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Pleins feux sur les boursiers
Conversations
avec l’Histoire
« Mon principal
objectif était de tirer
des enseignements du
passé pour construire un
avenir meilleur pour la
prochaine génération »
Mélanie Loisel ’13
Comment ce serait d’interviewer 62 leaders, révolutionnaires,
activistes et victimes du siècle dernier pour parler de droits
humains, de paix dans le monde, de changement climatique et
d’économie mondiale?
Demandez à Mélanie Loisel, journaliste québécoise et Fellow Action Canada.
Elle vient de publier Ils ont vécu le siècle (They Lived the Century), un livre dans
lequel sont présentées ses entrevues avec des hommes et des femmes qui
ont joué des rôles importants dans l’histoire ou subi les impacts de conflits
historiques comme la Guerre du Vietnam ou le génocide au Cambodge.
GOPESA PAQUETTE
PA R D I A N E L U C KOW
Lorsqu’elle a retracé les événements et conflits mondiaux de la Deuxième Guerre
mondiale jusqu’à nos jours, Mélanie Loisel a trouvé un nombre surprenant de
personnes de renom qui étaient prêtes à parler de leurs points de vue sur le passé –
et de leur vision de l’avenir.
Parmi eux, d’anciens dirigeants nationaux comme Viktor Iouchtchenko,
ancien président ukrainien, et Abolhassan Bani Sadr, ancien président
iranien et ami de l’Ayatollah Khomeini, ainsi que des révolutionnaires
comme Mário Soares, ancien président portugais suite à la Révolution des
œillets. Il y a aussi Jean-Claude Trichet, ancien président de la Banque
centrale européenne; Shimon Peres, Prix Nobel de la paix et ancien
président israélien; Mary Robinson, ancienne présidente d’Irlande; et Arun
Gandhi, activiste pour la paix et petit-fils de Mohandas Gandhi.
« Mon principal objectif était de tirer des enseignements du passé pour
construire un avenir meilleur pour la prochaine génération », dit Mélanie
Loisel, 34 ans, qui a travaillé pendant 10 ans comme journaliste politique
internationale, voyageant dans le monde entier et faisant des reportages
pour Radio-Canada, Commerce, Les Affaires et Le Devoir. Elle a une maîtrise
en politique internationale et un baccalauréat ès arts en journalisme.
« Le livre est unique en son genre. Personne n’a fait cela avant moi. »
« Au début, tout le
monde disait que ce
serait impossible »
Alors comment une jeune femme qui a grandi dans une petite ville minière du
Nord du Canada trouve-t-elle l’audace d’envoyer des demandes d’entrevue à
toutes les grandes personnalités internationales, y compris le Pape, le Dalaï-lama
et la Reine Elizabeth II?
« Au début, tout le monde disait que ce serait impossible », admet-elle.
Mais Mélanie Loisel ne s’est pas découragée, mue par une insatiable
curiosité et le désir d’en savoir plus sur le monde, en plus de trouver une
façon de bâtir des passerelles entre générations.
Elle a fait des recherches sur Internet pour trouver des candidats possibles,
cherchant des personnes clés qui accepteraient peut-être de lui parler de leur
expérience des conflits et de la révolution, des mouvements civiques, de la
démocratie et de la dictature, des défis économiques, de la guerre civile et des
défis de notre nouveau siècle. Elle a trouvé dans certains cas un leader qui voulait
bien la rencontrer; dans d’autres il lui a fallu trouver un proche conseiller.
« J’ai fini par juste frapper aux portes et ça a marché », en grande partie parce
qu’elle a promis, dit-elle, de ne poser que trois questions :
1. Quels enseignements ont-ils tirés du passé?
2. Quels sont les plus grands défis dans le monde?
3. Quel message aimeraient-ils transmettre à la génération suivante?
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« C’est la raison pour laquelle ils ont accepté de m’accorder une entrevue. »
La réalisation des entrevues est une autre histoire. Elle a communiqué avec
certains de ses sujets par téléphone ou par courriel, mais elle a rencontré la plupart
d’entre eux en personne et a dû pour cela puiser dans ses
économies et aller à l’étranger pour les rencontrer dans des
cafés ou chez eux.
Certains lui ont accordé jusqu’à trois heures, d’autres seulement
10 minutes. En moyenne, les entrevues ont duré entre une
demi-heure et une heure.
Les rencontres ont été stressantes, exaltantes, fascinantes.
Le point fort, dit-elle, a été une discussion existentielle de haut
niveau, exigeante, avec François Bizot, ethnologue français de
75 ans et seul occidental à avoir survécu à l’emprisonnement
par les Khmers rouges.
Mélanie Loisel avec Kim Phuc, la petite fille courant
nue sur la route après avoir été gravement brûlée
dans une attaque au napalm au Sud-Vietnam sur
la photo qui a reçu le Prix Pullitzer. Mme Phuc vit
maintenant au Canada.
« Nous avons parlé du sociopathe qui est en chacun de nous et
de comment, en temps de guerre, les humains peuvent changer
complètement pour sauver leur vie, dit Mélanie Loisel. Cette
entrevue était totalement différente. »
L’entrevue la plus stressante : celle avec Zbigniew Brzezinski,
ancien conseiller américain à la sécurité nationale, « parce qu’il
était chef de la sécurité pendant la Guerre froide ».
La plus intéressante : celle avec Chil Elberg, survivant de l’Holocauste. « Il avait un
tatouage sur le bras. Le moment était émouvant pour moi – c’était la première fois
que je rencontrais quelqu’un qui avait été emprisonné dans un camp nazi. »
La meilleure entrevue a été celle avec Beji Caid Essebsi, président tunisien, parce
que Mélanie Loisel a vécu un an en Tunisie, en 2006-2007. Elle y avait beaucoup
d’amis et elle suit maintenant la transition démocratique du pays.
« Avoir l’occasion de parler avec le nouveau président a été un moment vraiment
important dans ma vie », dit-elle.
Un autre moment important pour elle a été son acceptation au programme d’Action
Canada en avril 2013. Le mois suivant, elle est allée à Paris pour ses premières
entrevues avec Michel Camdessus, ancien directeur général du Fonds monétaire
international; Hans Blix, qui a été responsable des inspecteurs chargés d’enquêter
sur les armes en Irak; et Jean Ziegler, qui a été rapporteur spécial auprès de l’ONU
sur le droit à l’alimentation.
Au fur et à mesure que son projet avançait, Mélanie Loisel en a parlé avec les
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autres Fellows. Elle a aussi demandé conseil à Mel Cappe et
Jim Mitchell, mentors du programme, sur la façon d’organiser
les entrevues et de composer le livre.
« Action Canada a été une source d’énergie et d’idées
d’approches pour aborder des questions mondiales, dit-elle. J’ai
pu tester mes idées. Quand j’ai vu d’autres gens comme moi qui
se démenaient pour changer les choses, j’ai eu le sentiment qu’il
était possible de mener mon projet à bien. J’ai senti que tout le
monde y croyait. »
L’amélioration de ses compétences en anglais grâce au
programme d’Action Canada s’est également avérée
extrêmement utile.
Mélanie Loisel avec Muhamad Yunus, banquier
bangladais et entrepreneur social qui a reçu le Prix Nobel
pour avoir fondé la Grameen Bank où il a été un pionnier
du microcrédit et du microfinancement.
« Quand j’ai interviewé Muhammad Yunus, Prix Nobel de la
paix et pionnier du microcrédit, à Montréal, en 2014, ça a été
très facile de faire l’entrevue en anglais, dit-elle. Deux ans plus
tôt, je n’avais pas la même aisance dans cette langue. »
Si elle avait déjà le culot de se lancer dans son projet avant
de participer au programme d’Action Canada, Mélanie Loisel
dit que ce dernier a changé sa vie. « Il m’a aidée à avoir plus
confiance en moi, à mieux parler ma deuxième langue et à me
construire un très bon réseau de contacts. »
Elle a commencé à écrire son livre en début d’année,
consacrant huit heures par jour à sa rédaction, pendant quatre
mois. Ce n’était pas facile d’organiser le matériel, d’exprimer les
idées de chacun et de respecter la force de leurs paroles.
Son livre, publié en français par les Éditions de l’Aube, est
arrivé en novembre dans les librairies en France, en Suisse, en
Belgique et au Canada.
Il est sorti juste à temps pour le 70e anniversaire de la fin de la
Deuxième Guerre mondiale, du bombardement d’Hiroshima
et de la libération des survivants du camp de concentration
d’Auschwitz.
Mélanie Loisel (à g.) avec Setsuko Thurlow,
survivante d’Hiroshima qui est venue au Canada en
1955 jeune mariée et a consacré sa vie à l’abolition des
armes nucléaires. Elle vit aujourd’hui à Toronto.
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C’est aussi le 40e anniversaire de la fin de la Guerre du
Vietnam, un événement évoqué par Mélanie Loisel dans
son entrevue avec Kim Phuc. Cette dernière est la petite
Vietnamienne immortalisée dans la célèbre photo qui a reçu le
Prix Pulitzer, où on la voit courir toute nue sur une route après
avoir été gravement brûlée dans une attaque au napalm au
Vietnam du Sud.
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Mélanie Loisel avec Ricardo Lagos, avocat, économiste et social-démocrate
qui était à la tête de l’opposition lorsque le Général Augusto Pinochet était
au pouvoir au Chili dans les années 1980. M. Lagos est par la suite devenu
président du Chili, de 2000 à 2006.
Mélanie Loisel cherche à présent des traducteurs pour pouvoir publier son livre en
anglais, en espagnol et peut-être en arabe.
« Le vécu et les enseignements mis à jour grâce à ce projet méritent d’être
partagés », dit-elle.
Le principal enseignement?
« C’est possible de trouver une solution à tous les conflits, mais cela prend parfois
des dizaines d’années. Nous devons continuer de négocier sans cesse. Il est possible
de mettre un terme aux dictatures, de changer le système économique, de trouver
une solution. »
En fin de compte, dit Mélanie Loisel, ça a été un projet pour la paix.
« Il est possible de vivre dans un monde en paix. La plupart du temps, c’est juste une
question de volonté politique – de prendre des décisions, de les changer. Mais cela
va prendre du temps. Ce n’est pas pour demain. »
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