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TABLE DES MATIÈRES
Préface de Laurent Mailhot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .7
Liminaire : Pourquoi écrire ? par Naïm Kattan . . . .15
I. Orient et Occident . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .29
La Parole et le lieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .31
Le Réel et le théâtral . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .49
Terre promise et terre de promesses . . . . . . . . . . . . .83
L’Autre Amérique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .97
Jeux de mots . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .109
Mots et images du monde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .123
L’Humanité de l’homme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .147
Bagdad, ville de la mémoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .155
II. Culture et société . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .161
La Culture et l’État . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .163
Peut-on traduire les civilisations ? . . . . . . . . . . . . . .173
Le Désir et le pouvoir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .179
Littérature et nation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .195
Connaissance et savoir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .201
La Différence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .209
La Langue est liberté et loi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .219
Multiculture et interculture . . . . . . . . . . . . . . . . . . .229
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III. Amitié, fraternité, paternité . . . . . . . . . . . . . .241
L’Amitié . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .243
La Paternité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .255
Le Père de Marcel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .271
Le Père du Québec . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .281
La Fraternité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .293
Bibliographie des textes choisis . . . . . . . . . . . . . . . .309
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PRÉFACE
Laurent Mailhot
« Il n’y a que la littérature, tout le reste
est économique. »
Gaston Miron, Tribune juive 1
NÉ À BAGDAD. Ces trois mots sont sur la ligne du risque, la
ligne de feu, à l’aube du XXIe siècle. La biographie de Naïm
Kattan s’inscrit plus que jamais dans l’histoire mise en
relation avec cette ville. Bagdad a la permanence et la
fragilité des grandes cités antiques, modernes : Babylone,
sa voisine, Alexandrie, New York… Encerclée par le
désert, le pétrole, elle s’en échappe par le haut et par le
bas, par l’éducation, la culture, les contacts humains. « Si
la promesse est fondatrice, l’échange est vital. » Bagdad a
la chance de n’être pas une ville sainte (à profaner), un
monument (des ruines) à visiter, un tombeau à vénérer,
mais un lieu vivant où les ateliers et les échoppes comptent autant que les bibliothèques et les musées.
Les essais qui suivent touchent à tous les sujets rattachés à la culture, aux cultures : l’histoire, la religion, la
société, le langage, la littérature et les arts. Kattan les
prend à des points d’intersection précis : l’agriculture
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primitive, le romantisme européen et l’adolescence
américaine, l’amitié, le militant (révolutionnaire) et le
militaire, l’étymologie, la traduction… Sans être de pure
méditation, ni d’un type classique (français) de réflexion
morale, ses essais n’ont pas le caractère nerveux, impatient, combatif des écrits anticolonialistes et, ici, de
l’époque et du style de Parti pris. Kattan prend les choses
de plus haut, de plus loin, tout en remuant chaque
pierre, chaque grain de sable, chaque mot. Car les mots,
qui servent de ponts, sont aussi des bornes, parfois des
barrières à déplacer. Leurs « points d’ombre » ne se
changent en points d’eau qu’à condition d’être repérés et
respectés. Un pays ne doit pas devenir « une épouse »,
mais demeurer « une fiancée » : « Je ne le possède pas,
il ne me possède pas ».
Chaque lecteur a remarqué le style « sobre,
dépouillé, sans éclat » de Naïm Kattan dans tous les
genres qu’il a pratiqués. Il a « l’art de rendre sensible
l’essentiel ». Les « imposantes fresques » du Réel et le
théâtral s’accordent et composent avec de « fines arabesques ». On a parlé de son « discours arabe2 », sans
relief apparent, monotone, subtilement nuancé. L’écrivain a horreur du mélodrame, des coups de théâtre. Ses
meilleurs effets sont les faits. L’avancée de sa prose est
régulière. L’ironie y est discrète3, l’émotion contrôlée.
L’œuvre entière de Kattan, située dans l’attente, est
marquée par la désillusion, la perte. Chaque recueil de
nouvelles est en quelque sorte une traversée du désert
vers un rivage qui pourrait n’être qu’une île de sable.
Rien n’est sûr, sauf peut-être dans la nuit des bruits
lointains et très proches, au firmament des étoiles, au sol
des feux éteints.
La Parole et le lieu est rempli d’observations de type
gnomique4, axiomatique ou paradoxal, qui servent
d’amorces, de passages, de lieux de départ et d’arrivée.
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Ces propositions sont presque toujours affirmatives,
rarement interrogatives — « Qu’existe-t-il de nous ? La
personne dans son être persiste-t-elle ? » —, jamais
exclamatives ou impératives. Elles sont habituellement
indépendantes, autonomes, sans coordonnée ni subordonnée. Quant aux circonstances, c’est l’ensemble du
texte qui les alignera et les déploiera. « Ne sommesnous pas tous des marranes ? » est une affirmation. « La
langue est liberté et loi » est une phrase-titre. « Israël,
ce pays héroïque, a enchanté un monde coupable » est
situé dans le contexte historique de 1948, après l’Holocauste. Ces propositions sont d’abord des positions.
Elles énoncent des « vérités de fait » (Kant) plutôt que
des « vérités nécessaires » proclamées comme des prophéties, sur un ton comminatoire. Ce sont des jugements de réalité plutôt que de valeur, des articles de loi
plutôt que des actes de foi. « L’Islam est obéissance au
mot qui devient un ordre, une prescription pour établir
le règne de l’esprit dans l’objet. Mohammed brise l’objet et
lui substitue le mot qui est d’abord ordre et effort,
conquête de soi dans le monde5. » « L’humanité de
l’homme » n’est pas un pléonasme mais un programme.
Naïm Kattan fait plus que traduire certains noms,
mots, choses. Il les éclaire, les entoure comme des êtres
vivants. Dans l’Islam, l’homme « s’est soumis » (aslama)
à la réalité. Avon, ce n’est pas un péché (manquement
moral, culpabilité chrétienne), mais un tort concret,
réparable. Relisant la Bible, au cours de la préparation
d’une pièce sur le rapport fraternel, en l’occurrence
Jacob et Esaü, Kattan se rendit compte que ce qu’on
traduisait par « droit d’aînesse » n’était qu’« aînesse »
en hébreu :
Ce n’est donc ni un concept ni une notion juridique.
C’est un fait, une chose. Cette absence de distance
entre le mot et la chose, le concept et le concret, est
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confirmée par le mot davar qui veut dire à la fois
« mot » et « chose ».
Ailleurs, en français ou en anglais, l’auteur n’est pas
moins attentif, critique, envers le Dominion (« règne de
la force suprême ») ou l’inculture d’une certaine multiculture. « Peut-on traduire les civilisations ? » En partie.
Si on distingue et associe tous leurs signes. Que faire s’il
n’y a dans le mot djihad « ni la notion de guerre ni celle de
sacralité » ? Traduire par étude, effort dans l’interprétation du Coran ? En fait, « djihad signifie en fin de compte
guerre sainte mais on parvient à cette réalité par d’autres
voies », en l’absence de frontière entre profane et sacré.
Dans le texte de Kattan, comme en arabe et en
hébreu, peu ou pas d’adjectifs, l’existence de l’objet
étant liée à sa désignation. « Si, en arabe, on a donné
plusieurs centaines de noms au sabre, au cheval, au chameau et au lion, c’est que chaque nom désigne un état.
On ne qualifie pas un animal, on le nomme à nouveau. »
Voilà pour le réel et son rapport à l’homme par le langage.
Dans les essais, pas d’argumentation systématique, très
peu de notes et références, mais des nominations, évocations, exemples qui font surgir les questions et mettent
les idées en marche. Au lieu d’une grille conceptuelle et
d’un plan préconçu, Kattan se sert de textes générateurs
comme amorces et tremplins. Il procède ensuite par
cercles concentriques, dans une sorte de « structure spiralée6. » Le premier pas d’un texte peut être un nom, un
mot ou deux, une citation. Une courte phrase qui convoque la mémoire et l’observation, fixe le lieu mental,
donne les perspectives. Comme dans Les Mille et une
nuits, chaque essai en annonce un autre qui en est indépendant et qui ne tient qu’à un fil.
Maximilien Laroche7 note, à propos de Le Désir et le
pouvoir, que : « se fixant des points précis qu’il aborde de
manière analytique, le discours glisse fort rapidement
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d’un point à un autre, sans prendre le temps d’épuiser le
sujet ». C’est là une description de l’activité des caravanes et du rythme des méharées : arrêts aux sources, aux
oasis, palabres interrompus (ils seront repris) par
chaque nouveau départ. Les sujets traités ou abordés par
Kattan sont à la fois infinis et précis, abstraits et concrets. Sa grande référence est la Bible, unique et multiple, qui remplace la synthèse par un horizon sans cesse
renouvelé.
La Parole et le lieu croise à plusieurs reprises les
essais québécois contemporains. Des Convergences
théologiques et laïques de Jean Le Moyne aux Actes de
Fernand Ouellette sur l’art, le sacré, la violence, le langage. De l’« émigration » de Fernand Dumont à la
mémoire de Régine Robin. On pense en particulier aux
Deux Royaumes de Vadeboncœur, à la Génération lyrique
de Ricard, à Intérieurs du Nouveau Monde de Nepveu8.
Sans oublier le Montréal, y compris le Richler, de
Marcotte. Voilà quelques repères sur la carte que dessine
l’œuvre de Naïm Kattan. Il croit, comme d’autres
essayistes actuels (ou inactuels) à « la littérature comme
méthode » d’appréhender le monde, de déchiffrer la
société, de faire connaître et reconnaître à l’humanité
les fruits de son héritage.
Naïm Kattan est avant tout un lecteur. Seuls un
livre, le Livre, tous les livres peuvent être à la fois un lieu
et une parole, un objet et un sujet. La parole empêche le
lieu de s’alourdir, de s’encroûter. Le lieu empêche la
parole de se dissoudre, de se dissiper. On pense à l’Ecclésiaste, aux Proverbes, aux Nombres. Aux Essais de
Montaigne sur l’amitié, la coutume et le masque, le
voyage. On récite malgré soi Racine (Bérénice, Bajazet)
quand on lit : « Dans le désert d’Orient, la nature était
l’ennemi ». On revoit Camus à Tipasa dans le premier
texte, éponyme, de La Parole et le lieu : « Plus tard, j’ai
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connu la mer, la pluie de l’été, le printemps, la neige… »
L’auteur rencontre et raconte Malraux comme celui-ci
avait croisé (dans un café, au désert) Lawrence d’Arabie.
« Le Père de Marcel », d’abord intitulé « Le Père
effacé », est une traversée nocturne, lumineuse, de la
Recherche de Proust, de ses filiations et affiliations. Le
père des pères, Abraham, avait le premier « traversé
l’espace pour s’installer dans le temps ».
Laurent Mailhot
février 2004
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Notes
1. Cité en quatrième de couverture du Choix de Naïm
Kattan dans l’œuvre de Naïm Kattan, Charlesbourg, Les
Presses laurentiennes, 1987. Ce modeste choix de huit
textes commençait déjà par « La parole et le lieu »…
2. Nasrin Rahimieh, « Naïm Kattan, “le discours arabe”,
and his place in the Canadian literary discourse »,
Canadian Literature, hiver 1990, p. 32-38.
3. Voici l’incipit, inattendu de la part d’un haut fonctionnaire, de « La Culture et l’État » : « Dans le dialecte de
mon enfance l’on désignait les “toilettes” par le mot
Adab, qui signifie à la fois politesse et littérature ».
4. Rappelons que, selon le Talmud et les Kabbalistes, les
gnomes « président à la Terre dont ils gardent les trésors ». D’où leur génie pour les conseils pratiques, les
sentences.
5. C’est moi qui souligne ces phrases de « Mots et images
du monde ».
6. Voir ses déclarations à Jacques Allard dans le dossier
de Voix et images, XI : 1, automne 1985, p. 8, et, sous la
direction de Jacques Allard, Naïm Kattan, l’écrivain du
passage, Montréal, Hurtubise HMH, 2002.
7. Dans le Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, VII,
Fides, 2003, p. 232.
8. Voir « Terre promise et terre de promesses » sur les
paradoxes de l’Amérique insatiable et le rôle des
grands romanciers juifs. Voir aussi l’opposition entre
les pèlerins de la Nouvelle-Angleterre et l’« autre
forme de découverte » qui s’est accomplie au Brésil.

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