments
viennent s’ajouter des évolutions
et des tendances ponctuelles
du monde de la coutellerie qui
seront évoquées à leurs niveaux
respectifs afin de mettre en
lumière leur influence sur la pratique des collectionneurs dans la
tentative de typologie qui suit.
Essai de typologie
Il n’est pas question d’établir
ici une typologie exhaustive des
collections coutelières, il s’agit
tout au plus d’une distinction
entre les principaux axes. Tous
peuvent être amendés par une
possibilité de mixité décidée
par le collectionneur lui-même.
Purisme ou pas ?
• La querelle des anciens
et des modernes : ce sous-titre
un peu provocateur vise à mettre
en lumière la première dichotomie applicable dans le domaine
de la collection. Le sens commun
associe souvent le collectionneur
et l’amateur de pièces anciennes.
Le couteau n’y échappe pas puisque le secteur du “vintage” se
développe avec une constance
inégalée. L’objet du désir peut
donc être une pièce littéralement
antique ou plus simplement
datant d’une époque déterminée.
Il s’intègre dans un cadre thématique précis à l’image des “bowie
knives” du XIXe siècle, par exemple, ou historique comme les poignards traditionnels sahariens ou
bien les baïonnettes de l’Armée
française correspondant à une
Collection thématique commémorative :
le coffret des M16 “1 A$$ to risk”
de CRKT. Une édition limitée.
réalisées au cours des vingt dernières années, avec une petite
marge cependant, selon ce que
les experts s’accordent à considérer. Le passionné dispose de nombreux moyens pour sa collecte,
aussi variés que les salons qui
se développent de plus en plus
en France comme à l’étranger,
les boutiques spécialisées ayant
pignon sur rue ou existant sur
Internet. Il est amusant de constater que cette distinction fondée
sur l’âge de l’arme blanche ne possède d’autre référence reconnue
que la notion d’antiquités telle
que définie par les professionnels
(historiens, experts judiciaires et
du secteur de l’assurance, commissaires-priseurs et revendeurs).
Si l’on prend en compte le léger
flou qui accompagne celle-ci,
l’absence de définition officielle
contraignante est appréciable.
Ainsi, le passionné fixe lui-même
son champ de recherche et ses
limites relatives à l’ancienneté de
ses pièces. L’amateur de couteaux
papillons, ou balisong, peut donc
rassembler des modèles actuels
artisanaux ou industriels de
La collection thématique permet
plusieurs variantes : ici une partie
des collaborations industrielles
de Russ Kommer avec CRKT,
les modèles à lame fixe.
période plus ou moins large. Dans
ce cas, le collectionneur explore
ses lieux de prédilection que sont
les salons de l’arme ancienne et
les sites Internet marchands spécialisés ou généralistes. À l’opposé
de cette approche historique se
situe la collection qualifiable de
“moderne” concernant seulement
les couteaux ou armes blanches
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Thématique “Harley et Couteaux” :
les deux pliants Orange County
Choppers fabriqués par Kershaw
rendent hommage à un célèbre
show bike, le “Spyder-Bike”.
que la fabrication artisanale et
une crise économique, qui
se ressent dans le domaine
des loisirs, sont à l’origine de
cette situation. Mais dans
certains cas, le manque
d’espace de rangement
La collection
classique “mono
marque” Spyderco
implique la recherche
de pièces anciennes,
voire rares, à l’image
du modèle Jess Horn
(en haut), du pendentif
(à droite) de la pince
à cravate (à gauche), des
deux Mariner (au centre) et
de cette version limitée
de l’Endura Wave (en bas).
marque Benchmade, Spyderco,
Cold Steel et découvrir accidentellement sur un salon une pièce
du début du XXe siècle à manche
en celluloïd. Laquelle ne dépare
aucunement la collection qu’il se
constitue.
• Artisans ou industriels ?
Voici une question brûlante s’il en
est, qu’un grand nombre d’amateurs s’est sans doute posée
après avoir franchi le premier pas
et juste avant de passer au stade
supérieur. Et la réponse qui pouvait être apportée il y a vingt ans
n’est plus de mise aujourd’hui car
la frontière entre ces deux secteurs n’est plus aussi nette. En
effet, le couteau industriel n’a pas
toujours occupé la place qui est
la sienne aujourd’hui sur le marché. Même s’il a toujours retenu
l’intérêt des collectionneurs en
France comme aux États-Unis.
Dans l’Hexagone et en Europe,
le Laguiole et le Douk-Douk sont
d’excellents exemples de cette
situation qu’il s’agisse des modèles dits d’époque que des pièces
modernes. Outre-Atlantique, les
pliants traditionnels génèrent le
même engouement à l’image de
Case dont la gamme très fournie
offre de nombreux axes de collection thématique. Certains sont
même surprenants puisque les
Boys scouts of America côtoient
la franc-maçonnerie, Johnny Cash
et John Wayne ainsi qu’une large
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vitrines supplémentaires. Le cas
serait identique pour un artisan
aussi productif que l’ami Fred
Perrin dont la table sur les salons
est de loin la plus garnie !!! Après
avoir posé ces considérations, il
est nécessaire de se pencher sur
quelques formes que peut revêtir une collection.
Collections de saisons
Jamais la collection de couteaux n’a été aussi proche du
second sens que le monde
de la mode lui prête. D’une
conception classique, elle
semble évoluer au fil
des mouvements et tendances qui secouent le
marché.
variété de couleurs. À
l’heure actuelle, le niveau
de la production industrielle s’est considérablement
élevé tant au plan du design que
pour le volet technique. Certaines
réalisations ne sont pas loin d’égaler des pièces artisanales. Et si l’on
ajoute la pratique des “custom
collaborations” qui s’est développée depuis plusieurs années, la
notion de frontière tenue, évoquée ci-dessus, se trouve confirmée. L’intérêt majeur des couteaux industriels fabriqués dans le
cadre d’un accord avec un artisan
est de permettre à un plus grand
nombre d’amateurs d’accéder à
des pièces que la rareté et le prix
élevé rendent difficiles d’accès.
Le collectionneur peut ainsi réunir des modèles intéressants sans
pour autant se ruiner. Néanmoins,
son butin n’atteindra pas la valeur
spéculative des pièces originales
signées par les couteliers et réservées à des amateurs plutôt à l’aise
financièrement. Heureusement, le
but principal de la collection étant,
à mon sens, le plaisir d’avoir et
non de thésauriser.
La collection mono marque
Spyderco offre l’opportunité
de suivre l’évolution d’un artisan
comme ces trois collaborations
avec Bob Terzuola.
aboutit à un résultat similaire. En
effet, dans de nombreux domaines, la présence de l’emballage
d’origine conditionne à la fois
l’intérêt et la valeur des pièces.
Et ce qui est valable pour les
miniatures de parfum ou pour
les montres de haute horlogerie
s’applique bien évidemment aux
couteaux. Dès lors, un dilemme
majeur se pose au passionné :
exposer ses objets ou les garder
soigneusement rangés dans leurs
boîtes ? Le premier cas implique
de disposer d’un espace de stockage pour l’emballage. Le second
est susceptible de priver du plaisir
des yeux. Situation cornélienne
s’il en est !!! Et le problème
s’amplifie. Imaginons un instant
l’amateur collectionnant tous les
modèles de CRKT. La marque
a adopté depuis le début du
XXIe siècle un rythme de croisière caractérisé par l’introduction annuelle d’un nombre
de nouveautés situé entre 40
et 80, toutes variantes confondues. Il y a lieu de craindre un
envahissement rapide nécessitant l’achat d’armoires et de
• Collectionner tout azimut ou cibler ses choix,
telle est la question : cette
approche semble un peu plus
récente que les distinctions précédentes. L’augmentation des
prix concernant aussi bien
Une thématique de collection récente :
la production industrielle
les crochets de secours d’urgence.
• La collection artisanale : rassembler les pièces
d’un coutelier demeure une
constante, mais ceci se déroule
dans une grande discrétion. Les
cocktails ou dîners précédant
certains salons favorisent ce
type de transaction. L’objet du
désir peut alors rester sur la table
d’exposition accompagné de la
mention “vendu” ou bien gagner
immédiatement la vitrine ou le
coffre de l’heureux possesseur
où il retrouve d’autres créations
du même auteur. C’est selon. En
cela, la collection de couteaux
n’a rien d’original par rapport
aux montres et bijoux. Pourtant,
elle s’en différencie dans certaines circonstances, notamment
lorsque le coutelier se révèle
trop productif. À ce moment,
l’amateur, devenu éclairé,
peut se recentrer sur
le modèle phare
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INTERVIEW DE MISTER MOON (1)
Collectionneur européen, spécialiste en baïonnette M9
et créateur du site www.M9M4.com
Mister Moon a accepté
de répondre à nos questions concernant sa propre
collection particulière ciblée
et sur la manière dont il
parvient à la développer.
FC : Comment êtes-vous
venu à la collection ?
MM : Tout a commencé
en fin d’année 2006. Comme
je pratiquais le tir sportif depuis
de nombreuses années, l’idée
m’est venue d’acheter, pour ma
carabine AR15, une baïonnette
M9 aperçue dans une boutique
parisienne. Son prix était élevé,
mais j’ai finalement craqué pour
son esthétique… une sorte de
petit “glaive” romain, si je puis
dire. Quelques jours après, un
de mes amis m’a dit que j’aurais
mieux fait de l’acheter sur un site
d’enchères en ligne car son prix
aurait été moins élevé. Du coup,
par curiosité, j’ai commencé à
jeter un œil sur ce fameux site.
Et c’est là que je me suis rendu
compte que le prix de ma baïonnette était terriblement “bas”,
mais, qu’en plus, il existait un
grand nombre d’autres modèles, avec des marquages différents, et aussi des coloris allant
du blanc au bleu en passant par
l’orange !!!
FC : Pourquoi cet intérêt
pour cette baïonnette M9 ?
MM : J’ai donc tenté une
première enchère que j’ai bien
évidemment perdue. À la suite
de quoi, j’ai fini par atterrir sur
des forums spécialisés en couteaux et autres baïonnettes. Il
s’agit essentiellement de sites
anglo-saxons.
Prototype de baïonnette
M9 par Lancay.
Baïonnette M9 de marque BUCK
adoptée par l’USMC - Model 1993.
Quelques “enchères” plus
tard, je finis par tomber sur une
page Internet où se trouvait un
modèle M9 quasi transparent. Et
là, je me suis dit que le plus difficile restait à faire, en ce sens que
la pièce en question était pratiquement introuvable puisqu’il
s’agissait d’un prototype fait
pour les armuriers de l’US Army
à très peu d’exemplaires dont la
plus grande partie fut détruite
lors des tests dans la base militaire de Rock Island aux USA.
Dès lors, il me fallait par tous les
moyens possibles trouver celle
qui paraissait inaccessible et
impensable à obtenir.
FC : Comment avez-vous
constitué votre collection ?
MM : Alors que je continuais à trouver et à acquérir de
nouveaux modèles M9 Bayonet,
je profitais de chaque phase
de finalisation de mes achats
pour poser systématiquement
la question suivante aux vendeurs : « Auriez-vous dans un
vieux recoin, ou chez un vieil
oncle, cette fameuse baïonnette
transparente ? »
Naturellement, la réponse
arrivait bien plus vite que l’envoi
de mes courriels sous la forme
d’un “NO”. Après plusieurs
achats de modèles “courants”,
une réponse positive m’attendait dans la boîte à lettres. Le
85e vendeur (si mes souvenirs
sont exacts) me disait qu’il était
l’heureux propriétaire de cette
“M9 Clear”, mais qu’en plus il
en possédait trois versions aux
marquages différents ! Aussitôt,
je lui ai demandé s’il se sentait
prêt à m’en céder un exemplaire. Et la réponse fut… « pas
pour le moment ». Dès cet instant, je me mis à le harceler à
raison de deux e-mails hebdomadaires et il finit par craquer !
M’ayant trouvé sympa et surtout
“mad” pour un “frenchy” (LOL),
il accepta même de me vendre
les trois modèles en question !!!
Après cet achat, j’ai commencé à mettre en ligne les
photos desdites pièces sur
des forums d’outre-Atlantique.
Plusieurs membres américains
ignoraient jusqu’à l’existence
de ces M9 Clear. Mais le plus
surprenant fut la réaction d’un
“gros collectionneur” de M9,
originaire des USA, qui entama
une enquête. Pour lui, il était
impossible qu’un Français, loin
de tout et surtout ignorant en
la matière, puisse posséder
ces trois prototypes. Ce brave
homme m’envoya même plusieurs courriels m’expliquant
qu’il « allait retourner le pays pour
savoir qui était l’imbécile américain qui avait pu se séparer de
tels outils ». Dès lors, mon intérêt
pour la M9 n’a fait que croître.
Au fil de mes recherches, je finis
par acquérir des modèles de
plus en plus rares, allant de la
M9 Prototype Model XM à des
M9 EXPERIMENTAL, le tout dans
un état proche du neuf.
FC : Votre passion vous
a entraîné plus loin encore,
pouvez-vous nous en dire
plus ?
MM : Après deux années
passées à traquer la M9, j’ai eu
l’idée de faire fabriquer par mon
ami Joe Anvil, un modèle de M9
pouvant s’adapter sur la carabine M4 à canon court de 11,5’’
équipant certaines forces spéciales américaines. Apparemment
cette version n’avait jamais été
créée, car l’actuelle baïonnette
équipant l’US Army ne peut
s’adapter que sur les canons
de 14,5’’ ou plus. Une fois les
prototypes fabriqués, je me suis
décidé à les envoyer à la société
LanCay aux USA.
FC : Vous avez créé un
site Internet qui fait référence en la matière, quelles
étaient vos motivations ?
MM : Tout simplement
parce qu’il n’était pas question
d’accrocher le moindre tableau
sur les murs de mon appartement, alors pensez donc… des
baïonnettes !!! Ainsi est né le
site www.M9M4.com Mais le
site de référence américain est
www.quarterbore.com. Quant
aux spécialistes de la question,
ils sont également présents
sur place, y compris le fameux
Bill Porter passé maître en la
matière.
FC : Un dernier mot ?
MM : Cette passion a pris
énormément de ma vie privée
en passant par mon temps…
quant à l’argent, je ne compte
plus les lettres de rappel de mon
banquier. Le peu de modèles
rares qui composent mon site
auraient été impossibles à trouver et même à acheter sans les
conseils de Chris Johnson, un
des plus importants collectionneurs américains de M9.
(1) Mister Moon est le pseudonyme
de ce collectionneur qui préfère
garder l’anonymat.
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Une forme de collection
plus restreinte :
celle des prototypes
de couteaux industriels.
Ici le prototype du Ganyana
de Blade-Tech accompagné d’un
Ganyana Lite à manche vert.
de l’artisan. Il
est plus facile de
réunir une collection de griffes
Fred Perrin, même si le nombre
de variantes est déjà important,
que de rassembler l’intégralité
des couteaux du spécialiste français du couteau de terrain. Et
même si on est en droit de le
regretter, l’autolimitation soulage
le portefeuille. Le choix de produire des pièces en série limitée,
et à durée déterminée, effectué
par plusieurs artisans n’est sans
doute pas anodin. Ainsi, Allen
Elishewitz renouvelle annuellement ses collections. Une fois
épuisés, il n’y a aucune chance
de revoir les modèles en question. Jens Anso est encore plus
restrictif grâce à son concept de
Testlab Outbreak. Le couteau est
proposé à un instant donné en
une quantité réduite et… quand
il n’y en a plus, il n’y en a plus !!!
Aucun des deux artisans précités
ne déroge à cette règle qui fait le
bonheur de leurs collectionneurs
attitrés. Et une telle pratique présente l’avantage de maintenir les
prix pratiqués à un bon niveau !
Une dernière question se pose
pour l’amateur désireux de se
lancer. Doit-il jouer la carte des
couteliers établis ou parier sur
les “jeunes qui montent” ? Il n’y
a pas de réponse garantie, car
pour un Jens Anso qui a réussi
à s’imposer, combien de talentueux créateurs ont des difficultés à percer ?
• La collection industrielle : rassembler pour son
plaisir des couteaux industriels
pourrait sembler plus facile en
termes de budget. Pourtant, la
situation est désormais sensiblement identique à celle évoquée
précédemment. Il existe deux
approches de cette thématique.
La collection peut être “mono
marque”, c’est-à-dire consacrée
aux créations d’une entreprise
précise. L’amateur rassemble
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toutes les pièces produites. Ou
plutôt, il tente de le faire, car le
nombre annuel de nouveautés
mises sur le marché est croissant.
En plus, viennent s’ajouter les éditions limitées, “sprint runs” (terme
choisi par Spyderco) ou encore
commémoratives et anniversaires. Force est de constater que le
budget consacré à la passion s’en
ressent, d’autant plus que la qualité et la technicité des produits
en question se sont élevées proportionnellement. Des choix sont
alors nécessaires, j’y reviendrai
ci-dessous. Mais les “fans” d’une
grande marque aiment partager
leur centre d’intérêt et Internet
leur permet de se regrouper sur
Une partie de la collection de griffes
Fred Perrin, les modèles les plus
anciens avec, au centre, en position
verticale, les deux premières Griffe
du coutelier (début des années 90).
site Internet. Sans surprise,
l’influence d’un événement
malheureux constaté chez
les artisans est identique dans
le monde industriel. Les couteaux Al Mar fabriqués dans
les années 1990, sous l’égide de
son fondateur, tiennent le haut du
pavé et sont bien plus recherchés
que ceux de la nouvelle gamme
développée par Gary Fadden
après le décès d’Al Mar. Sur cette
pratique centrée sur les modèles
d’une entreprise, l’excellent article de Gérard Pacella consacré à
Randall Knives est très instructif.
La seconde approche qui pourrait
être qualifiée de multimarques
semble connaître un certain recul
aujourd’hui. Les raisons économiques n’expliquent pourtant pas
tout. En effet, elle est plus délicate
à gérer et touche au domaine de
la collection thématique. Enfin, à
la frontière des secteurs indus-
triel et
ar tisanal
se trouve une
idée de collection
très prisée, celle
des prototypes ou
des modèles de présérie que certaines
entreprises acceptent
de vendre. Il est important que le marquage
soit présent sur les
lames en général pour
les forums de discussion. Ainsi
le site américain Usual Suspect
Network réserve, dans sa subdivision consacrée au “couteau
industriel de qualité”, un espace
aux amateurs de Spyderco et de
Blade Tech. Il va de soi que les
marques concernées sponsorisent cette opération. Sal
Un axe réducteur mais original de
Glesser et son équipe
la collection de couteaux pliants
tactiques : les modèles à prise en main
ont intégré cet état de
fait depuis fort long- “pistolet”. De haut en bas, le P001 de STI Knife
Tactical, le UUK Folder de Laci Szabo
temps grâce à son forum
(fabriqué par A. Elishewitz) et le Spyderco
imaginé par Massad Ayoob.
dédié sur son propre
attester de la qualité des pièces
en question. Celles-ci ne courent
pas la rue et se les procurer est
très délicat.
• La collection thématique : le cadre thématique induit
une notion de sélection. Le collectionneur rassemble les différentes
variantes de son objet de passion
relevant d’un domaine précis.
La forme et la fonction sont à la
base du choix. Il peut s’agir des
couteaux à forte connotation historique de type “bowie knife” ou
encore des couteaux de chasse,
de survie, ou bien encore des pièces liées au cinéma. L’originalité
de cette approche est qu’une telle
collection peut être mixte. Elle
peut transgresser la fameuse frontière entre artisans et industriels.
La sélectivité volontaire décidée
par le collectionneur peut aussi
lui être imposée par l’évolution
du marché. La croissance exponentielle du nombre de modèles produits industriellement ou
fabriqués artisanalement amène
parfois le collectionneur à se
recentrer volontairement sur un
sous-segment de son domaine
de collection initial. Du couteau
tactique en général, il peut passer aux seuls modèles droits ou
pliants à lame tanto, ou encore
aux fermants à assistance au
déploiement. Il en est de même
pour le couteau de
secours d’urgence, très
à la mode aujourd’hui,
dans lequel les crochets de sécurité viennent de se tailler une
place importante au
point de devenir un
domaine de collection spécifique.
• La collec t ion à
dominante technique :
le caractère mixte relevé dans
le cadre thématique est aussi
très présent dans la recherche
des couteaux à mécanisme innovant dont les artisans sont sans
conteste les initiateurs. Rassembler
des modèles fermants à système
est une idée qui a fait son chemin. Elle connaît même un grand
succès puisqu’elle touche à la
Ces Trifolders de Cold Steel
ne sont pas des papillons,
mais ils relèvent
du domaine des pliants
à ouverture par gravité.
cote d’amour portée à certains couteliers. Heureusement pour le portefeuille
(cet élément est difficile à occulter !), les
fabricants industriels permettent de satisfaire cette passion par le biais des “custom collaborations”. Sur ce plan, CRKT
est en pointe. Chaque année, son catalogue intègre a minima trois nouveaux
mécanismes. Les amateurs ont ainsi pu
accéder au E-Lock d’Allen Elishewitz, mais
aussi découvrir l’AOS (Arctuate Opening
System) et le Snap-Lock d’Ed Van Hoy, le
Fulcrum de Charles Kain et le Glide Lock
de Barry Gallagher pour ne citer que les
plus récents, mais auxquels il faut ajouter les systèmes de sécurité active que
sont le LAWKS (Lake and Walker Knife
Safety) ou LBS. Spyderco adopte une
approche inédite avec son pliant Sage
qui sera décliné en plusieurs versions,
conservant la même ligne générale, rendant hommage aux artisans ayant contribué au développement technique de la
coutellerie. La première édition adopte le
liner lock de Michael Walker. La seconde
fait appel au Reeves Integral Lock (ou
Frame Lock) conçu par Chris Reeves.
Les prochaines déclinaisons, très attendues, devraient utiliser un mécanisme de
Blackie Collins et le Front Lock cher à Al
Mar. À lui seul, le Spyderco C123 Sage est
un thème de collection technique.
• La collection “tendances” : le
monde du couteau est aussi rattrapé par
la mode et les grandes tendances du
marché. Depuis plusieurs mois, la couleur
effectue une percée remarquable chez
les industriels comme chez les artisans.
Les nouveaux matériaux synthétiques
permettent de nombreuses variations
dont les couteliers ne se privent guère.
L’orange est très en vogue aujourd’hui.
Fréquemment utilisé pour les manches
des modèles de secours d’urgence,
ce coloris est désormais présent sur
tout type de pièces : chasse, loisirs et
même port au quotidien. L’année 2009
a été marquée par l’apparition des couteaux “roses” destinés à soutenir la lutte
contre le cancer du sein. Cette initiative
suivie par plusieurs fabricants mérite
d’être soulignée car elle fait partie d’un
mouvement plus large né aux États-Unis.
Les industriels du couteau, parmi lesquels
Spyderco, Benchmade, Victorinox, Doug
Ritter, Rough Rider et Ka-Bar, ont rejoint
des entreprises de la protection personnelle, Sabre Red et Maglite ou du monde
de la moto comme Harley-Davidson qui
propose une gamme de vêtements pour
femme reprenant le logo et la couleur
rose symbolisant la lutte contre la maladie. De nombreux autres thèmes de collection existent et il serait fastidieux, voire
impossible, de les illustrer en intégralité,
compte tenu de l’évolution constante du
monde du couteau. Toutefois, il est possible de s’interroger sur l’avenir.
Une crainte, oui. Infondée ?
L’avenir le dira
Au final, le couteau diffère assez peu
des autres objets de collection, de luxe
et à forte valeur ajoutée notamment.
Aussi peut-on nourrir certaines craintes
quant au marché. Aujourd’hui, le risque
majeur serait que se produise ce qui
s’est passé dans le domaine de l’horlogerie avec l’arrivée des acheteurs de l’exURSS. Le terme est employé à dessein,
car il ne s’agit pas de collectionneurs au
sens propre (1). Ces clients ont trusté,
dans un premier temps, les ventes aux
enchères de la Côte d’Azur pour acquérir
les plus belles pièces. Leur intervention
a eu pour conséquence une flambée
quasi hallucinante des prix et une surcotation des montres d’occasion des
grandes marques en général. Bien malin
celui qui pourrait dire vers quel nouveau
produit ces “amateurs” vont désormais
se retourner pour placer leur argent !!!
Même si l’aspect financier occupe une
certaine place, le choix est suffisamment
large pour que chacun s’y retrouve. Il y en
a vraiment pour toutes les bourses ! La
dominante en matière de collection reste
donc, sans conteste, le plaisir. Dans ces
conditions, pourquoi ne pas envisager
une “collection hétéroclite de couteaux
choisis au feeling” ?
Le nouveau
“PowerAssit” élève
les multi-tools
à une nouvelle dimension.
C’est le premier multi-tool
au monde à héberger non pas une
mais deux lames à ouverture
assistée S.A.T. (SOG Assisted Technologie)
UN VÉRITABLE EXPERT
SAIT QUE CE N’EST PAS
LA MANIÈRE DONT VOUS
UTILISEZ UN OUTIL
QUI EST IMPORTANT.
C’EST PLUTÔT DE SAVOIR
QUEL OUTIL VOUS UTILISEZ !
Frédéric Combe
L’auteur remercie les collectionneurs
(anonymes) rencontrés pour leur accueil
ainsi que Mister Moon pour son aide.
BIBLIOGRAPHIE :
Gérard Pacella “La collection des couteaux
Randall” (Excalibur n° 49).
(1) Ce mot doit aussi être pris dans toutes
ses acceptions. Les rumeurs de blanchiment
d’argent de la mafia russe lors de ces ventes
ont retenu l’attention des services de Police.
sogknives.com
888-SOG-BEST

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