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24 heures | Lundi 30 mai 2011
Culture
Interview exclusive
Le rap
a perdu
son aïeul
Décès
Poète et musicien engagé,
Gil Scott-Heron est décédé
vendredi. Il avait été au front
de l’émancipation noire
dans les années 70
«Je suis le Al Pacino de la Jamaïque!» Jimmy Cliff, 63 ans, a popularisé le métissage reggae via sa musique et son rôle dans le film The Harder They Come, en 1972.
Sorcier du reggae, Jimmy
Cliff se rêvait chimiste
Le pionnier de la
musique jamaïcaine
ouvrira le 1er juillet
le 45e Montreux
Jazz Festival
François Barras Textes
Odile Meylan Photo
Bâle
Un concert à Montreux se prépare à
l’avance. Quatre mois pour Jimmy
Cliff. En mars dernier, le reggae
man de 63 ans a fait le détour par
Bâle, en plein carnaval, pour évoquer son concert d’ouverture au
Montreux Jazz Festival, le 1er juillet
prochain.
La furie de la cité rhénane n’affecte ni son calme ni son sourire: le
natif de Saint James, au nord-ouest
de la Jamaïque, a goûté du monde
tous les folklores. Depuis l’Angleterre, qu’il rejoignit en 1964, il a incarné l’invasion reggae en musique
comme au cinéma, via son premier
rôle dans le film culte The Harder
They Come, de Perry Henzell, en
1972. «Roots» à l’origine (ses titres
Many Rivers to Cross, Vietnam, You
Can Get it if you Really Want), sa
musique a ensuite encouragé le métissage pop, jusqu’aux grands tubes
des années 80 et 90, Reggae Night et
I Can See Clearly Now.
Vous avez joué à Montreux
en 1980 et en 1982. Que vous
inspire le fait d’y revenir
presque trente ans plus tard?
Jesuisravi.Lefestivalaévoluéavecle
jazz, en s’ouvrant à d’autres influences. Miles Davis fut à ce titre un innovateur, malgré les reproches des puristes.Onm’aassénélesmêmescritiques: le fait de franchir les barrières,
d’aller voir dans le champ du voisin,
etc. Bêtises! Le reggae se modifie au
contactdesonenvironnement,mais
reste du reggae. La façon dont Led
Zeppelinjouaitdurock’n’rolln’avait
VC1
Contrôle qualité
pas grand-chose à voir avec Chuck
Berry, mais c’était toujours du
rock’n’roll!
Vous avez quitté très jeune
la Jamaïque pour l’Angleterre.
Puis vous avez mené en
nomade votre carrière.
L’envie de chanter a-t-elle
toujours été liée au besoin
de voyager?
Oui.Jemesouviens,toutgamin,que
je partais avec mon cousin m’occuper de nos vaches et de nos chèvres.
Onemportaitunecartedumondeet
jeluidisais:«Regarde,j’irailà,etlà,et
là…» Et il riait, évidemment! Dans
monsubconscientj’aitoujoursvoulu
découvrirlemonde.J’ysuisparvenu.
Votre premier vol en avion,
c’était grâce à la musique?
Oui, après quelques hits en Jamaïque, on m’avait organisé des concertsdanslesCaraïbes.Wouah!Grimper dans un avion était alors toute
uneaventure.Jemesouviensdem’y
être assis et me dire: «Ça y est!»
Montreux
satisfait
U Un mois avant l’ouverture de
sa 45e édition, le Montreux Jazz
annonce sa satisfaction du côté
de la billetterie. «Nous
constatons une bonne lancée,
avec des ventes bien régulières»,
selon Mathieu Jaton, directeur
du MJF. Plusieurs soirées sont
complètes – mais quelques
billets seront remis en vente d’ici
au concert –, dont Arcade Fire,
Sting, BB King, Carlos Santana
et John McLaughlin. Le festival
annoncera le 14 juin le menu
gratuit et traditionnellement
ambitieux du Jazz Café.
Etait-ce un sentiment aussi fort
que celui ressenti lorsque,
cinquante ans plus tard, vous
entrez au Rock’n’roll Hall of
Fame, le musée et «panthéon
du rock» américain?
Non. Ma musique, c’est mon âme.
Leshonneurs,c’estagréable,maisils
n’ont jamais recréé le plaisir ressenti
le jour où j’ai entendu ma première
chansonàlaradio.AccéderauHallof
Fame en 2010, en revanche, m’a
poussé à me souvenir du voyage. A
contempler le chemin parcouru et
lesgensquiontcruenmoi,principalement ma grand-mère. Je pensais:
«j’aimerais bien que tu sois là pour
me voir aujourd’hui.»
Vous comptez au rang
des deux artistes vivants
honorés de l’Ordre du mérite
jamaïcain. Vous sentez-vous
ambassadeur de ce pays?
Un peu. Mais je suis surtout fier du
grade de docteur honoris causa que
j’aireçudel’UniversitédesIndes-Occidentales.C’estuneinstitutionvéné-
En dates
1948 Jimmy Cliff naît James
Chambers, le 1er avril, à Saint
James, en Jamaïque.
1962 Premières chansons, dont
un hit national, Hurricane Hattie.
1964 Arrive à Londres.
1970 Deuxième album, Jimmy
Cliff est un succès. Reggae
«roots», il contient Vietnam, que
Dylan qualifiera de «meilleure
chanson contre la guerre».
1972 The Harder They Come. Le
film et la bande-son popularisent
le reggae. Conversion à l’islam.
1983 Reggae Night, hit monstre.
1993 I Can See Clearly Now,
nouveau tube.
2003 Reçoit l’Ordre du mérite
jamaïcain.
rable que j’aurais voulu fréquenter,
mais je n’avais pas les moyens. Je
voulais étudier la chimie.
Connaît-on bien la Jamaïque,
vue de Suisse?
Il y a beaucoup de clichés. Avant, le
reggae, c’était «rhum, soleil et noix
de coco»! Aujourd’hui, c’est la marijuana! Comme pour votre chocolat.
(Rire.) On peut interpréter le reggae
autant comme une bénédiction
qu’une malédiction: il occulte beaucoup des facettes de la Jamaïque,
commesesréussitesdanslesport,la
littérature,lamédecine,lessciences–
beaucoupdejeuneschimistesjamaïcains travaillent à la NASA.
Vous débarquez en Angleterre
au début de l’explosion pop,
en 1964. Quelle image
en gardez-vous?
Celled’uneépoquefolle.LesStones,
lesBeatles,lesgroupessemotivaient
les uns les autres. J’avais 16 ans et
l’espoir de les dépasser tous! (Rire.)
J’yaihélasaussirencontréleracisme,
le brutal, comme lorsque ma propriétaireadécouvertquej’étaisNoir.
ChrisBlackwell(ndlr:fameuxproducteurbritannique)avaitlouél’appartement pour moi. Quand la proprio
m’a vu, elle m’a donné vingt-quatre heures pour dégager. «Nous ne
louons pas aux Noirs!» Ça, je l’ai
même lu sur des panneaux aux portes de maisons londoniennes.
Vous affranchir des genres avec
votre reggae «pop», était-ce
une façon consciente
de combattre le racisme?
Non, c’était simplement logique
pourmoidemélangerlessaveurs.En
dehors du ska, les Jamaïcains écoutaient dans les années 60 beaucoup
de pop anglo-saxonne. Ma façon de
jouerlereggaeplaisaitetjenemesuis
pas posé plus de questions. En Europe, mes musiciens étaient tous
Blancs.Mais,làencore,cen’étaitpas
par volonté consciente.
Des dizaines de grands noms
ont repris vos chansons. Vous
avez également chanté avec de
multiples artistes. Quelle fut la
rencontre la plus marquante?
Cat Stevens. Travailler avec lui sur la
chanson Wild World (ndlr: étonnamment, la version de Jimmy Cliff est sortie quelques mois avant l’originale de
Stevens,en1970) m’aaidéàatteindre
un niveau supérieur, vers un plus
large public. Il m’a aussi aidé à me
découvrir en tant que musulman,
alors que lui-même n’était pas encoreconvertiàl’islam.BruceSpringsteen fut aussi une grande aide, avec
saversiondeTrappeddurantsatournée de 1981. Et puis Joe Strummer,
biensûr.Ilachantépeuavantsamort
sur mon album Black Magic. Il m’a
rappelé à quel point le reggae avait
fortement influencé The Clash.
Les artistes que l’on aime
font-ils toujours d’heureuses
rencontres?
Well… pas toujours. Parfois, tu te dis
que tu aurais mieux fait de ne jamais croiser tel ou tel – mais je ne
donnerai pas de nom! (Rire.) Cependant, les grands chanteurs sont en
général de grands hommes. Joe
Strummer était l’un d’eux.
Avez-vous revu récemment
le film The Harder They Come?
Non, pas récemment. Ils ont sorti
une version Blu-ray, un ami m’a dit
que je devais le revoir, que j’allais
être sidéré. J’ai l’idée, depuis des
années, de tourner un The Harder
They Come 2. J’ignore si cela se fera.
J’aimerais beaucoup. Ce film a été
un véhicule révolutionnaire qui a
apporté le reggae au monde. Un
succès du cinéma américain s’en est
énormément inspiré: Scarface, de
Brian De Palma. Cette histoire d’un
moins que rien qui parvient au sommet, du gars de l’île qui débarque
en ville, c’est moi dans The Harder
They Come. Je suis le Al Pacino de la
Jamaïque! (Rire.)
D’Eminem aux Beastie Boys, les
grands noms du rap américain ont
twitté leur peine vendredi. L’annonce de la mort, à 62 ans, de Gil
Scott-Heron, pionnier du genre via
son art du spoken word (récitation de
textes sur une base instrumentale), a
chagriné les amateurs de musique
passionnée et engagée. Ceux qui le
virent l’an dernier au Montreux Jazz,
lorsdesatournéeduretouraprèsun
quart de siècle perdu dans les affres
de la dope et de l’alcool, ont un surcroît de regret au souvenir de la
brillante prestation du chanteur
dans un Miles Davis Hall bondé.
Né en 1949 à New York, Gil ScottHeron était surnommé à juste titre
«le parrain du rap» pour avoir
amarré des paroles récitées, dénonciatrices, à une musique groovy
marqué de funk, de jazz et de soul.
En 1970, il grave cette pratique live
dans un premier disque, Small Talk
at 125th and Lenox. L’album comprend The Revolution Will Not Be
Televised, dénonciation des inégalités raciales et vision prophétique de
la récupération de l’art politique
par l’industrie du divertissement.
Neuf disques en dix ans vont démontrer toutes les facettes musicales de l’Américain, que les prises de
positions intransigeantes éloignent
d’un large succès populaire. Après
1982, à l’instar de James Brown, il
tombe dans le piège qu’il dénonçait:
le crack devient une terrible accoutumance. Il faudra attendre Minister
of Information: Live, en 1994, pour
retrouver Scott-Heron sur disque.
Mais, entre ses cures de désintoxication, il parvenait en 2010 à sortir un
nouvel album studio, le premier depuis trente ans. Succès critique et
public, I’m New Here prouvait le talent et l’intégrité (et l’humour) d’un
musicien rare. F.B.
Quelques vidéos à retrouver sur
www.24heures.ch/scottheron-2011
Gil Scott-Heron à New York,
en 2009. T. JENNINGS-A
PUBLICITÉ
LA
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AN
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Kazushi Ono direction
Nikolaj Znaider violon
Zoltán Kodály
Danses de Galánta, pour orchestre
Béla Bartók
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Concerto pour violon et orchestre Nº 2
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Serge Prokofiev
Symphonie Nº 5 en si bémol majeur op. 100
Mardi 31 mai 2011, 20h15
Théâtre de Beaulieu, Lausanne
021 807 00 00 – www.osr.ch
Partenaire
de saison
Sponsor
des Préludes
L’Orchestre de la Suisse Romande bénéficie
du soutien du Canton et de la Ville de
Genève, et pour les concerts donnés à
Lausanne, de l’appui du Canton de Vaud
Partenaire
radio
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média