Le ciel ouvert... - Fraternités de Jérusalem

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Le ciel ouvert... - Fraternités de Jérusalem
Le ciel ouvert...
«À la découverte de l’Apocalypse»
avec les Fraternités de Jérusalem
et le P. Yves-Marie Blanchard
Parcours biblique été 2010
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Parcours biblique 2010
Présentation
I
P
our cet été 2010, les Fraternités de Jérusalem proposent un parcours
biblique avec un livre difficile mais passionnant : le Livre de l’Apocalypse.
Témoin privilégié des balbutiements de l’expression de la foi, charnière
entre l’Ancien et le Nouveau Testament, ultime message de la Bible... l’Apocalypse est un livre essentiel que nous ne devons pas redouter d’ouvrir et que
nous pouvons apprendre à goûter !
Pour baliser la route de cette aventure biblique estivale, nous partirons
avec un bibliste – qui est aussi patrologue – : le Père Yves-Marie Blanchard,
prêtre du diocèse de Poitiers et professeur d’exégèse et de patristique à
l’Institut Catholique de Paris. Membre du Groupe des Dombes, il a longtemps
dirigé l’Institut supérieur d’études œcuméniques à la Catho. Des compétences
variées qu’il met au service d’un goût pour l’enseignement qui ne perd jamais
de vue l’enracinement à la fois spirituel et ecclésial de la théologie.
Quelques-unes de ses publications récentes :
• Saint Jean, Paris, Les Éditions de l’Atelier, nouvelle édition enrichie,
2007, 158 pages.
• Yves-Marie Blanchard, É. Latour, F. Mirguet et B. Oiry (Eds), «Raconter, voir, croire. Parcours narratifs du quatrième évangile», Cahiers de la Revue
Biblique n° 61, Paris, Gabalda, 2005, 90 pages.
• L’Apocalypse, Paris, Éditions de l’Atelier, (coll. «La Bible tout simplement»), 2004.
Comment allons-nous procéder ?
Le parcours biblique se déroule en 8 étapes (et peut donc occuper 8
jours !). Il ne s’agit pas d’un parcours linéaire à travers le texte mais de portes
d’entrée, assorties de propositions de lectures pour chaque temps du parcours, qui permettent d’aborder le texte sans se laisser dérouter ou décourager, et peu à peu, d’en goûter la saveur si particulière... Quelques «bonus»
viendront agrémenter et compléter le parcours : articles complémentaires,
notes de vocabulaire biblique, illustrations commentées...
1. Introduction : comprendre ce qu’est une «apocalypse»
2. Au seuil du livre : visions et messages (Apocalypse 1-3)
3. Les liturgies célestes et leur relation aux situations terrestres
4. La suite des septénaires ou l’excès des malheurs terrestres
5. Les métamorphoses de l’agneau, ou la royauté du Christ ressuscité
6. Au-delà de tout dualisme, la victoire assurée de Dieu
7. Splendeurs et misères de Rome, ou la chute attendue
8. Conclusion du parcours : la Jérusalem céleste
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Parcours biblique 2010
Présentation
II
Chaque étape (ou journée) du parcours se décompose en 5 temps :
1
2
3
4
5
Fraternités de Jérusalem Découvrir
C’est une présentation par le P. Yves-Marie Blanchard de la section ou
du thème de l’étape. Les termes les plus importants ou difficiles sont commentés dans des encadrés dans la marge. Ce texte vous donne les clés qui
vous permettent ensuite d’attaquer la lecture du texte proprement dit.
Lire
C’est le ou les passage(s) biblique(s) proposés à la lecture du jour : selon le thème de l’étape, il peut s’agir d’une lecture suivie ou bien de plusieurs
passages sélectionnés pour illustrer le thème.
Prier
Aussitôt la lecture (voire la relecture !) biblique achevée, nous vous
proposons une courte prière qui comprend une invocation à l’Esprit Saint
pour que la fréquentation de la Parole de Dieu devienne savoureuse et porte
du fruit.
Méditer
Un texte vous est ensuite proposé (contemporain ou bien des Pères de
l’Église) pour prolonger votre méditation.
Contempler
Pour finir, un coup d’œil sur un détail du Commentaire de l’Apocalypse
par le moine Beatus (manuscrit de Madrid, Xe siècle).
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Parcours biblique 2010
Introduction
1
Découvrir
Des clés pour comprendre...
A
vant d’ouvrir le livre, il faut au moins préciser trois éléments
nécessaires à sa compréhension ou, du moins, à éviter les
contre-sens...
Apocalypse signifie
littéralement «dévoilement»,
un terme à rapprocher de
celui de révélation. L’objet du
livre est de révéler, c’est-à-dire
de mettre en lumière, le mystère du Christ.
Un genre littéraire
est un ensemble de caractéristiques de fond et de forme
qui forme une unité reconnaissable et permet au lecteur de
juger du statut d’un texte. La
Bible connaît un grand nombre
de genres littéraires différents.
Les reconnaître permet de lire
le texte avec les «bonnes lunettes» et donc de l’interpréter
de manière juste...
1. L’Apocalypse de Jean est un livre singulier, tant par le caractère déroutant de son expression littéraire que par sa position
remarquable : en conclusion de la Bible entière. Une lecture avertie est d’autant plus nécessaire que le mot «apocalypse*» est
aujourd’hui galvaudé, avec une signification commune sans rapport
avec la théologie biblique. En outre, l’autorité de l’Apocalypse johannique est régulièrement invoquée pour justifier des modes de
représentation et systèmes sectaires particulièrement dangereux.
Enfin, de façon positive, l’Apocalypse est très appréciée des artistes
qui, de tous temps, se sont essayés à mettre le texte en images. Les
chrétiens ne sauraient donc ni l’ignorer ni la sous-estimer.
2. L’Apocalypse de Jean est incompréhensible indépendamment de son genre littéraire* (l’apocalyptique), très répandu
dans le judaïsme «intertestamentaire» – c’est-à-dire, pour faire simple, du Ier siècle avant ou du Ier siècle après J-C – et adapté à des
situations de crise mettant en question l’identité du peuple élu, qu’il
s’agisse de persécutions violentes ou, plus subtilement, d’assimilation douce du fait d’une société païenne omniprésente. De fait, le
livre de Daniel (milieu du IIe siècle av. J-C) constitue la première
grande apocalypse juive, mais on trouve beaucoup de fragments
chez les prophètes (à commencer par Ézéchiel), ainsi que dans les
évangiles, voire les épîtres. L’Apocalypse de Jean est contemporaine
de plusieurs apocalypses juives de la toute fin du 1er siècle ap. J-C
(4ème Esdras, Apocalypse syriaque de Baruch), à une époque de raidissement idéologique de la part de la société romaine.
3. Les règles du genre apocalyptique sont au moins doubles.
Elles concernent à la fois l’espace et le temps.
- a) L’espace cosmique, traditionnellement réparti entre ciel
et terre, conçus comme deux «mondes» hermétiquement clos, se
trouve perturbé du fait de l’ouverture d’une brèche dans la voûte
céleste. Dans le meilleur des cas, cette transgression a une valeur
positive et constitue un événement de révélation (en grec : apocalypse), soit par «descente» d’un être d’en haut, soit par «montée»
d’un être d’en bas. L’auteur et le lecteur se trouvent dès lors munis
de clés d’interprétation «célestes» permettant de juger des événements terrestres, déroutants ou dramatiques, selon le point de vue
de Dieu.
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Introduction
L’eschatologie est,
littéralement, la science des
choses de la fin. Le mot grec
«eskata», fin des temps, désigne la victoire du Christ sur
la mort et, d’une certaine façon, le terme et l’accomplissement de l’Histoire. En théologie on parle d’eschatologie et
en langage biblique de la fin
des temps. L’eschato-logie est
donc l’étude des fins dernières
de l’homme et du monde, de
la résurrection, du jugement
dernier.
Le prophète est
d’abord celui qui reçoit la Parole de Dieu. La triple étymologie
dont il est ici question renvoie à
diverses interprétations du préfixe «pro». Il donne à la fois à
comprendre que la parole est
prononcée 1. au nom de Dieu,
2. face au peuple, 3. avant qu’il
ne soit trop tard (et non avant
l’événement lui-même, comme
dans le cas d’une prédiction).
2
- b) Le temps historique se trouve lui-même doublement dilaté : d’abord du côté de l’avenir (selon le procédé pseudépigraphique donnant la parole à des hommes du passé, censés parler à
propos du présent au futur) jusqu’à envisager la fin de toutes choses
(eschatologie*) ; ensuite par retour sur le passé, y compris les
récits d’origine relevant de temps mythiques (antédiluviens), tenus
pour exemplaires de vérités universelles. Un personnage comme
Énoch (monté au ciel, avant le déluge) possède la double qualification (spatiale et temporelle) et constitue un vecteur traditionnel
des révélations apocalyptiques.
4. La visée des apocalypses n’est donc ni de prédire l’avenir,
ni de reconstituer le passé, mais bien plutôt d’adresser au lecteur un
message visant l’urgence du présent. Il s’agit le plus souvent d’inviter
à la «résistance» spirituelle face aux pressions sociales fortes, à la
lumière d’une double conviction : Dieu a déjà maintes fois manifesté
sa fidélité (exemple : le retour d’exil) et il n’y a pas lieu de douter de
son soutien ; Dieu aura de toutes façons le dernier mot de l’histoire,
si bien que l’espérance constitue la première force des communautés, juives ou chrétiennes, confrontées au paganisme triomphant et
tentées de douter de tout, au sein d’un monde par ailleurs accablé
de souffrances multiples (catastrophes naturelles et malheurs sociaux, complaisamment décrits dans l’Apocalypse johannique).
5. L’erreur serait de reporter sur le futur (principalement la
fin du monde) un message au présent, énoncé au nom de Dieu, en
face du peuple et avant qu’il ne soit trop tard, selon la triple étymologie du mot «pro-phète*». À plusieurs reprises, l’Apocalypse de
Jean déclare le statut prophétique de la parole mise en images, et
désigne son propre enracinement historique, notamment au travers
des messages à sept Églises d’Asie Mineure (chap. 2 et 3), qui retardent d’autant le démarrage du scénario proprement apocalyptique
(ouverture du ciel : 4,1-2).
Lire
P
our cette première étape introductive de notre parcours, il n’y
a pas encore de passage de l’Apocalypse à lire aujourd’hui...
On commence demain !
Prier
S
eigneur, notre Dieu, Père des lumières, envoie sur moi ton
Esprit Saint, afin que je puisse rencontrer ton Fils Jésus Christ
dans cette Parole qui vient de toi. Tu es le Dieu qui est, qui
était et qui vient et tu veux remplir mon histoire de ta présence
aimante et glorieuse. Pour que je sache discerner la promesse de
ton Royaume et m’y ouvrir pleinement, Seigneur, envoie-moi ton
Esprit de Vérité. Amen.
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Introduction
3
Méditer
L’attente de l’accomplissement
Q
u’est-ce que l’Apocalypse ? Un chant de catastrophe ? Pas du
tout : un poème de triomphe, l’affirmation de la victoire finale
des justes et le chant délirant du règne final de la plénitude.
Si elle évoque en formules impressionnantes la colère de Dieu, elle
n’en souligne pas moins sa tendresse, sa patience, et elle parle à
plusieurs reprises de la quantité innombrable des élus. En poussant
à peine au paradoxe, on pourrait dire que pour le chrétien, seul moderne qui propose la fin du monde comme assurée, il n’y a pas de
fin du monde. La fin du monde est la fin de ce monde, c’est-à-dire,
somme toute, la fin de notre misère.
Le royaume de Dieu approche ! Soyons-en dignes dès maintenant. Bien mieux, devançons-le. On voit que la véritable espérance
chrétienne n’est pas évasion. L’espoir de l’au-delà éveille immédiatement la volonté d’organiser l’en deçà.Toutes les paraboles de l’Écriture, celle des vierges folles et des vierges sages, celle de l’invité
aux noces qui n’a pas revêtu la tunique nuptiale, celle des talents
et bien d’autres encore, convergent sur ce thème : l’au-delà est dès
maintenant parmi vous, par vous, ou il ne sera pas pour vous. Ainsi
pour le chrétien apocalyptique, l’idée de la fin des temps n’est pas
l’idée d’un anéantissement, mais l’attente d’une continuité et d’un
accomplissement.
Emmanuel Mounier
Contempler
L
es images qui accompagnent notre lecture de l’Apocalypse sont
extraites d’un manuscrit médiéval daté du Xe siècle, conservé
à la Bibliothèque nationale de Madrid. Ce manuscrit reprend
en l’illustrant le célèbre commentaire de l’Apocalypse dû au moine
Beatus, qui vécut au monastère Santo Torribio dans la deuxième
moitié du VIIIe siècle. Beatus s’efforce, à travers l’Écriture, de mieux
comprendre son temps. L’Espagne, qui vient de voir le terme du
règne wisigothique, est déchirée par des hérésies qui menacent la
vraie foi. Beatus voit dans cette contemplation lumineuse du Fils
de l’homme venant sur les nuées, l’occasion de se convertir. «Nous
verrons donc Dieu si nous nous convertissons, écrit-il en exergue de
son commentaire. Aussi c’est une méthode de contemplation que nous
imaginons».
Au Xe siècle, c’est un scribe du nom de Facundus, qui, après
d’autres scribes ou copistes, se donne à son tour pour tâche d’illustrer le Commentaire de Beatus. Il produit une œuvre d’une grande
qualité et d’une rare luminosité. On la dit réalisée dans le scriptorium de León, la capitale du royaume des Asturies au nord de
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Introduction
4
l’Espagne et destinée au roi Ferdinand Ier d’Aragon en personne. De
nombreuses influences artistiques y sont repérables : carolingienne
(avec les décors d’entrelacs qui encadrent chaque miniature), byzantine (l’ordonnancement des processions et la majesté des personnages divins, toujours plus grands que les autres), musulmane enfin
(comme en témoignent les représentations architecturales aux arcs
outrepassés).
Le manuscrit mesure 360mm sur 280mm et contient 98 miniatures dont un grand nombre occupe une pleine page. Les bandes
monochromatiques se retrouvent partout et rythment le manuscrit.
Les personnages viennent s’y superposer, revêtus de couleurs souvent très vives. On remarquera en particulier la magnificence des
ailes des anges, immenses et sortant parfois du cadre normalement
imparti au dessin. L’image fait partie intégrante du message du manuscrit : elle donne à chaque scène la plénitude de son sens et sollicite l’imagination plus efficacement que ne le ferait le texte seul.
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Au seuil du livre
5
Découvrir
Au seuil du Livre : visions et messages...
L
es trois chapitres qui précèdent le lancement du scénario proprement apocalyptique (ascension du voyant et ouverture de
la voûte céleste : 4,1-2) précisent les conditions du «pacte de
communication» et fournissent des clés de lecture pour l’ensemble
du livre.
Témoin : C’est un terme
important dans le vocabulaire biblique. L’arche elle-même était
dite «Arche du témoignage» dans
l’Ancien Testament (cf. Exode
25,22 ; 30,6.26 ; 31,7 ; 39,35 ;
40,3.5.21 ; Nombres 4,5 ; 7,89 ;
Josué 4,16). Dans le Nouveau
Testament, et particulièrement
dans les écrits johanniques, Jésus
est désigné comme le témoin par
excellence, celui qui «rend témoignage à la vérité» (Jean 18,37)
et mérite d’être appelé le «témoin fidèle» (Apocalypse 1,5).
«Témoin» traduit le mot grec
«martyr» : c’est cette réalité que
vit Jésus dans sa Passion et c’est à
sa suite que marchent tous ceux
qui lui rendent témoignage.
Une théophanie est
une manifestation divine. Dieu se
montre, comme le dit l’étymologie
de ce terme. Il faut privilégier le
lien avec l’idée de révélation plutôt
qu’avec celle d’apparition. Dieu se
révèle et le prophète traduit cette
révéléation dans les catégories visuelles qui lui paraissent être les
plus à même de pouvoir traduire
ce qu’il reçoit.
Fraternités de Jérusalem 1. L’introduction générale (1,1-3) énonce la chaîne des locuteurs : depuis Jésus lui-même, à la fois sujet (témoin*) et objet
d’une révélation reçue de Dieu en personne, jusqu’au lecteur à voix
haute, appelant la communauté à une écoute qui ouvre sur une pratique, sans oublier les intermédiaires que sont l’ange et le prophète
serviteur, sans doute membre d’un collège. Or, la fonction propre
du prophète Jean est de traduire en vision une parole divine qui,
mise par écrit, retrouvera, à travers la lecture communautaire, son
plein statut de parole. Ainsi le genre apocalyptique est-il bien une
variante de la prophétie : sa source et sa finalité sont les mêmes ;
la différence tient au mode d’expression privilégiant l’image. Quant
à l’horizon temporel, il s’exprime d’abord au futur proche, comme
dans le cas de la prophétie, l’objectif étant la conversion des lecteurs-auditeurs.
2. L’adresse (1,4-8) précise les partenaires de cet échange :
d’une part, Dieu lui-même, dans la plénitude de son être (conjonction des temps ; perfection des Esprits ; royauté suprême et absolue)
et, en quelque sorte, inséparable de Jésus Christ, lui-même revêtu
de la symbolique divine, en même temps que Rédempteur et Sauveur, comme l’atteste la référence explicite au mystère de la Croix
(1,5) ; d’autre part, un groupe de sept Églises d’Asie Mineure, dont
la réalité concrète manifeste l’enracinement historique du livre, sans
oublier la dimension symbolique d’une totalité accomplie mais non
exclusive (valeur du nombre sept). De fait, la déclaration finale (verset 8), imputée à Dieu lui-même, convient également à Jésus Christ
tant est forte l’unité des deux figures, cependant distinguées (il s’agit
encore ici d’une christologie élémentaire, qui s’exprime dans des
catégories concrètes, imagées, et non pas abstraites).
3. La vision inaugurale à Patmos (1,9-20) rappelle le contexte
historique large (persécution de Néron et/ou Domitien) et désigne
le contexte proche, à savoir l’assemblée dominicale, vécue comme
le lieu même d’une expérience «pascale» susceptible de dynamiser
la communauté en situation précaire, en lui insufflant l’énergie spirituelle nécessaire pour affronter l’épreuve (quelle que soit la nature
de l’épreuve encourue). Surtout, elle revêt la forme d’une théophanie* (ou christophanie) manifestant la gloire divine du Ressushttp://jerusalem.cef.fr | © FMJ2010
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Au seuil du livre
Au début de l’histoire du
christianisme, l’Église est à la fois
judéo-chrétienne, c’est-àdire formée de juifs devenus chrétiens, et pagano-chétienne,
c’est-à-dire rassemblant aussi
des chrétiens venus du monde
païen. Ces deux provenances ont
tendance à former des ensembles distincts dans l’Église : les
divergences culturelles tendant à
se transposer au plan rituel (ex. :
la circoncision, le type de nourriture...).
Les Nicolaïtes sont des
chrétiens à la foi quelque peu
mêlée de considérations gnostiques. Pour les gnostiques, le
salut réside non dans l’accueil de
l’œuvre de rédemption accomplie en Christ mais dans la parfaite connaissance de Dieu, celle-ci
étant réservée à un petit nombre
d’élus.
Jézabel est une reine
impie. Femme d’Achab, roi de Samarie, elle a organisé le meurtre
de Nabot dans le seul but de le dépuiller de sa vigne pour la remettre
à son mari Achab (cf. 1 Rois 21).
Bien que celle de Ap 2,20 soit probablement une prophétese nicolaïte, son nom est cité en référence
à l’antique et triste exemple...
6
cité, en situation de juge suprême (personnage du Fils de l’homme),
identifié à la Parole divine en elle-même, et de ce fait indissociable
des Églises, non seulement dans leur figure céleste (les sept étoiles)
mais également dans leur réalité terrestre (les sept chandeliers).
4. Les messages aux sept Églises, évoquées en cercle à partir
d’Éphèse, (chapitres 2-3) s’inscrivent dans la tradition prophétique.
L’énonciateur est le Christ lui-même dans sa gloire pascale. La description des situations locales évoque aussi bien les points positifs
(dont le martyre d’Antipas de Pergame) que les défaillances (telle la
tiédeur de Laodicée), notamment du fait de dérives judéo-chrétiennes (plutôt que strictement juives : Smyrne et Philadelphie)
ou à l’inverse pagano-chrétiennes (les Nicolaïtes d’Éphèse
et de Pergame, ainsi que la «Jézabel» de Thyatire), ultérieurement
perçues comme pré-gnostiques (cf. Irénée). À chaque fois, l’appel à la conversion se fait insistant, mais débouche sur autant de
promesses d’un salut dont la plénitude accomplira une somme de
figures bibliques : l’Arbre de vie au paradis, la Couronne de vie, la
Manne cachée (et le mystérieux caillou blanc), l’Étoile du matin, le
Vêtement blanc et le Livre de vie, le Temple et la Cité, enfin le Trône
(avec une discrète allusion au repas eucharistique).
Ainsi les sept messages ont-ils pour effet de «récapituler»
l’ensemble des Écritures, tout en préfigurant leur accomplissement
au terme du livre, sans quitter le terrain concret de l’histoire (sept
Églises réelles), ni cesser de désigner le mystère pascal du Christ
mort-ressuscité comme la Clé de lecture, tant du livre entier (la
Bible) que de l’histoire humaine en sa totalité.
Lire
Apocalypse 1-3
Aujourd’hui nous vous invitons à lire les trois premiers chapitres du Livre de l’Apocalypse.
Pour aller plus loin, voici quelques textes à consulter pour
approfondir les expressions suivantes :
«Arbre de vie»
•< Genèse 2,9-3,24
•< Apocalypse 22,12-19
•< Proverbes 3,1-18
«Couronne de vie»
•< Jacques 1,12
«Manne»
•<
•<
•<
•<
Fraternités de Jérusalem Exode 13,1-36
Deutéronome 8,2-5
Néhémie 9,15-23
Jean 6,26-35
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Au seuil du livre
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Prier
S
eigneur, notre Dieu, le temps est proche où tu viens dévoiler
ton visage d’amour et de lumière ; envoie sur moi ton Esprit
Saint, afin que je puisse rencontrer ton Fils Jésus Christ dans
cette Parole qui vient de toi. Toi le Père du «Premier-né d’entre les
morts», lui le «Maître de tout», accorde-nous de n’être pas trouvés
tièdes au jour de sa manifestation. Que ton Esprit me fasse agir et
grandir dans la foi en œuvre de salut. Amen.
Méditer
La maison de Dieu qui est l’Église
D
ans les sept Églises auxquelles saint Jean écrivit en Asie, on
entend l’unique Église catholique, en raison de l’esprit septiforme de la grâce. Quant il parle de «témoin fidèle», il s’agit du
Christ qui a rendu témoignage sous Ponce Pilate. «Il a fait de nous,
dit-il, un royaume et des prêtres pour Dieu» : par «prêtres pour Dieu»,
il entend l’Église tout entière, comme le dit saint Pierre : «Vous êtes
une race élue, un sacerdoce royal» (1 P 2,9). Soit le Fils de l’homme,
soit les sept chandeliers, soit les sept étoiles signifient l’Église avec
sa tête, le Christ (…) En disant : «Il avait sept étoiles dans sa main
droite», il voulu que l’on comprenne l’Église, car dans la droite du
Christ est l’Église spirituelle, à laquelle, placée à sa droite, il dit :
«Venez les bénis de mon Père» et le reste (Mt 25,34s). Donc les sept
étoiles, c’est l’Église : nous avons dit en effet que l’Esprit aux sept
dons lui a été donné par le Père, comme Pierre le dit aux juifs au
sujet du Christ : «Exalté par la droite de Dieu, il a répandu l’Esprit qu’il
avait reçu du Père» (Ac 2,33). C’est pourquoi il ne dit pas que les
sept Églises qu’il appelle par leurs noms, sont les seules Églises ; mais
ce qu’il dit à l’une, il le dit à toutes. Ainsi donc, soit en Asie soit sur
toute la terre, les sept Églises sont toutes les Églises, et il y a une
seule catholique, comme il dit à Timothée : «Voilà comment tu dois
te comporter dans la maison de Dieu qui est l’Église du Dieu vivant»
(1 Tm 3,15). (…)
«Au vainqueur je donnerai à manger de la manne cachée», c’està-dire du pain qui descend du ciel. Sa figure a été la manne dans le
désert et, comme dit le Seigneur, beaucoup de ceux qui ont mangé
«sont morts» (Jn 6,49.58). Mais maintenant quiconque mange indignement «mange son propre jugement» (1 Co 11,29). Ce même pain
est aussi l’arbre de vie. Nous pouvons par la manne entendre aussi
l’immortalité. «Et je lui donnerai un caillou blanc», c’est-à-dire un corps
tout blanc par le baptême. «Et sur le caillou un nom nouveau est écrit»,
c’est-à-dire la connaissance du Fils de l’homme. «Que personne ne
connaît sinon celui qui le reçoit», bien entendu par révélation.
Saint Césaire, évêque d’Arles au VIe siècle
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Au seuil du livre
8
Contempler
C
ette image illustre la profession de foi de Jean qu’il adresse
«aux sept églises qui sont en Asie». Sa composition proche de
l’iconographie traditionnelle de l’Ascension peut surprendre.
En réalité, elle indique avec clarté que le Christ qui va venir – et qui
vient déjà – dans la gloire est bien le même que celui que les apôtres ont rencontré et suivi sur les Routes de Galilée jusqu’à ce qu’il
disparaisse à leurs regards, au jour où il fut enlevé aux cieux.
Le Christ
en majesté, entouré de quatre
anges, brandit le
Livre des Écritures qui est aussi
le Livre de Vie.
Vêtu du rouge
de sa Passion, il
porte une étole
noire en signe du
sacrifice qu’il a
lui-même accompli en sa propre
chair et est enveloppé d’une nuée
obscure.
La sphère
céleste, le monde
de Dieu, est clairement
séparé
du monde des
apôtres par une
bande d’un jaune
très vif : les deux
univers sont nettement distingués
mais une figure
majestueuse les
rassemble : celle
du Christ glorieux dont on
ne sait dire s’il
monte ou s’il descend (ou bien les deux ?). On retrouve en écho la
parole de Jésus adressée à Nathanaël au début de l’évangile de Jean :
«Vous verrez les cieux ouverts et les anges de Dieu monter et descendre
au-dessus du Fils de l’homme» (Jean 1,51).
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Entre terre et ciel
9
Découvrir
Les liturgies célestes et leur relation aux situations terrestres
Aujourd’hui, zoom sur une des dimensions importantes du
Livre de l’Apocalypse : la liturgie, ce temps que l’homme prend
pour célébrer la grandeur de Dieu et recevoir de lui la bénédiction.
L’Apocalypse est presque entièrement une grande liturgie : quelles
leçons en tirer ? S’agit-il d’une fenêtre ouverte sur les liturgies du
ciel, entrevues par le prophète, ou bien d’une projection des liturgies contemporaines de la rédaction du Livre ? Ouvrons le livre...
Le titre d’Agneau –
que l’Apocalypse applique au
Christ – a une longue histoire
biblique. Dans l’Ancien Testament,
l’agneau évoque essentiellement
la victime sacrificielle : celle qui
est offert pour célébrer la Pâque (Exode 12) ou celle qui est
conduite à l’abattoir pour y être
immolée en portant le poids des
fautes du peuple pour l’en racheter (Isaïe 53). Le thème est repris
par la théologie johannique, dans
l’évangile d’abord où Jean désigne
Jésus comme «l’agneau de Dieu
qui enlève le péché du monde»
(Jean 1,29), puis dans l’Apocalypse. Le caractère messianique
de ce titre est donc propre au
Nouveau Testament qui reconnaît
dans Jésus la victime offerte en sacrifice pour le salut de tous. Mais
l’Agneau de l’Apocalypse n’est ni
d’abord douloureux ni perdant,
c’est un Agneau vainqueur, sur qui
repose la puissance divine.
Fraternités de Jérusalem 1. Les liturgies célestes ont pour effet de placer la souveraineté de Dieu au cœur du scénario apocalyptique, c’est-à-dire de
faire de celle-ci la clé de lecture de l’ensemble de l’histoire. Ces
représentations grandioses s’inscrivent dans la tradition de l’Ancien Testament. On y retrouve le symbolisme royal avec le trône
et l’entourage d’une cour céleste (un divin conseil de 24 anciens :
Ap 4,2.4), mais aussi la dimension cosmique (mise en scène des
grandes théophanies, avec les images de l’orage : 4,5) et les images traditionnelles de la transcendance divine (lumière, blancheur,
pierres précieuses : 4,3). Certains traits sont empruntés au dispositif rituel du Temple de Jérusalem (le grand bassin, appelé «mer de
cristal» ; les sept lampes : 4,5-6). D’autres éléments sont issus des
apocalypses juives antérieures, surtout Ézéchiel : figures des quatre
Vivants, symbolisant l’universalité de la royauté divine (4,6-8), ou encore évocation des sept Esprits, suggérant l’infinie sagesse de Dieu
(4,5). Les mêmes éléments se retrouvent, avec quelques variantes
dans les autres scènes de liturgies célestes, aux chapitres 7, 15, 19.
2. Les liturgies célestes accordent une place centrale au
Christ, en accord avec l’adresse initiale (1,4-8) et la vision inaugurale
de Patmos (1,10-20).
• Au chapitre 5, il est intronisé comme le Messie vainqueur
(5,5) seul habilité à recevoir et ouvrir le livre des secrets divins
(5,6‑7). Il affirme de ce fait son caractère divin (5,6) et fait l’objet
d’un véritable culte (5,8.14).
• Au chapitre 7, il est étroitement associé au trône divin
(7,9‑10) et exerce concrètement la royauté messianique sur la foule
des élus issus de toutes les nations (7,17).
• Au chapitre 15, le Christ, toujours représenté sous la figure royale de l’Agneau*, est célébré (15,3) par les vainqueurs du
combat eschatologique, lui-même inauguré par une sorte de liturgie
guerrière en l’honneur de l’Agneau (14,1-5).
• Enfin, au chapitre 19, la chute de Babylone est célébrée au
ciel, dans une liturgie de louange, adressée à Dieu (19,1-4) comme
un prologue au rituel des noces de l’Agneau (19,5-9).
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Parcours biblique 2010
Entre terre et ciel
10
3. Les liturgies célestes ne sont pas fermées sur elles-mêmes. Elles intègrent une succession d’acclamations et d’hymnes qui
proviennent manifestement des liturgies terrestres, pratiquées par
la communauté chrétienne, elle-même héritière de la piété juive,
avec ses formulations caractéristiques, dont certaines sont conservées en langue hébraïque (Amen, Alléluia). Cette série de fragments
hymniques ou «cantiques» (4,8 ; 4,11 ; 5,9-10 ; 5,12 ; 5,13 ; 7,12 ;
15,3-4 ; 19,6-7) est non seulement une trace des plus anciennes
liturgies chrétiennes, mais elle constitue un trésor toujours vivant
dans l’Église, notamment à travers la Liturgie des Heures.
4. Le statut des liturgies célestes de l’Apocalypse est donc
«mixte», à l’instar de tout le livre. Quoique situées au ciel, elles sont
le reflet des liturgies chrétiennes de la terre, à la fois centrées sur le
Christ ressuscité et nourries de la piété juive ancienne à travers la
persistance de nombreux motifs issus de l’Ancien Testament. Elles
sont aussi le modèle d’un univers appelé à trouver en Dieu unité
et harmonie (thème de la «récapitulation», tiré d’Éphésiens 1,10
et développé entre autres par Irénée de Lyon), par la médiation
de l’Église, non plus seulement comme institution terrestre mais
comme figure eschatologique – qui doit advenir – de l’humanité
réconciliée en elle-même et rassemblée au cœur de Dieu.
Lire
Apocalypse 4-5
Les chapitres 4 et 5 nous offriront aujourd’hui de quoi découvrir le style coloré et chargé de symboles des liturgies célestes
décrites par le Livre de l’Apocalypse.
Pour aller plus loin, voici quelques textes à consulter pour
approfondir les expressions suivantes :
«Les Quatre Vivants»
Ces images étonnantes, issues de l’apocalyptique vétérotestamentaire, représentent les 4 anges qui président au gouvernement du monde. Elles ont été reprises par la tradition chrétienne
pour désigner les 4 évangélistes.
•< Ézéchiel 1,1-25
«Le Trône»
Il désigne la présence, voire l’être même de Dieu.
•< Isaïe 6,1-4
•< Ézéchiel 1,26-28
«Le livre»
C’est le signe de la parole divine adressée à l’homme mais
que celui-ci n’est plus capable de recevoir ni de comprendre.
•< Ézéchiel 2,1-10 ; 3,1-15
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Parcours biblique 2010
Entre terre et ciel
11
Prier
S
eigneur, notre Dieu, tu es le Dieu qui parle à l’homme. Sois
béni d’avoir donné à l’homme de pouvoir te louer en joignant
sa voix à celle des anges qui sans cesse chantent ta gloire.
Envoie encore une fois sur moi ton Esprit Saint, afin que je puisse
rencontrer ton Fils Jésus Christ dans cette Parole qui vient de toi.
Que je sache discerner ton œuvre de salut dans le monde et t’en
rendre grâces en tout temps. Amen.
Méditer
Le Christ, maître de chœur de la liturgie céleste
D
ans la vie éternelle, nous contemplerons avec les yeux de
l’intelligence la Gloire de Dieu, de tous les anges et de tous
les saints, en toutes manières que nous voudrons. Mais au
dernier jour, au jugement de Dieu, lorsque nous ressusciterons avec
nos corps glorieux par la puissance de notre Seigneur, ces corps
seront resplendissants comme la neige, plus brillants que le soleil,
transparents comme le cristal. Le Christ, notre chantre et maître
de chœur, chantera de sa voix triomphale et douce, un cantique
éternel, louange et honneur à son Père céleste. Tous, nous chanterons ce même cantique d’un esprit joyeux et d’une voix claire,
éternellement et sans fin. La gloire de notre âme et son bonheur
rejailliront sur nos sens et nos membres ; nous nous contemplerons
mutuellement de nos yeux glorifiés. Alors, nous entendrons, nous
dirons, nous chanterons la louange de notre Seigneur avec des voix
sans défaillance. Le Christ nous servira ; il nous montrera son visage
resplendissant et son corps glorieux portant les marques de la fidélité et de l’amour. Ravis hors de nous-mêmes dans la gloire de Dieu,
qui est infinie, sans mesure, nous jouirons avec lui éternellement et
sans fin.
Le Christ, dans sa nature humaine, mènera le chœur de droite, car il est ce que Dieu a fait de plus élevé et de plus sublime : à
ce chœur appartiennent tous ceux en qui il est vit, tous ceux qui
vivent en lui. L’autre chœur est celui des anges ; mais, bien qu’ils
soient plus nobles en nature, nous avons été dotés d’une façon plus
sublime en Jésus-Christ avec qui nous sommes un. Lui-même sera
le Pontife suprême au milieu du chœur des anges et des hommes
devant le trône de la souveraine majesté de Dieu. Et il offrira et il
renouvellera devant son Père céleste, le Dieu tout-puissant, toutes
les offrandes qui furent jamais présentées par les anges et par les
hommes ; sans cesse elles seront renouvelées et elles demeureront
fixées dans la gloire de Dieu.
Ruysbroek l’Admirable, au XIVe siècle
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Parcours biblique 2010
Entre terre et ciel
12
Contempler
L
e cercle entouré de 24 étoiles blanches dans lequel s’inscrit
cette représentation des Quatre Vivants et de l’Agneau vise à
évoquer la voûte céleste, au centre de laquelle trône l’Agneau, à
l’intérieur d’un médaillon rouge sang. Deux objets l’accompagnent :
la croix qu’il brandit non comme un instrument de torture, mais
comme le trophée de sa victoire, et un coffret doré qui rappelle
l’arche d’alliance.
Les Quatre Vivants qui entourent l’Agneau reprennent des
figures familières au judaïsme ancien : il s’agit de désigner la cour
majestueuse qui entoure le Seigneur des mondes, lui qui domine sur
tout l’univers, animaux y compris.
Les 24 vieillards ne sont que représentés par les 12 personnages qui ont réussi à se trouver une petite place entre les vivants :
3 par 3, ils chantent, au son de la harpe ou de la cithare, ou encore
prosternés de tout leur long, la louange du Dieu trois fois saint, dont
la présence est clairement signifiée par le trône qui domine tout le
dessin. Le Fils de l’Homme y siège, tenant à la main le livre scellé que
lui seul est apte à ouvrir et à déchiffrer.
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Parcours biblique 2010
Le 7 symbolique
13
Découvrir
La suite des septénaires ou l’excès des malheurs terrestres
Procédé à la fois rhétorique et symbolique, le septénaire est peutêtre l’une des particularités les plus étonnantes et les plus déroutantes du Livre de l’Apocalypse. Pour nous familiariser quelque peu
avec elle et en découvrir le sens, ouvrons le livre...
Dans la langue biblique,
la blancheur est le signe de la
sainteté, voire de la divinité. L’ancien qui s’assied sur le trône de la
vision de Daniel 7 porte un «vêtement, blanc comme la neige»,
tout comme apparaît le vêtement
du Christ transfiguré sur le mont
Thabor : «d’une telle blancheur
qu’aucun foulon sur terre ne peut
blanchir de la sorte» (Marc 9,3).
Dans l’Apocalypse, le blanc est
la couleur du caillou que reçoit
le vainqueur (2,17), des vêtements des vainqueurs (3,5), des
24 vieillards (4,4) ou des martyrs (7,13), et même du «Trône»
(20,11).
Les plaies d’Égypte
sont les catastrophes dont l’Égypte fut frappée lorsque le Pharaon
refusa de laisser partir Israël.
L’Écriture les présente comme le
châtiment envoyé par Dieu pour
punir Pharaon de son endurcissement en même temps que l’occasion de se convertir pour que
cessent les fléaux, mais Pharaon
ne se laisse pas fléchir... (cf. Exode
7,14 à 12,41 et la relecture postérieure en Sagesse 11,14-20 et
16 à 19)
Fraternités de Jérusalem 1. Le symbolisme du nombre 7 est présent tout au long du
livre de l’Apocalypse. Il désigne aussi bien la totalité des Églises (1,4),
symbolisées par les sept étoiles (1,16.20) et les sept candélabres
(1,12.20), que la perfection de la sagesse divine (les sept Esprits de
Dieu : 1,4 ; 5,6) ou encore la somme des secrets et desseins de Dieu
inscrits dans le livre aux sept sceaux (5,1). Il constitue un principe
de composition par enchaînement : des sept sceaux aux sept trompettes, dont découlent les sept fléaux et les sept coupes.
2. Le septénaire des sceaux s’ouvre par le défilé de quatre
chevaux aux couleurs contrastées (chapitre 6). Si trois d’entre eux
évoquent sans hésitation les grandes catastrophes sociales que
constituent la guerre (cheval rouge), la crise économique (cheval
noir) et l’épidémie (cheval vert), en revanche le premier cheval paraît
ambigu : associé aux trois autres, il semble doté du même pouvoir de
destruction, mais sa couleur blanche* évoque la lumière divine
et anticipe la pleine manifestation du Messie justicier et vainqueur
des puissances du mal (19,11-16). L’ouverture du cinquième sceau
révèle le supplice infligé aux martyrs, tandis que le sixième sceau
ouvre la vision de grands cataclysmes naturels, tremblements de
terre et raz de marée. Le septième sceau marque un temps d’arrêt
(8,1), mais auparavant le chapitre 7 a déployé le tableau radieux du
triomphe des élus, issus des deux peuples que sont l’Israël des douze
tribus et l’Église des nations. Ainsi, aux deux termes du septénaire
des sceaux, tant le caractère ambigu du cheval blanc que la vision
des élus introduisent une part d’espérance parmi les malheurs tant
sociaux (guerre, récession, épidémie) que naturels (cataclysmes).
3. Le septénaire des trompettes (chapitre 8 et 9) marque
un deuxième temps dans l’évocation des malheurs terrestres. Ce
sont d’abord quatre cataclysmes inspirés des plaies d’Égypte* :
grêle de feu, mer de sang, eaux amères, obscurcissement des astres.
Malgré leur force destructrice, de tels fléaux n’atteignent que le
tiers des éléments : il reste donc une bonne part d’espoir… Puis
l’invasion des sauterelles (sous l’image surréaliste d’une cavalerie
blindée) et le déferlement d’une cavalerie fantastique, guidée par les
quatre anges exterminateurs, suggèrent la menace d’une «guerre
totale», extrêmement dévastatrice (quelle modernité !). Après tant
d’horreurs, une pause bienfaisante (chapitre 10) permet d’entendre
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Parcours biblique 2010
Le 7 symbolique
14
sept tonnerres censés annoncer la suite, à savoir le déclenchement
du scénario eschatologique, c’est-à-dire le dernier combat contre
le mal avec l’implication directe de Dieu (11,15-19). Entre temps, le
prophète visionnaire aura reçu confirmation de sa mission (10,8‑11)
par l’ingestion du livre, à la façon d’Ézéchiel. Il lui aura aussi été révélé le sort à la fois douloureux et glorieux de deux martyrs chrétiens
(11,1-13), qui pourraient bien être Pierre et Paul, tout en reprenant
les traits de Moïse et Élie.
Babylone, dont le nom
signifie «La Porte des dieux», est
la capitale du grand ennemi d’Israël : l’Assyrie. C’est vers elle que
le peuple a été déporté à la fin
du VIe siècle A.C. À ce titre, elle
symbolise le mal, l’oppression.
Dans l’Apocalypse, elle finit par
se confondre avec la «nouvelle
Babylone», capitale du nouvel empire qui opprime la jeune Église :
Rome.
4. Le septénaire des coupes (chapitres 15 et 16) marque
l’aboutissement du processus de violence et le passage à la phase
finale consistant dans la pleine victoire de Dieu (15,1-5). Il s’agit
d’une nouvelle série de «plaies» à la façon de celles d’Égypte : ulcères pernicieux, mer de sang, fleuves de sang, chaleur extrême, ténèbres ; puis assèchement de l’Euphrate ouvrant la voie aux invasions
barbares ; enfin cataclysme général (séisme et grêle) entraînant la
ruine de Babylone*, la Cité mère de tous les excès. Dans cette
phase préparatoire à l’ultime et décisif affrontement, il est clair que
les châtiments sont ciblés et visent d’abord les méchants, coupables d’idolâtrie (16,2.9.11.14) et redevables du sang des martyrs
(16,5‑7). L’entrée en scène de Babylone ouvre le volet «politique»
d’un message radicalement hostile à toute forme de totalitarisme,
perceptible à travers les excès du règne de Domitien.
Lire
Apocalypse 6-7 (et 8,1)
En parcourant aujourd’hui les chapitres 6 et 7 (on peut aller
jusqu’au verset 1 du chapitre 8 !), nous nous ferons une idée de ce
rythme du septénaire propre à l’Apocalypse.
Pour aller plus loin, voici quelques textes à consulter pour
approfondir les expressions suivantes :
«Le Jour de la colère»
La «colère de Dieu», expression biblique qui fait parfois difficulté, doit être comprise comme l’avènement de la justice en
faveur des pauvres et contre les «méchants». C’est donc la fin de
la domination du mal.
•< Isaïe 13,1-22
•< Sophonie 2,3-7
•< Ézéchiel 39,1-29
La promesse du bonheur eschatologique
Il ne s’agit pas ici d’une expression mais d’un ensemble de
caractéristiques puisées par l’Apocalypse dans la littérature prophétique pour décrire le bonheur promis à ceux qui auront suivi
l’Agneau jusqu’au bout.
•< Isaïe 49,8-26
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Le 7 symbolique
15
Prier
S
eigneur, notre Dieu, tu es le maître du temps et de l’histoire.
Tout est dans ta main et tu nous conduis vers la promesse
d’un bonheur d’éternité. Envoie sur moi ton Esprit Saint, afin
que je puisse rencontrer ton Fils Jésus Christ dans cette Parole qui
vient de toi et que je sache lire dans ma propre vie les traces de ton
amour et de ta providence qui, toujours, me conduit. Amen.
Méditer
Quand le schéol sera détruit par la Résurrection
Q
uand la création s’embrasera dans la chaleur du tremblement,
le monde tout entier sera saisi d’effroi, oublieux des siens.
Le tremblement dans sa puissance, secoue les hommes ; puis
aussitôt, se tourne avec sa force vers les œuvres. D’un fort tremblement, il renverse la maison sur ceux qu’elle abrite, et lance l’édifice
démembré sur ceux qui l’ont construit. Pour les détruire, il jette les
maisons sur leurs habitants et fait tomber sur leurs propriétaires
les maisons disloquées. Avec la force, il pulvérise les beaux sanctuaires et leurs ornements, disperse et jette bas les palais et leurs
appartements. Il envoie sa voix sur les cours et les dévaste, passe
en volant dans les cités et les renverse. Il renverse et met en pièces
les puissantes montagnes et les jette bas ; les roches escarpées, il
les brise, les renverse, les abat et les réduit en miettes. Il gronde la
mer puis l’assèche, comme c’est indiqué ; et de sa voix dévaste les
fleuves ainsi qu’il est écrit. Il déchire et fait tomber la couronne de
lumière placée au firmament, et disperse dans la ténèbre ses signes
pleins d’éclat. Il impose un terme aux roues du soleil pour qu’elles
ne tournent plus et la course s’arrête qu’il menait jusqu’aux confins.
Il enchaîne et fait tomber la lune et l’orbite qu’elle parcourait, et
l’arrête pour qu’elle ne se déplace plus en changeant d’aspect. Les
étoiles tombent comme les figues du haut des arbres, et le vaste
espace de leurs rayons s’obscurcit et disparaît. Les cieux s’usent
comme un vêtement très ancien, et tombent et descendent, se suivant comme un manteau. Le soleil est là, dépouillé de ses rayons,
et la lune déchire le voile de la lumière qui l’enveloppait. L’air se
dépouille de la couleur dont il était couvert et la rejette, et, dans la
douleur, revêt de tristesse la création.
Alors tout à coup les douleurs s’abattent sur la terre, pour
qu’elle enfante et mette au monde les enfants cachés dont elle est
grosse. Toute la terre gémit, comme une femme dans les douleurs,
pour mettre au monde la foule des enfants qui sont cachés en elle.
Comme des sources les tombeaux vomissent les morts qui sont en
eux, les rochers s’ouvrent pour faire place à des multitudes. (…)
Ce jour-là ce n’est pas en vision qu’agit le Premier-né, et ce
n’est pas selon la ressemblance ni selon la figure qu’il fait se lever les
morts. Il disperse les montagnes mais rassemble les os qui étaient
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Le 7 symbolique
16
dispersés ; il fait disparaître les collines, mais édifie les corps des
hommes. Il met un terme à la terre mais forme les corps pour les
renouveler ; il dépouille la terre mais fait venir les corps pour les
agencer. (…)
La force marche au-dessus du ventre de la mort insatiable,
il le fait éclater et en fait sortir, non corrompue, sa nourriture. La
voix de la résurrection déracine le schéol et le disperse, les murs
s’écroulent, et le peuple sort, qu’il tenait emprisonné. Car la mort
insatiable a été engloutie dans l’innocence, le schéol a été détruit
par la résurrection pour n’être plus habité.
Jacques de Saroug, au Ve siècle
Contempler
C
’est l’univers que l’artiste a ainsi voulu représenter, ceinturé par les océans que parcourent de gros poissons dont on ne distingue
que le squelette. L’opposition franche des couleurs – jaune et rouge pour la terre, noir pour
les océans – trahit le danger auquel sont exposés les personnages enserrés par les flots
ténébreux. Ils se pressent les uns contre
les autres, entourés par cinq anges. Quatre d’entre eux, qui se tiennent aux quatre points cardinaux, dépourvus d’ailes,
tiennent à la main d’étranges filaments
blancs visant à représenter les vents
dont ils retiennent le pouvoir destructeur. Le cinquième ange descend
du ciel la tête en bas avec l’ordre
d’attendre pour «malmener la terre et
la mer» que les «serviteurs de Dieu»
aient été «marqués au front» par le
«sceau du Dieu vivant». Ce sceau, qu’il
tient en sa main, a la forme d’une croix
– la même que celle qui accompagne
l’Agneau partout où il apparaît sur les
miniatures. Comme en procession, les
prémices des 144 000 s’avancent, dans
des tenues colorées qui supprime toute
raideur à leur alignement pourtant parfait.
Quelques taches blanches – la couleur de
la divinité et de tout ce qui s’en rapproche –
ressortent : les pieds, bien ordonnés, les mains
dont certaines brandissent les palmes de la louange, et les visages dont les yeux grand ouverts signifient
davantage l’émerveillement que l’effroi.
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Les métamorphoses de l’Agneau
17
Découvrir
Les métamorphoses de l’Agneau, ou la royauté du Christ ressuscité
Le Livre de l’Apocalypse est le témoin des premiers balbutiements
de la christologie : une christologie en images et en figures, parmi
lesquelles se distingue celle de l’agneau...
1. L’expression «agneau de Dieu» est une exclusivité johannique : elle figure à deux reprises dans la bouche de Jean-Baptiste
(Jn 1,29.36), pour désigner Jésus dans un contexte «royal» marqué
entre autres par les titres «Fils de Dieu» et «Roi d’Israël» (Jn 1,49)
traditionnellement associés à la figure du Messie (Jn 1,41), attendu
pour libérer le peuple et supprimer le mal dans le monde (Jn 1,29).
Toutefois, l’emploi du mot grec amnos (au lieu de arnion, qui sera de
règle dans l’Apocalypse) suggère un rapprochement avec la figure
de l’agneau pascal (voir 1 Pierre 1,19), ainsi qu’avec le serviteur
souffrant d’Isaïe 52,13 – 53,12, précisément comparé à un agneau
(Isaïe 53,7 ; voir Actes 8,32). De fait, la suite du quatrième évangile,
notamment dans le récit de la Passion, montrera à quel point la
royauté de Jésus est différente des pouvoirs humains et trouve sa
véritable expression à l’heure de la croix (Jn 18,32-37).
Le titre d’agneau que
l’Apocalypse attribue au Christ, est
une bonne porte d’entrée dans la
théologie de ce livre : théologie de
l’image par excellence. C’est à travers une histoire racontée et des
images animées que le lecteur est
peu à peu conduit à reconnaître
en celui qui «se tient sur le Mont
Sion» (Ap 14,1), l’égal de Dieu
digne d’une même adoration et
d’une même gloire. La figure de
l’agneau doit être interprétée en
lien avec toutes ses occurrences
bibliques, si on veut ne la priver
d’aucune des ses harmoniques.
Fraternités de Jérusalem 2. Dans l’Apocalypse, le mot «agneau» (arnion) est omniprésent : à 26 reprises, dont 25 fois pour désigner le Christ en personne, constituant ainsi un trait caractéristique de ce livre. Sa première
apparition, au chapitre 5, associe la royauté (proximité du trône)
et le sacrifice (égorgé). Surtout son caractère divin est clairement
énoncé (les sept Esprits de Dieu : 5,6). À ce titre, il figure au centre
de la liturgie céleste et fait l’objet d’un véritable culte (5,8-9). Les
trois cantiques successifs (versets 9-10 ; 12 ; 13) célèbrent en lui
le Sauveur universel et la clé de compréhension des Écritures, à
travers l’ouverture des sceaux du livre (accomplie en 6,1). Il s’agit
bien du Christ dans son mystère pascal, certes livré à la mort, mais
exalté à la droite de Dieu : il est le libérateur, accomplissant ainsi la
figure de l’agneau pascal.
3. Les allusions suivantes à l’agneau confirment son caractère royal et sa présence au plus près de Dieu (6,16 ; 7,9). Il est
acclamé au même titre que Dieu (7,9-10 ; 15,3), en tant que Sauveur
des hommes, tant les justes de l’Église (7,14) que les foules des nations (13,8). Il tient la place du Roi Messie, évoqué sous la figure du
pasteur (7,17). Son sang versé est, comme dans le cas de l’agneau
pascal, le signe du salut donné en priorité aux martyrs (12,11). Les
cornes qu’il porte (il s’agit donc plutôt d’un jeune bélier !) sont une
marque royale, au besoin usurpée par la Bête (13,11). Il prend la tête
de l’armée des justes (14,1.4.10) pour un ultime combat contre les
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Les métamorphoses de l’Agneau
666 : le chiffre a beaucoup suscité l’imagination et les
fantasmes... Il n’a ni histoire ni
symbolique biblique particulière ;
on ne le rencontre que deux fois
dans toute la Bible : au livre d’Esdras qui, dénombrant les enfants
d’Israël de retour d’exil, compte
666 fils d’Adoniqam ; et au livre
de l’Apocalypse (13,18). Il s’agit
probablement d’une transposition
chiffrée du nom de César, véritable anti-christ.
18
forces du mal, figurées par la Bête (14,10). Au terme du combat, il
reçoit la titulature royale universelle (17,14) et se trouve à la tête
du peuple des fidèles, définitivement vainqueurs de la Bête et de ses
complices terrestres (les sept rois de Rome).
4. La carrière de l’agneau ne se limite pas au registre militaire,
symbole du combat eschatologique contre les forces du mal. Elle
s’accomplit dans un rituel de noces, annoncé dès la fin des combats
(19,7.9). De fait, les dernières pages du livre sont consacrées à l’évocation radieuse des noces de l’agneau, dont l’épouse resplendissante,
confondue avec la Cité sainte, la Jérusalem céleste (21,9), figure aussi
bien l’Église des martyrs et des saints que l’humanité elle-même,
sanctifiée dans le Christ et unie à lui par le mystère de l’Alliance. Le
Christ Agneau est la figure centrale de cette Cité sainte : il en est
aussi bien le fondement (21,14) que le temple (21,22) ; il éclaire la
Cité (21,23) et veille sur les élus, inscrits au livre de vie (21,27) ; il est
lui-même avec Dieu la source de cette vie nouvelle (22,1).
5. Ainsi l’agneau de l’Apocalypse est-il une figure complète
du Christ, dans toutes les facettes de son être et de sa mission, depuis la Croix jusqu’à l’Heure du plein accomplissement, au-delà de
l’histoire. Cette image, remarquablement riche, inspirera largement
les artistes de l’âge roman.
Lire
Apocalypse 13,1-14,4
Ce sont les chapitres 13 et 14 (jusqu’au verset 4 seulement)
qui guideront notre méditation de ce jour. Deux figures s’y affrontent : celle de l’Agneau et celle de la Bête.
Pour aller plus loin, voici un texte à consulter pour approfondir l’expression suivante :
La «Bête»
La «bête» est la figure de l’anti-christ. L’univers animal est
mis en scène pour singer le monde des hommes, un peu comme le
font les mythes, les fables ou... certaines émissions de télévision !
•< Daniel 7,1-28
Prier
S
eigneur, notre Dieu, tu es l’Agneau dont le sang a fécondé les
entrailles de la terre. Toi qui viens nous tirer de l’esclavage de
la mort et du péché, envoie sur moi ton Esprit Saint, afin que
je puisse te rencontrer dans cette Parole qui vient de toi et que je
puisse me mettre réellement à ta suite, dans l’espérance et la joie
d’être sauvé. Amen.
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Les métamorphoses de l’Agneau
19
Méditer
C’est lui l’agneau
B
ien des choses ont été annoncées par de nombreux prophètes en vue du mystère de Pâques qui est le Christ : à lui la
gloire dans les siècles. Amen.
Conduit comme un agneau et immolé comme une brebis, il
nous a délivrés de l’idolâtrie du monde comme de la terre d’Égypte ;
il nous a libérés de l’esclavage du démon comme de la puissance de
Pharaon ; il a marqué nos âmes de son propre Esprit, et de son sang
les membres de notre corps.
C’est lui qui nous a fait passer de l’esclavage à la liberté, des
ténèbres à la lumière, de la mort à la vie, de la tyrannie à la royauté
éternelle, lui qui a fait de nous un sacerdoce nouveau, un peuple
choisi, pour toujours. C’est lui qui est la Pâque de notre salut.
C’est lui qui endura bien des épreuves en un grand nombre
de personnages qui le préfiguraient. C’est lui qui en Abel a été tué ;
en Isaac a été lié sur le bois ; en Jacob a été exilé ; en Joseph a été
vendu ; en Moïse a été exposé à la mort; dans l’agneau a été égorgé ;
en David a été en butte aux persécutions; dans les prophètes a été
méprisé.
C’est lui qui s’est incarné dans une vierge, a été suspendu au
bois, enseveli dans la terre, ressuscité d’entre les morts, élevé dans
les hauteurs des cieux.
C’est lui, l’agneau muet ; c’est lui, l’agneau égorgé ; c’est lui
qui est né de Marie, la brebis sans tache ; c’est lui qui a été pris du
troupeau, traîné à la boucherie, immolé sur le soir, mis au tombeau
vers la nuit. Sur le bois, ses os n’ont pas été brisés ; dans la terre, il
n’a pas connu la corruption ; il est ressuscité d’entre les morts et il
a ressuscité l’humanité gisant au fond du tombeau.
Méliton de Sardes, au IIe siècle
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Parcours biblique 2010
Les métamorphoses de l’Agneau
20
Contempler
L
’image que nous contemplons aujourd’hui nous transporte au
chapitre 17 de l’Apocalypse, devant la scène extraordinaire du
combat de l’Agneau et des «lieutenants» de la Bête : les puissances de ce monde qui lui ont juré obédience. De la Bête, ils ont
même l’apparence monstrueuse : deux sortes de loups dotés d’un
serpent au poison mortel en guise de queue, et un énorme serpent
qui remplit tout le bas de l’image en s’enroulant sur lui-même.
La scène est chaotique : tout est sens dessus dessous, à commencer par les trois victimes dépouillées de leurs vêtements (et de
leur tête !) par l’attaque qu’elle viennent de subir de la part des trois
bêtes qui, bien que beaucoup plus grandes et fortes, ne semblent pas
en très bon état non plus... C’est qu’elles sont déjà vaincues !
Le combat est achevé ; dans la partie supérieure de l’image,
tout est calme et ordonné : l’agneau trône, tout droit, dans un ciel
rempli d’étoiles qui représentent les justes et les sauvés.
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Au-delà de tout dualisme
21
Découvrir
Au-delà de tout dualisme, la victoire assurée de Dieu
Notre lecture du livre de l’Apocalypse est maintenant suffisamment
avancée pour que nous puissions en saisir l’intention profonde. Il
s’agit d’un livre destiné à consoler les croyants en les assurant de la
victoire finale de Dieu sur le mal et la souffrance. L’agneau vainqueur
est présenté comme celui en qui cette promesse est déjà accomplie.
L’image des noces est
omniprésente dans l’Écriture. De
la Genèse, où Dieu donne Ève
à Adam pour qu’ils ne fassent
qu’«une seule chair» (Gn 2,24),
au 4e évangile qui fait commencer la vie publique de Jésus par
la célébration d’un mariage (à
Cana ; Jean 2), en passant par les
prophètes qui décrivent l’union
entre Dieu et son peuple comme
celle d’un mari et de son épouse
(Isaïe 54,5), même infidèle (Osée
2,4-22). Le livre de l’Apocalypse
boucle la métaphore nuptiale en
en faisant le terme de l’histoire :
l’union joyeuse et glorieuse de
l’Agneau et de son épouse, la
Jérusalem nouvelle.
Dans l’Écriture, Jérusalem est la ville choisie par Dieu
pour qu’y demeure son Nom, la
figure de l’humanité appelée à
s’unir à son Créateur, comme
l’épouse à son époux. Son histoire
complexe et douloureuse que
la Bible attribue à son infidélité
conduit à un dédoublement de
l’image : à la Jérusalem terrestre,
en proie aux souffrances d’un
monde imparfait, s’oppose la
Jérusalem céleste, celle qui resplendit de la gloire de l’Agneau,
toute transparente à sa sainteté.
Fraternités de Jérusalem 1. La clé de lecture de l’Apocalypse est incontestablement
le mystère pascal du Christ, comme le suggère le double visage de
l’Agneau, à la fois immolé (mis à mort) et glorifié (il porte les titres
qui reviennent au roi et reçoit les honneurs divins). Ce qui est arrivé
une fois pour un seul a vocation d’advenir pour tous, sans doute déjà
à travers l’histoire (le temps est proche : 1,1.3 ; 22,6), assurément
au-delà de l’histoire, dans l’accomplissement figuré par le cérémonial
des noces* de l’agneau et le tableau resplendissant de la Cité sainte,
la Jérusalem* nouvelle (chap. 21-22). C’est bien en cela que l’Apocalypse revendique le statut de parole prophétique (1,3).
2. La figure de l’agneau est en quelque sorte doublée par
celle du cheval blanc, dont l’apparition tardive (19,11-16) introduit le dernier combat (19,19-21) préalable à la manifestation de la
Cité sainte. L’identification avec le Christ Messie et Verbe de Dieu
est parfaitement claire, dans la pure tradition johannique (le Verbe
de Dieu : 19,13). Ce tableau récapitule les éléments des symboliques divine (feu et blancheur) et royale (titres et attributs), dans
le contexte d’une théologie de la Parole de Dieu instauratrice du
jugement (19,15) et appelée à triompher définitivement de toutes
les forces du mal (19,21), culminant dans l’idolâtrie massive des sociétés païennes (19,20). Or, ce mystérieux cheval blanc figurait déjà
en tête des quatre chevaux, accompagnant l’ouverture des quatre
premiers sceaux (6,1-8) : alors présenté comme l’un des quatre
agents destructeurs – bien que rien ne soit dit de son activité propre – il paraît préfigurer la victoire divine (6,2), inscrite en filigrane
des malheurs terrestres bien identifiables (guerre, épidémie, faillite).
Certes, il faut attendre la fin du livre pour identifier le cheval blanc,
mais l’Apocalypse ne propose-t-elle pas à la fois une projection de
l’avenir et une «rétroprojection» sur le présent, de même que le
détour par le ciel renvoie finalement sur la terre ?
3. Le tournant décisif du livre est opéré au chapitre 12, avec le
double signe de la femme et du dragon. Les deux personnages sont
aisément reconnaissables : d’une part, la mère du Messie (12,5), en
travail d’enfantement (12,2) et confrontée aux persécutions (12,6) –
probablement l’Église, plutôt que la Vierge Marie, même si elle peut
être considérée comme figure de l’Église – ; d’autre part, le dragon,
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Au-delà de tout dualisme
22
personnifiant les puissances du mal (Satan, Diable, Serpent,Tentateur :
12,9) et acharné contre le Messie (12,3-4). Une bataille céleste voit la
victoire de l’archange Michel et l’écrasement du dragon (12,7-9). Du
point de vue de Dieu, il est clair que la victoire pascale du Ressuscité
a définitivement triomphé du mal (12,10-12). Mais, telle une bête blessée, le dragon ou serpent conserve une réelle capacité de nuisance
sur la terre (12,13.15). Si l’Église peut compter sur la protection divine (12,14.16), elle n’en est pas moins toujours exposée à la menace
des persécutions (12,17). La révélation du scénario céleste ne peut
que nourrir sa résistance et la fortifier dans l’épreuve. Notons l’importance symbolique du tableau initial (la femme vêtue de lumière et
couronnée d’étoiles), inspirateur du drapeau européen !
4. On retrouve ainsi le mouvement initié dès les sept messages aux Églises. Malgré les difficultés du moment et moyennant un
minimum de bonne volonté de la part des communautés (c’est-àdire une démarche de conversion), la haute stature du Ressuscité
domine et éclaire toute l’histoire humaine. Elle permet d’envisager
l’issue (dès cette terre et, encore plus, au-delà) comme le parfait accomplissement des promesses divines et la pleine réalisation des figures originelles. C’est bien pourquoi l’Apocalypse, livre de la fin, est
constamment tissé de motifs tirés de l’Ancien Testament renvoyant
aussi bien aux livres prophétiques qu’aux mythes d’origine, qu’elle
porte à leur plein achèvement.
Lire
Apocalypse 12 et 19
C’est en deux temps que nous ouvrirons aujourd’hui le Livre
de l’Apocalypse : au chapitre 12 tout d’abord, pour y contempler la
vision de la femme et du dragon ; puis au chapitre 19, pour y lire le
récit du combat du cavalier du mystérieux cheval blanc...
Pour aller plus loin, voici quelques textes à consulter pour
approfondir l’expression suivante :
La Femme
D’Ève à Marie, en passant par Jérusalem, les figures féminines bibliques revêtent un caractère symbolique.
•< Genèse 3
•< Isaïe 66,10-14
•< Galates 4,21-31
Prier
S
eigneur, notre Dieu, tu es le Dieu qui vient à la rencontre de
l’humanité pour en faire ton épouse sainte. Envoie sur moi ton
Esprit Saint, afin que je puisse rencontrer ton Fils Jésus Christ
dans cette Parole qui vient de toi et me dit ton amour de prédilection et que je puisse te répondre amour pour amour. Amen.
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Au-delà de tout dualisme
23
Méditer
Les deux avènements du Christ
N
ous annonçons l’avènement du Christ : non pas un avènement seulement, mais aussi un second, qui est beaucoup plus
beau que le premier. Celui-ci, en effet, comportait une signification de souffrance, et celui-là porte le diadème de la royauté
divine.
Le plus souvent, en effet, tout ce qui concerne notre Seigneur
Jésus Christ est double. Double naissance : l’une de Dieu avant les
siècles, l’autre de la Vierge à la plénitude des siècles. Double descente : l’une imperceptible comme celle de la pluie sur la toison, la
seconde éclatante, celle qui est à venir. Dans le premier avènement,
il est enveloppé de langes dans la crèche ; dans le second, il est revêtu de lumière comme d’un manteau. Dans le premier, il a subi la
croix, ayant méprisé la honte ; dans le second, il viendra escorté par
l’armée des anges, en triomphateur.
Nous ne nous arrêtons pas au premier avènement : nous attendons aussi le second. Comme nous avons dit, lors du premier :
«Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur», nous le répéterons
encore pour le second ; en accourant avec les anges à la rencontre
du Seigneur, nous lui dirons en l’adorant : «Béni soit celui qui vient
au nom du Seigneur». Le Sauveur ne viendra pas pour être jugé de
nouveau, mais pour juger ceux qui l’ont traduit en jugement. Lui qui
a gardé le silence lors du premier jugement, il rappellera leur crime
aux misérables qui ont osé le mettre en croix, en disant : «Voilà
ce que tu as fait, et j’ai gardé le silence». Alors il est venu selon le
dessein de miséricorde et il enseignait les hommes par persuasion.
Mais, lors du second avènement, ils seront contraints de reconnaître
sa royauté.
Le prophète Malachie a parlé des deux avènements. «Soudain
viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez». Voilà pour
le premier. Et aussitôt il ajoute pour le second : «le messager de
l’Alliance que vous désirez, voici qu’il vient, le Seigneur tout-puissant. Qui
pourra soutenir sa vue ? Car il est pareil au feu du fondeur, pareil à la
lessive des blanchisseurs. Il s’installera pour fondre et purifier.» Saint
Paul veut parler aussi de ces deux avènements lorsqu’il écrit à Tite :
«La grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes.
C’est elle qui nous apprend à rejeter le péché et les passions d’ici-bas,
pour vivre dans le monde présent en hommes raisonnables, justes et
religieux, et pour attendre le bonheur que nous espérons avoir quand se
manifestera la gloire de Jésus Christ, notre grand Dieu et notre Sauveur.»
Tu vois comment il a parlé du premier avènement, dont il rend
grâce ; et du second, que nous attendons. Donc, notre Seigneur
Jésus Christ viendra du ciel. Il viendra vers la fin de ce monde, avec
gloire, au dernier jour. Car la fin du monde arrivera et ce monde
créé sera renouvelé.
Saint Cyrille, évêque de Jérusalem au IVe siècle
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Au-delà de tout dualisme
24
Contempler
L
a scène du combat entre la femme et le dragon est particulièrement impressionnante... Le ciel, noir plutôt que bleu, suggère
une atmosphère dramatique, dans laquelle le serpent à sept
têtes semble remplir tout l’espace. Sur chacune de ses têtes, deux
cornes dorées singent les traits de lumière qui rayonnaient du visage de Moïse quand il redescendait de la montagne tandis que le
disque solaire trahit l’accointance entre le serpent et l’antique pharaon qui se prenait pour le soleil...
Tout en
haut, à gauche, la
femme repousse
d’un simple geste les attaques
du serpent septifore. Entourée
de douze étoiles
et debout sur
la lune, elle figure la Création
nouvelle, prête à
enfanter le Soleil
de Justice – dont
les rayons semblent jaillir de
son ventre.
Une
figure
féminine
doublée par une
deuxième femme, plus surprenante
encore,
dotée de deux
ailes comme les
deux testaments
disait Beatus, et
toute de noir vêtue, signifiant par
là les épreuves et
le deuil que doit
vivre l’Église au désert où elle s’est réfugiée avant de pouvoir entrer
pleinement dans la gloire du ciel qui lui est préparée. Figure de patience et du temps de l’Église qui est le nôtre, soumis à la menace du
serpent qui tente de l’engloutir dans les flots mais sans succès !
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La chute attendue
25
Découvrir
Splendeurs et misères de Rome, ou la chute attendue
Le livre de l’Apocalypse est aussi un livre en prise avec une histoire
concrète et bien réelle. Les lecteurs qu’elle vise sont bien plus à mêmes que nous de déchiffrer les allusions qu’elle contient, mais nous
disposons tout de même de quelques clés...
Moïse et Élie sont les
deux grandes références de l’histoire de l’alliance entre Israël et
son Dieu. Leur histoire est bien
distincte à la fois dans le temps
et dans les pages de la Bible mais
le judaïsme tardif et plus encore
le Nouveau Testament les associent fréquemment. Le dernier
livre de l’Ancien Testament, celui
du prophète Malachie, exhorte
ses lecteurs à «se rappeler la Loi
de Moïse» avant que ne vienne
«Élie le prophète» (Mal 4,4-5).
Dans la bouche de Jésus, ce sont
les deux noms les plus cités de
l’Ancien Testament et c’est encore
eux qui apparaissent au moment de la Transfiguration dans
les trois récits des synoptiques
(Matthieu 17 ; Marc 9 ; Luc 9).
Prêter aux «deux témoins» qui
sont vraisemblablement Pierre et
Paul, les traits de ces deux grands
prophètes, c’est aussi prétendre
à une récapitulation de l’alliance
dans le Christ à qui les martyrs
rendent le témoignage du sang.
Fraternités de Jérusalem 1. Derrière la fiction apocalyptique, la ville de Rome et son
empire sont facilement reconnaissables. Au chapitre 11, les deux martyrs (11,3-6), censés reproduire les exploits de Moïse et Élie*,
pourraient bien être Pierre et Paul. Dès lors, la Grande Cité coupable
de leur mort serait évidemment Rome, Sodome ou l’Égypte n’étant
que des pseudonymes (11,8). Ainsi, la première mention de la Bête
(11,7) s’appliquerait à la toute-puissance romaine, la référence à Jérusalem (11,1-2) ayant pour effet d’imposer le rapprochement entre
les martyrs chrétiens (11,9-10) et la personne de Jésus, jusque dans
sa mort et son exaltation (11,11-13). La toute-puissance maléfique
de la Bête réapparaît dans toute son horreur au chapitre 13 : elle est
présentée comme l’émanation du Mal absolu (le dragon : 13,1-2) ; elle
affirme son pouvoir universel (13,3.8) par le biais d’une sacralisation
parfaitement idolâtrique (13,4-6.8). Une telle démesure suscite l’indignation des chrétiens (13,7-10), dès lors exposés aux persécutions.
2. L’image de la Bête est encore plus complexe dans la 2ème
partie du chapitre 13 : elle devient alors franchement énigmatique
(13,18) ! En fait, elle se dédouble (13,11-12) : la deuxième Bête, au
service de la première, revêt les traits d’une sorte de «ministère
de la propagande», agissant principalement à travers les mises en
scène du culte (13,14-15). Elle exerce un pouvoir de contrainte sur
toute la population et contrôle l’ensemble des activités économiques (13,16‑17). On ne peut rêver description plus transparente du
totalitarisme d’état, dans ses dimensions idéologiques et sociales !
3. Toutefois, les puissances totalitaires sont des colosses aux
pieds d’argile : la chute de Rome est annoncée comme la manifestation évidente du jugement de Dieu (14,8-11) ; le combat des martyrs
n’est donc pas inutile (14,12-13 ; 15,1-2). De fait, les sept coupes de la
colère de Dieu (chapitre 16) auront raison des idolâtres et corrompus (16,2.11), avant que l’Empire ne succombe aux invasions (16,12) pressé de toutes parts (16,14-16), l’Empire universel aura tôt fait de
disloquer (16,19), à la façon d’un cataclysme universel (16,20-21).
Dès lors, centrée sur la ville de Rome (la grande Prostituée : 17,1‑6)
et le cœur du pouvoir impérial (les sept collines et les huit rois :
17,7‑11), la prophétie envisage dans un avenir proche (17,12-13)
lourd de persécutions contre les chrétiens (17,14) l’effondrement de
Rome assaillie de toutes parts, aussi bien de l’intérieur que de l’extéhttp://jerusalem.cef.fr | © FMJ2010
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La chute attendue
26
rieur (17,15-18). La suite de l’histoire romaine confirmera pour une
part cette version des faits. Surtout, le pronostic ainsi énoncé vaut
pour tous les temps : les empires finiront toujours par s’écrouler, on
ne saurait s’en étonner !
4. Le scénario de la fin couvre les chapitres 18-19. La proclamation initiale a valeur de verdict, associant à l’idolâtrie la course effrénée
au profit (18,1-3). Les chrétiens quittent la ville, avant qu’elle succombe
sous les coups des malheurs accumulés (18,4-8). Mais, de façon inattendue, le texte s’attarde à contempler la chute de Rome, avec des
accents lyriques surprenants en ce contexte (18,9-24). Sans rien renier
de l’extrême sévérité du jugement porté sur Rome et la démesure du
pouvoir impérial, les auteurs de l’Apocalypse chantent le deuil de la
Cité perdue, victime de ses propres égarements. Devant un tel gâchis
humain, on ne peut que regretter la surdité de la société païenne à
l’égard des avertissements prophétiques assénés tout au long du livre.
Décidément, la position du christianisme ancien à l’égard de Rome est
ambiguë. En tout cas, la chute de l’Empire démesuré paraît constituer
un pas décisif vers l’avènement d’un monde nouveau (19,5-9).
Lire
Apocalypse 11,1-13 et 18
C’est encore une fois en deux temps que nous ouvrirons
aujourd’hui le Livre de l’Apocalypse : au chapitre 11 tout d’abord, pour
y découvrir le récit du martyre des «deux témoins» dans la «Grande
Cité» ; puis au chapitre 18, pour y entendre la lamentation sur «Babylone», chez qui «la lumière de la lampe ne brillera jamais plus»...
Pour aller plus loin, voici quelques textes à consulter pour
approfondir les thèmes suivants :
Le sort biblique des villes orgueilleuses
La ville par excellence qu’est Jérusalem est le vis-à-vis de
l’amour de Dieu. Les maux qui traversent son histoire sont interprétés par l’écrivain biblique comme autant de manifestations de
la colère de Dieu à l’égard de son péché...
•< Ézéchiel 26
•< Lamentations 1
La résurrection annoncée dans l’Ancien Testament
•< Ézéchiel 37
Prier
S
eigneur, notre Dieu, tu as érigé la ville sainte pour que l’homme puisse t’y rencontrer et t’y louer. Aie pitié de ceux qui
s’y déchirent en utilisant ton nom. Envoie sur eux, envoie sur
nous ton Esprit Saint, afin que grandisse la paix dans le monde et
dans chacune de nos vies. Amen.
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La chute attendue
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Méditer
Ce qui est visible n’a qu’un temps
L
e corps de Pierre est à Rome ; le corps de Paul y est aussi, et
celui de Laurent, et celui des autres saints martyrs. Et Rome
souffre aujourd’hui tant de maux ! Où sont donc les tombes
des apôtres ? Elles sont là, elles sont toujours là. Mais elles ne sont
pas en toi ! Qui que tu sois, puissent les tombes des apôtres se
trouver en toi, puisses-tu toujours penser aux apôtres ! Tu verras
si c’est un bonheur terrestre qui leur a été promis ou bien un bonheur éternel ! Écoute l’Apôtre, si sa mémoire vit en toi : «La légère
tribulation d’un moment nous prépare, d’une façon plus qu’incroyable,
un poids éternel de gloire. Nous regardons non aux choses visibles, mais
aux invisibles. Ce qui est visible n’a qu’un temps ; l’invisible est éternel»
(2 Co 4,17-18). En Pierre, la chair n’avait qu’un temps ; et tu voudrais que les pierres de Rome, elles, soient éternelles ? L’apôtre
Pierre règne avec le Seigneur ; son corps repose ici, en son lieu ;
c’est une mémoire qui excite l’amour pour les réalités éternelles,
non pour que tu restes attaché à la terre, mais pour qu’avec l’Apôtre, tu penses au ciel.
Mais, dira-t-on, dans cette ville tant de chrétiens ont souffert
tant de maux ! Tu as donc oublié que c’est aux chrétiens que revient
le devoir de pâtir des maux temporels et d’espérer les biens éternels ? Les maux d’aujourd’hui le Seigneur les a prédits : vous l’avez
lu, vous l’avez entendu ! Mais je ne sais si vous vous en souvenez,
puisque vous vous laissez troubler par les critiques des païens !
N’avez-vous pas entendu les prophètes et les apôtres, et le Seigneur
lui-même, annoncer les maux futurs ? Quand viendra la vieillesse
du monde, quand approchera la fin, nous l’avons entendu ensemble,
il y aura des guerres, des tumultes, des tribulations, des famines…
Pourquoi nous contredire ? Pourquoi murmurer quand ces choses
arrivent ?
Saint Augustin, évêque d’Hippone au Ve siècle
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La chute attendue
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Contempler
C
’est une ville orgueilleuse que l’artiste s’est plu à représenter ici. Les flammes la dévorent déjà mais elle ne semble pas
s’en soucier, exposant comme à l’accoutumée ses richesses
bien alignées sur les rebords de luxueuses fenêtres géminées : jarres, aiguières; coupes et calices représentent le travail de l’orfèvre
qui transforme l’or, l’ivoire, la nacre et l’ébène, toutes les matières
premières convoitées que les marchands enrichis rapportent des
contrées lointaines.
L’argent s’étale au premier plan dans une ville tout en hauteur – est-ce pour rappeler l’antique Babel qui prétendait escalader
les cieux ? – retranchée derrière de hauts remparts qu’elle doit
croire infranchissables. L’ange qui la survole pour avertir de sa chute
s’égosille en vain : nul ne lui prête attention, trop occupé qu’il est
à continuer son ouvrage bien à l’abri derrière d’épaisses murailles
colorées.
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La cité nouvelle
29
Découvrir
La cité nouvelle et les noces de l’Agneau
Le livre de l’Apocalypse s’achève sur une vision grandiose : promesse
accomplie du salut de Dieu. Le message est clair : l’Église est appelée
à témoigner d’une espérance plus forte que les crises et difficultés
historiques, espérance ancrée dans la résurrection de Jésus qui atteste la victoire de Dieu sur le mal et anticipe les temps nouveaux...
Encore une fois, ouvrons le Livre !
1. La vision finale se présente comme la continuité du scénario de violence et de mort, de même que la résurrection de Jésus
est moins la revanche sur la mort injuste que la révélation du sens
caché de la Croix, en quelque sorte relu du point de vue de Dieu et
communiqué aux hommes, tant au moyen de signes matériels (tombeau vide) qu’à travers la manifestation personnelle du Ressuscité
(apparitions pascales). Clairement annoncé à la fin du chapitre 19
(v. 6-9), le cérémonial des Noces de l’Agneau est enclenché à partir des derniers fléaux (21,9). Il commence par la présentation de la
Fiancée ou Épouse de l’agneau (21,9), aussitôt identifiée avec la Cité
sainte, Jérusalem, descendue du ciel (21,10) et parée de toutes les
qualités divines (21,11). La symbolique du nouveau peuple de Dieu
est clairement énoncée, le nombre «douze» exprimant tout à la fois
la plénitude céleste (anges : v. 12), l’héritage d’Israël (tribus : v. 12) et la
réalité ecclésiale (apôtres : v. 14), sans omettre la référence fondatrice
au Christ lui-même sous la figure de l’Agneau.
Chez saint Jean, le mal ne
s’oppose pas au bien mais au vrai
– et donc le bien au mensonge. C’est pourquoi le diable est
appelé le «père du mensonge»
(Jean 8,44). Au contraire, le Christ
est venu «rendre témoignage
à la vérité» (Jean 18,37) ; il est
«véridique et il n’y a pas en lui
d’imposture» (Jean 7,18). Dans
l’Apocalypse, les justes sont ceux
qui n’ont «jamais connu le mensonge» (Apocalypse 14,5).
Fraternités de Jérusalem 2. Auparavant, une sorte de prologue (21,1-4) a permis d’identifier la Fiancée comme étant la réalisation, au-delà de l’histoire
(21,1), de l’œuvre de Dieu, revêtant de sa propre sainteté l’humanité
parvenue au terme de sa route (21,2). Ce faisant, Dieu non seulement accomplit la totalité des promesses énoncées dans le cadre
de l’ancienne Alliance (références bibliques accumulées en 21,3-4),
mais ouvre à l’humanité les perspectives d’un bonheur infini (21,4). Il
s’agit bien d’un monde nouveau (21,5), dont la certitude repose sur
l’engagement explicite de Dieu, dans la continuité de l’ensemble des
figures bibliques, tant de l’Ancien que du Nouveau Testament (21,5‑7),
avec la réserve d’un possible châtiment pour les grands méchants de
l’histoire (21,8), le mal étant plus ou moins identifié au mensonge*,
selon une perspective typiquement johannique.
3. La visite de la Cité sainte commence par un travail d’arpentage (21,15), manifestant le parfait équilibre des proportions
(image d’un cube), centrées sur le nombre «douze» et ses multiples
(21,16‑17a), non sans souligner le caractère métaphorique des mesures ainsi énoncées (21,17b). Puis la description des matériaux suggère la richesse infinie d’une réalisation rayonnant de toutes parts la
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La cité nouvelle
À noter : le «vainqueur»
est aussi appelé «fils» (Apocalypse 21,7). C’est un trait distinctif de la théologie de ce livre que
d’insister sur la nouvelle création
qui s’est accomplie en la personne
du Fils unique de Dieu. L’homme
peut désormais entrer en relation
avec son Dieu comme un fils avec
son Père, à la suite de celui qui,
vrai Fils coéternel au Père, nous
appelle à devenir fils dans le Fils.
Le salut n’est pas d’abord une libération mais l’entrée dans la vie
filiale.
30
splendeur divine (21,18-21). Enfin, le constat de l’absence d’un temple
permet de rappeler que Dieu lui-même et l’Agneau (distincts et inséparables) sont le cœur même de cette Cité nouvelle (21,22), illuminée par la présence divine (21,23), ouverte à toute l’humanité dans sa
diversité même (21,24-26), définitivement libérée de toutes formes
de mal et placée sous la souveraineté de l’Agneau Sauveur, seul détenteur du livre de vie (21,27).
4. Un effet de zoom permet de considérer le trône divin (Dieu
et l’Agneau) comme la source même d’un fleuve de vie (22,1) renouvelant les merveilles du paradis terrestre (22,2), dans une plénitude de
bonheur libérant l’humanité pour la seule activité qui tienne devant
Dieu (22,3-4) : la louange et l’adoration éternelles, dans l’éblouissante
lumière du ciel descendu sur la terre (22,5).Ainsi se trouve définitivement dépassée la séparation du ciel et de la terre : la sainteté de Dieu
est descendue sur terre, élevant l’homme à la pleine vision de Dieu,
dans la transparence d’un face à face révélant à l’homme se propre
nature divine, elle-même reçue par grâce, du fait même de l’Incarnation du Fils et de sa pleine exaltation auprès de Dieu, à l’image de
l’Agneau, inséparable du trône divin.
Lire
Apocalypse 21-22
Nous achevons aujourd’hui notre lecture par la grande vision
d’un monde recréé et réconcilié, aux chapitres 21 et 22.
Pour aller plus loin, voici quelques textes à consulter pour
approfondir les thèmes suivants :
La ville rebâtie et réconciliée avec Dieu
•< Jérémie 31,1-14
•< Zacharie 8,1-8
•< Ézéchiel 48,30-35
Le «fleuve de vie»
•< Ézéchiel 47,1-12
Prier
S
eigneur, notre Dieu, tu es le Dieu de la promesse et cette
promesse est joie, paix, lumière dans l’Esprit Saint. Augmente
en nous la foi afin que nous sachions discerner, à travers les
difficultés et vicissitudes de cette vie, ton œuvre de salut en voie
d’accomplissement. Pour la ville que tu nous as préparée dans le ciel
pour que nous y goûtions, tous ensemble, enfants réconciliés, à la
plénitude de ton amour, Seigneur, louange à toi ! Amen.
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Parcours biblique 2010
La cité nouvelle
31
Méditer
Dieu, tout en toutes choses
D
e la cité de Jérusalem et de son Roi, le fréquent souvenir nous
est douce consolation, agréable occasion de méditation, nécessaire allégement de notre lourd fardeau. Je dirai donc brièvement quelque chose – et je le voudrais utilement – sur la cité de
Jérusalem, pour son édification, et à la gloire du règne de son Roi ; je
dirai et écouterai ce que le Seigneur en moi dit de lui et de sa cité.
Que cela soit un peu d’huile sur le feu que Dieu mit en vos cœurs,
de sorte que votre âme, enflammée en même temps du feu de la
charité et de l’huile de l’exhortation, s’élève plus robuste, brûle avec
plus de ferveur, monte plus haut. Qu’elle quitte le monde, qu’elle
traverse le ciel, qu’elle dépasse les astres et qu’elle atteigne Dieu : le
voyant en esprit et l’aimant, qu’elle respire un peu et se repose en
lui. Le Père est la très haute origine des choses, le Fils en est la très
parfaite beauté et l’Esprit Saint la très heureuse délectation. (…)
Dans les hauteurs est établie la cité de Jérusalem. Son bâtisseur est Dieu. Un est le fondement de cette cité, c’est Dieu. Un est
le fondateur : c’est lui-même, le Très-Haut qui l’a fondée. Une est la
vie de tous ceux qui vivent en elle ; une est la lumière de ceux qui
voient ; une est la paix de ceux qui se reposent ; un est le pain dont
tous se rassasient ; une est la source à laquelle ils puisent tous, heureux sans fin. Et tout cela est Dieu lui-même, qui est tout en toutes
choses : l’honneur, la gloire, la force, l’abondance, la paix et tous les
biens, un seul suffit à tous.
Cette cité solide et stable demeure éternellement. Par le Père,
elle luit d’une lumière éclatante ; par le Fils, splendeur du Père, elle
se réjouit, elle aime ; par l’Esprit Saint, amour du Père et du Fils, subsistant elle se modifie, contemplant elle s’illumine, s’unissant elle se
réjouit. Elle est, elle voit, elle aime. Elle est, parce qu’elle met sa force
dans la puissance du Père ; elle voit, parce qu’elle brille de la sagesse
de Dieu ; elle aime, parce qu’elle a sa joie dans la bonté de Dieu.
Bienheureuse est cette patrie qui ne craint pas l’adversité et qui ne
connaît rien, sinon les joies de la pleine connaissance de Dieu.
Un moine du XIIe siècle
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Parcours biblique 2010
La cité nouvelle
32
Contempler
U
ne ville en chasse une autre, pourrait-on dire... C’est presque
comme une maquette que l’artiste représente, au terme de
l’ouvrage, la Jérusalem nouvelle qui est «descendue du ciel»...
Le compte y est : douze portes, groupées trois par trois aux quatre
points cardinaux, une pour chaque tribu d’Israël, une pour chaque
apôtre. Le plan quadriforme reprend l’architecture du Temple de
Salomon en l’étendant à la ville entière devenue elle-même le sanctuaire de la présence de Dieu.
L’agneau y demeure, accompagné de l’ange mesureur (cf. Ézéchiel) et du Livre des Écritures qui atteste de l’accomplissement de
son œuvre. Sur le seuil de chacune des portes désormais toujours
ouvertes pour y accueillir tous les croyants, un apôtre semble faire
signe à chacun d’entrer. Cette ville est notre maison, la promesse
réalisée d’un bonheur d’éternité.
«Et le nom de la ville sera : Dieu est là» (Ézéchiel 48,35).
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