Femme, mère, fille, etc.,Où sont les hommes ? Du - L`HEBDO-BLOG
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Femme, mère, fille, etc.,Où sont les hommes ? Du - L`HEBDO-BLOG
Femme, mère, fille, etc. Femme, mère, fille, épouse, amante, maîtresse, lolita, cougar, maman, putain… De jour en jour de nouvelles appellations fleurissent pour tenter de cerner ce soi-disant éternel féminin qui ne cesse d’échapper. Qu’elle soit réduite à une fonction, ou toujours reliée à un autre qu’elle viendrait compléter, grammaticalement, « existentiellement », intrinsèquement, aucune de ces étiquettes n’a jamais valeur de nomination. Pour tous les êtres parlants en général, mais pour celles qu’on dit femmes en particulier. Aujourd’hui que les noms du père et ses repères se pluralisent, se complexifient, à une époque où par conséquent la position féminine ne cesserait de gagner du terrain, il est notable que les actes misogynes, la violence faite aux femmes, ou leur inégalité de traitement non seulement n’ont pas disparu, mais connaissent un retour de flamme, notamment dans leur association avec les formes les plus extrêmes de la religion, mais pas seulement. Cette semaine, l’Hebdo blog se penche sur un tel paradoxe : le retour du viril aurait-il à voir avec un monde que le sans limite du pas tout effraierait, insupporterait ? Et quel lien entre la femme-objet qui peuple nos magazines justement féminins, et le consentement à se faire l’objet d’un homme, ou le symptôme d’un autre corps ? C’est sans doute le pari d’une analyse dont Lacan disait qu’elle hystérise, et que les hommes aussi étaient soumis à l’hystorisation de la mise en forme : c’est le lot de chaque parlêtre que de construire son propre accès au féminin, loin des clichés, par les mots certes, mais bien au-delà. Où sont les hommes ? Du fantasme à l’heure du déclin de la virilité Pour interroger le nouveau de cette affaire, je suis revenue à la façon dont Lacan, avec la passe tente de résoudre l’obstacle majeur à la fin de l’analyse mentionnée par Freud, à savoir l’aspiration à la virilité pour les deux sexes. La thèse de Lacan est que cet obstacle se joue sur la scène du fantasme. J.-A. Miller[1] donne tout son poids à celle-ci : l’aspiration à la virilité est d’ordre fantasmatique, elle repose sur le comblement de moins phi par a, elle tient à l’élévation fantasmatique du phallus (c’est à ce titre d’ailleurs que l’obstacle fantasmatique peut être surmonté, dépassé, traversé) et il précise ceci : « C’est cela même l’institution du sujet cernée par Freud, soit le caractère radical de l’institution phallique du sujet par le biais d’un fantasme lequel est toujours phallique ». La virilité est par excellence de l’ordre du fantasme. Le fantasme est donc machine à viriliser les êtres parlants mâles ou les femelles. Dès lors, il s’agit de destituer le sujet de son fantasme phallique. Or qu’en est il aujourd’hui si on lit les grandes fractures « comme l’ordre viril reculant devant l’aspiration à la féminité » (J.-A. Miller) ? Dans sa conférence « Kojève, la sagesse du siècle », du 27 juin 94, J.-A. Miller revient sur ce petit article de Kojève, « Le Dernier Monde Nouveau » dont Lacan recommande la lecture à la fin du séminaire IV pour s’instruire des profonds changements dans le rapport entre les sexes. Kojève, non sans ironie, inscrit les deux premiers romans de Françoise Sagan[2] dans l’époque du savoir absolu et de la démocratie : la fin du processus historique datant des conquêtes napoléoniennes. Il rend hommage à Sagan d’avoir fait éclater la vérité de cette période : celle « d’un monde (vu par une jeune fille) qui est nouveau parce complètement et définitivement privé d’hommes » : le monde du tous pareils, sans héroïsme mâle où les jeunes filles ne peuvent plus « être données ni prises, mais doivent se contenter de se laisser faire ». L’époque du savoir absolu est donc « corrélative du déclin et même de la disparition du viril » : où sont les hommes ? Au déclin du père, Kojève ajoute la crise du viril[3]. Celle ci remonte selon J.-A. Miller à une période bien antérieure, depuis ce traité du XVIème siècle de Baldassar Castiglione où à l’idéal du chevalier doit s’ajouter l’esprit, la grâce, la musique, les bonnes manières de l’homme de cour. Dans un tel contexte discursif, notre époque n’est-elle pas à lire comme une réponse à la dévirilisation ? Nous sommes à l’ère de l’omnivirilisation des semblants, où tout se met à fonctionner comme l’organe viril. La figure de Terminator (squelette de fer à l’apparence humaine) donnerait en quelque sorte le principe du fantasme à l’époque « pornographique » : les héros/ hardeurs du porno sont en somme des body buildés pris au piège d’une surenchère de virilité, machines à bander, condamnées à la jouissance perpétuelle, défaites de leur prestige viril. De façon dialectique, le féminin gagne du terrain sur l’inconscient mâle. Mais toujours pas de fantasme féminin. Bénédicte Jullien et Serge Cottet relèvent dans un article sur le libertinage aujourd’hui[4], que les pratiques dites de « débauche » plutôt soft comparées à l’idéologie sadienne qui défiait les lois de la République, se caractérisent par des fictions égalitaires et autres contrats politiquement corrects auxquels elles sont associées. De fait, il n’y a qu’un seul fantasme, celui de l’homme auquel une femme veut bien consentir. Mais existe-t-il des libertines auteures de scénarios indépendants de la médiation de l’homme, c’est-àdire du phallus ? La question mérite d’être explorée à partir de la pratique. Pour conclure je relèverai que le fantasme ne suit pas les variations des discours et leurs mutations : il persiste identique à lui-même, c’est ce qui en fait son paradoxe. En tant que fiction il s’apparente à une vérité mais il occupe la place d’un réel. La psychanalyse ne produit pas de nouveau fantasme, au sens où elle n’est pas arrivée à produire de nouvelle perversion[5]. Le fantasme semble fixe, inerte dans son dispositif, en raison de son enracinement dans le corps jouissant. Dans l’expérience analytique, il se découvre une autre voie pour atteindre la jouissance que le fantasme. Au-delà du fantasme phallique, un fois atteint « l’horizon déshabité de l’être »[6], demeurent les restes symptomatiques qui attestent de la jouissance comme telle. Elle est appareillée dans un réseau encore plus fondamental que le fantasme que Lacan a appelé sinthome. Si le sujet barré se soutient d’un fantasme compensant son manque à être, fiction qui s’abandonne, s’oublie ou se désactive, le parlêtre se supporte d’un sinthome, qui s’avère plus fort que tout. Cela n’implique à priori aucun cynisme à l’endroit des semblants. Quelle est dans cette perspective, la place et la fonction du phallus ? Ce n’est plus le phallus de la signification commune, celle de la castration, mais un semblant très spécifique, signifiant de la jouissance une la plus singulière, impossible à négativer, sans commune mesure, à qui il revient de « vérifier le réel »[7]. En tant que signifiant qui manque à l’Autre, il est indépassable. Il ne désigne aucune singularité triomphante. A cet égard, le psychanalyste reste à part, non pas à partir d’une identification, ni d’un trait d’exception, mais de la destitution de sa virilité. Ce texte est extrait de l’intervention faite par Christiane Alberti au Congrès de l’AMP à Rio le 25 avril 2016. [1] Miller J.-A., L’orientation lacanienne. De la nature des semblants », cours du 9/2/11, inédit. [2] Cf. Sagan F., Bonjour tristesse, Un certain sourire. [3] Le spectre de la dévirilisation hante les sociétés européennes depuis la fin du XIXème siècle jusqu’aux grandes guerres : affaiblissement des énergies mâles, déperdition de la force. Dés la fin du XVIIe, montée en puissance de l’homme du marché. Corbin a très bien décrit cet archétype, de « sexe en deuil » après Baudelaire, de l’homme triste à mourir, de ce rôle de même viril auquel il est contraint, qu’il porte comme le fardeau de l’image antique de la virilité guerrière. L’éthique matrimoniale notamment induit cette disparition du viril : l’idéal du bon mari. [4] Cf. Du Tac au Tac 22 Duos de psychanalystes. Faire couple. Liaisons inconscientes, ebook à télécharger sur le site ECF échoppe, à l’adresse http://www.ecf-echoppe.com/index.php/pourquoi-veux-tu-te-marie r.html Serge Cottet y questionne notamment le libertinage au féminin, dans son article « Couples pervers : libertins et autres échangistes ». [5] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, Paris, Seuil, 2005. [6] Lacan J., « La direction de la cure », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 641.[6] [7] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, op. cit., p. 118. De la haine des femmes, Approches logique et clinique Partons du Séminaire XX, Encore, où Lacan énonce ceci, « Ce qui de plus fameux dans l’histoire est resté des femmes, c’est à proprement parler ce qu’on peut en dire d’infamant »[1] comme si les dire femmes était déjà suspecter leur réputation, était déjà les diffamer. Qu’est-ce qui explique, pour suivre Lacan, que les traces que l’on a gardées des femmes dans l’histoire soient de l’ordre de l’infamie ? Selon Le Robert, l’infamie[2], mot emprunté au latin infamia, signifie mauvaise renommée, déshonneur, honte. Quelle est la racine de cette misogynie[3] ? Notons que le terme, emprunté lui, au grec misogunès « qui hait les femmes » est très rare avant le XIXe siècle, moment où il devient usuel. Est-elle l’effet de l’effroi de la castration féminine ? De leur jouissance qui horrifie ? Des menstrues qui les rendent impures ? De leur volonté qu’il faudrait briser ? D’un droit de possession revendiqué des mâles ? Quels arguments sont convoqués pour justifier les conduites haineuses pendant que 27% des Français, d’après une récente étude, considèrent par exemple que l’auteur d’un viol est moins responsable si la victime portait une tenue sexy ? La misogynie résulte-t-elle d’une brutalité naturelle du mâle ? Sous la plume de Françoise Héritier, l’anthropologie corrobore autrement ce que la psychanalyse formule. Pour Françoise Héritier la culture, l’intelligence, la conscience constituent le socle sur lequel se fondent les idées dominatrices exercées contre les femmes. Le titre d’un article que donne Françoise Héritier, en réponse à la question « Qu’est-ce que l’homme ? », posée en 2012 par le magazine Sciences et avenir à 100 personnalités scientifiques[4] est celui-ci : « L’homme, la seule espèce dont les mâles tuent les femelles ». Elle soutient que : « le comportement d’agression des hommes à l’égard des femmes n’est pas un effet de la nature animale et féroce de l’homme, mais de ce qui fait sa différence, qu’on l’appelle conscience, intelligence ou culture. C’est parce que l’homme pense, érige des systèmes de pensée intelligibles et transmissibles, qu’il a construit le système validant la violence jusqu’au meurtre à l’égard des femelles de son espèce […]. Les femelles ne sont pas tuées par leurs congénères dans les autres espèces… » On voit poindre ici, sur ce sujet de la violence meurtrière des hommes, la question rebattue de la nature et de la culture… Françoise Héritier poursuit « Ce n’est pas une « nature » animale de l’Homme qui fonde la violence des représentants d’un sexe sur l’autre, et on ne peut en déduire l’existence d’une « nature » masculine et violente, jalouse et possessive, ni d’une « nature » féminine douce, acceptante et soumise. »[5] Françoise Héritier situe la valeur des femmes du fait de leur rôle de génitrices pour des hommes obligés d’en passer par elles pour se reproduire. Elle souligne ainsi la dépendance des hommes vis à vis des femmes pour faire des enfants, ce qui les rendait nécessaires. Pour l’anthropologie, pas plus que pour la psychanalyse comme on le verra, mais à partir de causes référées autrement, la nature ne peut être appelée à la rescousse pour expliquer la misogynie. Quel réel est en jeu dans ce traitement et cette réputation faite aux femmes ? Quels outils fourbis par la psychanalyse, nous permettent-ils de trouver quelques lumières pour éclairer notre lanterne ? L’honneur de Cornélie Cornélie est la première référence citée par Lacan dans la suite immédiate de son propos sur la dite-femme, : « Il est vrai qu’il lui reste l’honneur de Cornélie, mère des Gracques. Pas besoin de parler de Cornélie aux analystes, qui n’y songent guère, mais parlez-leur d’une Cornélie quelconque, et ils vous diront que ça ne réussira pas très bien à ses enfants, les Gracques – ils feront des craques jusqu’à la fin de leur existence. »[6] fin de citation. En somme Cornélie n’est pas un exemple à suivre. Que vient faire ici l’honneur de Cornélie ? Posons que Lacan s’y réfère ici en contrepoint de l’infâmie. L’honneur de Cornélie proposé comme reste dans l’énoncé de Lacan, c’est de s’être montrée à la hauteur du signifiant « mère des Gracques » qui la représentait et la représente encore pour la postérité. Cornélie était toute mère, tout entière consacrée à sa jouissance de mère, à la jouissance de ses objets, ses « bijoux » qu’étaient ses enfants. Lacan souligne dans la même page la disjonction entre femme et mère, entre qui a bonne réputation ou pas, entre qui est honorable ou pas. À la mère l’honneur, à la femme l’infamie. Disjonction déjà posée par Freud, comme on sait, entre la femme aimée, trouvée à partir de traits maternels, et la femme désirée, entre la maman et la putain.[7] En opérant la disjonction femme/mère, Lacan complexifie et clarifie à la fois la question de Freud « Que veut une femme ? ». Cornélie en refusant de se remarier renonce à son désir de femme dans son lien à un partenaire sexuel, tout en sauvant l’honneur par sa fidélité à la mémoire de son mari. Elle ne reste plus, dès lors, que « la mère des Gracques ». Toute occupée de sa fonction maternelle, Cornélie nous présente la figure d’une mère complète qu’aucun au-delà ne tempère et d’une femme dont la position est le refus de la castration. Elle supprime la moindre possibilité de suspecter sa réputation. Lacan remarque dans la même phrase que ce dévouement sans limites de la mère ne réussit pas aux enfants. Ils « font des craques » et finissent mal. Rien ne leur permet de s’extraire de l’exigence maternelle, de s’en distancier, sauf en mettant leur vie en jeu par leur propre disparition, soit en se faisant eux-mêmes opérateurs de la castration maternelle. On peut donc y lire une note sur l’éducation : qu’une femme se réduise à n’être qu’une mère, qu’elle se consacre au devenir de ses enfants n’est supportable pour eux que si et seulement s’ils ne l’occupent pas tout entière, que la femme qui est leur mère se détourne pour un au-delà d’eux, vers un ou une partenaire, ou vers Dieu, ou vers une cause quelle qu’elle soit, dès lors que son désir est orienté ailleurs. Que les soins dispensés à son enfant ne la détournent pas de désirer en tant que femme et de se conduire comme telle. Un petit tour chez Freud et Lacan Freud dans sa « Psychologie de la vie amoureuse »[8] a répertorié ce qu’il a recueilli chez des névrosés masculins : les conditions qui leur rendent possibles les relations amoureuses avec une femme. Ces conditions sont instructives concernant la misogynie. Avec la condition dite du tiers-lésé, un homme ne peut tomber amoureux d’une femme que si et seulement si elle n’est pas libre. L’attrait est causé par la triangulation avec autre homme auquel est raptée une femme marquée par le trait de l’infidélité. Avec la deuxième condition, qui met en jeu la jalousie, seule est attrayante une femme qui a quelque chose d’une putain, indigne de confiance. La femme chaste et insoupçonnable, comme Cornelia, ne devient jamais objet de désir.[9] Troisièmement, des hommes ne peuvent aimer que des femmes qui portent quelque chose de la putain mais les traitent comme des objets hautement estimables. De ce type de relations qui font série, Freud remarque le caractère compulsif et la tendance manifeste à vouloir sauver la femme aimée qui aurait besoin d’un homme pour ne pas tomber dans le ruisseau. Freud situe l’origine psychique de ces comportements masculins dans la fixation de la tendresse de l’enfant à sa mère. Le choix de femmes non respectables représente une issue à cette fixation. Pour Freud un interdit pèse sur l’objet originaire et d’autres objets lui sont substitués. La dépréciation de l’objet maternel survient avec la découverte que la mère est une femme. Le garçon dégrade la mère au rang de putain ce qui alimente ses fantasmes sexuels. Il observe cette dissociation des deux courants, le tendre et le sensuel qui ne peuvent se conjoindre sur le même objet. Il écrit « Là où ils aiment, ils ne désirent pas et là où ils désirent ils ne peuvent aimer ».[10] C’est à la fois le principal moyen de protection contre les désirs incestueux qui sont en même temps condition du désir pour un objet substitué. Cette formulation freudienne du rabaissement n’éclaire-t-elle pas la voie de la misogynie ? On découvre, me semble-t-il, la condition d’amour freudienne reprise sous une autre forme dans Encore, en tout cas je propose de lire ainsi le « signe de la jouissance ». Pour Lacan, ce qu’il propose dans Encore, clairement, est que « Ce qui supplée au rapport sexuel, c’est précisément l’amour. »[11] Il ajoute un peu plus loin dans le séminaire « Un sujet comme tel, n’a pas grand-chose à faire avec la jouissance. Mais, par contre, son signe est susceptible de provoquer le désir. C’est là le ressort de l’amour. » [12] La mauvaise réputation, l’infamie d’une femme peut-être entendue comme signe de sa jouissance et susciter le désir en provoquant l’amour. Mais il s’agit chez Freud, comme chez Lacan, d’une disposition inconsciente et non d’une règle de conduite. La misogynie manifestée, ne révèle donc rien d’autre que des hommes marionnettes de leur inconscient. De nos jours, la désorientation étant manifeste, d’avoir à suppléer au rapport sexuel qu’il n’y a pas, permet d’autant moins de faire appel aux conventions et traditions pour contraindre à un formatage standard d’un destin féminin. Pas plus que la nature, la tradition, c’est-à-dire l’ordre ancien, et encore moins aujourd’hui qu’hier, ne permettent d’admettre la haine, l’hostilité, le mépris des femmes. La réversion de l’amour en haine étant toujours possible du fait de leur proximité, peut-on considérer la manifestation de la haine des femmes comme une suppléance à la difficulté pour les hommes de se classer eux-mêmes du côté masculin ? La haine assure-t-elle un homme d’appartenir à l’ensemble des hommes, à se protéger et se prémunir de l’altérité, d’une autre jouissance inquiétante ? Lacan présente deux façons de s’en débrouiller, de cette impossibilité d’écrire homme/rapport/femme parce que chaque terme ne renvoie à aucune existence, on ne sait ce qu’ils sont, ni l’un ni l’autre. Il indique deux façons de le rater. « Il ne s’agit pas d’analyser comment ça réussit, dit Lacan, il s’agit de répéter jusqu’à plus soif pourquoi ça rate ».[13] Le ratage c’est d’abord l’objet. « L’essence de l’objet c’est le ratage ».[14]C’est la thèse de Freud, l’objet est perdu, on ne peut que le retrouver. La première façon, de rater il la qualifie de mâle, et l’autre façon qu’il élabore dans ce séminaire Encore, il l’appelle pas-tout. La façon mâle et le pas-tout se répartissent entre gauche et droite. C’est un tableau. La gauche pour le mâle, pour le tout, et la droite pour le pas-tout. Cette partition, comme on l’a dit, est indépendante de l’anatomie, on peut être femme et choisir de se positionner à gauche et inversement, on peut être homme et à droite. C’est le rapport à la castration par le langage qui permet à Lacan d’opérer cette distinction. Et pour illustrer, concrétiser cette partition, je vous invite à nouveau à vous rendre au cinéma et même à y courir, pour y voir un documentaire qui vient de sortir : « No land’s song ». C’est un film émouvant, drôle et puissant à la fois d’Ayat Najafi qui relate le combat des femmes en Iran pour faire entendre leurs chants. Il est très enseignant sur le registre de la jouissance, du désir et de la volonté côté pas-tout. Il montre comment des chanteuses, accompagnées par des musiciens et avec l’aide d’artistes français, parviennent à obtenir du Ministère de la Culture et de la Guidance islamiste l’autorisation d’organiser un concert devant un public mixte. En Iran, il est interdit aux femmes de chanter en solo devant des hommes, à cause du trouble jeté sur eux par leurs chants. Ce mot : trouble, tente de dire l’effet réel, l’attrait, d’une jouissance non localisée, illimitée, énigmatique. Un mollah explique à la réalisatrice que « la voix chantée de la femme se transforme pour donner du plaisir et aucun homme décent ne devrait ressentir d’excitation sexuelle ». La volonté sans faille de ces artistes, de ces femmes leur permet de réaliser leur projet. JA. Miller a fait du vouloir, de l’acte de volonté, une jouissance, spécialement détachée dans la féminité, qu’il s’agisse du propre vouloir du sujet ou du vouloir de l’Autre. « C’est du côté femme que la volonté se détache avec un caractère absolu, infini, inconditionné ». À la fameuse question de Freud « Que veut la femme ? », JAM répond ainsi « elle veut vouloir ».[15]Ce qui n’est pas sans évoquer le résultat d’une psychanalyse quand il s’agit de vouloir ce que l’on désire. Alors n’est-ce pas cette autre satisfaction dont une femme ne peut rien dire, ainsi que cette volonté remarquable que la misogynie aimerait détruire ? Ce texte est constitué d’extraits d’une conférence de l’ACFCAPA prononcée à Amiens le 23 mars 2016. [1] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 79. [2] Le Robert, dictionnaire historique de la langue française, p. 1021 [3] Ibidem [4] Cf. Héritier F., Science et avenir, hors-série, janvier février 2012. Françoise Héritier est professeure émérite au Collège de France. Elle travaille notamment sur la parenté, les systèmes d’alliances et la question du genre. Elle est l’auteure de nombreux ouvrages. [5] Héritier F., Ibid. [6] Lacan J., Encore, op. cit., p. 79. [7] Freud S., « Psychologie de la vie amoureuse », in La vie sexuelle, Paris, PUF, 1977, p. 55. [8] Ibid, p. 48. [9] Freud S., « Psychologie de la vie amoureuse », La vie sexuelle, PUF, p. 48. [10] Freud S. « Psychologie de la vie amoureuse », La vie sexuelle, PUF, p. 59. [11] Lacan J., Encore, op. cit., p. 44. [12] Ibid., p. 48. [13] Ibid., p. 55 [14] Ibid., p. 55. [15] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Les us du laps », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, leçons des 12 et 16 janvier 2000. L’Œ-deep, À propos du livre « L’enfant et la féminité de sa mère ». Ce livre[1], paru dans l’ombre de la fin 2015, n’a pas fini de faire parler de lui. François Leguil ne s’y trompe pas en faisant le pari qu’il est bien plus qu’un « travail de laboratoire » et « qu’il prendra peut-être parmi nous la place d’un classique »[2]. Au delà d’être un livre rigoureux, articulé par la clinique, il réalise ce tour de force de donner tout son poids de réel à l’Œdipe. Quand certains enterrent l’Œdipe en le psychologisant, Elisabeth Leclerc-Razavet, Georges Haberberg et Dominique Wintrebert lui rendent son tranchant en révélant son scandale : la découverte par l’enfant que sa mère est une femme. Ce trou-matisme auquel se confronte l’enfant est abyssal. C’est l’Œ-deep. La féminité a minima, avance Élisabeth Leclerc-Razavet, « c’est le manque phallique »[3]. Voilà de quoi faire bondir les féministes ! Et pourtant sous l’apparence d’un phallocentrisme, et d’une essentialisation de la féminité, c’est bien le réel qui « prend la parole ». Dur à croire si l’on regarde cette Autre scène qu’est l’inconscient à partir du ciel des idées. Pour preuve du réel en jeu, vous lirez le cas de Frédérique Bouvet commenté avec précision par Dominique Wintrebert à propos d’un symptôme d’énurésie secondaire qui est « une réponse dans le réel à la problématique inconsciente de la mère », à savoir un penisneid : « Le flot urinaire prend ici une valeur phallique et vient ainsi démentir la castration féminine »[4]. Ainsi « l’Œdipe c’est un mythe tandis que le complexe de castration c’est à proprement parler la structure »[5]. Seulement, le complexe de castration, considéré comme « nœud dans la structuration dynamique des symptômes »[6] névrotiques, pervers et psychotiques « ne prend de fait […] sa portée efficiente qu’à partir de sa découverte comme castration de la mère »[7]. Le roc de la castration, maternelle donc, exige une réponse du sujet : accepter ou non qu’il n’y ait « rien plutôt que quelque chose »[8]. Ce choix du sujet dépend de la relation qu’entretient la mère à son manque. Ce que résume cette phrase-clef de Georges Haberberg qui jalonne le livre : « Ce qui doit orienter notre acte, c’est la castration de la mère et la forme de son manque, car c’est là que se produit le sujet »[9]. De là, tous les cas sont permis : cas comme autant de pépites, dans ce livre, qui tordent le cou aux clichés du type « Papa pique et Maman coud ». L’Œ-deep nouvelle génération donne aussi paradoxalement toute sa place au père réel, qui a pour fonction de s’occuper de la féminité de la mère et de « consentir au pas-tout qui fait la structure du désir féminin »[10]. Ce n’est pas une mince affaire car le pas-tout désigne tout autant une logique phallique que son au-delà. En effet, d’une part la mère en tant que femme, manque, ce qui l’introduit à un commerce phallique avec l’homme ; d’autre part, sa jouissance n’est pas-toute phallique, toujours Autre, insondable. Il importe, pour l’enfant, que ce dédoublement de la jouissance féminine soit à la charge du père. Ne vous inquiétez pas, le livre vous aidera à savoir lire les embrouilles entre les pères et les mères à travers un usage pratique du tableau de la sexuation de Lacan ! [1] L’enfant et la féminité de sa mère, Sous la direction d’E. Leclerc-Razavet, G. L’Harmattan, Paris, 2015. [2] Haberberg et D. Wintrebert, Voir Lacan Quotidien n°560. [3] Leclerc-Razavet E., « Une femme, ma mère ? », L’enfant et la féminité de sa mère, p. 18. [4] Bouvet F., L’enfant et la féminité de sa mère, p. 60. [5] Miller J.-A., Discours de clôture à PIPOL, voir site de l’Euro-fédération de psychanalyse : http://www.europsychoanalysis.eu/index.php/site/page/fr/7/fr/b ulletin/ [6] Lacan J., « La signification du phallus », Écrits, tome II, Seuil, Coll. Points, p. 163. [7] Lacan J., ibid. p. 164. [8] Miller J.-A., « De la nature des semblants », 1991-1992, inédit. [9] Haberberg G., « Points de repères », L’enfant et la féminité de sa mère, p. 35. [10] Miller J.-A., « L’enfant et l’objet », La petite Girafe n°18, p. 10. « Back Home » de Joachim Trier, ou le hors-sens du féminin Hélène Le Guével : La grande originalité de ce film, je crois, c’est d’avoir réussi, à travers une narration très fragmentée, à mettre en images la pensée mémorielle de chacun des trois hommes de cette histoire (Le père et ses deux fils). Joachim Trier nous donne à voir trois mémoires différentes sans aucun didactisme, sans aucune lourdeur. Tous les registres d’images sont conviés : Photos, internet, jeux vidéo, Smartphone… On est tenu par l’action jusqu’au bout, les personnages évoluent en se dévoilant petit à petit. La construction est très bien faite. Au centre une mère absente et pourtant omniprésente. Omniprésence d’une mère absente Cette mère, jouée par Isabelle Huppert, n’est connue du spectateur qu’à travers les images mémorielles livrées par les deux fils et le mari. Joachim Trier fait une utilisation peu habituelle du flash back, images croisées qui vont petit à petit donner existence à cette mère. La construction de ce personnage se fait de manière non chronologique, par une juxtaposition de ressentis contradictoires exprimés par des personnes différentes et malgré tout, on peut en tirer une synthèse relativement cohérente qui serait donc le personnage voulu par Joachim Trier. On mesure là le travail d’écriture scénaristique particulièrement réussi. Cette mémoire de la mère, mise en images, va également révéler l’impact traumatique provoqué par sa disparition, et on va découvrir que malgré les apparences données par le comportement des deux garçons, c’est le fils ainé qui est le plus en difficulté. La construction du film place la mère au centre, toutes les images mentales produites se ramènent à elle. Le père et les deux fils ne communiquent pas, l’espace est occupé par la morte, une absence qui va leur donner bien des difficultés pour affronter la vie. Rémi Lestien : Le personnage central de ce film est une femme contemporaine, une active qui ne craint pas d’affronter des situations de guerre en se postant au plus près de ce qui fait le réel de l’actualité mondiale. Au début du film on apprend qu’elle s’est tuée accidentellement et son collègue de reportage soupçonne un suicide et souhaite l’annoncer au cours d’un hommage qui doit lui être rendu. À sa mort, cette femme, prête à tout pour des photos qui ont fait le tour du monde et obtenu de très belles récompenses, a laissé ses deux grands enfants ainsi que son mari aux prises avec leur solitude. La caméra se glisse dans leurs souvenirs, dans leurs rêves et même dans leurs fantasmes avec délicatesse et précision. Tous les trois ont eu, depuis longtemps, affaire à ce déjà là de la pulsion de mort et ont dû composer avec cette volonté de s’approcher au plus près de la mort et d’y risquer sa vie. L’amour d’une mère est en effet toujours mêlé à un versant du désir féminin qui s’enracine dans ce qui ne peut être dit et qui n’a pas non plus d’image. Cet au-delà des limites du langage a fasciné la mère du film – elle lui a voué une partie de sa vie en l’imposant plus ou moins brutalement à sa famille et plus particulièrement à ses enfants. Le cinéaste montre avec délicatesse comment chacun d’eux y a répondu. Un père sacrificiel HLG : Joachim Trier nous montre d’un autre côté un père actuel très « papa poule » avec ses fils. L’attention qu’il leur porte, parfois de manière trop intrusive et maladroite, compense sans doute pour une part la disparition de la mère. Il fait des erreurs, notamment quand, face à la colère de son fils qui vient de découvrir la liaison amoureuse de son père avec sa prof, au lieu de lui expliquer la situation en affirmant son droit à une vie amoureuse, il lui promet de ne plus revoir cette femme. Faiblesse et sacrifice idiot qui ne peut aider l’adolescent à se construire mais il n’est pas que faible et inexistant. Quand sa femme Isabelle parcourait le monde en reporter de guerre c’est déjà lui qui assurait le quotidien et la gestion des enfants, et de ce point de vue, la mort de la mère n’a rien changé. Les images mémorielles qu’il nous donne à voir de sa femme morte sont ou d’ordre sexuel (elle lui raconte un rêve où elle se fait violer et où lui regarde sans agir) ou d’ordre conflictuel. Pour moi ce n’est pas le père le nœud du problème mais bien la mère. On pourrait dire que c’est un père qui aime mais que cela ne suffit pas. RL : Joachim Trier décrit chaleureusement un père qui se soucie avec générosité du devenir de chacun de ses enfants. L’on pourrait dire que c’est un bon père tout tourné vers le bien de ses responsabilités. Mais voulant faire le bien, il ignore le véritable enjeu de la fonction paternelle qui est d’assumer pour lui le sans limite de sa femme. L’on pourrait dire : « aux enfants la mère, au père la femme et son rapport à la pulsion de mort ». C’est moins ses maladresses qui laissent en plan les deux enfants, que son incapacité à affronter le hors sens de la vie et du féminin. Ce texte est issu d’une interview croisée d’Hélène Le Guével et Rémi Lestien, à la suite d’une soirée Cinéma-psychanalyse qui s’est tenue le vendredi 5 février à Nantes. Girl = Phallus, Les lolitas de Balthus L’œuvre picturale de Balthazar Klossowski, dit « Balthus », reste encore méconnue du grand public, cataloguée à maintes reprises comme « érotique, voire perverse » en raison de la dureté des scènes, notamment dans la série de portraits de jeunes filles dont on voit le sexe qui dérange tant il est visible. De ces enfants, le peintre dira: « Certains ont voulu voir de l’érotisme… Ce sont des anges! »[1]. Cette vision si particulière de l’enfance ainsi que certains propos tenus par l’artiste comme: « Je voudrais toujours rester un enfant » et « n’avoir jamais cessé de voir les choses telles qu’il les voyait dans son enfance », ainsi que ses nombreuses sources d’inspiration venant de la littérature et l’art, nous ont servi de fil conducteur pour aborder l’œuvre picturale à la lumière de la théorie freudienne sur la création artistique et l’orientation lacanienne sur l’art. Mais c’est sans doute le « personnage mythique qui incarne l’archétype de ce personnage éternel de la petite fille, Alice », qui a été pour nous le point de départ d’un rapprochement entre Balthus et Lewis Carroll, et qui par ailleurs est amplement expliqué par le fait que Balthus à son tour se retrouve « aux côtés de Carroll et Nabokov, qu’ils soient pervers ou non », comme le souligne Sophie Marret à leur sujet. Le peintre, quant à lui, « est devenu également indissociable de la figure de la petite fille à plusieurs égards » [2]. Photographie d’ Irene McDonald « It won’t come smoooth », 1863, Lewis Caroll / «Alice dans le miroir », Balthus, 1933. De plus, et c’est notre parti pris, l’œuvre photographique de Lewis Carroll, bien qu’également longtemps méconnue du grand public, aurait, d’après nous, pu marquer l’œuvre picturale de Balthus. En effet, il nous a été possible d’établir pour la première fois un parallèle frappant entre les tableaux de Balthus et l’œuvre photographique de Lewis Carroll, la série d’images de celles qu’il appelait ses « amies enfants » en particulier. De cette série, il y a lieu de distinguer les photos de studio de celles prises en extérieur d’une part, ainsi que d’autre part les photos des petites filles « déshabillées » des photos de « nus » où les fillettes restent, à l’instar de celles des tableaux de Balthus, fixées à jamais et semblent n’avoir que pour seul objectif de conjurer « l’énigme inquiétante de l’enfance qui se métamorphose ». Dans ces portraits, qu’ils soient peints par Balthus ou photographiés par Lewis Carroll, l’évocation de la nymphette réapparaît dans ces corps aux formes esquissées et se dévoile l’équivalence Girl=Phallus, abordée ici et mise en exergue dans les Lolitas de Balthus : figures idéales de l’objet du désir, chrysalides fragiles, « descendantes scandaleuses de la petite fille, modèle carrollien ou doubles cyniques d’Alice ». Ce texte est extrait de la thèse de doctorat de l’auteur, Érotisme et perversion dans l’œuvre picturale de Balthazar KLOSSOWSKI ou Balthus de l’autre côté du miroir, Étude psychanalytique sur la peinture[3]. [1] BELILOS M., « La cérémonie du thé : rencontre avec Balthus », La Cause Freudienne, N° 46, Navarin, Paris, Octobre 2000, p. 90-92. [2] Marret-Maleval Sophie, « Les petites filles de l’inconscient au mythe » , Lewis Carroll et les mythologies de l’enfance, (ouvrage collectif) sous la direction de Sophie Marret- Maleval, Presses Universitaires de Rennes, 1995, p. 66. [3] MUÑOZ – TRUJILLO DE SHIVER Ana-Maria, Doctorat en Théorie Psychanalytique (Université de Paris VIII Saint-Denis en 2014 ) .