Le tableau de bord prospectif, outil d`alignement des mesures de

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Le tableau de bord prospectif, outil d`alignement des mesures de
Logistique & Management
Le tableau de bord prospectif,
outil d’alignement des mesures
de performance de la chaîne logistique :
l’exemple de Dell
Peter C. BREWER, Ph.D., CPA
Professeur, Département de Comptabilité – Miami University, Oxford, Ohio
Email: [email protected]
Les mérites des démarches collaboratives ont suscité une litérature importante ces
dernières années. Cependant cet article soutient que les entreprises auront du mal à
récolter les fruits de la collaboration avec leurs partenaires si elles ne redéfinissent
pas la façon d’évaluer et de récompenser la performance de leurs collaborateurs. Le
tableau de bord prospectif est un outil de mesure de la performance qui peut être
utilisé pour aligner les critères et les mesures de performance des employés tout au
long de la chaîne logistique. Un lien est fait entre le SCM et le tableau de bord prospectif. L’exemple de Dell Computer Corporation illustre comment le tableau de
bord peut motiver une démarche collaborative.
De nombreux articles, ces dernières années,
ont vanté les bienfaits des partenariats de
logistique collaborative. Cependant, malgré
toute cette rhétorique, la plupart des organisations ont du mal à acquérir l’authentique mentalité de coopération indispensable à une
démarche de supply chain management
(SCM). Certes, les dirigeants sont parfaitement au courant des avantages potentiels
d’une coordination de leurs efforts le long de
la chaîne logistique, mais ils sont aussi infiniment conscients des obstacles qui entravent le
processus d’élaboration de partenariats de
chaîne logistique. Et ceci n’a rien de surprenant étant donné que les organisations s’évertuent depuis plusieurs décennies à coordonner
les activités inter-fonctionnelles, alors pour ce
qui est d’une coordination inter-organisationnelle…
gèrent-elles encore leurs activités dans le
cadre restreint de la fonction et des frontières
de l’entreprise ? La réponse tourne essentiellement autour des mesures de performance.
Pour dire les choses simplement, les employés
axent leurs efforts sur ce qui est mesuré et relié
à leurs évaluations de performance. Aussi
longtemps donc que les mesures utilisées pour
déterminer les augmentations de salaire et les
promotions seront de nature fonctionnelle,
financière et interne à l’entreprise, les
employés concentreront leurs efforts en
conséquence. L’attrait de la démarche SCM
est nul à moins que les organisations ne repensent les processus de mesure et de récompense
des performances de leurs employés.
Cet article pose la question suivante : pourquoi les organisations, malgré l’attrait
théorique des pratiques de gestion inter-fonctionnelle et de management logistique,
Le tableau de bord prospectif (TBP) a une
incidence considérable sur la manière dont les
organisations mesurent la performance
intra-entreprise. Une étude de Bain & Co. fait
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Le tableau de bord prospectif
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apparaître que 50 % des grandes entreprises
américaines et 40-45 % des grandes entreprises européennes ont mis en œuvre ou envisagent de mettre en œuvre un TBP. L’attrait du
TBP repose sur trois principes. Premièrement,
il intègre les mesures de la performance non
financière, contribuant ainsi à réduire le poids
des résultats financiers à court terme. Deuxièmement, le TBP intègre les mesures orientées
processus, atténuant ainsi l’importance de la
performance fonctionnelle. Troisièmement,
le TBP s’appuie sur quatre catégories de
mesures de performance pour établir les indicateurs de performance avancés et a posteriori
d’une organisation. Plus précisément, le TBP
définit trois indicateurs avancés - apprentissage et croissance, processus internes et
clients - qui induisent des résultats sur l’indicateur a posteriori de la performance
financière. (Voir le tableau 1 pour une représentation graphique du TBP). L’établissement
de ces indicateurs avancés/a posteriori permet
à une entreprise de décomposer des thèmes
d’un haut degré stratégique en hypothèses de
cause à effet qui spécifient les interrelations
entre des mesures de performance jugées propices à la réalisation d’objectifs stratégiques.
Ces trois principes justifient l’utilisation du
terme “balanced” en anglais, “ équilibré” en
ce sens où le TBP instaure un équilibre entre
les mesures de la performance financière et
non financière, fonctionnelle et non fonctionnelle et avancée et a posteriori.
Alors que le TBP a connu un large succès à
l’échelle d’une entreprise, il n’a pas été appliqué à grande échelle pour mesurer la performance inter-entreprises le long de la chaîne
logistique. La différence majeure entre un
TBP de chaîne logistique et l’approche plus
traditionnelle du TBP intra-entreprise tient au
fait que les mesures, dans une application
inter-entreprises, doivent couvrir toute la
chaîne. Par exemple, une entreprise peut
s’appuyer sur une mesure financière telle que
la rentabilité de l’actif. Dans un environnement SCM, cette mesure deviendrait la rentabilité de l’actif de la chaîne logistique. Les
bénéfices collectifs réalisés par les partenaires
de la chaîne logistique seraient présentés sous
forme de pourcentage de l’actif déployé pour
dégager cette rentabilité. Un exemple de
mesure de la chaîne logistique liée aux processus internes serait le temps de cycle de la
chaîne logistique. Cette mesure est distincte
de la mesure du temps de cycle de chaque
entreprise au sens où elle met l’accent sur
l’interdépendance entre les partenaires de la
chaîne logistique en termes de capacité à
livrer les produits aux consommateurs finaux
dans les délais.
Ces catégories de mesures de la chaîne logistique semblent étrangères à la plupart des dirigeants qui évoluent depuis plusieurs années
dans des environnements de chaîne logistique
basés sur des rapports de force. Ce sont pourtant ces catégories de mesures, aussi inconfortables soient-elles, qui sont nécessaires pour
stimuler un comportement coopératif dans
une chaîne logistique. Les chaînes logistiques
capables de stimuler un comportement coopératif via des mesures de TBP couvrant toute la
chaîne logistique possèdent un avantage sur
les chaînes logistiques dominées par des rapports de force et empêtrées dans des relations
purement commerciales et sous-optimales
avec leurs fournisseurs et clients.
Tableau 1 – Les axes du tableau de bord prospectif
Le SCM et le TBP
Adapté de Kaplan, R., and D. Norton, “Linking the Balanced Scorecard to Strategy,”
California Management Review, January 1997.
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Le tableau 2 illustre la manière dont le TBP
s’intègre dans un environnement SCM. Nous
allons nous pencher tout d’abord sur le
modèle de SCM préconisé dans cet article en
expliquant le flux de flèches descendant dans
la colonne intitulée SCM. La dimension
« Objectifs du SCM » de ce modèle part du
principe que toutes les chaînes logistiques
s’emploient à s’améliorer dans un ou plusieurs des domaines suivants : réduction des
gaspillages, contraction des délais, réactivité
et réduction des coûts unitaires. La réalisation
de ces objectifs de chaîne logistique crée des
« Avantages clients » au sens où les clients
bénéficient des améliorations de la chaîne
logistique en termes de qualité de produit/ser-
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vice, temps de réponse, capacité de réponse
flexible ou personnalisée, et valeur ajoutée.
Tableau 2 – Lien entre le Supply Chain Management
et le tableau de bord prospectif
Les flèches dans la colonne SCM poursuivent
leur flux descendant car une chaîne logistique
qui réussit à satisfaire ses clients devrait réaliser des « Bénéfices financiers » sous forme de
marges bénéficiaires accrues, de cash flows
améliorés, d’augmentation du chiffre d’affaires et de rentabilité accrue de l’actif. Pour que
le modèle de SCM soit dynamique, et non statique, il doit intégrer une dimension appelée
« Amélioration du SCM ». Cette dimension
part du principe qu’une chaîne logistique,
pour rester compétitive, doit continuellement
s’améliorer dans les domaines de l’innovation
de produit/processus, du partage des connaissances avec les employés (gestion de partenariat) et de la gestion des flux d’information. La
compétitivité continue d’une chaîne logistique repose également sur l’évaluation de sa
performance par rapport aux menaces et/ou
alternatives potentielles sur le marché. A
noter que la dimension « Amélioration du
SCM » alimente en retour la dimension
“Objectifs du SCM », créant ainsi une boucle
infinie d’amélioration continue.
La colonne SCM de ce tableau se rattache
intuitivement aux quatre catégories du TBP
illustrées dans la colonne TBP. Comme l’indiquent les flèches horizontales, les quatre
dimensions du modèle de SCM renvoient aux
quatre classifications de mesures du TBP. En
d’autres termes, la dimension « Objectifs du
SCM » renvoie à l’axe « processus internes »
du TBP. De même, les dimensions « Avantages clients », « Bénéfices financiers » et
« Amélioration du SCM » du modèle de SCM
renvoient aux axes « clients », « financier » et
« apprentissage et croissance » du TBP.
Comme le montre ce tableau, le TBP offre un
cadre très intuitif pour organiser le processus
de mesure de la performance du SCM.
Dans quel contexte utiliser
le TBP ?
Les partenaires de la chaîne logistique
devraient envisager la mise en œuvre d’un
TBP lorsque leur chaîne logistique présente
les deux conditions suivantes.
• Première condition, les partenaires de la
chaîne logistique doivent être dépendants
les uns des autres. Autrement dit, il doit
exister une alliance ou un partenariat véritable entre les entreprises composant la
chaîne. C’est généralement le cas lorsque
les partenaires d’une chaîne logistique se
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considèrent mutuellement comme des partenaires stratégiquement importants et
donc difficiles à remplacer. A l’inverse, un
TBP de chaîne logistique risque d’être
moins efficace s’il est utilisé avec des fournisseurs de biens et services non stratégiques facilement remplaçables. En outre, un
TBP de chaîne logistique aura vraisemblablement moins de valeur si une entreprise
détient un pouvoir excessif au sein de la
chaîne logistique et a, par le passé, fait
usage de ce pouvoir à son profit. Ce déséquilibre de pouvoir risque en effet de réduire à néant l’esprit coopératif
indispensable à la réussite d’un TBP de
chaîne logistique.
• Deuxième condition, la chaîne logistique
doit avoir des objectifs non alignés. Il y a
non-alignement lorsque des partenaires de
la chaîne logistique s’appuient sur des mesures logistiques traditionnelles intra-entreprise qui n’accordent pas le même degré
d’importance aux Objectifs SCM indiqués
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à le tableau 2. Par exemple, un partenaire de
la chaîne logistique met l’accent sur les expéditions par camions complets parce qu’il
utilise des mesures logistiques basées sur
les coûts pour récompenser ses employés
lorsque l’objectif de réduction des coûts
unitaires est atteint. Le partenaire en aval,
quant à lui, se focalise sur les livraisons
clients juste à temps parce qu’il utilise des
mesures logistiques à caractère temporel
pour récompenser ses employés lorsque
l’objectif de réduction du temps de production et de synchronisation de la production
avec les commandes clients est atteint.
Dans cet exemple, la mise en œuvre d’un
TBP de chaîne logistique permettrait aux
partenaires d’engager un dialogue pour éliminer ce défaut d’alignement et définir
d’un commun accord une stratégie de
chaîne logistique. Des mesures de TBP seraient ensuite sélectionnées pour récompenser les partenaires de la chaîne
logistique atteignant les objectifs stratégiques convenus.
Il est important de souligner que chaque partenaire de la chaîne logistique et ses employés
doivent tirer des avantages financiers de la
stratégie de chaîne logistique choisie et des
mesures de TBP sélectionnées.
Pour reprendre l’exemple ci-dessus, si un partenaire de la chaîne accepte de faire des expéditions par camions à chargement incomplet
afin de soutenir la stratégie SC, les employés
du service d’expédition de cette entreprise
devraient être récompensés pour la livraison
juste à temps d’expéditions par camions à
chargement incomplet, au lieu d’être récompensés pour la réduction des coûts unitaires
basée sur des expéditions par camions complets. Le TBP devrait également comporter
des mesures financières qui quantifient le
bénéfice net pour l’entreprise expéditrice
assurant les expéditions par camions à chargement incomplet. Par exemple, des mesures de
l’augmentation du chiffre d’affaires quantifieraient l’augmentation des ventes aux clients
finaux découlant de la stratégie de chaîne
logistique coordonnée. Ce type de mesures
permettrait à l’entreprise expéditrice de quantifier la hausse de ses bénéfices provenant de
l’augmentation des ventes, nets des frais de
transport additionnels.
Dell Computer Corporation :
illustration
Dell Computer Corporation (ci-après désigné
Dell) connaît une fabuleuse réussite due en
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grande partie à son modèle de vente directe
qui a révolutionné l’industrie informatique.
En reconfigurant la chaîne logistique pour
contourner les distributeurs, Dell a construit
une entreprise de plusieurs milliards de dollars fondée sur la vente directe aux clients
finaux. En amont, Dell a noué des partenariats
avec un nombre restreint de fournisseurs de
qualité pour créer ce que Michael Dell appelle
l’intégration virtuelle. L’intégration virtuelle
s’appuie sur une chaîne logistique étroitement
coordonnée pour générer l’intégration des
efforts et des connaissances traditionnellement obtenue à travers une intégration verticale. Cependant, dans le même temps, les
organisations virtuellement intégrées atteignent un degré de spécialisation et de
savoir-faire impossible à atteindre dans les
grandes organisations verticalement intégrées.
La chaîne logistique virtuellement intégrée de
Dell permet d’illustrer de manière simple une
application de TBP dans un environnement
SCM. Pour faciliter la discussion, la stratégie
de Dell est décomposée en deux propositions
de valeur, l’intimité client et l’efficience opérationnelle.
La proposition de valeur « intimité client »
Pour Dell, le concept de customer intimacy ou
intimité client signifie faire entrer la voix du
client au plus profond de l’entreprise pour
concevoir des innovations et solutions technologiques adaptées aux besoins du client. En
effet, Michael Dell a déclaré que sa plus
grande responsabilité en tant que dirigeant est
d’identifier les « changements de valeur » des
clients de son entreprise. Dell s’appuie en
outre sur une structure organisationnelle segmentée pour permettre à ses managers de
nouer des relations intimes avec des segments
de clients. Cependant, la réalisation de cette
proposition de valeur « intimité client » ne se
limite pas à Dell et à ses clients. Les fournisseurs de Dell jouent un rôle crucial dans la
production rapide de solutions orientées
client. En fait, les ingénieurs employés par les
fournisseurs de Dell travaillent en coopération avec les ingénieurs de Dell pour créer de
nouveaux produits qui répondent à la voix du
client. Dell fait confiance à ses fournisseurs
pour traduire efficacement la voix du client en
un produit manufacturé. En résumé, la proposition de valeur « intimité client » de Dell est
fondée sur une vision de la chaîne logistique
qui définit le client comme le déclencheur
d’innovation et qui s’appuie fortement sur
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l’expertise d’ingénierie et de fabrication des
fournisseurs.
Tableau 3 – Tableau de bord prospectif de la chaîne logistique de Dell
Proposition de valeur “intimité client”
Le tableau 3 comporte des exemples de mesures de TBP que Dell et ses partenaires de la
chaîne logistique pourraient utiliser pour stimuler la réalisation de la proposition de valeur
« intimité client ». Pour l’axe « apprentissage
et croissance », les deux premières mesures
sont le « nombre d’équipes mixtes Dell/client
dédiées aux solutions client» et le « pourcentage d’augmentation du temps de contact avec
les clients ». Ces mesures encouragent Dell à
construire des points de contact avec les
clients et à consacrer du temps à la collaboration avec son réseau de contacts. Les autres
mesures de l’axe « apprentissage et croissance » sont le «nombre d’équipes mixtes
Dell/fournisseur dédiées aux solutions produit » et le « pourcentage d’augmentation du
temps de contact avec les fournisseurs ». Ces
mesures encouragent Dell à coopérer avec ses
fournisseurs pour fabriquer avec efficience et
efficacité des produits innovants répondant
aux besoins des clients.
L’axe « processus interne » comporte trois
mesures. La première mesure, « nombre de
solutions personnalisées offertes par la chaîne
logistique », encourage la chaîne logistique à
concrétiser les idées du client. A noter d’après
les flèches à le tableau 3 que les deux premières mesures de l’axe « apprentissage et croissance » visent à induire une amélioration de la
première mesure de l’axe « processus
interne ». La deuxième mesure, « temps de
lancement moyen des idées du client dans la
chaîne logistique », encourage la chaîne logistique à convertir en produit livrable les innovations dictées par le client, et ce avec une
efficacité optimale. Après tout, le client
n’appréciera l’innovation que si elle peut être
livrée rapidement. Cette mesure conduit à une
amélioration du « nombre de solutions personnalisées». Elle vise à assurer une concrétisation rapide des idées générées par les
équipes mixtes Dell/client. La troisième
mesure « taux de défauts initiaux de la chaîne
logistique » encourage la chaîne logistique à
lancer rapidement sur le marché les innovations dictées par le client, mais avec un haut
niveau de qualité. A noter que les deux dernières mesures de l’axe « processus internes »
sont induites par les mesures orientées fournisseur de l’axe « apprentissage et croissance ».
L’axe « client » comporte trois mesures. La
première mesure « perception du client par
rapport à la capacité de réaction de la chaîne
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logistique » évalue la perception qu’a le client
de la capacité de la chaîne logistique à traduire
ses idées en innovations de produit. Cette
mesure porte sur deux composantes : la
réponse flexible et la livraison dans les délais.
La mesure intitulée « perception du client par
rapport à la valeur créée par la chaîne logistique » évalue la manière dont le client perçoit
la réponse flexible et la livraison dans les
délais en termes de qualité et de prix.
A noter que la première mesure de l’axe « processus internes », « nombre de solutions personnalisées livrées par la chaîne logistique »,
induit une amélioration de la première mesure
de l’axe « clients ». La troisième mesure de
l’axe « processus internes », « taux de défauts
initiaux de la chaîne logistique », induit une
amélioration de la « perception du client par
rapport à la valeur créée par la chaîne logistique ». La deuxième mesure de l’axe « processus internes », « temps de lancement
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Tableau 4 – Tableau de bord prospectif de la chaîne logistique de Dell
Proposition de valeur “efficience opérationnelle”
res de l’axe «clients» ne couvrent pas toute la
chaîne logistique au sens où elles incorporent
uniquement le retour d’informations du
consommateur final, cependant le retour
d’informations du client peut être communiqué à tous les partenaires de la chaîne logistique pour identifier les causes premières
d’une performance exceptionnelle ou insatisfaisante.
La première mesure de l’axe « financier »
évalue la « marge brute par partenaire de la
chaîne logistique ». Elle est induite par les
mesures de l’axe «clients». Si la chaîne logistique réussit à répondre à la voix du client en
livrant rapidement des solutions personnalisées de haute qualité, elle devrait être récompensée par des marges brutes élevées. La
marge brute est mesurée pour chaque partenaire de la chaîne logistique afin de déterminer l’existence d’une relation de coopération
gagnant-gagnant. Si une entreprise utilise son
influence pour dégager des bénéfices disproportionnellement élevés, cela laisse supposer
un manque de partenariat. Parmi les conséquences potentielles à long terme de
l’approche basée sur les rapports de force, on
peut citer une baisse du chiffre d’affaires des
fournisseurs, un produit de qualité inférieure
et une capacité d’innovation moindre.
moyen des idées du client dans la chaîne logistique », induit une amélioration dans les deux
mesures de l’axe « clients » commentées plus
haut. Le lien à la composante « livraison dans
les délais » de la première mesure de l’axe
«clients» est bien entendu la dimension temporelle. Le lien à la composante « valeur
créée » de l’autre mesure de l’axe «clients» est
l’impact du prix sur la perception de la valeur.
Si la chaîne logistique réussit à réduire le
temps et les ressources humaines engagés
pour générer efficacement des innovations
dictées par le client, elle abaisse ses coûts. La
réduction des coûts augmente les chances
d’établir un prix perçu comme une bonne
valeur par le client, mais néanmoins rentable
pour la chaîne logistique.
La dernière mesure de l’axe « clients », « fidélisation des clients », est influencée par les
autres mesures de l’axe « clients » du TBP. En
d’autres termes, les clients restent fidèles s’ils
estiment que la chaîne logistique répond à
leurs besoins selon des critères de rapidité, de
haute qualité et de rentabilité. Chaque mesure
de l’axe «clients» est focalisée sur la perception du consommateur final. Certes, les mesu-
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La deuxième mesure de l’axe « financier »
évalue « l’augmentation du bénéfice brut
d’une solution personnalisée par rapport à
l’augmentation des frais R&D et de vente de
la chaîne logistique ». Elle encourage la
chaîne logistique à creuser l’écart entre des
marges brutes en hausse et une utilisation prudente et efficiente des ressources humaines
R&D et de vente déployées pour soutenir la
nouvelle activité. Cette mesure est induite par
les trois mesures de l’axe «clients». La dernière mesure de l’axe « financier » est « revenus provenant de l’acquisition de nouveaux
clients ». Son intégration dans le TBP part du
principe que des résultats positifs dans les
deux premières mesures de l’axe «clients»
devraient se traduire par des acquisitions de
nouveaux clients selon un processus de
bouche à oreille.
La proposition de valeur
« efficience opérationnelle »
L’efficience opérationnelle consiste à mettre
sur le marché un produit de haute qualité selon
des critères de rapidité et de rentabilité. Les
deux piliers de l’efficience opérationnelle
pour Dell sont l’information et la vitesse de
rotation des stocks. Les clients et les fournisseurs jouent un rôle crucial dans ce processus.
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Le client est le point de déclenchement de
commande qui détient les informations relatives à ses exigences d’achat. Dell doit transférer ces informations aussi vite que possible à
ses fournisseurs pour permettre une livraison
rapide au client. Comme pour la proposition
de valeur « intimité client », la réussite de Dell
en termes d’efficience opérationnelle repose
sur ses partenaires de la chaîne logistique, à
savoir le client et les fournisseurs.
Le tableau 4 comporte des exemples de mesures de TBP que Dell et ses partenaires de la
chaîne logistique pourraient utiliser pour stimuler la réalisation de la proposition de valeur
« efficience opérationnelle ». Pour l’axe
« apprentissage et croissance », la mesure
« investissement de la chaîne logistique dans
la technologie de partage de l’information »
encourage Dell et ses fournisseurs à investir
dans la technologie qui permettra une amélioration continue du temps de réponse aux commandes clients. La mesure « nombre
d’ensembles de données partagées avec les
fournisseurs » encourage Dell à partager des
informations, telles que les prévisions de la
demande, avec les fournisseurs pour permettre une réponse rapide et des coûts de stockage et de démarque minimaux.
La mesure « nombre d’équipes d’amélioration de processus de la chaîne logistique »
encourage Dell à coopérer avec ses fournisseurs pour éliminer les activités sans valeur
ajoutée de la chaîne logistique et réaliser des
activités à valeur ajoutée avec une efficience
accrue. La mesure « nombre d’équipes mixtes
Dell/fournisseur dédiées aux solutions produit » de l’axe « apprentissage et croissance » dans le volet « intimité client » du TBP
diffère de cette mesure au sens où le volet
« efficience opérationnelle » met l’accent sur
l’amélioration des processus et non sur l’innovation des produits.
Les mesures de l’axe « processus internes »
portent sur l’information et la vitesse de rotation des stocks. Les deux premières mesures
sont en effet « pourcentage d’amélioration du
temps de cycle d’information entre le client et
le fournisseur » et « vitesse de rotation des
stocks de la chaîne logistique ». Communiquer plus rapidement les informations de
commandes clients aux fournisseurs permet
de synchroniser la production avec la
demande, et d’accélérer ainsi la vitesse de
rotation des stocks dans la chaîne logistique.
La troisième mesure de l’axe « processus
internes », « temps de cycle de résolution des
défauts qualité de la chaîne logistique »,
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évalue la rapidité avec laquelle Dell et ses
fournisseurs sont capables de reconcevoir des
composants pour rectifier des défauts identifiés par les clients. A noter que chaque mesure
de l’axe « apprentissage et croissance » induit
une amélioration des mesures de l’axe « processus internes ». Plus spécifiquement, investir dans la technologie de transfert
d’information, créer des équipes mixtes
d’amélioration de processus et partager des
ensembles de données avec les fournisseurs
permet d’améliorer l’information, la vitesse
de rotation des stocks et la qualité dans la
chaîne logistique.
L’axe «clients» comporte au total trois mesures. Les deux premières s’intitulent “perception du client par rapport au temps de cycle
commande-livraison” et “perception du client
par rapport au délai de résolution”. Ces mesures sont influencées par les mesures à caractère temporel de l’axe “processus internes”.
Elles représentent trois composantes de la
performance en matière de réactivité. Premièrement, elles mesurent le temps nécessaire
pour communiquer le retour d’information du
client aux fournisseurs. Deuxièmement, elles
mesurent le temps nécessaire pour fabriquer le
produit ou créer une solution à un problème de
qualité. Troisièmement, elles mesurent le
temps nécessaire pour livrer au client un produit ou une solution d’amélioration de qualité.
Ces mesures permettent de s’assurer que Dell
et ses fournisseurs améliorent leur réactivité
tout en répondant précisément aux attentes
des clients.
La dernière mesure de l’axe «clients» s’intitule ”perception du client par rapport à la
valeur créée“. Elle vise à évaluer la manière
dont le client perçoit la qualité et la livraison
dans les délais par rapport au prix de vente.
Semblable à la mesure de l’axe “clients” basée
sur la valeur dans le volet “intimité client” du
TBP, cette mesure reconnaît que la proposition de valeur “efficience opérationnelle” doit
également être évaluée par rapport au prix. A
noter que “la perception du client par rapport à
la valeur créée” est induite par deux autres
mesures de l’axe “clients”.
Les mesures de l’axe “financier” sont au
nombre de trois : “cycle cash-cash de la
chaîne logistique”, “marge bénéficiaire de la
chaîne logistique” et “revenus provenant de
l’acquisition de nouveaux clients”. Pour
mesurer le cycle cash-cashde la chaîne logistique, il faut ajouter le nombre de jours restants jusqu’au règlement des comptes clients
de Dell au nombre de jours de stockage dans la
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chaîne logistique, puis soustraire le nombre de
jours restants jusqu’au règlement des comptes
fournisseurs de Dell. Pour convertir cette
mesure en dollars, il faut multiplier le nombre
de jours dans le cycle cash-cash par la valeur
moyenne en dollars d’une journée de stock.
Cette mesure est influencée par la perception
qu’a le client du délai de livraison d’une commande, laquelle perception est influencée par
les mesures à caractère temporel de l’axe
“processus internes”. “La marge bénéficiaire
de la chaîne logistique” devrait être mesurée
pour la chaîne logistique entière et pour
chaque partenaire. Si la chaîne logistique
répond aux attentes des clients, comme indiqué et mesuré dans l’axe “clients”, cela
devrait conduire à des marges bénéficiaires
saines. Enfin, si la chaîne logistique opérationnellement efficace de Dell offre un avantage concurrentiel sur le marché, cela devrait
attirer de nouveaux clients, comme mesuré
par l’indicateur “revenus provenant de
l’acquisition de nouveaux clients”.
Conclusion
Face à un environnement turbulent en mutation constante, il est difficile pour les entreprises d’établir une source durable d’avantage
concurrentiel. Le SCM constitue un outil prometteur pour venir à bout de ce problème. Les
entreprises capables de coopérer pour établir
des systèmes collaboratifs sur mesure auront
vraisemblablement un avantage durable sur
leurs concurrents qui éparpillent les ressources et gaspillent du temps à cause d’une mauvaise communication et d’un manque de
coopération.
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Cet article suggère que la clé de la réussite du
SCM réside dans l’alignement des objectifs
des partenaires de la chaîne logistique. En
synchronisant les efforts inter-organisationnels, le TBP offre un cadre de mesure de la
performance propice à l’alignement des
objectifs de la chaîne logistique : apprentissage et croissance, amélioration des processus
internes, création de valeur pour le client, et
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