Dossier Un tableau de Laurent de La Hyre, St

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Dossier Un tableau de Laurent de La Hyre, St
Musée Carnavalet – Histoire de Paris.
Dossier pédagogique / Septembre 2012
Exposition Les couleurs du Ciel. Peintures des églises de Paris au XVIIe siècle
(Oct.2012 – Fév. 2013)
Un tableau de Laurent de La Hyre
Saint Pierre guérissant par son ombre
les malades, 1635
Figure 1 LA HYRE (Laurent de), Saint Pierre guérissant par son ombre les malades, 1635.
Huile sur toile, 319 x 231 cm. May. Notre-Dame.
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! Les mots comportant un astérisque figurent dans le glossaire à la fin du dossier.
Introduction : qui était Laurent de La Hyre ?
Né à Paris en 1606, Laurent de La Hyre s’est formé auprès de son père, Etienne de La Hyre, mais il
étudia surtout les décorations maniéristes* de Fontainebleau. Il observa les œuvres de Primatice*, dont il
appréciait le raffinement et qu’il a d’ailleurs copiées. Il fit aussi un passage dans l’atelier de Georges
Lallemant*. Il subit aussi l’influence de Simon Vouet*, qui revint d’Italie à Paris en 1627. Il modéra le
caravagisme* de Vouet par une volonté de sobriété. Néanmoins les peintures de cette époque furent
encore redevables au style de ce maître, à cause de leur animation et de leur force chromatique. Le bref
retour à Paris de Poussin en 1640 tempéra son style et il adhéra au nouveau classicisme de Stella et de
Champaigne, que Jacques Thuillier nomme l’atticisme parisien*.
1. Sources et caractéristiques
Pour ce tableau La Hyre s’appuie sur le texte des Actes des Apôtres1, qui décrit un prodige réalisé par
Saint Pierre guérissant par son ombre des malades apportés sur des brancards sous la colonnade de
Salomon. Sur ce sujet le peintre a eu d’illustres prédécesseurs, tel Masaccio*, qui transposa la scène
dans une ruelle florentine (Figure 2). Mais alors que Masaccio conçut son tableau par grandes masses
immobiles, La Hyre anime la silhouette de saint Pierre. La fresque de la chapelle Brancacci à Florence
était construite sur les verticales de personnages bien groupés et sur les horizontales des ombres. Cette
structure apportait une stabilité et une force sculpturale à l’apôtre désigné par le Christ comme
la «pierre », sur laquelle il « bâtirait » son « Eglise »2. Chez La Hyre au contraire les personnages sont
dispersés sur différents plans. Campés dans diverses attitudes, ils jonchent le sol et les marches du
temple. Au premier plan une jeune femme mourante à la poitrine dénudée s’offre aux regards. Son teint
blême et son attitude peut rappeler celle de Marie dans La Mort de la Vierge du Caravage (Figure 3).
Certes le tableau de La Hyre ne montre aucun clair-obscur ; la jeune femme, qu’il montre à demiétendue, n’est pas encore morte. Mais avec l’enfant blotti contre elle, cette femme du peuple aux pieds
nus a une puissance dramatique comparable. Certes La Hyre n’est jamais allé en Italie, mais il a bien-sûr
connaissance du caravagisme. D’ailleurs cet artiste cultivé se sert d’un faisceau d’influences. Le tableau
de Notre-Dame est construit sur les obliques de la perspective. Ces lignes attirent l’attention sur le geste
théâtral de saint Pierre. La Hyre joue sur plusieurs contrastes : celui des complémentaires, le rouge et le
vert, qu’il juxtapose sur les vêtements de saint Pierre. Il use aussi de disproportions. La base des
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Extrait des ACTES DES APÔTRES : « Par les mains des Apôtres, beaucoup de signes et de prodiges se réalisaient dans le peuple. Tous les croyants, d’un seul coeur,
se tenaient sous la colonnade de Salomon. Personne d’autre n’osait se joindre à eux ; cependant tout le peuple faisait leur éloge, et des hommes et des femmes de
plus en plus nombreux adhéraient au Seigneur par la foi. On allait jusqu’à sortir les malades sur les places, en les mettant sur des lits et des brancards : ainsi, quand
Pierre passerait, il toucherait l’un ou l’autre de son ombre. Et même, une foule venue des villages voisins de Jérusalem menait des gens malades ou tourmentés par
des esprits mauvais. Et tous, ils étaient guéris. » Chapitre 5, versets 12 / 16.
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Nouveau Testament Mt XVI, 18-19 : Simon ayant tout quitté pour suivre Jésus est appelé par lui Képha, en araméen rocher, pierre. Plus loin alors que Simon-Pierre
vient de faire acte de fois, Jésus lui déclare : « Et moi je te dis que tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. Je te donnerai les clefs du royaume des cieux.
Ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux.»
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colonnes du premier plan s’oppose par leur taille monumentale à l’élégante colonnade ionique, qui
forme sur les nuages clairs une sorte de décor de théâtre palladien*. Ces contrastes et l’étrangeté des
raccourcis des corps étendus le ramènent encore à ses sources maniéristes.
Figure 2 (à gauche) MASACCIO (Tommaso di Ser Giovanni, dit), L’ombre de saint Pierre guérissant les infirmes,
1424-28. Fresque, chapelle Brancacci, Santa Maria del Carmine, Florence.
Figure 3 (à droite) CARAVAGE (Michelangelo Merisi, dit le), La Mort de la Vierge, 1601-1606. Huile sur toile, 369 x
245 cm. Louvre.
Figure 4 LA HYRE (Laurent de), La Conversion de saint Paul, 1637. Huile sur toile, 335 x 224 cm. May de NotreDame.
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2. La tradition des mays
Les deux tableaux de La Hyre présents dans la cathédrale sont des œuvres importantes également
aux yeux de son auteur, car il s’agit de mays offerts à Notre-Dame. En effet une tradition datant de 1449
voulait que la corporation des orfèvres parisiens fît une offrande à Notre-Dame le 1er mai. Il s’agissait
d’abord d’un arbre orné de rubans, que l’on plantait devant le maître-autel de la cathédrale en signe de
dévotion à la Vierge. En 1499, la corporation y ajouta une sorte de tabernacle* auquel étaient accrochés
des poèmes. L’offrande était suspendue à la voûte. Mais il fallut attendre 1533 pour que l’on ajoutât des
tableaux sur les tabernacles. Les sujets de ces petits mays étaient tirés de la vie de Vierge.
En 1630, ces petits tableaux furent remplacés par de grandes toiles tirant leur sujet des Actes des
apôtres de Saint Luc. Le thème était choisi en collaboration avec les chanoines de la cathédrale,
auxquels ils soumettaient leurs esquisses. Le 1er mai le public pouvait apprécier la qualité de ces œuvres.
C’est pourquoi les artistes accordaient un soin particulier à ces tableaux, qui leur donnaient l’occasion
de montrer leur talent publiquement. D’abord placés devant l’autel de la Vierge, ces toiles de plus de
trois mètres de haut étaient ensuite accrochées aux piliers. Elles étaient visibles de la nef centrale. De
1630 à 1651 de nombreux chefs d’œuvres ornèrent la cathédrale signés entre autres par Lallemant,
Poerson, Bourdon, Le Sueur et Le Brun.
Glossaire
ATTICISME PARISIEN, cette expression inventée par l’historien Jacques Thuillier désigne un nouveau
style de peinture, qui rompit vers les années 1630-1640 avec le baroque de Vouet pour adopter une
manière sobre, claire et harmonieuse. Les sujets de cette nouvelle peinture classique étaient tirés
comme ses décors ou son architecture de l’univers gréco-romain. Ses débuts furent contemporains de
l’arrivée à Paris de Stella et du court séjour de Poussin. L’œuvre de Champaigne et la deuxième période
de La Hyre furent marqués par ce style attique.
CARAVAGISME, ce terme désigne l’influence du CARAVAGE (Michelangelo MERISI dit le) (1571 – 1610),
peintre italien, qui instaura une théâtralité jouant sur le clair-obscur et un réalisme populaire. Il fit
scandale, tout en laissant une marque profonde sur ses contemporains et les générations suivantes. Il
rompait avec la Renaissance et son luminisme annonçait le baroque.
LALLEMANT (Georges) (Nancy v. 1575- Paris 1636), dans son atelier parisien furent formés La Hyre,
Champaigne et Poussin. Lallemant usa d’un style précieux redevable au maniérisme. Parmi ses œuvres
on peut noter La Charité de saint Martin.
MANIERISME, ce terme désigne le style des artistes, qui après 1520 s’inspirèrent de la « bella maniera »
des génies de la Renaissance comme Michel-Ange et Raphaël, mais qui en exagérèrent les traits. Se
servant souvent de disproportions, ils furent friands d’étrangeté et de sophistication. On peut
remarquer parmi eux Pontormo, Parmesan et les peintres de l’école de Fontainebleau tels Rosso et
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Primatice.
MASACCIO (Tommaso di Ser Giovanni, dit) (1401-1428), ce peintre italien proche de Brunelleschi et
Donatello ouvrit la voie à la Renaissance avec ses compositions monumentales. Parmi ses chefs-d’œuvre
on peut citer la Trinité à Santa Maria Novella à Florence.
PALLADIENNE architecture influencée par PALLADIO (Andrea di Pietra, dit) (1508-1580) ; féru
d’architecture antique et ami de Véronèse, cet architecte italien travailla à Venise et conçut à Vicence le
Théâtre Olympique et la Villa Rotonda.
PRIMATICE (Francesco Primaticcio, dit le) (1504-1570), ce peintre italien formé auprès de Giulio Romano
travailla à Fontainebleau aux côtés de Rosso pour la réalisation des grands décors de stucs et de
fresques. Son maniérisme est typique de la première école de Fontainebleau.
TABERNACLE, petite armoire demeurant généralement sur l’autel et destinée à conserver le ciboire
contenant les hosties, la réserve eucharistique.
VOUET (Simon) (1590-1649), ce peintre parisien se fixa à Rome en 1614. Connaissant tous les courants
artistiques italiens, il retint la leçon du Caravage et de son luminisme. De retour à Paris en 1627, il
abandonna sa manière sombre et éclaircit ses compositions. On peut admirer son lyrisme baroque.
Nombreux furent les jeunes peintres fréquentant son atelier : Dufresnoy, Mignard, Michel I Corneille et
deux élèves bientôt rivaux Le Sueur et Le Brun.
Bibliographie et liens Internet
- ALLEN (Christopher), Le grand siècle de la peinture française (Londres, 2003, éd. Thames et Hudson).
- ARGAN (Julio Carlo), L’Europe des capitales 1600-1700, Genève, 1964, éd. Skira.
- DORIVAL (Bernard), Catalogue, Philippe de Champaigne, Paris, 1952, Musée de l’Orangerie.
- FUMAROLI (Marc) L’école du silence. Le sentiment des images au XVIIe siècle (Paris, 1998, éd.
Flammarion).
- GIORGI (Rosa), L’Art au XVIIe siècle (trad. de l’italien, Paris, 2008, éd. Hazan)
- KAZEROUNI (Guillaume), Peintures du XVIIe des églises de Paris, revue Dossier de l’Art, n°149, févr.
2008, Dijon, éd. Faton.
- La peinture française du XVIIe siècle dans les collections américaines, catalogue, commissaires Pierre
Rosenberg et Sir John Pope-Hennessy, 1982, Paris, Grand Palais.
- MEROT (Alain), La peinture française au XVIIe siècle, Paris, 1994, éd. Gallimard/ Electa.
- Philippe de Champaigne 1602-1674. Entre politique et dévotion. Catalogue, sous la direction d’Alain
Tapié et de Nicolas Sainte Fare Garnot. 2007, Palais des Beaux-arts de Lille.
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Exposition Les couleurs du Ciel. Peintures des églises de Paris au XVIIe siècle
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- THUILLIER (Jacques) et CHÂTELET (Albert), La peinture française de Le Nain à Fragonard, Genève, 1964,
éd. Skira.
- http://carnavalet.paris.fr/fr/expositions/les-couleurs-du-ciel
-http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/apparition-du-christ-aux-trois-marie (texte de Guillaume
Kazerouni).
-http://www.notredamedeparis.fr
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