aac - SOS Attaque cérébrale
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d o s s i e r O t h é m a t i q u e Étiologie et topographie des hématomes intracérébraux facteurs exogènes (iatrogènes, toxiques, etc.). L’importance respective de l’ensemble de ces mécanismes est très variable selon le contexte clinique et notamment l’âge, mais aussi selon la localisation de l’HIC (tableaux I et II). H. Moumy*, J.P. Neau* * Service de neurologie, hôpital Jean-Bernard, Poitiers. Les hématomes intracérébraux (HIC) représentent jusqu’à 15 % de l’ensemble des accidents vasculaires cérébraux (AVC) ; ils sont caractérisés par une croissance exponentielle avec l’âge et, en particulier, par un doublement de l’incidence à chaque décennie. Ils se définissent comme une collection de sang limitée par une membrane néoformée qui les enkyste. Leur diagnostic topographique, initialement facilité par l’apport du scanner, s’est amélioré sur le plan étiologique depuis l’avènement de l’imagerie par résonance magnétique (IRM). Traditionnellement, l’hypertension artérielle (HTA) est considérée comme l’étiologie la plus fréquente. Cependant, il ne faut pas négliger l’importance des autres étiologies, qu’il s’agisse d’anomalies vasculaires (angiopathie amyloïde, malformations vasculaires, artérite, etc.), de pathologies générales (anomalies de l’hémostase, néoplasies, etc.) ou encore de Tableau I. Étiologies des HIC en fonction du siège. Noyaux gris centraux Lobaire – HTA +++ – Angiopathie amyloïde +++ – HTA ++ – Tumeurs – Malformations vasculaires ++ – HTA +++ – Troubles de la coagulation Cervelet Mésencéphale Bulbe – Angiome occulte – HTA moins fréquente Pont – HTA +++ Tableau II. Étiologies des HIC en fonction de l’âge. Âge < 45 ans Âge entre 45 et 60 ans Âge > 70 ans – Malformations vasculaires +++ – HTA +++ – HTA – Troubles de l’hémostase – Alcool – Angiopathie amyloïde – Toxiques, alcool – Anticoagulants – Angéite – Néoplasie 22 L’HTA : PREMIÈRE CAUSE CHEZ LE SUJET D’ÂGE INTERMÉDIAIRE L’HTA multiplie par 10 le risque d’hémorragie cérébrale et est responsable de 50 % de l’ensemble des HIC. Elle affecte plus particulièrement les sujets de plus de 50 ans, avec cependant une diminution de son incidence après 80 ans. Sa responsabilité dans la genèse des HIC a nettement diminué ces dernières années suite au dépistage de masse de l’HTA et à sa prise en charge thérapeutique. Plus récemment, l’étude PROGRESS a montré une réduction significative (52 %) du risque de récidive d’hémorragie cérébrale sous inhibiteurs de l’enzyme de conversion, et ce quel que soit le niveau tensionnel initial (1). Les hémorragies cérébrales dues à l’HTA sont essentiellement des hémorragies profondes, localisées dans les noyaux gris centraux (putamen, thalamus, noyau caudé), la capsule interne, le centre ovale, mais aussi le tronc cérébral, et notamment la protubérance et le cervelet. Cependant, l’HTA peut aussi être responsable d’hématomes lobaires, même chez le sujet âgé (2). La symptomatologie clinique associe aux signes généraux aspécifiques (céphalées, vomissements, troubles de la conscience, crises comitiales, etc.) des signes plus spécifiques déterminés par le siège de l’hématome. L’HTA chronique est le principal facteur physiopathologique, modifiant la structure des artères perforantes de petit et moyen calibre, avec l’apparition d’une nécrose fibrinoïde, d’une lipohyalinose et d’une dégénérescence de la média (artériolopathie), prédisposant ainsi aux ruptures artérielles ; le rôle des microanévrysmes de Charcot-Bouchard reste actuellement controversé (3). Des hémorragies intracérébrales peuvent aussi être observées lors de pics hypertensifs aigus Correspondances en neurologie vasculaire - Vol. IV - n° 2 - octobre-décembre 2004/Vol. V - n° 1 - janvier-mars 2005 Hémorragie cérébrale survenant chez des sujets normotendus, souvent secondaires à une prise médicamenteuse ou toxique, une douleur aiguë (stimulation trigéminale), une exposition au froid, ou dans un contexte de postendartérectomie (par perte du barorécepteur carotidien et de l’autorégulation du débit sanguin cérébral). ANGIOPATHIE AMYLOÏDE CÉRÉBRALE (AAC) : ÉTIOLOGIE SPÉCIFIQUE DU SUJET ÂGÉ L’AAC se définit par la présence de dépôts amyloïdes insolubles au niveau de la média et de l’adventice, essentiellement des artères corticales et leptoméningées. Elle serait responsable de 5 à 10 % des HIC. Sa prévalence augmente avec l’âge : 2,3 % entre 65 et 79 ans, 12,1 % après 85 ans, et jusqu’à 75 % après 90 ans (4). Elle est plus élevée chez les femmes. Il existe plusieurs angiopathies amyloïdes cérébrales, dépendant de la protéine amyloïdogène impliquée (Aß, cystatine C, autres). La plus fréquente est l’AAC sporadique, due à la protéine Aß. Les autres formes cliniques sont de transmission héréditaire autosomique dominante (formes hollandaise et islandaise). Le diagnostic est évoqué devant la survenue, chez un sujet âgé de plus de 60 ans, d’hématomes lobaires, spontanés, récidivants, multifocaux, en l’absence de toute autre cause de saignement intracérébral (5). Ces hématomes sont situés préférentiellement dans les régions frontales et pariétales, alors que les lésions anatomopathologiques prédominent en postérieur. D’autres symptômes cliniques sont fréquemment retrouvés, telles une démence (vasculaire ou mixte), une ischémie cérébrale ou une leucoencéphalopathie diffuse. Le diagnostic de certitude est anatomopathologique, par autopsie. Du vivant du patient, le diagnostic est évoqué en termes de probabilité ou de possibilité sur les données cliniques et radiographiques, et notamment sur les séquences IRM en écho de gradient retrouvant des microbleeds (hyposignaux siégeant le plus souvent à la jonction substance grise/substance blanche). Ces derniers, caractérisés par des dépots d’hémosidérine, sont actuellement considérés comme un facteur de risque, et surtout de récurrence, d’HIC (6). La localisation cortico-sous-corticale renforce la suspicion diagnostique d’angiopathie amyloïde. Cependant, les microbleeds ne sont pas pathognomoniques de l’AAC ; en effet, on peut les retrouver chez des patients aux antécédents d’HIC profonds, corrélés alors à l’existence sous-jacente d’une pathologie dégénérative des artérioles perforantes, en association à une hypertension artérielle ou à des infarctus lacunaires (7). Il n’existe aucun marqueur biologique de l’AAC : le génotypage de l’apolipoprotéine E n’est ni sensible, ni spécifique, même si la fréquence de l’allèle ε2 a été associée récemment à un risque élevé d’HIC lobaire chez des patients présentant une AAC et exposés par ailleurs à d’autres facteurs de risque comme un traitement anticoagulant ou antiagrégant, une HTA, ou encore un traumatisme cérébral modéré (8). MALFORMATION VASCULAIRE : PREMIÈRE CAUSE CHEZ LE SUJET JEUNE Sur une population de sujets plus jeunes (< 40 ans), la topographie des HIC, dont l’incidence est certes moindre (0,3/100 000 habitants), est, dans plus de la moitié des cas, lobaire (55 %) et secondaire à la rupture d’une malformation vasculaire. Quoique moins bien représentée dans cette tranche d’âge, la localisation soustentorielle profonde (22 % dans les noyaux gris centraux, capsule interne) peut être également liée à l’HTA, bien qu’une étiologie malformative vasculaire doive être recherchée de principe (9). Les malformations vasculaires représentent seulement 5 % de l’ensemble des HIC, mais plus de 40 % chez le sujet jeune. On différencie les malformations à haut risque hémorragique (anévrysmes, malformations artérioveineuses [MAV]) de celles à risque hémorragique plus faible (cavernomes), voire mineur (angiomes veineux, télangiectasies). Les anévrysmes, localisés préférentiellement au niveau des bifurcations vasculaires, se manifestent surtout par une hémorragie méningée, plus rarement par un HIC ; cepen- Correspondances en neurologie vasculaire - Vol. IV - n° 2 - octobre-décembre 2004/Vol. V - n° 1 - janvier-mars 2005 23 d o s s i e r t h é m a t i q u e dant, 40 % des ruptures d’anévrysme s’associent à un HIC. Il s’agit d’HIC de localisation plutôt inhabituelle, frontale ou fronto-basale pour l’artère cérébrale antérieure, et parasylvienne pour l’artère cérébrale moyenne. Les MAV cérébrales, définies par l’absence de réseau capillaire normal entre artères et veines, siègent préférentiellement en supratentoriel (90 %), et se manifestent dans 70 % des cas par des HIC lobaires. Les MAV durales se manifestent dans 15 % des cas par des HIC situés au niveau de la convexité. Les cavernomes sont dans 80 % des cas situés à l’étage supratentoriel, essentiellement temporaux ; ils sont soit uniques, soit multiples, évoluant alors préférentiellement dans le cadre de formes familiales. L’examen de choix est l’IRM en séquences T2 (lésion de signal hétérogène entouré d’un anneau d’hyposignal), mais aussi en écho de gradient (microsaignements). Les télangiectasies, quant à elles, constituées par des capillaires anormalement dilatés situés au sein d’un parenchyme cérébral sain, sont le plus souvent asymptomatiques. Le caractère multiple de ces malformations vasculaires mais aussi leur association suggèrent des affections héréditaires, telle la maladie de Rendu-Osler-Weber. ANOMALIES DE L’HÉMOSTASE La fréquence des HIC liés à des désordres hémostatiques est très variable selon les études, mais ils sont trouvés préférentiellement chez les sujets jeunes. Tableau III. Anomalies de l’hémostase. Anomalies congénitales – Drépanocytose – Hémophilie (VIII, IX, XI) – Afibrinogénémie – Maladie de von Willebrand – Hypoprothrombinémie 24 Anomalies acquises – Purpura thrombopénique idiopathique – Thrombocytémie – Syndrome d’hyperviscosité (myélome multiple, maladie de Waldenström, maladie de Vaquez) – Insuffisance hépatique – CIVD – Leucémies On distingue : les anomalies congénitales de l’hémostase secondaires à un déficit en facteurs de coagulation ; les anomalies acquises, qu’elles soient d’origine auto-immune, idiopathique, néoplasique, métabolique, ou enfin secondaires aux thérapeutiques médicamenteuses (tableau III). Parmi celles-ci, les antivitamines K (AVK) multiplient le risque d’HIC par 11 ; le pronostic est souvent plus défavorable et fatal que dans les HIC spontanés (10). Les facteurs favorisants sont un âge élevé, des antécédents d’infarctus cérébral, le caractère récent et/ou excessif de l’anticoagulation, les AVK à demi-vie courte, et la présence d’une leucoariose au scanner (11). La fibrinolyse extraneurologique présente un risque d’HIC de 0,1 à 0,9 %, favorisé par un âge supérieur à 65 ans, un poids inférieur à 70 kg, une HTA initiale, un traitement par altéplase, et l’utilisation concomitante d’autres antithrombotiques (12). La fibrinolyse neurologique est surtout responsable de la transformation hémorragique d’un accident ischémique, plus rarement d’HIC autonomes. ÉTIOLOGIES PLUS RARES Néoplasies et HIC Les hématomes intratumoraux constituent le premier diagnostic à évoquer devant la survenue d’une hémorragie intracérébrale au cours de l’évolution d’une tumeur solide connue ; la symptomatologie aiguë se surajoute à l’évolution progressive de la tumeur. Le diagnostic est délicat lorsque le cancer est inconnu, et peut être orienté devant une topographie dépassant le territoire profond des artères perforantes, un œdème périlésionnel précoce, un rehaussement après injection de produit de contraste dans les structures adjacentes. Il sera souvent confirmé par la répétition des examens radiologiques à distance du saignement initial. D’autres mécanismes physiopathologiques sont retrouvés, comme des troubles de la coagulation dans le cadre d’une leucémie aiguë, une leucostase au cours des syndromes myéloprolifératifs ou encore des anévrysmes oncotiques. Correspondances en neurologie vasculaire - Vol. IV - n° 2 - octobre-décembre 2004/Vol. V - n° 1 - janvier-mars 2005 Hémorragie cérébrale Toxiques et alcool L’utilisation de certaines drogues, de type amphétamine, phénylpropanolamine (13), cocaïne (14) ou héroïne, mais aussi la consommation chronique d’alcool constituent un facteur de risque de survenue d’HIC. Il s’agit parfois d’HIC multiples. Vascularites Plus exceptionnellement, les vascularites peuvent être considérées à l’origine de la survenue d’un HIC ; elles apparaissent alors le plus souvent dans un contexte infectieux ou inflammatoire. Les vascularites infectieuses surviennent au cours d’affections bactériennes (streptocoque, staphylocoque, etc.), virales (VIH) ou fongiques. Les vascularites non infectieuses correspondent aux maladies de système, représentées essentiellement par la périartérite noueuse, plus rarement le lupus, les maladies de Wegener, Horton, Behçet, Moya-Moya (à évoquer chez des sujets d’origine asiatique) ou de Takayasu. Le diagnostic d’angéite cérébrale est évoqué chez l’adulte jeune, devant un HIC lobaire inexpliqué associé à des anomalies cliniques et/ou biologiques évocatrices d’une maladie systémique. Autres étiologies Il s’agit essentiellement d’une transformation hémorragique précoce au cours des infarctus cérébraux veineux et artériels, d’HIC secondaires à un traumatisme crânien (souvent HIC lobaire frontal ou temporal, contusion corticosous-corticale), à une endométriose ou à des séances d’hémodialyse. CONCLUSION Au terme des investigations cliniques et radiologiques, un nombre non négligeable d’HIC reste de cause indéterminée (environ 10 à 25 % selon les séries). L’enquête étiologique des HIC dépend de plusieurs paramètres, dont l’âge du patient, la localisation lobaire ou profonde de l’hématome et l’existence de facteurs de risque, essentiel- lement l’HTA. Elle sera facilitée par la réalisation d’une IRM comportant différentes séquences, dont l’écho de gradient, et, le plus souvent, d’une ARM associée. RÉFÉRENCES 1. PROGRESS Collaborative Group. 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