NATURE ET CULTURE : A PARTIR D`UN TEXTE DE MERLEAU

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NATURE ET CULTURE : A PARTIR D`UN TEXTE DE MERLEAU
NATURE ET CULTURE : A PARTIR D'UN TEXTE DE MERLEAU-PONTY
Il n’est pas plus naturel ou pas moins conventionnel de crier dans la colère ou d’embrasser dans
l’amour que d’appeler “table” une table. Les sentiments et les conduites passionnelles sont inventés
comme les mots. Même ceux qui, comme la paternité, paraissent inscrits dans le corps humain, sont
en réalité des institutions.
Il est impossible de superposer chez l’homme une première couche de comportements que l’on
appellerait “naturels” et un monde culturel ou spirituel fabriqué. Tout est fabriqué et tout est naturel
chez l’homme, comme on voudra dire, en ce sens qu’il n’est pas un mot, pas une conduite qui ne
doive quelque chose à l’être simplement biologique, et qui en même temps ne se dérobe à la
simplicité de la vie animale, ne détourne de leur sens les conduites vitales, par une sorte
d’échappement et par un génie de l’équivoque qui pourraient servir à définir l’homme.
Maurice Merleau-Ponty
Concept clé
Définition
Naturel
On s’appuie d’abord directement sur le texte :
Associé dans le texte à
Est naturel pour Merleau-Ponty tout ce qui, en nous, relève de l’être
biologique, ce qui s’inscrit dans notre corps et détermine les
conduites vitales qui caractérisent notre vie animale.
• inscrit dans le corps
humain
• l’être biologique
• vie animale
• conduites vitale
Conventionnel
Culturel
Associé dans le texte à
•
•
•
•
inventé
institutions
culturel
spirituel
Pour formuler une définition :
Le naturel en nous serait donc l’ensemble des caractéristiques innées
et des comportements instinctifs que nous devons à notre
appartenance à une espèce animale particulière, l’Homo sapiens
sapiens. Caractéristiques qui nous sont transmises par l’hérédité
biologique.
On s’appuie d’abord directement sur le texte :
Est conventionnel pour Merleau-Ponty tout ce qui, en nous, est
inventé, relève d’une institution et détermine les conduites
culturelles qui caractérisent notre vie spirituelle.
Pour formuler une définition :
Il faut d’abord définir le terme d’institution : Les institutions sont
l’ensemble des manières de penser, de sentir et de se comporter
(coutumes) qui émanent de la société et s’imposent plus ou moins
aux individus. Une chose d’institution est “l’ouvrage des hommes
pour la distinguer de celles que la nature a établies.” (Condillac)
Puis celui de culture :
La culture est l’ensemble des traditions, des valeurs, des techniques
et des institutions qui caractérisent un groupe humain et sont
transmises par éducation.
Enfin celui de convention :
Le conventionnel en nous serait donc l’ensemble des caractéristiques
culturelles, institutionnelles, que nous devons à notre appartenance à
une société particulière. Caractéristiques qui nous sont transmises
par l’héritage social.
QUELQUES QUESTIONS UTILES
• Quel est le thème du texte ? Quelles sont les notions du programmes concernées par le texte
et quel est le questionnement explicitement ou implicitement auquel le texte invite?
• Quelle est la thèse de l’auteur ? Quelle est la position de l'auteur face à ce questionnement?
• Quel est l’enjeu du texte ? En quoi une telle prise de position nous engage-t-elle? Qu'est-ce
que cela change pour nous ? Que risquons-nous dans cette discussion?
• Quelle est la structure du texte ? Comment s'organise la démarche de l'auteur? (Progression,
articulations logiques...)
Thème
Nature/Culture
Thèse
Il est impossible de dissocier, dans l'être humain, le naturel du culturel : "Tout est
fabriqué et tout est naturel chez l’homme."
Remarquons que l’auteur présente sa thèse sans vraiment la défendre. Ce texte est
plus une invitation à réfléchir qu’une argumentation.
Enjeu
Peut-on parler de "nature humaine" sans faire référence à la dimension culturelle de
l'être humain ?
Structure
du texte
1. Énoncé de la thèse dans des cas particuliers (émotions, langage, paternité).
2. Explication et généralisation,
3. Conclusion : une définition de l’homme
Eléments pour une explication détaillée
Il serait assez maladroit de procéder à une étude linéaire du texte dans la mesure où la même thèse
est présentée deux fois, une fois au travers de cas particuliers (première partie) et une fois dans sa
généralité (deuxième partie).Il vaut mieux dégager les éléments de la thèse de l’auteur et les
expliquer en s’appuyant en même temps sur les exemples appropriés qui les illustrent. On peut
imaginer, pour les sections générales, une introduction qui indiquerait l'idée suivante : MerleauPonty va ici mettre en question deux idées symétriques (il y a du purement fabriqué dans l'homme,
il y a du purement naturel dans l'homme), et repenser à partir de là la distinction du naturel et du
culturel, pour en arriver à une curieuse définition de l'homme, qui méritera elle-même examen.
PREMIÈRE PARTIE : DANS L’HOMME, TOUT EST FABRIQUÉ
(Thèse : Ce qui semble naturel est en réalité conventionnel)
Analyse des exemples : l’expression des sentiments, la paternité
Dire que l’expression des sentiments ou la paternité sont culturels est paradoxal au sens propre du
terme: contraire à l’opinion commune (para = contre; doxa = opinion)
A- Rappeler la thèse ici mise en question :
a) Le rire, les pleurs, les cris sont des comportements instinctifs, innés.
Argument :
• Ces expressions sont comprises de tous, quel que soit le contexte culturel. Elles semblent
être un invariant de l’espèce. Ex. la photo de la jeune femme éplorée après un attentat en
Algérie, photo qui a été reprise par tous les média et que l’on a appelée “La Madone”.
Ces attitudes n’ont pas besoin d’être apprises : l’enfant crie, pleure et rit spontanément.
Référence : Konrad Lorenz. Il y a des attitudes élémentaires instinctives. Ex. le « réflexe du
mignon » ou l’interprétation spontanée de certaines expressions (le chameau “dédaigneux”, l’aigle
“cruel”)
b) La paternité est une relation biologique.
Arguments :
• L’espèce humaine se reproduit sexuellement. La procréation comme comportement est une
manifestation de l’instinct sexuel. (C’est “inscrit dans le corps” dirait Merleau-Ponty)
• La paternité est déterminée par le fait que l’enfant hérite des gènes de ses parents par
hérédité biologique. (On fait des tests génétiques pour déterminer la paternité.)
Référence : Levi-Strauss : Le critère du naturel = l’universalité, c’est-à-dire le fait que le trait se
retrouve invariablement chez tous les membres de l’espèce, dans tous les groupes. D’après ce
critère, on aurait bien à faire dans chaque cas à des phénomènes naturels.
B- La thèse de Merleau-Ponty :
a) Le rire, les pleurs, les cris sont des comportements conventionnels.
Arguments :
• Ces expressions sont influencées par des traditions ou des idéologies.
Ex. le rôle des pleureuses dans certaines cérémonies traditionnelles. Les “youyous” des
femmes pour exprimer la joie en Afrique du Nord. Le fait que ”un garçon ne doit pas
pleurer” dans notre culture. Les gestes conventionnels qui accompagnent l’expression de la
colère, de la douleur ou du mépris (montrer le poing, lever les bras au ciel, cracher à la
figure, siffler...)
• Ces attitudes sont apprises par mimétisme.
Ex. L’enfant apprend le vrai sourire (par opposition au sourire réflexe dont il dispose dès la
naissance) par imitation de l’adulte.
b) La paternité est une institution.
Arguments :
• Être père est indépendant de la paternité biologique. Le père n’est pas toujours le père
biologique (le géniteur) : on peut adopter un enfant.
• La paternité est un rôle social auquel sont associés des droits et des devoirs. Dans les
sociétés matrilinéaires dans lesquelles l’identité de l’enfant est transmise exclusivement par
la mère car le rôle biologique du père dans la procréation est ignoré, le rôle social du père est
joué par l’oncle maternel.
• Le rôle du père varie d’une société à une autre selon que cette société est patriarcale ou
matriarcale (selon que l’autorité revient à la mère ou au père). Ce rôle est appris par
éducation.
Références :
Elena Belotti Du côté des petites filles. L'éducation nous apprend à jouer "correctement" nos rôles
respectifs de futurs pères ou mères.
Levi-Strauss : Le critère du culturel = la relativité, c’est-à-dire le fait que le trait varie d’une société
à une autre. D’après ce critère, on aurait bien à faire dans chaque cas à des phénomènes culturels.
DEUXIÈME PARTIE : DANS L’HOMME, TOUT EST NATUREL
(Thèse : Ce qui semble conventionnel est en réalité naturel.)
Analyse de l’exemple : Le langage. Remarque : Dire que le langage est naturel est paradoxal au
sens propre du terme : contraire à l’opinion commune (para = contre; doxa = opinion)
A- Idée (opinion ici courante) à critiquer : Le langage est conventionnel.
Arguments :
• La pluralité des langues
• Le caractère arbitraire du choix des mots et des règles de grammaire.
Références : Ferdinand de Saussure : “le signe linguistique est l’union indissociable et arbitraire
d’un signifiant et d’un signifié.” Peirce : Les signes du langage sont des symboles, c’est à dire qu’ils
renvoient à leur objet par pure convention.
B- La thèse de Merleau-Ponty : Le langage comme tout phénomène humain est naturel.
Arguments :
• La capacité linguistique est innée. Ex. : La différence entre l’utilisation du langage des
sourds-muets par un singe (Koko) et par un être humain. L’être humain utilise spontanément
la communication linguistique. Koko ne l’utilise jamais spontanément et jamais pour
communiquer avec ses congénères, même s’ils ont aussi appris ce langage.
• La parole, l’énonciation (utilisation singulière de la langue par un locuteur) s’accompagne
toujours d’une expression corporelle, d’un ton qui ne sont pas de pures conventions.
TROISIÈME PARTIE : DANS L’HOMME, TOUT EST À LA FOIS NATUREL ET
CULTUREL
Merleau-Ponty ne dit pas simplement qu’il y a deux ingrédients : la nature et la culture; il dit qu’ils
ne sont pas superposés à la manière de deux étages d'un bâtiment.
A- Examen de la thèse de la superposition
• Le naturel et le culturel seraient deux éléments séparables qui s’ajouteraient l’un à l’autre.
• Le naturel, donné à la naissance, viendrait en premier et formerait le premier étage de la
structure.
• Le culturel, fourni par l’éducation, viendrait après coup et formerait l'étage supérieur.
Schéma :
Culture
Nature
Analogie avec des couches de peintures : deux couches superposées de couleurs différentes. Si on
gratte la couche superficielle (= culture) on trouve la couleur originale (= nature).
B- Examen de la thèse de Merleau-Ponty
• Le naturel et le culturel sont deux éléments inséparables qui se mélangent.
• Le naturel et le culturel sont toujours donnés ensembles.
Schéma :
Nature + Culture
Analogie avec la peinture : deux couleurs différentes mélangées donnent une troisième couleur.
=> Notre nature est culturelle, notre culture est naturelle
Conséquences sur la définition de la condition humaine :
Terme à expliquer
échappement
Définition
On s’appuie d’abord directement sur le texte :
La condition humaine est échappement en ce sens que l’homme se
dérobe à la simplicité de la vie animale et détourne de leur sens les
conduite vitales.
Pour formuler une définition :
L’échappement caractéristique de la nature humaine correspond à une
complexification des relations de l’être humain à son milieu et un
changement de finalité de ses conduites : l’homme donne un sens,
c’est-à-dire une finalité à sa vie, et ce faisant, il échappe au
déterminisme naturel.
génie de l’équivoque
On s’appuie d’abord directement sur le texte :
L’homme a un génie de l’équivoque dans la mesure où il détourne de
leur sens ses conduites vitales.
Pour formuler une définition :
L’homme se définirait par son génie (particularité essentielle donc
naturelle mais aussi don lié à un art, une forme de créativité) de
l'équivoque (est équivoque, ce qui a plusieurs significations
imbriquées) qui consiste dans sa capacité à conférer un sens à sa propre
existence.
Exemple : la dualité sexualité / amour.
Cette imbrication du naturel et du culturel fait de nous des “animaux dénaturés” (titre d’un roman
de Vercors qui porte sur la recherche d’une définition de l’humanité, suite à la découverte
imaginaire d’une nouvelle peuplade qui aurait été le maillon manquant entre nous et les primates
supérieurs.)
TEXTES COMPLEMENTAIRES
Konrad Lorenz, " Le tout et la partie dans la société animale et humaine", in Trois essais sur
le comportement animal et humain, (1965). Trad. C. et P. Fredet, "Points" Seuil, 1970, p.122123, § 7. : Les mécanismes de déclenchement innés comme éléments de structure stables de la
société humaine.
Mise en situation :
Comparez, dans la figure 4, les têtes de la colonne de gauche (enfant, gerboise des steppes,
pékinois, rouge-gorge) aux têtes de la colonne de droite (adulte, lièvre, chien de chasse, merle doré).
Analysez votre réaction vis-à-vis de ces formes.§ 7. : Les mécanismes de déclenchement innés
comme éléments de structure stables de la société humaine.
Figure 4
A gauche, les têtes dont les proportions donnent l'impression du "mignon" (enfant,
gerboise des steppes, pékinois, rouge-gorge). Les adultes, à droite, ne déclenchent pas la
réaction de soin des petits (homme, lièvre, chien de chasse, merle doré).
Mise en situation :
Regardez la tête du chameau (fig. 5) et celle de l'aigle (fig. 6). Comment interprétez-vous
spontanément leur expression respective ?
Figure 5
Origine de l'impression d'arrogance ou de mépris
causée par l'expression du visage chez le chameau:
un schéma de déclenchement inné approprié aux mouvements d'expression
caractérisant l'être humain "interprète à faux" la position relativement haute de la
narine par rapport à l'oeil. Cette disposition relative des deux organes n'équivaut à un
geste de retrait dédaigneux que chez l'homme.
Figure 6
Grand aigle.
La disposition des formes osseuses au-dessus de l'oeil est interprétée comme un
froncement de sourcil. Cette caractéristique, combinée avec les coins de la bouche
fortement tirés en arrière prêtent à l'oiseau une expression de "fière résolution".
Un autre processus qui, analysé avec attention, se révèle être le résultat d'authentiques déclencheurs
et de mécanismes de déclenchement innés correspondant à ces déclencheurs, est celui des
mouvements d'expression humains et des réactions à ces mouvements. [...] Nos mécanismes de
déclenchement innés auxquels s'adressent des mouvements expressifs font surgir, à la vue de têtes
d'animaux, des réactions spécifiques qui ont manifestement une résonnance sentimentale et
affective, chaque fois que les signes déclencheurs intéressant ces mécanismes sont présentés par des
structures morphologiques entièrement fixes appartenants aux êtres occurents. Chez le chameau et
le lama, par exemple, si l'orifice nasal est situé plus haut que l'oeil, si les coins de la bouche sont
quelque peu tirés vers le bas, si normalement le port de tête se fait au dessus de l'horizontale, tout
ceci repose sur des caractères morphologiques qui ne donnent absolument aucun indice en ce qui
touche l'état émotionnel de l'animal.[...] Bien évidemment, le rôle que ces éléments innés jouent
dans le comportement humain est incomparablement plus restreint que chez n'importe quel animal,
et ils sont liés chez lui d'une manière compliquée aux activités supérieures du cerveau, à
l'apprentissage et à l'intelligence qui les dissimulent largement.
Claude
Lévi-Strauss,
P.U.F. 1949, p. 8-9.
Les
Structures
élémentaires
de
la
parenté,
Aucune analyse réelle ne permet de saisir le point du passage entre les faits de nature et les faits de
culture, et le mécanisme de leur articulation. Mais la discussion ne nous a pas seulement apporté ce
résultat négatif, elle nous a fourni, avec la présence ou l'absence de la règle dans les comportements
soustraits aux déterminations instinctives, le critérium le plus valable des attitudes sociales. Partout
où la règle se manifeste, nous savons avec certitude être à l'age de la culture. Symétriquement, il est
aisé de reconnaître dans l'universel le critérium de la nature. Car ce qui est constant chez tous les
hommes échappe nécessairement au domaine des coutumes, des techniques et des institutions par
lesquelles leurs groupes se différencient et s'opposent. À défaut d'analyse réelle, le double critérium
de la norme et de l'universalité apporte le principe d'une analyse idéale, qui peut permettre - au
moins dans certains cas et dans de certaines limites - d'isoler les éléments naturels des éléments
culturels qui interviennent dans les synthèses de l'ordre le plus complexe. Posons donc que tout ce
qui est astreint à une norme appartient à la culture et présente les attributs du relatif et du particulier.