Cours 1

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Cours 1
INTRODUCTION
Dans ce cours, précisons tout de suite que le terme d’image sera entendu au sens d’image fixe. De
l’image-mouvement, qui règne au cinéma ou à la télévision, on ne s’occupera pas ici. D’une part,
parce que cette université comporte un département d’arts du spectacle qui propose des cursus
d’étude et d’analyse du cinéma. D’autre part, des cours ou travaux dirigés portant sur le média
télévisuel sont proposés en 2ème année du parcours CMM : « médias, culture, société » au semestre
3 – ou 1er semestre de 2ème année ; et « Médias : télévision », CM et TD, au semestre 6, pour clore le
parcours de licence.
Ce cours de « sémiologie de l’image », inscrit sous le label « médias 1 », est donc une préparation
générale aux cours qui suivront. Il est aussi la première étape d’un « fil » consacré aux médias de
masse du XXème siècle, « fil » qui traverse les trois années de formation et qui équilibre un autre fil,
consacré aux nouveaux médias et à l’écriture numérique.
Avant de nous intéresser plus précisément aux quelques genres d’image fixe qui seront étudiés dans
ce module (la photographie de presse, le dessin humoristique, l’affiche culturelle), nous allons
essayer de réfléchir à la richesse et aux ambiguïtés de la notion d’image – une notion si diverse qu’il
est peut-être vain de vouloir la saisir globalement, en faisant abstraction des genres et des dispositifs
pratiques où l’image est produite, diffusée, mise en circulation, nourrissant une foule de discours
verbaux – soit qu’elle illustre des textes, soit qu’elle devienne à son tour une source de
commentaires et de débats.
Puis nous développerons quelques réflexions sur l’analyse d’image, sur ses objectifs et sur son
intérêt, en nous appuyant largement sur les justifications qu’en donne Martine Joly. Enfin, nous
terminerons par la présentation d’une petite « boîte à outils » pour l’analyse d’image, boîte à outils
illustrée de quelques exemples dans une présentation Powerpoint qui accompagne cet élément de
cours écrit.
1
Qu’est-ce qu’une image ?
Une définition de cette notion multiforme est-elle possible ?
Les dictionnaires courants (notamment le Petit Larousse Illustré) mettent en avant, à propos de
l’image, les éléments de définition suivants :
-
L’image est une représentation : « Représentation d’un être ou d’une chose par les arts
graphiques ou plastiques, la photographie, le film, etc. »
-
C’est une représentation produite et/ou reproduite par impression : « représentation
imprimée d’un sujet quelconque (image d’Épinal) ». Mentionnons, de nos jours, des moyens
industriels de reproduction et de diffusion bien plus complexe qu’au temps des images
d’Épinal : l’impression sur papier ou sur d’autres supports (tissus de T-shirt), selon des
formats très variables – de l’affiche de rue, exhaussée, qui fait lever l’œil du passant… à la
photo de presse, ou à la vignette sur un timbre poste. Cette impression se fait sur les écrans
électroniques, par le codage ou encodage numérique (formats pdf, jpg, etc.)
-
L’image est transmise et perçue par le canal visuel… et elle est produite à partir d’un
rayonnement lumineux. Une définition plus « scientifique » du mot, dans le PLI donne ceci :
« ensemble plan de points ou d’éléments (pixels) représentatif de l’apparence d’un objet,
formés à partir du rayonnement émis, réfléchi, diffusé ou transmis par cet objet ».
-
L’image est liée au canal visuel, du moins en son sens premier : en effet, il peut y avoir des
images sonores ou autres (olfactives, gustatives). Ici interviennent déjà les notions d’icône et
d’iconicité : sont des icônes auditives tous les sons produits par des procédés de bruitage
pour représenter d’autres sons… au théâtre, à la radio, au cinéma,… ainsi que les sons
destinés à symboliser une identité sonore, comme les jingle qui permettent d’identifier telle
ou telle antenne de radio. Nous nous en tiendrons ici aux images visuelles.
-
L’image a deux dimensions : « ensemble plan de points ou d’éléments (pixels) représentatif
de l’apparence d’un objet… ». De fait, les images 3D sont des images de synthèse, qui sont
illusoirement perçues comme ayant trois dimensions.
-
Elle est produite selon des règles de transformation – règles propres à certains arts plastiques
comme le bas relief, la taille des médaillons, etc. ou transformations résultant de la mise en
œuvre de technologies, comme les hologrammes. Dans tous les cas, il existe des règles de
transformation, évidentes quand il s’agit de la projection d’un objet à 3 dimensions sur une
surface à 2 dimensions ; mais non moins actives, et d’une grande complexité, dans le cas des
images de synthèse. Ces règles de transformation sont variables et toutes ne sont pas
géométriques ou mathématiques.
-
L’image peut être produite par le moyen des arts graphiques ou plastiques (cf. ci-dessus) :
dessin, lithographie, sérigraphie, incision, gravure (cf. les gravures préhistoriques), sculpture
en bas relief (portails d’abbayes romanes ou chapiteaux sculptés – bien que la langue
courante répugne à utiliser le nom générique d’image pour parler d’objets sculptés), etc.
-
Elle peut aussi être produite par des procédés techniques : la photographie argentique ou
numérique (optique), une radiographie aux rayons X, une échographie, une IRM (utilisant la
résonance magnétique), etc.
2
-
Il existe toujours un ou des producteurs de l’image (techniciens ou artistes), ainsi que des
instances de diffusion et des instances de réception, publics ou audiences. L’image est donc
très souvent engagée dans des processus de communication : même les photographies
personnelles n’y échappent pas, qu’on les range dans des albums classiques, ou qu’on les
mette en ligne dans des albums virtuels (FlickR). Et l’on ne compte plus les mésaventures de
personnes célèbres dont des photos personnelles ou intimes « fuitent » sur Internet, sans
qu’il leur soit possible de faire obstacle à leur diffusion.
-
L’image s’intègre à un « genre » – un genre de communication entre un ou des émetteurs et
un public : il s’agit du photoreportage ou de la photo d’art, du dessin humoristique ou de la
bande dessinée, de l’infographie de presse ou de la jaquette de livre, etc.
-
Elle est bornée, limitée par un « cadre », même quand elle apparaît sur un écran – que ce
cadre soit l’écran ou autre chose. L’image a donc toujours un champ et un hors-champ,
strictement différenciés, ce qui n’est pas le cas du regard naturel : certes, celui-ci est limité
par un angle de vision (on parle de « champ visuel »), qui est moins important pour
l’homme que pour la vache, par exemple ; mais les mouvements incessants de la tête et de
l’œil empêchent les limites de l’angle de vision de devenir un cadre fixe, et ce qui est
provisoirement hors champ peut à tout moment entrer dans notre champ de vision. Ce n’est
pas le cas de la photographie ou du dessin : le cadre découpe une fraction de réel qui est
figurée ou représentée ; il clôture en quelque sorte la représentation.
Le nom « image » nous vient tout droit du latin « imago », qui a un sens bien particulier. Les
« imagines » romaines étaient des figurines – de cire ou de terre cuite – qui représentaient les
ancêtres (décédés). On les sortait lors de certaines fêtes, pour les promener dans une partie de la
ville et, en les montrant, affirmer l’identité collective du clan familial, de la maisonnée au sens large.
Elles étaient convoquées pour des engagements solennels : mariage, serments de fidélité ou de
vengeance, etc.
C’est dire qu’elles étaient liées à la mort, à la collectivité qui transcende l’individu, à l’identité, à la
projection d’affects singuliers ou collectifs, à l’efficacité de la parole : pouvoir symbolique
considérable, parfois proche de la magie, et dont il reste quelque chose aujourd’hui, du moins dans
certaines images, à titre inconscient.
« Imago » est d’ailleurs un terme employé en psychanalyse, pour désigner quelque chose qui agit
sur le sujet et en lui, qui le domine en régissant son inconscient : par exemple, on dit que l’image du
père était particulièrement puissante sur Mozart et que cela explique certains des comportements et
des angoisses du musicien. Ce concept est aussi utilisé pour décrire l’inconscient collectif.
C’est donc toute la dimension projective de l’image qui apparaît ici, la dimension de l’imaginaire :
en témoignent les tests de Rorschach ou encore l’usage que font les psychologues des dessins
d’enfants. Quant au langage verbal, il est sous-jacent, et il sert tantôt à contenir cette dimension
projective dans des limites dites « raisonnables » ou socialement acceptables –cela est relatif à
3
chaque époque et à chaque société. Tantôt il sert à stimuler la production imageante des sujets :
c’est le cas des rébus, des « cadavres exquis » chers aux surréalistes, ou encore du télescopage des
thèmes
d’actualité
qui
commande,
souterrainement,
la
mise
en
scène
visuelle
(la
« scénariographie », dit Fresnault-Deruelle) qui sera celle d’un dessin de presse.
Terminons par la lingua franca de notre époque : l’anglais. Cette langue propose deux mots, très
différents : « image » et « picture ». Le second concentre tous les aspects graphiques et picturaux
dont nous avons parlé, en laissant de côté la plupart des représentations produites par la technologie
(radiographie, IRM…). Le premier reprend un des aspects du latin « imago », mais avec des
nuances limitées à l’effet social de l’image.
L’anglais « image » désigne en effet un style vestimentaire, une appartenance de classe (un
« look ») ; puis, s’éloignant un peu du canal visuel, la réputation d’une personne ou d’une entreprise
(« to leave a good image »), voire ce que l’on appelle aujourd’hui en français – mais ne serait-ce pas
du franglais ? – une « image de marque », que le logo d’une entreprise peut résumer et symboliser.
Par là, c’est la problématique des tendances, des styles de vie et de la publicité qui peut être abordée.
Mais elle ne le sera pas dans ce module ; ce sera l’affaire du TD « message iconique et message
verbal », au semestre 3, consacré à la communication publicitaire et au logo.
Pourquoi analyser l’image ?
Pour terminer cette introduction, nous voudrions répondre à la question suivante :
Pourquoi analyser l’image et quel est l’intérêt de cette activité ?
Notre réponse ne sera pas originale : afin que l'expérience esthétique – et médiatique – ne soit
nullement opposée, à l’agir, au travail, on peut assigner à l’analyse d’image quelques fonctions
nécessaires à une réception accomplie :
-
la satisfaction du goût : analyser les images, c’est s’arrêter sur elles, prendre le temps de les
apprécier et de verbaliser ;
-
la fonction cognitive : l’analyse d’image conduit à la compréhension du fonctionnement des
signes visuels, de la façon dont ils agissent sur des publics, et à l’exploration de certains
processus de communication ;
-
la fonction critique (jugement) : analyser, c’est aussi justifier et fonder l’attirance ou
l’inappétence pour certaines images, c’est fonder un goût personnel en le confrontant, par
l’échange, à celui d’autrui ;
4
-
la fonction didactique : analyser les images, c’est enseigner à reconnaître des genres de
communication (genres de presse, genres publicitaires, genres artistiques, entre autres) ;
c’est enseigner à reconnaître des styles ; c’est aussi enseigner à connaître ce dont parlent ces
images, leur référent dans le monde, et la façon dont elles en parlent, leur ton : humoristique,
impersonnel, pathétique, etc.
Notre réponse n’est pas originale… car c’est celle d’une spécialiste de la question, Martine Joly,
dans « Analyse de l’image : résistances et fonctions », in Peut-on apprendre à voir ? (1999)
Nous reproduisons ci-dessous de larges extraits de ce texte, non sans en surligner quelques passages.
LECTURE
Martine JOLY, « Analyse de l'image : résistances et fonctions »
in Peut-on apprendre à voir ? Paris, l’image et l’École nationale supérieure des beaux-arts, 1999.
EXTRAITS
1. Sur les méthodes d’analyse de l’image
« L'analyse de l'image et ses méthodes sont souvent considérées soit comme une réduction
inévitable de la pensée (et du plaisir) visuels au logocentrisme d'une part, soit comme un mal
nécessaire pour la pédagogie de l'image, mais elles ne sauraient rendre compte en aucun cas de la
richesse ni de la complexité de l'expérience visuelle, qu'elle soit esthétique ou médiatique.
Que l'analyse de l'image et la nécessaire verbalisation à laquelle elle aboutit ne puissent restituer
l'expérience visuelle dans sa globalité est une évidence et c'est attendre cela d'elle qui est
logocentriste précisément. C'est pourquoi je voudrais montrer, après avoir examiné un certain
nombre de résistances que l'analyse suscite, que si l'on modifie l'attente que l'on a d'elle, celle-ci
peut avoir une fonction bien plus essentielle que celle d'un exercice pédagogique réducteur, à
savoir celle de contribuer au parachèvement de l'œuvre dans une réception accomplie et active.
Nous commencerons par un préambule au sujet des « méthodes » d'analyse.
Tout d'abord constatons qu'il n'y pas de méthode universelle : à côté des analyses
« scientifiques » de tableaux décrites par Danièle Giraudy, existent les analyses mathématique,
historique, esthétique, ou encore sémiotique des images... On peut aussi penser aux analyses
d'œuvres présentées déjà comme telles par Kandinsky ou Johanes Itten au Bauhaus et qui sont
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bien différentes des « analyses » d'un Van Gogh dans sa correspondance ou de l'analyse critique
d'un Bazin, en ce qui concerne le cinéma. On pourrait ainsi multiplier les exemples. Pour ma part,
je me suis risquée à proposer des exemples de méthodologie d'analyse sémiotique d'images1
c'est-à-dire d'étude des procédés de production de sens mis en œuvre dans des images, tout en
précisant bien que, y compris dans le domaine de l'approche sémiotique, les méthodes pouvaient
varier selon le projet.
Nous l'avons vu dans le cadre de ce colloque lorsque Pierre Fresnault-Deruelle, pour l'étude de
l'organisation forme/couleur dans l'affiche, c'est-à-dire celle de l'efficacité de l'image « entrevue
» n'a pas utilisé la même méthode que Plantu lorsqu'il a « analysé » l’évolution des traits (au sens
physique du terme) qui permettent de distinguer, dans un dessin de presse, un « gentil » d'un «
méchant »...
Cependant, s'il n'y a pas de méthode universelle d'analyse de l'image, celle-ci présente quelques
constantes
- dans sa mise en œuvre ;
- dans la façon que l'on a de l'envisager ;
- dans ses fonctions ;
et c'est sur ces constantes que nous voudrions nous arrêter un instant. »
2. Mise en œuvre de l'analyse
« L'analyse est un mode de réception particulier qui se distingue de la réception spontanée des
œuvres ou des « produits » visuels ou audio-visuels tout d'abord parce que c'est un travail
d'observation orientée et que ce travail détruit, anéantit, exécute la vision spontanée.
Si la contemplation de l'image fixe est admise, voire comprise comme élément de la vie de
l'œuvre, sa rationalisation, sa mise en forme analytique, et par conséquent verbale, l'est beaucoup
moins, et conditionne la méfiance qui entoure l'analyse comme travail : la contemplation est
associée à l'idée de plaisir, voire de jouissance, tandis que le travail est associé à celle de
déplaisir, sinon de torture comme dans son étymologie. Quant à l'analyse de film ou d'image
animée, on sait qu'elle détruit carrément son objet comme l'a démontré Raymond Bellour
considérant le texte filmique comme un « texte introuvable »2.
On considère donc que l'analyse, en tant que « travail », concerne le spécialiste et,
éventuellement le pédagogue, mais en aucun cas le spectateur ordinaire ni l'amateur qui
entretiennent à son égard un certain nombre de résistances subordonnées à l'idée de travail, nous
venons de le voir, mais aussi nourries de quelques a priori parfois paradoxaux. »
Préjugés sur l'analyse
« Ainsi, l'analyse de l'image serait aussi inutile qu'hasardeuse. Inutile car l'image est volontiers
considérée comme un langage universel. En effet, l'apparente « naturalité » de la « lecture » des
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images, tout au moins figuratives, laisse penser que leur analyse, ou leur étude, est superflue,
d'autant plus que dans le monde entier les images figuratives produites semblent reconnaissables
par tous. Il y a dans ce type d'affirmation une part de vérité mais pas d'absolu. Les personnes qui
ne l’ont jamais appris ne reconnaissent pas les transformations nécessaires à la représentation
visuelle (réduction, à-plat, absence de volume ou de couleurs, etc.). Reconnaître ne veut pas dire
comprendre : il faut passer de la reconnaissance des formes à l'interprétation qui est encore une
étape supplémentaire et demande de connaître (même implicitement) les conditions de
production et de diffusion, bref, le contexte culturel de la représentation et de la communication
visuelle, pour passer de l'iconique au symbolique, de la dénotation à la connotation, etc.
Ainsi on peut considérer qu' « apprendre à voir » serait apprendre à considérer le « voir » comme
embrayeur de sens, c'est-à-dire comme embrayeur d'invisible, car ce que l'on comprend n'est
jamais concrètement totalement dans l'image mais déduit, associé, imaginé, etc., à partir du
contenu esthétique de l'image.
On est alors en face d'un premier paradoxe qui est celui de la méfiance à l'égard de l'image, et en
particulier de l'image médiatique, susceptible de nous manipuler, c'est-à-dire de fabriquer des
messages suffisamment puissants1 pour que 1) nous ne les percevions pas (où passe alors la
« naturalité » de la lecture de l'image ?) ; 2) mais qu'ils conditionnent nos comportements (les
plus mauvais, bien sûr : violence, consumérisme aveugle, suivisme politique, etc. ).
Un deuxième paradoxe est alors produit par ce type de jugement : analyser et interpréter seraient
risquer de penser ou de ressentir quelque chose que « l'auteur » n'aurait pas nécessairement
voulu ni souhaité. Il y aurait donc une certaine liberté dans l'interprétation de l'image (où est
alors passé le conditionnement aveugle ?) mais une liberté suspecte : on voit que le respect
attendu des intentions de l'auteur devient alors un nouveau frein à l'analyse, frein qui révèle en
réalité une résistance idéologique liée à notre système éducatif d'une part mais par ailleurs
opposé à l'idée de la naturalité et de l'universalité de la communication visuelle. »
« À ces réticences s'en ajoutent d'autres liées elles aussi à des séries d'oppositions fortement
idéologiques et découlant encore de l'idée de travail que l'analyse implique : ce sont les
oppositions « loisir » versus « travail » et « sentir » versus « comprendre ».
« Loisir » versus « travail » : il s'agit là d'une opposition bien connue qui préside à l'organisation
de nos sociétés capitalistes occidentales, filles de l'industrialisation : l'image (volontiers opposée
à son tour au livre) est d'emblée versée au chapitre des loisirs, et donc du plaisir (suspect), de la
facilité, du voir, qui ne seraient ni l'apprendre ni le comprendre. Et même si la télévision
publique avait pour mission originelle « d'informer, de distraire et d'éduquer », ce dernier volet
s'est toujours avéré difficile à tenir dans un médium de masse et, lorsqu'il est maintenu, c'est le
1
Note du Rédacteur : En ce cas, l’image est le lieu d’une médiation entre des producteurs-éditeurs et le réel, appréhendé
en tant qu’actualité (au moyen d’une catégorie d’événements comme « catastrophe naturelle », « rencontre de chefs
d’état », etc.)
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plus souvent sous forme quelque peu bêtifiante et simplificatrice de manière à soulager l'idée
d'apprentissage de celle de travail et donc de souffrance : cet implicite médiatique concernant
l'apprentissage est non seulement désastreux mais faux puisque l'enfant grandit en apprenant et
en aimant apprendre à moins en effet, qu'on ne l'en dégoûte...
Quant à l'opposition « sentir » versus « comprendre », elle est nourrie de « l'image de l'artiste »
telle que nos sociétés occidentales l'ont entretenue depuis l'Antiquité3 et l'apparition des
premières œuvres signées. Cette opposition contribue, elle aussi, à rejeter l'analyse des œuvres
visuelles comme une atteinte à l'art « intouchable »4, d'essence divine ou furieuse, selon les
époques. L'exaltation du « sentir » opposé au « comprendre » se retrouve encore dans des mots
d'ordre relativement contemporains tels que ceux de la photographe Susan Sontag ou de la
graphiste April Greiman : « Do not think, if thinking think nothing » ou encore : « l'interprétation
est la revanche de l'intellect sur le monde. Interpréter, c'est appauvrir, c'est réduire le monde pour
ériger un monde fantôme de significations », alors que l'image aurait à voir avec « l'eau, le
mystère, l'émotion, l'irrationnel et l'inexpliqué ».
Interpréter, et donc analyser, s'opposeraient alors au principe même de la jouissance
esthétique, crainte souvent manifestée par les étudiants, d'ailleurs, lorsqu'on aborde l'analyse
d'image. »
Fonctions de l'analyse
« Cependant, si l'on se rapporte à la manière dont l'expérience esthétique a été envisagée selon
les époques, on s'aperçoit que ce « retour à l'ineffable », pour reprendre une expression de
Umberto Eco5, repose toujours et encore sur la séparation entre la jouissance et le travail, alors
que cette séparation équivaut pour certains, comme Schiller6, à la perte d'une totalité qu'aurait
représentée l'hellénisme. Dans le devoir de restaurer cette totalité perdue, seul l'état esthétique
entraînerait avec lui une disposition d'esprit qui supprimerait toutes les barrières dans la totalité
de la nature humaine, pour tendre vers un état, encore utopique, où le travail ne serait pas aliéné.
Passons sur la critique exacerbée d'un Adorno sur le plaisir pris à l'art en tant que réaction
bourgeoise à la sublimation de l'art : « le bourgeois souhaite que l'art soit voluptueux et la vie
ascétique; le contraire serait mieux ». Plus modérément, si l'on souhaite, à l'instar d'un Barthes7,
que l'expérience esthétique – et médiatique – ne soit nullement opposée, au contraire, à l'agir
(comme travail), alors on peut imaginer que l'analyse remplisse un certain nombre de fonctions
évidentes et nécessaires à une réception accomplie :
- satisfaction du goût
- fonction didactique
- fonction critique (jugement)
- fonction cognitive
8
et, ce faisant, serve d'outil de synthèse, réconciliant aesthesis, catharsis et poïesis, les trois
catégories fondamentales de l'expérience esthétique – et médiatique – comme ensemble de
fonctions autonomes qui accomplissent l'œuvre8.
Quitter un moment l’aesthesis de la contemplation, modérer l'émotion de la catharsis pour
élaborer un jugement (par l'analyse), permettent d'accomplir la poïesis c'est-à-dire de participer à
l'accomplissement de l'œuvre.
« II y a trois sortes de lecteurs », écrivait Goethe9 que nous pourrions paraphraser en disant « il y
a trois sortes de spectateurs d'images » :
« le premier jouit sans juger ; le troisième juge sans jouir et le moyen juge en jouissant et jouit en
jugeant ; ce dernier recrée à proprement parler l'œuvre d'art ».
Notre proposition est donc non seulement de souscrire à cette constatation et d'appeler de nos
vœux ce « juste milieu » dans la réception des œuvres, mais d'élargir cette complétude, à laquelle
contribue l'analyse, on l'aura compris, à la réception médiatique qui mêle dans le flux de ses
programmes œuvres et documents. »
Petite « boîte à outils » pour l’analyse d’image
1. Morphologie de l'image
Qu'est-ce qui attire le regard en premier? Quel est le parcours de l'oeil sur l'image?
 points forts et lignes de force de l'image : les plus importants (plus lumineux, plus coloré, etc.)
 lignes de fuite, effet de perspective et de profondeur (ou absence de profondeur)
 lignes horizontales, verticales, obliques ; droites ou courbes ; figures et volumes (triangle, cercle, carré)
 l'image a-t-elle une orientation? y-a-t-il un texte?
2. Cadrage et éclairage
À quelle distance se place le photographe?
 plan d'ensemble, plan de demi-ensemble, plan moyen, gros plan, très gros plan
De quelle manière est vu le personnage?
 vue frontale, de trois quarts (3/4), de profil... ; vue d'en haut (plongée) ou d'en bas (contre-plongée)
La lumière vient-elle de face, de côté, du fond...? Y-a-t-il un contre-jour? Comment le sujet est-il éclairé?
Les divers plans de la photo sont-ils nets ou flous ?
3. La mise en place du sujet ou des personnages
Y-a-t-il des indices historiques, géographiques, ou d'appartenance à une classe sociale? à un métier?
Que fait le personnage? Est-ce que la photo nous raconte quelque chose? Nous décrit quelque chose?
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Relations du photographe avec son personnage, son sujet. Comprend-on la pensée du photographe, son
intention? Quelle relation y-a-t-il entre le personnage et les spectateurs (nous)?
4. Le choix des couleurs
Systématicité des choix de couleurs
Saturation / désaturation
Harmonie des couleurs et/ou contrastes
Aspect affectif et symbolique des couleurs utilisées (amour, énergie, violence, etc.)
5. Plan possible
Description de la structure de la photo et de ses divers éléments visibles
Correspondances sémiotiques entre réseaux de signes visuels (plan de l'expression) et contenus
Interactions entre les messages verbaux et les messages visuels (potentialités narratives, descriptives,
argumentatives de l'image)
Effet qu'on a voulu produire sur le spectateur, impressions que cette image produit sur vous
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