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Mep/La parole... Kattan 3/2/04 11:09 am Page 5 Mep/La parole... Kattan 3/2/04 11:19 am Page 311 TABLE DES MATIÈRES Préface de Laurent Mailhot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .7 Liminaire : Pourquoi écrire ? par Naïm Kattan . . . .15 I. Orient et Occident . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .29 La Parole et le lieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .31 Le Réel et le théâtral . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .49 Terre promise et terre de promesses . . . . . . . . . . . . .83 L’Autre Amérique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .97 Jeux de mots . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .109 Mots et images du monde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .123 L’Humanité de l’homme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .147 Bagdad, ville de la mémoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .155 II. Culture et société . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .161 La Culture et l’État . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .163 Peut-on traduire les civilisations ? . . . . . . . . . . . . . .173 Le Désir et le pouvoir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .179 Littérature et nation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .195 Connaissance et savoir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .201 La Différence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .209 La Langue est liberté et loi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .219 Multiculture et interculture . . . . . . . . . . . . . . . . . . .229 Mep/La parole... Kattan 3/2/04 11:19 am Page 312 312 • La Parole et le lieu III. Amitié, fraternité, paternité . . . . . . . . . . . . . .241 L’Amitié . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .243 La Paternité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .255 Le Père de Marcel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .271 Le Père du Québec . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .281 La Fraternité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .293 Bibliographie des textes choisis . . . . . . . . . . . . . . . .309 Mep/La parole... Kattan 3/2/04 11:09 am Page 7 PRÉFACE Laurent Mailhot « Il n’y a que la littérature, tout le reste est économique. » Gaston Miron, Tribune juive 1 NÉ À BAGDAD. Ces trois mots sont sur la ligne du risque, la ligne de feu, à l’aube du XXIe siècle. La biographie de Naïm Kattan s’inscrit plus que jamais dans l’histoire mise en relation avec cette ville. Bagdad a la permanence et la fragilité des grandes cités antiques, modernes : Babylone, sa voisine, Alexandrie, New York… Encerclée par le désert, le pétrole, elle s’en échappe par le haut et par le bas, par l’éducation, la culture, les contacts humains. « Si la promesse est fondatrice, l’échange est vital. » Bagdad a la chance de n’être pas une ville sainte (à profaner), un monument (des ruines) à visiter, un tombeau à vénérer, mais un lieu vivant où les ateliers et les échoppes comptent autant que les bibliothèques et les musées. Les essais qui suivent touchent à tous les sujets rattachés à la culture, aux cultures : l’histoire, la religion, la société, le langage, la littérature et les arts. Kattan les prend à des points d’intersection précis : l’agriculture Mep/La parole... Kattan 3/2/04 11:09 am Page 8 8 • La Parole et le lieu primitive, le romantisme européen et l’adolescence américaine, l’amitié, le militant (révolutionnaire) et le militaire, l’étymologie, la traduction… Sans être de pure méditation, ni d’un type classique (français) de réflexion morale, ses essais n’ont pas le caractère nerveux, impatient, combatif des écrits anticolonialistes et, ici, de l’époque et du style de Parti pris. Kattan prend les choses de plus haut, de plus loin, tout en remuant chaque pierre, chaque grain de sable, chaque mot. Car les mots, qui servent de ponts, sont aussi des bornes, parfois des barrières à déplacer. Leurs « points d’ombre » ne se changent en points d’eau qu’à condition d’être repérés et respectés. Un pays ne doit pas devenir « une épouse », mais demeurer « une fiancée » : « Je ne le possède pas, il ne me possède pas ». Chaque lecteur a remarqué le style « sobre, dépouillé, sans éclat » de Naïm Kattan dans tous les genres qu’il a pratiqués. Il a « l’art de rendre sensible l’essentiel ». Les « imposantes fresques » du Réel et le théâtral s’accordent et composent avec de « fines arabesques ». On a parlé de son « discours arabe2 », sans relief apparent, monotone, subtilement nuancé. L’écrivain a horreur du mélodrame, des coups de théâtre. Ses meilleurs effets sont les faits. L’avancée de sa prose est régulière. L’ironie y est discrète3, l’émotion contrôlée. L’œuvre entière de Kattan, située dans l’attente, est marquée par la désillusion, la perte. Chaque recueil de nouvelles est en quelque sorte une traversée du désert vers un rivage qui pourrait n’être qu’une île de sable. Rien n’est sûr, sauf peut-être dans la nuit des bruits lointains et très proches, au firmament des étoiles, au sol des feux éteints. La Parole et le lieu est rempli d’observations de type gnomique4, axiomatique ou paradoxal, qui servent d’amorces, de passages, de lieux de départ et d’arrivée. Mep/La parole... Kattan 3/2/04 11:09 am Page 9 Préface • 9 Ces propositions sont presque toujours affirmatives, rarement interrogatives — « Qu’existe-t-il de nous ? La personne dans son être persiste-t-elle ? » —, jamais exclamatives ou impératives. Elles sont habituellement indépendantes, autonomes, sans coordonnée ni subordonnée. Quant aux circonstances, c’est l’ensemble du texte qui les alignera et les déploiera. « Ne sommesnous pas tous des marranes ? » est une affirmation. « La langue est liberté et loi » est une phrase-titre. « Israël, ce pays héroïque, a enchanté un monde coupable » est situé dans le contexte historique de 1948, après l’Holocauste. Ces propositions sont d’abord des positions. Elles énoncent des « vérités de fait » (Kant) plutôt que des « vérités nécessaires » proclamées comme des prophéties, sur un ton comminatoire. Ce sont des jugements de réalité plutôt que de valeur, des articles de loi plutôt que des actes de foi. « L’Islam est obéissance au mot qui devient un ordre, une prescription pour établir le règne de l’esprit dans l’objet. Mohammed brise l’objet et lui substitue le mot qui est d’abord ordre et effort, conquête de soi dans le monde5. » « L’humanité de l’homme » n’est pas un pléonasme mais un programme. Naïm Kattan fait plus que traduire certains noms, mots, choses. Il les éclaire, les entoure comme des êtres vivants. Dans l’Islam, l’homme « s’est soumis » (aslama) à la réalité. Avon, ce n’est pas un péché (manquement moral, culpabilité chrétienne), mais un tort concret, réparable. Relisant la Bible, au cours de la préparation d’une pièce sur le rapport fraternel, en l’occurrence Jacob et Esaü, Kattan se rendit compte que ce qu’on traduisait par « droit d’aînesse » n’était qu’« aînesse » en hébreu : Ce n’est donc ni un concept ni une notion juridique. C’est un fait, une chose. Cette absence de distance entre le mot et la chose, le concept et le concret, est Mep/La parole... Kattan 3/2/04 11:09 am Page 10 10 • La Parole et le lieu confirmée par le mot davar qui veut dire à la fois « mot » et « chose ». Ailleurs, en français ou en anglais, l’auteur n’est pas moins attentif, critique, envers le Dominion (« règne de la force suprême ») ou l’inculture d’une certaine multiculture. « Peut-on traduire les civilisations ? » En partie. Si on distingue et associe tous leurs signes. Que faire s’il n’y a dans le mot djihad « ni la notion de guerre ni celle de sacralité » ? Traduire par étude, effort dans l’interprétation du Coran ? En fait, « djihad signifie en fin de compte guerre sainte mais on parvient à cette réalité par d’autres voies », en l’absence de frontière entre profane et sacré. Dans le texte de Kattan, comme en arabe et en hébreu, peu ou pas d’adjectifs, l’existence de l’objet étant liée à sa désignation. « Si, en arabe, on a donné plusieurs centaines de noms au sabre, au cheval, au chameau et au lion, c’est que chaque nom désigne un état. On ne qualifie pas un animal, on le nomme à nouveau. » Voilà pour le réel et son rapport à l’homme par le langage. Dans les essais, pas d’argumentation systématique, très peu de notes et références, mais des nominations, évocations, exemples qui font surgir les questions et mettent les idées en marche. Au lieu d’une grille conceptuelle et d’un plan préconçu, Kattan se sert de textes générateurs comme amorces et tremplins. Il procède ensuite par cercles concentriques, dans une sorte de « structure spiralée6. » Le premier pas d’un texte peut être un nom, un mot ou deux, une citation. Une courte phrase qui convoque la mémoire et l’observation, fixe le lieu mental, donne les perspectives. Comme dans Les Mille et une nuits, chaque essai en annonce un autre qui en est indépendant et qui ne tient qu’à un fil. Maximilien Laroche7 note, à propos de Le Désir et le pouvoir, que : « se fixant des points précis qu’il aborde de manière analytique, le discours glisse fort rapidement Mep/La parole... Kattan 3/2/04 11:09 am Page 11 Préface • 11 d’un point à un autre, sans prendre le temps d’épuiser le sujet ». C’est là une description de l’activité des caravanes et du rythme des méharées : arrêts aux sources, aux oasis, palabres interrompus (ils seront repris) par chaque nouveau départ. Les sujets traités ou abordés par Kattan sont à la fois infinis et précis, abstraits et concrets. Sa grande référence est la Bible, unique et multiple, qui remplace la synthèse par un horizon sans cesse renouvelé. La Parole et le lieu croise à plusieurs reprises les essais québécois contemporains. Des Convergences théologiques et laïques de Jean Le Moyne aux Actes de Fernand Ouellette sur l’art, le sacré, la violence, le langage. De l’« émigration » de Fernand Dumont à la mémoire de Régine Robin. On pense en particulier aux Deux Royaumes de Vadeboncœur, à la Génération lyrique de Ricard, à Intérieurs du Nouveau Monde de Nepveu8. Sans oublier le Montréal, y compris le Richler, de Marcotte. Voilà quelques repères sur la carte que dessine l’œuvre de Naïm Kattan. Il croit, comme d’autres essayistes actuels (ou inactuels) à « la littérature comme méthode » d’appréhender le monde, de déchiffrer la société, de faire connaître et reconnaître à l’humanité les fruits de son héritage. Naïm Kattan est avant tout un lecteur. Seuls un livre, le Livre, tous les livres peuvent être à la fois un lieu et une parole, un objet et un sujet. La parole empêche le lieu de s’alourdir, de s’encroûter. Le lieu empêche la parole de se dissoudre, de se dissiper. On pense à l’Ecclésiaste, aux Proverbes, aux Nombres. Aux Essais de Montaigne sur l’amitié, la coutume et le masque, le voyage. On récite malgré soi Racine (Bérénice, Bajazet) quand on lit : « Dans le désert d’Orient, la nature était l’ennemi ». On revoit Camus à Tipasa dans le premier texte, éponyme, de La Parole et le lieu : « Plus tard, j’ai Mep/La parole... Kattan 3/2/04 11:09 am Page 12 12 • La Parole et le lieu connu la mer, la pluie de l’été, le printemps, la neige… » L’auteur rencontre et raconte Malraux comme celui-ci avait croisé (dans un café, au désert) Lawrence d’Arabie. « Le Père de Marcel », d’abord intitulé « Le Père effacé », est une traversée nocturne, lumineuse, de la Recherche de Proust, de ses filiations et affiliations. Le père des pères, Abraham, avait le premier « traversé l’espace pour s’installer dans le temps ». Laurent Mailhot février 2004 Mep/La parole... Kattan 3/2/04 11:09 am Page 13 Préface • 13 Notes 1. Cité en quatrième de couverture du Choix de Naïm Kattan dans l’œuvre de Naïm Kattan, Charlesbourg, Les Presses laurentiennes, 1987. Ce modeste choix de huit textes commençait déjà par « La parole et le lieu »… 2. Nasrin Rahimieh, « Naïm Kattan, “le discours arabe”, and his place in the Canadian literary discourse », Canadian Literature, hiver 1990, p. 32-38. 3. Voici l’incipit, inattendu de la part d’un haut fonctionnaire, de « La Culture et l’État » : « Dans le dialecte de mon enfance l’on désignait les “toilettes” par le mot Adab, qui signifie à la fois politesse et littérature ». 4. Rappelons que, selon le Talmud et les Kabbalistes, les gnomes « président à la Terre dont ils gardent les trésors ». D’où leur génie pour les conseils pratiques, les sentences. 5. C’est moi qui souligne ces phrases de « Mots et images du monde ». 6. Voir ses déclarations à Jacques Allard dans le dossier de Voix et images, XI : 1, automne 1985, p. 8, et, sous la direction de Jacques Allard, Naïm Kattan, l’écrivain du passage, Montréal, Hurtubise HMH, 2002. 7. Dans le Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, VII, Fides, 2003, p. 232. 8. Voir « Terre promise et terre de promesses » sur les paradoxes de l’Amérique insatiable et le rôle des grands romanciers juifs. Voir aussi l’opposition entre les pèlerins de la Nouvelle-Angleterre et l’« autre forme de découverte » qui s’est accomplie au Brésil.