1 JEUNESSE ET ADOLESCENCE: UNE PARADOXALITÉ
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1 JEUNESSE ET ADOLESCENCE: UNE PARADOXALITÉ
Gutton article pour le politique n°68 Okpour quarkXpress 20/05/09 8000 car ac. soit 3/4 pages JEUNESSE ET EXEM PLAIRE ADOLESCENCE : UNE PARADOXALITÉ Philip pe Gutton Le contexte dans lequel les textes de ce numéro ont été réunis est particulier. Les universités, les chercheurs, les étudiants, une partie du corps enseignant sont en grève p our des motifs socio-p olitiques pluriels ; au centre desquels se situent la négligence, mieux le mépris du p résident de la République et du gouvernement à l’ égard de la recherche française. Dans le champ plus p récis des scènes humaines, la colère et l’ angoisse s’ expriment devant l’ idéologie utilitariste régissant un capitalisme cognitif qui se doit d’ être toujours p lus évalué et performant. Les recherches dites fondamentales ne devraient-elles pas se déployer en une philosophie de l’ utilité de l’ inutile… une p ensée comme sans but ? Les publications en français sont en outre accusées de n’ être en cette optique pas suffisamment « visibles » au plan international. La Revue Adolescence publie depuis 1983 une grande part des recherches dans le champ qui la désigne. À ce titre, elle ne p eut que se sentir prise à partie dans les redoutables malentendus actuels. Elle prétend néanmoins garder toute son objectivité dans un secteur où se lient et s’ opp osent interiorisations intersubjectales et interactions sociétales. Cette introduction veut marquer et nommer une ouverture de plus en plus sensible et élargie de la Revue Adolescence au socio-politique1. Le psychanalyste, clairement, sort des séquences exclusives de son 1. Cf. en particuli er Droit de cité, Adolescence, 2007, T. 25 n°1 ; et bien des arti cles dans les numéros des dernières années. Je renvoi e à mon i nt roducti on d’ Originalité et bourgeoi sie [Gutton Ph. (2007). Originalit é et bourgeoi sie. Adolescence, 25 : 19-26]. 1 Gutton article pour le politique n° corr ections r entrées le 8/05/09, 8000 car ac. soit 3/4 pages Gutton article pour le politique n°68 Okpour quarkXpress 20/05/09 8000 car ac. soit 3/4 pages disp ositif et donne ses positions de citoyen : « Rétablir la continuité et les différences entre ce qui se passe dans la cure et ce qui, par p récédence et de tout temps, se p asse dans la vie »2. 1 - Adolescence et jeunesse deux concepts que nous cherchons à cerner selon leurs différences. L’ adolescence (le pubertaire en est le fondement avec son travail de sublimation et de conflictualisation seconde) nomme un ensemble processuel inconscient de création subjectale ; tertiaire car au plus p rès du sensoriel sensuel (en son originaire) et accédant à la signifiance, aux actes de p arole. Création qui si elle débute à la puberté se trouvait déjà là. « Une pensée qui peut avoir traversé depuis longtemps notre avenir devient vivante qu’ au moment où quelque chose qui n’ est plus de la pensée qui ne relève plus de sa logique s’ y ajoute : nous éprouvons sa vérité indépendamment de toute preuve comme si elle avait jeté l’ ancre dans la chair vivante irriguée de santé […] »3. La subjectivation adolescente est d’ abord une intersujectivation (R. Kaës), une « humanisation » (Freud) : une originalité partagée et reconnue4. L’ adolescence possède un statut innovant en son histoire de vie et en sa participation culturelle (dans et hors famille). La jeunesse est un concept socio-politique caractérisant une classe d’ âge (à dimension variable) entre enfance et adulte dans une société ou une civilisation donnée. Individualisation et interaction y sont les mots clés. L’ espace social, la cité faite d’ « institutions en p articulier pour les jeunes » propose, imp ose plutôt : gestion et aménagement (sur le modèle 2. PUF, 3. 4. Laplanche J. (1992). Introducti on au collect if i nt ernati onal de Montréal. Pari s : 1994. Musil R. (1906). Les désarrois de l’ él ève Törless. Paris : Seuil, 1960, p. 23. Gutton Ph. (2008). Le génie adolescent. P aris : Odil e Jacob. 2 Gutton article pour le politique n° corr ections r entrées le 8/05/09, 8000 car ac. soit 3/4 pages Gutton article pour le politique n°68 Okpour quarkXpress 20/05/09 8000 car ac. soit 3/4 pages foucaldien du savoir-p ouvoir), articulation de droits, devoirs, lois (selon un imaginaire social ou idéologie, fondement de la morale), attention prégnante à la situation financière, encadrement selon une hiérarchie adulte (famille, école centres divers, services sociaux p ublics et p rivés, systèmes de trafics licites et illicites), lieux de communication et commerces, modes d’ habitation et de pensées, etc.5. L’ institution fondamentale est, bien entendu, le langage6, sorte de lexique commun et particulier, ordre des signes p ar et dans lequel s’ expriment avec quelques variantes et difficultés les paroles adolescentes : fameuse « dép endance à une poignée de sy llabes et de sonorités qui déterminent le destin » selon l’ expression de R. Gori. La jeunesse est une minorité intermédiaire, c’ està-dire une interprète innovante du lien social. On peut adhérer, discuter ou haïr cette phrase harmonieuse d’ Alfred de Vigny : « Une belle vie c’ est une p ensée de la jeunesse réalisée dans l’ âge mûr. » 2 - J’ insiste aujourd’ hui pour situer l’ identité comme exemple paradigmatique d’ une p aradoxalité profonde ne pouvant être élaborée que sous le sigle winnicottien du « créer-trouver » : celle « du sujet assujetti », inhérente aux sciences humaines cliniques (similitude et différence, ressemblance et spécificité, identification et imitation, faux et vrai). Précédemment 7, je parlais d’ opposition dialectique pouvant mener à des compromis identificatoires. Entre sujet et société, un raisonnement peut en ce cas se développer en spirale cherchant à maintenir une certaine unicité (à éviter le déchirement). Je considère ici que les deux lignes de force sont en fait de nature différente et dès lors non opposables : dans la 5. Le GREUP P publ iera en septembre aux Édi tions de L’ Atelier. Prot éger l'enfant avec sa famil le : le signalement d’ une information préoccupante. 6. Un t ravail sur le l angage adol escent sera, grâce à J.-P . Goudailli er, un thème de la R evue Adol escence en 2010. 7. Gutton Ph. (2007). Originali té et bourgeoisie. Adolescence, 25 : 19-26. 3 Gutton article pour le politique n° corr ections r entrées le 8/05/09, 8000 car ac. soit 3/4 pages Gutton article pour le politique n°68 Okpour quarkXpress 20/05/09 8000 car ac. soit 3/4 pages logique du p aradoxe. Si la première proposition théorique s’ inscrit en termes de conflictualité, la seconde est de l’ ordre de « l’ en soi », d’ un inconscient profond que l’ on doit « accepter » selon le mot de D. W. Winnicott pour une élaboration ou une sublimation, pour la créativité adolescente. L’ identité que l’ on qualifie de fondamentale n’ est jamais unique : elle est p lurielle. Elle n’ est pas fluctuante, elle a son style, mais doit gérer de façon nécessaire des oppositions inattendues, requérant la souplesse. Si l’ adolescent tel Pygmalion bâtit sa statue encore faut-il que les autres, l’ autre, l’ animent. Il y a dans ce fondamental de la philosophie (« l’ homme est un vivant politique » disait Aristote) un lien des contraires de nature différente, de la sorte inopposables et… indissociables. Le symbole de ce lien p aradoxal est entre p arole et langage. L’ identité bénéficie sous la p lume de F. Duparc8 d’ une belle métaphore : elle est l’ ombre du sujet ; avec un fond supposé, sa forme varie avec la lumière (orientation, intensité), c’ est-à-dire les autres (les parents, les amis, les amants, les institutions). Ce qui serait spécifique à l’ adolescence (et repéré depuis la Grèce ancienne) réside dans son statut de commencement, précisément en ce qu’ elle comporte d’ initiative et peut-être d’ initiation sociétale (attention au faux dép art). Comment y est-elle accueillie, écoutée, répondue… ? Comment ses conduites sont-elles interprétées qualifiées, voire jugées par les autres ? Comment est-elle reçue, disons étayée, selon la valeur jeune ou la conceptualisation de la jeunesse ? Comment fait-elle l’ objet d’ une reconnaissance sociétale en tant qu’ engagement identitaire, de façon respectueuse même bienveillante ? Quel esp ace p rivé lui est-il accordé par l’ espace p ublic et inversement ? « Adolescence et société » 8. Duparc F. (1986). Les paradoxes de l ’ ident ité. Psychanalyse à l’ Universit é, 44 : 665-678. 4 Gutton article pour le politique n° corr ections r entrées le 8/05/09, 8000 car ac. soit 3/4 pages Gutton article pour le politique n°68 Okpour quarkXpress 20/05/09 8000 car ac. soit 3/4 pages (Erikson) seraient un débat classique de la relation contradictoire entre sujet et assujettissement si un engagement à risques dans sa paradoxalité ne s’ y expérimentait. Dans le numéro présent, sont travaillés les liens sociaux de ces débutants et les aliénations sociétales grossières et raffinées. Sachons que le choix exclusif monoïdéique d’ une des deux lignes de force est une injonction paradoxale qui disqualifie l’ autre et provoque des clivages identitaires. Emp runtons un exemple chez S. Lesourd9 d’ une disqualification subjectale sous l’ effet d’ intenses p ouvoirs sociaux. L’ auteur résume le discours d’ un jeune des quartiers trois fois aliéné par le nom d’ origine étrangère, l’ adresse dans la cité et la jeunesse : « Ça ne sert à rien que je cherche du travail. » Au lieu de s’ engager dans un travail psychique identificatoire, il est entièrement saisi par la situation ; il est envahi par le « système pourri », ghettoïsé, exclu de sa créativité. Assujetti aux excès d’ injonctions paradoxales du pouvoir, il ne peut qu’ être victime (objet, déchet) ou/et p ersécuteur10. Cet adolescent malheureux ne doit néanmoins pas être pris comme exemplaire de la classe d’ âge tout entière. Si l’ adolescent aujourd’ hui a changé de façon intéressante et continue à changer, serait-ce le fait de l’ imprégnation par l’ évolution sociétale? La plupart d’ entre nous le pensent. L’ ambiance démocratique avec ses interactions hiérarchiques facilite partage et reconnaissance ; si l’ autorité insp ire la création 9. Lesourd S. (2007). La mélancolisat ion du sujet post -moderne. Cli ni ques méditerranéennes, 75 : 13-26. 10. Je li sais récemment la déclarat ion incroyable de Roselyne Bachelot, mi ni stre de la Santé : « P as d’ alcool pour les mi neurs. C’ est clai r, c’ est si mpl e. » Plus qu’ une signifi cation, le chercheur que j e suis, considère ce propos comme d’ une évidente inexactitude (cf. les travaux de Marie Choquet à L’ INS ER M), et le clinicien comme une provocation contre-productive. 5 Gutton article pour le politique n° corr ections r entrées le 8/05/09, 8000 car ac. soit 3/4 pages Gutton article pour le politique n°68 Okpour quarkXpress 20/05/09 8000 car ac. soit 3/4 pages intersubjectale, le pouvoir l’ assèche douloureusement. Sur tous les thèmes institutionnels ici traités le concept de déconstruction de M . F oucault et surtout de J. Derrida est présent, soup çonné, dirais-je esp éré… afin que l’ adolescent soit moins un acteur de scenarii imposés et fixés ; qu’ ils soient certes appris, mais d’ abord s’ inventant. Il est assurément plaidé dans ce numéro en faveur d’ une démocratie affinée, lieu de confrontations intergénérationnelles. 3 - La Revue Adolescence s’ intéresse à cette paradoxalité. Parlonsen…, l’ adolescent comme tout être humain vit de se raconter librement des histoires… L’ université en fit une discipline nommée « psychosociale » d’ une épistémologie comp lexe. Ce qui m’ intéresse est le trait, le tiret entre les deux ap pellations bien différenciées afin que l’ interdisciplinarité soit possible entre psychanaly se et institution. Les concepts obligatoirement intermédiaires doivent permettre (au-delà de la description) une analy se des phénomènes en faisant app el (recherche oblige) à deux définitions comp lémentaires et contradictoires impliquant chacune leurs lignes dy namiques. Procédure qui se méfie, je l’ espère, des raisonnements causalistes même pluri causalistes ; affaire de débats, mises en doute, consentements et contradictions : comment une originalité est-elle partageable et se partage-t-elle ? Le constat de lien paradoxal justifie et nécessite la confrontation (non p as la polémique) mais le dialogue, une philosophie de l’ écart. L’ institution y est étayante et résistante à la fois. L’ enjeu n’ est-il pas p our l’ adolescent de pouvoir « traduire-détraduire » le système des signifiants (de ce que l’ on nomme aussi le lien social), système pré-existant ne sachant guère lui-même ce qu’ il signifie. Une illusion n’ est créatrice que si elle passe par des désillusions (D. W. Winnicott). 6 Gutton article pour le politique n° corr ections r entrées le 8/05/09, 8000 car ac. soit 3/4 pages Gutton article pour le politique n°68 Okpour quarkXpress 20/05/09 8000 car ac. soit 3/4 pages Certaines similitudes hâtives sont p orteuses de confusions incessantes dans les médias passés et contemporains et également dans les travaux scientifiques dont la Revue recueille les p ublications. Ainsi une histoire de l’ adolescence se révèle être pour une grande part celle de la jeunesse11. « Délinquant » est-il un sigle ? M éfions-nous des rapprochés de facilité, des masques, des métonymies. Il est ainsi utilisé des symboles de géograp hie humaine : « adolescents en banlieue » (l’ injonction paradoxale serait de dire « des » banlieues), en collège, en famille monoparentale, etc. L’ institution se théorise à tort comme cadre ou contenant externe individuel ou groupal lorsqu’ elle est (tel l’ environnement dans la p ensée de D. W. Winnicott) à la fois interne et externe ; le Surmoi « des masses » est aussi comp étent en interne que le Surmoi individuel. L’ adolescent vit, comme plus d’ un autre, en division avec cette institution interne que constitue le langage. Un numéro p rochain sera consacré au politique dans l’ inconscient : p récisément comment le psychanalyste en tient grand compte dans la cure des adolescents 12. 4 - L e présent numéro est centré sur le socio-politique contemporain (idéologie et stratégie concernant les jeunes) : injonction porteuse de formidables contradictions ingérables : valorisation et attaque de la jeunesse (destructivité et répression), p acification et lutte des classes d’ âge, délinquance ou/et victime, valorisation de la création et exigence de conformité consentante… Les institutions qui seront examinées successivement sont impliquées en raison de leurs fonctions sécurisantes 11. T hi ercé A. (1999). Hist oi re de l’ adol escence. Paris : Belin. 12. Je pense à ce propos que l a psychanalyse est un appareil théorique qui a montré sa pertinence pour réfléchir la cure des adolescents… au défi du ti tre surprenant d’ un récent Congrès parisien sous forme d’ une i nt errogation sembl ant effacer un petit siècle d’ expéri ences cl iniques publiques : « La psychanalyse de l’ adolescent existe-t-ell e ?… en clinique et en théorie » . 7 Gutton article pour le politique n° corr ections r entrées le 8/05/09, 8000 car ac. soit 3/4 pages Gutton article pour le politique n°68 Okpour quarkXpress 20/05/09 8000 car ac. soit 3/4 pages (aujourd’ hui si intriquées au socio-judiciaire), leurs fonctions éducatives et pédagogiques 13, leurs pratiques sanitaires enfin. Nous avons à l’ esprit les menaces de la disqualification p ossible de la créativité adolescente ; pire, nous nous demandons si, dans certains secteurs plus moins bannis parce que p récaires, « un espace-temps privé jeune pour faire son adolescence » est encore présent, actuel ou se trouve-t-il impossible car méconnu, exclu, dénié, forclos. Dans ces cas extrêmes, l’ adolescence désarrimée impose au jeune citoyen un clivage identitaire redoutable le jetant dans la souffrance et la violence, la soumission dépressive et la révolte (à titre individuel ou dans des regroup ements). La p aradoxalité entre adolescence et société incite à des débats concernant les connaissances scientifiques de plus en plus approfondies (avec des ouvertures théorico-cliniques) dans un « esp ace éthique commun » aux valeurs démocratiques avec une mutualité de confiance bannissant toute affirmation absolue, la méconnaissance du sujet y relevant de ce que Jacques Attali14 résuma comme « le devoir d’ intolérance à l’ intolérable ». Je fais le vœu que les projets gouvernementaux actuels tiennent moins compte des idées reçues médiatiques et p lus des travaux scientifiques : ainsi à titre d’ exemple que le « toujours plus nombreux, plus jeunes et plus violents : tels sont les mineurs délinquants » soit corrigé régulièrement par les statistiques disp onibles de la police et de la justice et soumis aux groupes de recherches sur la sécurité. 13. Dans la philosophi e de l’ école, l e centre est -il l’ adol escence (Li onel Jospin) ou la t ransmission du savoir (Luc Ferry) ? e 14. Dans le VII forum, 29 octobre 1995, Le Mans. C ompte rendu dans L e Monde du 2 novembre 1995. 8 Gutton article pour le politique n° corr ections r entrées le 8/05/09, 8000 car ac. soit 3/4 pages Gutton article pour le politique n°68 Okpour quarkXpress 20/05/09 8000 car ac. soit 3/4 pages « Les faits n’ existent p as c’ est l’ esprit qui pense et construit les faits » disait volontiers Raymond Aron. Parlons des faits en croy ant, quand même, aux effets politiques d’ une parole. Phil ippe Gutton Directeur de la Revue Adolescence Si te de la Revue Adolescence : htt p: //adolescence.free.fr 3, av. Vavi n 75006 P aris, France greuppado@cl ub-i nt ernet.fr 9 Gutton article pour le politique n° corr ections r entrées le 8/05/09, 8000 car ac. soit 3/4 pages