Surpasser ses limites : le défi de l`intelligence artificielle
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Surpasser ses limites : le défi de l`intelligence artificielle
Nino Garcia HEC Paris 21 ans Surpasser ses limites : le défi de l’intelligence artificielle M ai 1997. Le supercalculateur Deep Blue remporte son duel face au champion du monde d’échecs Garry Kasparov(1). Janvier 2016 : près de 20 ans plus tard, l’information de la victoire d’un ordinateur sur le champion d’Europe du jeu de Go est diffusée sur Internet(2). Ce fut une longue période, surtout à l’échelle des technologies de l’information. Celle-ci symbolise les nombreuses difficultés expérimentées par l’intelligence artificielle (IA), que nous analyserons : interprétation de données complexes, capacité à intégrer un environnement et émotion sont autant d’éléments que l’homme maîtrise mieux que la machine. Dans cette optique, le concept même d’intelligence augmentée doit reposer sur la synthèse entre l’intelligence artificielle et les spécificités humaines. Le deep learning, nouveau potentiel de l’IA Avec l’évolution de la puissance de calcul, le ‘’deep learning’’ est au cœur des progrès récents de l’intelligence artificielle et s’appuie sur la logique d’enseignement et d’apprentissage(8). Celui-ci utilise le modèle des neurones du cerveau humain pour repousser le champ des possibles dans le secteur de l’IA(9). A travers des réseaux de neurones artificiels multicouches s’appuyant sur un grand nombre de connexions, la machine est capable de décupler ses performances. Le graphique ci-dessous résume le fonctionnement du deep learning : Intelligence artificielle ou intelligence alternative ? Ainsi, le jeu de Go est longtemps resté hors de portée des ordinateurs(3). Avec un facteur de ramification de 250 – contre 35 aux échecs(4) – il rend extrêmement coûteux l’algorithme « minimax »(a) (5). Les processus de simplification utilisés aux échecs, tels que le « alpha-beta search » ou le « null-move »(6), sont inapplicables dans ce contexte : l’homme s’en sort avant tout par une sélection des options les plus pertinentes et s’appuie sur son instinct et son expérience pour repérer les mouvements dignes d’intérêt(7). Ces caractéristiques dépassent la rationalité robotique, dépourvue des spécificités humaines, et font entrer la machine en compétition avec l’homme sur un terrain différent. Celle-ci est avant tout une intelligence alternative qui, malgré un potentiel incontestable, a également ses limites. Le deep learning fonctionne en deux temps. Lors de l’entraînement, la machine apprend à reconnaître l’animal sur la base de nombreux exemples. Par la suite, elle devient capable de savoir quel animal lui est présenté. 1 La logique du ‘’deep learning’’ repose donc avant tout sur l’entraînement de la machine, à l’image d’un sportif ou d’un étudiant. Par exemple, en décembre 2015, Wikipedia a sorti le programme ORES(b) qui, lors de la modification d’une page, repère l’erreur involontaire de l’acte de vandalisme(11). Cette intelligence artificielle a été entraînée par les relecteurs de Wikipedia grâce à des milliers d’exemples réels(12). C’est cette technique qu’a utilisée l’entreprise Deep Mind, sortie victorieuse de la partie de Go évoquée précédemment(c). Le deep learning est aujourd’hui une des principales avancées pour l’IA. Il a unifié reconnaissance faciale, reconnaissance vocale, traduction automatique, etc, auparavant étudiées séparément. A la pointe de la recherche, Facebook et Google entendent être les leaders dans ce domaine. Pour autant, le chemin est encore pavé d’embûches. Les limites actuelles de l’IA En juillet 2015, l’erreur de Google fait un tollé : son application photo identifie deux jeunes Afro-américains comme des gorilles(13). En repoussant ces personnes hors de l’espèce humaine, le logiciel a clairement révélé son non-humanité là où des membres d’une même espèce se reconnaissent entre eux. L’intelligence artificielle montre aussi ses limites en ce qui concerne le langage. D’une part, les logiciels de reconnaissance vocale ont du mal à identifier une voix lorsqu’elle celle-ci est mêlée à un brouhaha ambiant(d). D’autre part, si les machines de traduction automatique perçoivent généralement bien les mots et phrases, elles gèrent mal l’ironie, le second degré ou le sens implicite(14). La traduction par la machine n’implique donc pas la compréhension et la conscience de la langue, dans la lignée de l’argument de la Chambre chinoise développé par John Searle(15) (e). Des entreprises comme Skype, avec la traduction vocale instantanée, combinent même les 2 difficultés évoquées ! Enfin, comme le prouve l’exemple d’ORES, la machine a encore besoin de l’homme pour la former. Sans celui-ci, elle est condamnée à rester un enfant. L’autonomous learning, ou la capacité pour la machine d’apprendre par elle-même, marquerait une rupture dans l’évolution de l’IA. Conclusion A mon sens, l’humanité augmentée passe donc par la synthèse de ces deux aspects : technique de la machine et conscience humaine. L’esprit humain, non content d’être concepteur, devrait être intégré au raisonnement de l’ordinateur. Ceci serait également une avancée vers certains domaines qui sont encore majoritairement l’apanage de l’homme, comme l’art(16), même si les progrès de l’IA en matière de production d’œuvres d’art sont considérables(17) (f). Le deep learning est un premier pas vers ces nouveaux stades. Les ratés sont normaux et font partie du processus d’apprentissage, du « learning by doing » : pour corriger, il faut dans un premier temps expérimenter l’échec. A terme, une synthèse plus profonde est même envisageable. Cela peut prendre la forme d’une intelligence artificielle de groupe, plus fiable que l’individualité d’une machine. Poussée à son extrême, l’IA pourrait alors intégrer l’homme dans la mouvance du transhumanisme, sujet longuement discuté dans la littérature. L’alternative transmachiniste(g) serait la pleine intégration de l’homme dans la machine, par exemple à travers une transposition de cellules ou une mémoire fondée sur l’ADN humain(18). Pour que l’intelligence artificielle comme l’intelligence humaine soient véritablement augmentées, l’homme doit donc faire un choix : augmenter ou être augmenté. Notes : (a) L’algorithme « minimax » consiste en la réalisation d’un arbre des possibles qui évalue toutes les options en fonction de la réaction qu’elles impliquent. Le choix est ensuite fait de sorte à minimiser la meilleure réponse possible de la part de l’adversaire. (b) Objective Revision Evaluation Service (c) Deep Mind a été rachetée par Google en janvier 2014 pour 400 millions de dollars. (d) Il est à ce titre instructif de remarquer que les vendeurs de dictaphones qui retranscrivent à l’écrit des propos oraux, insèrent avec le logiciel un micro à très faible portée qui ne peut capter que la voix concernée. (e) Searle imagine une personne sans aucune connaissance de la langue chinoise enfermée dans une pièce avec un catalogue de règles lui permettant de répondre à des questions en chinois. L’opérateur reçoit des questions venant d’un vrai sinophone situé à l’extérieur de la pièce et, grâce aux règles, est en mesure d’y répondre. Le sinophone croira alors qu’il a face à lui quelqu’un pratiquant couramment le chinois. 2 Pourtant, ce dernier ne fait que retranscrire des règles pré-déterminées. (f) Par exemple, les machines sont capables, à partir d’une photo, de reproduire une œuvre dans le style d’un peintre connu, par exemple Van Gogh ou Picasso. (g) Néologisme de l’auteur désignant, par opposition au transhumanisme, l’utilisation d’éléments humains pour améliorer les performances de la machine (par exemple, des cellules humaines). Sources : (1) IBM, Icons of progress, Deep blue, “Overview”. [En ligne]. Disponible : http://www03.ibm.com/ibm/history/ibm100/us/en/icons/de epblue/ (2) Les Echos, Benoit Georges, « Intelligence artificielle : Google a battu un champion humain au jeu de Go », 27 janvier 2016. [En ligne]. Disponible : http://www.lesechos.fr/techmedias/hightech/021653675854-intelligenceartificielle-google-a-battu-un-champion-humainau-jeu-de-go-1195710.php (3) Wired Business, Alan Levinovitz, “The mystery of Go, the ancient game that computers still can’t win”, 5 décembre 2014. [En ligne]. Disponible : http://www.wired.com/2014/05/the-world-ofcomputer-go/ (4) Jacek Manziuk, Studies in Computational Intelligence 276: Knowledge-Free and LearningBased Methods in Intelligent Game Playing, “Introduction”, Springer, 27 janvier 2010. (5) Ecole des Mines de Saint-Etienne, Gauthier Pi card, Algorithme Minimax et élagage αβ, 9 novembre 2011. [En ligne]. Disponible : http://www.emse.fr/~picard/files/minimax.pdf (6) MIT Open Course, Patrick H. Winston, Artificial intelligence, “Lecture 6: Search: Games, Minimax and Alpha-Beta”, 6.034, Fall 2010. [En ligne]. Disponible : https://www.youtube.com/watch?v=STjW3eH0Ci k (7) Michael S. Gazzaniga, Richard B. Ivry, George R. Mangun, Cognitive Neuroscience – The Biology of The Mind, International Student Edition, Novembre 2013. (8) MIT Technology Review, John Pavlus, Deep Learning, [En ligne]. Disponible : https://www.technologyreview.com/s/513696/d eep-learning/ (9) Li Deng and Dong Yu, Foundations and Trends in Signal Processing, Volume 7, Issues 3-4, 2014. (10) Le Monde, Morgane Tual, « Comment le ‘deep learning’ révolutionne l’intelligence artificielle », 24 juillet 2015. [En ligne]. Disponible : http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/07/2 4/comment-le-deep-learning-revolutionne-lintelligence-artificielle_4695929_4408996.html (11) BBC, “Wikipedia launches edit-checking artificial intelligence”, 2 décembre 2015. [En ligne]. Disponible : http://www.bbc.com/news/technology34982570 (12) MIT Technology Review, Tom Simonite, “Artificial Intelligence Aims to Make Wikipedia Friendlier and Better”, 1er décembre 2015. [En ligne]. Disponible : https://www.technologyreview.com/s/544036/ar tificial-intelligence-aims-to-make-wikipediafriendlier-and-better/ (13) Le Parisien, « Deux Afro-Américains confondus avec des gorilles : Google d’excuse », 2 juillet 2015. [En ligne]. Disponible : http://www.leparisien.fr/high-tech/deux-afroamericains-confondus-avec-des-gorilles-google-sexcuse-02-07-2015-4912669.php (14) Interstice Info, Li Gong, « La traduction automatique statistique, comment ça marche ? », 29 octobre 2013. [En ligne]. Disponible : https://interstices.info/jcms/nn_72253/latraduction-automatique-statistique-comment-camarche (15) John Searle, Behavorial and Brain Sciences, “Minds, brains and programs”, 1980. 3 (16) Les Echos, Benoit Georges, « La créativité, dernière frontière de l’intelligence artificielle », 24 février 2016. [En ligne]. Disponible : http://www.lesechos.fr/idees-debats/sciencesprospective/0204177924905-les-ordinateurspeuvent-ils-creer-1096109.php (18) Nature, Erika Check Hayden, “Rewritable memory encoded into DNA”, 21 mai 2012. [En ligne]. Disponible : http://www.nature.com/news/rewritablememory-encoded-into-dna-1.10670 (17)Bored Panda, “New neural algorithm can ‘paint’ photos in style of any artist from Van Gogh to Picasso”, Août 2014. [En ligne]. Disponible : http://www.boredpanda.com/computer-deeplearning-algorithm-painting-masters/ Nombre total de signes de l’article : 5 853 signes (espaces compris, hors légende de l’illustration, notes et sources). Rappel : l’article (titre + introduction + corps de l’article + conclusion) ne doit pas dépasser 6000 signes espaces compris (hors légende de l’illustration, notes et sources) 4