Revue Transports OTI numéro 24

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Revue Transports OTI numéro 24
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Ce premier numéro de l'année 2013 présente en premier lieu deux articles du Sétra qui font
suite à ceux du n°23:
- Le système de lotissement ferroviaire "Multi-lots, Multi-clients" mis en place par la SNCF
est détaillé sur le cas de la logistique ferroviaire d'ArcelorMittal.
- Les "opérateurs ferroviaires de proximité" sont étudiés sous l'angle économique. Le
modèle économique présente en effet certaines contraintes qui peuvent conduire à
s'interroger sur un élargissement de leur périmètre d'action.
Ce numéro présente ensuite quelques éléments de réflexion issus d'une une étude menée par
Julien LECOINTRE du Centre d'Etudes Techniques de l'Equipement Normandie Centre sur les
"filières courtes".
Antoine Rigaux, rédacteur en chef des deux derniers numéros, nous quitte pour d'autres
horizons. Nous lui souhaitons une bonne continuation.
Bonne lecture.
Edito par Bruno MEIGNIEN, Chargé d'études « ferroviaire et intermodalité »
[email protected]
Fret ferroviaire
2
Modèle économique du fret local : vers des opérateurs régionaux..................2
Fret ferroviaire
10
Multi-lots, Multi-clients, la nouvelle offre de lotissement ferroviaire
de la SNCF : le cas d'ArcelorMittal .....................................................................10
Logistique
17
Les filières courtes...............................................................................................17
Parutions récentes : fret ferroviaire local + modèle BASIF
24
Fret ferroviaire Fret local, vers une nouvelle équation
économique :
De l'opérateur de proximité à l'opérateur régional
Rédigé par Bruno MEIGNIEN du Sétra
[email protected]
Cet article se base sur le rapport fret local publié
en octobre 2012 (sétra, Cété Ouest, cf « vient de
paraître » à la fin de la présente revue) ainsi que
sur des entretiens (notamment Régiorail, ex-TPCF
Fret), les « journées OFP » organisées par
l'association Objectif OFP et la thèse
professionnelle de Touby Vang publiée début
2012 : analyse de l’impact du cadre réglementaire
sur les coûts d’investissement et d’exploitation
d’un operateur ferroviaire de proximité
(1) 2007-2012 : voir notamment les rapports
« nationaux » de l'INRETS et du CETE de l'Ouest
ainsi que les études « locales » réalisées par
certaines DREAL avec des bureaux d'études sur
l'opportunité d'opérateurs de proximité dans leurs
régions respectives
La question du fret local et des opérateurs ferroviaires de proximité en
particulier a déjà été largement traitée ces dernières années (1).
Nous proposons de revenir ici sur l'angle économique, avec deux questions
majeures : le plan de charge (coûts vs chiffre d'affaires) et le démarrage de
l'activité (capital nécessaire).
L'idée qui en ressort, qui semble confirmée par les cas d'élargissement des
périmètres d'action des OFP, est qu'un opérateur de fret local trouve sa
pertinence, paradoxalement, plutôt à l'échelle régionale, voire interrégionale.
Une définition initiale calquée sur un modèle
difficilement transposable à la France
Les origines du « fret ferroviaire local » remonte en France au rapport de la
mission confiée à Jacques Chauvineau par le ministre en charge des transports, Transport ferroviaire de fret et développement territorial (2006). Sur
le modèle des Etats-Unis et du Canada, Jacques Chauvineau propose dans
ce court document la notion d'opérateur ferroviaire de proximité (OFP), acteur de « la distribution fine des flux de et vers les points d'échange avec le
réseau [structurant] ». Cette solution fait suite au constat que « la SNCF,
se concentre sur les flux denses et programmables,laissant entière la question de la desserte fine des territoires ». Les trafics visés sont ainsi notamment les trafics diffus, c'est-à-dire les flux de collecte et de distribution du
lotissement, dont les volumes ont été divisés par plus de quatre entre 1980
et 2011 (en 2011 environ 300 000 wagons dont 220 000 pour la SNCF et 80
000 pour les autres opérateurs, OSR France notamment) alors que les volumes transportés par trains entiers restaient stables pendant la même période.
Au Canada et aux Etats-Unis, des « shortliners », au nombre de plusieurs
centaines, effectuent pour le compte des grandes sociétés de chemin de fer
le trajet terminal. Le concept a été repris avec succès en Allemagne, où le
contexte réglementaire a été adapté à l'émergence de ces opérateurs depuis
une vingtaine d'années déjà.
(2) Le classement des voies UIC (Union
Internationale des Chemins de fer) est défini en
fonction du tonnage y circulant quotidiennement.
Les voies UIC 7 à 9 SV (Sans Voyageurs), sur une
échelle de 1 à 9, sont ainsi celles qui supportent le
plus faible trafic, et qui présentent en général les
performances les plus faibles (vitesse, tonnage à
l'essieu autorisés, systèmes de signalisation et
capacité, etc.).
Cependant, en France, et c'est la distinction majeure avec les pays précédemment cités, les distances à parcourir sur les petites lignes dans un cas et
la densité industrielle dans l'autre sont bien moindres.
La pluspart des lignes du réseau à faible trafic, c'est-à-dire les voies UIC 7 à
9 SV (2) n'offrent ainsi pas les volumes potentiels suffisant à une exploitation de type shortliner, avec un transfert des wagons depuis et à un opérateur grande ligne.
Revue Transports OTI – Numero 24 – -XLQ 2013
Page Nous ne nous intéresserons pas dans la suite aux opérateurs réalisant uniquement une activité de prestataires gestionnaires d'infrastructures. La carte
suivante montre cependant que l'activité « gestion d'infrastructure » s'est
bien développée : ceci grâce au transfert des voies ferrées aux ports et à la
stabilité que représentent les contrats pluri-annuels de gestion d'infrastructure déléguée, passés avec le propriétaire du réseau : les volumes d'activité
étant définis à long-terme, les risques pesant sur l'activité sont moindres.
L'enjeu du plan de charge
Plusieurs seuils d'équilibre existent pour une activité de fret ferroviaire
local. Ils dépendent directement du matériel utilisé et des coûts que cela
engendre. On peut distinguer principalement les quatre cas suivants :
► Locotracteur diesel, solution la moins onéreuse mais cantonnée à de
petits trajets, avec de faibles volumes et à faible vitesse.
► Une locomotive ancienne et amortie (diesel), peu chère – à supposer
qu'elle ne nécessite pas de désamiantage intégral – ne peut fonctionner qu'à
faible vitesse et sur ligne peu fréquentée, car sa fiabilité est souvent limitée.
► Une locomotive de ligne diesel représente un coût de location supérieur
à 25000 euros TTC par mois : coût "sec" pour environ 15000 euros,
assurance pour un peu plus de 1 000 euros, maintenance courante et
patrimoniale pour environ 10 000 euros. Une machine de secours doit être
prévue, elle peut être louée à l'heure (~150 euros /heure).
► Une locomotive de ligne électrique présente une puissance et une
fiabilité supérieures à une locomotive diesel, mais coûte également plus
cher : près de 35 000 euros par mois. Elle nécessite également d'emprunter
des voies ferrées électrifiées, ce qui est rarement le cas sur les petites lignes
UIC 7 à 9 sans voyageurs.
Chacun de ces cas peut être étendu à plusieurs locomotives. Par exemple,
RDT 13 utilisait jusqu'à présent 9 locomotives diesel anciennes sur son
propre réseau. Ce cas est particulier cependant, en raison de volumes très
importants à transporter (500 000 tonnes annuelles pour la seule raffinerie
de La Mède). Des volumes aussi importants en provenance ou à destination
d'entreprises situées sur de petites lignes ferroviaires sont quasi-inexistants
en France.
(3) Pour le détail des coûts, voir la thèse de Touby
Vang, 2012, op cit. , disponible en ligne sur le site
internet de l'association Objectif-OFP
www.objectif-ofp.org
Chacun de ces cas implique des coûts différents, mais dans tous les cas
l'entreprise doit compter au moins 4 salariés pour fonctionner (3) et payer
les frais fixes (locaux, immobilisation du matériel) et variables (péages,
énergie, maintenance, etc.).
L'expérience montre que seule la société RDT 13 a réussi à utiliser l'un des
deux premiers modèles, que l'on pourrait qualifier « d'artisanaux », mais
avec une longue expérience et une présence historique dans la région (RDT
13 signifie Régie Départementale des Transports des Bouches-du-Rhône,
survivance des chemins de fer départementaux du début du siècle dernier).
Ceux-ci se heurtent à des difficultés de remplissage du plan de charge avec
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Page CFR Morvan
RDT 13
Régiorail LanguedocRoussillon (ex-TPCF Fret)
PGI = Prestataire gestionnaire
d'infrastructure
Source : MEDDE/DGITM/FCD2 – Jordan Haumont – 2012. Mise à jour fin 2012 par le Sétra – Joël Mballa
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Page des locomotives ou locotracteurs qui ne peuvent être utilisées hors de la
ligne locale. Et même si le potentiel de trafic pourrait s'avérer suffisant sur
une ligne donnée, intéresser l'ensemble des chargeurs présents sur son
linéaire au ferroviaire se révèle une tâche complexe, comme en témoignent
les acteurs existants.
Ainsi, le cas de l'ex-TPCF Fret (Train du Pays Cathare et du Fenouillèdes,
Régiorail Languedoc-Roussillon aujourd'hui) est révélateur de l'incidence
de ces faibles volumes sur l'équilibre économique.
(coûts ~30% supérieurs aux recettes)
(coûts ~10 fois supérieurs aux recettes)
Schéma 1 : Les débuts de TPCF en 2010 et 2011 : des moyens qui ne sont utilisés qu'un jour par semaine et des
pertes qui sont concentrées sur l'opérateur de proximité qui ne peut pas les amortir sur l'ensemble du transport. La
question pourrait être posée du prix de la prestation comparée au prix routier, mais celui-ci tient compte d'un délai
ferroviaire largement supérieur et d'un prix ferroviaire historiquement faible, auquel les chargeurs ont été
habitués.
TPCF a ainsi pu réaliser cette prestation uniquement grâce à l'activité touristique qu'elle mène par ailleurs.
Remarque : ces chiffres ne sont que des ordres de grandeur, d'une part car nous ne disposons pas de toute les
données (mentions coûts « supposés ») et d'autre part pour ne pas divulguer des éléments commerciaux sensibles.
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Page Solutions « industrielles » : un chiffre d'affaires
annuel d'au moins 1,2 M€
La location d'une locomotive diesel (~25 000 € par mois) implique d'après
les différents OFP en activité des coûts annuels d'environ 1 à 1,2 M€, ce qui
implique un chiffre d'affaires au moins équivalent. La location représente à
elle seule 300 000 euros annuels.
(4) Tonne.km ou t.km (parfois aussi notée TK) :
une tonne de marchandise parcourant un
kilomètre. Par exemple, 20 tonnes de bois
parcourant 2 km = 40 tonnes.km Cette unité est
très utilisée dans les facturations du transport de
marchandises. L'autre unité de facturation
courante est la tonne : dans tous les cas, le prix
change en fonction de la distance.
Aux prix actuels du transport ferroviaire, cela représente entre 20 et 40
millions de tonnes.km (4). L'enjeu est ainsi d'utiliser la locomotive au
maximum pour la rentabiliser.
C'est ce que font aujourd'hui les opérateurs en activité.
De l'opérateur de proximité à l'opérateur régional
(5) Bien que cela ne soit pas précisé, ce chiffre
comprend a priori les opérations de manœuvre,
de reconnaissance à l'aptitude technique (RAT),
etc. et pas uniquement la conduite en ligne.
Le chiffre de 18h d'utilisation journalière réelle des
locomotives ECR avait été évoqué dans la presse,
qui a d'ailleurs relayé certaines solutions mises en
œuvre par l'opérateur en demandant au chargeur
d'adapter son mode de fonctionnement (livraison
de nuit, etc.)
(6) VFLI : Voies Ferrées Locales et Industrielles
Si l'on suit l'évolution des différents opérateurs de proximité en activité ou
prévus, la tendance à l'élargissement du périmètre d'activité est partout
confirmée, sans exception. Cela apparaît être la seule façon d'utiliser de
manière optimale le capital que représente la locomotive, car celle-ci
représente une dépense même à l'arrêt - 300 000 euros de location par an,
soit près de 800 euros par jour, auxquels il faut ajouter les différents frais
fixes. Le directeur d'Euro Cargo Rail (ECR) l'avait d'ailleurs clairement
mentionné lors d'une interview ; « pour être rentable, une locomotive doit
tourner 20h par jour » (5)
Ainsi, on constate une augmentation des distances, qui va de pair avec
l'élargissement du périmètre d'activité :
•
CFR Morvan tracte des trains entiers à moyenne distance (400 km)
•
TPCF Fret, devenu Régiorail Languedoc Roussillon avec le
commissionnaire de transport belge Eurorail et l'américain RDC, a
trouvé avec l'appui d'Eurorail des trafics grande ligne et loue une
locomotive diesel de ligne.
•
OSR France (On Site Rail, filiale de la SNCB), qui réalise des
activités de fret local sans porter le nom d'OFP, gère un système de
lotissement à l'échelle du Nord-Est (plusieurs dizaines de milliers
de wagons annuels).
•
RDT 13 dispose d'un trafic historique de 500 000 tonnes sur une
ligne fret, mais a également étendu son certificat de sécurité et
cherche de nouveaux clients avec de nouvelles locomotives,
adaptées au réseau structurant.
•
Les opérateurs portuaires disposent naturellement de forts tonnages,
les ports étant des points de massification naturels. Ils sont ainsi de
façon assez naturelle des émanations des grands opérateurs : en
l'occurence VFLI (6), filiale de la SNCF pour Normandie Rail
Service Euro Cargo Rail (ECR) à La Rochelle. « OFP La
Rochelle » assure notamment des trains complets en relation avec le
reste de la France (jusqu'en Rhône-Alpes).
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Page •
Agenia, dont le certificat de sécurité est récent, n'assure pas encore
de circulations, mais se définit déjà comme un opérateur régional et
prévoit 780 trains par an, en s'appuyant sur une entreprise
préexistante (Eugénie : chiffre d'affaires de 12 millions d'euros)
•
Ferovergne, qui n'a tractionné qu'un seul train « local », commence
ses activités avec des trains de combiné Le Havre – ClermontFerrand (traction confiée à la SNCF)
•
Enfin, Combiwest démarre ses opérations avec du combiné Rennes
– Lyon (traction Euro Cargo Rail)
Les autres opérateurs sont à l'état de projet. La recherche de trafics est toujours un point majeur du plan d'affaires.
Quel rayon d'action pour un opérateur régional ?
Le rayon d'action d'un opérateur régional est très simplement déterminé par
les durées légales de conduite d'un conducteur de train de fret. Si une
liaison dépasse cette durée, cela implique une organisation qui est du ressort
d'un « grand » opérateur, avec une relève des conducteurs, donc plusieurs
zones d'emploi (« dépôts »), ce qui complexifie considérablement
l'exploitation.
La durée légale journalière étant de 9h, le rayon d'action maximal d'un
opérateur régional est de plus ou moins 500km, en fonction de la vitesse
maximale autorisée sur les lignes empruntées et des sillons accordés. Tant
que la liaison peut se parcourir dans la journée, il suffit de prévoir des
« découchés », simples à organiser pour l'opérateur (réservation d'hôtels,
repas), celui-ci restant basé sur un lieu unique.
Remplir le plan de charge : le rôle des
commissionnaires de transports et de la gestion
déléguée d'infrastructures
L'opérateur de fret local ou plutôt « opérateur ferroviaire régional »
(permettant le maintien d'activités sur petites lignes), s'il a une bonne
connaissance du tissu économique local, n'a pas la vision nécessaire à
l'échelle régionale, voire interrégionale.
(7) A proprement parler, un commissionnaire de
transport est une personne morale fournissant
une prestation complète d'organisation du
transport pour le compte d'un chargeur, en
choisissant le meilleur moyen de réaliser cette
prestation grâce au choix du ou des modes les
plus adaptés et à l'indépendance par rapport aux
transporteurs.
La notion est ainsi souvent utilisée à tort pour des
entreprises disposant par ailleurs de moyens de
transports, qui ne choisissent donc pas les
prestations en toute indépendance, ou pour des
transitaires qui ne proposent qu'un seul mode de
transport.
L'intervention de commissionnaires de transports (7) peut alors se révéler
très utile pour la recherche de nouveaux trafics et la combinaison de ceux-ci
en un plan de charge régulier et adapté aux moyens disponibles. En effet,
les commissionnaires de transport disposent d'une connaissance
géographique et d'une force commerciale plus étendue.
C'est d'ailleurs un logisticien belge, « commissionnaire de transport » au
sens large du terme (proposant surtout du ferroviaire : cf (7)), Eurorail, qui
s'est associé au groupe américain RDC, sous le nom de Régiorail (holding)
pour reprendre TPCF Fret (devenu Régiorail Languedoc-Roussillon) et
CFR Morvan, en augmentant au passage considérablement le capital de ces
deux entreprises.
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Page L'autre élément d'optimisation du plan de charge est l'activité de prestataire
gestionnaire d'infrastructure, qui permet à l'OFP d'exploiter au maximum
des gains de productivité apportés par la polyvalence du personnel, en
utilisant la force de travail pour l'entretien des infrastructures les jours sans
trafic.
En effet, alors que les grands opérateurs peuvent mutualiser leur parc de
matériel pour maximiser sa rotation, il est très difficile d'optimiser la charge
d'une seule locomotive (apporter des wagons vides le jeudi en un point A,
trouver un trafic partant du point A vers le point B le vendredi, puis un autre
trafic de B à C aller-retour le samedi, etc.) et celle-ci a donc de grandes
chances d'être inutilisée certains jours.
L'enjeu du Capital (démarrage de l'activité)
(9) A noter l'arrivée début juillet
2013 d'un nouveau prestataire,
Sécurail, qui propose de faciliter
le lancement d'activité des
opérateurs de proximité en leur
permettant notamment de circuler
sous son propre certificat de
sécurité pendant cette période et en
leur fournissant des conducteurs
http://www.wk-transport-logistique.
fr/actualites/detail/67699/securaillance-un-nouveau-service-pour-lesoperateurs-ferroviaires-deproximite.html
L'activité d'opérateur ferroviaire de proximité demande une phase de
démarrage longue et coûteuse. Parmi les points saillants (coûts d'après la
thèse professionnelle de Touby Vang (3) et les dires d'opérateurs) se
retrouvent :
•
La formation des conducteurs : 8 mois, et 20 000 euros pour deux
conducteurs
•
L'obtention du certificat de sécurité : 6 mois minimum, pour un
coût estimé par les OFP à 50, voire 100 à 120 000 euros pour un
entrepreneur sans connaissance préalable du système ferroviaire
•
Les salaires et frais de structure pendant cette période d'inactivité :
plus de 100 000 euros
•
Le dépôt de garantie pour la location de la locomotive : 90 000
euros
Soit un total supérieur à 300 000 euros. Bien que TPCF Fret ait pu
commencer son activité grâce à l'abaissement à 50 000 euros du capital
nécessaire pour créer une entreprise ferroviaire, cela n'a été possible que
grâce à l'activité touristique assurée par ailleurs par TPCF (connaissance du
système ferroviaire, revenus de l'activité touristique).
De son côté, CFR Morvan a très vite augmenté son capital initial de 100 à
plus de 300 000 euros, et la récente reprise par Régiorail a permis de
l'augmenter à plus d'un million d'euros.
Se pose ainsi le problème de l'obtention des fonds pour démarrer l'activité,
sachant que la première année ne procure aucun revenu.
Différentes pistes peuvent être évoquées afin de rassembler ce capital ou
d'amoindrir les besoins, car peu d'entrepreneurs possèdent déjà les fonds
propres nécessaires au lancement de l'activité :
•
Aides : aide à la formation des conducteurs, programme européen
Marco Polo (seuil minimal 30 millions de tonnes-km annuelles)
•
Capital provenant d'une entreprise préexistante (cf Agenia)
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Page •
Montée au capital d'un investisseur (externe tel Régiorail, ou
chargeurs au capital comme lors de l'établissement de CFR
Morvan)
Cette dernière solution semble être la plus répandue à l'heure actuelle, avec
une volonté clairement affichée de la part de Régiorail (RDC + Eurorail)
d'investir sur le marché français.
Pour conclure cet article, rappelons que chaque cas est unique et que les
différentes contraintes et pistes de solutions ici exposées de manière
générale ne s'appliquent pas forcément de la même manière en fonction du
contexte.
Chargement de dolomie en attente de départ à Cases-de-Pène, sur la ligne capillaire Rivesaltes-Axat
exploitée par Régiorail (TPCF Fret à date de la photo, Août 2011) : photo B. Meignien, Sétra
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Page Fret ferroviaire Multi-lots, Multi-clients, la nouvelle offre de
lotissement ferroviaire de la SNCF :
Le cas d'ArcelorMittal
Rédigé par Bruno MEIGNIEN du Sétra
[email protected]
Cet article se base sur deux entretiens réalisés en
mars 2011 :
- Un entretien à Florange avec Thierry Juret,
responsable de l'achat de transport ferroviaire en
Europe
- Un entretien à Fos-sur-Mer avec Cyril Fage,
responsable étude logistique
Ils ont été actualisés par téléphone mi-2012
ArcelorMittal est le premier générateur de flux ferroviaires en
France, avec 120 trains par semaine tout compris, mais aussi en
Belgique, au Luxembourg et en Europe.
L'entreprise représente 10% des flux de lotissement en France, soit
20 000 wagons sur les quelque 220 000 ayant circulé sur le sol français en 2011. Ces importants flux de lots de wagons, qui s'ajoutent
aux trains entiers, s'expliquent par la dispersion géographique des
différentes usines du groupe sidérurgique et par la nature du processus industriel, qui nécessite plusieurs étapes.
ArcelorMittal, structure et système logistique
associé
Arcelor Mittal, principal groupe sidérurgique mondial, possède en Europe
un grand nombre d'usines interconnectées. Cette interconnexion est rendue
nécessaire par les quatre étapes de transformation de la matière première
(minerai de fer essentiellement) en produits finis (plaques d'acier de
différentes formes et tailles). Le processus et son implication logistique en
France sont résumées dans le schéma suivant :
Site de Florange : Image B. Meignien, Sétra
Fig.1 : Processus industriel et système logistique simplifié d'ArcelorMittal en France. Les Brames sont des poutres de 10 à
12m d'une section de 2m sur 30cm. Les coils sont de grosses bobines. Le processus industriel consiste à fusionner le fer et les
autres composants de l'acier (carbone, etc.) dans les haut-fourneaux puis à affiner les produits obtenus par étapes successives,
jusqu'aux dimensions désirées par les clients : constructeurs d'automobiles, de pylones, d'électroménager, de bateaux...
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Compte-tenu de ce schéma logistique, qui implique des flux importants et
une contrainte de délai compatible avec le transport par voie ferrée, toutes
les usines françaises sont embranchées au réseau ferroviaire, à l'exclusion
de celle de Gueugnon, qui réalise ses opérations ferroviaires à Digoin /
Paray-le-Monial. Le réseau interne aux usines, en général exploité de
manière interne – chaque site dispose de locomotives ou locotracteurs – et
entretenu par sous-traitance, peut atteindre plusieurs dizaines de km de
voies routières et ferroviaires. Il y a ainsi 250km de voies ferrées sur le site
de Florange, ce qui en fait le premier réseau privé de France. Certains flux
internes sont assurés en train ; depuis le haut-fourneau vers l'aciérie
(transfert d'acier en fusion), depuis l'aciérie vers les laminoirs à chaud
(brames).
Les flux ferroviaires d'ArcelorMittal représentent 120 trains par semaine.
(1) L'intégralité de l'effort de traction de la ou les
locomotives passe par l'attelage situé à l'arrière
entre la dernière locomotive et le premier wagon.
Or, les attelages classiques à vis utilisés en
France ont une résistance limitée. L'emploi d'un
attelage renforcé permet d'atteindre 3600 TBR.
L'attelage automatique, largement utilisé dans le
monde (sauf en Europe), offre une résistance
encore bien supérieure. Des réflexions ont déjà eu
lieu pour généraliser son utilisation en Europe et
ont repris depuis peu en France dans un cadre
plus général de modernisation des wagons de
fret.
Les trains entiers comptent pour les trois quarts, avec un flux de 4 à 5
trains lourds par jour (en fonction de la conjoncture) : 2 à 3 trains de
minerai et 2 trains inter-usines (relation Dunkerque - Florange). Ils
atteignent la limite de tonnage admissible, soit 3600 TBR (tonnes brutes
remorquées : poids des wagons et de leur chargement ; les locomotives sont
exclues du calcul car c'est la résistance du crochet de la locomotive qui est
en jeu (1)) sur 44 ou 45 wagons de petite taille (12-14m) : le train atteint la
limite de poids sans atteindre la longueur maximale de 750m, car il
transporte un métal dense, avec une charge utile de 50 à 60t par wagon. Il
peut être aussi au format standard de 1800 TBR (22-23 wagons), soit
environ 1200 tonnes nettes d'acier transporté (3 trains/jour entre Dunkerque
et Florange, etc.).
Quelques autres trains complets circulent avec des charges brutes
remorquées inférieures : 1600t, 2400t (relation Fos-sur-Mer - Italie par
exemple).
La SNCF opère la plupart des trains entiers, le reste étant exploité par les
CFL (Chemins de fer Luxembourgeois) et ECR (Euro Cargo Rail).
Les "wagons isolés" – l'expression est toujours employée pour désigner
des lots de wagons – au départ de la France sont au nombre de 2000 par
mois (chiffre actuel, hors crise 2009-2010). Ils desservent des usines
ArcelorMittal et des clients extérieurs et ont pour destination la France ou
les pays limitrophes, l'Allemagne notamment. La majeure partie des flux
sont également assurés par la SNCF, mais CFL Cargo (Chemins de Fer
Luxembourgeois), dont ArcelorMittal possède 30%, assure quelques trafics
de wagon isolé entre Lorraine-Luxembourg et Italie, tandis qu'OSR (On
Site Rail, filiale française de la SNCB, Société Nationale des Chemins de
fer Belges) dessert Dunkerque et la Belgique.
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Fig.3 : Flux amont, inter-usines et clients d'Arcelor-Mittal France, hors flux routiers (notamment aval) - 2011
Le multilots est réparti sur une quinzsaine de sites, avec des flux qui peuvent atteindre 60 000 tonnes annuelles
(Port Bou), seuil critique de passage au train entier. L'entreprise préfère utiliser des trains complets lorsque c'est
possible, car les temps de parcours sont inférieurs (3 jours maxi : jour A pour jour B ou jour A pour jour C) et la
fiabilité est jugée meilleure. Le site de Fos-sur-Mer a par exemple expédié en 2011 environ 20% de sa production
par train ; 700 000 tonnes par train entier, contre 300 000 par lots (tous les flux de lotissement ne sont pas
représentés ici). Le haut-fourneau du site de Florange est actuellement à l'arrêt, ce qui modifie en conséquence ce
schéma ; sa réouverture est en discussion.
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Ces flux sont gérés à la fois à un niveau supérieur de division géographique de la branche Flat Carbon Europe du
groupe (Nord-Europe, Sud-Europe, Est-Europe) et à un niveau inférieur par les (grandes) "Usines" (pour la
branche Nord-Europe par exemple : Florange, Dunkerque, Brême, Gand, Liège). Il n'y a pas de logistique
centralisée au niveau du groupe et de ses 5 branches : mines, Flat Carbon Europe, inox, produits longs carbone,
distribution (centre de services). Par contre, les achats de transport sont centralisés ; Thierry Juret assure par
exemple les achats ferroviaires sur l'ensemble des branches du groupe pour l'Europe.
A partir de l'Automne de 2011, ArcelorMittal a rebasculé des flux de trains complets vers le Multi-lots, Multiclients, compte-tenu de la fiabilité de ce dernier ; flux plus lissé et moins sensible aux variations de volume.
Fig.2 : Entrepôt de bobines sur le site Arcelor Mittal de Fos-sur-Mer. Un lot de 8 wagons bâchés est en attente de
chargement. Le site, grand de 16km² (hauts-fourneaux, cokeries, laminoirs, etc.), comporte plusieurs zones de
chargement et un réseau ferroviaire de 40 km, ainsi qu'un atelier de maintenance des 4 locomotives exploitées en
interne sur ce réseau.
- Photo B.Meignien, Sétra 2012
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L'organisation ferroviaire "multilots-multiclients" et la
logistique interne de l'entreprise
Arcelor est passé en quelques mois d'une situation où les wagons étaient remis sans
contrainte de volume, avec un nombre de wagon placés sur les faisceaux d'échange
qui variait de jour en jour en fonction des commandes et des contraintes de
production, à une situation plus contraignante nécessitant de prévoir plusieurs mois
à l'avance les flux, et en affinant cette prévision au fil du temps, jusqu'à une
commande définitive au Jeudi de la Semaine précédant la remise du wagon.
Un système de pénalités engage les deux parties, chargeur et SNCF ; en cas de
remise de trop ou de trop peu de wagons, un dédit est décompté à Arcelor, tandis
qu'en cas de retard à l'arrivée des wagons, la SNCF rembourse une partie du prix
payé pour le transport.
Ce système comporte des tolérances ; ainsi le chargeur peut remettre entre 90 et
110% du montant de wagon prévus sans pénalité, tandis que la compensation
tarifaire versée par la SNCF n'intervient qu'au-delà de 10% de wagons en retard de
plus d'un jour.
Les commandes se font par affinages successifs. Le système initial, aujourd'hui
modifié (cf partie suivante), consistait lors des premiers entretiens en une estimation
des flux par axe à l'année n-1, une précommande à -3 mois, une commande à 1
mois, et une commande définitive à 1 semaine (marge de 10% en supplément ou en
moins par rapport à la commande à 1 mois) qui prend la forme d'un tableau de ce
type :
Axe \ Jour
Lundi
Mardi
Mercredi
1
2
Jeudi
Vendredi
5
2
31
Samedi
3
53
3
Dimanche
2
4
2
Fig.4 : exemple virtuel de tableau de commande des expéditions de wagons pour la semaine à venir, envoyé à la
SNCF le Jeudi après-midi. La commande est validée le Vendredi par la SNCF, en fonction de la capacité de
transport (chiffres avec flèche dans cet exemple : expéditions excédentaires bloquées). Ce processus ne concerne
pas les wagons vides, qui peuvent être commandés tous les jours, avec un délai de 4 jours. Il implique un suivi plus
important pour ArcelorMittal, dont le département logistique passe des annonces aux ateliers afin de connaître
l'état de la production.
Revue Transports OTI – Numero 24 – -XLQ 2013
Page Fig.5: train entier de bobines (une bobine = 20t) pour St-Chély en attente sur le faisceau d'échange de Fos-Cossouls.
Les lots de wagons sont également remis sur ce faisceau avec les moyens internes d'Arcelor (locomotives propres) ; la
SNCF vient ensuite les prendre sans que la présence d'un agent d'Arcelor soit requise. Les wagons pleins partent 3 à 4
fois par jour, tandis que l'entreprise ferroviaire rapporte 3 fois par jour des wagons vide (les flux ferroviaires sont oneway car les wagons sont dédiés). Trains entiers et lots de wagons représentent 20 000 wagons chargés par an, soit
environ 1 million de tonnes d'acier expédiées par train sur les 4,5 millions produites à Fos.
Le choix du mode de transport dépend avant tout des contraintes techniques, avant le coût.
- Photo B.Meignien, Sétra 2012.
Eléments de retour d'expérience
Le système multilots-multiclients, était encore en phase de test lors des entretiens
(fin Mars et début Avril 2011). Cependant, après 3 mois de fonctionnement, les
interlocuteurs rencontrés étaient en mesure de donner un retour sur la pratique du
système et les premiers indicateurs. Des compléments ont été fournis fin mars 2012.
Il apparaît ainsi que :
•
Les dessertes supprimées lors du passage au système multilots-multiclients
correspondent à des flux relativement marginaux. Cela représente par
exemple pour l'usine de Fos-sur-Mer 4 à 5 petits clients qui sont désormais
livrés par camions. Il n'y a pas eu de perte de trafic lors du changement
d'organisation.
•
Le prix de base (avant pénalités pour le chargeur ou la SNCF) est resté
stable pour les relations figurant au plan de transport du Multi-lots, Multiclients. Il a par contre augmenté dans des proportions significatives (de
l'ordre de 30 à 40%) pour les dessertes terminales maintenues dans le cadre
de "solutions clients" et atteint désormais les niveaux pratiqués dans le
domaine routier.
•
La régularité n'était pas mesurée précisément avant MLMC mais n'a pas
évolué significativement. Sur février 2011, les wagons isolés d'ArcelorMittal
sont arrivés dans une fourchette de -3 à +15 jours par rapport au jour prévu,
avec un retard de 2 jours ou plus pour environ 40% des wagons. Une nette
amélioration a été constatée à partir d'Avril 2011. Celle-ci est désormais
"très au-dessus de l'ancien système wagon isolé", ce qui a amené un
"retour des volumes vers le MLMC".
Revue Transports OTI – Numero 24 – -XLQ 2013
Page •
Le ramassage des wagons se fait toujours de la même manière (faisceau
d'échanges, cf II). Les wagons excédentaires par rapport à la commande ne
sont pas refusés par la SNCF, contrairement à ce qui était initialement prévu
dans le système.
•
En pratique, la validation de la commande de lotissement pour la semaine le
vendredi de la semaine précédente ne permet pas de commander le nombre
exact de wagons nécessaires pour le lundi et le mardi, car le délai de
livraison des wagons vides par la SNCF est de 4 jours. Au jour des
entretiens, le ramassage des wagons quel que soit leur nombre par la SNCF
(point évoqué plus haut) permettait toutefois de continuer à expédier des
wagons le lundi et le mardi, en commandant le mercredi les wagons vides
sans attendre la validation de la commande d'expédition. Dans le cas où les
règles d'enlèvement des wagons deviendraient plus strictes, cela conduirait
l'entreprise à concentrer les envois du mercredi au dimanche.
•
La contrainte de prévision des trafics oblige ArcelorMittal à analyser ses
flux. Cela se fait à partir des budgets, des modèles de vente et
d'extrapolations sur la base du passé. Dans les faits, la prévision se révèle
difficile à une échéance de 3 mois car le cycle de commande d'acier dure
un mois environ (3 à 8 semaines). D'autant que la crise a mis les clients en
position forte pour obtenir d'ArcelorMittal une réduction des délais de
traitement des commandes d'acier. Enfin, un problème technique sur une
usine (fermeture temporaire d'un haut-fourneau par exemple) se répercute à
un horizon très court. Depuis la fin 2011, ces difficultés étant rencontrées
également par d'autres chargeurs, la SNCF est passée à une commande
mensuelle.
•
Le système de bonus-malus rend les coûts plus prévisibles ; le risque
(malus) a été ramené de 17% à 5%. Par contre, le bonus est considéré
comme "inatteignable en pratique" (double condition).
Bilan dressé par l'entreprise ArcelorMittal en mars 2012
•
"La fiabilité est très nettement meilleure que dans le passé (suivi
mensuel quantifié)". ArcelorMittal indique disposer d'un "accord
particulier d'engagement renforcé" (fiabilité des temps de parcours) ; en
retour, ses propres engagements sont "plus serrés que la moyenne".
•
Le passage d'une commande au rythme trimestriel à une commande au
rythme mensuel a été accueilli avec satisfaction par Arcelor Mittal, qui ne
parvenait pas à déterminer ses flux précis à un horizon si lointain.
•
Le système de bonus-malus a permis de réduire "l'incertitude qui pesait sur
les coûts de transport".
Un accord de longue durée a été conclu entre ArcelorMittal et Fret SNCF
pour "pérenniser le système".
Revue Transports OTI – Numero 24 – -XLQ 2013
Page Logistique Les filières courtes : éléments de définition et
impacts sur les transports
Rédigé par Julien LECOINTRE du CETE
Normandie-Centre
La filière courte renvoie à une série de notions et de pratiques qui
nécessitent d'être précisées.
[email protected]
Approche par filières : vers une définition
empirique
La filière courte apparaît définie d'abord par des objectifs qui consistent à
minimiser le nombre d'intermédiaires dans une chaîne de production –
distribution – consommation.
Aussi, la filière courte semble refléter des arbitrages de nature « éthique »,
notamment pour mieux respecter l'environnement et plus particulièrement
consommer des produits locaux plutôt que d'accéder à une plus grande variété de produits.
Cet arbitrage conduit notamment à renoncer à des économies d'échelles permises par la spécialisation ou à renoncer (ou restreindre sa capacité ) à faire
jouer la concurrence entre producteurs Cette définition, en négatif, de la filière courte reste insuffisante et mérite d'être éclairée par des études de cas
de filières.
La filière des éco-matériaux.
(1) Den Hartig C., Développer les filières courtes
d'éco-matériaux, Guide à destination des
collectivités locales, Les Amis de la Terre,
novembre 2009, 29 p.
Dans ce domaine, les critères de définition d'une « filière courte » font appel aux dimensions essentiellement techniques et organisationnelles de la
branche d'activité. La réflexion menée au sein de la branche des éco-matériaux est à ce propos éclairante : une « filière courte » ne se mesure pas
seulement en terme d'intermédiaires entre producteurs et consommateurs ou
dans la distance parcourue par les marchandises mais aussi par la « mise en
réseau d’unités productives géographiquement proches (...) stimulante pour
le tissu économique du territoire, notamment en termes d’emploi local »(1)
Il s'agit pour les acteurs de cette filière de mettre en place des systèmes productifs locaux (SPL) dont le programme poursuit plusieurs objectifs clairs :
•
Partager l'information et les connaissances,
•
Mutualiser la recherche et le développement,
•
Mutualiser et financer des évaluations,
•
Mutualiser la communication.
Ce sont bien les dimensions technique et organisationnelle qui sont ici privilégiées dans une définition gravitant autour de l'économie locale. L'objectif est bien entendu de ménager les débouchés à proximité mais le circuit
court s'impose d'abord comme un moyen de rapprocher et d'organiser la
production.
Revue Transports OTI – Numero 24 – -XLQ2013
Page Les filières agro-alimentaires ; cas général
(2) Denéchère F., Repères pour une approche
économique des circuits courts dans leur
territoire, École Nationale d'Ingénieur
d'Agronomie de Rennes, septembre 2007, 89p
Delhommeau T., Alimentation : Circuits courts et
circuits de proximité, Pour la Solidarité, novembre
2009, 256 p.
Ces filières, souvent citées en exemple, ont placé essentiellement le développement d'une filière courte sur la spatialité (proximité) mais surtout sur
l'organisation en situant le lieu de vente au plus proche de l'ensemble de
production. Son corollaire : la brièveté des circuits comptables et monétaires. Une définition des formes de vente dans ces « circuits courts » est
donnée de façon récurrente (Tableau 1) par diverses sources (2)
Type de vente
Vente sur le lieu de
production
Définition
Vente directe à la ferme (produits bruts ou transformés issus de l’exploitation)
Vente par cueillette
Partenariats Locaux Solidaires entre Producteurs et Consommateurs (PLSPC) : Vente
correspondant à une entente autour d’un acte d’achat entre un ou plusieurs producteurs et
un groupe de consommateurs, pour un approvisionnement régulier en produits sur une une
durée déterminée.
vente directe
Vente en paniers
Différents noms selon les pays : GAS (Belgique et Italie), AMAP (France, Roumanie), CSA
(Royaume-Uni), etc. Paniers préparés par les producteurs et mis en dépôts-vente dans des
commerces.
Paniers préparés par les producteurs et mis en dépôts-vente dans des commerces.
Chantiers d’insertion par la production : par exemple, des paniers de légumes bio sont
produits par un chantier d’insertion en zone péri urbaine. Les adhérents solidaires
s'inscrivent à un abonnement annuel et reçoivent en retour des paniers.
Des producteurs s’associent pour commercialiser leurs produits en direct. La notion de
Point de vente collectif remise directe se traduit par trois principes : pas d’achat - revente de produits, pas de
rémunération qui puisse apparaître comme un intéressement, vente au consommateur.
Vente sur les marchés
de plein vent et sur les
Marchés, marchés de producteurs et marchés à la ferme, foires, salons etc.
manifestations
ponctuelles
vente indirecte
Autres modes de
commercialisation
Restauration
Dépôt/vente, fermes auberges, vente en tournée, vente à domicile, etc.
Restauration collective publique et privée : établissements scolaires, crèches, entreprises,
maisons de retraite, hôpitaux, etc.
Restauration traditionnelle
Artisans &
Commerçants
Les produits sont transformés et vendus par des artisans-commerçants (bouchers,
boulangers, traiteurs, etc.)
Tableau 1: Types de vente dans les filières courtes de l'agro-alimentaire
(Source : Delhommeau T.)
Revue Transports OTI – Numero 24 – -XLQ 2013
3DJH
Les filières agro-alimentaires : le cas de la pêche.
La multiplicité des formes de vente sont comme autant de définitions de la
« filière courte ». On peut remarquer que la distance n'est jamais le cœur de
définition d'une filière courte. C'est bien la vente et la proximité à la fois organisationnelle et spatiale au moment de la vente entre le producteur et le
consommateur qui définit la notion de filière courte. Cela ne signifie nullement que la marchandise a parcouru une faible distance.
(3) Abel-Coindoz C. & al., La pêche durable, Le
Journal de Risteco, volume 1, avril 2009.
Un exemple spécifique du problème de définition dans les filières courtes
de l'agro-alimentaire vient éclairer ces remarques. La consommation de
poisson a obligé les acteurs de cette filière à interpréter le « terme de filière
courte (...) comme le moyen le plus efficace, en termes de fraîcheur et de
qualité du produit, et également en termes de nombre d’intermédiaires et
d’efficacité énergétique, pour acheminer un produit de son lieu de production vers son lieu de consommation. Le poisson est généralement transporté
sur de longues distances entre son lieu de capture et l’assiette du consommateur. Imposer à la filière poisson de courtes distances de transport reviendrait à interdire à une grande partie de la population, l’accès à un aliment d’une grande qualité nutritionnelle »(3).
La distance est bien au cœur de la filière, mais il s'agit de minimiser son impact environnemental, et non de l'abolir. Ainsi, c'est en termes d'empreinte
écologique de la pêche et d'efficacité énergétique dans la chaîne logistique
que peut se définir une « filière courte » dans la consommation de poisson.
Elements issus du cadre législatif et réglementaire
(1) Ministère de l'Agriculture et de la Pêche, Plan
de Développement Rural National , 2006, 346 p.
(2) « Il ne faut pas confondre la Vente Directe avec
la vente par correspondance et à distance,
(Internet, télé-achats, ventes directes sur les lieux
de production, ventes sur les routes, sur les
marchés et foires, etc.). » Fédération de la vente
directe, http://www.fvd.fr/tout-savoir-sur-la-ventedirecte/tout-savoir-sur-la-vente-directe
(3) Ordonnance de la Cour (quatrième chambre)
du 18 novembre 2004http://eurlex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?
uri=CELEX:62003CO0261
(4) FEDER, Programme opérationnel plurirégional, Massif Central, 2007-2013, DATAR, mai
2010.
La vente directe est définie par la réglementation communautaire en vigueur
(1) par une relation directe entre le producteur et le consommateur. Cette
définition ne recouvre pas la définition des circuits courts (2). Le circuit
court est constitué par la présence au maximum d’un intermédiaire entre
le producteur et le consommateur. L'ordonnance de la Cour Européenne
(3) précise la distinction entre vente directe et livraison en précisant que
chaque fois qu'il y a transformation d'un produit par un tiers, il y a livraison
et par conséquence intermédiaire dans la chaine logistique.
Enfin, un Avis du Comité des régions (4) intitulé «Pour une politique européenne ambitieuse en faveur des systèmes agricoles de qualité» se propose
au moyen d'une vingtaine d'article de définir précisément un circuit court,
l'article 39 proposant une synthèse intéressante :
« F. Promouvoir les circuits courts et la vente directe
39. [...] le Comité a défini le "système agroalimentaire local" comme une
combinaison de quatre facteurs: une chaîne courte; une courte distance
physique entre le lieu de production et le lieu de consommation; un processus
regroupant également les aspects du transport, de la distribution, du traitement
des déchets résiduels, de l'énergie renouvelable, du marketing, de la promotion et
de la gestion de la qualité; un processus commandé au niveau local et régional.
[…]
Revue Transports OTI – Numero 24 – -XLQ 2013
3DJH
Un essai de définition : 4 niveaux sémantiques
Il existe ainsi au moins quatre niveaux dans la définition du terme « filière
courte ».
Dans une définition notionnelle et commerciale, la filière courte se traduit
par l'absence d'intermédiaire entre le producteur et le consommateur.
Encore est-il utile de préciser ce que sont ces trois acteurs : consommateurs,
intermédiaires et producteurs. En mercatique, on parlera volontiers de vente
directe du producteur au consommateur à travers un circuit de distribution
dédié à cette seule entreprise (porte-à-porte, e-commerce ou encore vente en
« sortie d'usine »). Les cartes peuvent être rapidement brouillées ici, comme
on l'a vu, car le producteur est déjà un grossiste ou un intermédiaire (dans le
cadre d'une sortie d'usine, par exemple) selon son positionnement le long du
circuit de production. Ainsi, l'entreprise productrice constitue une seule unité, mais est constituée de différentes entités séparées, assurant la production, mais aussi la logistique, le service commercial... comme pourraient le
faire des entreprises intermédiaires. Le curseur peut être posé à différents
points du flux d'échange si bien que l'on peut se retrouver à parler de filière
courte pour des échanges commerciaux complètement différents.
(1) Denéchère F., op.cit..
(2) Sauter P. & al., Réflexions sur le concept
appui-conseil / Approches filières, GIZ, Deutsche
Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit
(Coopération Internationale pour le développement
Durable), Niamey, janvier 2007, 39 p.
Cette difficulté à cerner et définir le terme commercial, la notion même de
filière courte, est récurrente dans les publications ou les expériences commerciales et industrielles. Ainsi, « cette définition à partir du nombre d'intermédiaires est la plus communément employée, mais elle ne tient pas
compte de la proximité géographique, ni de la manière dont s’organise le
circuit. » (1). La notion même de filière peut être entendue comme « un
mode de découpage et de représentation du système économique » selon
Patrick Sauter du GIZ (2) et de préciser : « La filière est un système d’acteurs économiques qui concourent à produire, transformer, distribuer et
consommer un produit ou un type de produit ». Ainsi, dans certains cas ,
seule la notion de proximité géographique, sans tenir compte du nombre
d'intermédiaire, rentre en considération comme dans cet exemple d’une filière courte en Afrique : « Un marchand de semences du village vend à un
producteur des semences de qualité  le producteur produit les légumes 
le producteur vend ses légumes à une commerçante du village  la com merçante du village les vend à un grossiste sur le marché local  le gros siste vend aux restaurateurs du centre urbain le plus proche  le consom mateur l’apprécie dans son assiette… »
L'adjectif « courte » s 'appliquera aussi bien sur les aspect techniques,
comptables, organisationnels et spatiaux des fonctions et des relations du
système économique que représente la filière (Schéma ci-dessous : synoptique de la notion de filière).
Revue Transports OTI – Numero 24 – -XLQ 2013
Page Schéma 1 : synoptique de la notion de filière
Ces quatre « marches » dans la définition globale d'une filière rendent assez
complexe une définition absolue d'une filière courte. C'est pourquoi, la nécessité pour chaque filière de se définir au regard de ces quatre niveaux
(technique, organisationnel, comptable ou monétaire et enfin spatial) est un
préalable avant de mettre en place un « circuit court ».
La carte sémantique des termes « filière courte » (Schéma 2) met l'accent
sur la multiplicité des enjeux développés dans le processus économique.
Cette carte est construite autour de trois « espaces » : un espace « déplacements » (qui comprend les différents acteurs intervenant dans l'acheminement des marchandises), un espace « services » (qui relève les différentes
modalités de vente, de transaction ou de négociations) et enfin un espace
« produits ». Ce sont ces différents espaces qu'il faut éclairer avec les différents niveaux d'une filière courte.
Les exemples ci-dessus suggèrent qu'il est difficile de définir une notion générale de filière courte. Le point commun aux différents secteurs semble
être que la filière courte ne se limite pas à la notion de distance et de
nombre d'intermédiaires qui préside généralement à sa compréhension ;
Cette « plasticité » du concept est renforcée par l'extension des notions de
circuit court à des domaines aussi variés que la finance, les assurances, les
services, des secteurs industriels (comme le BTP cité ci-dessus) et même
dans la création audiovisuelle.
Schéma 1: carte sémantique non exhaustive de la filière courte
Revue Transports OTI – Numero 24 – Juin 2013
Page Le transport dans les filières courtes
La filière courte ne signifie pas absence de transport. L'exemple des filières
agricoles alimentaires permet d'illustrer ce propos.
Voir également : Agreste Primeur, N°272, janvier
2012
Les filières agricoles alimentaires
Les déplacements induits par les circuits courts dépendent essentiellement
du mode de commercialisation. Le tableau ci-dessous recense le poids des
différentes façons dont les producteurs en circuit court vendent leurs
produits agricoles (sauf vin).
Les transports générés par les circuits courts sont de différentes natures.
Déplacements individuels seuls (à la ferme, si l'on exclut les déplacements
d'engins agricoles), déplacements individuels couplés au déplacement du
producteur ou d'un transporteur (marché, commerçant, point de vente
collectif, paniers type AMAP), déplacements transporteur ou producteur
seuls (tournée, à domicile, par correspondance, restauration).
Le bilan n'est donc pas si évident qu'on pourrait l'imaginer, les
déplacements à la ferme par exemple pouvant occasionner de nombreux
trajets individuels de plusieurs dizaines de kilomètres, la production étant
dispersée dans de nombreuses voitures plutôt que dans quelques camions.
Le bilan en termes de transport est conditionné par les paramètres
particuliers de chaque circuit court, et par les caractéristiques du bassin de
consommation notamment.
Mode de commercialisation (en % d'exploitations)
1ère importance
2ème importance**
3ème importance**
à la ferme
48%
30%
23%
marchés
18%
21%
10%
commerçant détaillant
14%
16%
17%
en tournée, à domicile
8%
8%
12%
point de vente collectif
5%
8%
8%
Grandes et moyennes surfaces
3%
4%
6%
en paniers (type AMAP)
1%
3%
4%
restauration commerciale
1%
3%
7%
en salons et foires
1%
3%
7%
par correspondance
0,4%
2%
4%
restauration collective
0,3%
1%
3%
Ensemble
100%
100%
100,00%
*Modes de commercialisation principaux en circuits courts (classés en fonction de leur importance dans le
chiffre d'affaires) tous types de produits sauf vins.
** en part de ceux qui ont déclaré 2 ou 3 modes de commercialisation en circuits courts
Source : SSP – Agreste – Recensement agricole 2010 – résultats provisoires
Revue Transports OTI – Numero 24 – Juin 2013
Page
Publications SETRA Vient de paraître
Fret ferroviaire local en régions et dans les ports
Lien vers le document (67p) :
www.setra.fr/Fret-ferroviaire-local-en-regions.html
Premiers éléments de bilan d'activité
Ce rapport rédigé par Annie MEURIOT du CETE Ouest dresse un panorama
d'initiatives locales visant à développer le fret ferroviaire dans les territoires,
en distinguant les activités "purement territoriales" des activités portuaires,
ces dernières présentant quelques spécificités.
Ce rapport, piloté par le Sétra, est le fruit d'une veille réalisée depuis
plusieurs années par le CETE de l'Ouest. Il contient également un focus sur
l'opérateur Régiorail (ex-TPCF) à Rivesaltes, avec des éléments d'analyse.
La situation actuelle montre une tendance à la capture des activités portuaires
par les grands opérateurs ferroviaires existants : les ports étant des lieux
logique de massification des trafics, des moyens importants sont nécessaires
pour y démarrer une activité. On y observe également l'essor important des
Prestataires Gestionnaires d'Infrastructures (PGI), activité moins risquée
(contrats pluri-annuels avec les autorités portuaires) sur laquelle s'est
notamment positionnée Europorte.
Du côté du fret territorial, on observe une certaine évolution du marché vers
des opérateurs régionaux, l'échelle purement locale n'offrant pas les volumes
suffisants à l'équilibre économique (cf article dans ce numéro).
Contacts :
Annie MEURIOT – [email protected]
Chargés d'études ferroviaires DEOST : [email protected]
www.setra.fr/Demarche-de-construction-dumodele.html
Autres parutions :
L'année 2012 a été riche en parutions! Retrouvez tous nos rapports
d'étude sur www.setra.fr/-Rapports-d-etudes-.html
Parmi les productions récentes, le rapport "démarche de construction
du modèle marchandises sur le territoire Baie de Seine Ile-de-France"
rédigé par Thomas ANSELME et Rémi CORGET du CETE NormandieCentre (référent Sétra : Charlotte COUPE): présentation de l'outil et des
améliorations apportées dans une seconde version, retour critique sur
la démarche et la méthodologie employées. www.setra.fr/Demarche-deconstruction-du-modele.html
Ainsi que le guide de référence du réseau scientifique et technique
"transport de marchandises : caractéristiques des offres et capacité
des modes" (2008) traduit et mis à jour, téléchargeable sur
www.setra.fr/Technical-guides.html
Revue Transports OTI – Numero 24 – Juin 2013
Page 23
La Revue Transport est une publication bimestrielle de la
Direction d’études « Evaluation et Organisation des Systèmes de
Transports » du Service d’études sur les transports, les routes et
leurs aménagements. Elle rassemble des articles traitant des sujets
relatifs aux transports de marchandises. Elle est alimentée par la
veille économique réalisée par les différents chargés d’études :

Olivier CHARNAY, transports routiers de marchandises

Charlotte COUPE, modélisation multimodale.

Florence COMES, transports et infrastructures ferroviaires

Bruno MEIGNIEN, transport et infrastructures ferroviaires
Le Réseau Scientifique et Technique et les services centraux
participent également à la Revue Transport. Notamment a
contribué à ce numéro :

Julien LECOINTRE,
CETE Normandie-Centre
Service d'études sur les transports, les routes et leurs aménagements
110 avenue de Paris, 77171 SOURDUN– France
téléphone : 33 (0)1 60 52 31 31
Conception graphique : Sétra
L'autorisation du Sétra est indispensable pour la reproduction même partielle de ce document.
© 2013 Sétra
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~éé~êíáÉåí
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