Note documentaire LA CULTURE # Cicéron À l`image d
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Note documentaire LA CULTURE # Cicéron À l`image d
Note documentaire LA CULTURE # Cicéron À l’image d’un champ, l’homme ne saurait être fécond sans culture Ces vers d’Accius sont faux : On aura beau semer du bon grain dans la pire des terres, Sa qualité naturelle le fera produire de lui-même ; Un champ si fertile soit-il ne peut donner des fruits sans être cultivé ; un esprit sans éducation non plus, l’un ne pouvant, dans chacun de ces deux domaines, se développer sans l’autre. Or la philosophie est la culture de l’âme : elle en extirpe les vices jusqu’à la racine, la prépare à recevoir la semence, lui confie et – comment dirais-je ? – plante en elle des graines qui, parvenues à maturité, donneront des fruits en abondance. Cicéron, Les Tusculanes (II), Ier siècle avant J.-C. # Kant La culture est l’artifice qui permet à la nature de l’homme de s’épanouir pleinement Ce n’est que dans la société, et plus précisément dans celle où l’on trouve le maximum de liberté, par là même un antagonisme général entre les membres qui la composent, et où pourtant l’on rencontre aussi le maximum de détermination et de garantie pour les limites de cette liberté, afin qu’elle soit compatible avec celle d’autrui ; ce n’est que dans une telle société, disions-nous, que la nature peut réaliser son dessein suprême, c’est-à-dire le plein épanouissement de toutes ses dispositions dans le cadre de l’humanité. Mais la nature exige aussi que l’humanité soit obligée de réaliser par ses propres ressources ce dessein, de même que toutes les autres fins de sa destination. Par conséquent une société dans laquelle la liberté soumise à des lois extérieures se trouvera liée au plus haut degré à une puissance irrésistible, c’est-à-dire une organisation civile d’une équité parfaite, doit être pour l’espèce humaine la tâche suprême de la nature. Car la nature, en ce qui concerne notre espèce, ne peut atteindre ses autres desseins qu’après avoir résolu et réalisé cette tâche. C’est la détresse qui force l’homme, d’ordinaire si épris d’une liberté sans bornes, à entrer dans un tel état de contrainte, et, à vrai dire, c’est la pire des détresses : à savoir, celle que les hommes s’infligent les uns aux autres, leurs inclinations ne leur permettant pas de subsister longtemps les uns à côté des autres dans l’état de liberté sans frein. Mais alors, dans l’enclos que représente une association civile, ces mêmes inclinations produisent précisément par la suite le meilleur effet. Ainsi dans une forêt, les arbres, du fait même que chacun essaie de ravir à l’autre l’air et le soleil, s’efforcent à l’envi de se dépasser les uns les autres, et par suite, ils poussent beaux et droits. Mais au contraire, ceux qui lancent en liberté leurs branches à leur gré, à l’écart d’autres arbres, poussent rabougris, tordus et courbés. Toute culture, tout art formant une parure à l’humanité, ainsi que l’ordre social le plus beau, sont les fruits de l’insociabilité, qui est forcée par elle-même de se discipliner, et d’épanouir de ce fait complètement, en s’imposant un tel artifice, les germes de la nature. Emmanuel Kant, Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, 1784 (Cinquième Proposition). # Montaigne « Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage » Or je trouve, pour revenir à mon propos, qu’il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu’on m’en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ; comme de vrai il semble que nous n’avons d’autre mire de la vérité et de la raison que l’exemple et idée des opinions des usages du pays où nous sommes. Là est toujours la parfaite religion, la parfaite police, le parfait accompli usage de toutes choses. Ils sont sauvages, de même que nous appelons sauvages les fruits que nature, de soi et de son progrès ordinaire a produit : là où, à la vérité, ce sont ceux que nous avons altéré par notre artifice et détourné de l’ordre commun, que nous devrions plutôt appeler sauvages. En ceux-là sont vives et vigoureuses les vraies et plus naturelles vertus et propriétés, lesquelles nous avons abâtardies en ceux-ci, et les avons seulement accommodées au plaisir de notre goût corrompu. Montaigne, Essais, 1588 (Livre I, chapitre XXXI : « Des cannibales »). # Lévi-Strauss Critique de l’ethnocentrisme (le paradoxe du relativisme culturel – ou : paradoxe du barbare) Il semble que la diversité des cultures soit rarement apparue aux hommes pour ce qu’elle est : un phénomène naturel, résultant des rapports directs ou indirects entre les sociétés ; ils y ont plutôt vu une sorte de monstruosité ou de scandale ; dans ces matières, le progrès de la connaissance n’a pas tellement consisté à dissiper cette illusion au profit d’une vue plus exacte qu’à l’accepter ou à trouver le moyen de s’y résigner. L’attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu’elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions. « Habitudes de sauvages », « cela n’est pas de chez nous », « on ne devrait pas permettre cela », etc., autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson, cette même répulsion, en présence de manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères. Ainsi l’Antiquité confondait-elle tout ce qui ne participait pas de la culture grecque (puis gréco-romaine) sous le même nom de barbare ; la civilisation occidentale a ensuite utilisé le terme de sauvage dans le même sens. Or derrière ces épithètes se dissimule un même jugement : il est probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l’inarticulation du chant des oiseaux, opposées à la valeur signifiante du langage humain ; et sauvage, qui veut dire « de la forêt », évoque aussi un genre de vie animale, par opposition à la culture humaine. Dans les deux cas, on refuse d’admettre le fait même de la diversité culturelle ; on préfère rejeter hors de la culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit. (...) En refusant l’humanité à ceux qui apparaissent comme les plus « sauvages » ou « barbares » de ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de leurs attitudes typiques. Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie. Claude Lévi-Strauss, Race et histoire, 1952 (Chap. 3 : « L’Ethnocentrisme », « Folio-essais », p. 1922). # Lévi-Strauss Critique de l’universalisme abstrait (et de son principe évolutionniste) Sans doute les grands systèmes philosophiques et religieux de l’humanité – qu’il s’agisse du bouddhisme, du christianisme ou de l’islam, des doctrines stoïcienne, kantienne ou marxiste - se sont-ils constamment élevés contre cette aberration . Mais la simple proclamation de l’égalité naturelle entre tous les hommes et de la fraternité qui doit les unir, sans distinction de races ou de cultures, a quelque chose de décevant pour l’esprit, parce qu’elle néglige une diversité de fait, qui s’impose à l’observation et dont il ne suffit pas de dire qu’elle n’affecte pas le fond du problème pour que l’on soit théoriquement et pratiquement autorisé à la faire comme si elle n’existait pas. Ainsi le préambule à la seconde déclaration de l’Unesco sur le problème des races remarque judicieusement que ce qui convainc l’homme de la rue que les races existent, c’est l’ « évidence immédiate de ses sens quand il aperçoit ensemble un Africain, un Européen, un Asiatique et un Indien américain ». Les grandes déclarations des droits de l’homme ont, elles aussi, cette force et cette faiblesse d’énoncer un idéal trop souvent oublieux du fait que l’homme ne réalise pas sa nature dans une humanité abstraite, mais dans des cultures traditionnelles où les changements les plus révolutionnaires laissent subsister des pans entiers et s’expliquent eux-mêmes en fonction d’une situation strictement définie dans le temps et dans l’espace. Pris entre la double tentation de condamner des expériences qui le heurtent affectivement, et de nier des différences qu’il ne comprend pas intellectuellement, l’homme moderne s’est livré à cent spéculations philosophiques et sociologiques pour établir de vains compromis entre ces pôles contradictoires, et rendre compte de la diversité des cultures tout en cherchant à supprimer ce qu’elle conserve pour lui de scandaleux et de choquant. Mais, si différentes et parfois si bizarres qu’elles puissent être, toutes ces spéculations se ramènent en fait à une seule recette, que le terme de faux évolutionnisme est sans doute le mieux apte à caractériser. En quoi consiste-t-elle ? Très exactement, il s’agit d’une tentative pour supprimer la diversité des cultures tout en feignant de la reconnaître pleinement. Claude Lévi-Strauss, Race et histoire, 1952 (Chap. 3 : « L’Ethnocentrisme », « Folio-essais », p. 2223). # Taylor Le problème du multiculturalisme et la « politique de la reconnaissance » Toutes les sociétés deviennent de plus en plus multiculturelles et, dans le même temps, plus perméables. En fait, ces deux évolutions marchent de concert. Leur perméabilité signifie qu’elles sont plus ouvertes à des migrations internationales ; davantage de leurs ressortissants vivent la vie de la diaspora, dont le centre est « ailleurs ». Dans ces circonstances, il y a quelque chose de maladroit à répondre simplement : « Ici, c’est comme ça ! » Il faut pourtant faire cette réponse dans des cas comme l’affaire Rushdie, où le « c’est comme ça » recouvre des questions comme le droit de vivre et de parler librement. La maladresse naît du fait qu’il y a un bon nombre de gens qui sont citoyens tout en appartenant à la culture qui remet en question notre territoire philosophique. La difficulté est de concilier leur sens de la marginalisation sans compromettre nos principes politiques de base. Cela nous amène au problème du multiculturalisme tel qu’il est souvent débattu aujourd’hui, qui a beaucoup à voir avec l’imposition de certaines cultures sur d’autres, et avec la supériorité présumée qui détermine cette imposition. Les sociétés libérales occidentales sont jugées suprêmement coupables à cet égard, partiellement en raison de leur passé colonial et partiellement aussi parce qu’elles marginalisent des fragments de leurs populations originaires d’autres cultures. Dans ce contexte, la réponse « Ici, c’est comme ça » peut paraître rude et dénuée de délicatesse. Même si, par la nature des choses, le compromis est presque impossible en pareil cas (ou l’on autorise ou l’on interdit le meurtre), l’attitude que présupposé la réponse apparaît comme du mépris. Cette présomption se vérifie du reste le plus souvent. Nous sommes donc ramenés au problème de la reconnaissance. (…) L’exigence que nous examinons maintenant est de reconnaître, tous tant que nous sommes, la valeur égale des différentes cultures, c’est-à-dire non seulement de les laisser survivre, mais encore de reconnaître leur mérite. Charles Taylor, Multiculturalisme, différence et démocratie , 1992 (trad. D.-A. Canal, Flammarion, « Champs », p. 86-87).