Ethique sur l`étiquette - Alternatives Economiques

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Ethique sur l`étiquette - Alternatives Economiques
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DROIT DU TRAVAIL Un grand bond en avant ? page 4 prisons LE témoignage de Lu de Cheng page 7
DISTRIBUTION les grandes marques encore loin du but page 8 LE COLLECTIF page 11 LA PéTITION page 12
Jouez
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J. o.
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D E C E M B R E
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DOSSIER :
LE CHANTIER
DE LA VILLE
DURABLE
ÉCONOMIE :
POURQUOI
L'INFLATION
A ÉTÉ DOMPTÉE
page 56
page 32
3 , 8 0 LICENCIEMENTS La grande triche PAGE 38 SYNTHÈSE Les migrations et le développement du Sud PAGE 78
SOUTIEN SCOLAIRE La fièvre des cours particuliers PAGE 46 SUD Les limites du microcrédit PAGE 70
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Climat
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(OU PRESQUE) PAGE 6
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ISSN 0247-3739
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T 02125 - 253 - F: 3,80 E
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(France métropolitaine)
BELGIQUE/LUXEMBOURG 4,30 € ALLEMAGNE/ESPAGNE/ITALIE/GRÈCE/PORTUGAL (CONT) 4,60 € SUISSE 8 CHF DOM/A 5,20 € DOM/S 4,30 € MAROC 42 MAD ZONE CFA 3-300 CFA CANADA 6.95 CAD
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Soyez réalistes,
demandez l’impossible !
I
mpossible is nothing ! (Rien n’est impossible), affirme le slogan d’Adidas.
Serait-il possible par exemple que
les vêtements et les chaussures de
sport soient fabriqués dans le respect des
normes fondamentales de l’Organisation
internationale du travail : interdiction
du travail forcé, non-exploitation des
enfants, liberté syndicale, droit d’organisation et de négociation collective,
salaire minimum vital, durée maximale
de travail, non-discrimination, santé et
sécurité au travail ? Au vu
des difficultés à surmonter,
on pourrait, en effet, croire
que c’est impossible. Mais,
si l’une des leçons du sport
est « ce qui semble impossible finit par être atteint,
à force de ténacité et de
courage », alors, oui, nous
pouvons y arriver !
La pression croissante
de l’opinion publique a
déjà obligé les plus grandes marques
(Nike, Adidas, Puma…) à modifier leurs
pratiques et à imposer des codes de
conduite à leurs sous-traitants. On
arrive ainsi à faire réintégrer des syndicalistes licenciés ou à dédommager
des salariés victimes d’accidents du
travail. Mais les pratiques d’achat ne
changent pas, privilégiant prix, délais
et flux tendus. Dès lors, horaires interminables, salaires de misère, précarité
et conditions de travail insalubres
restent monnaie courante. Avec un
nouveau problème : la fin de l’accord
multifibre, qui attribuait des quotas de
production aux différents pays, se traduit aujourd’hui par des restructurations
entraînant fermetures d’usines et licenciements. La production se concentre de plus en plus dans les pays où la
liberté syndicale n’existe pas : Chine,
Vietnam, zones franches du Bangladesh
(la Chine détient 58 % de la production
mondiale de chaussures de sport !).
Pourtant, l’industrie du sport est très
rentable. Ses profits ne cessent de s’accroître et des sommes pharamineuses
sont investies dans la communication
et le sponsoring. A titre d’exemple, pour
devenir sponsor officiel des jeux Olympiques de Pékin, on estime qu’Adidas
aurait payé autour de 90 millions de
dollars, sans compter le sponsoring
D. R.
Fondateur, conseiller de la rédaction : Denis Clerc
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Ont également participé à ce numéro : Mariano Fandos
et Pierre Tiessen
Relations extérieures : Véronique Orlandi (28 90)
Comité d’orientation : Jean-Joseph Boillot, Philippe Bonzom,
Jean-Pierre Chanteau, Christian Dufour, Christophe Fourel,
Jean-Paul Hébert, Daniel Lenoir, Bruno Magliulo, Jacques Maire,
Dominique Méda, Bernard Pecqueur, Jean Pisani-Ferry,
Dominique Plihon, Hugues Sibille, Pierre Volovitch
Rédaction Web : Wojtek Kalinowski
Développement Web : Romain Dortier
d’équipes nationales comme celle de
la France. Ces entreprises comptent
bien utiliser les JO de Pékin pour soutenir leur développement dans l’immense
marché chinois, en pleine expansion.
C’est pourquoi, ces JO 2008 doivent
être une occasion de réaffirmer notre
attachement à la défense des droits de
l’homme au travail. En 2004, à l’occasion
des Jeux d’Athènes, le collectif Ethique
sur l’étiquette, relayant la campagne
internationale menée par l’Alliance Play
“
Les JO 2008 doivent
être une occasion
de réaffirmer notre
attachement à la défense
des droits de l’homme
au travail
”
Fair, avait rassemblé plus de 100 000 signatures sur une pétition adressée au
Comité international olympique (CIO).
Elle lui demandait de travailler avec les
ONG et les syndicats pour faire respecter les droits de l’homme au travail,
conformément à sa charte qui déclare
que l’olympisme se fonde sur « le respect
des principes éthiques fondamentaux
universels ». Le CIO avait alors renvoyé
la balle aux comités nationaux, et peu
de progrès ont été faits depuis. C’est
pourquoi, notre collectif lance une
nouvelle campagne, à l’occasion des
Jeux de Pékin, toujours en relais d’une
campagne internationale menée par
l’Alliance Play Fair 2008 (1), en s’adressant cette fois au comité français.
Le fait que ces Jeux 2008 se déroulent
en Chine est hautement symbolique. Les
droits de l’homme au travail, en particulier la liberté syndicale, y sont systématiquement bafoués. C’est l’occasion de
faire bouger les autorités sportives pour
qu’on finisse par pouvoir affirmer que
« Impossible is nothing » ! 5
Mariano Fandos
du collectif Ethique sur l’étiquette
(1) En 2008, l’Alliance Play Fair rassemble la Clean Clothes Campaign, la Confédération syndicale internationale (CSI) et la Fédération internationale des travailleurs
du textile, du cuir et de l’habillement (FITTCH).
nº 270 bis juin 2008 ALTERNatives Économiques I www.ethique-sur-etiquette.org
I Jouez le jeu pour les J.O.
La violation des droits sociaux au travail reste monnaie courante en Chine.
Si la récente réforme du droit du travail tente d’y remédier, elle risque
d’atteindre rapidement ses limites, faute de syndicats indépendants.
Un grand bond en avant ?
L sultent d’opérations d’assemblage et
de transformation de produits semifinis importés. Des opérations menées
très souvent par des entreprises étrangères. Celles-ci profitent de la maind’œuvre chinoise abondante et peu
coûteuse sur laquelle le pays a bâti son
développement économique.
Mais ces bas coûts de production
ont un revers : les conditions dans
lesquelles les produits sont fabriqués.
En comparant les pays asiatiques visà-vis des principaux risques de violation des droits sociaux au travail (1),
Jean-François Huchet, directeur du
Centre d’études français sur la Chine
contemporaine, basé à Hongkong,
montre que la Chine est la plus mal
placée, juste derrière l’Indonésie et la
Thaïlande. Il dénonce en particulier
les heures supplémentaires non rémunérées, les salaires de misère, l’absence
de liberté syndicale, etc.
Esclavage et travail forcé
Les pires conditions de travail se trouvent cependant dans les activités tournées vers le marché intérieur. L’année
dernière, plusieurs affaires d’esclavage
ont ainsi été découvertes dans des briqueteries et dans les mines de charbon
clandestines des provinces du Shanxi et
du Henan. Près de 1 400 hommes, adolescents et enfants – dont certains avaient
Mark Leong - Réa
a Chine est sur le point de devancer l’Allemagne et de devenir le premier exportateur mondial. Depuis les années 90, elle a en
effet beaucoup diversifié sa production
destinée à l’export : partie du textile et
des jouets, elle s’est orientée ensuite
vers les télévisions, l’électroménager,
le matériel informatique, les biens
d’équipement, etc. Aujourd’hui, elle
produit 60 % des chaussures du monde,
un tiers des lecteurs de CD, 45 % des
micro-ondes, 90 % du petit matériel
hi-fi, etc. Bref, elle est devenue l’atelier
du monde. Ou, plus précisément, son
atelier d’assemblage. Car plus de la
moitié des exportations chinoises ré-
Mineurs à Shanxi. Les pires conditions de travail se trouvent dans les activités tournées vers le marché intérieur, notamment dans les mines et les briqueteries.
I ALTERNatives Économiques nº 270 bis juin 2008
Jouez le jeu pour les J.O. I
été enlevés puis vendus pour moins de
50 euros – travaillaient jour et nuit et
sans le moindre salaire pour le compte
de leurs geôliers. Plus largement, de très
nombreuses entreprises (près de
70 000 briqueteries notamment) et ateliers opèrent en Chine en toute illégalité.
« Ces établissements emploient leur maind’œuvre dans des conditions parfois
inhumaines », analyse Bai Sun, juriste
originaire de Shijiazhuang, dans la province du Hebei (ouest de Pékin).
Le travail forcé reste par ailleurs la
norme dans l’ensemble des prisons
du pays. Malgré une loi votée en 1991
interdisant en théorie les exportations
de produits fabriqués par des détenus,
ces produits se faufilent jusqu’à nos
chariots de supermarché via des cascades de sous-traitants. « Bien que
nous ne connaissions pas les commanditaires de nos productions, nous savions
à leur design que certains produits
étaient destinés à l’exportation », témoigne Lu De Cheng, emprisonné
pendant neuf ans dans un camp de
travail forcé en Chine (voir notre entretien avec lui page 7).
Travail des enfants et
absence de liberté syndicale
Quant au travail des enfants, celui
qui transmet à l’étranger des informations sur le sujet risque la peine de
mort (2). Du fait de cette censure, le
travail des enfants n’est pas généralement considéré comme un problème
grave en Chine, notamment lorsqu’on
compare sa situation avec celle de
l’Inde, du Pakistan ou du Bangladesh.
Cependant, dans une enquête sur le
sujet, le China Labour Bulletin relève
de nombreux cas de travail des enfants
et estime que leur nombre est en hausse,
en liaison avec les difficultés croissantes que rencontrent leurs parents et le
coût très élevé des études.
La situation est plus nette en ce qui
concerne l’absence de liberté syndicale
et de réelle négociation collective. L’Etat
chinois continue de ne reconnaître qu’une
organisation syndicale : l’All China Federation of Trade Unions (ACFTU).
Celle-ci opère sous le contrôle direct du
Parti communiste chinois. Elle est présente dans pratiquement toutes les
grandes et moyennes entreprises du
pays. Mais son rôle consiste bien davantage à contrôler les travailleurs, notamment par le biais des œuvres sociales
qu’elle gère, et à transmettre les consignes
du Parti, qu’à défendre les droits des
salariés dans l’entreprise. Cette absence
de liberté syndicale est une des principales barrières à l’amélioration du respect
Ce que change le nouveau
code du travail chinois
Les contrats à durée déterminée (CDD)
et indéterminée (CDI) : jusqu’alors, les
entreprises pouvaient ne jamais avoir
recours au CDI en faisant signer à leurs
salariés des CDD à répétition. A présent,
lorsqu’un employé a une ancienneté
d’au moins dix ans – et s’il en fait la
demande –, l’employeur est tenu de
signer avec lui un CDI. Dans son article 82, la nouvelle loi oblige également
l’employeur à ne proposer que deux
CDD consécutifs. « La sanction de la
violation de cette obligation consiste
pour l’employeur à verser un double
salaire [à compter de la date à laquelle
le CDI aurait dû être conclue] », précise
Aiqing Zheng.
Le licenciement économique : l’employeur ne peut plus avoir recours
des droits des travailleurs en Chine. Ainsi
qu’à l’application effective des codes de
conduite que les multinationales ont
désormais le plus souvent adoptés et
imposés à leurs fournisseurs.
Les migrants,
premières victimes
Ces multinationales continuent le plus
souvent à choisir leurs sous-traitants
en fonction de leurs faibles prix de
vente. Une situation qui se répercute
évidemment sur les salaires et sur les
conditions de travail : non-respect des
Plusieurs affaires
d’esclavage ont été
découvertes en 2007
dans des briqueteries
et des mines de charbon
clandestines
minimums salariaux, non-paiement ou
avec retard des salaires et des heures
supplémentaires, dépassement de la
durée maximum du travail autorisée
par la loi… « Dans les grandes entreprises
du delta des Perles [sud du pays], les
employés sont obligés de loger sur leur
lieu de travail, note en particulier JeanFrançois Huchet. C’est contraire aux
règles les plus fondamentales du travail
au licenciement pour raison économique lorsque seulement un ou quelques employés sont concernés. Au
moins 10 % de l’ensemble du personnel doit désormais être renvoyé afin
d’entrer dans le cadre d’un licenciement massif.
Les clauses d’indemnité : dans l’ancien système, l’employeur et le salarié
convenaient d’une indemnisation en
cas de rupture du contrat de travail, par
l’une des deux parties. Or, l’employé
devait souvent, pour avoir le simple
droit de démissionner avant la fin de
son contrat, s’acquitter de fortes sommes
(calculées généralement en fonction
des mois qui lui restaient à faire avant
la fin de son contrat). La nouvelle loi
interdit ou annule ces clauses. 5
car, souvent, les papiers de ces salariés
sont confisqués. Ils sont alors à l’entière
disposition de leur employeur. » Dans
un tel contexte, quand les multinationales envoient des inspecteurs pour
vérifier le respect d’un code de conduite,
il est aisé de le tromper sur la situation
réelle car personne n’osera protester
auprès de lui, même dans un entretien
en tête-à-tête.
Les populations les plus touchées
par ces violations sont les 150 à 200 millions de migrants venus des zones rurales. Ils occupent des postes non ou
très peu qualifiés dans les usines vouées
à l’exportation (textile, jouets, électronique, etc.). La Chine reste un des pays
les moins chers du monde en matière
de travail non qualifié. Certes, les salaires ont augmenté assez rapidement
ces derniers temps, (+ 18 % depuis un
an), mais ces hausses concernent surtout les emplois les plus qualifiés. Et,
dans le même temps, la hausse des prix
s’est, elle aussi, beaucoup accélérée.
De sorte qu’en termes réels, les revenus
des moins qualifiés tendent parfois à
baisser.
(1) « La responsabilité sociale des entreprises étrangères en Chine », par Jean-François Huchet, Ires-FO,
juin 2007.
(2) Une circulaire publiée en 2000 par le ministère du
Travail chinois précise les informations considérées
comme secrets d’Etat et dont la divulgation est passible
de mort. Le travail des enfants en fait partie.
nº 270 bis juin 2008 ALTERNatives Économiques I Sang-Hoon - Sipa
I Jouez le jeu pour les J.O.
Entreprise à Zucheng. Les 150 à 200 millions de personnes
venues des zones rurales qui occupent des postes non
ou très peu qualifiés dans les usines vouées à l’exportation
souffrent le plus des violations de leurs droits de travailleurs.
Un début de pénurie de main-d’œuvre
non qualifiée commence cependant à
être observé, notamment dans la province
de Guangdong, au sud, qui pèse pour
près du tiers des exportations chinoises.
Une situation qui pourrait pousser les
salaires à la hausse à moyen terme. A
cela, il faut ajouter un nombre croissant
de conflits sociaux. Près de 90 000 manifestations impliquant plus de 100 personnes étaient ainsi recensées dans
l’ensemble du pays en 2005, contre 10 000
dix ans plus tôt. Li Hua, avocate au cabinet Gide Loyrette Nouel, à Pékin, précise : « Les rapports sociaux à l’intérieur
des entreprises se sont détériorés ces dernières années. En 2007, le nombre de
contentieux entre les deux parties – employeurs d’un côté, employés de l’autre –
a augmenté de 30 % à Shanghai et à
Pékin principalement dans les secteurs
de l’industrie et de la construction. »
Un peu plus de protection
pour les salariés
Ces troubles ont poussé le gouvernement à engager une réforme du droit
du travail (voir encadré page 5) qui a
abouti à l’adoption d’un nouveau code
I ALTERNatives Économiques nº 270 bis juin 2008
du travail, entré en application le 1er janvier dernier. Ce nouveau code – qui
vient renforcer l’ancien, établi en 1994 –
présente un caractère plus protecteur
pour les travailleurs. Il impose notamment un contrat de travail écrit, il favorise le contrat à durée indéterminée,
prévoit des obligations d’indemnisation
en cas de licenciement et ouvre même
la possibilité de négociations collec­tives,
sans toutefois autoriser la grève. L’établissement de contrats de travail écrits
constitue un des points clés de cette
réforme. Jusqu’alors, l’employeur n’avait
en pratique aucune obligation d’en
établir un. « En cas de litige sur l’existence
même de la relation de travail, un salarié sans contrat était alors défavorisé
dans l’administration de la preuve et
exposé au risque d’un licenciement discrétionnaire, explique Aiqing Zheng.
Des amendes sont aujourd’hui prévues
pour les employeurs qui renonceraient
à signer un contrat avec un salarié. »
La Chine serait-elle alors en train
d’intégrer les normes internationales
sur ce plan ? « On sent en tout cas une
vraie volonté de renforcer le droit des
salariés », note Li Hua. Mais ces droits
risquent d’être difficilement applicables
tant les inspections sont rares, en raison
de la corruption, de l’absence de syndicats, du manque de moyens : quelque
dix mille inspecteurs du travail seulement sont censés contrôler les cinq à
six millions d’entreprises privées recensées dans cet immense pays. « C’est
évidemment trop peu pour vérifier si les
dispositions importantes du nouveau
code du travail sont appliquées », rappelle Jean-François Huchet. « Nous
allons dans le bon sens, tempère pour
sa part Bai Sun. Il faut à présent que les
salariés – ouvriers et employés – se créent
leur propre culture juridique et traînent
si nécessaire leur patron devant les autorités compétentes. » Depuis le 1 er mai
2008, une nouvelle loi permet en effet
à l’employé, insatisfait de ses conditions
de travail et/ou salariales, de s’adresser
directement à un comité d’arbitrage,
sorte de prud’hommes, et non plus à
un tribunal ordinaire comme c’était le
cas jusqu’alors. Toutefois, sans le soutien de syndicats indépendants, les
salariés devraient peu solliciter ces
nouvelles structures. Et sur ce point,
aucune avancée. 5
Pierre Tiessen
pour en savoir plus www.cefc.com.hk : Centre d’études français sur
la Chine contemporaine.
http://perspectiveschinoises.revues.org : la
revue Perspectives chinoises.
« La chine, l’atelier du monde… et après ? »,
Problèmes économiques n° 2946, 23 avril 2008.
www.china-labour.org.hk : China Labour Bulletin
est un syndicat autonome basé à Hongkong qui
fournit des informations sur le travail en Chine.
« La responsabilité sociale des entreprises
étrangères en Chine », par Jean-François Huchet,
Ires, juin 2007.
Jouez le jeu pour les J.O. I
“
entretien
”
Le travail forcé est systématique
dans les prisons chinoises
Lu De Cheng, arrêté alors qu’il manifestait place Tien An Men en 1989, a été emprisonné pendant neuf ans. Depuis 2006,
il vit au Canada et parcourt le monde pour
témoigner des conditions de détention en
Chine. Et notamment du travail forcé.
Dans quelles conditions travailliez-vous
en prison ?
Le travail forcé est systématique dans
les prisons chinoises. Nous devions travailler quatorze heures par jour pour 3 yuans
(3 centimes d’euro) par mois. Si nous ne
respections pas les quotas imposés, nous
n’avions pas le droit de dormir. La pression
était très forte, car les ouvriers étaient mis
en compétition entre eux : quand un ouvrier
parvenait à terminer une tâche dans les
temps impartis, les gardiens augmentaient
les cadences. Les prisonniers qui avaient
un peu d’argent achetaient le travail des
prisonniers les plus rapides. On n’en finissait jamais. Au cours de mes neuf années
d’incarcération, j’ai successivement réparé
des voitures, rempli des flacons de shampoing et fabriqué des cravates et des pulls
en laine. Aujourd’hui, je sais que certains
prisonniers fabriquent des ballons de foot.
Comme ils les cousent à la main, ils ont
les doigts en sang.
deux noms : celui du centre carcéral et
celui du camp de travail. Par exemple
l’entreprise Cimenterie vie nouvelle est
aussi la prison de Langsi. Celle où j’ai été
incarcéré, la prison Hunan n° 2, portait
aussi une enseigne d’usine de montage
de voitures. Cependant, on estime à 5 000
le nombre de prisons et à 10 millions le
nombre de prisonniers en Chine.
A votre sortie de prison, vous avez également travaillé dans une usine…
Oui, fin 1999, j’ai été embauché dans
une usine qui fabriquait de la colle synthétique. Là aussi, la vérité des conditions
de travail était masquée. Le patron invitait des journalistes (chinois) parmi les
plus connus pour faire la promotion de
D. R.
Je sais que certains prisonniers fabriquent des ballons de foot.
Comme ils les cousent à la main, ils ont les doigts en sang
Lu De Cheng,
arrêté en 1989
place Tien An Men et
emprisonné pendant neuf ans
son usine. Mais il ne leur montrait que le
bout de la chaîne, le packaging, qui était
réalisé dans un environnement propre.
La colle elle-même était fabriquée en
sous-traitance dans des conditions dangereuses pour les ouvriers du fait de la
manipulation de produits chimiques sans
aucune protection. Le patron profitait du
chômage [qui sévit toujours en Chine]
pou r payer ses ouv r iers seu lement
300 yuans (28 euros) par mois. Il était
sans scrupule. 5
Propos recueillis par Cl. A.-R.
Pour en savoir plus : www.ethique-sur-etiquette.org,
www.acatfrance.fr Lu De Cheng était accueilli en France par
l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (AcatFrance).
Sait-on pour quelles entreprises travaillent ces prisons ?
Les prisons font le travail que les autres
usines ne veulent pas faire, car c’est toujours
un travail très dur. Du fait des salaires très
bas, cela permet à des entreprises de faire
de la sous-traitance à des coûts défiant
toute concurrence. Je sais que les ballons
de foot et les pulls sont destinés à l’exportation, mais on ne connaît pas les destinataires finaux. C’est très opaque. Il s’agirait souvent de contrefaçons.
Combien y-a-t-il de prisons en Chine ?
Les informations concernant les prisons
sont un secret d’Etat. De plus, les pistes
sont brouillées car toutes les prisons portent
nº 270 bis juin 2008 ALTERNatives Économiques I I Jouez le jeu pour les J.O.
Les principales marques sportives se sont engagées à améliorer les conditions
de travail chez leurs sous-traitants. Mais aucune n’est disposée à revoir
ses pratiques d’achat, qui engendrent bas salaires et cadences effrénées.
Les grandes marques
encore loin du but
G
Richard Jones - Sinopix/Réa
are au travailleur qui osera dire
la réalité de ses conditions de
travail à un inspecteur ! Ici, dans
l’usine de la société Mainland Headwear,
à Shenzhen, au sud de la Chine, le
mensonge est imposé aux ouvriers. Et
pour cause : dans cette entreprise hong­
kongaise cotée en Bourse, les pratiques
sociales sont dignes des pires sweatshops
(les ateliers de la sueur). Les employés
travaillent en moyenne treize heures
et demie par jour pour un salaire de
800 à 1 200 yuans (72 à 108 euros) par
mois, ce qui est nettement inférieur
(plus du tiers) au salaire minimum
légal. Or, non seulement Mainland
Headwear est fournisseur des marques
Adidas, Nike et Puma, mais en plus elle
s’est vu accorder par le Comité d’organisation des jeux Olympiques de Pékin 2008 les droits exclusifs pour la
production de casquettes et autres
couvre-chefs portant les anneaux olympiques. Une situation en contradiction
avec les principes de l’olympisme.
C’est ce que dénonce Ethique sur
l’étiquette, un collectif d’une vingtaine
d’organisations, à travers la campagne
« Jouez le jeu pour les JO ». Cette campagne relaie la mobilisation internationale Play Fair 2008, lancée par une
alliance constituée de syndicats et d’organisations non gouvernementales
(ONG), dont la Clean Clothes Campaign.
Une pétition s’adresse au Comité international olympique (CIO), qui accorde
les licences aux entreprises pour la
fabrication de produits estampillés
« JO », et au Comité national olympique
et sportif français (CNOSF), qui gère
les contrats nationaux en France. En
effet, les entreprises accréditées par le
Usine à Guangdong. Les grandes marques
sportives ont mis en place des actions
pour améliorer leurs pratiques sociales,
mais elles refusent de reconnaître la notion
de salaire minimum vital.
I ALTERNatives Économiques nº 270 bis juin 2008
Jouez le jeu pour les J.O. I
CIO se voient imposer toute une série
de conditions contractuelles, mais
aucune ne concerne les droits des travailleurs. D’où la revendication d’Ethique sur l’étiquette et de Play Fair d’inclure dans ces contrats une clause de
respect des normes fondamentales du
travail telles qu’énoncées par l’Organisation internationale du travail (OIT).
Des progrès sensibles
Pour appuyer ses demandes, Play
Fair 2008 a publié en avril dernier un
rapport (1) dans lequel il montre combien l’industrie des vêtements et des
chaussures de sport est lucrative : entre
2004 et 2007, les bénéfices bruts de
Nike, Adidas et Puma ont augmenté
respectivement de 52 %, 68 % et 14 %.
Cette industrie est caractérisée également par sa très grande concentration :
le marché des chaussures de sport est
La part des chaussures
de sport Nike fabriquées
dans des pays où la
liberté d’association existe
est passée de 52 % à
38 % entre 1998 et 2005
dominé à 60 % par deux entreprises,
Nike et Adidas. Par contraste, les ­salaires
que touchent les travailleurs qui fabriquent les chaussures, vêtements et
autres équipements sportifs restent
désespérément bas, même si les ­salaires
chinois ont augmenté rapidement ces
dernières années, comme d’ailleurs les
prix des biens et des services.
Interpellées depuis les années 90 par
des ONG et des associations de consommateurs sur la question des droits des
travailleurs, les grandes marques de
sport ont été forcées de réagir. Prises au
piège de leur image, elles ont mis en place
des actions pour améliorer leurs pratiques
sociales. En 2004, à l’occasion des jeux
Olympiques d’Athènes, Play Fair leur
avait d’ailleurs déjà demandé d’adopter
des mesures concrètes.
Où en sont-elles aujourd’hui ? Dans
son récent rapport, Play Fair relève des
progrès et note que « les initiatives afférentes à la responsabilité sociale des
entreprises ont connu un essor exponentiel depuis 2004 ». De fait, toutes les
grandes marques se sont dotées depuis
de codes de conduite. Leur application
est vérifiée par des audits, plus ou moins
nombreux selon les entreprises. Elles
ont également progressé sur le chemin
de la transparence : Adidas, Puma, Nike
Plus haut, plus fort… plus cher
Les jeux Olympiques de
Pékin sont une occasion en
o r p o ur l es mar qu es de
sport de s’offrir une cam­
pagne de marketing en di­
rection du (très prisé) mar­
ché chinois. La médaille de
l’investissement marketing
revient à Adidas. La marque a
investi entre 80 et 100 millions de dollars pour être partenaire officiel des Jeux de
Beijing. Organisateurs, bénévoles et équipes chinoises
seront ainsi habillés par la
marque aux trois bandes. De
plus, Adidas est partenaire du
Comité national olympique
et sportif français (CNOSF),
contrat pour lequel la firme a
dépensé 23 millions d’euros.
Elle sponsorise ainsi les
­é q u i p e s o l y m p i q u e s d e
France, d’Australie, de Belgi-
et Reebok rendent publique la liste de
leurs sites de production et donnent
de nombreuses informations dans leur
rapport annuel. Avec une exception :
la marque Fila, montrée du doigt pour
son inaction et son manque de transparence. C’est « la pire », selon un autre
rapport publié par Oxfam International : « Offside ! Labour Rights and
Sportswear Production in Asia ». De
leur côté, Adidas, Nike et Puma ont
rejoint la Fair Labor Association (FLA),
qui lutte contre les mauvaises conditions de travail dans les sweatshops.
La FLA a notamment organisé des
formations sur les droits des travailleurs
à l’attention des directions de ses entreprises membres. Les marques Puma
et Umbro ont, quant à elles, organisé
dans plusieurs pays d’Asie des formations destinées aux travailleurs sur le
thème de la liberté d’association.
Limites et contradictions
Ces actions rencontrent néanmoins
de nombreuses limites et certaines de
ces grandes marques le reconnaissent.
C’est le cas notamment des audits sociaux. En particulier en Chine. En effet,
d’après les ONG et les syndicats hong­
kongais, qui occupent un poste d’observation privilégié pour suivre la réalité d’un pays toujours privé de liberté
d’expression et d’association (2), la
falsification des données relatives au
travail reste un sport très courant dans
l’empire du Milieu. De toute façon, ces
audits sont loin de couvrir l’ensemble
des sous-traitants d’une entreprise. Par
exemple, alors que Nike compte 180 soustraitants en Chine, seuls 22 audits sur
les salaires et les heures de travail ont
été menés en 2007, ainsi que 21 audits
portant sur les questions de santé, sécurité et environnement. Certaines
entreprises, dont Nike et Reebok, ont
cherché à limiter ces problèmes en
mettant en place des initiatives inno-
que, de Chine, d’Allemagne et
du Royaume-Uni. Comme rien
n’est trop beau pour dorer
son image, Adidas sera également sponsor d’athlètes à titre individuel. L’équipementier
ne s’est pas arrêté en si bon
chemin : il a signé un contrat
de sponsoring pour les JO de
Londres 2012, pour lequel il a
versé plus de 200 millions de
dollars. 5
vantes : des enveloppes dont les timbres
ont été prépayés sont données aux
ouvriers pour qu’ils puissent envoyer
leurs plaintes, des numéros de téléphone
gratuits ont été installés, des interviews
d’ouvriers sont réalisées à l’extérieur
de l’enceinte de l’usine.
Mais les grandes marques ne sont
pas à une contradiction près. Le rapport
d’Oxfam International se fait l’écho de
plusieurs cas où elles ont stoppé leurs
commandes à des usines asiatiques
dans lesquelles les travailleurs avaient
établi des syndicats. Puma a ainsi rompu
ses relations commerciales en 2005
avec l’usine Lian Thaï en Thaïlande.
Nike s’est également distinguée en
Indonésie où elle a arrêté ses commandes à l’usine PT Doson en 2002. Une
décision qui n’est pas sans lien, d’après
la SPN Union (le syndicat local), avec
la campagne menée alors pour de
meilleurs salaires. Parallèlement, les
marques continuent à déplacer la fabrication de leurs produits vers des
pays ou des zones franches d’exportation où il est interdit de former des
syndicats. Ainsi, la part des chaussures
de sport Nike fabriquées dans des pays
où la liberté d’association existe est
passée de 52 % à 38 % entre 1998 et
2005. Ce mouvement s’est amplifié
depuis la fin de l’accord multifibre, le
1er janvier 2005. Cet accord organisait
la production textile au niveau mondial
en imposant des quotas d’exportations
à certains pays, dont la Chine. Ces quotas ayant disparu, la production se
concentre désormais vers les pays où
la main-d’œuvre est la moins chère : le
Vietnam, les zones franches du Bangladesh et la Chine.
(1) « Surmonter les obstacles. Mesures pour améliorer
les salaires et les conditions de travail dans l’industrie
mondiale des vêtements et chaussures de sport ».
(2) En Chine, un syndicat ne peut opérer légalement
que s’il est affilié à l’All-China Federation of Trade
Unions (ACFTU), contrôlée par le Parti communiste
chinois.
nº 270 bis juin 2008 ALTERNatives Économiques I I Jouez le jeu pour les J.O.
Hongkong. Play Fair 2008 demande
au CIO d’inclure dans les contrats qui le lient
aux entreprises une clause de respect
des normes fondamentales du travail.
Philippe Lopez - AFP
« Dans les faits, les pratiques d’achat
n’ont pas évolué : les délais sont toujours
trop courts, les changements de design
excessifs, et les prix offerts aux fournisseurs
très bas », affirme Nayla Ajaltouni, coordinatrice d’Ethique sur l’étiquette.
D’après Play Fair, cette question des
salaires reste l’obstacle le plus difficile
à surmonter. Les marques refusent en
particulier de reconnaître la notion de
salaire minimum vital ; elles se réfèrent
seulement au salaire minimum légal,
qui est le plus souvent insuffisant pour
vivre (quand il existe). Surtout, elles
n’ont pas réellement modifié leurs
pratiques d’achat, notamment leur
pression exercée sur les fournisseurs
pour obtenir les prix les plus bas. Une
timide prise de conscience commence
à émerger chez quelques marques,
dont Adidas, Nike et Puma, qui acceptent de reconnaître l’impact de leurs
pratiques d’achat sur les conditions de
travail. Puma affirme même prendre
en compte le respect du droit du travail
dans son prix d’achat aux fournisseurs,
mais refuse de communiquer sa méthode. D’ailleurs, aucune marque n’accepte de donner des informations sur
ses prix d’achat à ses fournisseurs.
Les marques alternatives
En réaction aux mau­
vaises conditions de travail
imposées aux travail­leurs de
l’industrie textile, des initia­
tives alternatives se sont
multipliées, dont certaines
proposent des vêtements et
des chaussures de sport. Sur
ce large créneau, on trouve
notamment les marques
­Timäo, Mestres, Misericordia,
Tudo Bom, Vejas et, enfin,
­Ethletic pour un ballon de foot
fabriqué dans des conditions
équitables et écologiques.
Ces initiatives alternatives
recouvrent cependant des
pra­tiques très différentes :
bio, équitable, etc. Or, pour le
moment, il n’existe pas de
label reconnu qui garantisse
le respect des normes internationales du travail. Cependant, les entreprises alternat i v e s l e s p l u s s é r i e u s e s,
comme Misericordia, Tudo
10 I ALTERNatives Économiques nº 270 bis juin 2008
Bom et Vejas intègrent de
plus en plus de critères relatifs au conditions de fabrication et aux droits de l’homme
au travail : rémunération juste
des travailleurs, relations
commerciales stables avec
leurs fournisseurs et respect
des droits du travail tels
qu’énoncés par l’Organisation
internationale du travail. 5
Pour en savoir plus : www.commer
cequitable.org
Chantage aux délocalisations
Les multinationales de l’industrie du
sport ne peuvent cependant créer seules
les conditions du respect des droits des
travailleurs à s’organiser collectivement,
ni même l’environnement propice à
une augmentation des salaires. Le rôle
des gouvernements, par la législation
et le contrôle de son application, reste
central. Mais les gouvernements des
pays asiatiques font preuve d’une ­extrême
prudence dans la régulation des comportements de ces entreprises. Ils ont
peur qu’elles délocalisent s’ils améliorent l’encadrement du droit des travailleurs. Une crainte qui n’est pas
fantasmée : les chambres de commerce
des Etats-Unis et de l’Union européenne
en Chine ont ainsi fait pression sur le
gouvernement chinois pour qu’il limite
les mesures de protection supplémentaires accordées aux travailleurs dans
la nouvelle loi sur les contrats de travail entrée en vigueur en janvier 2008.
Elles avaient averti : leurs membres
pourraient abandonner le pays si la
flexibilité était réduite. 5
Claire Alet-Ringenbach
pour en savoir plus LES RAPPORTS
« Surmonter les obstacles. Mesures pour
améliorer les salaires et les conditions de travail dans l’industrie mondiale des vêtements
et chaussures de sport », Play Fair, avril 2008,
accessible sur www.ethique-sur-etiquette.org/docs/
PF2008/Surmonter_les_obstacles.pdf
« Pas de médaille “droits des travailleurs”
pour les jeux Olympiques », Play Fair, juin 2007.
Accessible sur www.ethique-sur-eti quette.org/
docs/PF2008/Rapport1_FR.pdf
« La responsabilité sociale des entreprises
étrangères en Chine », par Jean-François Huchet,
Ires, juin 2007.
« Offside ! Labour Rights and Sportswear Production in Asia », Oxfam-International, juin 2006,
accessible sur www.oxfam.org.au/campaigns/
labour/06report/docs/5792oxflrrweb.pdf
LES SITES
www.ethique-sur-etiquette.org
www.oxfam.org/fr
www.cleanclothes.org
www.workersrights.org : le site de Workers
Rights Consortium.
www.playfair2008.org
Jouez le jeu pour les J.O. I
“
entretien
Le décalage entre les intentions
et la réalité n’est pas acceptable
”
Le collectif Ethique sur l’étiquette a
déjà à son actif de nombreuses campagnes
sur le thème du respect des droits de
l’homme au travail. Jacques Pulh, du
Comité catholique contre la faim et pour
le développement (CCFD) et membre
du bureau du collectif, explique les raisons
pour lesquelles il faut continuer à agir.
Pourquoi se mobiliser en 2008 ?
Les droits des travailleurs dans de
nombreuses industries à forte intensité
de main-d’œuvre, comme l’industrie
textile, ne sont toujours pas respectés.
Pire, à l’occasion des grands événements
tels que les jeux Olympiques de Pékin,
la pression sur ces travailleurs ne cesse
d’augmenter. Leurs conditions de travail sont à l’opposé des principes de la
charte olympique, qui affirme notamment : « L’olympisme se veut créateur
d’un style de vie fondé sur la joie dans
l’effort, et [sur] le respect des principes
éthiques fondamentaux universels. » Ce
décalage entre les intentions et la réalité n’est pas acceptable.
Les réactions à propos des prochains jeux Olympiques sont nombreuses. Quelle est la spécificité du
collectif ?
Notre collectif ne s’est pas créé pour
les Jeux de Pékin. Il a déjà mené des
campagnes sur les conditions de fabrication des articles de sport lors des JO
de 2004 et lors de la Coupe du monde
de football en 1998. En s’appuyant sur
un réseau de milliers de bénévoles, il
a permis de faire passer des sujets
comme les codes de conduite ou les
chartes éthiques, de la confidentialité
au débat public.
Le collectif tient une place originale
dans le paysage de la solidarité internationale, car il réunit à la fois des
organisations syndicales de travailleurs,
des associations de solidarité internationale, des associations de consomLes coordonnées des collectifs
locaux et de nombreuses
informations :
www.ethique-sur-ethiquette.org
mateurs et des collectivités locales
impliquées dans les démarches d’achat
éthiques. Il se mobilisera encore en
2012, au moment des JO de Londres.
Quels sont vos objectifs ?
La diversité des membres du collectif permet de mener de front plusieurs
actions complémentaires. D’abord, visà-vis des consommateurs, pour les informer de l’origine et des conditions
sociales de production des articles qu’ils
achètent. Ensuite, en direction des marques, industriels et distributeurs, afin
qu’ils s’assurent du respect des droits
D. R.
Ethique sur l’étiquette :
une place originale
Jacques Pulh,
membre du CCFD
et d’Ethique sur l’étiquette
des travailleurs tout au long de la chaîne
d’approvisionnement et qu’ils donnent
des garanties en acceptant des contrôles
indépendants. Ethique sur l’étiquette
veut aussi interpeller les gouvernements
nationaux et les institutions internationales qui ont, au minimum, la responsabilité de promouvoir et de faire appliquer les conventions de l’Organisation
internationale du travail. 5
Les membres du collectif
Association française des volontaires du progrès (AFVP)
Association études et consommation CFDT
Association Léo-Lagrange pour la défense des
consommateurs
Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD)
Confédération française démocratique du travail (CFDT) et cinq de ses fédérations
Chrétiens dans le monde rural (CMR)
Centre français d’information sur les entreprises (CFIE)
Centre de recherche et d’information sur le développement (Crid)
Cités unies France (CUF)
Fédération Artisans du monde
Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT)
Fédération syndicale unitaire (FSU)
Indecosa CGT
Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC)
Ligue de l’enseignement
Peuples solidaires
Réseau d’information tiers monde (Ritimo)
Solidarité laïque
Union française des œuvres laïques
d’éducation physique (Ufolep).
"
A découper ou à reproduire et à renvoyer au collectif Ethique sur l’étiquette, c/o CFDT 4 bd de la Villette 75019 Paris
Je commande
Un lot de 10 tirés à part « Jouez le jeu pour les JO » (15 €)
Un lot de 10 argumentaires « Jouez le jeu pour les JO » avec la pétition au CNOSF (1 €)
Nom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Prénom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Adresse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Code postal . . . . . . . . . . . . . . . Ville . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Courriel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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