La construction sociale de l`organisation sportive. Champ et

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La construction sociale de l`organisation sportive. Champ et
GASPARINI W - Université de Strasbourg II, UFR-STAPS, Laboratoire "A.P.S et Sciences
sociales"
La construction sociale de l'organisation sportive.
Champ et engagement associatif.
Depuis maintenant une dizaine d'années, la sociologie des organisations sportives
constitue en France un pôle particulièrement productif au sein de la sociologie du
sport (Yerles, 1984 ; Augustin, Garrigou, 1985 ; Chifflet, 1987 ; Dumas, 1987 ;
Haumont 1987 ; Loret, 1987 ; Callède, 1988 ; Ramanantsoa, Thiéry-Baslé, 1988 ;
Noé, 1991 ; Loirand, 1995 ). Malgré le foisonnement des recherches, la plupart des
modèles d'analyse des organisations sportives semblent être produits par le même
mode de perception : celui qui incline les individus, pratiquants, dirigeants ou
sociologues, à considérer le "monde" sportif comme un monde associatif, plus ou
moins intégré dans les champs politique et économique, et dans lequel la fédération
et le club sportif constituent l'un des modes d'organisation parmi les plus légitimes1.
Seules quelques approches marginales tentent d'appréhender les organisations
privées marchandes prestataires de services ou de spectacles sportifs (Bessy, 1987
; Durand, 1993 ; Tribou, 1995).
De même qu'une théorie sociologique des entreprises se cherche encore, "prise en
étau", nous semble-t-il, entre une sociologie de la société capitaliste et une
sociologie du travail, la sociologie des organisations sportives se trouve aussi
assujettie à une sociologie des pratiques sportives (ou de la demande sportive) et
une sociologie des associations (ou du "mouvement sportif").
Le monde de l'organisation sportive est un monde étrange en ce qu'il produit
d'innombrables représentations de lui-même qui tendent à dessiner un espace où
chaque segment apparaît comme un point de vue sur le tout. S'organisant en autant
de "visions du monde" tout à la fois cohérentes et subjectives, ces faisceaux de
représentations sont pour la sociologie un objet d'étude à part entière. C'est pourquoi
l'analyse des organisations sportives doit s'envisager à deux niveaux : d'une part, le
plan de la "matérialité" (associations, budgets, équipements privés et publics,
statistiques, etc), d'autre part celui l'univers symbolique construit par les acteurs du
système.
Dans un souci de rompre avec le sens commun, il apparaît nécessaire dans un
premier temps d'interroger la croyance qui tend à représenter le "monde du sport"
comme un espace plus ou moins autonome, doté d'une logique spécifique
proprement sportive et associative. Mode d'organisation véhiculant les valeurs
"historiques" du sport, l'association semble constituer le seul modèle légitime pour
l'ensemble de l'offre sportive privée et publique. Postulant que l'ethos du marché2 et
1
Voir par exemple les travaux effectués par P. Chifflet (sociologie des fédérations sportives) et B. Ramanantsoa
et Thiéry-Baslé (sociologie et management des fédérations sportives) pour ne citer que les plus connus dans le
champ des STAPS.
2 Au sens d'une éthique utilitariste du marché moderne qui affaiblit les fondements moraux et sociaux de la
société selon Hirsch (F) dans Social Limits to Growth, Cambridge, MA Harvard U.P, 1978, cité par Zelizer (V)
"Repenser le marché. La construction sociale du "marché aux bébés" aux Etats-Unis, 1870-1930", Actes de la
recherche en sciences sociales, 94, 1992, pp. 3-26.
1
le contrôle des pouvoirs publics affaiblissent les fondements moraux du sport
(Zelizer, 1992), ce paradigme conduit les acteurs sportifs à dramatiser les dangers
moraux d'un espace sportif qui se laisserait gagner et corrompre par des pratiques
marchandes ou des intérêts politiques. En effet, le débat actuel sur les dérives du
sport fonde sa légitimité dans l'existence d'une orthodoxie sportive qui s'est
historiquement construite en opposition à l'économique et au politique.
Ainsi, le parti pris d'analyser l'organisation associative doit répondre avant tout à un
choix scientifique et non à une opinion préconçue, héritée du sens commun ou de
"l'histoire sportive" du chercheur.
Pour accéder aux facteurs explicatifs des dysfonctionnements dans les associations
sportives, il nous semble alors nécessaire de resituer l'organisation dans un champ
plus vaste, qui inclut non seulement le secteur privé non marchand mais aussi tout le
système social dans son ensemble. En outre, une théorie globale de l'organisation
sportive serait peut-être susceptible d'éclairer certains des phénomènes centraux de
la sociologie : l'intégration de comportements individuels libres dans des entreprises
communes et les représentations de l'action collective organisée légitime.
1. DE LA NOTION D'ORGANISATION SPORTIVE A CELLE DE CHAMP DE
L'OFFRE SPORTIVE.
La théorie du social développée par Pierre Bourdieu (Bourdieu, 1972, 1979, 1980)
nous apparaît susceptible non seulement d'aider à analyser l'organisation de l'offre
associative en relation aux autres systèmes de l'offre sportive, mais aussi de
dépasser l'opposition entre une logique des facteurs (sorte de "vision économiste"
du système) et une logique des acteurs (adoptée généralement par l'analyse
stratégique des organisations sportives).
En nous invitant à construire la relation dialectique entre "l'engagement" sportif de
l'agent et l'espace qui le conduit à agir et à apprécier les situations, les concepts de
champ et d'habitus semblent nous permettre de dépasser l'analyse descriptive des
conduites et des fonctionnements organisationnels. En effet, l'habitus contribue à
constituer le champ sportif associatif comme monde signifiant, doué de sens et de
valeur, dans lequel il vaut la peine d'investir son énergie et de prendre position.
L'habitus étant le social incorporé, il est "chez lui" dans le champ qu'il habite, qu'il
perçoit immédiatemment comme doté de sens et d'intérêt (Bourdieu, 1980 a). En ce
sens, la notion de champ semble pouvoir contribuer à la clarification des rapports
que les organisations sportives entretiennent avec leur environnement proche, voire
à une meilleure compréhension de leur fonctionnement interne.
Macro-sociologie du champ de l'offre sportive.
A un niveau macro-sociologique, l'offre sportive peut être ainsi appréhendée comme
un espace construit avec un ensemble de champs qui se présentent aussi comme
des marchés spécifiques. A l'intérieur de chacun d'eux, des institutions et, à travers
elles, des agents individuels et collectifs s'affronteraient symboliquement pour
s'approprier des profits de natures diverses selon la logique de fonctionnement du
champ (symbolique, social, financier, matériel, politique). Ces luttes ne sont
possibles que s'il y a accord préalable sur leur objet, d'où l'existence d'une complicité
objective entre les acteurs du champ sportif, fondée sur la reconnaissance de la
valeur des enjeux (Bourdieu, 1980 b). Ainsi, les rivalités internes au champ de la
1
2
prestation de services sportifs (privée marchande et non marchande) reposent-elles
sur la croyance partagée dans les vertus de la pratique sportive organisée3.
Au-delà de ce consensus minimal, les acteurs des différentes organisations
apparaissent plus divisés quant aux objectifs visés par la pratique physique et les
moyens à mettre en oeuvre pour les atteindre. Ainsi, par exemple, l'espace de l'offre
sportive associative s'est constitué historiquement dans et par le refus (ou
l'inversion) de la loi du profit matériel. Cependant, alors que le mouvement sportif
avait toujours tenté de maintenir le professionnalisme dans un champ restreint
(football, automobile, boxe, cyclisme), l'empêchant ainsi de "contaminer" tout le
sport, ce "hors-jeu" social et économique affiché par les dirigeants sportifs a
provoqué un malaise dans les années quatre-vingts, lorsque le sponsorisme entrait
en force dans le monde sportif. Le refus catégorique des défenseurs historiques du
sport amateur a fait place aujourd'hui à des compromis mais la lutte contre le
"pouvoir de l'argent" et les "déviations" du spectacle demeure.
L'espace sportif commercial a émergé, au contraire, en tant qu'univers dans lequel
"les affaires sont les affaires", les relations enchantées de la fraternité et de l'amour
étant en principe exclues4.
Chaque champ semble alors redéfinir le sport, lui confèrer des objectifs et lui
proposer un cadre organisationnel. En ce sens, chaque champ de l'offre sportive
apparaît comme un lieu de structuration sociale, induisant un système normatif, des
enjeux spécifiques, un espace structurel et des pratiques organisationnelles.
Enjeux sportifs locaux et sous-champ des associations sportives.
Les politiques sportives des associations, groupements associatifs ou municipalités
résultent ainsi des rapports de force qui se jouent dans un espace infiniment plus
complexe que le seul espace sportif. Pour en rendre compte, il apparaît nécessaire
de construire le champ des rapports de force et de lutte entre, d'une part, des agents
et des organisations sportives, qui sont eux-même en concurrence les uns avec les
autres et, d'autre part, des institutions et des agents qui, tout en étant extérieurs à
l'univers sportif, y interviennent pour faire valoir leurs intérêts ou ceux des personnes
qu'ils représentent. C'est au sein de ce champ des organisations sportives (qui
comprend des sociétés privées, des associations, des organismes d'Etat et des
organismes communaux) que sont définies, sur la base des antagonismes ou des
proximités d'intérêts mais aussi des antipathies ou des affinités identitaires, les
logiques et procédures de fonctionnement du système sportif local.
En outre, chacune de ces associations se caractérise par la possession de
propriétés qui peuvent fonctionner comme des capitaux dans l'espace local
d'implantation à partir du moment où elles peuvent en tirer des profits matériels et/ou
symboliques. Ainsi, par exemple, un club fortement doté en ressources financières et
possédant des équipes de haut-niveau apparaîtra comme une organisation détenant
un fort capital économique et un capital sportif élevé. Par ailleurs, étant bien
3
La logique interne spécifique du champ sportif s'est en effet constituée historiquement autour de la croyance en
les vertus de la pratique sportive organisée, notamment par les associations, sociétés, fédérations et clubs sportifs.
4 Ceci est évidemment à nuancer dans la mesure où l'offre sportive commerciale constitue aussi quelque fois le
lieu d'échanges entre clients et prestaires liés à la passion commune du sport. Voir à ce sujet l'analyse de Moati
(1993) pour qui le marché des biens culturels serait plus régulé par la passion que par la rationalité économique,
ou encore celle de Tribou (1995) qui repère dans les salles de remise en forme des "stratégies de détournement"
des valeurs associatives en cherchant à susciter chez les clients un sentiment d'appartenance (comme dans un club
sportif) pour faire oublier en quelque sorte l'objet marchand.
2
3
positionné dans la hiérarchie sportive, il possédera aussi un certain capital
symbolique (réputation, prestige sportif). La mise en relation de la structure du
capital de l'association et de la logique du sous-champ associatif d'insertion
permettrait alors de rendre compte de l'existence d'un pouvoir de l'organisation dans
son champ.
Cependant, tous les acteurs des associations sportives ne sont pas
"automatiquement" engagés dans les enjeux du champ. En effet, certains
n'expriment jamais leur position, d'autres s'investissent quand "le jeu en vaut la
chandelle" et enfin, certains dirigeants participent à toutes les actions (réunions,
assemblées générales, commissions, etc.) où se négocient et se définissent les
règles du jeu sportif local.
Etre intéressé par l'organisation du sport local dans un cadre associatif, c'est
accorder à un jeu social déterminé, un intérêt digne d'être poursuivi. Mais c'est aussi
attendre de son investissement des profits en retour. Ce "profit de
désintéressement" (Bourdieu, 1980 b) des responsables bénévoles semble rendre
compte, entre autres, de l'intérêt qu'il y a à se voir - et à être vu - comme ne
recherchant pas le profit.
L'engagement sportif peut ainsi être appréhendé comme un investissement sportif
qui traduit l'inclination à agir qui elle-même prend sa source dans la relation entre un
espace de jeu proposant certains enjeux et un système de dispositions ajusté à ce
jeu. Et c'est l'investissement dans le jeu sportif qui tendrait à générer des conflits
entre les dirigeants orthodoxes et ceux qui produisent des pratiques et discours
"subversifs". C'est en ce sens que le jeu entrepreneurial joué par certains clubs
sportifs est souvent considéré comme une "dérive" par les dirigeants "historiques" du
sport associatif (Gasparini, 1993).
Le champ de l'association sportive.
L'association sportive n'est pas une entité unitaire et homogène, organique,
susceptible d'être représentée par un sujet rationnel comme le "président" ou le
"bureau". Divisée en sous-organisations formelles et informelles, elle est composée
d'agents dont les intérêts spécifiques sont liés non seulement à chacune des
fonctions mais aussi à leurs penchants et leurs croyances propres. Les responsables
associatifs peuvent ainsi entrer en conflit pour de multiples raisons, et en particulier
pour le pouvoir de décision des orientations de l'association. Selon cette perspective,
les stratégies des organisations sportives seraient le produit de la relation entre des
intérêts et des dispositions associés à des positions dans les rapports de force et
des capacités à faire valoir ces intérêts (Bourdieu, 1990). En ce sens, le "projet" ou
la "politique" d'un club sportif ne serait pas autre chose que le champ de
l'organisation ou, plus précisément, la structure du rapport de force entre les
différents agents qui s'engagent dans le jeu ou, du moins, ceux d'entre eux qui
détiennent le plus grand poids dans la structure5.
5
La possibilité de considérer qu'une organisation fonctionne comme un champ est évoquée dès 1978 par Pierre
Bourdieu et Monique de Saint-Martin dans un article sur le patronat. Ils écrivent que chaque société fonctionne
comme "un champ de luttes où s'opposent des agents dotés de capitaux différents dans leur volume et dans leur
structure". Plus récemment, Pierre Bourdieu est amené à évoquer "les stratégies de l'entreprise comme champ"
(Bourdieu, 1990)
3
4
2. HYPOTHESES.
Postulant que l'engagement sportif associatif traduit une représentation du monde
sportif et du monde social, nous tenterons de repérer les systèmes de
représentations et les stratégies marquées par un habitus, un ethos et une histoire
qui conduisent les bénévoles à produire d'une part, des stratégies d'investissement
dans l'espace sportif associatif et, d'autre part, des visions de l'avenir de celui-ci et
de leur organisation. Il s'agira ainsi de saisir s'il existe une relation entre le pluralisme
de modalités d'organisation et de représentations de l'action sportive collective et le
pluralisme d'identités socio-culturelles.
Au-delà de la matérialité de la structure sportive associative, l'ordre sportif est
d'abord un ordre mental. Comme le monde social dans son ensemble, le monde
sportif associatif est doté d'une tendance à persévérer dans l'être, d'un dynamisme
interne, inscrit à la fois dans les structures objectives (les organisations sportives et
les propriétés des acteurs sportifs) et dans les structures "subjectives". Cet ordre
sportif est continuellement entretenu par des actions de construction et de
reconstruction des structures qui dépendent de la position occupée par ceux qui les
accomplissent.
En outre, les stratégies des organisations sportives ne peuvent être comprises si on
ne saisit pas dans le même temps l'état du rapport de forces entre les parties en
présence (dirigeants, sportifs, sympathisants, salariés associatifs, élus municipaux),
leurs dispositions et leurs convictions. C'est à partir de la connaissance de
l'organisation sportive et de ses enjeux que l'on peut finalement mieux saisir le point
de vue des responsables bénévoles et leurs prises de position par rapport à des
problèmes concrets posés à l'organisation. En ce sens, l'analyse des effets de
position dans l'association sportive doit être complètée par celle des effets de
disposition.
La relation dialectique entre des classements sociaux et les catégories "spontanées"
des visions du monde sportif, associée aux luttes symboliques pour la maîtrise du
sens et de la valeur qu'elle suppose, fournit ainsi le fondement possible d'une
approche sociologique des organisations sportives et de l'engagement associatif.
3. METHODOLOGIE
Afin de préserver une certaine unité géographique et de tenter de maîtriser un
certain nombre de variables contextuelles, nous avons choisi l'Alsace comme terrain
d'analyse. C'est pour des raisons d'homogénéité, de connaissance de l'espace et
d'accessibilité des différentes structures que nous nous sommes limité à un sousespace administratif : la Communauté Urbaine de Strasbourg (C.U.S). Le choix de
l'Alsace s'explique en outre pour d'autres motifs, comme par exemple, la forte
tradition associative6 et le cadre juridique et associatif spécifique (Code civil local)7.
6
L'Alsace apparaît comme l'espace régional dont la densité des associations sportives est l'une des plus
importantes de France (Forsé, 1988). Le mouvement social chrétien, qui s'y est développé de manière massive au
début du siècle, a notamment suscité l'émergence de nombreux cercles paroissiaux, sociétés de gymnastique et
clubs de patronage, véritables fondements du tissu associatif alsacien moderne. Cette tradition est souvent issue
d'une pratique corporative très vivace en Alsace, comme dans tous les pays de l'espace rhénan.
7Dans le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle, les associations relèvent du Code civil local issu du droit
allemand, qui a été maintenu dans ces départements par la loi d'introduction de la législation civile française du
4
5
L'espace local retenu est constitué de quatre villes de tailles et de structures
différentes implantées au sein de la C.U.S8. Localisées dans un même bassin de
vie, les communes choisies subiront de la même manière l'effet de cet espace de
proximité en même temps que l'effet produit par la commune pôle (Strasbourg) du
bassin d'offre sportive. La prise en compte d'un espace intercommunal comme la
C.U.S permet de repérer des continuités entre des stratégies sportives
d'associations de différentes communes mais implantées dans un même espace de
proximité. Strasbourg constitue, en effet, un pôle d'attraction et en même temps un
modèle pour les villes situées dans la C.U.S.
Nous avons étudié les stratégies des associations et de leurs acteurs d'une petite
commune de type résidentiel mais anciennement rurale (Wolfisheim), d'une
commune péri-urbaine de taille moyenne et de type résidentiel (Lingolsheim), d'une
commune urbaine de type industriel de 29000 habitants (Schiltigheim) et enfin, d'une
métropole de 252 000 habitants (Strasbourg)9.
Notre échantillon est constitué d'associations à caractère sportif choisies sur critères
qualitatifs à partir d'un croisement de trois typologies :
- une typologie des modèles de pratique sportive associative (compétition olympique,
non olympique, affinitaire, loisir),
- une typologie des groupes d'activités sportives (sports collectifs, sports individuels
traditionnels, sports individuels réputés chers, jeux et sports régionaux, activités
d'expression, activités de pleine nature),
- une typologie des organisations sportives selon le volume et la structure du capital
possédé (économique, humain, sportif, social).
Afin de représenter la diversité des activités physiques et sportives pratiquées dans
l'espace d'étude, les associations déclarées proposant les pratiques répondant à un
certain nombre de critères (coûteuses/peu coûteuses, individuelles/collectives,
masculines/féminines, par exemple) ont été retenues, ainsi que d'autres critères
permettant
de
caractériser
les
organisations
sportives
associatives
(omnisport/unisport, petit budget (inf. 50KF)/budget important (sup. 300KF), capital
sportif élevé/petit capital sportif, par exemple).
A partir de ces critères, nous avons construit quatre catégories d'organisations
associatives :
- les clubs sportifs et sections d'associations sportives compétitives unisports
affiliées aux fédérations olympiques,
- les clubs et sections d'associations sportives compétitives affiliées aux fédérations
non olympiques, affinitaires et spécialisées,
- les associations ou sections de loisirs sportifs non compétitives,
- les associations non sportives offrant des pratiques d'exercice corporel.
1er juin 1924. Ainsi, par exemple, l'association de droit local n'est pas limitée à un but désintéressée ; la
possibilité d'un partage du patrimoine entre les membres au moment de la dissolution est d'ailleurs expressément
prévue par le Code local.
8 La Communauté Urbaine de Strasbourg regroupe 27 communes réparties sur un territoire de 306 km² et
totalisant une population de 423 700 personnes (chiffres de 1990). L'agglomération de Strasbourg agrège à elle
seule plus de 388 500 habitants sur une superficie de 171 km². En outre, celle-ci abrite plus de 9 000 associations
(sur un total de 9 850 pour l'ensemble de la C.U.S), dont environ 300 qui proposent des activités à caractère
sportif (chiffres de 1994, enquête menée par le Laboratoire "APS et Sciences sociales" de l'Université de
Strasbourg II, sous la direction de W. Gasparini).
9 Afin de maîtriser de probables effets politiques sur les logiques sportives locales, les communes retenues
reflètent aussi les diverses tendances politiques majoritaires des conseils municipaux en Alsace.
5
6
L'échantillon comporte 26 associations, réparties proportionnellement à la taille des
villes et à la densité de chacune des catégories d'association. Dans notre population,
nous avons choisi d'interroger des responsables engagés à deux niveaux de
participation différents : les responsables "politiques" (membres élus du comité) et
les membres "actifs" (non élus) participant bénévolement à une activité de
l'association (animation sportive, accompagnement, etc.) et prenant position dans
certains débats.
Pour chaque association, nous disposerons ainsi du point de vue de deux acteurs
bénévoles impliqués à des niveaux différents dans l'organisation formelle
(organigramme) ou informelle ("système d'action concret" selon les problèmes à
règler). L'échantillon des individus est ainsi composé de 52 bénévoles10.
Diverses techniques d'investigation qualitatives ont été nécessaires pour recueillir
l'ensemble des informations pertinentes :
- l'enquête par entretien à usage principal.
Un guide d'entretien a été construit à partir d'un tableau d'indicateurs regroupant
l'ensemble des variables nécessaires à l'opérationnalisation des hypothèses. A
l'image des "stammtesch" alsaciens11 où l'on parle ouvertement sur le mode de la
confidence et où l'on refait le monde sportif alsacien autour d'une table de "winstub",
la relation directe enquêteur-enquêté dans un univers familier (la salle
d'entraînement, le club-house ou le bar du quartier) permet au sujet de se livrer sur
le mode du discours spontané sans le poids du formalisme d'une enquête par
questionnaires. En effet, la salle ou le club-house sont aussi le support de ce que
Simmel appelle la "sociabilité", ces processus purs d'association qui sont à euxmême leur propre fin (Simmel, 1971). Cette méthode de lecture interne de l'univers
étudié rejoint en partie celle de l'enquête ethnographique utilisée par des
sociologues comme Hoggart (1970) ou Wacquant (1989).
Les groupes d'indicateurs ont été classés en deux volets : les propriétés objectives
de l'agent et de sa famille (caractéristiques socio-culturelles, passé sportif, pratiques
associatives, style de vie) et les représentations de l'agent (sur sa fonction,
l'organisation associative, le sport et ses changements, l'éthique sportive et les
perspectives d'avenir). Les interviews enregistrées ont été intégralement
retranscrites afin de servir de matière première à une analyse de contenu12. .
10
Compte tenu des catégorisations élaborées précédemment, cet échantillon diversifié repose sur la sélection de
composantes non strictement représentatives mais caractéristiques de la population des responsables associatifs et
de l'offre sportive associative locale.
11 Le "stammtesch" en Alsace est la table que l'aubergiste réserve à ses plus fidèles clients et à ses meilleurs
copains (composée majoritairement d'hommes). C'est dans ce type de lieu que se retrouvent souvent les acteurs
du monde sportif associatif alsacien, notamment après les réunions, les entraînements ou les compétitions
sportives, afin de refaire en quelque sorte "la petite histoire" du sport alsacien. Voir à ce sujet le petit ouvrage du
journaliste sportif local F. Braesch, Le stammtisch du sport alsacien, Ed. L'Alsace, 1985. Au-delà du fait
journalistique, ce recueil nous apparaît comme un document ethnographique de première main traitant de
l'imaginaire sportif associatif alsacien .
12 Notre analyse thématique a consisté à découper transversalement tout le corpus afin d'intégrer, pour chaque
agent social, les fragments de discours traduisant des représentations et les éléments définissant leurs
caractéristiques. Celle-ci a permis de sélectionner et extraire les données susceptibles de permettre la
confrontation des hypothèses aux faits. En outre, afin de s'inscrire davantage dans la logique de la preuve mais
aussi dans un souci d'illustration, nous avons eu recours au logiciel SPAD.N intégré, permettant de réaliser des
analyses factorielles de correspondances multiples à partir d'indicateurs pertinents obtenus et retenus en variables
actives et illustratives.
6
7
Ces entretiens ont été réalisés entre la mi-décembre 1994 et fin avril 1995 et ont
donné lieu à un relevé ethnographique décrivant succinctement la situation
d'entretien pour chaque interviewé.
- le recueil des données organisationnelles et l'analyse des associations.
Pour relever les caractéristiques pertinentes au regard de nos hypothèses nous
avons eu recours à des grilles d'analyse construites à partir de groupes d'indicateurs
relevant les propriétés objectives de l'association (structure et volume du capital,
activités, modes de gestion et relations à l'environnement) et les propriétés
symboliques (capital social, images renvoyées par l'association, réseaux de relations
internes). Ces grilles permettent d'attester non seulement de l'organisation formelle
mais aussi de l'identité de chaque association et de ses coalitions internes.
- l'analyse des conflits à travers les productions écrites
Le corpus est essentiellement composé d'articles de quotidiens locaux, de compterendus d'assemblées générales (d'Offices de Sports, de comités départementaux ou
d'associations) ou de réunions diverses faisant apparaître un problème sportif à
règler et mobilisant des acteurs issus d'organisations aux intérêts divergents ou
opposés. Ces données ont été recueillies sur une période de 5 ans (1990-1995).
- l'analyse des caractéristiques de l'espace d'insertion des associations
Toutes les associations sont resituées dans leur espace de proximité (quartier, ville,
groupement de communes) à travers la prise en compte de l'offre concurrentielle
dans la même zone de chalandise, de la structure socio-démographique des
résidents, du contexte socio-économique et de la politique sportive mise en oeuvre
par la municipalité.
4. RESULTATS.
Compétences professionnelles et responsabilités associatives.
L'analyse des professions des dirigeants sportifs nous permet de segmenter
globalement l'échantillon en quatre groupes : les professions libérales et cadres
d'entreprise (16 personnes), les enseignants et les professions intermédiaires de la
santé et du travail social (11 personnes), les professions intermédiaires
administratives et commerciales d'entreprise et les techniciens (10 personnes) et,
enfin, les ouvriers qualifiés, contremaîtres et employés (15 personnes).
Un premier constat s'impose : de notre échantillon sont absents les agriculteurs et
artisans ainsi que les ouvriers non qualifiés. Au-delà des effets liés au contexte
urbain de l'étude13 et au choix aléatoire des associations, cette absence semble
aussi traduire la distance ou la mise à distance de ces professions face aux
responsabilités associatives. En effet, toutes les enquêtes concordent pour dire que
les ouvriers sont généralement moins présents que les autres classes (absolument
et relativement) dans tous les types d'associations (Héran, 1988).
13
L'implantation urbaine ou semi-urbaine des associations étudiées semble en effet influencer la structure sociale
des responsables de notre échantillon. A un échelon national, on peut observer, au sein de chaque type
d'agglomération, des disparités systématiques entre C.S.P : alors que les membres des classes supérieures ont
deux fois plus d'adhésions que les ouvriers non qualifiés dans les zones les plus rurales, ils en ont cinq fois plus
dans les petites villes et neuf fois plus qu' à Paris. Partout les ouvriers occupent la dernière place mais leur
participation à la vie associative se fait néanmoins plus intense à la campagne. Elle tend à décroître avec la taille
de l'agglomération, comme si l'entrée dans une association n'était envisageable pour eux que dans le cadre
restreint d'une communauté locale où l'interconnaissance va de soi. Voir à ce sujet Héran, F. (1988).
7
8
La responsabilité associative, notamment dans les fonctions de président ou de
dirigeant élu au comité, apparaît globalement comme un phénomène de "couches"
sociales moyennes et supérieures. Comme le fait remarquer Michel Bozon, les
fonctions de représentation dans de nombreuses associations échoient volontiers
aux cadres ou aux notables, tandis qu'il incombe le plus souvent aux membres
d'origine populaire de "s'occuper du matériel" ou de "former les jeunes à la base"
(Bozon, 1984).On observe en effet à partir de notre enquête une sur-représentation
des cadres et professions libérales dans les fonctions de président, alors que les
fonctions de "responsable des jeunes", "accompagnateur" ou "responsable de
l'entretien" incombent plutôt aux agents issus des couches moyennes et populaires.
Cependant, parmi les 15 responsables exerçant une profession d'ouvrier qualifié,
employé ou contremaître, on en dénombre tout de même 9 qui assurent la fonction
de président de club ou de section d'association. Ces dirigeants sont essentiellement
engagés dans de petites associations soit de type affinitaire ou corporatif, soit de
type compétitif proposant surtout des sports et jeux traditionnels ou à forte
fréquentation populaire (quille, pétanque, football, joutes nautiques).
Au-delà des différences socio-professionnelles, la majorité des présidents se
rejoignent dans l'occupation de métiers "à responsabilité", qu'il s'agisse du
contremaître, du médecin ou du P.D.G. Comme si, pour accéder à cette fonction
associative, il fallait attester d'une compétence dans l'exercice de la responsabilité
ou dans la gestion des ressources matérielles et/ou humaines. L'étude de la
composition sociale de quelques bureaux de comités de notre échantillon permet
d'illustrer cette tendance.
A.S.P.T.T
Tableau 1 : Composition sociale des bureaux d'association
Président
Vice-président Trésorier
Secrétaire
Directeur
Enseignant
Directeur des Fonctionnaire
départemental
ressources
de la Poste
de la Poste
humaines
Société
Nautique
Strasbourg
Médecin
Agent
immobilier
Médecin
Régisseur
l'Université
A.S.L
Robertsau
Assureur
Banquier
Cadre
banque
de Kinésithérapeut
e
Société
CuisinierOuvrière Gym. restaurateur
et
Sportive
"L'Avenir"
Directeur
personnel
Sporting Club
P.D.G
Club Olympia
Chef
d'entreprise
Cadre
commercial
Cuisinier
Alsatias Unitas Employé
mairie
de Cheminot
8
du Commerçant
Expertcomptable
Comptable
Employé
banque
à
Concierge
d'école
Agent
de
maîtrise
Agent S.N.C.F
de Secrétaire
direction
de
9
L'analyse des professions permet en outre d'observer d'autres tendances :
- plus l'association est importante (en taille et en niveau d'excellence sportive), plus
les responsables élus au bureau se situent parmi les classes supérieures, comme si
dans ce type d'association, il fallait posséder un "titre" et un capital social qui "ouvre
les portes", en quelque sorte.
- plus l'association est petite et propose des sports pratiqués par des fractions plutôt
populaires, plus les responsables élus au bureau se situent parmi "l'aristocratie
ouvrière".
- pour certaines fonctions associatives comme le secrétariat ou la trésorerie, on
observe souvent une corrélation entre la profession exercée et le travail exigé par le
poste dans l'association.
Usages sociaux de la responsabilité associative et formes de sociabilité.
Nous avons pu constater à travers l'étude des cultures associatives véhiculées dans
les discours des dirigeants des "styles socio-associatifs", correspondant aux rapports
fondamentaux qu'ils entretiennent avec leurs associations. Les rapports à la
hiérarchie, les modes de sociabilité ou les modalités de recrutement des membres
indiquent souvent des usages sociaux différenciés de la pratique associative.
Les observations réalisées dans des clubs comme les Joutes Nautiques de
Schiltigheim, la Société Ouvrière et Gymnastique des Sports "L'Avenir" ou le F.C.
Wolfisheim montrent à l'évidence que les classes populaires répugnent souvent à ce
que la fréquentation d'une association leur impose des comportements spécifiques
ou contraints. Ainsi, le style socio-associatif des fractions populaires semble
correspondre au style même de la "culture ouvrière" (Verret, 1988) : échelles
contrôlables de la camaraderie (petits clubs, petits "gueuletons", petit club house),
formalisations légères (fonctionnement "à la bonne franquette") et hiérarchie
minimale. Ce familialisme et ce localisme populaires s'harmonisent parfaitement
avec l'informalisme : on ne fréquente que ceux dont on est proche affectivement,
localement, socialement, ceux avec qui il n'est pas besoin de formes.
Pour les classes supérieures, en revanche, les associations sportives semblent
constituer un lieu où les individus se sélectionnent ou se jugent, en évaluant
mutuellement leur capacité à pratiquer la formalisation du contact social. Lieu
d'apprentissage, d'expérimentation et de mise en scène d'un certain formalisme, les
associations fréquentées et gérées par les membres de fractions sociales
dominantes peuvent fonctionner à la fois comme club de rencontre et comme banc
d'essai pour futurs notables (Bozon, 1984 ; Callède, 1995).
Le formalisme bourgeois qui caractérise aussi bien les contacts familiaux, amicaux,
qu'associatifs apparaît comme un perpétuel exercice de style. Que ce soit le mode
de recrutement par cooptation, le système de convenances et de règles lors des
rencontres sportives ou des réunions ou les modes et pratiques de sociabilité
sportive et extra-sportive, ces usages sociaux de la participation associative
traduisent une certaine cohérence sociale. Le tableau n° 2 illustre, à travers deux
cas d'opposition, les spécificités relatives aux formes de sociabilité.
9
10
Tableau 2 : Diversite des sociabilités associatives : l'opposition entre le club des
joutes de Schiltigheim et l'Ill tennis club.
Mode de recrutement
Espaces
dominants
sociabilité
Joutes
Nautiques Ill Tennis Club
Schiltigheim
Relations amicales locales Cooptation - Parrainage
ou infralocales
internes Club
house,
lieux
de pratique des joutes
Proximité
dirigeants
de Bar, restaurant, terrasse,
courts de tennis
adhérents- Cloisonnement
hiérarchique
Rapport à la hiérarchie
Tutoiement de rigueur
Salariés/dirigeants/licencié
s
Vouvoiement fréquent
Modalités de réunion
Caractère informel, au club Caractère formel
house, non respect des Au siège du club
statuts associatifs
Mode de désignation Votes à bras levé
Votes à bulletin secret
des responsables
Usage
du
alsacien
dialecte Dominant
Usage restreint
En réunion, club
lieux de la pratique
house, Certains membres, sur les
courts
Communication interne Autour du club house, "lieu Stratégie
de
communication interne :
de vie" de l'association
bulletin, plaquette, soirées,
tournois
Ainsi, l'homogénéité sociale des membres d'une association sportive apparaît
comme une condition essentielle de la solidarité interne et de l'apparition d'un "esprit
club", se traduisant par le sentiment de partager la vie de l'organisation (Waser,
1995). Cette homogénéité semble par ailleurs faciliter le travail des dirigeants
puisqu'ils trouvent souvent l'approbation d'un grand nombre d'adhérents dans leurs
choix stratégiques. L'hétérogénéité sociale semble par contre créer des tensions du
fait de la diversité des usages sociaux de la participation associative. Ainsi, des
comportements d'évitement ou d'alliance par affinités sociales apparaissent de
même qu'une rupture entre élite sportive et adhérents.
10
11
Champ de l'association sportive et luttes symboliques.
En nous attachant à étudier de manière plus approfondie certaines associations
sportives strasbourgeoises, nous avons observé qu'elles retraduisent souvent, selon
leur logique propre, les oppositions qui structurent l'espace immédiatemment
englobant, c'est-à-dire le sous-champ de l'offre sportive associative de Strasbourg.
Organisé autour de lieux qui permettent l'échange et la confrontation entre les
acteurs sportifs engagés dans le jeu associatif, ce champ se définit par des enjeux et
des intérêts spécifiques irréductibles à ceux d'un autre champ (le champ de l'offre
socio-culturelle, par exemple) :
- les lieux qui structurent le champ : l'assemblée générale de l'Office des Sports, le
service des sports, les réunions de remises de médailles pour les sportifs et
dirigeants méritants14, les manifestations sportives organisées conjointement par la
municipalité et les associations locales, les débats à objet sportif, les stages de
formation ou de perfectionnement des dirigeants, bref, toute réunion formelle ou
informelle regroupant les acteurs investis dans le jeu sportif associatif.
- les enjeux : la répartition des subventions (selon quels critères ?), la politique
sportive municipale, la légitimité dans l'organisation de la pratique sportive locale, la
reconnaissance sur le plan sportif et social.
A titre d'exemple pour illustrer la dynamique du champ, nous avons pu remarquer
des divergences d'intérêt entre élus locaux et dirigeants sportifs lorsqu'il s'est agi de
regrouper des associations distinctes proposant les mêmes disciplines sportives. Le
souhait de la ville de Strasbourg de regrouper les clubs de volley-ball, de hand-ball
ou de rugby évoluant à un même niveau dans le but de réduire les dépenses et de
mieux représenter la ville s'est heurté à une coalition de dirigeants qui voulait
maintenir l'identité et l'autonomie de leurs associations. Cependant, cette opposition
au projet municipal n'a pas fait l'unanimité dans les associations ayant un intérêt
dans ce jeu puisque les débats qui ont eu lieu à ce sujet ont révélé des divergences
d'opinion. L'exemple des trois clubs de volley-ball évoluant en Nationale III sollicités
par la ville pour un regroupement en 199215 démontre la présence d'un groupe
majoritaire d'opposants, d'un groupe minoritaire de membres neutres et d'un petit
groupe de partisans du projet de la municipalité. Si les agents du premier pôle ont en
commun d'être relativement âgés, d'avoir une certaine ancienneté dans leur
association, d'occuper des fonctions d'élus au bureau, d'être dépourvus de titres
sportifs et de diplômes scolaires élevés, les agents situés au pôle opposé ont en
commun d'être plus jeunes, plutôt détenteurs d'un capital à dominante culturelle et
plutôt favorables à la professionnalisation de leur sport. Or, ces derniers sont en
quelques sorte condamnés, dans l'état actuel du champ, à occuper une position
subordonnée par rapport aux premiers qui détiennent le monopole de la définition de
l'organisation associative légitime. Toutefois, aucun de ces deux pôles n'est
homogène et les oppositions qui les traversent se retraduisent dans leurs
confrontations autour de la mise en place de nouvelles politiques sportives.
14
Les "dirigeants méritants du sport strasbourgeois" doivent ainsi avoir 30 années de bénévolat à leur actif pour
recevoir, lors d'une cérémonie en leur honneur, une plaquette du dirigeant méritant. Depuis l'existence de cette
distinction (1960), ce sont plus de 300 élus qui "forment à eux seuls une confrérie à laquelle tous les sportifs
doivent le respect" (Extrait de l'allocution du président de l'Office des Sports de Strasbourg lors de la cérémonie
de remise des médailles - 29/11/90).
15 La Strasbourgeoise, le Racing Club de Strasbourg et l'A.S.P.T.T Strasbourg.
11
12
En ce sens, le sous-champ sportif associatif retraduit, selon sa logique propre, les
oppositions produites par le projet de municipalisation de certains segments de
l'offre associative, oppositions qui tendent à structurer en partie le champ associatif
strasbourgeois.
Ainsi, il n'est pas d'association sportive qui ne fonctionne comme un champ et ne
soit traversée de luttes de concurrence. Comprendre comment a pris forme une
nouvelle politique sportive ou de nouvelles orientations nécessite de saisir comment
s'organise un tel espace : quelles sont les logiques qui structurent les actions et les
prises de positions tant individuelles que collectives.
Les plus forts conflits éthiques semblent émerger dans des associations composées
d'acteurs issus d'univers sociaux et éthiques différents. En effet, ces organisations
constituent des lieux où des responsables (bénévoles et salariés) dotés de
propriétés différentes organisent le sport selon des usages et des conceptions en
accord avec leurs conditions d'existence, leur histoire et l'ethos de leur groupe social
d'appartenance. Formule génératrice non constituée comme telle, ce "système de
valeurs" permet d'engendrer, sur tous les problèmes qui interpellent les
responsables sportifs, des réponses et des actes objectivement cohérents entre eux
et compatibles avec les postulats pratiques d'un rapport pratique au monde.
Cependant, même si les dirigeants oeuvrent dans différentes associations à
caractère sportif, il n'en demeure pas moins évident qu'ils reconnaissent de façon
consensuelle certaines caractéristiques du sport et de l'association sportive. Quelle
que soit leur position dans le sous-champ associatif, ils partagent en grande majorité
cette éthique de la conviction sans laquelle aucune entreprise, en particulier morale,
ne saurait fonctionner. Il s'agit d'une sorte d'éthique sportive minimale ou d'un
système de valeurs partagées qui crée une représentation collective spécifique au
champ16.
L'analyse des discours des responsables de notre échantillon permet de déceler sa
cohérence interne. Celle-ci semble produite par l'intériorisation d'un ensemble de
croyances : - les bienfaits de l'exercice physique : l'idée que la pratique d'une activité
physique est bénéfique pour le corps humain est partagée par la majorité des
responsables sportifs ;
- l'unité du club : de nombreux responsables utilisent à leur propre usage et à celui
de l'extérieur la référence au modèle des relations familiales. A travers un incessant
travail de mise en scène de l'ambiance familiale et de l'unité du club, les divisions
sont souvent gommées et les querelles de personnes se passent en coulisse ;
- la moralité du bénévolat sportif : selon la grande majorité des dirigeants de notre
échantillon, le bénévolat constitue le garant d'une certaine moralité. L'idéologie du
bénévolat semble ainsi produire l'image d'un système sportif associatif local où les
divergences de conception sportive sont dépassées et transcendées par la grande
cause positive du sport éducatif, humaniste et fraternel. D'après eux, le bénévolat (et
l'amour du sport) seraient les dénominateurs communs entre les membres venus
d'horizons politiques, culturels et socioprofessionnels très différents ;
- la perversion du sport par les acteurs non associatifs : pour la majorité des
responsables, ce n'est pas réellement l'argent qui pervertit le sport mais son
utilisation par des acteurs non associatifs. D'après eux, ce n'est plus le
professionnalisme sportif et l'argent qu'il faut combattre, mais plutôt la "déviation" du
16
Selon Pierre Bourdieu, un champ se caractérise toujours par un consensus minimal, support et condition des
luttes qui s'y déroulent. Il en va différemment dans le "système d'action concret", dont Erhard Friedberg (1993)
nous dit qu'il ne présuppose pas, au départ, l'existence d'une vision partagée ou d'un accord fondateur.
12
13
spectacle sportif, c'est-à-dire la corruption et le souci de rentabilité développés par
des personnes "extérieures" au mouvement sportif comme les commanditaires, les
sponsors, les managers ou les imprésari ;
- le développement d'une nouvelle "race" d'adhérents, les "sportifs-consommateurs" :
selon l'ensemble des dirigeants, les adhérents deviennent de plus en plus des
"consommateurs" de pratique sportive et participent de moins en moins à la vie de
l'association. Ce décalage constaté entre les aspirations des responsables et les
pratiques "individualistes" ou consuméristes des adhérents se décline cependant sur
le mode de la nostalgie et varie selon l'âge des acteurs et leur association
d'appartenance.
Reproduisant un discours véhiculé dans l'ensemble du "monde" sportif, ces
quelques références communes nous montrent que la production d'une opinion sur
le sport semble aussi déterminée par l'effet de l'orthodoxie sportive associative. Il
s'agirait d'une sorte d'axiomatique "politique" et déontologique -souvent appelée
"éthique sportive"- qui permet d'engendrer ou de prévoir l'infinité des jugements et
des actes sportifs dans l'algorithme et ceux-là seulement.
Or, ces valeurs partagées semblent recouvrir une pluralité de sens selon les agents
de notre échantillon. Cette diversité non seulement sépare les dirigeants sportifs
dans leurs représentations du mode d'organisation légitime du sport mais tend aussi
à générer des conflits internes d'ordre éthique. Néanmoins, ces divisions internes
sont très souvent masquées dans les discours tournés vers l'extérieur, ce qui rend
particulièrement difficile le recueil de données pour saisir les enjeux de ces conflits.
Donner une image d'homogénéité apparente ne va pas sans entraîner certaines
exigences fonctionnelles qui consistent tout d'abord en une mise en scène de cette
unité. En outre, cela suppose le silence sur tout ce qui peut apparaître comme
générateur de conflits internes, c'est-à-dire les rémunérations des joueurs, le salaire
d'un permanent, la politique "politicienne", la politique de la ville ou le sponsorisme.
L'accord implicite pour ne pas mettre à jour les luttes symboliques constitue un
véritable système d'occultation.
Cet "effet de clôture" n'est pas sans rappeler l'idéologie localiste dans son hostilité à
tout ce qui divise, sa méfiance à l'égard de l'extérieur et son unanimisme affiché. En
effet, ce phénomène se ressent davantage dans les associations restreintes ou
moyennes implantées dans de petites communes ou dans des villes moyennes.
Tout ce qui peut apparaître comme une atteinte à l'unité du club est en conséquence
perçu dans une dimension éthique. A partir du moment où l'unité est une mystique,
toute atteinte est une trahison. C'est ainsi qu'ont été ressenties la scission de
membres et la polémique entre dirigeants d'une association de notre échantillon par
voie de presse.
Les variations éthiques observées permettent de repérer globalement quatre types
de discours emblématique chez les dirigeants bénévoles de notre échantillon.
Construite à partir des dimensions retenues dans l'analyse des représentations,
cette classification tente de regrouper les dirigeants à l'intérieur d'idéaux-types.
Ceux-ci devraient permettre de mieux saisir les logiques des désaccords
observables dans la dispersion des traductions des discours emblématiques des
responsables bénévoles (cf. Tableau n° 3).
13
Nécessité de redéfinir le sport
pour le rendre éducatif ;
recours au sport comme
moyen d'épanouissement
Mission de service d'intérêt
public et social ; ouverture sur
le lieu de vie
Vertus de l'économie sociale
et publique ; critique de la
professionnalisation des
sportifs ; encadrement du
sport par des animateurs
socio-sportifs
Le capital associatif et la
possession d'un métier dans
les secteurs public ou parapublic
Appropriation du secteur du
"sport social"
Les vertus du sport sont
en lui-même ; paradigme
de la compétition sportive
à tous les niveaux de
pratique
Lieu de formation
sportive, de solidarité et
d'éducation à la vie en
collectivité
Vertus de l'économie
sociale et publique ; sport
gratuit et encadré par
d'anciens sportifs
Le capital sportif et le
"voyage initiatique" dans
l'organisation en tant que
légitimation d'une
compétence
organisationnelle
Le sport doit rester aux
sportifs
Rapport au
sport
Rapport à
l'association
Rapport à
l'économique
Rapport à la
compétence
14
Rapport à
l'avenir
Stratégies mixtes de l'offre
sportive : sportivo-éducative et
commerciale
Le diplôme ou la possession
d'une compétence
gestionnaire professionnelle
Vertus de l'économie libérale ;
professionnalisation des
intervenants associatifs ;
efficacité et rationalisation de
la production ; culture
d'entreprise
Organisation qui permet d'offrir
des prestations de service
sportif à un faible coût ;
logique de la demande ; lieu
de pratique sportive et
d'organisation de spectacles
Fonctions biologique et ludique
du sport ; le sport est un
divertissement et un plaisir ; il
est aussi un spectacle
Décisions selon les
contingences du champ
sportif
La qualification associée à
la connaissance du
"milieu"
L'argument gestionnaire
est fondé sans adhérer
pour autant aux excès du
libéralisme sportif
L'association est un lieu
d'échanges qui permet à
des individus de
s'adonner à un sport de
leur choix
Modalité de pratique
sportive selon les
caractéristiques des
pratiquants
Prises de position des
Prises de position des
Prises de position des
dirigeants du 2ème groupe (13 dirigeants du 3ème groupe (12 dirigeants du 4ème
individus)
individus)
groupe (10 individus)
Prises de position des
dirigeants du 1er groupe
(17 individus)
OBJET DE
DISCOURS
14
Tableau 3 : Les discours emblematiques selon les types ethiques.
15
On peut ainsi déceler un pluralisme de prises de positions face à un même problème
et un même objet. Débats, échanges et controverses traduisent des enjeux de lutte
symbolique pour la définition du sport et du fonctionnement associatif légitime soit de
manière interposée et différée (jugement par rapport à l'action ou l'opinion d'un autre
dirigeant), soit directement dans des lieux de rencontre plus ou moins institués
(assemblée générale, réunion, commission, pot, remise de médaille, manifestation
sportive, etc.) Ces diverses prises de position se déploient en une série de
divergences qui délimitent les énonciations possibles sur ces divers objets que sont
les rapport au sport, à l'association, à l'économique, à la compétence et enfin, à
l'avenir.
Ainsi, au-delà de ses seules propriétés matérielles et objectives qui le structurent et
le clivent, l'organisation sportive est aussi un "espace représenté" et sa réalité
apparaît plurielle et conflictuelle. Dans ce sens, la dynamique observée peut être
envisagée comme un champ de concurrences dans lequel évoluent des agents qui y
défendent leurs intérêts propres (idéaux, convictions, morale, pouvoir, etc.) et qui, à
partir du moment où ils intègrent ce champ, cherchent à y imposer leur point de vue,
par leurs discours ou leurs actes.
L'identité socio-culturelle des dirigeants peut ainsi "combler" les vides de la règle et
les réponses non prévues par l'organisation, le projet associatif ou la fédération
d'affiliation. Aussi bien dans les situations ordinaires que dans les occasions
extraordinaires de la vie associative, les dirigeants associatifs peuvent s'emparer des
marges de liberté laissées à leur action pour exprimer leur identité culturelle et les
pulsions socialement constituées de leur habitus et de leur ethos.
En ce sens, le champ de l'association est ainsi présent, à chaque moment, sous une
forme matérialisée (dans des structures organisationnelles), et sous une forme
incorporée, dans les dispositions morales et sociales des agents qui font fonctionner
ces organisations sportives.
Les représentations du monde sportif et les "penchants" pour un certain mode
d'organisation associative des dirigeants semblent tributaires de leurs systèmes de
valeurs. Ensemble formé de croyances idéologiques, politiques, religieuses mais
aussi de passions et d'intérêts hérités de leur position sociale et de leur condition
d'existence, ce "sens du jeu" est fait de principes incorporés, générateurs de règles
et de codes de fonctionnement. Il objective, en quelque sorte, les représentations de
l'action collective organisée. La culture organisationnelle et les stratégies des
dirigeants sportifs seraient dans ce sens une morale en acte.
De probables déterminations socioculturelles des catégories de perception de
l'organisation sportive.
Les résultats de l'enquête nous révèlent un certain nombre d'effets susceptibles de
produire les catégories de perceptions décelées précédemment.
- les effets des propriétés de position et de condition
La structure du capital possédé par l'agent, son secteur d'activité professionnelle et
son style de vie apparaissent comme autant de facteurs influençant fortement le type
d'investissement associatif et les représentations de l'organisation sportive. Ainsi, la
conviction avec laquelle les dirigeants affirment le caractère bénévole de leur
engagement et critiquent la perversion du sport par l'argent paraît proportionnelle à
leur volume de capital économique. Majoritairement véhiculé dans le groupe des
responsables à fort capital économique, cet "humanisme bourgeois" semble les
15
16
conduire à adhérer aux valeurs traditionnelles de l'olympisme et à dénoncer les
pratiques "subversives" qui gagnent et pervertissent le bénévolat et le sport. Ces
conceptions se retrouvent par ailleurs au sein du groupe de dirigeants appartenant à
la "petite bourgeoisie économique".
A la lumière des résultats de notre enquête, apparaît en outre une forte incidence
des propriétés du "capital associatif". En effet, la détention de titres sportifs et
l'insertion dans un réseau associatif semblent non seulement déterminer les chances
d'accès à certains "postes" dans un milieu sportif spécifique, mais ils tendent aussi à
influencer les représentations du sport et de son organisation "légitime". En outre, la
trajectoire associative individuelle et familiale permet d'attester du degré d'immersion
de l'agent dans une forme de "culture" sportive associative.
Cadre privilégié et fondamental de socialisation et de formation des représentations
de l'action collective, le milieu familial marque ainsi les responsables dans leur
rapport au monde sportif associatif. La manière dont on accède à un poste dans une
association sportive, semble inscrite dans l'histoire de l'agent. Ce processus permet
d'expliquer, par ailleurs, le "sens de l'organisation" des dirigeants imprégnés de
longue date par les codes et règles de fonctionnement implicites des associations
sportives, sens pratique et disposition stratégique qui fonctionnent souvent comme
une compétence organisationnelle dans l'espace associatif.
L'objectivation de ces quelques facteurs semble indiquer que les propriétés de
position et de condition conduisent les agents à percevoir, à apprécier et à organiser
la pratique sportive, selon un sens du jeu sans intention de sens et sans obéissance
consciente à des règles explicitement posées comme telles (Bourdieu, 1980 a). Au
même titre que d'autres pratiques sociales, l'investissement associatif s'inscrit dans
un style de vie fonctionnant selon une cohérence produite par des conditions
d'existence et une position particulière dans la structure sociale. Il y a ainsi autant
d'usages de l'investissement associatif et de rapports au monde sportif qu'il existe de
conditions de vie et de positions sociales.
- des effets d'organisation et de conjoncture
Les singularités structurelles et idéologiques de chaque champ associatif d'insertion
semblent produire des visions du monde sportif et de son avenir "adaptées" à la
logique du milieu sportif d'accueil. Les principes éthiques en vigueur dans l'espace
spécifique de leur pratique sportive (fédération, union, ligue ou comité) influencent
les responsables dans leurs perceptions du monde sportif.
Ainsi, les opinions des dirigeants des clubs et sections de gymnastique révèlent que
ces agents semblent relativement tributaires de la doctrine fédérale véhiculée à la
Fédération Française de Gymnastique. De la même manière, "l'esprit G.V" véhiculé
par la Fédération Française d'Education Physique et de Gymnastique Volontaire
apparaît très présent dans l'opinion des responsables oeuvrant dans les
associations proposant ce type de pratique.
Les dirigeants des clubs et sections de foot-ball semblent plus partagés dans leur
perception du monde sportif associatif et dans leur rapport à "l'esprit fédéral" de la
Fédération Française de Football. En effet, si l'on compare les prises de position des
dirigeants de Football de notre échantillon17 face à ce qu'il est convenu d'appeler les
"dérives du sport", on peut remarquer des divergences d'opinion. Celles-ci sont non
17
Nous avons pu comparer les prises de position de six dirigeants de foot-ball appartenant à des clubs de
niveaux différents et situés dans trois communes de la C.U.S : le président et le trésorier de la section foot-ball de
l'Association Sportive de Strasbourg, le président-délégué et le responsable des jeunes du Sporting Club de
Schiltigheim, et les président et secrétaire du Foot-ball Club de Wolfisheim.
16
17
seulement l'expression de situations sportives et locales différentes, mais semblent
aussi traduire les contradictions internes à "l'espace foot-ball" (Faure, Suaud, 1994).
Celui-ci contient en effet deux "sous-espaces" relativement autonomes et produisant
leur propre système de valeurs : le foot-ball professionnel et le Football amateur, luimême divisé en sous-espaces selon le niveau de pratique et le degré de
professionnalisation des joueurs.
L'analyse des discours des dirigeants du Sporting Club (Nationale II) montre par
exemple que, malgré la position intermédiaire du club entre l'espace professionnel et
l'espace amateur, celui-ci est fortement imprégné des modèles de gestion et des
codes moraux véhiculés dans l'espace du Football professionnel. A l'inverse, les
propos du président et du secrétaire du F.C Wolfisheim (Honneur départemental)
semblent plutôt traduire un "ethos amateur"18, exprimant ainsi non seulement une
position dominée dans l'espace des clubs de Football mais aussi toute l'histoire
institutionnelle d'un club amateur ainsi que la trajectoire de ses dirigeants19. En ce
sens, ils dénoncent notamment la présence de plus en plus importante de
"professionnels de la gestion" qui importent une logique d'entreprise que les clubs
amateurs n'acceptent qu'à la marge. Cependant, même si le président du F.C.W
critique les perversions d'une emprise trop directe de l'économie sur le foot-ball; il
reste tout de même favorable au partenariat économique et à une "indemnisation"
des joueurs.
Toute l'histoire de l'organisation sportive est ainsi présente, à chaque moment, sous
une forme matérialisée - dans des structures organisationnelles -, et sous une forme
incorporée - dans les dispositions des agents qui font fonctionner ces associations.
Les discours et les opinions semblent traduire en dernier ressort des effets de
conjoncture comme, par exemple, la généralisation du modèle entrepreneurial à tous
les secteurs de la vie sociale, notamment dans le secteur privé non marchand
(Gasparini, 1993), les discours sur le sport des leaders politiques "locaux" ou encore
le contexte actuel de moralisation de la vie sportive20.
Conclusion.
De la même manière que les modalités de pratique sont transformées sous l'effet de
conjonctures et de structures spécifiques (Clément, Defrance, 1987), les modes
d'organisation et de gestion des pratiques sportives subissent aussi des
transformations dès lors qu'ils sont inscrits dans un espace-temps spécifique et qu'ils
sont appropriés par des groupes sociaux dotés de propriétés de condition et de
position singulières.
18
Nous reprenons ici la notion utilisée par Eric Dunning et Kenneth Sheard dans "La séparation des deux
rugbys". In Actes de la recherches en sciences sociales, 79, 1989, pp. 92-107.
19 Créé en 1931 par le père de l'actuel président, le F.C.W a toujours évolué dans un "esprit amateur", selon les
propos de son président. Ancien joueur pratiquant le Football depuis l'âge de 10 ans, ce cadre de banque a réalisé
un véritable "voyage initiatique" au sein de l'organisation en passant par les différents postes associatifs : joueur,
capitaine d'équipe, entraîneur, trésorier, vice-président.
20Au moment où nous élaborions notre recherche, les discours sur la corruption et l'éthique dans le sport étaient
dans "l'air du temps". En effet, suite aux nombreuses "affaires" sportives (affaire O.M-Valenciennes, cas de
dopage, de "caisses noires", etc.), à la médiatisation de ces phénomènes mais aussi face aux problèmes de
sécurité des installations sportives, les responsables politiques et sportifs ont créé des comités de réflexion
(comme les comités d'éthique ou les Assises Nationales du Sport) et ont fait voter la loi sur la moralisation du
sport professionnel (loi de 1992 dite "Loi Bredin").
17
18
Plus que celle de système, la notion de champ se prête ainsi à une identification
élargie de la liste des acteurs pertinents et au repérage d'un ensemble de rapports
d'alliances et d'oppositions propres à déterminer des interactions, des modes
d'organisation et des prises de position dans le champ sportif associatif, voire dans
celui de l'association sportive.
William Gasparini
Professeur agrégé d'E.P.S, Docteur en sociologie
18
19
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