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EXTRAIT
lepeupledemu.fr
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FURY
2ème édition
Tous droits de reproduction, traduction et adaptation réservés pour tous pays.
© Jean-Luc Detcherry
© 2014-2015, lepeupledemu.fr
Illustration de couverture :
© Cécile Morvan
© 2014-2015, lepeupledemu.fr
Merci à Marjolaine Bertholat pour son soutien.
ISBN papier : 979-10-92961-28-7
ISBN numérique : 979-10-92961-10-2
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Pour mon épouse Angélique
Un grand merci à mon ami l’écrivain,
Cruz Oscariz.
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Première Partie
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« Nous sommes le 1er août 2027, c’est le journal de treize
heure, sur CNN. Nous retrouvons Janet Kœchlin et le chef des
opérations militaires pour la mission «Corée du Nord», le colonel
Taylor.
— Le général Lee Seung Hong vient de s’auto-proclamer président à vie. «Très bientôt le Sud va m’appartenir» a-t-il attesté
dans un communiqué spécial hier en fin d’après-midi. Ce sont de
terribles menaces colonel, que compte faire l’armée américaine
face à cette nouvelle insurrection ?
Taylor réfléchit quelques instants avant de répondre.
— Je vous rassure : il n’y aura pas d’invasion. Par ailleurs,
avant que le G9 ne se réunisse afin de décider de la suite des événements, plusieurs détachements seront déjà parvenus en Corée
du Sud pour y établir un blocus.
— N’est ce pas justement ce qu’attend Lee Seung Hong ?
— On se souvient tous de l’attaque communiste sur la république du Sud, en 1950, reprit le colonel. À l’époque, l’armée
américaine avait déjà su endiguer le mal à sa source !
— Oui, toutefois, aujourd’hui les choses sont différentes,
ajouta-t-elle : Lee Seung Hong possède l’arme nucléaire !
— Pour l’instant… »
Jeremiah zappa sur une chaîne sportive, Solen le foudroya du
regard.
— Maman, maman !
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— Laisse tomber p’tite chieuse, il n’y a que nous deux ici !
— Sale con ! vociféra l’adolescente.
Claquant la porte de sa chambre, elle continuait à l’abreuver
d’injures : « Abruti, tu vas voir dès que papa va rentrer, tu vas
moins faire l’malin ! »
— C’est ça cause toujours la truie, tu m’intéresses ! marmonna-t-il. Jeremiah Johnny Soulmayer, né le 3 septembre 2008 à
Brownsville, Texas dans l’Amérique impériale, était un raté ;
c’était du moins ce que ne cessait de clamer sa belle-mère Katherine, à qui voulait bien l’entendre.
À 17 ans, après avoir échoué à ses examens d’entrée en fac, il
avait déserté le lycée pour prendre une année sabbatique ; mais la
crise sociale que subissait le pays, depuis trop longtemps, ne faisait que s’aggraver. Ne trouvant que des boulots de manutentionnaire, il décida de devenir dealer. Comme il était déjà consommateur, il n’eut aucun mal à se faire une honorable clientèle de
toxicomanes dans le ghetto de Brownsville.
Il attrapa son blouson et éteignit la télévision, il n’y avait rien
d’intéressant et puis Solen avait une fois de plus réussi à l’énerver.
— Quelle chiante celle-là, faut toujours qu’elle ramène sa
gueule !
Alors qu’il claquait la porte, son portable se mit à sonner,
c’était le dernier hit de Suhra Lee, enjoy it. Au bout de trois sonneries, il se décida enfin à répondre.
— Allo Jim, c’est moi !
— Salut Lori, ça va, t’as l’air bizarre ?
— Un peu crevée, c’est tout. Tu viens me chercher au taf ?
— Ouais !
Jeremiah referma le clapet du téléphone portable, le rangea
dans l’une des poches de son pantalon style camouflage et mit
ses lunettes noires. Il respira un bon coup en regardant le ciel,
il allait encore faire très chaud aujourd’hui. Il marcha un peu le
long de Morningside Road jusqu’à l’arrêt de bus. Le soleil cognait
dur. Enfin, c’était ça Brownsville ! Beaucoup d’humidité et une
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écrasante chaleur.
— Putain je savais bien que j’avais oublié un truc, dit-il à la
recherche de sa casquette des Dallas Mavericks. Quinze minutes
après, le bus arrivait. Jeremiah s’engouffra à l’intérieur puis s’installa directement au fond. Il y avait deux blacks qui squattaient
toute la place et importunaient une jeune femme. Il s’assit donc,
exprès, juste en face d’eux.
La nana était plutôt jolie, une Mexicaine. Le gars aux rastas
réagit aussitôt.
— Qu’est-ce qu’il y a, tu veux ma photo, connard ?
— Non merci, dit-il en prenant son air benêt.
— Hé blanc-bec, j’te cause !
— Moi je t’emmerde ! reprit Jeremiah, plus agressif.
L’autre allait répliquer quand Soulmayer sortit discrètement
un taser.
— Tu sais quoi du gland, toi et ton tocard de pote, vous descendez au prochain arrêt, c’est compris ?
Le Black le dévisagea avant de signifier à son acolyte la fin des
hostilités. Ils se levèrent et rejoignirent l’avant du bus.
— Toi, t’es mort ! lui lancèrent-ils juste avant de descendre.
La jeune fille souffla, tout à fait soulagée.
— Merci mec, c’était cool de ta part. C’est quoi ton prénom ?
— Jim !
— Lluvia Quetzali ! Enchantée alors !
Elle sourit.
— C’est la première fois que je te vois ici, où est-ce que tu
crèches ?
— Je suis serveuse au Road Escobar !
— Je descends au prochain arrêt. On échange nos numéros !
— Tu n’y vas pas par quatre chemins toi !
— On n’a qu’une vie, non ?
Lluvia détailla le jeune homme de la tête au pied, il était plutôt
mignon en fait : cheveux bruns bouclés arrivant jusqu’à la nuque,
yeux noirs, peau claire, quelques cicatrices çà et là, probablement
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des souvenirs de bagarre.
— On t’a jamais dit que tu ressemblais à ce chanteur de rock
des années soixante, Jim Morrison !
— Ben ça ! T’es amoureuse ou quoi ?
Lluvia, vexée par la remarque, se leva, puis s’avança vers la
porte.
— Non, attends, j’déconnais ! Allez file moi ton numéro
d’portable !
C’était trop tard, la fille sortit du bus en l’ignorant.
— Quel con ! J’ai vraiment merdé !
Lorina patientait devant la station-service et cet après-midi
elle avait envie de faire un peu de lèche-vitrines. Elle s’assit sur
un banc pour attendre Jim qui, comme à son habitude, serait en
retard.
— Qu’est ce qu’il fait chaud !
La latino se saisit de son portable pour regarder les photos
prises la veille. Une soirée ordinaire. Ils avaient fumé de l’herbe.
Zony était arrivé chargé de packs de bière. Puis, plus tard, Irina
et Franco, suivis de toute la clique. Il l’avait raccompagné chez
elle vers une heure du matin. Là, ils avaient fait l’amour, sous
trip il n’y a rien de meilleur. Et puis Jim était reparti, comme ça,
en plein milieu de la nuit, en baragouinant qu’il avait des choses
urgentes à régler. Jeremiah était un égoïste invétéré pourtant elle
en était raide dingue, ça faisait d’ailleurs deux ans qu’ils sortaient
ensemble. Lorina en avait vingt, mexicaine par sa mère et américaine par son père, elle était caissière dans une station-service
alors qu’elle n’était même pas majeure.
Avant de rencontrer Soulmayer, Lorina avait toujours été une
fille sage, le genre à rêver du prince charmant. Un après-midi
d’été, il l’avait abordé dans un parc, au début elle s’était un peu
méfiée, mais il était si beau.
Bien qu’il soit un dealer au sale caractère, Jim était, pour elle,
quelqu’un de sensible et loyal. « Ça, c’est important ! » Il ne fallut
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pas plus de quelques semaines pour qu’elle prenne du LSD et
fasse son premier bad trip.
Lorina finit par s’assoupir sur le banc.
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Lee Seung Hong, perplexe, faisait les cent pas. Huit jours à
peine qu’il s’était autoproclamé dictateur et l’Amérique impériale
envoyait des troupes armées à divers points stratégiques frontaliers. Il scruta sa montre, exaspéré, et s’adressa à son attachée de
presse, Yunhee.
— À quoi doit-on s’attendre de la part des Américains ?
La jolie fille éplucha les divers rapports à propos des effectifs
Nord Coréens disponibles à ce jour.
— On peut d’ores et déjà envisager l’hypothèse de l’occupation.
Lee Seung Hong réfléchit un instant. L’idée d’attaquer l’occident lui avait traversé l’esprit à maintes reprises, cependant il
fallait être prudent. Suivre le plan du professeur Ahn Jin Woo à la
lettre, restait pour l’heure la seule option envisageable. S’approchant d’un des soldats en poste, il lui ordonna :
— Toi ! Va me chercher Ahn !
Le sous-officier salua le président, avant de quitter la pièce
en silence. Profitant de l’occasion, Yunhee se rapprocha de Lee
Seung Hong et le serra dans ses bras jusqu’au retour du sous-officier accompagné et du professeur Ahn. Le scientifique salua le
Président, en revanche, il évita tout contact visuel avec Yunhee.
Il n’aimait pas cette femme, trop sournoise à son goût et d’ailleurs, il ne comprenait pas comment Lee Seung Hong avait pu
s’abaisser à lui donner un poste clé dans son gouvernement. Une
méprisable femelle, voilà ce qu’elle était.
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— Vous vouliez me voir, Président.
— Où en sont les recherches ?
— Fury sera prêt à la date prévue.
— Et le vaccin ? l’interrogea sèchement Yunhee.
Il la dévisagea un instant, avant de répondre.
— Il est encore trop tôt pour se prononcer !
— Notre temps est compté ! insista l’attaché.
Ahn pesta entre ses dents. Comment osait-elle ? Lee Seung
Hong songeur passa sa langue entre ses lèvres, signe habituel de
son irritabilité.
— Combien de temps encore ?
— Trois semaines, un mois, difficile d’être précis, les sujets
contaminés réagissent assez mal aux vaccins tests ; comme je vous
l’ai déjà dit, lors de ses cycles de développement, Fury a la capacité de se confondre avec l’hôte. De plus, il transmet à sa descendance un héritage qui lui permet de se fondre dans l’organisme,
donnant ainsi naissance à une nouvelle souche de bactéries…
— Je me fiche de votre baratin technique Ahn, retournez au
labo et finissez-en avec ça !
Le professeur se retira dans le couloir. La Coréenne, glaciale,
le regarda partir. Pour l’instant elle conservait l’avantage, mais
Lee Seung Hong allait bien finir par se lasser d’elle. C’était inévitable. Ce jour-là, Ahn lui fondrait dessus comme un lion sur
une gazelle.
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Soulmayer s’était assoupi les écouteurs aux oreilles, il écoutait
les « Soul Stickers », un groupe de heavy métal à la mode. Dans son
rêve, il incarnait un empereur romain. Des Égyptiennes vêtues de
robes colorées dansaient ; elles étaient sensuelles, érotiques, absolument divines. L’une d’elle s’approcha de lui, sa peau d’ambre
parfumée sentait bon la vanille. Ses cheveux sombres étaient tirés
en arrière, noués par un ruban de velours, elle le dévorait de ses
yeux verts ; on aurait dit une féline fondant sur sa proie. Il saisit une grappe de raisin dans une assiette d’argent que tenait un
esclave numide et la porta à sa bouche. D’un geste, il ordonna à
la fille de s’agenouiller, l’heure était venue de la prendre. Il sentit
une vibration au niveau de sa poitrine, un élément étranger s’était
insinué dans son corps. Dans le même temps, une Chinoise criait
au lointain. Pourquoi personne dans ce maudit palais ne se décidait à la faire taire ?
— C’est sûrement un de ces putains de « Face-hugger », dit-il
en jetant le raisin en plein dans la tête de l’esclave. Une de ces
saloperies a dû pondre en moi, pendant que je dormais ! L’Égyptienne se mit à rire à gorge déployée. Son visage avait changé : sa
tête était devenue une longue couronne noir métallisé, triangulaire et aplatie sur le devant, son corps mesurait désormais dans
les trois mètres, elle n’avait plus deux bras mais quatre, deux
jambes maigres et squelettiques et une atroce queue terminée par
une pointe acérée. Le hideux insecte s’adressa à lui d’une voix
gutturale.
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— L’heure est venue pour toi de rendre des comptes, seigneur
Laudos !
— Mais j’m’appelle pas Laudos… je suis Jim !
La créature ouvrit sa gueule la bave acide aux lèvres, dévoilant
une deuxième mâchoire, plus horrible encore que la première,
puis d’un geste précis elle fit tournoyer sa queue et l’abattit violemment sur le pauvre Soulmayer qui tomba à la renverse de la
banquette.
— Hein, c’est quoi ce délire ! Il posa ses deux mains sur son
front puis sur ses yeux. Tout à coup, il entendit la voix de sa bellemère.
— Baisse cette musique de dégénérés, tu crois que tu vis seul
ici ou quoi ?
Jeremiah ouvrit les yeux, il était étendu à côté de son lit, à
moitié défoncé par le trip qu’il venait de subir. La voix de l’Alien
tambourinait encore à l’intérieur de sa tête.
— Tu m’entends ou pas ! Katherine frappait comme une
dingue à la porte fermée à clef. Voir tant de laideur au réveil
n’était même pas envisageable.
— Ouais j’ai compris, c’est bon ! dit-il en se massant les
tempes
— Alors baisse le son, maintenant !
— Oui, arrête de hurler, j’ai entendu !
Plus de coup sur la porte, la belle-mère finit enfin par comprendre qu’elle ne gagnerait rien à s’époumoner. Jeremiah se leva
en titubant et baissa le son de la chaîne hi-fi, il transpirait encore
à grosses gouttes.
— Jamais j’avais tripé comme ça ! Trop cool la came !
Tout à coup, il sentit son portable vibrer dans la poche de sa
chemise, suivi de la mélodie « Enjoy it ». Jeremiah attendit plusieurs sonneries avant de répondre, tellement il était absorbé par
la voix de la divine Lee.
— Ouais ?
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— Putain tu m’gonfles Soulmayer ! Ça fait une plombe que
j’essaie de te joindre. Tu pionçais ou quoi ?
— Salut Zony, alors c’était toi la Chinoise dans mon rêve ?
— De quoi tu parles, t’es défoncé ou quoi ? Jeremiah inspira
un bon coup pour essayer de se remettre les idées en place, puis
souffla longuement et reprit :
— Non rien, laisse tomber va ! Qu’est ce que tu veux ?
— T’es chiant Jim, tu pieutes toute la journée et après t’oublies de refourguer les tétons. Je te rappelle que tu devais te pointer ici à dix-huit heure et qu’il est dix-huit heure !
— OK, t’emballe pas, je décolle !
— Laisse tomber ça gère ! Seulement, il ne faudrait pas que
t’oublies un détail, Soulmayer : t’es mon pote mais je te rappelle
quand même que des gars qui veulent ta place, y en a plein !
— Le prends pas comme ça Zony, c’est bon je m’excuse !
— Rien à foutre de tes putains d’excuses !
— Allez, envoie-moi sur un autre coup alors !
Pendant quelques instants Zony s’arrêta de parler. Que pouvait-il bien faire pour rattraper la situation ?
— Tu vas te rendre au « Syren » à vingt-trois heure pétante,
ce n’est pas très loin de chez toi, au 95 st. Central Avenue. Ton
contact s’appelle Jefferson !
— Mais c’est un club gothique !
— Oui et alors !
— Jamais j’rentre ! t’as vu ma dégaine !
— Ça, c’est ta life mon pote, je t’attends d’ici vingt minutes
pour la came. Jeremiah allait répliquer mais son « patron » avait
déjà raccroché.
— Fais chier ! rumina-t-il en jetant le portable sur le lit. Comment allait-il gérer ça ? Ses fringues n’étaient pas adaptées à ce
genre de situation. À la rigueur, il avait les cheveux longs mais
c’était bien la seule chose gothique chez lui.
— Vincent Valentine ! Oui, bien sûr ! Comment est ce que
j’ai pu l’oublier celui-là ?
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Jeremiah composa sur les touches du portable le numéro de
la seule personne sur cette terre qui soit en mesure de lui prêter
main-forte. Valentine était une sorte de sataniste New Age qui
écoutait une musique qui n’était répertoriée nulle part ; au début
il n’avait été qu’un simple client et puis Jeremiah s’était attaché à
lui. Ce type était démentiel, il affirmait être un nécromancien, un
vrai mégalo, enfin : « un mec cool quoi ! ».
— Ouais, j’écoute !
— C’est Jeremiah, dis-moi Val, j’aurai bien besoin d’un coup
de main !
— Que puis-je pour toi, mon frère ?
C’était ça Valentine, un langage soigné et une voix de velours.
— Je fais une virée au « Syren » ce soir… le souci, c’est que je
n’vais jamais rentrer. J’suis pas gothique et j’ai pas de quoi tromper le videur !
— OK j’ai pigé le truc. Tu n’as qu’à passer chez moi, j’ai des
fringues que je ne mets plus !
— Super-cool mec ! À plus tard !
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Jeremiah sonna à l’interphone mais Valentine tardait à répondre. « Allez ! Qu’est ce que tu fous putain ? » Il vérifia à nouveau, il s’agissait bien du numéro 15, « Éric Holger » ! Il pressa
encore une fois la touche en laissant son doigt appuyé pour que
la sonnerie soit continue.
— Ouais, je t’ouvre ! Il y eut un clic et la grille s’entrouvrit.
Jeremiah pénétra dans le couloir mal éclairé. L’ascenseur était
hors-service depuis des lustres. Valentine lui avait raconté qu’un
cinglé y avait mis le feu en déversant de l’essence sur un type du
gang « Los Cuchillos ». Le gars avait braillé si fort qu’on entendit
ses hurlements jusqu’au dernier étage. Personne ne songea à appeler les premiers secours. Faut dire que la mafia locale était réputée pour se débarrasser des gêneurs. Et puis, même sans ça, les
gens étaient blasés. Ils se fichaient bien qu’un type puisse flamber
à deux pas de leur porte. Vincent résidait au vingtième étage de
la tour, dans l’une des pires cités de la banlieue de Brownsville. Il
bossait comme barmaid au Chrysalide, un club de métal branché.
Soulmayer arriva enfin au dernier étage, essoufflé. Il s’approcha de l’entrée et sonna.
Quelques instants plus tard, il y eut un cliquetis suivi d’un
grincement accompagnant l’ouverture de la porte. C’est alors
qu’apparut Éric Holger alias Valentine, personnage atypique, si
éloigné du mortel lambda. Un livre ne suffirait pas à le décrire.
Il avait tout de l’aristocrate sans l’être, un intellect hors du commun, beaucoup de classe, des attitudes très raffinées. Jeremiah
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disait de lui qu’il était le dernier des philosophes (enfin pour
quelqu’un comme Soulmayer) car il connaissait tout sur tout.
C’était un orateur né et il en usait si habilement qu’il finissait
toujours par faire passer le faux pour vrai. Même physiquement,
il ne dérogeait pas à sa règle d’être insolite : cheveux longs assez
raides, bruns, toujours maintenus par un large bandeau de soie,
une multitude de piercings sur le nez, la langue, la bouche. Sa
peau était livide et ses yeux vert-gris étaient constamment injectés de sang à cause des drogues qu’il consommait. Ses boucles
d’oreille avaient diverses formes selon l’humeur, crâne humain,
fœtus, gargouilles, démons. Et pour couronner le tout, il signalait
son appartenance à Satan par « le crucifix inversé » tatoué sur sa
nuque.
— Entre donc mon poste, lui dit-il.
Jeremiah pénétra dans la pièce sombre, il se crut transporté
dans un autre monde, comme lors de chacune de ses visites chez
son ami. La déco avait un aspect lugubre, des chandeliers trônaient sur les murs du couloir et puis il y avait aussi ces tableaux
d’art abstrait très étranges. Valentine était aussi « artiste » à ses
heures.
— Avant toutes choses, Santé ! Éric Holger tendit un verre
de vin à Jeremiah, ce dernier huma l’alcool qu’il avala d’un trait.
— Beuh, c’est dégueulasse !
— Vraiment ? Pourtant ça n’est pas un si mauvais cru… croismoi ! Attarde-toi un peu sur sa robe, pourpre, teintée de reflets
bleus, c’est un vin jeune qui n’a pas encore subi d’oxydation !
Valentine dégusta un nouveau verre les yeux clos, le plaisir se
lisait sur ses lèvres.
— Ne sens-tu pas l’arrière-goût de cassis !
Jeremiah examina le vin qu’il venait de lui resservir, rien de
spécial, couleur rouge. Il le porta à ses lèvres et en but à nouveau.
— Mais ouais ! c’est vrai en plus ! reconnut-il, surpris. Pourtant il y a encore deux secondes, j’aurais juré que non ! Il se lécha
les babines. Comment est-ce possible ? Valentine lui adressa un
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clin d’œil. Il se dirigea vers une commode de style asiatique, ouvrit le compartiment du dessus et attrapa un sweat-shirt.
— Il n’y a rien de magique à cela en fait, la couleur de ce vin
influence juste ton interprétation olfactive et par là même, ton
goût !
— Hein ?
— C’est une illusion perceptive, si tu préfères ! Si je t’avais demandé de déguster ce vin les yeux fermés, tu lui aurais forcément
trouvé une saveur différente et tu ne serais jamais revenu sur ta
position. Les œnologues désignent ainsi les différents bouquets,
chaque vignoble a plusieurs goûts qui lui sont associés : pour
les rouges : cassis, framboise, cerise… pour les blancs : pomme,
banane, abricot… Et pourtant, Dieu sait que toutes ces saveurs
n’existent pas ! D’ailleurs, sur dix sujets ayant les yeux fermés, la
plupart sont incapables d’affirmer si un vin est blanc ou rouge ?
— Attends, t’es œnologue ou quoi ?
— On ne peut apprécier les vertus de l’alcool qu’à la condition extrême de maîtriser à la perfection nos cinq sens. Or, l’odorat est le système sensoriel le plus puissant qui existe. Lorsque tu
as senti ce vin et que tu l’as bu pour la deuxième fois, tu t’es fié
à mon jugement, tu as de suite associé la couleur à l’arôme de
cassis. Tu sais pourquoi ?
— Non !
— On se souvient toujours des odeurs, celle de ta petite amie,
par exemple. En revanche donner un nom à la senteur devient
plus compliqué. Par contre ce qui est certain, c’est que le souvenir
de l’émanation persiste à l’intérieur de ton cerveau et il peut y
rester des années.
— Quel génie !
Valentine sourit en lui tendant le sweat noir avec un visage
imprimé dessus, celui de l’ex chanteur de Rock, Marilyn Manson.
— Superclasse, maintenant, je suis un vrai goth !
— Prends aussi cette paire de pompes et ce pantalon en cuir,
avec ça crois-moi, tu vas te fondre dans la masse !
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Valentine lui désigna une chaise de l’autre côté de la pièce.
Jeremiah se leva et récupéra les affaires.
— Merci ma poule ! dit-il à son ami en lui jetant une petite
boîte remplie de cachetons. Tiens, quelques friandises pour le dérangement !
Les yeux de Valentine s’agrandirent.
— Passe donc me voir à mon bar après ta transaction, enfin si
tu as le temps !
— OK !
(...)
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