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HORS LES PLANCHES - 2012
MADAJAZZCAR#3 : A L'ARRIÈRE DES TAXIS
DU 1 AU 31 OCTOBRE / MADAGASCAR
FESTIVAL DE MUSIQUE
Un petit tour en taxi dans les rues de Tana pour rejoindre le Jao's Pub et les notes de
jazz du Réunionnais Olivier Ker Ourio.
Olivier Ker Ourio
A l'arrière des taxis... A Tana, le soir, tu espères que le plein d'essence a été fait. Tu te
crispes vaguement quand la 4L antique dévale une pente pavée, moteur coupé pour ne pas
gaspiller. Tu médites presque, dans les bouchons silencieux où cette fois tout le monde a
mis le contact sur off. Tu remarques d'un coup qu'aucun de ceux qui t'ont conduit jusque-là
n'avait d'autoradio en état de marche : contrairement au Mali où le reggae résonne, à
l'Afrique du Sud où le kwaito s'est répandu comme une traînée de poudre, à la Côte d'Ivoire,
le taxi ne serait donc pas ici un média du peuple, à première vue, prompt à faire exploser un
nouveau style musical ou à propager une parole différente. Point de salegy, de tsapiky sur
les trajets.
Mais à l'arrière du taxi, hier soir, résonnaient pourtant les paroles de « Redemption Song »
de l'universel Marley, reprises en coeur, a capella, par quatre nymphes sur la route du Jao's
Pub ; petit moment de grâce.
« Old pirates yes they rob I
Sold I to the merchant ships
Minutes after they took I from the
Bottomless pit
But my hand was made strong
By the hand of the almighty.
We forward in this generation
Triumphantly
Won't you help to sing
These songs of freedom
Cause all I ever have, redemption songs,
Redemption songs »
Et l'on se dit que symboliquement, découvrir le Jao's Pub, c'est un peu à Madagascar
comme découvrir le Shrine de Fela à Lagos. Un lieu de concerts, de musiques, de vie - et
un état d'esprit - ouvert, créé, animé par Jaojoby, l'immense, celui dont la carrière
internationale est finalement restée trop pâle et tardive en comparaison de son immense
talent, des shows calorifères et totalement groove qu'il a donné de longues années durant,
faisant découvrir le salegy hors de son pays.
Jaojoby a ouvert le Jao's Pub en juin 2011 et offert ainsi une scène aux artistes de la
grande île. Selon une voix de la culture locale, c'est même le seul lieu à faire un véritable
effort dans la programmation, en conviant des artistes de toutes les régions, tous les styles,
avec une direction artistique. A se positionner comme un café-concert, à mi-chemin des
lieux de sorties populaires et les salles officielles type Alliance Française. La gestion et la
programmation en ont été confiées à sa fille Eusebia, également danseuse dans son
groupe.
Hier soir, c'est le réunionnais Olivier Ker Ourio qui ouvrait les festivités, dans le cadre du
festival Madajazzcar, à l'invitation de l'Institut Français, démontrant la force et l'intérêt d'une
telle collaboration tripartite pour offrir en ce petit lieu une valeur sûre du jazz international.
L'harmoniciste n'avait pas remis les pieds à Madagascar depuis belle lurette - vingt ans,
mais s'est de suite senti chez lui sur la petite scène du Jao's, installant d'emblée et sans
artifice une ambiance qui lui est propre, en finesse et en musicalité, le sourire épanoui dès
qu'il ôtait son instrument des lèvres, échangeant avec son public tout en gratifiant son
Magic Trio de regards complices et appréciateurs, belle communion : le virtuose de l'orgue
Emmanuel Bex a d'ailleurs fait sensation, tout en subtilité, en humour également, le visage
traversé d'expressivité, fascinant et partageur. Toute la force du jazz était là, Ker Ourio se
permettant même avant le deuxième morceau, doigt collé à ses lèvres, de faire taire les
conversations et installer l'écoute attentive, avec une simplicité désarmante. Très beau
moment, bien trop court, que l'on filera ce soir réécouter pour un second set, cette fois dans
les murs de l'Institut Français.
Pas de panique, amateurs de jazz sur l'île intense : Olivier Ker Ourio passe aussi par le
Palaxa à Saint-Denis le samedi 13 octobre.
Sébastien Broquet