Professeur Nicolas Tajeddine Bruxelles, le 29 octobre 2014 Vos

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Professeur Nicolas Tajeddine Bruxelles, le 29 octobre 2014 Vos
Professeur Nicolas Tajeddine Bruxelles, le 29 octobre 2014 Madame Anne-­‐Laure DESMIT Agence fédérale pour la Sécurité de la Chaîne alimentaire Centre administratif Botanique Food Safety Center Boulevard du Jardin Botanique 55 B-­‐1000 BRUXELLES Vos références : SMOD2014-­‐58 Euthanasie animaux importés illégalement Madame Desmit, J’ai bien reçu votre courrier du 13 octobre dernier faisant suite à mon interpellation du 7 août 2014 relative à l’euthanasie d’un chiot cocker ordonnée par votre agence. Je vous remercie vivement pour la précision de vos réponses. Même si votre argumentaire détaillé répond à certaines de mes interrogations, je ne vous cache pas que de nombreux éléments que vous soulevez continuent à susciter mon étonnement voire mon indignation. Plutôt que de poursuivre une polémique sans fin, au demeurant peu constructive, je souhaiterais attirer votre attention sur un certain nombre de points qui mériteraient, je pense, une remise en question de vos procédures. Dès la première page de votre courrier, vous regrettez que les conséquence sanitaires dramatiques du virus soient (…) trop souvent relayées au second plan de débats qui ont plutôt tendance à se centrer en premier lieu sur l’émotion que suscitent les mesures, parfois radicales, qui doivent être prises en cas d’importation illégale d’animaux, et ce en vue de protéger la santé publique et animale. Oserais-­‐je suggérer que vous avez plus que probablement une part de responsabilité dans cette situation ? Hormis quelques communiqués de presse sur votre site internet, pas toujours très satisfaisants quant à l’argumentaire qui y est utilisé, votre présence dans les médias ou sur les réseaux sociaux est pour le moins discrète. Suite à l’euthanasie du chiot cocker, vous n’avez semble-­‐t-­‐il pas cru bon de vous exprimer pour justifier les mesures prises. Force est de constater que les réactions du public à l’égard de votre agence, telles qu’on peut les lire notamment sur les réseaux sociaux ou sur les forums en ligne des journaux, sont souvent très négatives voire virulentes. Il est possible que celles-­‐ci soient très excessives mais il est certain que l’opacité qui règne sur les procédures mises en application par votre agence ne contribue pas à apaiser le climat de méfiance. Encore une fois, je crains que cette situation ne nuise directement à vos missions puisque nombre de citoyens se méfient, à tort ou à raison, de vos interventions et hésitent dès lors à prendre contact avec les autorités lorsque des situations mettant en danger la santé publique sont constatées. Ceci est particulièrement vrai pour les personnes impliquées dans la protection animale. Elles sont souvent les mieux informées de potentielles sources de danger sanitaire mais entretiennent avec vos services des relations assez exécrables. Pourquoi ne pas sortir de vos bureaux, investir les réseaux sociaux ou aller au devant des citoyens afin de leur expliquer vos missions, vos procédures ou de répondre publiquement à leurs interpellations ? Une telle démarche permettrait peut-­‐être de rétablir un climat de confiance dans lequel chacun serait gagnant. Dans le même ordre d’idées, l’analyse de risque qui doit précéder la décision d’euthanasie aux termes de l’arrêté royal du 1er mai 2006 reste obscure. C’est précisément cette analyse de risque qui, dans le cas du chiot cocker, est remise en question. En particulier, vous martelez dans votre courrier mais aussi dans les différents communiqués de presse que vous avez publiés précédemment que la Pologne n’est pas indemne de rage. Cette affirmation est vraie mais, dans le cadre d’une analyse de risque, d’autres paramètres devraient être pris en considération. Ainsi, les dernières statistiques de l’Organisation mondiale de la Santé montrent que le risque pour l’homme de contracter la rage est identique en Pologne et en Belgique (low risk)1. Aucun cas de rage humaine n’a d’ailleurs été constaté en Pologne depuis 20022. Sur votre propre site internet, vous informez le public que la rage est encore un problème, principalement dans les pays de l’Est et que la maladie n’y est pas uniquement observée chez les renards (Vulpes vulpes) mais aussi chez les autres carnivores sauvages comme les chiens viverrins (Nyctereutes procyonoides). A vous lire donc, la rage ne concerne pas l’espèce Canis lupus familiaris dans les pays de l’Est. Vous n’ignorez d’ailleurs pas que, depuis 1993, la Pologne a lancé une vaste campagne de vaccination antirabique de la faune sauvage3. Vous m’indiquez dans votre courrier que plus de 100 cas de rage domestique ont été répertoriés en Pologne ces trois dernières années. Malheureusement, aucune référence ne vient étayer ces propos sur lesquelles est pourtant basée votre analyse de risque. Par contre, le rapport de décembre 2012 du sous-­‐groupe « Rage » de la « Task force on the eradication on animal diseases » présidée par la Commission européenne montre que les cas de rage domestique en Pologne, en ce compris chez le chien, sont quasiment inexistants depuis 20052. Disposeriez-­‐vous d’autres références infirmant cette information ? Sinon, et compte tenu de ces données scientifiques, pourquoi optez-­‐vous pour une politique si agressive envers les chiens domestiques provenant de Pologne ? 1 http://www.who.int/rabies/Global_distribution_risk_humans_contracting_rabies_2011.png?ua=1 2 http://ec.europa.eu/food/animal/diseases/eradication/docs/rabies_subgroup_1112122012_report_en.pdf 3 http://ec.europa.eu/food/fs/sc/scah/out80_en.pdf Par ailleurs, je suis abasourdi d’apprendre que la Belgique ne dispose d’aucun établissement de quarantaine désigné permettant d’accueillir des chiens. En dépit des scandales sanitaires que nous avons connus au cours des années 90 et malgré la création de votre agence il y a près de 15 ans, une telle négligence ne peut que surprendre. Alors même que des législations européennes et nationales vieilles de plus de 10 ans prévoient la mise en quarantaine, il est consternant d’apprendre que notre pays n’a pas réussi, dans ce laps de temps, à se doter des infrastructures lui permettant d’appliquer la loi. Je persiste donc à penser que les procédures que vous suivez actuellement sont illégales. On ne pourrait en effet justifier le non-­‐respect de la loi au simple prétexte que les moyens logistiques ne sont pas réunis pour appliquer ladite loi. Dans le cadre de vos missions, accepteriez-­‐vous par exemple qu’un restaurateur justifie l’état de mauvaise conservation des aliments qu’il vend par le fait qu’il ne dispose pas de réfrigérateurs adaptés ? Même si dans le cas précis de la rage et vu sa longue période d’incubation, la mise en quarantaine du chiot n’aurait probablement pas changé son funeste destin, il est clair qu’une telle procédure aurait permis de s’assurer que le chien lors de son séjour en Belgique n’était pas contaminant. Par ailleurs, dans le cadre d’autres zoonoses, des structures de quarantaine permettraient, en plus d’assurer un parfait contrôle sanitaire, de préserver la vie de l’animal. Vous reconnaissez par ailleurs vous-­‐même qu’il est possible que l’animal soit testé négativement même durant la période pendant laquelle il est déjà contaminant. Dans votre courrier du 13 octobre 2014, vous minimisez ce risque en le considérant comme faible et théorique. Ceci est parfaite contradiction avec votre communiqué de presse du 14 janvier 2014 dans lequel vous expliquez que la confirmation du diagnostic [de la rage] n'est possible qu'après l'autopsie de l'animal mort. Si, au moment de l'euthanasie, la bête n'a encore présenté aucun symptôme, elle sera souvent testée négativement ce qui n'exclut pas que l'animal soit néanmoins contaminé. Une communication aussi confuse ne peut entraîner que le doute et la suspicion dans l’esprit du public. Si, comme vous le suggérez, le risque qu’un chien provenant de Pologne soit contaminé par la rage est considérable, il faut également admettre qu’il existe un risque non négligeable qu’il ait contaminé des humains ou d’autres animaux avant l’apparition des symptômes et que le diagnostic post-­‐mortem ne soit pas contributif. Dans ce cas, la mise en quarantaine de l’animal, à tout le moins pendant une dizaine de jours, est une mesure obligatoire sur le plan sanitaire. Si, par contre, comme je le suspecte, le risque qu’un animal provenant de Pologne soit contaminé par la rage est très faible, alors l’euthanasie de cet animal est une mesure excessive. Dans les deux cas, l’euthanasie immédiate est inadéquate. Je partage par contre entièrement votre avis sur la dangerosité et l’immoralité du commerce illégal de chiens. Je suis satisfait d’apprendre que votre agence prend à bras le corps cette problématique et j’espère que vous communiquerez prochainement sur les mesures que vous aurez décidé de prendre pour enrayer un tel trafic. Vous l’aurez compris, je ne souhaite en rien blâmer votre agence mais bien vous amener à prendre en considération de multiples paramètres pour optimiser au mieux vos procédures afin qu’elles répondent aux exigences tant sanitaires qu’éthiques. Il est clair que le trafic illégal d’animaux est un fléau qu’il faut faire cesser, il est évident selon moi que votre politique d’euthanasie expéditive n’est pas optimale, je veux bien également reconnaître que les réactions du public à votre égard sont parfois excessives. Une chose est pourtant certaine : les seules victimes de ces tristes dossiers sont aussi les seuls innocents. Ni le chiot cocker de Louvain-­‐la-­‐Neuve, ni, plus récemment, Duna, le braque hongrois importé par un habitant du Brabant wallon n’étaient responsables de ce qu’il leur arrivait et ce sont pourtant les seuls, à ce jour, à avoir payé. Je ne doute pas que vous comprenez à quel point cette situation paraît injuste et révoltante pour beaucoup de citoyens. Je vous remercie d’ores et déjà pour les suites que vous voudrez bien donner à ce dossier et vous prie de croire, Madame Desmit, en l’assurance de ma considération distinguée. Copies à Nicolas Tajeddine, M.D., Ph.D. Professeur de Physiologie humaine Faculté de Médecine et de Médecine dentaire Université catholique de Louvain Madame Maggie De Block, Ministre des Affaires sociales et de la Santé publique Monsieur Carlo Di Antonio, Ministre de l'Environnement, de l'Aménagement du territoire, de la Mobilité et des Transports, des Aéroports et du bien-­‐être animal Monsieur Jean-­‐Marc Montegnies, Président du Conseil d’administration d’Animaux en Péril ASBL 

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