La tour du roi, prison de Jeanne d`Arc au Crotoy

Transcription

La tour du roi, prison de Jeanne d`Arc au Crotoy
ANNÉE
1934.
2
E
TRIMESTRE.
BULLETIN TRIMESTRIEL
DE
SOCIÉTÉ
LA
DES ANTIQUAIRES
DE
PICARDIE
AMIENS
IMPIUMEKIE YVEKT ET G
Au SIÈGE DE LA SOCIÉTÉ
Musée
de
Picardie
46, R u e
1934
I E
des Trois-Cai!loux
LA TOUR DU ROI
Prison de Jeanne d'Arc au Château du Crotoy
p a r M. Adrien HUGUET, Membre titulaire résidant.
Le séjour de Jeanne d'Arc au Crotoy relève de
l'une des phases les plus émouvantes mais aussi
les plus obscures de la vie de la Libératrice. Les
recherches de l'histoire n'ont pu projeter jusqu'ici
que peu de lumière sur cette station de son calvaire. C'est ainsi que la date et les circonstances
du départ d'Arras pour la forteresse anglaise de
l'embouchure de la Somme, la durée de la détention, sont inconnues.
Toutefois, ce séjour est établi par un témoignage
irrécusable. C'est celui de Jeanne d'Arc elle-même.
Interrogée au procès, le jeudi 1 Mars 1431, sur
saint Michel, elle déclara que l'archange lui était
apparu au Crotoy pour la dernière fois. (1).
A son arrivée sur les bords de l'estuaire picard,
la plus grave des préoccupations qui eussent
affligé ses heures de solitude à Beaurevoir et à
Arras, s'était évanouie. Elle était rassurée sur le
sort de ses fidèles amis de Compiègne. Son propre
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(1) Jeanne répondit : « Quod non vidit ipsum beatum Michaelem postquam recessit a Castro de Crotoy ». QUICHERAT, Procès
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de Jeanne d'Arc, t. 1 , p. 89 ; M. PIERRE CHAMPION, Procès...,
t. 1 , p. 67 ; t. I I , p. 60.
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— 394 —
destin était devenu le juste sujet de ses alarmes
depuis qu'elle avait été livrée aux mains des
officiers du roi d'Angleterre.
Une figure consolatrice et bienfaisante, un
auxiliaire providentiel qu'elle dut accueillir avec
l'allégresse qui la transportait lors des apparitions de ses messagers célestes, vint éclairer et
adoucir les rigueurs de sa captivité.
Si l'on en croit un témoignage du procès de
réhabilitation, un noble clerc, maître ès-arts et
licencié en décret de l'Université de Paris, chanoine chancelier de la cathédrale d'Amiens, avait
été enfermé avant elle en la citadelle pour avoir
conspiré contre la domination anglaise en Picardie.
Jeanne rencontra le vénérable prisonnier. Il célébrait la messe au château et la captive assistait
souvent au sacrifice divin. Ce prêtre l'entendit en
confession. Plus tard, il affirma qu'elle était bonne
chrétienne, de très grande piété, et fit un solide
éloge de sa pénitente.
L'assistance spirituelle de ce héraut de paix et
de charité releva le courage de la fille inspirée et
soutint sa volonté héroïque. (1).
(1) Cette étude est reproduite ici telle qu'elle a été lue au
Congrès historique, littéraire et artistique du V Centenaire de
Jeanne d'Arc, à Rouen, Hôtel des Sociétés Savantes, séance
du 27 Mai 1931, tenue sous la présidence de M. Jean des Vignes
Rouges. On trouve de plus amples renseignements sur les circonstances qui ont précédé la rencontre de Jeanne et du chancelier, dans Jeanne d'Arc au Crotoy, par A. Huguet, notice publiée
par le Bulletin de la Société des Antiquaires de Picardie, année
1928, III et IV trimestres, et signalée à la séance de l'Académie
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— 395 —
Le capitaine du château était Raoul Bouteiller,
bailli de Rouen, le chevalier anglais qui s'était
emparé, après un long siège, de la petite ville
picarde le 3 Mars 1424. Il avait pour lieutenant
Gaultier Cressinier, écuyer. (1).
Tels sont les faits acquis à l'histoire sur des
témoignages écrits contemporains.
Ceux qui nous ont été transmis par les généra-
des Inscriptions et Belles-Lettres du 27 Décembre 1930 par
M. Antoine Thomas, membre de l'Institut (Voir Comptesrendus des séances). Sur Nicole de Quiefdeville, cf. M. Antoine
THOMAS, Jeanne d'Arc au Crotoy, dans le Journal des Savants,
Décembre 1930, p. 447, sur les origines normandes de Nicole
de Quiefdeville : Notes sur Nicole de Quiefdeville, confesseur de
Jeanne d'Arc au Crotoy, Bulletin trimestriel de la Société des
Antiquaires de Picardie, 4 trimestre 1930 ; Nicolas de Quiefdeville, chancelier de la cathédrale d'Amiens et Guillaume de
Quiefdeville, ambassadeur de Charles VII, étude communiquée
à l'Assemblée générale de la Société de l'Histoire de Normandie,
le 12 Mai 1931, par M. P. Le Verdier, Président, Imp. A. Laine,
Rouen, 1931 ; sur la déposition du chevalier picard Aymon
de Macy : QUICIIERAT, Procès de réhabilitation de Jeanne d'Arc,
t. III, pp. 120 à 123 ; sur ce personnage : Un seigneur du Ponthieu, témoin au procès de réhabilitation de Jeanne d'Arc, Aymon
de Monchy, seigneur de Massy, par Adrien Huguet, Abbeville,
1930.
Le témoignage d'Aymon de Monchy se trouve confirmé dans
une certaine mesure par un document de l'époque, le mandement du roi du 24 Mai 1436, qui établit de façon indiscutable
que Quiefdeville fut prisonnier « ès ville du Crotoy et de Calais »
pendant deux ans, et cela cinq ans « ou environ » avant lesdites
lettres.
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(1) Raoul Bouteiller, capitaine du Crotoy pendant la captivité
de Jeanne d'Arc, par Adrien Huguet, dans le Bulletin de la
Société d'Emulation d'Abbeville, année 1930, pp. 235 à 287.
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tions suivantes ou parla tradition ne sont qu'interprétations indécises et douteuses. (1).
La bonne Lorraine dut être enfermée plusieurs
semaines au Crotoy, peut-être près d'un mois Sa
présence certaine à Rouen n'est constatée qu'à la
date du jeudi 28 Décembre 1430 (2).
L'incertitude des historiens s'étend jusqu'à la
prison elle-même, car les données qu'on possède
sur l'architecture, la structure et l'état de La forteresse au XV siècle sont incomplètes.
Un château existait au Crotoy dès le
XII siècle. (3). Ruiné vers 1346, il fut rebâti
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(1) Les visites des femmes d'Abbeville, l'itinéraire du Crotoy
à Rouen rapportés par le P. Ignace ne sont pas historiquement
prouvés.
En 1907, j'ai utilisé, le premier, les heures des marées dans la,
baie de Somme en Décembre 1430 pour déterminer approximativement la date du départ, en faisant intervenir certaines
nécessités du voyage. Il est impossible, bien entendu, de fonder
la moindre assurance sur cette base fragile. Mes hypothèses
de 1907, pour le 18 ou le 2 0 , gardent toute leur vraisemblance,
et concordent avec l'Arrivée de Jeanne d'Arc à Rouen, de M. le
commandant Bailly-Maître, Longuyon, 1932, mais je tiens,
une fois de plus, à renouveler les prudentes réserves que j'exprimais en 1907, en ramenant à sa juste valeur l'élément d'approximation « heures des marées ». Le Passage de Jeanne d'Arc dans
le Vimeu, Décembre 1430, Saint-Valery-sur-Somme, 1907.
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(2) QUICHERAT, Procès..., t. I .
(3) Dès 1184, affirme-t-on. PRAROND, Histoire de Cinq Villes
et de Trois cents villages, Le Crotoy, Paris, 1 8 6 1 , p. 152 ; Recueil
de documents inédits de l'Histoire du Tiers-Etat, par Aug. Thierry
et Ch. Louandre, Paris, 1870, t. I V ; PORPHYRE LABITTE,
Projets d'amélioration de la Somme et de ses ports, Amiens, 1874,
p. 1. Le château existait sûrement au XIII siècle : M. CLOVIS
BRUNEL, Recueil des actes des comtes de Ponthieu, Paris, 1930,
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de 1360 à 1366, par ordre du roi d'Angleterre. En
cette dernière année, les travaux n'étaient pas
terminés. (1).
C'était un carré flanqué de quatre grosses tours
en grès à créneaux et à plateformes, sans toit. Les
murailles fort épaisses, étaient maçonnées, au
moins à leur base, en galets de mer avec un mortier
extrêmement dur. Des vestiges de cet appareil
subsistaient encore au commencement du
XIX siècle.
On accédait à l'intérieur, du côté des champs,
e
p. 3 0 8 . Florentin Lefils en attribue la construction à Jean,
comte de Ponthieu, qui l'aurait fait édifier vers 1150 ; Mélanges,
Paris, 1859, p. 3 2 9 ; mais ce renseignement est basé sur une
note erronée de Traullé, Abrégé du commerce d'Abbeville.
(1) DE BELLEVAL, Chronologie d'Abbeville, pp. 1 1 3 et 196.
Philippe d'Estraiecle et Anne Maline, sa femme, vendent une
portion de terrain comprise dans l'enceinte du château que
«l'on bâtit». Du 1 Juin 1366.
Les comptes du Trésorier des domaines du Ponthieu et de
Montreuil (que le traité de Brétigny avait rendus en fief à
Edouard III et qu'il conserva de 1360 à 1369), ont été retrouvés
par M. Eugène Desprez, archiviste. Parmi ces comptes figurent
ceux de la construction du château du Crotoy. Le procès-verbal
de la séance de la Société des Antiquaires de Picardie du
9 Février 1 9 1 0 (Bulletin de la Société.... de 1910, 1 trimestre,
p. 2 4 1 ) , et l'exposé annuel des travaux de la même Société
de l'année 1924 (Bulletin de la Société... pp. 2 1 0 et 3 6 8 ) , mentionnent la communication de ces comptes où l'on trouve le
montant des salaires, le nombre des ouvriers employés, les
prix et nature des transports par terre et par eau, les prix et
nature des matériaux, etc. « C'est le seul exemplaire d'un
compte complet de construction féodale, auquel il ne manque
rien, pas même la dimension de la petite cloche pour appeler
les ouvriers ». Il est regrettable que ces importants documents
n'aient pas été publiés.
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c'est-à-dire au Sud-Est, par un pont-levis, entre
deux ponts dormants, franchissant un fossé rempli d'eau par les marées.
Sur la face opposée, l'ouvrage s'appuyait aux
murs de la ville et n'en était séparé que par un
double fossé sur lequel une passerelle était jetée.
Le côté tourné vers le Nord-Est donnait suides marais qui longeaient les murs de la petite
cité où s'ouvrait la Porte du Pré. Plus loin, se
disséminaient quelques maisons basses formant un
petit faubourg au-delà duquel s'étendaient les
dunes incultes disposées en garenne. Les terrains
sablonneux et spongieux du rivage avaient été
jadis abandonnés par la mer. On les appelait
« les Petites Communes », parce qu'ils appartenaient
à la communauté d'habitants. Les Crotelois y
menaient paître les bestiaux depuis le premier
Avril jusqu'au dernier Octobre de chaque année,
suivant l'usage des lieux, et ils jouissaient de ce
droit en vertu d'une charte du comte de Ponthieu
de l'an 1209, sur laquelle ils étayaient leurs revendications dans leurs démêlés au sujet du pâturage avec
les communautés voisines ou avec le seigneur. (1 ).
(1) Ils l'invoquèrent en dernier lieu en 1781, lors d'une contestation entre le comte d'Artois, prince apanagiste du comté
de Ponthieu, d'une part, le comte d'Hodicq, l'un des seigneurs
du canton, et vingt-deux communautés d'habitants, d'autre
part. Collections de décisions nouvelles relatives à la jurisprudence, par Denissart, 1786, t. IV, p. 754. Mais, à cette époque,
la charte de Guillaume, comte de Ponthieu, de 1209, était perdue
depuis longtemps. Les bourgeois du Crotoy avaient été rétablis
dans leurs privilèges par une autre charte de Philippe VI de
Valois, du 6 Décembre 1346.
CHÂTEAU
DU
CROTOY
Entrevue de Jacques d'Harcourt
et de Raoul Bouteiller (1423).
Miniature extraite des Chroniques de Monstrelet.
Bibliothèque Nationale, manuscrits français 2679, f° 20.
— 399 —
Le quatrième côté, vers le Sud-Ouest, faisait
face à Saint-Valéry et à la baie de Somme, et il
était baigné par la mer.
A un léger coude du rivage, la lourde masse
de grès dressait sa farouche architecture. Depuis
des siècles, les rafales et les lames qui s'épuisaient
à la flageller de leurs outrages n'étaient parvenues
qu'à la revêtir de la patine impalpable que dépose
à la longue la rude caresse des embruns. Elle avait
grand air, sous le ciel gris et terne de l'estuaire,
et c'est par une heureuse quoiqu'imparfaite association d'images que Lenglet-Dufresnoy l'a comparée à la Bastille de Paris ; car, si le faubourg
Saint-Antoine a vu longtemps se profiler sur ses
rues l'ombre des huit tours de la célèbre prison
d'Etat, il n'a jamais connu les assauts vertigineux
des vagues.
Les renseignements topographiques qui précèdent sont tirés :
1° Des pièces d'archives du XV siècle publiées
par de Beauvillé dans ses Documents inédits sur
la Picardie (1), et par Charles Bréard dans Le
Crotoy et les armements maritimes des XIV et
XVe siècles. (2).
2° Des descriptions des ingénieurs du roi, dont
la plus ancienne est celle du sieur Maupin, dressée
à l'intention du cardinal de Richelieu, en l'année
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e
(1) Paris, 1860, t. Ier, p. 136.
(2) Amiens, 1902, pp. 187 et suiv.
— 400 —
1634, publiée pour la première fois par de Beauvillé dans l'ouvrage qui vient d'être cité. (1).
3° Des documents iconographiques et topographiques parvenus jusqu'à nous.
Les derniers sont les plus précis. L'image rend
les objets plus sensibles ; elle est expressive, plus
frappante que la meilleure description. Or, les
exposés des documents écrits contemporains sont
succincts et confus.
La plus ancienne vue de la citadelle est une
jolie miniature des manuscrits des chroniques de
Monstrelet, formant tête de chapitre, représentant
l'entrevue de Jacques d'Harcourt et de Raoul
Bouteiller, non vers la mi-Octobre 1423 comme
l'indique le chroniqueur, mais le 5 du même mois
où les jours précédents, sous les murs de la ville.
Il n'est pas possible, hélas ! d'attribuer à l'enlu-
( 1 ) « Le Crotoy est un chasteau de quatre grosses tours, avec
une fausse braye, qui n'est bon qu'à servir de sentinelle... ». MAUPIN. Il faut noter, parmi ces sources : Mémoire du seigneur
a" Infreville, 1639, B. N. fonds français, 8 0 2 4 ; Rapport du Chevalier de Clerville, B. N. M Golbert, n° 122 ; Remarques de
Gobert, 1665, Dépôt des Cartes et plans du Ministère de la Marine,
Carton 2 0 - 2 , n° 1 ; Mémoire sur les côtes entre Honfleur et Dunkerque, par de Chazelles, Ibid. carton 2 0 - 2 , n° 18 ; Mémoire
de G. Cocquart, ingénieur, 1738, B. N. M français 8 8 1 3 ; Autre
Mémoire de Cocquart, Ibid. 12.037 ; Autre Mémoire de Cocquart,
Arch. départementales de la Somme, C/1501. On trouve quelques
extraits de certains de ces mémoires dans Projets d'amélioration,
de la Somme, op. cit., pp. 7 à 15.
ss
s
— 401 —
e
mineur du XV siècle un grand souci d'exactitude. (1).
On peut étudier le château du Crotoy sur
l'estampe de Claude Chastillon, topographe du
roi, portant pour titre : Sainct-Valéry port de mer
et pais adjacent, qui date des environs de 1610.
Au dernier plan, au-delà de la baie de Somme,
se remarque la ville du Crotoy avec la ligne de ses
fortifications, son château à quatre tours, dont
deux sont surmontées d'échauguettes. Elle a été
cotée, par une erreur de gravure, « Le Tréport ».(2).
Un croquis de Joachim Duwiert, au trait léger,
daté de 1611, conservé au Cabinet des Estampes,
porte l'indication Le Crotoy - Saint-Valery. Il offre
le développement à peu près complet des remparts
de la petite cité et montre la forteresse prise de
biais, avec trois tours bien distinctes et une qua(1) B. N. Manuscrits français 2679, f° 20.
M. Georges Durand, en publiant dans le Bulletin de la Société
des Antiquaires de Picardie (année 1923, n° 3, p. 225), La plus
ancienne vue de la Cathédrale d'Amiens, a fait remarquer avec
raison « que la plupart du temps les anciens artistes meublaient
leurs compositions d'édifices imaginaires. » Il semble que ce
soit le cas pour le document qui vient d'être signalé, car rien
n'y rappelle la forme du château du Crotoy. Mais l'auteur
ajoute : « il n'est pas inouï de rencontrer dans les miniatures,
à la fin du moyen âge, la représentation de monuments existants ». La vue de la cathédrale d'Amiens en est un exemple.
La miniature des M de Monstrelet, avec ses nombreux personnages aux curieux costumes, ses murailles aux formes
diverses, n'en est pas moins d'un véritable intérêt.
(2) Reproduite en lithographie dans l'Histoire de Saint- Valéry,
par M. l'abbé Caron, Abbeville, 1893, frontispice, et plus
exactement par M. Pierre Dubois dans la revue Notre Picardie,
année 1906, p. 42, puis dans Saint-Valery de la Ligue à la Révolution, par Adrien Huguet, frontispice.
ss
CROTOY
Dessin de Joachim Duwiert (1611), Bibliothèque Nationale, Cabinet des Estampes, V 23, f° 123.
LE
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trième dont on n'aperçoit que le sommet couronné d'une guérite. (1).
En 1670, l'ingénieur P. F. Ferry, chargé de la
démolition des fortifications de la ville de Rue,
adressa un rapport à Colbert sur l'état de conservation du château du Crotoy et y joignit un plan
et un devis des travaux de réparations jugés nécessaires. (2). Ferry fit à cette occasion un beau dessin
dont le cartouche central porte pour légende :
Veue du Chasteau du Crotoy et S Vallery-surSomme. C'est certainement la représentation la
plus parfaite qu'on connaisse du vieil édifice
féodal. Cette précieuse esquisse est entourée d'un
ornement qui figure un cadre sculpté. Au milieu
de la base se place un écusson ovale chargé d'une
couleuvre posée en pal, ce qui ne laisse aucun
doute sur l'intention de flatterie dissimulée sous
cette discrète dédicace. Le château apparaît, vu
du côté des champs, avec ses quatre tours crénelées, entouré d'une braie. A gauche, un cartouche indique la distance du Crotoy à SaintValery ; à droite, un autre cartouche contient le
plan des fortifications. L'exactitude de ce document, dressé quatre ans exactement avant la
démolition de la forteresse, est rigoureuse. (3).
t
(1) Reproduit ci-contre.
(2) FLORENTIN LEFILS, op. cit., p. 178.
(3) Collection de M. Ernest Schytte, ancien secrétaire perpétuel de la Société des Antiquaires de Picardie. Ce dessin a
été reproduit pour la première fois dans Saint-Valery de la
Ligue à la Révolution, hors texte, page 5 7 2 - 5 7 3 , et dans le
Bulletin de la Société des Antiquaires de Picardie, 1928, 3 et
4 trim., pp. 714, 7 1 5 , hors texte.
e
e
— 404 —
Le rapport de Ferry au ministre n'eut pas
l'heureux résultat que son auteur en attendait
peut-être. En 1674, l'antique construction militaire fut condamnée. La poudre à canon fit sauter
tours, courtines et braies. Tous les barils d'explosifs accumulés dans les sapes n'éclatèrent pas à
la fois, car, près de deux siècles plus tard, en 1838,
M. Desgardins, maire du Crotoy, ayant fait
déblayer les ruines pour édifier sa maison sur leur
emplacement, en découvrit plusieurs parfaitement
conservés. (1).
Aujourd'hui, le frêle feuillage des clématites et
des glycines d'une propriété d'agrément recouvre
de son ombre transparente les fondations ensevelies d'un édifice qui, s'il nous avait été conservé,
serait comme l'une des reliques de la patrie.
Un autre ingénieur, le sieur de la Vallée, est
l'auteur d'un plan du Crotoy daté du 21 Mars 1710.
Ce relevé présente un indiscutable intérêt par le
tracé de l'enceinte de la ville, mais l'élévation du
château, exécutée trente-six ans après le démantèlement, n'offre pas les garanties d'exactitude
qu'on est en droit d'exiger. La forme générale
de la construction, avec les quatre tours cornières,
est toutefois respectée. (2).
(1) LEFILS, op. cit., p.
180.
(2) Florentin Lefils a reproduit l'élévation du château,
négligeant le plan des fortifications de la ville, dans Le Crotoy,
Paris, 1 8 6 1 , lithographie hors texte, p. 3 7 . C'est tout ce qu'on
a trouvé sur le Crotoy pour orner l'édition illustrée de la Jeanne
— 405 —
Enfin, il faut mentionner, dans cette nomenclature, le Plan de la ville du Crotoy à l'époque de
ses fortifications et de son château, œuvre de l'architecte Pinsard, membre de la Société des Antiquaires de Picardie, lithographie en 1891. Cette
consciencieuse et patiente reconstitution fut menée
à bien à l'aide du cadastre, du plan du sieur de la
Vallée, de 1710, d'un autre plan du Ministère de
la guerre, un peu postérieur en date et des restes
des fortifications encore visibles sur place. L'auteur
n'a pas eu connaissance du dessin de Ferry. La
comparaison de son relevé du château avec celui
figurant au coin droit de l'esquisse de l'ingénieur
du xvu siècle, n'en offre qu'un plus grand intérêt.
Leur concordance, à peu près complète, donne la
mesure du crédit qui doit leur être accordé.
Plusieurs auteurs, F.-C. Louandre (1), René de
Belleval (2) et Charles Bréard (3), entre autres,
mentionnent l'existence d'un donjon dans l'enceinte. Le donjon formant une petite forteresse
enfermée dans la grande était un mode de défense
usité dans le Nord de la France au XIII siècle,
e
e
d'Arc de Wallon. Ce plan a été publié dans son ensemble, en
hors texte, par Adrien Huguet, Jeanne d'Arc au Crotoy, op. cit.,
p. 30. Bulletin de la Société des Antiquaires, 1928, 3 et 4 trim.,
hors texte, pp. 734-735.
(1) Histoire d'Abbeville et du comté de Ponthieu, Abbeville,
1845, t. II, p. 339 ; Ibid., 3 édition, Abbeville, 1883, t. II,
p. 318.
(2) Chronologie d'Abbeville, p. 113. De Belleval, seul, précise
« au centre » de l'enceinte.
(3) Op. cit., Avant-propos, p. III.
e
e
e
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mais aucun des auteurs cités n'appuie cette opinion d'une indication de date ou de référence.
Les pièces d'archives du XV siècle ne laissent en
rien soupçonner la présence d'un édifice de ce
genre au temps de Jeanne d'Arc et les dimensions
restreintes de la cour intérieure en font apparaître
l'existence comme moins que problématique. La
plupart des historiens se sont gardés de reproduire
cette affirmation et, écartant unanimement l'avis
isolé de l'ingénieur Cocquart, qui attribue au
castel la forme d'un pentagone, ils se sont contentés, en général, de l'indiquer comme formé
d'une enceinte carrée, flanquée de quatre tours
d'angles.
De Beauvillé, le premier, a donné les noms des
tours en publiant un compte de serrurerie du
30 Juin 1463. On trouve, dans ce mémoire, une
dépense de douze sols pour trois ploutres (c'est-àdire trois serrures), à boche et à verreil (à bosse
et à verrous), « servant tant à la tour du Molin
dudit chastel, comme à la tour de la Brasserie et à
la tour Gobelin ».
La quatrième tour n'est pas nommée ; mais
immédiatement après, l'on rencontre cette autre
mention d'un intérêt tout particulier : « Et pour
ung autre gros ploutre à boche et à verreil, servant
à l'une des prisons dudit chastel, x s. » (1). Il y
avait donc au moins deux prisons. Et l'on ne
e
er
(1) Documents inédits..., t. I , pp. 135-136.
— 407 —
dit pas dans quelle tour se trouvait cette prison
où l'on met un « gros ploutre ».
La distinction entre deux fournitures d'objets
de même nature, bien que de prix différents,
semble intentionnelle et est significative. Le rédacteur a voulu montrer que le deuxième débours
concerne spécialement les prisons et s'applique à
la fermeture d'un local non situé dans l'une des
trois tours précédemment nommées. S'il s'était
agi de l'une d'elles, la dépense aurait passé avec
celles des autres ploutres. On a cru pouvoir, grâce
à la distinction qui vient d'être indiquée, fixer
la situation des prisons dans la quatrième tour,
non dénommée. Pour la commodité des descriptions, elle a été appelée « tour des prisons », appellation d'espèce, qui ne se découvre dans aucun
texte contemporain, mais qui semble correspondre
exactement à la destination réelle de partie de
l'ouvrage, comme on le verra tout à l'heure.
L'auteur de l'Histoire de Cinq villes, Ernest
Prarond, paraît avoir été le premier à adopter
cette conclusion. (1). Depuis, il a été suivi par
plusieurs auteurs locaux. (2).
Il est hors de doute que la tour du Moulin était
nommée ainsi, soit qu'elle abritât un moulin à
bras, soit qu'elle fut voisine d'un moulin à cheval
(1) Op. cit., Nouvel appendice, p. 424.
(2) HUGUET, Jeanne d'Arc au Crotoy, p. 31 ; PIERRE DUBOIS,
Le Crotoy-Plage, Guide illustré, Rue, 1929, p. 5.
— 408 —
pour les besoins de la garnison. Elle devait loger
les réserves en grains et en farines. (1).
La tour de la Brasserie contenait les cuves?
futailles et provisions en malt, houblons et autres
ingrédients permettant de confectionner, suivant
l'usage local, bière blanche, petite ou double. Pour
la commodité du brassage, elle se trouvait tout
près de la citerne hexagonale mesurant quarantequatre pieds de circonférence et huit pieds de
hauteur, environ (2), et on l'appelait aussi quelquefois pour cette raison « tour de la citerne ».
Les documents publiés par Charles Bréard
disent que l'une des tours servait à loger « la
provision de bois » (3). Il s'agit, vraisemblable(1) Un moulin à eau fut construit, à un certain moment,
sur un petit cours d'eau qui traversait la prairie, à quelque
distance de la place. Voir le plan de La Vallée. Si petite qu'ait
pu être cette distance, elle était encore trop grande pour que le
moulin ait donné son nom à une tour plutôt qu'à une autre.
Il y a plutôt lieu de supposer que la forteresse, avec four et
brasserie, possédait aussi son moulin et était ainsi « parée »
pour les sièges qui ne lui manquèrent pas. P. DUBOIS, Le
Crotoy, dans la revue Notre Picardie, année 1906, p. 9.
s
(2) Sur sa forme hexagonale, B. N. M français 25.089-234.
Certification de Pierre Hairon, maître des ouvrages du roi et
du duc de Bourgogne, du 14 Novembre 1463, délivrée à Jean
Martin, charpentier à Rue : «... C'est assavoir pour sa peyne
et salaire d'avoir taillé, charpenté et assis à la cyterne du chastel
du Crottoy, six solles, six puyes, cincq croisies, six coulombes,
six pans et l'uisserie avec pour avoir fait fœuillier 1 X IIII aiz
de quesnes comme es huis, fenestres, planchiers et autres
ouvraiges fais aud. chastel... » etc. Sur les dimensions, cf. DE
er
BEAUVILLÉ, op. cit., t. I , pp. 135, 136.
(3) BRÉARD, op. cit., p.
193.
— 409 —
ment, de la tour Gobelin (1), car la quatrième,
dont il sera parlé dans un instant, portait un nom
qui la désignait pour d'autres usages et qui la
mettait à l'abri d'une destination semblable.
Il existait donc au château, des prisons, situées
suivant la coutume du temps dans une tour, et
il est à croire qu'un ou deux étages de cette tour
étaient réservés à cet emploi. La qualité de certains prisonniers exigeait que des « chambres »
fussent aménagées de telle sorte qu'on pût dire
que les détenus, comme la Pucelle à Beaurevoir
et à Arras, étaient en « prison honorable ».
( 1 ) On ignore l'origine de ce nom. Battue par les flots, il est
possible qu'elle ait été ainsi appelée à cause du lutin ou démon
familier des légendes maritimes et des contes populaires picards.
Il y avait aussi, à Abbeville, sur les remparts, un ouvrage
— tour ou corps-de-garde — appelé « de Gobelin ». LE P. IGNACE,
Histoire ecclésiastique d'Abbeville, p. 6 1 . Autre exemple assez
voisin : après la ruine du château de Briost (aujourd'hui SaintChrist-Briost, canton de Nesle, arrondissement de Péronne) par
le duc de Bourgogne en 1472, et sa démolition définitive en 1626,
un gobelin s'était réfugié dans les dépendances. « Dans l'ancienne
ferme du château de Briost, habitait jadis un gobelin. La tradition locale rapporte qu'il fouettait le domestique qui se couchait le dernier, et qu'il aidait de sa puissance merveilleuse
celui qui se levait le plus matin ». ABBÉ CORBLET, Glossaire
du patois picard, au mot gobelin.
Le château de Fougères possédait aussi une tour « du Gobelin »,
qui flanquait, avec deux autres, l'enceinte triangulaire du
donjon. Elle renfermait les cheminées et était plus haute que les
autres. D'après une opinion accréditée, c'était la tour du
Revenant. Le mot a encore actuellement cours, en ce sens,
en patois normand. On se sert du verbe « gobeliner » pour dire
« faire le revenant pour effrayer les gens ».
C'est à tort, semble-t-il, que Fl. Lefîls a dit que la Bastille
de Paris avait aussi sa tour Gobelin. Le Crotoy, p. 38.
— 410 —
Des prisonniers illustres avaient précédé Jeanne
d'Arc au Crotoy. Pour s'en tenir au XV siècle, il
suffira de rappeler que Pierre Fresnel, évêque de
Noyon, s'étant déclaré du parti d'Orléans, y fut
conduit en captivité en 1411. (1). Jean VII, comte
d'Harcourt et d'Aumale, fut retenu en prison
fermée — avec quelques égards apparemment —
par son cousin Jacques d'Harcourt, comte de
Tancarville, capitaine du château. (2). Un prince
du sang, Jean de Valois, duc d'Alençon, parrain
du dauphin Louis, tombé au pouvoir des Anglais
à la bataille de Verneuil, en 1424, fut envoyé au
e
(1) Annales de l'église-cathédrale de Noyon, par Jacques Le
Vasseur, 1633, t. II, p. 1013. Après avoir mentionné la participation des évêques de Noyon aux luttes des partis, l'auteur
écrit : « Nostre Fresnel s'intéressa aussi en ce tumulte civil,
et se déclara pour le parti d'Orléans, estimant demeurer dans
le service du Roy. Mais, comme les deux armées vinrent fondre
à nos portes en l'année 1411, celle du duc d'Orléans à Chauny,
l'autre à Ham, qui fut par luy ravagée, comme le plat pays
ruiné, ledit Fresnel comme estant du parti contraire, fut pris
prisonnier, et mené au Crotoy, d'où il ne sortit qu'au moyen
d'une excessive rançon ». Sur cette captivité, voir aussi
DEVÉRITÉ, Histoire du comté de Ponthieu, t. I , p. 263.
er
(2) Ce dernier avait vu avec regret le comté d'Aumale passer
au parti du roi Henri V d'Angleterre. Il conçut le projet audacieux de s'emparer par surprise du transfuge retiré dans son
château des bords de la Bresle, « atout son état », dit Monstrelet. Il réussit à accomplir ce coup d'audace à la tête d'une
soixantaine d'hommes déterminés. Après avoir laissé une garnison dauphinoise au château d'Aumale, il partit en toute
hâte pour le Crotoy, monté sur un bon cheval fauvel à courte
queue, qu'il avait eu dans sa part du butin. Chroniques de
Monstrelet, chap. 187; Mémoires de Pierre de Fenin, éd. Dupont,
p. 101 ; R. DE BELLEVAL, La Journée de Mons-en-Vimeu,
Paris, 1861, p. 4 ; La Grande Guerre, Paris, 1862, p. 354.
— 411 —
Crotoy par Bedford. Il fut taxé à six livres par
jour, ce qui indique un régime de faveur et ce
qui laisse deviner des commodités de logement
et de nourriture. (1).
Le château se trouvait ainsi préparé pour recevoir de façon séante la jeune guerrière que les
Anglais estimaient à un si haut prix.
Lui assigna-t-on pour logement l'un des locaux
qui avaient reçu quelques années auparavant
l'évêque de Noyon, le comte d'Aumale et le compagnon d'armes qu'elle appelait son « gentil duc » ?..
Le vieil historien abbevillois Jacques Samson —
autrement dit le Père Ignace de Jésus-Maria —
connut cette prison debout. Après l'avoir visitée,
il écrivait en 1657, dans son Histoire des Comtes
de Ponthieu et des Maieurs d'Abbeville : « On void
encore la Chambre où elle couchoit, qui retient
depuis ce temps-là quelque respect lorsqu'on y
entre »... (2).
Le mot « chambre » dont se sert le Père Ignace,
exclut le sombre cachot ou la casemate sordide
qu'on se représente trop volontiers. Les broderies
dont l'auteur a enjolivé la scène attendrissante
des femmes d'Abbeville venant visiter l'illustre
(1) Chroniques de Monstrelet, t. IV, p. 241. Un otage du
Crotoy, livré aux Anglais en 1423, Jean Sarpe, écuyer, seigneur de
Saint-Maulvis, et retenu à Saint-Valéry, n'était taxé qu'à
vingt sols tournois par jour. Raoul Bouteiller, capitaine du
Crotoy, op. cit., p. 252.
(2) Histoire généalogique des comtes de Pontieu..., Paris,
1657, p. 491.
— 412 —
captive, peuvent à bon droit paraître hasardeuses ;
on n'a aucune raison, par contre, de le suspecter
d'imposture lorsqu'il ne parie que de ce qu'il
a vu. Les souvenirs de ce religieux concourent à
faire croire que Jeanne a bénéficie du sort commun
aux prisonniers considérables.
Rien ne permettait, jusqu'ici, d'attribuer à
chacune des tours le nom lui revenant exactement.
Il n'en est plus de même aujourd'hui.
Des documents inédits du XV siècle, d'un grand
intérêt, ont été découverts dans les Manuscrits
français de la Bibliothèque Nationale. Ils sont de
première importance pour l'histoire de la fortification en général, et du château du Crotoy en
particulier, car il s'agit d'un projet très complet
de reconstruction des braies ordonné en Avril 1469
par le duc de Bourgogne. Le traité de Péronne
venait de procurer à Charles le Téméraire, au
mois d'Octobre 1468, d'inappréciables avantages,
mais il n'avait qu'une faible confiance dans les
engagements solennels de son habile et rusé partenaire. Il avait décidé d'édifier une deuxième
enceinte plus massive et plus forte, avec quatre
tours de coin en fer à cheval, couvrant le pied de
la place et la protégeant contre les batteries de
l'ennemi. Cette braie devait avoir deux cents
e
— 413 —
pieds de côté (1), le château en ayant quatrevingt-seize (2), le tout étant sensiblement au carré.
L'auteur de la découverte, M. le commandant
Bailly-Maître, dont les recherches sur Jeanne d'Arc
et son époque, servies par une érudition et une
persévérance inépuisables, ont été si fructueuses,
a bien voulu me communiquer copie de ces pièces
en me laissant le soin de les utiliser. Je suis heureux
de lui exprimer tous mes remerciements pour cette
marque de confiance et de confraternel désintéressement. (3).
Je ne retiendrai ici que deux documents qui
éclairent d'une clarté toute nouvelle la situation
respective des quatre tours d'angles.
Le premier est une quittance d'Amand Milon,
maître des ouvrages de Charles le Téméraire, du
12 Septembre 1463. Sa date est donc postérieure
de deux mois et demi seulement au compte de
serrurerie publié par de Beauvillé. Comme ce dernier, il mentionne trois tours, mais il les nomme
différemment. Le rapprochement des deux documents est particulièrement démonstratif.
(1) Soixante-cinq mètres.
(2) Trente-et-un mètres vingt centimètres.
(3) On doit à M. le commandant Bailly-Maître une étude
très remarquée, intitulée La Tour Saint-Gilles, prison de Jeanne
d'Arc au château de Rouen (20 Février-30 Mai 1431). Paris 1929,
Extrait du Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de
France, 1928; d'autres encore, non moins intéressantes :l'Arrivée
de Jeanne d'Arc à Rouen, le Château de Philippe-Auguste, et le
Supplice du feu à l'époque de Jeanne d'Arc, Longuyon, 1932 ;
l'Aide pour l'achat de Jeanne d'Arc, d'Août 1430, Documents
inédits, Paris 1933, etc.
3
— 414 —
Le second est un devis pour la reconstruction
des braies, daté du 15 Mai 1469.
Celui-ci relate la visite du duc de Bourgogne
au mois d'Avril précédent. Philippe de Crèvecœur,
seigneur d'Esquerdes et de Lannoy, le futur
maréchal de France de Louis XI, est alors capitaine de la ville et du château (1).
Le duc Charles ordonne « que les anchiennes
brayes qui sont autour dud. chastel et les trois
bolvers de boys qui nagaires y ont esté fais, seront
abatus et démolys ». Des palissades avaient donc
renforcé, déjà auparavant, le corps de place sur
les trois faces autres que la face vers la ville, en
avant des fossés, suivant un usage adopté assez
fréquemment par les ingénieurs ou maîtres des
ouvrages des XIV et XV siècles. Telles étaient, à
n'en pas douter, les dispositions de la ceinture
de la place, au temps de Jeanne d'Arc.
Ce devis, accompagné d'un « patron », c'est-àdire d'un plan qui, malheureusement, ne nous est
pas parvenu, spécifie formellement que le duc
« a volu et ordonné iceulx ouvrages estre commencez incontinent aprez sadite ordonnance... au
lez vers les champs, entre la tour de la cisterne
et le tour Gobelin... » (2).
e
e
(1) Comme capitaine des places du Crotoy et de Rue, il
recevait chaque année sept cent vingt livres parisis sur les
deniers de la recette du receveur général de Ponthieu ; quittance
à Jean de Saint-Lot, dit Le Gaigneur, du 1 Août 1475. B. N.
Cabinet des titres, P. 0. 932.
(2) B. N. M français, 26.092-810.
er
ss
— 415 —
Ce dernier renseignement est de portée considérable, car il permet de saisir le fil imperceptible
qui conduit d'une tour à l'autre.
Le duc veut que les constructions commencent
du côté où le vieil édifice féodal est le plus exposé
aux attaques de l'ennemi. Ce point vulnérable est
le « lez vers les champs ». Sous les deux faces du
castel exposées au Nord-Est et au Sud-Est, s'étendent les prairies qui conduisent à la garenne du
roi, aux dunes et aux champs. Edouard d'Angleterre avait jadis donné tous ces terrains au comte
de Ponthieu moyennant une redevance annuelle
de seize livres tournois, et ils étaient alors ainsi
désignés : « toutes les dunes du Crotoy, si avant
qu'elles s'étendoient, en long et en large, du castel
du Crotoy jusques à la croix de Baharmer ». (1).
Incontestablement, ce qu'on entend, en 1469,
par le « lez vers les champs », ce sont les deux
faces opposées au côté vers la ville et au côté vers
la mer.
Pour parvenir à assigner un nom à chacune des
tours, il est nécessaire de s'aider du plan de Charles
Pinsard, de numéroter chaque ouvrage de 1 à 4,
en commençant par la tour au Sud, tournée vers
(1) E. PRAROND, Op. cit., p. 155 ; F. LEFILS, Histoire du
Crotoy, p. 6 7 . Le « Baharmer », connu plus tard sous le nom de
« Barre-mer », est un banc de galets rattaché à celui dont le
relief est encore sensible jusqu'à Rue, en passant par Mayoc
et Saint-Firmin. Il en formait l'extrémité méridionale, recourbée
en crochet vers le Sud-Est. Le Crotoy est assis sur ce banc.
DEMANGEON, La Picardie, Paris, 1905, p. 172.
LA TOUR DU ROI
Prison de Jeanne d'Arc au Crotoy
Légende.
1 TOUR GOBELIN, Tour du côté de Sainl-Valery (Documents Déprez,
1360-1369), TourGobelin (30 Juin 1463), Tour cornière vers Saint-Valery
(12 Septembre 1463), Tour Gobelin (15 Mai 1469).
2 TOUR du MOULIN, Tour réunie à la précédente par un mur à
hauteur du 2 étage (Déprez, 1360-1369), Tour du Moulin (30 Juin 1463).
e
3 TOUR de la BRASSERIE (30 Juin 1463), Tour cornière vers la ville,
qui reçoit par un noc de 90 pieds de long les eaux de la Tour du Roi
(12 Septembre 1463), Tour de la Citerne (15 Mai 1469).
4 TOUR du ROI (12 Septembre 1463).
— 417 —
Saint-Valéry et la baie de Somme, et en suivant
le sens du parcours des aiguilles d'une montre.
Les deux tours marquant l'extrémité de la
prairie portent les noms de tour de la Citerne et
de tour Gobelin, d'après le document de 1469.
La difficulté est de les distinguer l'une de l'autre.
Les données du devis dont l'exécution fut confiée
au sire d'Esquerdes ne permettent pas de les
reconnaître, mais pour arriver à une parfaite
concordance avec tous les renseignements contenus
en la quittance de 1463, il faut, de toute nécessité,
appeler le numéro 1 tour Gobelin, et le numéro 3
tour de la Citerne. Celle-ci s'enfonce profondément,
sur le plan de Ferry comme sur celui de Pinsard,
dans l'avant-fossé qui sépare la braie de la ville.
En 1463, la tour dite « vers la ville », reçoit par
un conduit spécialement aménagé à cette fin, les
eaux de la terrasse de la tour anonyme. On ne
s'expliquerait pas la raison pour laquelle on aurait
alors détourné les eaux de pluie d'une tour sur une
autre, si cette dernière n'avait pas été à même
de les absorber à l'aide d'un réservoir souterrain.
« Tour de la Citerne » et « tour vers la ville » ne
font donc qu'une seule et même tour.
La quittance d'Amand Milon porte trace de
l'établissement d'une « buisine » — en langage
picard un tuyau de descente — (1) servant à jeter
(1) Buise (Ponthieu), busine (Amiénois), du roman buisine.
ABBÉ GORBLET, op. cit. au mot buise. Voir aussi Patois boulonnais comparé avec le patois du Nord de la France, par le
chanoine Haigneré, Boulogne-sur-mer, 1903, au mot « buise »,
p. 97.
— 418 —
les eaux de « la tour cornière vers Saint-Valéry »
jusqu'en la cour du castel. La tour cornière vers
Saint-Valéry, c'est la tour Gobelin. Si l'on n'a pu
diriger ses eaux jusqu'en la citerne, c'est qu'elle
lui est opposée et qu'elle en est séparée par la
diagonale.
Au contraire, on pose un noc de quatre-vingtdix pieds de long, entre la tour du Roi et la tour
cornière vers la ville, pour déverser les eaux de
la première jusqu'à la citerne. Quatre-vingt-dix
pieds, c'est exactement la distance d'une tour à
l'autre. La tour du Roi est donc voisine de la tour
vers la ville, ou de la Citerne, ou pour mieux dire
de la Brasserie (ainsi appelée par le document de
Beauvillé).
La même pièce contient acquit du salaire dû
pour une échauguette nouvellement posée sur la
terrasse de douze pieds de diamètre en œuvre
de la tour du Roi.
Les noms des tours se placent maintenant
d'eux-mêmes sous les numéros qui ont été assignés
à celles-ci. La tour cornière vers Saint-Valéry,
différente de la tour du Roi et de la tour vers la
ville (ou tour de la citerne) — puisque toutes trois
sont nommées dans le même document — est
celle qu'en 1469 l'on appelle tour Gobelin, à
laquelle le numéro 1 a été donné.
La tour appelée successivement vers la ville,
de la Citerne et de la Brasserie, appartient obligatoirement au numéro 3, car le fer à cheval de la
— 419 —
braie est le seul qui soit enclavé, à droite et à
gauche, entre les murs de la cité.
On ne saurait admettre que la tour du Roi
puisse revenir au numéro 2, jouxtant l'extrémité
de la ville, vers la mer, puisqu'elle est opposée,
dans la pensée d'Armand Milon à « la tour vers
la ville ». Il convient donc de l'octroyer au numéro 4
ce qui concorde avec sa situation à quatre-vingtdix pieds de la précédente.
Il ne reste plus de choix pour le numéro 2, qui
doit s'appeler nécessairement tour du Moulin.
La tour du Roi, dont le nom est resté jusqu'ici
inconnu, et qu'on appelait dans les ouvrages
d'histoire « tour des prisons » faute de désignation
plus sûre, placée entre les tours Gobelin et de la
Brasserie, se trouvait ainsi la plus avancée vers
les champs.
Ce nom était généralement donné à la principale tour, à la plus haute, là où la seigneurie était
au roi. A Provins, par exemple, celle bâtie sur le
point culminant de la ville, s'appelait tour de
César, tour du Roi, ou de Notre sire le Roi. La
plupart des fiefs du domaine de Provins en relevaient.
Au Crotoy, la seigneurie — à part quelques
droits revenant à l'abbaye de Saint-Riquier —
appartenait aussi au roi, comme comte de Ponthieu. Le dauphin Charles avait été investi de ce
comté par Charles VI, le 17 Mai 1419. Le chef-
— 420 —
lieu était le château où résidaient les capitaines. (1).
C'était au château que venaient autrefois les
vassaux des fiefs servants porter foi et hommage.
La tour féodale, la maîtresse tour, représentait
le chef-lieu, et, comme telle, n'avait jamais été
démolie. C'est pourquoi elle était appelée aussi
« Vièse tour ». (2).
Ainsi, non seulement l'achat d'un gros ploutre
en 1463 pour les prisons de la quatrième tour et
la destination utilitaire donnée aux trois autres
par les documents de Beauvillé et Charles Bréard
s'accordent pour réserver la tour anonyme (tour
du Roi) aux prisons, mais son nom significatif
la désigne encore comme la tour principale, celle
qui, partout en Picardie (à Péronne, à Ham, à
Mailly, etc.) était le siège de la salle des plaids,
avec, au-dessous dans la plupart des cas, au-dessus
plus rarement, les chambres des prisonniers. (3).
Ce faisceau de renseignements d'une authenticité non douteuse est convaincant. Le document
disant expressément que la tour du Roi est la
prison de Jeanne d'Arc fait défaut, mais toutes
les apparences — fondées sur un ensemble de
concordances impressionnantes — la désignent
néanmoins comme telle.
(1) G. DE WITASSE, Géographie historique du département de
la Somme, Abbeville, t. I , p. 564.
er
(2) BRÉARD, op. cit., p.
192.
(3) Les Prisons de Picardie, par Darsy, Mémoires de la Société
des Antiquaires de Picardie, t. XXVI et 6 de la 3 série, 1880,
p. 338. Tous les exemples cités par l'auteur sont des prisons
sises au-dessous de la salle d'auditoire ou de justice.
e
e
— 421 —
La destinée de la noble fille des champs, que
ses rêveries transportaient si souvent vers les
régions agrestes du pays lorrain, vers les clairières
du Bois Chesnu et les charmilles du verger paternel,
témoins de ses premières extases, l'aurait donc
désignée pour être enfermée, au Crotoy, comme à
Rouen, in quadam turri versus campos, dans une
tour vers les champs.
La conception romantique de l'histoire que se
faisaient les auteurs du commencement du
XIX siècle, leur goût du pittoresque, leur lyrisme
interprétatif, ne leur permettaient pas de supposer
que Jeanne, amenée sur les bords de l'Océan,
n'ait pas eu sa cellule orientée vers le large, dans
une tour battue par les flots déchaînés. Ils voyaient
la jeune captive, accoudée à une lucarne, interrogeant le ciel et la mer qui s'unissaient à l'horizon
en une nappe fluide dans les moires du couchant.
Michelet lui-même, chez qui les facultés intuitives de l'imagination ont trop souvent voilé le
sens critique cependant si aigu, écrivait : « De là,
elle voyait la mer, et parfois distinguait les dunes
anglaises, la terre ennemie, où elle avait espéré
porter la guerre et délivrer le duc d'Orléans. (1).
Le grand historien, qui unissait « le mysticisme
d'un voyant à l'enthousiasme d'un prophète »,
selon le mot d'un de ses biographes, est allé un
peu loin. Il a voulu dire, sans doute, que Jeanne
e
(1) Histoire de France, Paris, 1879, p. 234.
— 422 —
aperçut les côtes d'Angleterre avec les yeux de
l'esprit, car la distance qui les sépare du Crotoy,
au point géographique le plus rapproché, ne permet pas de les distinguer avec la meilleure jumelle.
Le génie conjectural d'Henri Martin s'est excité
sur le même sujet: « Le séjour au Crotoy, dans
ce donjon d'où elle pouvait promener au loin ses
regards sur les grèves mélancoliques de la Somme
et sur la mer brumeuse — s'écrie-t-il — avait
été le dernier répit de Jeanne, sa dernière halte
sur la route du Calvaire ». (1).
Ces exemples, qui venaient des sommets de la
littérature, ont entraîné des imitateurs. La poésie
s'en est mêlée, et l'auteur de la Voie sacrée a cru
pouvoir mettre l'héroïne et la mer face à face et
les engager dans un vibrant dialogue, où tous les
secrets d'harmonie, toutes les hardiesses verbales
des Parnassiens prennent un libre essor. (2).
Jeanne d'Arc en la tour du Roi, c'était, au
contraire, le morne spectacle des pâturages salés
et de la campagne de Rue s'offrant sans cesse à
sa vue ; c'était, à sa droite, le fond de la baie
où venaient s'engouffrer deux fois par jour les
eaux tumultueuses des marées, mais que le jusant
transformait en une vaste plaine désolée dont les
(1) Histoire de France, Paris, 1861, t. VI, p. 247.
(2) ERNEST PRAROND. La Voie Sacrée, Paris, 1887.
L'auteur de Jeanne d'Arc au Crotoy, le Confesseur de la
Pucelle, marchant dans la voie qui lui était tracée, a écrit :
« L'orientation de la chambre où elle couchait lui permettait
de promener ses regards vers la mer... », p. 40.
— 423 —
sables désertiques, sans verdure et sans joie, semblaient balayés par un désastre. C'était aussi, à
l'horizon, le fleuve dévalant d'Abbeville, avec les
flots de lumière du soleil levant, d'une marche
tranquille et grave, entre les petits coteaux aux
contours arrondis, entre les futaies bleues dont
les harmonieuses ondulations festonnaient les deux
rives.
De la plus haute archère de la tour du Roi, la
mer n'était pas visible. L'histoire perd un peu de
son relief, mais elle garde encore une certaine
puissance évocatrice.
Le tableau qui nous montre Jeanne d'Arc les
yeux fixés vers l'Orient, priant Dieu pour la France
et son roi, quand les lueurs de l'aurore, dans un
ciel d'espérance, éclairaient son réveil et lui apportaient une caresse de gloire, n'est pas dépourvu
d'un certain symbolisme, puisque le martyre de
la fille céleste devait bientôt faire lever, comme une
aube, le sentiment de patrie.
APPENDICE
I.
« Je Amand Milon, maistre des ouvraiges de
monseigneur le duc de Bourg ou pais d'Artois,
confesse avoir eu et reçeu de Jehan de Tenremonde, dit le besghe, conseiller de mondit sgr et
son receveur général de Pontieu, par les mains
de Ysidore le pesqueur, la somme de huit vingts
dix-huit livres seize solz de xl gros monn. de flandres la livre, Que deubz m'estoient par mondit sgr
le duc pour les parties d'ouvraiges par moi fais,
parfais et acomplis ou chastel du Crotoy en le
manière déclerée cy-après, C'est assavoir pour
avoir mis et assiz dedens ledit chastel une maison
de bois conten. vingt-quatre piez de long et seize
piez de large à trois parois, chacune de treize piez
de postel, portans trois piez d'incuvement, à ung
faurain soustenu par devant sur bracons, de
laquelle maison avoir faicte et parfaicte parmy
le façon des planchiers, les huis, fenestres, latte,
couverture de thieulle, planchier et solivement,
Avec ung grant four et une cheminée oudit planchier à fonder ledit four sur la gueulle d'un chelier
qui sont nécessaires oudit chastel pour faire la
cuisine d'icelluy, m'estoit deu par mondit sgr qui
me a tauxé et estimé monter par maistre Jehan
de lauesne, maistre charpentier, à pierre Mondine
— 425 —
on
dier, maçon cômis à la vizita des autres ouvraiges
par moy fais oud. chastel et en la conté de Pontieu, à la somme de I I I I
lt. Item, pour avoir
fait et couvert de neuf plonc depuis le tour du
Roy jusques à la tour cornière vers la ville pour
éviter le pourreture des murs et alées dudit chastel,
ung noc conten. quatre-vingtz dix piez de long par
lequel les eaues qui deschendent de la nouvelle
terraiche de ladicte tour du Roy chieent dedens
la cisterne dudit chastel. Item pour avoir mis une
buisine de neuf plonc conten. cinquante piez de
long servant à gecter lesd. eaues qui deschendent
de lad. tour cornière vers Saint-Walery en la court
dudit chastel, Item sur le planchier de l'escharguette qui est sur icelle tour, avoir fait une ter_
raisse de plonc de dix piez de laize en croisine
souldée ainsi qu'il appartient. Tous lesquels ouvraiges de plommerye dessus déclarez tant buises
que terraisses avoient esté estimez par lesd. maistres Jehan de Lavesne et pierre Mondidier avec
pierre Héron, maistre des ouvraiges en pontieu, à
deux milliers de plonc, corne par la visita desd.
ouvraiges par moy fais aud. pontieu, rend, par eulx
en la chambre des comptes à lille appartient, Et
pour ce que led. ouvraige requeroit estre plus
grant et plus ample qu'il n'estoit devisé, iceulx
deux milliers de plonc ne ont peu furnir ne acomplir lesd. ouvraiges, ains y ay mis et employé
douze cens de plonc oultre et par dessus led.
advis, valent au pris de quarante solz le cent
X X
X
on
— 426 —
en bloc la sôme de l XIIII lt. Item pour chacun
cent de fondaige parmi l'assiette huit solz valent
la somme de XII lt. XVI s. Item pour un cent de
souldure que j'ay mis et employé esd. ouvraiges
de plommerye au pris de dis huit deniers pour livre
mise en œuvre, valent VII 1. x s. Et pour ma peine
et salaire d'avoir fait sur l'escharguette qui est
sur lad. tour du Roy ung planchier de bois estoffé
de sommiers et d'aisselles portans douze piez en
croisie sur lequel l'en a fait la terrasse dessd. la
sôme de IIII lt. x s. Lesquelles parties d'ouvraiges
declerez cy-dessus par moy avoit fais et parfais
bien et deuement, montent ensemble à lad.
somme de huit vingtz dix-huit livres seize solz
dite monnoie, dont je tiens content et bien payé,
Et en quicte et prometz acquitter mondit sgr le
duc, sondit R et tous autres qu'il appartiendra.
Tesmoing mon seing manuel cy-mis le XII jour
de septembre l'an mil CCCC soixante-trois. »
« A. MILLON. »
Bibliothèque Nationale. M français 26089-211.
r
s
— 427 —
II.
« Il a esté ordonné par mon très redoubté
seigneur, monsgr le duc de Bourgoingne, luy estant
derrenièrement en son chastel du Crotoy, qui fut
ou mois d'avril l'an mil IIII c I xix, faire à sond.
chastel les ouvrages et fortiffications tant de machonnerie, charpenterie, comme autrement est
cy-aprez déclériez :
« Primes,
« A esté ordonné que les anchiennes brayes qui
sont au tour dud. chastel et les trois bolvers de
boys qui nagaires y ont esté fais, seront abatus
et démolys... »
Le duc spécifie « que les nouvelles brayes, tours
et bolvers de pierre qu'il a ordonné y estre faites
se édiffieront et feront » de la façon suivante :
« lesquelles brayes seront fondées à cincquante
deux piez (1) de la muraille dud. chastel, suians
la lingne et escarie d'icelles, contenant chacun
quartier deux cents pieds de long ou environ ».
Chaque mur des nouvelles braies, de la longueur
susdite de deux cents pieds, aura quinze pieds
d'épaisseur, douze pieds de fondation en terre et
vingt-six pieds de hauteur hors du sol, « sans y
comprendre les avantpilz ». Dans chacun des
murs, « fondez et molonnés de blance pierre et
de cailleux », on ménagera « une voye creuse de
quatre piez ». Les voies creuses et le pavement des
ouvertures appelées « canonnières » seront « par
(1) Seize mètres quatre-vingt-dix centimètres.
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devant œuvre » faits « de blanche bricque de
hollande ». Le parement de la muraille se fera
« par dehors l'œuvre à deux endroix de quareaulx
de grès sertis bien et souffissement d'achelers (1)
et de boutis (2), c'est assavoir lesd. boutis de
cincq piez à autre, et par spécial au près des
terres aussy hault que la mer peut avenir, de la
meilleure matière et la plus jointisse que faire se
pourra pour le batement de lad. mer, et lesd.
quarreaulx, boutis et aisseliers fais de bonne taille
et molonnez de bricques et cailleux à rencontre
d'iceulx. » Des indications précises sont données
pour la construction des tours d'angles de la braie,
reliées aux tours cornières par des ouvrages de
deux pieds d'épaisseur : « Item, à chacune quarre
desd. murs sera faicte et aura une grosse tour
massiche à fachon de fer à cheval de seize piez
d'espoisse et dix piez de creulx, qui font quarantedeux piez en croizye, et dix piez plus haultes
que les murailles dessusdictes. Lequel creulx ne
se clora point du lez devers led. chastel, mais sera
conduit de deux murailles de deux piez d'espoisse
jusques à chacune tour cornière d'icelluy, montans
aussy hault que les allées, fondées, mollonnées,
et les parements fais comme dessus ».
Les autres articles du devis prévoient la construction d'allées avec huisseries pour parvenir aux
canonnières, en indiquant à quelle distance de
(1) Acheter ou achelier, madrier, pièce de bois de charpente.
(2) Boutis ou boutils, sorte de poutre.
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terre celles-ci seront pratiquées ; celles du côté
de la mer devront être placées « au-dessus de
toutes eaux ». Les avantpilz auront trois pieds
d'épaisseur ; « les fenestres d'iceulx de vingt piez
à autre raprofondiz pour y advenir, et au millieu
aura une archière ; et se couvreront iceulx avantpilz de huit piez de hault de tables de grez, ensamble les allées du mur et les degrez qui se feront à
jour à l'environ dud. chastel ». «A trois piez, près
desdites allées seront molonnez lesd. murs tout
de cailleux pour mieulx résister contre les pleuves
et gelées avec la couverture du pavement qui sera
faict en la manière dessusdite ».
« Et au regard de certaines ouvrages, tant de
charpenterie, hucherie, comme autrement, nécessaires estre parfais ès tours, salles, chambres et
autres pluiseurs édiffices de sond. chastel, Il a
volu et ordonné, comme dessus, iceulx estre fais
et acomplys et y emploier des deniers qu'il assignera pour convertir et emploier esd. nouveaulx
ouvrages jusques à la somme de six cens livres
de x l. gros.
« Fait soubz le seel et saing manuel de nous,
Phle de Crevecoeur, seigneur d'Esquerdes et de
Lannoy, chlr, conseiller, chambellan de mon très
redoubté sgr Monsgr le duc de Bourgoingne, et
cappitaine de sond. chastel et ville du Crotoy, le
XV jour de may l'an mil IIII c soixante neufz.
(Signé ) « PHE DE CREVECUER ».
Bibliothèque Nationale, M français 26092-810.
me
s
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