marivaux - Site de Bruno de Maricourt

Transcription

marivaux - Site de Bruno de Maricourt
Le Gaulois – Samedi 8 avril 1922
MARIVAUX ET LES « SURPRISES DE L'AMOUR »
La mode des centenaires, bi-centenaires et tri-centenaires devient assurément formidable et excessive. On l'a dit ici-même. Mais, comme le propre de l'homme est d'être en contradiction avec luimême, on ne saurait résister à l'agréable jouissance de se donner un démenti, quand il s'agit d'exhumer les gloires un peu pâlies d'un esprit essentiellement charmant et essentiellement français, – ce
qui, au fond, est peut-être bien la même chose.
Il y a deux siècles, le « Tout-Paris » au lieu de se perdre, comme aujourd'hui, en désastreuses palabres sur la crise des logements et celle des domestiques, était en véritable émoi pour célébrer le
chef-d'œuvre d'un auteur nouveau.
Cet auteur posséda au moins une qualité n'être l'initiateur de personne, et créer un genre. On le
nommait Pierre Carlot de Chamblain de Marivaux. Sa biographie serait bien agréable, à écrire pour
les esprits paresseux, car il eut le bon goût de n'avoir point d'histoire. Né en 1688, journaliste, ro mancier et auteur dramatique, il fréquenta chez Helvetius, Mme de Lambert, Mme de Tencin accéda
tranquillement à l'Académie française et s'y assit dans son fauteuil. Puis il vieillit sans aventures,
ayant sans doute réservé pour ses œuvres celles, qu'il eut le courage d'exclure de sa vie, et il trépassa sans bruit en 1763, après avoir connu le bonheur pour ne l'avoir point cherché avec excès.
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Le printemps de 1722 marqua, grâce à lui, une date très importante dans l'histoire de nos Lettres..
Du jour au lendemain, il eut la douceur de connaître alors la gloire, en donnant au public Les Surprises de l'amour, qui révolutionnèrent, dis-je, le monde élégant.
C'est une pièces qu'il faudrait relire avec beaucoup d'attention. On l'a taxée de mièvrerie, de préciosité et de fadeur quand est venue la grande époque du romantisme, lequel prit l'amour au tragique
et fut une ère de désordre moral. N'a-t-on pas été injuste ? Ces défauts, concédons que Marivaux les
posséda quelque peu dans la forme ; mais a-t-on suffisamment songé à ce qu'on trouve au fond de
son théâtre, dont on ne regarde, trop souvent, que les aspects ?
Cherchons à y descendre, et nous y rencontrerons de grandes qualités.
Marivaux, tout d'abord, est le premier qui donna aux « gens du commun » une personnalité et un
caractère. Au contraire des laquais conventionnels de Molière, il nous présente des intendants, des
valets, des paysans qui sont des hommes. Sans aucune acrimonie contre les grands, comme en aura
plus tard Beaumarchais, il reconnaît la dignité des petits. Il leur donna même une place, qui n'est
point caricaturale, dans la société de son temps, Et cela est bien.
Il fit mieux, encore. Réformateur de mœurs, malgré qu'on en ait dit, il réagit contre le théâtre ancien et contre Dancourt, Regnard, Destouches, gui ravalaient la femme au second plan. Féministe
avant la lettre, – oh ! dans la mesure discrète qui convient ! – il donne à cette femme sa place essentielle aux côtés de l'homme. Et remarquez bien que, si, au dix-huitième siècle, la femme fut véritablement reine en France, elle le doit dans une certaine mesure, au mouvement déclenché par Les
Surprises de d'amour, Le Legs, L'Epreuve et autres pièces de Marivaux. Et cela est bien aussi.
Evidemment, il faut reconnaître que, dans ses comédies, élégantes comme le décor de la vie de
son temps, capricieuses et fantaisistes comme les mœurs de son temps, gracieuses et légères comme
la peinture de son temps, Marivaux n'a rien du tragédien et, à priori, n'apparaît point désireux
d'aborder les grandes scènes passionnelles qui font de l'amour le promoteur fatal de nos actes. Mais
ne pensez-vous pas qu'il eut raison ?
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Expliquons-nous : l'amour est le sujet de toutes ses comédies. Il a dit lui-même qu'il le « fallait
sortir de la niche où il se cachait pour le montrer tel qu'il était ». Il a mis dans ses peintures une
nuance de sentiment et une pointe de poésie. Sans plus.
Aussi bien, n'a-t-il pas écrit un de ces cruels chefs-d'œuvre tels que Manon Lescaut et tant
d'autres. Il a vu, dans l'amour, quelque chose de badin, d'aimable, de gracieux qu'il ne faut point
traiter trop sérieusement, pour ne point laisser gagner à la main.... Mais au fait !... les Anciens représentaient l'amour sous les traits d'un enfant.... Et Marivaux l'a traité comme un enfant qu'il ne faut
pas trop écouter, mais dont il convient seulement de retenir les « aimables ris ». C'est très saga.
Nous avions, en effet, reconnu, depuis, le mal que les grands romantiques nous ont causé, en faisant
de nous les esclaves de la passion, en mettant au premier rang des facultés cette sensibilité amoureuse qui ne mérite point une place excessive à laquelle elle nous fait tant souffrir....
Depuis 1914, nous avons mieux encore reconnu qu'il y avait des passions, des énergies et des
forces plus nobles qu'il convenait de cultiver.... Et déjà, s'en ressent notre littérature. Marivaux, en
ne traitant l'amour qu'avec le sourire, était très profondément un sage.
S'en, est-il douté ? Je le crois bien, d'après sa correspondance, encore qu'il n'ait pas eu le souci
apparent d'écrire des pièces à thèse. Ce n'était point, d'ailleurs, la mode, et – nous le répétons – il
fut, en perfection, avec son souffle léger et un peu court, l'homme de son temps.
Ne disons pas trop de mal de ce temps. Il eut bien des défauts, mais il eut bien des grâces, et Marivaux les résume en ses œuvres. Les Surprises de l'amour, c'est un petit chef-d’œuvre raffiné et délicat à la prose leste, espiègle et pimpante. D'ailleurs, c'est quelque chose, pour un homme, d'avoir,
sans s'en douter, fait entrer dans le dictionnaire un mot qui le synthétise le Marivaudage.
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Marivaudage ? Evidemment, le terme peut être pris en mauvaise part, car toute expression est
une médaille à deux faces. L'afféterie est le « côté pile » du marivaudage. Mais de l'autre côté, du
bon côté de la médaille, il y a l'image très française de l'esprit, de l'imagination et du bon ton, qui ne
laisse pas à l'amour le droit d'être tapageur.
Or donc, Voltaire, en reprochant à Marivaux de n'avoir point connu « la grande route de
l'amour », et de n'en avoir parcouru que les étroits sentiers, lui a peut-être bien adressé un compliment. Encore une fois, en prenant « l'Enfant » ailé par la main et en le conduisant, – car un enfant
doit être conduit.... – dans des chemins gracieux garnis de roses, Marivaux s'est refusé à reconnaître
en lui le Dieu qui, lorsqu'il prend la direction, jette l'anarchie dans les cœurs, mène parfois aux
drames passionnels et bouleverse le monde.
Décidément, c'était un sage.
André de Maricourt