La remorque de Jupiter, pourquoi
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La remorque de Jupiter, pourquoi
Une nuit, dans un cimetière, deux croquemorts s'attèlent aux derniers préparatifs d'un enterrement. Le cercueil est clos, à jamais. Témoin de l’évènement, un conteur évoque la mort : un homme dévoré par des fourmis carnivores, une chute du quatrième étage ou encore un accident de voiture. Ces histoires le passionnent et l’amusent mais au fil des mots, il doute. De qui parle-t-il? De qui donc est-il en deuil? Plus loin. Il faut aller plus loin… Jacques Sternberg (Anvers, 17 avril 1923 - Paris, 11 octobre 2006), romancier, pamphlétaire, essayiste, journaliste et chroniqueur, préfacier, est l'auteur de romans et de nouvelles touchant à la sciencefiction et au fantastique. Le père de Jacques Sternberg était un diamantaire anversois d'origine polonaise mort en déportation à Majdanek. Jacques Sternberg commence à écrire dès l'âge de 19 ans et se tourne vite vers le fantastique et la science-fiction. Ses débuts seront difficiles. En 1946, il épouse Troudie, qui restera sa femme jusqu'au bout. La même année, naît leur fils, Jean-Pol, qui deviendra plus tard un écrivain, sous le pseudonyme de Lionel Marek. Il pratique le métier d'emballeur puis s'installe à Paris dans l'espoir d'être publié. Son patron lui dira : « Sternberg, bonne chance ; nous perdons un mauvais écrivain mais un grand emballeur ». En 1953, il publie son premier livre : La Géométrie dans l'impossible chez Eric Losfeld. Avec 1089 textes répertoriés à ce jour, Jacques Sternberg peut se targuer d'être le nouvelliste le plus prolifique du XXe siècle ! Après avoir participé en 1962, avec Jodorowsky, Topor et Arrabal, à la fondation de Panique, il fit beaucoup dans les années 1970 pour la diffusion et la reconnaissance de la nouvelle française des XIX e et XXe siècles, de la nouvelle étrangère aussi avec la série des anthologies Planète : Les Chefs-d’œuvre du fantastique, de l'épouvante, de la science-fiction, du kitsch, etc. Il a également écrit le scénario du film Je t'aime, je t'aime d'Alain Resnais. HISTORIQUE Tout a commencé en novembre 2009 du désir commun de rendre hommage à « Contes glacés » de Jacques Sternberg, un recueil d’histoires courtes, discipline dans laquelle l’auteur a excellé. Au sein de l’ouvrage, la science fiction et l’humour noir se rencontrent et les histoires sont regroupées par thèmes (les animaux, l’ailleurs, les lieux…). D’une lecture aléatoire et d’improvisations d’ambiances sonores, une forte complicité humaine et artistique s’est développée. Ce partage a précisé les compositions musicales, le choix des textes et leur symbiose. Une histoire est née. L’adaptation et la théâtralisation des contes se sont donc imposées, les mots sont devenus musique et la musique un personnage à part entière. L’idée d’une mise en scène est très vite apparue dans nos esprits enthousiastes et nous avons sollicité Paule Lainé. Aussitôt, un support audio a été créé pour la promotion de ce qui allait devenir le spectacle et pour une éventuelle diffusion radiophonique. L’équipe s’est ensuite agrandie avec l’arrivée de Guillaume Lefebvre pour la création lumière et la finalisation du décor, et d’Angélique Borniche pour la réalisation des costumes. Le 28 janvier 2011, à la suite d’une résidence au Théâtre en Seine de Duclair, nous avons présenté la première du spectacle, accueilli chaleureusement par le public. A cette occasion, une captation vidéo et photo a été réalisée par Jean-Luc et Georges Hauchard-Heutte. LE DECOR LE CERCUEIL Il illustre la réalité de l’action : tout se déroule une nuit dans un cimetière lors des derniers préparatifs d’un enterrement. Le défunt n’a pas conscience qu’il va être enterré. Cependant, le cercueil existe pour lui mais sa vision est différente. Croyant être observateur des évènements, il le manipule de manière désinvolte et l’utilise comme une table ou encore un fauteuil sans jamais se questionner réellement sur l’objet. Pour représenter ces divers « visages », le cercueil est modulable, ses deux parois frontales sont amovibles : ouvertes l’une après l’autre elles révèlent le fauteuil puis un canapé. Ainsi transformé, le capitonnage devient un endroit intime, confortable qui symbole de l’inconscience du personnage sur son état. Le couvercle du cercueil s’ouvre et devient un miroir sans tain derrière lequel des apparitions sont possibles grâce à un habile système lumineux. Cet espace désigne les moments d’errance les plus profonds dans la quête du personnage. Il évolue autour de l’objet comme dans un labyrinthe. Enfin, équipé de roues et de poignées, il est à l’image d’une remorque, une sorte de véhicule improbable, un vaisseau qui guide les âmes vers leur destin. LA RADIO Le spectacle est ponctué régulièrement par des « voix off » racontant d’autres histoires, une fréquence radiophonique d’un autre monde, impalpable et souvent inquisitrice représentée par une radio suspendue comme un astre (Jupiter ?). Implacablement elle guidera les pas du personnage dans son parcours intérieur, le ramenant sans cesse à l’ordre. Elle lui exposera peu à peu la réalité de son état avec la complicité des deux croquemorts musiciens qui semblent être à son service. LES ACCESSOIRES Ils représentent le dernier lien entre le personnage et la réalité, ils interviennent de manière anecdotique et apportent un côté surnaturel car ils sont utilisés dans les deux dimensions : aussi bien par les croquemorts que par le défunt. Le livre est un clin d’œil à l’imaginaire de Jacques Sternberg. Ce témoignage abstrait du passage de la vie à la mort est ce qui rattache le personnage à la réalité, mais peu à peu il s’en détache, constatant qu’il raconte son histoire et pas celle des autres. Ce livre sera « volé » par un des croquemorts et marquera le début de la prise de conscience du personnage. La lanterne est l’outil des croquemorts dans l’obscurité du cimetière et elle sera subtilisée également par le personnage lors de ses errances. Cet échange livre/lanterne est au centre de l’intrigue, il marque le début du doute et de l’acceptation de la mort. A présent éclairé, il n’est plus question de se raconter des histoires. LES MUSICIENS / CROQUEMORTS Ils sont tous deux vêtus de noir et portent des masques. Outre leur statut d’accompagnateurs sonores, ils sont la part de réalité de l’histoire, les croquemorts de l’enterrement qui accompagnent le défunt. Leur présence rappelle à chaque instant que toute l’action se passe dans un cimetière. Leurs interventions confirment l’introspection du personnage et se confondent dans les souvenirs de son agonie. Peu à peu la musique devient elle-même un protagoniste. Elle se rapproche du défunt, semble venir le chercher. Ces masques funèbres rappellent l’attitude digne des professionnels de la mort : une expression figée de compassion et de neutralité. Par leurs interventions, les musiciens soudent la réalité à l’imaginaire comme on construit un rêve. DAVID FOURDRINOY Il débute la percussion à Notre Dame de Gravenchon avec son père. Il obtient un Diplôme d’État de percussion en 2008 après avoir été l’élève de Ronan Quelen et Pascal Zavarro. Il enseigne maintenant à Déville lès Rouen et Grand Couronne. Il a travaillé le jazz et la musique improvisée avec Jean Marc Quillet, Rémi Biet, et Franck Tortiller. Il est également accompagnateur au CEFEDEM Danse de Normandie. IL joue dans des formations de jazz éclectiques telles que Beluga et le Webb. L’album [Vaïbz] réunit quelques-unes de ses nombreuses compositions. Récemment, il s’est produit avec Laurent Dehors et David Chevallier. Il a également enregistré pour la musique du film Le Bonheur de Pierre avec Pierre Richard et a participé à l’enregistrement d’un titre pour Nathalie Dessay. JULIEN MOLKO Enfant, il fait du violon au conservatoire, participe à une petite troupe de théâtre toute son enfance, puis s'essaye au saxophone vers ses 13 ans. Il part alors pour Paris, accepté à "l'American School", où il étudie et pratique le jazz au saxophone puis à la clarinette en passant par la flûte. Pendant ces sept années de vie parisienne, il participe à de nombreuses jam-sessions, rencontre de nombreux musiciens et participe à de nombreux projets over et undergrounds. Il se produit dans les principaux lieux du jazz : le Duc des Lombards, le Sunset, le Petit Journal Montparnasse. De retour à Rouen, il rencontre les "Vibrants défricheurs" dont il est maintenant membre actif, ce qui ajoute à ses capacités de jazzman et d'improvisateur une dimension plus large. Grâce aux musiques traditionnelles, il développe son jeu de clarinette et l'intègre à la plupart de ses groupes. Au gré de nombreuses rencontres, plusieurs projets sont maintenant en cours : le Dodeskaden Quartet (free jazz et compositions), le Jazz multicolore Bigband (Glenn Miller, Amstrong, musiques latines), le Wind Effect Bigband ( jazz Rock, HeadHunters, Depeche mode). La musique (note de David Fourdrinoy) L’aventure dans laquelle je me suis lancé se résume par ces questions : comment accompagner un texte en musique ? Quelles directions prendre ? L’enjeu était de créer un alliage entre deux mondes… Il fallait à mon sens comprendre la démarche de l’auteur pour pouvoir ensuite caractériser son univers. Jacques Sternberg avait cette particularité d’avoir une écriture très rythmée ! Contes Glacés est une œuvre stylistique parfaite. L’auteur joue avec les mots, et avec le silence, c’est pourquoi ses histoires se prêtent si bien à la diction et à l’interprétation. Au début de notre rencontre, les séances d’improvisation m’ont permis d’appréhender les grandes thématiques du texte. J’ai également tenu compte du fait que les mots sont avant tout des sons. La musicalité des phrases dans la « spatialité » a orienté totalement mes choix esthétiques. Il m’a fallu trouver un compromis qui atteint finalement son climax dans les moments de silence. Notre complicité musicale et la qualité de notre écoute mutuelle m’a beaucoup inspiré. Mon écriture devait être alors un contre-chant, à la manière d’un poème harmonique. Tout l’univers sonore n’est pas figé, cette liberté apporte une spontanéité sans égale sur la scène contrastant avec les moments « millimétrés ». Les thèmes écrits, simples et très accrocheurs servent le texte et le nourrissent sans l’étouffer. Ainsi, on peut goûter à une musique emprunte de classicisme et de jazz. En y mêlant l’improvisation libre, on obtient un métissage culturel qui illustre parfaitement la personnalité complexe du personnage, une musique proche de la folie. Dans l’esprit, nous sommes un trio de jazz des années 60. Le rôle d’accompagnateur, de bassiste, et de « leader » ne cesse de transiter de l’un à l’autre. C’est un clin d’œil aux célèbres formations qui ont traversé cette fin de siècle. Note de Benoît Chrétien Egaré sur une étagère oubliée, « Contes glacés » s’est montré à moi presque par hasard. Les premières lectures et mon envie de raconter des histoires m’ont conduit à l’adaptation pour le spectacle vivant de ce recueil. Après quelques essais sans suite, j’ai laissé l’idée de côté jusqu’à la proposition de David de créer La remorque de Jupiter. Nous avons choisi les textes ensemble et je les ai adaptés en prenant soin de les découper pour privilégier l’histoire à la narration, c'est-à-dire garder « l’essentiel » pour optimiser la transmission orale. J’ai toutefois conservé la prose si personnelle à l’auteur. Mon rôle a beaucoup évolué, commençant par lecteur puis conteur des histoires. La chronologie des textes et le fil conducteur qui se sont peu à peu imposés à nous m’ont permis d’affiner ma place et d’entrer finalement dans un jeu d’acteur. L’arrivée de Paule dans le projet m’a définitivement éclairé sur les caractéristiques émotionnelles de mon personnage. Je suis devenu alors le témoin amusé d’un enterrement qui devient le conteur sceptique d’histoires qui forment en réalité sa propre histoire…sa propre mort. Benoît CHRETIEN est un musicien, compositeur et comédien rouennais. Ses premières expériences musicales s'accomplissent à la guitare et au chant au sein de formations musicales rock. Il suit des cours de guitare à l’école d’improvisation de jazz de Mont St Aignan et avec différents professeurs… De manière plus autodidacte, il étudie la guitare basse, la batterie et les percussions. En 1999 il découvre l'improvisation libre, en 2000 il monte avec d'autres musiciens le groupe jazz rock progressif : MADOLOMA SONOMA dans lequel il s’initie à la composition. Il étudie également le sax-horn avec Francis Donadini et intègre peu après le « MESNIL ASSOCIATIVE BIG-BAND » (dirigé par Francis Donadini). Il y joue du saxhorn et chante par la suite avec l’orchestre, le répertoire de Frank Sinatra et de Nat « King » Cole. Chanteur puissant et charismatique, il se lance dans la pratique du théâtre (« Le grand Albert » théâtre musical masqué par la compagnie "Le trait d'union" en 2002). Attiré par la pluridisciplinarité, il compose diverses ambiances sonores pour des spectacles de contes ("A travers contes" de 2000 à 2003), de danse contemporaine (compagnie de "L'en dehors" de 2004 à 2005), de théâtre (compagnie "L'eau qui dort" de 2004 à 2007). C’est en 2008 qu’il crée son premier spectacle, LA FONTE DES GLACES où il compose, pour quatre musiciens, une pièce d’une heure accompagnée par de la danse et de la vidéo. Il chante depuis quatre ans dans les groupes PEEBLE (Funk rock) gagnant du tremplin « Blues de Traverse » 2009 à Cléon et NATRIO (jazz). Il a récemment réalisé la musique d’une adaptation de « Alice aux pays des merveilles », de « Il était une fois…et après ? », spectacle jeune public (commande de la ville d’Issy les Moulineaux) et a participé à la création sonore de la pièce « Le diable en partage » par la compagnie parisienne « Les sans chapiteau fixe ». Note d’intention de Paule Lainé (mise en scène) Après avoir œuvré quelques mois sur le spectacle « La remorque de Jupiter », Benoit Chrétien a fait appel à moi dans le but d’avoir un regard extérieur sur un travail déjà bien entamé. En effet, les contes de Sternberg étaient déjà sélectionnés et adaptés, la musique était composée et la scénographie faite. Mon travail consista donc, dans un premier temps, à écouter et regarder. Je me suis immergée dans l’univers sonore, visuel et formel des trois artistes, afin d’y capter leurs envies, leurs sensibilités et de les restituer à travers une mise en scène qui devait, à mon avis, respecter le sens de ce travail. Dans un second temps, nous avons travaillé essentiellement la direction d’acteurs. Des personnages étaient déjà imaginés, aussi bien pour les musiciens que pour le conteur : Avec les musiciens, qui dans la pièce sont des croquemorts, nous avons trouvé un corps, une démarche, des attitudes. Il s’en dégagea un rythme, évidement par le fait qu’ils jouent de la musique mais aussi par la lenteur de leurs déplacements, la sureté, l’efficacité de leurs gestes et aussi par le poids de leur silence. Pour le conteur, nous avons travaillé, à l’inverse, sur les états émotionnels. Il ne s’agissait pas de composer un personnage mais de le vivre au plus proche de soi, de ses sentiments. Le but étant d’aborder le personnage par sa sensibilité afin d’atteindre une justesse dans la diction des textes, dans le débit également. Un travail rythmique se poursuivit sur l’imbrication des textes « contés », « musicaux » et « corporels ». Un véritable travail sur l’espace s’engagea. Cet espace étrange où le conteur surgit de son cercueil comme d’un vaisseau spatial abandonné quelque part dans un no man ’s land, dans un « entre-mondes ». Cet espace où se dessine son cheminement ultime vers la destination finale: la mort. Une relation entre les trois personnages se tisse, les croquemorts devenant plus présents scéniquement, à mesure que le conteur avance vers la mort. Une unité se dégagea de tous ces éléments : personnages, conteur, musique, texte, espace scénique. C’est ainsi qu’un travail dramaturgique s’enclencha, le fond passant par la forme et la forme par le fond. La trame du spectacle se renforça. Un fil conducteur relia les contes entre eux : La prise de conscience par le conteur de son décès ! Ainsi, la forme du spectacle évolue du conte vers le théâtre, du passé vers le présent, du raconté vers le vécu sur l’instant. Le conteur devient personnage. Traversé d’émotions de tout son « vivant », ce personnage ne devient, à la fin de la pièce, qu’un corps silencieux jouant de la guitare, rejoignant ainsi le monde des croquemorts, le monde des morts. LA REMORQUE DE JUPITER Adaptation : Benoît Chrétien Mise en scène : Paule Lainé Musique : David Fourdrinoy Lumières : Guillaume Lefebvre Costumes : Angélique Borniche La remorque de Jupiter est inspiré de « Contes glacés » de Jacques Sternberg (avec l’aimable autorisation des ayants droit et des éditions Mijade). Ce spectacle à partir de 12 ans est adaptable à toutes formes de lieux (théâtre, bibliothèques, chez l’habitant etc…). La qualité littéraire des textes le rend également approprié pour des séances scolaires (collèges, lycées). Pour plus de renseignements concernant les tarifs et conditions, nous contacter : Benoît Chrétien 06 64 37 82 11 [email protected] Crédit photo : Georges Heuchard-Heutte et Angélique Borniche www.myspace.com/la_remorque_de_jupiter