« Ado d`cheval » ou Le Cheval : médiateur de la relation éducative

Transcription

« Ado d`cheval » ou Le Cheval : médiateur de la relation éducative
Ministère de la Justice
Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse
Lolita CAQUERET
Promotion 2012-2014
« Ado d'cheval »
ou
Le Cheval : médiateur de la relation éducative
Sous la direction de Thierry BRUGVIN, Sociologue.
Mémoire de titularisation aux fonctions d'éducateur de la
Protection Judiciaire de la Jeunesse
Master 1- Mention Sciences de l’Éducation
Spécialité « Travail éducatif et Travail social »
UFR Sciences de l’Éducation – Université Lille III
École Nationale de la Protection Judiciaire de la Jeunesse
Pôle Territorial de Formation Dijon
1
Sommaire
INTRODUCTION
p.4
CHAPITRE 1 :
p.7
UNE SITUATION EDUCATIVE QUESTIONNANT LE MODE DE PRISE EN CHARGE
I. Le cadre du stage : présentation
p.7
I.1. La Protection Judiciaire de la Jeunesse
p.7
I.2. L' UEMO d'AUXERRE
p.7
II. Présentation de la situation éducative
p.8
II.1. Le contexte
p.8
II.1.1. Le DAA : entre prescrit et réel
p.8
II.1.2. Les particularités du public pris en charge par la PJJ
p.10
II.1.3. L'équitation : une activité mobilisatrice ?
p.12
II.2. La description de la situation : un après midi au centre équestre
p.13
II.3. L'analyse de la situation éducative vécue
p.14
II.3.1. Un contact facilité
p.14
II.3.2. La naissance d'hypothèses de travail
p.15
III. Le positionnement des professionnels de la PJJ au regard de l'activité
p.16
III.1. Un projet éducatif porteur de sens
p.16
III.2. L'émergence de contraintes spécifiques
p.18
CHAPITRE 2:
p.21
LA RELATION EDUCATIVE DANS D'AUTRES DOMAINES
I. Dans le domaine du soin : l'Equithérapie
p.21
II. Dans le domaine du sport et de la culture
p.23
III. Quelques actions mises en place au sein de l'institution
p.24
CHAPITRE 3 :
p.27
LES APPORTS DE LA RELATION A L'ANIMAL DANS LA RELATION EDUCATIVE
I. Socialisation et Education
p.27
I.1. Les agents de socialisation
p.27
I.2. Le centre équestre : agent secondaire de socialisation
p.29
2
II. Des apports émotionnels et psychologiques pour l'adolescent
p.31
II.1. Le toucher relationnel
p.31
II.2.« Holding » et « Handling »
p.33
CHAPITRE 4 :
p.36
LE « MEDIA-CHEVAL » : UN ESPACE DE RENCONTRE POUR LE MILIEU OUVERT
I. De « l'entretien formel » à « l'entretien actif »
p.36
I.1. Le Faire-avec
p.36
I.2. L'art de créer du lien
p.38
II. La médiation éducative : un outil facilitant la relation
p.40
II.1. La médiation éducative
p.40
II.2. L'art du détour
p.41
II.2.1. Faciliter les échanges
p.41
II.2.2. Trianguler la relation éducative
p.45
CHAPITRE 5 :
p.50
METHODOLOGIE DU MEMOIRE
I. Déroulement de la recherche
p.50
II. Recueil et analyse des données
p.51
III. Points forts et limites de la méthodologie
p.53
CONCLUSION
p.55
BIBLIOGRAPHIE
p.58
ANNEXES
p.60
•
•
•
•
•
annexe 1 : Encart méthodologique
annexe 2 : Accord cadre PJJ-FFE
annexe 3 : Grille d'observation séance 1
annexe 4 : Grille d'observation séance 4
annexe 5 : Retranscription d'entretiens
3
INTRODUCTION
J’effectue mon stage de professionnalisation de deuxième année au sein du Service Educatif
de Milieu Ouvert (STEMO) de l'YONNE.
La situation du jeune Johan1 est prise en charge par l'Unité Éducative de milieu ouvert
d'Auxerre (UEMO). Lors des réunions de service, les nouvelles mesures ordonnées par les Juges
des enfants sont attribuées aux éducatrices par la Responsable d'Unité Éducative. La mesure
éducative concernant Johan m'a été attribuée le 10 Octobre 2013.
J'ai rencontré Johan, accompagné de sa mère Madame G, la semaine suivante, afin de leur présenter
la mesure que le Juge a ordonnée. Depuis cet entretien d'accueil, je me questionne. En effet, le
jeune a déjà manqué de nombreux rendez-vous et ne répond pas aux appels téléphoniques. Il reste
plusieurs semaines sans donner de ses nouvelles. Malgré les efforts notables de sa famille, le jeune
est en grande difficulté pour se mobiliser. En effet, Madame G l'encourage dans ses démarches afin
qu'il trouve une orientation car le jeune n'est plus scolarisé depuis Avril 2013 et n'est inscrit dans
aucun dispositif d'insertion.
Dans ce contexte, j'ai proposé à ce jeune de participer à des temps dans le cadre du Dispositif
Accueil-Accompagnement.
En effet, en 2010, la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) a créé ce dispositif appelé aussi
DAA. Selon la Circulaire d'orientation d'avril 2012 relative à l'action d'éducation structurée par les
activités de jour (AJO), il s'agit de « préconiser des pratiques qui renouvellent la qualité des prises
en charge, auprès des mineurs sans activités ».
Au sein de l'UEMO d'Auxerre, plusieurs activités voient le jour dans ce cadre depuis la rentrée
2013.
Passionnée par les animaux, j'ai proposé, lors d'une réunion de service, de monter un atelier autour
du Cheval et au sein d'un club hippique. L'éducatrice référente du DAA et moi-même avons
convoqué quatre jeunes dont Johan. À la surprise de l'équipe éducative, celui-ci a répondu présent à
la convocation et a participé avec entrain à l'activité.
À partir de ce moment, j'ai réalisé que cette proposition d'un « ailleurs » pouvait, peut-être, jouer sur
l'adhésion du jeune ainsi que sur son envie d'entrer en relation avec autrui.
1
Par soucis d'anonymat, tous les noms et prénoms de cet écrit ont été modifiés. Les jeunes composant le groupe que
j'ai observé sur plusieurs séances se prénommeront : Johan, Corentin, Angy et Valton.
4
Depuis 2005, j'ai travaillé en temps qu'animatrice en CLSH2 ou au sein de séjours de vacances. J'ai
passé mon BAFA au sein des CEMEA3 avec un approfondissement "Accompagnement des activités
équestres". C'est ainsi que j'ai passé de nombreux étés en tant qu'animatrice-poney avant de devenir
formatrice dans ce même cadre.
Étant moi-même cavalière et propriétaire d'un cheval, je sais combien cet animal est réactif et
sensible. Il est impératif pour l'approcher d'entrer en communication avec lui, d'accepter ses codes
et son caractère.
Je me demande si l'équitation, en tant que médiation éducative, pourrait être utilisée afin de faire
découvrir aux jeunes un certain nombre d'activités et de les accompagner vers une réinsertion
sociale.
Je me dis que, dans ce contexte, l'animal serait un moyen pour les professionnels d'entrer en relation
avec les jeunes difficiles à mobiliser afin d'initier un travail qui sera approfondi par la suite.
Toutefois, il est question de savoir comment amener les jeunes vers cette activité et de réfléchir aux
apports de celle-ci sur les prises en charge.
La découverte de mon sujet de recherche s'est faite progressivement. En effet, il a été
question pour moi dans un premier temps de faire partager une activité qui me plaît : l'équitation. Je
ne pensais pas qu'en mettant en place ce projet d'une demi journée, j'allais être assaillie d'autant de
questionnements et réflexions. En effet, je me suis rapidement demandée d'une part, pourquoi
Johan était venu à cette séance, et, d'autre part, pourquoi il n'a pas hésité, au centre équestre, à me
parler et à interagir sans difficulté. Était-ce le contexte particulier du club ? Était-ce l'animal ? Étaitce le partage d'un moment hors du cadre de l'entretien duel ?
Je me suis demandée ce que l'Activité venait induire chez ce jeune.
La relation d'éducation est souvent difficile à établir et si ce n'est pas un préalable à la prise en
charge, elle est un objectif.
Traiter de le médiation par le cheval nécessite de ne pas faire l'économie de nombreux
questionnements notamment concernant la création de conditions favorables aux échanges, de la
manière de créer un espace tiers ?
2
3
Centre de Loisirs Sans Hebergement
Centres d'entraînement aux méthodes d'éducation active.
5
Quels en seraient les enjeux ? Quels intérêts peut-on trouver à utiliser le cheval dans la relation
éducative ?
L'activité autour du cheval peut-elle être un média pertinent afin de délier l'espace d'angoisse qu'il
peut y avoir dans l'entretien duel ? J'ai donc formulé la question centrale suivante :
Comment la médiation par l'activité « cheval » peut-elle être un levier dans la prise en charge
éducative des jeunes dans un contexte judiciaire ?
Les bienfaits de l'équitation et de la relation au cheval sont désormais avérés concernant le handicap
(équithérapie...). J'aimerais pouvoir vérifier si la médiation par le cheval peut être vecteur de
changement dans le quotidien des jeunes pris en charge par la Justice Pénale. Sans être question
directement de la pratique : est ce que la relation à l'animal pourrait permettre aux jeunes de
découvrir de nouveaux sentiments et de nouvelles sensations, de mettre en œuvre des capacités,
d'interagir et d'agir sur leur développement identitaire... ?
Est ce que cette activité pourrait permettre de remobiliser certaines compétences, de mettre en
valeur des potentialités, de prendre conscience de leurs difficultés ?
Mon hypothèse générale est que la relation à l'animal concoure à l'amélioration du lien éducatif
et à la socialisation du jeune.
Je traiterai ce sujet en cinq chapitres. Le premier me permet de définir les termes utilisés et de poser
les bases de ma réflexion. Le deuxième chapitre expose ce qui se fait dans d'autres disciplines en
lien avec la notion de Relation éducative, avant de venir questionner la fonction d'éducateur dans
l'exercice de sa mission de socialisation dans un troisième chapitre. Le quatrième quant à lui me
permet d'interroger les ressources qu'il m'est possible de mobiliser chez ces jeunes qui rencontrent
principalement des difficultés d’intégration scolaire ou professionnelle et de faire un parallèle entre
la théorie étudiée et la pratique que je découvre sur mon lieu de stage.
Enfin, un dernier chapitre vient exposer le choix de la méthodologie de mon mémoire.
6
CHAPITRE 1 : UNE SITUATION EDUCATIVE QUESTIONNANT
LE MODE DE PRISE EN CHARGE DES JEUNES
I. Le cadre du stage : présentation
I.1. La Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ)
La Protection judiciaire de la jeunesse est une direction du Ministère de la Justice chargée de mettre
en œuvre les décisions des magistrats de l‘enfance. Le principe général qui fonde l’intervention de
la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) est celui de la primauté de l’éducatif sur le répressif.
L’ordonnance du 2 février 1945 pose également le principe selon lequel le mineur est un adulte en
devenir qui a encore besoin de grandir pour se construire. La PJJ prend en charge les jeunes de 0 à
18 ans et plus généralement les adolescents. Les établissements et services du secteur public de la
PJJ (à l’exception des services éducatifs des établissements pénitentiaires pour mineurs) constituent
des établissements et services sociaux et médicaux sociaux en application de l’article L 312-1 du
Code de l’action sociale et des familles.
A l'issue de la première année de formation, les éducateurs stagiaires sont désormais pré-affectés sur
une structure, afin d'effectuer un stage d'une durée d'un an.
I.2. L'Unité Educative de Milieu Ouvert d'AUXERRE
Depuis Septembre 2013, je suis pré-affectée au sein du Service Territorial Éducatif de Milieu
Ouvert de l'YONNE et plus particulièrement sur l'Unité Éducative de Milieu Ouvert (UEMO)
d'AUXERRE.
Le département de l’Yonne connaît une densité de population peu élevée et compte un nombre
important de petites villes et villages.
Le taux de chômage dans les différentes communes du département est supérieur à la moyenne
nationale4.
4
Information tirée du Projet de Service du STEMO Yonne de 2008.
7
Des particularités locales sont relevées par l'équipe éducative. En effet, nous avons affaire à une
population rurale, des familles parfois isolées... Le secteur est très étendu et la population souffre du
chômage. Il arrive également aux professionnels de rencontrer des jeunes dans l'errance.
Enfin, les magistrats d'Auxerre appliquent une « Tolérance 0 » sur les stupéfiants, souhaitant se
protéger de la région parisienne.
L'UEMO d'Auxerre compte 14 personnels :
•
1 directrice qui intervient sur les deux UEMO (Sens et Auxerre)
•
1 responsable d’unité éducative
•
1 assistante sociale
•
1 secrétaire administrative
•
1 psychologue qui intervient à hauteur de 80%
•
8 éducatrices dont une intervenant à 20% sur la classe relais de Migennes
•
1 éducatrice pré-affectée.
II. Présentation de la situation éducative
II.1 Le contexte
II.1.1. Le Dispositif accueil-accompagnement (DAA) : entre le prescrit et le réel
Dans la circulaire AJO précédemment évoquée, plusieurs éléments ont particulièrement retenu mon
attention. C'est le cas par exemple de certaines statistiques. En effet, il est noté qu' « environ 20%
des mineurs suivis par les établissements et services de la PJJ sont sans aucune activité et dans
l'évitement de l'adulte. Le DAA prévu dans cette circulaire renforce la lisibilité de l'action
d'éducation auprès de ce public ».
Ce constat m’intéresse car en plus de n'être inscrit dans aucun dispositif, la circulaire met en avant
le fait que bien souvent, ces mêmes jeunes sont dans l'évitement de l'adulte.
D'autre part, le texte officiel définit le DAA comme « une démarche globale et structurée par les
activités de jour auprès des mineurs hors des dispositifs de droit commun scolaires ou de formation.
Il a pour objectif de : retisser le lien relationnel favorisant l'action d'éducation auprès des mineurs
8
dans l'évitement, observer et évaluer leurs acquis et leurs capacités d'acquisition (compétences
sociales, scolaires, etc.), remobiliser et accompagner ces derniers dans leurs parcours à travers
des activités proposées au début de la prise en charge. »
Plusieurs éléments sont ici importants à souligner. C'est le cas de la notion de Lien relationnel à
retisser, de la question de la remobilisation et d'accompagnement dans le parcours des jeunes.
Enfin, la circulaire dispose : « La conduite des activités visant à la socialisation des mineurs repose
notamment sur l'expérience et le savoir-faire de professionnels de l'institution dans les
domaines : de la culture, du sport, de la santé, de la préparation à l'entrée en formation.... ».
Ce dernier point n'est pas sans importance car, effectivement, chaque éducateur est unique et exerce
le métier avec ce qu'il est : son histoire, sa personnalité et ses expériences propres. C'est ce que l'on
désigne couramment par l'expression : « identité professionnelle ».
L'absence de Johan aux divers entretiens planifiés, ainsi que sa présence lors de la séance de DAA
au centre équestre m'invite à me questionner sur l'adhésion des jeunes à la prise en charge
éducative. Je me dis alors qu'il faut que je trouve un moyen de créer ce lien éducatif en adoptant une
nouvelle pédagogie. La situation de Johan n'est que l'exemple qui a déclenché chez moi cette
réflexion. En effet, je me rends compte que nous sommes régulièrement confronté à cette question
d'adhésion et d'évitement de la relation.
La Circulaire AJO dispose qu' « il s'agit d'une démarche dédiée traduite notamment par l'attribution
de moyens humains dans les services concernés. » Pour autant, sur le terrain, les éducateurs qui
souhaitent inscrire leur pratique au sein de ce dispositif se retrouvent freinés par un certain nombre
de contraintes.
Tout d'abord, une majorité d'entre eux met en avant un manque de temps dédié à la mise en place de
projets. Ils sont d'accord avec l'idée de « faire du DAA » mais pas dans la situation présente. Afin de
mettre en place une activité « de façon satisfaisante », une éducatrice me dira qu'elle a « besoin de
temps à la fois pour penser son projet, se mettre dans l'écriture de celui-ci avant de le proposer au
reste de l'équipe et le construire ».
D'autre part, la question du budget est récurrente. En effet, les éducateurs se demandent comment
réussir à répondre à cette commande qu'est le DAA si financièrement il n'y a aucune aide. En ce qui
concerne ma structure, une collègue et moi-même, avons rencontré la représentante de la Fédération
Sportive et Culturelle Française afin de monter un dossier de financement. Ceci demande beaucoup
9
de démarches supplémentaires.
En milieu ouvert, les éducateurs doivent prendre en charge 25 jeunes. Chaque jeune pouvant avoir
plusieurs mesures, cela augmente le temps de travail nécessaire concernant leur suivi. Il est difficile,
sans décharge de mesures, de trouver du temps pour s'investir dans le DAA. Lors d'entretiens
informels, nombreux sont les éducateurs qui disent être intéressés mais ne pas pouvoir s'investir. Au
cours d'une discussion, une éducatrice me dira avoir énormément d'idées mais ne pas réussir à
trouver du temps au regard du nombre de prises en charge en cours.
D'autre part, il faut souvent composer avec le groupe de jeunes. En effet, il n'est pas anodin de subir
de nombreux retards ou nombreuses absences. Lors de ma première séance, quatre jeunes avaient
été convoqués et seulement deux se sont présentés. Pour autant le projet, qu'il soit vécu par 2 ou 10
jeunes, reste aussi conséquent à monter et à préparer en amont.
Enfin, le facteur qui complexifie réellement l'élaboration du parcours du jeune pris en charge par la
PJJ est celui de la dimension temporelle exposée plus tôt. En effet, notre action dépend d'une part de
la durée de la mesure et d'autre part, de la capacité du jeune à cheminer au sein des temporalités
institutionnelles. Les difficultés des jeunes, leurs blocages, leurs passages à l'acte concordent
rarement avec le fait de les inscrire dans les dispositifs de droit commun (années scolaires, cycles de
formation...).
La question qui se pose alors aux éducateurs est celle des possibilités d'accompagnement, de ce que
l'on peut faire avec les jeunes, le temps d'une mesure au sein du service, en ayant pour objectif la
construction du projet personnel du jeune et sa socialisation.
II.1.2. Les particularités du public pris en charge par la PJJ
Le public pris en charge par la PJJ présente un certain nombre de particularités. Après avoir
échangé avec ma tutrice lors de mes premières semaines de stage, je peux tenter de lister ces
particularités. En effet, elles se traduisent notamment par :
− des difficultés à se situer sur le plan familial, construire sa propre identité, trouver la bonne
distance par rapport à sa famille ou bien encore trouver des appuis au sein de celle-ci.
− un désintérêt pour les activités scolaires et/ou de formation ainsi que pour effectuer diverses
tâches afférentes au cadre de vie (nettoyage, rangement)
10
− des difficultés relationnelles avec l'autre : avec les adultes dont ils méconnaissent les rôles
ou places et qu'ils considèrent parfois peu ; et avec les autres jeunes lorsqu'ils ont du mal à
accepter les différences, à apporter et/ou à recevoir de la sécurité et du soutien dans le
groupe qui se traduit par des comportements excessifs (ex: domination, soumission ou
retrait) et des difficultés (troubles) dans les relations affectives et sexuelles.
− un développement personnel difficile
Les adolescents sous main de justice éprouvent souvent une absence ou une mauvaise image d’eux
ou encore des difficultés à se motiver.
J'ai pu observer que ces éléments peuvent alors se traduire par :
• un mal-être, des émotions de peur, d’anxiété
• un manque de confiance en soi et/ou sur la valorisation de soi
• des difficultés à donner du sens à sa vie, d’avoir des projets
• un manque d’activité, des difficultés à l’effort, des conduites d’échec
Certains peuvent aussi présenter des troubles réactionnels qui s’expriment par :
• des difficultés à assumer la frustration
• une non maîtrise de soi, passage à l’acte, violences et détériorations
• des troubles particuliers de la santé (sommeil, alimentation, conduites addictives, etc…)
• un rapport aux soins problématique (excès, dérobade)
Le public pris en charge par la PJJ se compose d'adolescents qui, pour la grande majorité, doivent
être particulièrement accompagnés afin d'être aidés à se remobiliser.
Pour donner un exemple vécu, c'est le cas d'Angy, dont la prise en charge est attribuée à une
éducatrice du Milieu Ouvert d'AUXERRE. Le jeune se décrit comme ayant beaucoup d'envies et de
projets mais ne réussit pas à les concrétiser. En effet, depuis sa descolarisation et sans demander
ouvertement de l'aide aux adultes qui l'entourent, il semble en recherche d'accompagnement pour
ses démarches d'insertion. C'est au cours de l'activité autour du Cheval qu'il me confiera, par
exemple, connaître des organismes de recrutement mais ne pas savoir comment faire pour les
contacter.
La mise en place des séances d'équitation permet de me confronter aux aléas des prises en charge et
des difficultés d'organisation de nos projets. En effet, si l'on projette une certaine évolution et une
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progression dans la pratique de l'activité, nous sommes confrontés à une difficulté, typique du
travail en milieu ouvert, inhérente au groupe de jeunes. Selon la période et le nombre de mesures
prises en charge par le service, le groupe que nous pourrons former risque d'être différent d'une
séance à une autre. La continuité se voit donc mise à mal.
Enfin, même si le groupe est constitué, nous sommes également confrontés à l'absentéisme. Les
jeunes faisant parti du DAA sont, comme le mentionne la circulaire, souvent dans l'évitement. Il
arrive donc assez fréquemment qu'ils ne soient pas présents le jour de l'activité.
L'éducateur doit composer avec tous ces éléments.
Je ne dois pas m'arrêter à l'absence d'un jeune et je dois rechercher les raisons qui l'ont amené à ne
pas se déplacer.
Le DAA a pour but de remobiliser les jeunes, il me paraît donc normal que ceux-ci ne s'inscrivent
pas directement dans cette démarche. Une fois de plus la notion de temps est à considérer dans
toutes ses dimensions.
De ce fait, chaque semaine est riche d'échanges et de discussions autour du panel d'actions possible
à mettre en lien avec les problématiques adolescentes que nous rencontrons au sein des prises en
charge.
II.1.3. L'équitation : une activité mobilisatrice ?
A ce stade de mes observations, une question me vient à l'esprit : L'activité équestre peut-elle être
utilisée afin d'être considérée comme mobilisatrice ?
Dans une situation éducative, il me semble que pour transmettre des savoirs il faut prendre le temps
de l'accompagnement. C'est pour cela que les professionnels parlent de ce « faire avec »-et non faire
à la place de- qui permet au jeune de devenir acteur de son projet. Ils considèrent alors que le fil
conducteur de l'activité serait : la construction d'un lien de confiance pour aller du « faire avec »
jusqu'à l'autonomie.
J'ai pu constater lors des séances auprès des chevaux que la présence de l'éducateur est
rassurante et que de nombreux jeunes apprécient la proximité et le regard bienveillant du
moniteur qui guette leurs progrès.
Les jeunes que j'ai emmenés avaient un point commun : ils sont peu sûr d'eux. Pour des jeunes qui
ont du mal à se concentrer ou à se motiver, la présence de l'adulte ainsi que sa constance vont jouer
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un rôle primordial.
Lors des séances d'équitation, les jeunes se sont souvent étonnés de voir que les éducateurs
rencontrés ordinairement au service pouvaient aussi être à leurs côtés pour vivre une
expérience nouvelle. Lorsque j'ai proposé à Johan de participer au DAA, je lui ai clairement
exposé mes objectifs : créer la Rencontre. Avec ses mots à lui il a pu me dire qu'il avait
effectivement besoin de temps et que le cadre judiciaire l'impressionnait, ce qui expliquerait
aujourd'hui, mais sans les justifier, toutes ses absences. À ce stade de la prise en charge
(entretien d'accueil) il me disait alors « je ne pense pas qu'un jour je serai assez à l'aise pour
vous parler de ma vie ». En tant qu'éducatrice j'espérais qu'il se trompe.
II.2. Description de la situation : un après-midi au centre équestre
Les jeunes étaient convoqués à 13h30 afin de pouvoir leur exposer le déroulement de la séance et de
réunir ensemble le matériel nécessaire à la pratique de l'activité.
A la surprise de l'équipe éducative, Johan est arrivé à l'heure et souriant. Je lui ai fait comprendre
qu'il était appréciable qu'il soit présent. Cette approche me semblait importante afin que le jeune se
sente en confiance. De plus, je me suis dit que s'il faisait l'effort de venir ce jour là, un travail
éducatif allait pouvoir se mettre en place.
Nous sommes donc partis avec un véhicule du service, l'éducatrice référente du DAA, le groupe de
jeunes et moi-même.
Au cours du trajet, nous avons fait le point sur ce que les jeunes connaissaient du cheval et sur leurs
premiers questionnements. Cet échange a permis à chacun de se présenter rapidement et d'exprimer
l'existence d'éventuelles appréhensions.
C'est le cas par exemple d'un jeune qui nous a livré avoir peur de se faire marcher sur le pied par le
cheval lorsque celui-ci se déplace ou encore d'un autre expliquant qu'il craignait de salir son « beau
jogging tout neuf ». Ces échanges, d'apparence banale, marquaient pour moi le début de la
médiation. En étant dans la voiture, le thème « cheval », nous permettait de questionner les uns et
les autres sur leurs idées, leurs peurs, leurs envies, sans qu'ils n'en détectent la moindre portée.
Une fois arrivés au club, nous avons rencontré le moniteur qui nous a fait visiter les lieux tout en
rappelant les règles de sécurité. J'appréhendais, en tant qu'encadrante, l'aspect très réglementaire de
l'activité. En effet, le nombre d'informations et de conseils donnés par le moniteur a de quoi rebuter
plus d'un adolescent. Pour autant, il semble que les jeunes aient entendu les consignes et ne se
soient pas sentis contraints par le cadre posé. En effet, nous avons à cet instant demandé au groupe
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si l'ensemble des informations avaient été entendues et les réponses positives se sont enchaînées :
« bah bien sûr, on n'est pas fous, on va pas prendre des risques non plus » ou encore « bah ouai c'est
logique sinon c'est dangereux ! »
Chaque personne présente (jeunes et éducatrices) a été chercher son cheval pour le ramener aux
écuries. Le pansage des chevaux a permis à chacun de prendre doucement contact avec l'animal et
d'échanger avec les autres. Cette première situation en présence de l'animal n'a pas été simple pour
tous les jeunes. En effet, pour certains, avoir un contact physique avec le cheval est stressant voire
angoissant. J'ai noté sur mes grilles d'observation5 par exemple, que faire le pansage du cheval
pouvait être vécu difficilement. En effet, Valton me dit lors de sa première séance : « j'ai pas à le
laver » ou encore « je suis pas sa mère »...
Après une heure de préparation, le moniteur nous a menés au centre de la carrière afin de nous
mettre en selle et de marcher au pas à cheval. Les exercices sont restés succins afin de valoriser les
jeunes sur leur attitude et leur complicité avec le cheval.
Une fois la séance terminée, un temps était prévu pour que chacun s'occupe de son cheval avant de
réaliser, avec le moniteur, un debriefing.
Toute personne ayant participé à l'activité a pu prendre la parole, quel que soit son statut.
De retour au service, ce fut l'occasion de prendre un verre de jus de fruits dans les locaux de la PJJ
et de raconter aux autres éducatrices le déroulement de cette première séance au club, avant que
chaque jeune ne reparte.
II.3. Analyse de la situation éducative vécue
II.3.1. Un contact facilité
Inviter un jeune à ce qu'il soit dans l'échange, lui demander qu'il nous livre son histoire ou que la
famille nous décrive, par exemple, son comportement, est une étape nécessaire pour la meilleure
compréhension de son parcours personnel. Cependant, de mon point de vue, lorsque la situation est
telle que le jeune n'adhère pas du tout au suivi ou que celui-ci est ponctué de nombreuses absences
aux rendez-vous, il est important de pouvoir trouver un autre moyen de créer ce lien éducatif
nécessaire à la prise en charge. La pratique d'activités, en dehors du cadre formel de l'entretien,
5
Annexes 3 et 4
14
offre un espace différent afin que la relation entre le jeune et l'éducateur soit facilitée.
De plus, je pense que le corps peut nous dire de nombreuses choses sur les émotions, les ressentis et
sur l'histoire propre des jeunes, qui ne se révèlent pas toujours lorsque l'on passe par la
verbalisation.
C'est en cela que j'émets l'hypothèse selon laquelle l'activité autour du cheval peut être un média
pertinent afin de délier l'espace d'angoisse qu'il peut y avoir dans l'entretien duel.
Le site officiel de la Fédération Française d'équitation 6 précise que la rencontre avec le cheval incite
à poser un nouveau regard sur soi et sur les autres et à découvrir une nouvelle façon d'entrer en
relation. Pour la Fédération, le cheval est neutre, authentique, ne porte pas de jugement mais perçoit
très finement les émotions des personnes en présence et y réagit par son comportement.
Cet animal invite donc à être attentif, à renouer avec ses sensations, ses émotions : ce qui constitue
un premier pas vers leur expression par les mots.
II.3.2. La naissance d'hypothèses de travail
Lorsque la prise en charge nous « échappe », les médiations par le biais d'activités peuvent
permettre aux professionnels d'être avec le jeune, autrement que dans une pièce au cours d'un
entretien.
Nous pouvons considérer que si Johan, pour garder cet exemple, ne s'est pas rendu aux divers
entretiens programmés précédemment, c'est qu'il fuit le suivi éducatif. C'est un jeune qui semble
être dans l'évitement. Ce mécanisme de défense lui permet de ne pas se trouver face à une situation
qu'il redoute. Il me dit d'ailleurs lors de l'entretien d'accueil avoir imaginé ne pas répondre présent
au rendez-vous car il « appréhendait la rencontre avec la Justice ».
Parler des peurs ou angoisses n'est pas simple pour n'importe quel individu. Nous savons qu'au
cours de la période adolescente, les jeunes sont en perte de repères et souvent mal à l'aise avec
l'image qu'ils peuvent donner d'eux. Se livrer est donc d'autant plus redouté.
Pour autant, lors de la première demi journée au centre équestre, Johan a su exprimer ses craintes
quant aux réactions de l'animal ou nous dire quand il se sentait hésitant, de peur de mal faire. Sans
le média mis en place ce jour-là par le biais du Cheval, le jeune n'aurait sans doute pas osé, face au
groupe et en présence de trois adultes, avouer et exposer ses appréhensions.
6
Www.ffe.com
15
La création du lien éducatif n'est pas un préalable à la prise en charge. Pour autant, sans ce lien, il
est difficile d'avoir une relation de confiance avec le jeune. Avant de vouloir connaître des éléments
de son histoire et de souhaiter qu'il se livre, un temps doit pouvoir être laissé au jeune et à sa famille
afin de prendre leurs marques au sein de cette nouvelle situation. La relation éducative ne se décrète
pas et l'éducateur n'a que la place que le jeune veut bien lui donner dans cet espace de rencontre.
J'imagine donc à cette étape de mon questionnement que certains jeunes ont besoin de plus de
temps que d'autres pour entrer dans cette démarche. La présence de l'adolescent au sein du groupe
pour partager un temps d'activité est une première étape franchie qui est lourde de sens. En effet, si
le jeune se déplace dans ce cadre, il laisse entendre la possibilité pour lui de surmonter son angoisse
de la rencontre avec l'éducatrice.
C'est sur la base de ces différents axes de travail que j'ai formulé l'hypothèse générale suivante :
La relation à l'animal concoure à l'amélioration du lien éducatif et à la socialisation du jeune.
III. Positionnement de professionnels de la PJJ
III.1. Un projet éducatif porteur de sens
Lorsque j'ai proposé à l'équipe de mettre en place une activité dans le cadre du DAA, les
professionnels du service ont trouvé que le projet était intéressant. Il semble donc important de
revenir sur ce que les collègues de l'UEMO pensent de la thématique développée autour du
« Cheval Médiateur de la relation éducative ».
Lors d'une réunion, nous avons fait le point sur les activités réalisées par le service. Cette étape m'a
aidé à comprendre le fonctionnement de l'équipe quant à ce dispositif et à observer les premières
actions conduites par l'éducatrice référente du DAA.
En effet, avant le mois de Septembre 2013, l'équipe se questionnait sur l'organisation matérielle des
activités et l'équipe de Direction regrettait que cela ne soit pas mis en place.
C'est dans ce contexte que j'ai proposé une réflexion en équipe autour de séances d'équitation, en
expliquant que je voulais bien m'impliquer dans ce domaine afin de débuter et impulser, avec ma
collègue référente, le DAA dans ce service.
16
L'ensemble de l'équipe trouve l'idée intéressante, pour autant, chaque personne a ses propres
ressentis et c'est ce dernier point qui m'a permis de concevoir et d'affiner les contours de mon sujet.
J'ai volontairement choisi un domaine dans lequel je suis à l'aise afin de ne pas me mettre en
difficulté lors de l'activité. Les objectifs quant à eux, n'avaient, à ce moment là, pas la teneur qu'ils
ont aujourd'hui. Je pensais intéressant de faire découvrir aux jeunes une nouvelle activité, sans nulle
autre prétention que proposer « un ailleurs ».
L'ensemble des personnels de l'équipe était favorable à la mise en place d'un partenariat avec un
centre équestre. L'idée d'emmener des jeunes pris en charge par le service, sur des temps repérés,
afin de pratiquer une activité sportive, a fait l'unanimité.
Pour autant, il n'est pas évident de mobiliser les collègues sur l'activité tant que celle-ci n'a pas
réellement fait ses preuves. C'est pour cela que le groupe, lors des premières séances, n'était
composé que de jeunes dont le suivi est pris en charge par l'éducatrice référente du DAA ou par
moi-même. Progressivement, la composition du groupe a évolué.
Je me rends compte au fur et à mesure du temps que la mise en place des ateliers a un certain
nombre d'exigences : temps, lieux, fréquence, espace... C'est ce que l'on pourrait nommer les
« normes internes ». Quand on fait sortir un groupe de l'institution ont vient alors ajouter les
« normes externes » : respect du nouveau lieu, du règlement interne de l'inscription, du paiement...
Enfin, pour des activités telles que le cheval se surajoutent des normes de sécurité particulières.
Selon Carole de l'Association Hippocampe7, « Cet extérieur est un déplacement, le contexte
différent ainsi que, souvent, la présence d'un animateur extérieur, permettent un recul et une vue
différenciée sur la prise en charge ».
En ce qui me concerne, je rajouterais que c'est aussi se donner les moyens d'avoir un retour différent
de la problématique du jeune.
Les activités, quel que soit le média utilisé, deviennent éducatives et contribuent au projet à travers
le respect d'un cadre spatio-temporel fixe dans l'institution.
Il paraît donc important de prendre en compte le travail fourni en dehors des séances, puisqu'un
nombre important de réunions, de bilans, d'écrits en découlent.
7
L'Association Hippocampe a pour but de favoriser les échanges et les informations concernant les pratiques
d'accompagnement, de relation d'aide, de soin et de thérapie avec les équidés.
17
III.2. L'émergence de contraintes spécifiques
Pour aborder les limites de cette activité, je pense nécessaire de faire le point sur les difficultés de
l'observation et d'exposer les enseignements que j'en ai tirés.
En effet, lors de mes précédents stages, le statut d'éducateur stagiaire n'a pas toujours facilité mon
observation. Le fait qu'une personne extérieure soit conviée aux entretiens et autres temps de la
prise en charge crée un effet non négligeable sur les personnes (jeunes, familles...).
En tant qu'éducatrice pré-affectée, j'ai en charge mes propres mesures. Je me sens, de ce fait, plus
légitime à intervenir et travailler avec les jeunes. Ce travail s'inscrit dans la durée et la relation peut
donc s'installer progressivement.
Pour autant, l'observation n'en est pas plus facilitée, elle est simplement différente. Désormais,
puisque j'ai moi-même en charge les mesures, je ne peux plus me contenter d'être observatrice. Je
suis constamment dans l'action et cette posture rend difficile la prise de recul. L'implication est plus
grande donc le manque d'objectivité s'en ressent parfois. C'est d'ailleurs le travail en équipe qui
vient pallier ce manque de recul.
Désormais, et dans cette situation particulière, je dois participer à la prise en charge, être avec les
jeunes lors de l'activité et en même temps, garder cette posture qui me permette d'analyser et
observer consciencieusement ce qui se joue lors de ces séances.
Au club, je vis l'activité avec les jeunes, tout en observant les comportements de chacun et les
interactions. De retour au service, je prends un temps pour noter ce que j'ai vécu et ce que je peux
relever comme éléments pertinents pour la prise en charge.
Plus tard, les notes prises à chaud sont relues et je me rends compte que dans l'écriture, des bribes
d'analyses apparaissent déjà. Je reviens alors sur les objectifs atteints ou non, à améliorer ou encore
sur des choses à modifier pour une prochaine séance. Il semble que ce retour réflexif soit utile pour
la prise en charge et permette d'observer le comportement du jeune et l'évolution de la relation
éducative.
Le fait de participer à ces activités a permis de créer une situation de travail différente de celle qui
aurait pu être présente si j'avais été en dehors du groupe à observer. Le simple accompagnement du
groupe est cependant possible mais le point de vue est alors différent.
De plus, les mises en situation que je m'attache à décrire sont des exemples type de cas dans
lesquels les entretiens formels créent une angoisse pour les jeunes.
18
Mon premier objectif a été d'utiliser la médiation comme un intermédiaire, pour établir une relation
avec Johan. Cette étape est, dans son parcours, comme un élément de progression concernant le
travail de socialisation qu'il a à faire.
A ce sujet, Carole affirme que «Ce n'est pas le cheval qui soigne mais ce qu'il nous apporte comme
support à la communication, à l'échange ».
Lorsque le cheval (médiateur) a un contact avec le jeune, cela permet aux professionnels d'entrer, à
leur tour, en communication avec lui. Mais l'objectif est bien plus grand. En effet, le but de cette
action serait que sur le long terme, le jeune se serve de cette expérience pour continuer les
démarches vers l'extérieur et pense à son insertion scolaire ou professionnelle.
L'éducateur est ici une personne qui tente d'établir un pont entre un être actuel, en devenir et un
environnement qui doit apporter sa contribution éducative. Je me rends compte que lors de mes
premières séances, je n'ai pas suffisamment impliqué les parents ou représentants légaux.
Le rôle de l'éducateur est de faciliter l'insertion sociale et l'adaptation du jeune à son environnement.
Pour autant, cela ne prend de sens que si nous impliquons, autant que possible, l'entourage du jeune.
Ainsi, le but est de maintenir un équilibre entre la société et le jeune afin de favoriser son
développement.
Pour exercer ce genre d'activités professionnelles, j'ai appris durant mon expérimentation qu'il est
nécessaire de prendre en compte : la réalité de l'institution, des collègues, et celle des jeunes auprès
desquels il s'agit d'exercer nos missions.
Je suis arrivée au sein de l'UEMO en Septembre avec l'envie de participer au DAA. En effet, au
moment de choisir mon lieu de pré-affectation, je me suis souvenue d'une conversation avec une
formatrice qui souhaitait savoir vers quelle structure je voulais me diriger. Lors de cette discussion
j'avais exposé ce qui m'habitait : partager des temps et des expériences de vie avec les jeunes. Ceci
s'explique sûrement par mes expériences professionnelles souvent au sein de collectifs d'enfants et
adolescents. Cependant, je lui avais confié avoir été agréablement « séduite » par la variété de
missions qu'ont les éducateurs de milieu ouvert. Mon parcours universitaire étant celui d'une juriste,
j'ai une appétence particulière pour les procédures, les audiences et les mesures judiciaires. J'aime le
cadre que pose l'intervention d'un éducateur PJJ au cours d'une mesure de Milieu Ouvert et la
continuité dans le suivi des jeunes. C'est ainsi que la formatrice a conclu la discussion : « je pense
que c'est clair, vous serez épanouie en tant qu'éducatrice PJJ si vous décidez d'aller en Milieu
Ouvert et que vous faites du DAA avec les jeunes ». Je pense que cette phrase m'a effectivement
aidée à m'orienter dans ma future professionnalité.
19
Arriver dans un contexte de « création » du DAA n'est pas chose aisée. Toute équipe a besoin de
temps afin de trouver une organisation et de monter les projets. Pour autant, j'ai pu en tirer de
nombreux enseignements. En effet, je vis actuellement le changement avec l'ensemble de l'équipe et
des jeunes en découvrant les étapes de mise en place d'activités.
Le fait de proposer le DAA – Cheval est un pari éducatif. En effet, le projet en lui même
m’intéresse énormément. Pour autant, la préparation et les démarches qui en découlent viennent se
rajouter aux diverses missions de l'éducateur de milieu ouvert. C'est le cas notamment des réunions
pour la mise en place d'un financement, de la rédaction du projet pédagogique ainsi que de sa
présentation à l'équipe, sans oublier le temps passé avec les intervenants et les jeunes.
En effet, il est à noter que la décision de fixer une date à plusieurs intervenants est très complexe. Il
faut réussir à trouver un moment où les deux éducateurs et le centre équestre peuvent se libérer, ce
qui devient parfois très contraignant. C'est ainsi qu'il arrive que les séances soient espacées de 4
semaines. Il semble opportun de relever cette difficulté au regard de la recherche pour l'équipe
éducative, d'une certaine continuité. En effet, plus les séances sont éloignées dans le temps, plus les
jeunes perdent leurs automatismes et leur aisance dans le club.
Ces éléments sont autant de limites à apporter à la mise en œuvre du projet. Je réalise
progressivement que la notion de Temps est très importante afin de réussir à organiser
convenablement mon emploi du temps. En effet, même en faisant preuve d'une forte motivation, les
envies et idées font parfois place aux doutes et au stress. Il faut pouvoir trouver des temps de
préparation ainsi que des moments où les jeunes, les éducateurs et les intervenants sont disponibles
pour vivre l'activité. Ce n'est pas toujours simple. Il semblerait plus confortable d'obtenir un
aménagement de poste comme le prescrit la circulaire afin que le professionnel se voie octroyer les
moyens nécessaire à la création de telles actions. Le texte prévoit, par exemple, une décharge
concernant le nombre de mesures (proportionnellement au nombre de jeunes inscrits).
La mobilisation de l'équipe sur le projet me montre combien la motivation est présente.
Si je participe activement à chacune de ces étapes, je pense que c'est aussi parce que je me sens
directement concernée. Je m'implique pleinement car les valeurs défendues sont les miennes mais
également parce que je m'y retrouve professionnellement.
20
CHAPITRE 2 : LA RELATION EDUCATIVE DANS D'AUTRES
DOMAINES
I. Dans le domaine du soin : l'Equithérapie
Selon la Société française d'équithérapie, « l'équithérapie est un soin psychique médiatisé par le
cheval et dispensé à une personne dans ses dimensions psychique et corporelle»8
L'équithérapie est aussi appelée hippothérapie. C'est une prise en charge thérapeutique,
complémentaire aux soins médicaux, qui prend en considération la personne dans son entité
physique et psychologique, et utilise le cheval comme partenaire afin d'atteindre des objectifs fixés
en fonction de la problématique repérée.
Les activités utilisant le cheval dans un cadre de soin sont nombreuses et diverses. Le soin pratiqué
peut être de différents ordres : acte médical ou kinésithérapeutique, acte psychothérapeutique, acte
psychomoteur, activité d’insertion ou de réinsertion...
Différentes appellations existent pour qualifier les diverses pratiques de soin faisant appel au
cheval, et sont sujettes à débat entre les professionnels.
Le terme thérapie avec le cheval ou TAC a été créé en France dans les années 1980, sous
l’influence de Renée de LUBERSAC9, afin de souligner l’importance du rapport de connivence
entre le cheval, le patient et le thérapeute.
Lors d'une séance au centre équestre, le moniteur m'a présenté Carole. Cette femme est cofondatrice d'une association10 au sein de laquelle il est question de regrouper les professionnels
travaillant avec le cheval et les personnes en situation de handicap, de souffrances durables ou
passagères.
Je me suis alors documenté sur la thématique. Dans un article11 paru dans le Lien Social, l'auteur
fait un focus sur l'historique de la relation de l'homme avec le cheval. Il explique que pendant des
millénaires, le cheval a été utilisé par l'homme comme outil de travail, machine de guerre ou moyen
de transport.
Ce n'est que depuis quarante ans, qu'il est employé à des fins thérapeutiques ou rééducatives. Selon
8
9
10
11
Société française d'équithérapie : www.sfequithérapie.free.fr
Renée de LUBERSAC est psychomotricienne
Association Hippocampe : www.fenouchka.wix.com/association-hippocampe
TREMINITIN J., Le cheval comme vecteur de la thérapie et d'insertion, lien social n°540, juillet 2000
21
l'article, ce support s'est avéré, au cours des années, un fabuleux moyen de reconstruction et de
réhabilitation de l'individu lui permettant de reprendre confiance en lui, de s'autonomiser et de
s'insérer dans la société.
Selon l'auteur, « Ce qui fait du cheval un instrument essentiel de médiation, c'est d'abord son
invariabilité. » En effet, le cheval impose ses règles au cavalier. Il n'y a alors plus de notion de
débutant ou expérimenté. Si les habitudes de l'animal ne sont pas respectées, le cavalier s'expose à
des situations allant parfois jusqu'au danger.
Au centre équestre, les jeunes sont souvent surpris par cette notion d'« invariabilité ». Ils
demandent alors au moniteur des réponses en comparant l'attitude du cheval et celle des
jeunes. Je me souviens d'une discussion au cours de laquelle Valton refusait de donner raison
au moniteur lui expliquant que même en cas de mauvais traitement, les chevaux restaient
parfois fidèles et soumis à l'homme. L'idée était alors insupportable pour le jeune d'imaginer
un cheval maltraité continuer à exécuter les demandes de l'Homme. Il disait « mais pourquoi
il se rebelle pas ? Faut pas se laisser faire c'est dangereux ! »
Certains sujets sont effectivement difficiles à aborder. Selon les problématiques, le cheval permet
des échanges sur une thématique qui serait tabou dans un autre contexte. Ainsi nous avons parfois
au cours des séances, des révélations. C'est le cas dans le dernier exemple, lorsqu'il a été question
de mauvais traitements. Le jeune a fait un parallèle avec sa propre histoire et a pu mettre en mots
ses ressentis. Pour autant, à aucun moment le jeune n'a eu l'impression de parler de sa vie au reste
du groupe.
De plus, le cheval est remarquable en ce qu'il induit une relation de confiance réciproque. Lors de
notre première visite au centre équestre, nous avions décidé de ne pas faire monter les jeunes à
cheval. Je souhaitais observer leurs comportements et susciter l'envie. Selon l'article précédemment
évoqué, des recherches ont pu démontrer que des sentiments comme l'anxiété ou la peur ( de
s'approcher, de tomber, de perdre le contrôle,...) ne font que refléter des angoisses inconscientes
déjà présentes chez le cavalier et qui resurgissent à l'occasion du contact avec l'animal. C'est sans
doute ce qu'il s'est passé lorsqu'Angy s'est approché d'un poney lors de la première séance, en
lui disant :« si tu fais pas des trucs bizarre, aucune raison que je fasse des trucs bizarre ».
L'auteur explique qu'ainsi, le cheval va devenir agressif, si son cavalier est agressif ou va réclamer
de l'affection si celui-ci est attentionné. Il s'établit alors une relation très particulière entre l'individu
22
et sa monture, « contraignant la personne a une vraie rigueur et une responsabilisation quant aux
soins à apporter ou au comportement à adopter ». Le bien-être du cheval est, au final proportionnel
au niveau de complicité et au degré d'entente avec celui qui le monte. Pour autant ce lien relationnel
n'est jamais acquis une fois pour toute (tout comme le lien relationnel jeune-éducateur d'ailleurs), il
faut toujours négocier, dans le calme et la patience, et maintenir la relation.
On comprend alors pourquoi thérapeutes et éducateurs font de plus en plus appel à la pratique de
l'équitation dans leurs interventions auprès des populations en difficulté.
Marguerite WEITH, psychothérapeute psychanalytique dans l'Est de la France s'est vu confier, fin
1997, par la Direction Départementale du Travail, un groupe de jeunes chômeurs en échec répétitif,
avec pour objectif de les remobiliser et de les remotiver. La thérapie mise en œuvre autour du
cheval et de la vie de groupe a permis aux personnes prises en charge de se reconstruire autour d'un
projet professionnel.
C'est le défi éducatif que je souhaite relever. Si l'expérience obtient des résultats positifs elle sera
reconduite.
II. Dans le domaine du sport et de la culture
Lors d'une étude menée en 1991 12 auprès de plusieurs institutions utilisant le sport en direction de
jeunes « en difficultés », des pistes ont pu être dégagées.
Dans tous les cas, les pratiques sportives sont intégrées aux projets des acteurs, avec pour visée :
•
soit la production de savoirs être relationnels, de développement personnel
•
soit la production de liens sociaux facteurs de réinsertion
L'étude met en avant la notion de « dérive » à laquelle il faut être vigilant lorsque nous avons, au
sein de nos projets, la mise en place d'une pratique sportive. En effet, le sport ne peut pas servir de
« recette » à l'acte d'éducation ou de socialisation. De ce fait, pour répondre à la question :
« comment et pourquoi le sport peut être un outil éducatif ou d'insertion ? », il ne faut pas aller trop
loin dans la recherche des vertus intrinsèques de ce sport (psychomotricité, socialisation,
insertion...) mais plutôt interroger le contexte général et particulier dans lequel se développe
l'activité.
12
Michel ANSTETT, C DEMETRIADES, DUBOUCHET : le sport comme moyen éducatif, préventif ou
thérapeutique, ADSSEA Savoie et jeunesse et sports, 1991
23
Cette remarque vient nourrir ma réflexion. En effet, au delà des « vertus intrinsèques », c'est bien la
question de l'environnement que je me suis posée. Lorsque j'ai commencé à interroger le média
éducatif, mon questionnement se posait en terme de « proposition d' un ailleurs ».
Pour Fabienne BOURDAIS et Jean-Patrick PIERRE13 « le sport peut jouer un véritable rôle éducatif
et favoriser le lien social ». Dans l'article intitulé Valoriser la fonction sociale et éducative du sport,
il semble que, de manière générale, le sport soit perçu comme une manière de « rassembler » des
participants, autour de valeurs communes.
Ces valeurs sont, selon les auteurs, celles de la République. Il est en effet question, dans tous les
sports, de respect de l'autre, de tolérance, d'égalité homme-femme, d'intégration. Selon eux, « toutes
ces valeurs se retrouvent dans l'apprentissage des règles de comportement et de vie en société qui
accompagnent l'enseignement du geste sportif. »
D'autre part, au cours de mes recherches, j'ai constaté, que le centre équestre pouvait être décrit
comme un site sportif, mais aussi un acteur du monde agricole14. Celui-ci est reconnu comme tel,
ainsi qu’un acteur économique de la distribution des pratiques sportives et culturelles.
Ce type d'établissement s'inscrit pleinement dans la vie économique et sociale.
D’un point de vue strictement économique, c’est une petite entreprise, et le support de quelques
emplois.
D’un point de vue social, l’établissement équestre est un lieu de vie habité tous les jours de l’année
et accueillant un public très diversifié.
III. Quelques actions mises en place au sein de l'institution.
Aujourd’hui, il existe des interventions à caractère social, permettant l’insertion ou la réinsertion de
personnes en situation précaire, incarcérées ou désocialisées. Selon le moniteur que nous avons
rencontré dans le cadre de notre activité, il est important d'organiser ces temps afin de permettre au
jeune de se repérer. L'activité permet alors de structurer ses actes, avec un commencement, un
temps fort et une fin. C'est aussi un apprentissage. Il permet l'intériorisation de normes et de règles
régulant la pratique.
13
14
BOURDAIS F. et PIERRE J-P, Valoriser la fonction sociale et éducative du sport, Cahiers dynamiques, 2005
Www.agriculture.gouv.fr
24
Lors de mes recherches, j'ai découvert une nouvelle expression développée dans un article : l'équiéducation.15
Il est dans ce cas question, dès le début des séances, de mettre en place les conditions pour que « la
magie de la rencontre s'opère ». Il s'agit de faire prendre conscience au public de leurs
responsabilités : il faut soigner le cheval et pas seulement « l'utiliser ».
Il est essentiel pour moi de prendre en compte l'importance de l'accompagnement. En effet, les
séances doivent être accompagnées d'un discours riche et adapté à chaque jeune. Au cours d'un
entretien avec un éducateur PJJ16, ce dernier m'a alerté sur le choix stratégique de l'intervenant. En
effet il dit : « il faut bien choisir l'intervenant ! Je pense qu'il faut qu'il ait un certain charisme un
certain savoir-faire avec les jeunes... ».
Cela passe également par une sensibilisation des professionnels du cheval aux problématiques des
personnes en difficulté. C'est pour cela que j'ai rencontré préalablement le moniteur et son
équipe, deux fois, afin de leur présenter le projet et le public que nous accompagnons.
Un moniteur quant à lui me confie que c'est « avant tout le plaisir qui prime ». L'article précité
confirme cette idée en précisant qu'il est question de plaisir « mais dans une véritable optique
d'éducation . Il ne s'agit pas d'une activité clés en main, de consommation ».
Je comprends alors que le but est que le jeune soit acteur au cours de cette situation éducative. Ceci
lui permet « d'appréhender l'animal et d'installer progressivement une vraie relation ».
De plus, l'article dispose que « l'équipe doit s'adapter aux demandes spécifiques, au niveau de
chaque public, de ses attentes et de la fréquence prévue des visites ». Au cours d'un entretien avec
une éducatrice participant au DAA, celle-ci me confie effectivement qu'il est parfois « compliqué de
caler les rendez-vous et d'avoir un même groupe de jeunes d'une séance à l'autre ».17
En ce qui concerne les activités mises en place au centre équestre dans le cadre du DAA et au
regard du public pris en charge par la PJJ, les séances doivent davantage consister en une approche,
en un contact avec l'animal qu'en véritables leçons d'équitation. Il est donc question de travailler sur
la frustration quand un jeune nous dit « mais si on ne monte pas aujourd'hui j'me casse », « je vais
pas rester à côté pendant trois heures !!! ».
Il est question d'adaptabilité à chaque participant, les amener à dépasser leurs craintes, à nouer une
relation avec l'animal, et à le respecter en tant qu'être vivant.
15
16
17
MARTINEZ A., A cheval pour le plaisir, Le journal de l'animation n°75, janvier 2007
Annexe 5.a
Annexe 5.c
25
Des accords18 ont été signés par la PJJ avec la FFE afin de promouvoir la pratique de l'équitation au
sein de nos publics. Des actions voient le jour et l'activité se développe. C'est le cas par exemple
pour l'UEMO de Nantes qui emmène chaque semaine, un groupe de mineurs au centre équestre,
dans le cadre du DAA.
Voici un article extrait d'une rubrique proposée sur intranet-justice qui a inspiré mon travail :
18
Annexe 2 : un exemple d'accords signés entre la PJJ et la FFE
26
CHAPITRE 3 : LES APPORTS DE LA RELATION A L'ANIMAL
DANS LA RELATION EDUCATIVE
I. Socialisation et Education
I.1. Les agents de socialisation
Lors de mes recherches j'ai souvent été confrontée à la notion de socialisation. En effet, la relation à
l'animal et le fait de se déplacer dans un lieu public et fréquenté par de nombreuses personnes, nous
amènent à questionner cette idée de « relation aux Autres ».
Lors de la première année de formation à l'ENPJJ nous avons reçu des cours et une approche de la
Socialisation, illustrée par de grands auteurs dont Pierre BOURDIEU. Je m'attache donc dans cette
partie à utiliser ce qui me semble pertinent de relever en terme de socialisation, afin de mieux
comprendre ce qui se joue lors des séances au centre équestre.
Si l'on prend les différentes définitions du mot Socialisation, il est constamment fait référence à
l'idée de processus au cours duquel la personne apprend et intériorise les normes et les valeurs. Ce
phénomène se caractérise par sa durée car, en effet, cela s'observe tout au long de la vie de
l'individu. Cette socialisation est alors définie par Pierre BOURDIEU comme étant le résultat d'une
contrainte imposée par des agents sociaux, mais aussi d'une interaction entre l'individu et son
environnement (ou plus largement la société).
Il est important de s'arrêter sur cette notion d'agents de socialisation afin de questionner le rôle
socialisant du centre équestre. Il existe d'une part les agents primaires de socialisation et d'autre part
les agents secondaires.
•
Les agents primaires de socialisation :
Les agents primaires de socialisation sont ceux qui assurent cette fonction dès la naissance de
l'individu. La famille est alors l’institution fondamentale en la matière. Pierre BOURDIEU parle
dans ce cas “de l'habitus”. Selon lui, l’habitus correspond à l’ensemble des goûts, des
comportements, des manières de percevoir, de ressentir et de dire, qu’un individu reçoit de sa
famille et de son milieu social. C’est avec ses bases transmises que la personne va se construire et
agir dans la société
27
Nous pouvons alors considérer que la famille porte la responsabilité de l’apprentissage et de
l’intériorisation des normes sociales fondamentales de l'individu.
La famille doit ainsi apprendre au petit enfant qu’il n’est pas seul au monde et qu’il existe des
limites à ses désirs.
De même, l’école a pour première mission de faire comprendre aux enfants qu’ils vivent en société,
parmi d’autres personnes qu’ils doivent respecter, même s’ils n’ont pas de relations de parenté ou
affectives avec elles.
•
Les agents secondaires de socialisation
Ils ont pour tâche d’adapter un individu déjà socialisé à un environnement social spécifique : ils
doivent assurer l’apprentissage et l’intériorisation de valeurs et de normes spécifiques à un groupe
social particulier.
Ainsi, à son arrivée au centre équestre, un jeune doit comprendre non seulement les relations
existantes dans le collectif, mais aussi les valeurs qui animent les personnes présentes : par
exemple, le respect de l'animal et du matériel.
Les groupes de pairs, c’est-à-dire un ensemble formé par des individus dont le statut social est
identique, exercent aussi une action socialisante par l’intermédiaire des phénomènes de mode qui se
diffusent dans le groupe (par exemple, les expressions employées par les jeunes). Les médias
contribuent aussi à cette socialisation.
Pour étudier le processus de socialisation, je me suis intéressée à l'approche de la psychologie du
développement. En effet, selon le psychologue Jean PIAGET, ce processus qu'est la socialisation
consiste à adapter l’individu à des situations sociales de plus en plus complexes en passant à chaque
étape par deux mouvements antagonistes.
D’une part, l'auteur parle d'une étape d'assimilation qui se traduit par une tentative de modification
de l’environnement social par l’individu, afin de le rendre conforme à ses désirs propres.
D’autre part, une phase d'accommodation qui implique que l’individu socialisé transforme son
comportement pour satisfaire les attentes de la société.
Cela s'est illustré au cours d'une séance où Corentin a souhaité, par exemple, garder ses
écouteurs et formulait des demandes inappropriées (ex : pouvoir fumer, garder ses vêtements
propres...). Il tentait donc de transposer ses habitudes quotidiennes vers ce nouvel espace qu'il
n'avait pas encore investi. Puis, au fur et à mesure, il a compris qu'au sein du club, personne
ne fumait, personne ne s’intéressait à la marque de son jogging...
J'imagine que la socialisation implique systématiquement une sorte de processus de déconstruction
avant de penser à la nouvelle construction de l'identité d'un individu.
28
I.2. Le centre équestre : un agent secondaire de socialisation
Le centre équestre a ses lois, ses règles, ses valeurs, ses habitudes calquées sur les modèles du
groupe social élargi. Se rendre au sein de cet établissement propose aux jeunes un bain culturel qui a
pour but d’adopter, d’intégrer et de faire leurs des valeurs inhérentes à une vie sociale équilibrée. En
d’autres termes, les lois de la République y sont représentées.
Dès lors, il s’agit de répondre à la question suivante : quels rôles le cheval joue dans le processus
d’intégration sociale ?
Lorsque j'ai posé cette question au moniteur qui suit le groupe de jeunes, celui-ci m'a exposé
clairement son ressenti, ses objectifs et la façon dont il souhaite faire découvrir aux jeunes cette
pratique et quelles en sont, à ses yeux, les apports « pour leur vie présente et future ». Les échanges
que nous avons eus au cours des séances, au téléphone ou encore lors de réunions sont très riches et
j'en retranscris ici les éléments fondamentaux :
Le moniteur explique tout d'abord que le lieu est particulier et différent de l'environnement
quotidien des jeunes, ce qui n'est pas sans importance au regard du comportement qu'ils adoptent.
Puis il prend le temps d'exprimer les objectifs des séances.
•
Le contexte spécifique du lieu d’accueil :
Selon le moniteur, pour les jeunes accueillis, le monde du cheval offre un lieu investi par une
population active ordinaire qui vient se détendre pendant ses loisirs. Ainsi naturellement par les
échanges qui s’y instaurent, qui s’y construisent, le jeune est amené à côtoyer un groupe social
différent de lui, à intégrer des modèles, à relativiser ses points de vue par souci de conformité à ce
nouveau groupe. Le contact à l'animal est donc l'élément socialisant de même que les relations avec
les propriétaires et les moniteurs.
En donnant la possibilité au jeune d’être un individu actif au sein du club, les habitués du centre
équestre sont amenés à reconsidérer ce public, révisant leur jugement de valeur.
L’adaptation réciproque permet une insertion sociale dans un milieu ordinaire, pour les jeunes pris
en charge mais aussi autorise la clientèle à remettre en question leur schéma de stigmatisation de
cette population.
•
Quelques mots sur l’activité équestre :
Le centre équestre a son entité juridique propre. Le club hippique se doit de donner une prestation
29
d’heures d’encadrement dont les objectifs sont fixés dans le « contrat ». Il s’agit plus précisément
d’une pédagogie adaptée au public accueilli dont les buts à atteindre sont les suivants :
−
redonner aux jeunes des règles de vie, des horaires ;
−
favoriser l’adhésion à la discipline édictée dans le règlement intérieur et celle de la pratique
équestre ;
−
devenir responsable : l’outil est un animal vivant. Découvrir le cheval c’est le monter mais
aussi s’en occuper, le panser, le soigner ;
−
faire l’apprentissage d’un métier en vue d’une orientation professionnelle équestre ou
autre ;
−
permettre de vivre en collectivité, de se socialiser : non seulement avec ses camarades
d'équitation mais aussi avec la clientèle du club en acceptant les règles de politesse, de tenue
vestimentaire, d’attitude adaptée, et de respect de l’autre.
Le public pris en charge par la PJJ est composé de jeunes qui rencontrent principalement des
difficultés d’intégration scolaire et professionnelle. Celles-ci se traduisent par une fragilité des
acquis scolaires, des difficultés d’apprentissages et des difficultés relationnelles avec les adultes
et/ou les intervenants.
Les mineurs éprouvent aussi des difficultés de participation à la vie sociale extérieure. Ils manquent
souvent d’assurance voire d’intérêt pour aller découvrir ce qui se passe « en dehors » de leur
quotidien, ce qui se traduit par des attitudes et des comportements inadaptés vis-à-vis de personnes
« étrangères » rencontrées et des difficultés d’application des codes de société.
Ce sont tous ces éléments que nous cherchons à travailler au cours des mesures qui nous sont
confiées.
L'adolescence est une période au cours de laquelle le jeune est dans une quête identitaire. Repartir
de la petite enfance paraît essentiel afin de se pencher sur ce que l'activité équestre renvoit en tant
que « sensations », « images » et « émotions ».
30
II. Apports émotionnels et psychologiques pour l’adolescent
II.1. Le toucher relationnel
Dans un article, j'apprends qu'il existe un intérêt thérapeutique au toucher19 lorsqu'il passe par la
relation au cheval. Cette affirmation est issue de l'expérience d'un groupe d'équithérapie se
déroulant dans un hôpital de jour d'un secteur psychiatrique adultes de la banlieue nord de Paris.
Grâce au Toucher, il semble que l'intervenant puisse travailler divers éléments au cours de ses prises
en charge, dont :
• la mobilisation du corps
• l'autonomisation
• la mise en confiance
• le contrôle de l'agressivité
• le travail des affects
Le mot « toucher » vient du latin « tocare »20 employé en ancien français au sens de « entrer en
contact » et « porter la main sur ». Au XVIème siècle il devient « s'occuper de », « se mêler de ».
Au XVIIème, on trouve une extension à « heurter violemment » mais aussi « émouvoir »,
« attendrir ».
Dans l'article précité, j'apprends que lors de troubles de l'identité et de la relation à l'autre, la limite
entre soi et le monde extérieur fait défaut. Il peut y avoir confusion entre intérieur et extérieur du
corps, on sait que le monde extérieur peut alors être vécu comme persécuteur ou dangereux.
Nous percevons donc bien à quel point le toucher qui fait lien à l'autre au niveau psychique est
problématique pour certaines personnes.
Lors des séances, les jeunes sont dans une situation qui engage le corps dans la relation avec
l'animal. Relation plus ou moins proche suivant les moments où entrent toujours en compte ce
dialogue corporel et le Toucher.
Au cours du pansage, il s'agit de prendre soin de l'autre. Ceci est clairement expliqué par le
19
20
DE BERNARDO-MOLARD A., Avec le cheval, toucher pour exister, VST n°66, 2000
Dictionnaire LAROUSSE
31
moniteur et souvent compris par les jeunes. Il est inévitable de toucher le cheval et d'engager
son corps complètement dans l'action. Le moniteur que nous rencontrons régulièrement
s'amuse à répéter par exemple que « Le toucher n'est jamais à sens unique, toucher c'est aussi
être touché ».
Nous sommes ici au premier abord dans un registre très anal, odeur de crottin, trace de crottin sur
le cheval, sabots des chevaux à décrotter,... il y a une maîtrise nécessaire des pulsions pour arriver à
approcher cet animal si imposant et par là même inquiétant, une maîtrise du corps et du geste pour
réaliser ce pansage qui demande tant d'efforts.
Cela s'illustre par exemple, lorsque Johan décide d'enlever sa veste car frotter le cheval dans
son ensemble lui « donne chaud ». Prendre soin de son cheval devient alors un plaisir, même si
cela demande un effort physique important. L'investissement du corps du cheval pendant le pansage
renvoit à l'investissement de son propre corps.
Comment soigner l'animal alors que pour la plupart des jeunes, prendre soin de soi est déjà un
problème ?
Je n'ai pas encore trouvé de réponse à cette question. Quoiqu'il en soit, cette étape de la séance
nous permet régulièrement et de manière détournée, d'aborder des questions d'hygiène avec
les jeunes. En prenant appui sur le pansage du cheval, nous interrogeons les pratiques des
adolescents du groupe concernant les douches...
J'observe qu'il n'est pas toujours simple pour les jeunes d'explorer la surface du corps du
cheval .« Le pansage du cheval se fait dans un geste d'enveloppement du corps, le pansage est aussi
un massage pour le cheval, il faut doser l'intention que l'on met dans son geste, la pression de sa
main sur le corps du cheval ». C'est pour cela que le moniteur va parfois proposer, en sa
présence, afin de rassurer le jeune, de parcourir avec la main, sans la brosse, tout le corps de
l'animal et de sentir ses réactions à ce toucher enveloppant.
Au début, certains ont du mal à faire le lien entre leur toucher et les réactions de l'animal à ce
contact, à sentir aussi la qualité de leur toucher appuyé ou léger, saccadé ou continu. C'est un
dialogue tonique permanent entre les protagonistes, ce qui rappelle la notion de « handling » de la
mère avec son enfant21.
Johan, au départ très rigide dans son comportement, panse son cheval de façon brusque et
discontinue faisant frémir le cheval à chaque coup de brosse : progressivement, il adapte son
mouvement et laisse tomber ses défenses pour prendre soin du cheval doucement entre deux
câlins.
21
Étudiée dans le II.2
32
Pour le psychologue Pascal PRAYEZ les sollicitations tactiles sont classées en deux catégories : la
pénétration et l'enveloppement.
« L'enveloppement est apaisant, contenant, il souligne la fonction de liaison intersensorielle de la
peau alors que la pénétration, est insécurisante, excitante (plaisir ou douleur) »22.
Pour lui, l'attitude des patients vis-à-vis du pansage ou du curage des pieds en est un exemple. Il est
toujours très difficile pour la plupart d'entre eux de réaliser ce dernier alors que le pansage est d'un
abord plus serein et plus facile.
Pendant le pansage, la personne prend du temps pour caresser son cheval, porter son visage contre
le corps de l'animal pour sentir sa chaleur ou son odeur ou encore pour se faire lécher la main.
Autant de gestes qui créent une relation intime où le corps de l'un et celui de l'autre sont étroitement
liés dans la dimension du plaisir. Pour certains cette relation s'instaure assez rapidement à la
surprise du thérapeute, pour d'autres il y aura un long moment où gestes d'affection et agressivité
alterneront ou seront mêlés, avant que puisse ne s'instaurer une véritable relation de confiance.
Selon Agnès de BERNARDO MOLARD23, dans chacune de ces situations, le toucher, investi d'une
charge affective et émotionnelle importante, peut permettre aux patients un ré-investissement de
leurs corps, un remaniement de l'image du corps et une consolidation du narcissisme.
II.2. « Handling et Holding »
A la lecture d'un article de P. PRAYEZ, j'ai découvert les notions de « holding » et de « handling »24.
J'ai donc souhaité les développer ici car je pense sincèrement qu'elles apportent une réflexion
supplémentaire à l'appréhension de la mise en situation auprès du cheval.
Selon l'auteur, le cheval, en tant que médiateur, « permet de travailler les deux principes décrits par
le pédiatre et psychanalyste WINNICOTT, nécessaires à la construction de l'individu ». Il est
question des deux termes suivants : le holding et le handling.
- Le handling est la façon adéquate qu'a une mère de soigner et de manipuler corporellement son
enfant. C'est un apprentissage qui se déroule tout au long de l'enfance au travers de la toilette, de
l'habillage... L'enfant, et plus particulièrement le nourrisson, est en état de dépendance absolue . Ce
22
23
24
PRAYEZ P., Le toucher apprivoisé, Broché, 2009
Agnes de BERNARDO-MOLARD est psychomotricienne et psychothérapeute
AUBARD I., Activité thérapeutique et cheval, Revue du champ social et de la santé mentale n°94, 2007
33
que l'on nomme plus couramment un état fusionnel.
Dans la construction d'un individu il est fondamental que ce processus se déroule dans un climat de
sécurité et de confiance entre la mère et l'enfant. C'est là que WINNICOTT introduit son concept de
« mère suffisamment bonne » que nous avons pu développer à l'ENPJJ au sein des cours dispensés
en psychologie. Cette mère présente des capacités d'écoute aux besoins de son enfant, elle ajuste ses
comportements et ses réactions dans une sécurité suffisante et permet ainsi progressivement
l'émergence du Moi.
L'utilisation du cheval permet alors, selon l'auteur, un retour aux « relations primitives et archaïques
mère-enfant ». Le cheval représente une figure maternelle par sa douceur, sa chaleur, sa capacité de
portage. Nous nous trouvons alors dans l'image des tous premiers liens. La relation affective avec le
cheval devient très forte, une grande intimité s'instaure avec l'animal.
La rencontre se fait alors sur un mode très infantile, avec un désir d'exclusivité du lien avec son
cheval : « mon cheval est joueur, doux, il est malin, il est gentil, il aime mes caresses, il est fort ! ».
C'est au cours du pansage que la dimension du handling prend sens. L'accent est alors porté sur les
caresses, les soins que l'on va prodiguer au cheval. Avant de le monter il va, en effet, falloir le
brosser, le peigner, lui nettoyer les pieds, s’intéresser à ses « bobos », parfois l'alimenter...
Un pansage nécessite l'utilisation de différentes brosses qu'il faut passer sur l'ensemble du corps de
l'animal. « Ce corps est alors découvert dans sa globalité. Il réagit à toutes les stimulations. Il peut
être hyper-sensible, chatouilleux, lascif...(...).Il est doux et chaud. Il est très mobile. ». En effet, on
observe rapidement que tout bouge chez lui, les oreilles s'orientent, la queue se balance, les
naseaux frémissent, il arrive même qu'il éternue. Il va donc falloir rester attentif à ses réactions.
Cela s'est traduit à l'identique par les gestes d'un jeune lors de l'activité. En effet, celui-ci était
impressionné et n'osait pas se rapprocher du corps « imposant » du cheval. Au début du
pansage, le jeune tenait la brosse du bout des doigts. Après plusieurs séances, il frottait le
corps de son cheval directement avec ses mains.25
De plus, les jeunes sont souvent étonnés de la terminologie des différentes parties du corps du
cheval qui est très proche de celle de l'humain. Les jeunes nous disent souvent « ah c'est des
jambes, on dit pas des pattes? C'est comme pour nous en fait ».
25
Annexes 3 et 4
34
- Le holding est la façon dont la mère porte et maintient son enfant physiquement et psychiquement.
La dimension du holding est présente quand la personne monte à cheval. Le mouvement de
bercement procuré par le pas de l'animal va favoriser les phénomènes de ballottement, de portage.
Si la mise en selle est pratiquée dans un cadre relaxant et sécurisant, le cavalier découvre des
sensations de maintien et de soutien physique.
Je me souviens alors de Corentin qui exprimait son état de « zen attitude » une fois en selle,
lorsqu'il enlaçait le cheval en se penchant en avant pour mettre ses bras de chaque côté de son
encolure. Il répétait aux autres : « j'vais rester comme ça pendant toute la séance pour me
reposer !! »
Les équithérapeutes constatent souvent que beaucoup de patients recherchent la position allongée
où ils peuvent ressentir pleinement ce bercement qui crée un bien-être en faisant naître une sorte de
déconnexion avec le monde extérieur qui peut aller jusqu'à l'endormissement.
Enfin, il est important de bien préparer les séances car il va falloir progressivement quitter le cheval.
C'est donc un travail de séparation qui a lieu. Elle est d'autant plus difficile lorsque les jeunes
commencent réellement à investir l'animal.
Cette séparation se fait alors en deux temps. Il faut descendre de sa monture, puis il faut le conduire
dans son box et ranger le matériel. Le moniteur avec qui nous travaillons, a pour habitude de
proposer au groupe d'emmener, en longe, les chevaux brouter de l'herbe, après avoir laissé du
temps au groupe de ranger le matériel.
Ce temps permet au jeune de se préparer à la séparation de manière progressive. C'est
également l'occasion d'observer le comportement des chevaux avant de les relâcher et de voir
ce qui se passe lorsqu'ils se retrouvent au pré. Les jeunes sont souvent très intrigués par les
comportements qui traduisent une certaine hiérarchie dans le troupeau. Il leur arrive même
de trouver l'attitude des chevaux dominants « violente ».
Cette séparation, qui est un travail de mise à distance, se doit d'être pratiquée dans un climat
rassurant. Ce qui rassure Valton, à la fin de la séance, par exemple, c'est d'entendre le
moniteur lui promettre que la prochaine fois, il lui attribuera le même cheval.
35
CHAPITRE 4 : LE « MEDIA -CHEVAL » : UN ESPACE DE
RENCONTRE
Je pense que le travail éducatif ne peut se faire sans qu'un lien, une relation de confiance se crée.
Pour cela, j'imagine qu'il faut amener des interactions, créer le contexte qui sera favorable à la
rencontre. La PJJ utilise un concept précis pour illustrer cette idée : celui du « Faire Avec ».
I. De « l'entretien formel » à « l'entretien actif »
I.1. Le « Faire-Avec »
Il est difficile d'apporter une définition stricte de cette pratique éducative qu'est le « faire avec ». Je
m'inspire donc du dossier réalisé sur ce sujet dans une parution des Cahiers Dynamiques.26
Selon un article paru dans cet ouvrage, la notion de faire avec accorde une grande importance à la
communication et à la manière dont jeune et adulte vont interagir.
Rémi CASANOVA27 entend plusieurs dimensions lorsqu'il traite ce sujet. Pour lui, « le faire avec se
pense dans le contexte précis de l'exercice quotidien de la pratique éducative et implique un
processus relationnel qui ne peut se concevoir que sur fond de supports de médiations et sur l'idée
que le verbe « faire » indique une production, matérielle ou non, un projet. »
Le mot « avec » dans le dictionnaire nous indique qu'il est question d'une présence physique
simultanée, d'un accord moral entre une personne ou encore qu'il s'agit d'être en compagnie de
quelqu'un. Nous pouvons donc nous apercevoir que cette approche nous ramène systématiquement
sur le champs de l'interaction.
Au cours de l'article, nous apprenons que pour l'éducateur, il s'agit du « savoir-faire technique qui
permet de dispenser le savoir » et du « savoir-être qui permet la relation globale avec le jeune ».
Le faire avec est donc à penser en tant que réelle situation d'éducation. Cette approche permet de
prendre en compte le fait que le jeune adhère plus ou moins à ce mode de prise en charge,
s'implique au cours de la participation à l'activité, ait envie de progresser...
26
27
ENPJJ, Le renouveau du faire avec, Cahiers dynamiques, n°42, novembre 2008
Rémi CASANOVA est enseignant chercheur et s'intéresse particulièrement au domaine de l'enseignement
36
Selon l'article, construire le faire avec implique d'abord d'inscrire son action dans des valeurs, la
première étant la croyance dans le postulat d'éducabilité. Celui-ci demande de continuer à chercher
et à défricher inlassablement des chemins pour éduquer, là où tout a échoué jusqu'à présent. C'est
bien dans cette situation de départ que je me suis retrouvée. J'étais face à une prise en charge dont je
ne maîtrisais pas le déroulement. Je souhaitais donc trouver une manière de réinvestir le jeune.
Il me semble donc que c'est à l'éducateur de s'adapter et de prendre, non pas la position de celui qui
transmet un savoir mais plutôt de la personne qui amène le jeune à découvrir les choses, par lui
même. Ainsi, nous devons faire en sorte d'assurer la portée éducative de chaque situation.
Lors des activités équestres, je me retrouve à l'égal des jeunes, je suis la séance et j'effectue
l'exercice, au même titre qu'eux. Je considère en effet que mon rôle est de partager l'activité
avec les jeunes, quitte à me retrouver moi-même en difficulté.
Selon Rémi CASANOVA, « Faire avec oblige l'éducateur à accepter une position délicate et
évolutive : il pose les conditions de l'acte éducatif, s'implique puis s'efface pour ne pas priver le
jeune des fruits de ses efforts, de façon médiatrice. ».
Toutefois, il est évident que je garde mon rôle d'encadrant et qu'en cas de demande du jeune ou si je
m'aperçois qu'il rencontre des difficultés, j'irai à sa rencontre pour l'aider. L'objectif est bien de faire
en sorte que la séance soit une réussite personnelle pour chacun mais aussi une réussite collective.
Lorsque nous devons préparer les chevaux, il arrive qu'un jeune ait du retard sur le reste du
groupe. C'est ma position dite « d'observation participante » qui me permet d'ajuster et d'agir
sur les situations. Dans ce cas précis par exemple, il est facile pour moi d'adapter les choses en
demandant à un jeune de m'aider à ranger le matériel pour laisser le temps au dernier de finir
ou encore de les amener à plus de solidarité en demandant aux autres s'ils ont besoin
d'aide...en expliquant que la prochaine fois il est possible que les rôles s'inversent. Je pense
qu'il est primordial de réussir à mettre tous les jeunes dans une situation confortable et les
valoriser.
Cette manière de travailler permet d'encadrer un petit groupe de jeunes en grandes difficultés. Il
nécessite une excellente coordination de la part des professionnels intervenants et un temps de
debriefing après la séance, afin que cette démarche de faire avec favorise l'observation des aptitudes
manuelles, intellectuelles et comportementales des jeunes.
Afin d'apporter un maximum d'observations et de points de comparaison entre les séances, j'ai mis
en place les grilles d'observation citées plus tôt. Elles me permettent de poser par écrit les
37
informations qui me semblent nécessaire pour observer une évolution dans le comportement d'un
jeune au cours de la prise en charge.
Enfin, il m'est arrivé régulièrement au cours du pansage, de prendre la main d'un jeune afin
de lui montrer un geste à reproduire seul. Je pense qu'en dehors de ce contexte, il m'aurait été
difficile d'avoir ce contact physique. D'une part je ne me le serais sans doute pas permis.
D'autre part, le jeune pourrait avoir une réaction violente...
Je me rends progressivement compte que le Faire avec suppose un engagement personnel et une
grande attention. Le lien qui se tisse entre le jeune et l'éducateur en train de participer à l'activité se
traduit par une proximité des corps et parfois une symétrie dans les actions.
Les adolescents sous main de justice sont souvent difficiles à mobiliser. Il leur manque parfois de la
motivation, parfois leur éducation a connu quelques failles et d'autres fois encore c'est une
problématique bien particulière qui se révèle. C'est le cas notamment pour ceux rencontrant des
difficultés en terme de « lien ». La prise en charge de ces jeunes se voit alors prendre une tournure
singulière.
I.2. L'art de créer du lien
Lors de mes recherches, je me suis inspirée de nombreux articles et revues qui viennent alimenter et
illustrer par des théories et concepts, ce que je questionne dans ce mémoire.
Comme je l'ai écrit plus tôt, de mon point de vue, la mise en place d'un travail éducatif entre le
jeune et l'adulte éducateur ne peut se faire que par l'élaboration d'un lien. Le lien va naître des
rapports que l'on va construire avec l'adolescent. L'attitude, les mots, la voix, souvent de l'ordre du
ressenti, vont amener progressivement la création de ce lien qui permettra la relation.
Il arrive parfois que les passages à l'acte des jeunes viennent révéler des difficultés à être en relation
et à communiquer avec les membres de leur famille. Dans ce cas, il est courant que le jeune ait des
difficultés à faire confiance aux adultes et n'adhère pas à la prise en charge. Les jeunes sont alors
réticents à « accepter les liens éducatifs et (…) ont tendance à recourir au passage à l'acte
transgressif ou violent pour faire face à leurs difficultés. »28
28
BOTBOL M., RENAUD A., CAMUS F., Quand le lien à l'autre est à la fois le problème et la solution, Cahiers
38
La période de l'adolescence est marquée par la puberté qui sexualise les liens et oblige l'adolescent à
établir des distances avec ses objets infantiles (les personnes de son environnement). De plus : c'est
une période de recherche d'autonomie où on assiste à une obligation de séparation d'avec son
entourage premier.
D'après les cours dispensés à l'ENPJJ, cette séparation constitue une mise à l'épreuve du narcissisme
de l'adolescent. C'est une période qui le fait se confronter à ses doutes concernant ses capacités de
faire seul dans cette nouvelle configuration. Ceci est particulièrement observé chez les mineurs qui
ont vécus des échecs et ont tiré de leur passé ou de leur situation actuelle des raisons de réduire
l'estime qu'ils se portent.
Lorsque les jeunes ont été entourés et qu'ils ont grandi dans des conditions leurs permettant
d'évoluer sereinement, ils peuvent passer au delà de ce paradoxe.
Cette élaboration n'est pas possible quand les ressources imaginaires sont insuffisantes ou
dépassées, et lorsque les assises narcissiques sont trop fragiles. Selon l'auteur, « C'est le cas
notamment chez les adolescents qui ne peuvent réinvestir les souvenirs de moments de satisfaction
parce qu'ils butent sur l'obstacle (des déceptions) qui a pris une valeur traumatique. »
Puisqu'il ne peut garder pour lui ses conflits internes, ceux-ci vont s'exprimer d'une autre manière.
C'est ainsi que certains mineurs vont se retrouver dans une situation de délinquance à la suite d'agirs
multiples. Ces agirs lui permettent ainsi de ne pas penser. Cela ne veut pas dire qu'il relève d'une
pathologie psychiatrique mais que ces agirs et difficultés de lien impliquent un processus psychique
et des mécanismes psychopathologiques qu'il convient de ne pas négliger pour pouvoir décider des
méthodes d'approche à adopter.
C'est ici qu'intervient le modèle du faire avec au travers de l'utilisation de médiations. Elles ont
généralement des objectifs bien précis : le loisir, l'éducation à l'autonomie et à la socialisation ou la
transmission pédagogique de valeurs et de savoirs. C'est évidemment important, mais, le plus
important réside dans le fait que les médiations constituent une forme de présence de l'autre qui
permet de dépasser ces obstacles.
La médiation permet alors de contourner la problématique du lien. L'adolescent s'investit alors au
sein de l'activité et en oublie presque les raisons et la présence de l'autre dans son espace.
Après plusieurs séances, l'objectif est de pouvoir petit à petit, échanger avec le jeune et ce, en
utilisant les séquences partagées, les souvenirs en commun et y intégrer des valeurs et des savoirs .
dynamiques, n°42, Novembre 2008
39
La plupart des jeunes suivis par la PJJ n'ont pas de projet défini ni même la motivation d'en avoir.
En réalité, ils répondent souvent à la pression de la famille, de l'éducateur ou du Juge. Dans ce
contexte ils sont convaincus de leur incapacité à faire face, de façon créative, aux questions que
l'autre leur pose.
Il semble que l'activité soit reconnue comme faisant tiers dans la relation. Nous pouvons alors parler
de médiation. Il est commun de dire que celle-ci a lieu lorsque l'activité ou la personne, sert
d'intermédiaire à la relation, en particulier dans la Communication.29
Au regard de la thématique traitée dans cette étude, le cheval serait ici ce tiers symbolique, un
médiateur dans la relation éducative. Il n'y aurait plus seulement le jeune et l'éducateur mais le
jeune/le cheval/l'éducateur et la relation se verrait ici simplifiée par cet intermédiaire.
II. La médiation éducative : un outil facilitant la relation.
II.1. La médiation éducative
La question de la médiation a largement été étudiée par l'ENPJJ dans le dossier sur « Le renouveau
du faire avec ».
Selon les auteurs, « la médiation postule l'intercession d'un tiers (homme, dispositif technique,
culturel...) entre deux éléments. Sur le plan conceptuel, la médiation serait ce processus par lequel
le singulier et le collectif se reliraient. »
En d'autres termes, le sens du travail des « médiateurs » est de solliciter, fidéliser, éduquer,
rééduquer, développer le désir, amener à comprendre... la médiation serait l'espace de
communication où se joueraient de la négociation, de l'apprentissage, de la traduction, de
l'explicitation, de la confrontation nécessaires à l'appropriation sociale, culturelle et politique des
individus.
Dans l'article, il est noté que de nombreux éducateurs se reconnaissent aussi dans ces missions du
médiateur. « Des spectacles, des visites de musées, des découvertes, font partie des pratiques
professionnelles en œuvre à la PJJ ». Ils ouvrent les publics confiés à de nouveaux horizons et à de
nouvelles appétences. Ils guident les jeunes vers ce que la société et la culture peuvent offrir.
29
Dictionnaire Larousse
40
Je constate que nous pouvons donner plusieurs sens à la médiation. Il est important de savoir, tout
d'abord, si nous nous plaçons d'un point de vue psychologique ou pédagogique. En effet, les
sciences de l'éducation posent sur la médiation le même type de regard, « un regard que les
professionnels de la PJJ pourraient partager bien que l'on soit loin de son sens psychologique ». Les
auteurs de l'article nous expliquent que la référence première n'est alors plus WINNICOTT mais
VYGOTSKI30.
Dans cette situation, la transmission de savoir n'est pas la seule ni la plus pertinente des modalités
pédagogiques. L'accompagnement vers le savoir, vers la maîtrise d'un support, d'une technique, d'un
art, en est une autre, toute aussi importante. Il ne suffit pas que l'éducateur dise ce qu'il faut faire, ni
même ne montre...il faut aussi que l'éducateur fasse avec pour que l'espace de médiation se
construise. « Accompagné, l'apprenant prend confiance en lui, certes par le dialogue qui se crée et
qui laisse vivre ses pensées, mais aussi par la satisfaction d'un obstacle franchi, d'une chose apprise,
d'un geste enfin acquis ».
Les deux approches apportent donc des sens divergents mais les intérêts, eux, sont communs.
En effet, selon l'article, « ce n'est pas une opposition qu'il faut construire entre médiation psychique
et médiation pédagogique. Si les mots sont les mêmes, c'est que les dispositifs sont semblables ».
Il est donc essentiel de ne pas vouloir réduire les acceptions de cette notion en une seule et unique
définition.
II.2. L'art du détour
II.2.1. Faciliter les échanges
« C'est simple, depuis qu'on a eu un rendez-vous en dehors du service, j'ai commencé à
parler ». Ces propos sont ceux d'un jeune qui participe régulièrement aux activités du DAA.
L'adolescent a pu me livrer ces mots au cours d'un entretien formel lorsque nous faisions, avec ses
parents, le bilan de mi-parcours.
Dans un article31, deux éducatrices de la PJJ écrivent que « l'activité peut faire renaître du désir chez
les jeunes en rupture ou permettre un espace de parole en dehors du bureau. »
Il semble donc possible d'émettre l'hypothèse que la communication se trouve facilitée par la
médiation.
30
31
VYGOTSKY est psychologue du développement
ENPJJ, Les activités physiques et sportives sur le terrain éducatif, Cahiers dynamiques n°34, avril 2005
41
La prise en charge est différente et cela donne une autre vision de la personnalité des jeunes et peut
apporter des éléments quant au travail éducatif en cours. En effet, chaque jeune investit les temps à
sa manière. Pour autant, il est habituel d'apprendre au cours des séances, ce qui se passe au
quotidien chez les uns ou que nous ayons des révélations sur les histoires familiales d'un autre...
De plus, selon l'article précédemment cité, les éducatrices mettant en place une activité équestre
précisent que « l'objectif est d'offrir un moyen d'expression au jeune, en respectant l'autre, tant
l'animal que l'être humain, et en apprenant à mieux se connaître, puisque nos limites sont plus vite
perceptibles face à cet animal dominant ».
En effet, nous avons pour habitude, à la fin de chaque séance à cheval réalisée dans le cadre
du DAA, de faire le point tous ensemble sur ce que nous avons ressenti, appris ou encore sur
ce qui nous a déplu... Ce moment de bilan est désormais attendu par les jeunes car ils savent
que c'est un espace de paroles et d'échanges. Les règles sont simples : chaque personne peut
avoir la parole si elle le souhaite: on ne coupe pas les échanges si ceux-ci ne sont pas terminés,
les ressentis s'expriment sans aucun jugement... pour autant, ce temps est à perfectionner car
il arrive régulièrement que certains jeunes ne souhaitent pas s'exprimer. Je suppose que si
certains sont frileux à l'idée de prendre la parole en groupe, c'est peut-être qu'ils
appréhendent malgré tout, le regard des autres et que le travail de mise en confiance doit se
poursuivre.
Serge BOIMARE, dans son ouvrage « L'enfant et la peur d'apprendre »32, propose de revenir aux
représentations primaires que se font les jeunes pour atténuer cette peur . Pour ce faire, il préconise,
dans un cadre pédagogique, de s'appuyer sur des objets culturels, « médiateurs ». Ces objets
auraient pour fonction de libérer les élèves de leurs angoisses.
L'auteur précise qu'il est bon de permettre cette « expression libre dans un cadre donné ». C'est ce
que j'essaye de mettre en place en utilisant la médiation par le cheval.
J'ai constaté au cours des séances d'équitation que, dans un premier temps le jeunes exprime
ce qu'il ressent sur l'instant. Il prend l'habitude de cette « parole libre dans un cadre donné »
puis s'en sert par la suite pour verbaliser des émotions autres. C'est le cas par exemple,
lorsqu'en parlant du nom du cheval, un jeune nous a confié des éléments de son histoire
familiale vécus au KOSOVO.
Dans un ouvrage traitant de la zoologie33, François BEIGER explique en effet, que la médiation va
32
33
BOIMAR S., L'enfant et la peur d'apprendre, Dunod, Paris, 1995
BEIGER F., L'enfant et la médiation animale, nouvelle approche par la zoothérapie, DUNOD, 2008
42
permettre cette expression libre et qu'elle va progressivement amener l'enfant vers une verbalisation
de ses émotions.
L'ouvrage nous présente ce que des professionnels de la médiation ont mis en œuvre auprès de
publics ayant des difficultés relationnelles. Il ne s’agit nullement d’une forme occupationnelle, il est
question d'une relation éducative par la médiation d’un animal. On retrouve les mêmes bases que
dans la thérapie : un programme personnalisé pour le bénéficiaire, des objectifs très précis, un suivi
et des évaluations basées sur des échelles, des rapports et le lien entre les différents intervenants qui
sont en charge de la personne ou en ce qui me concerne, du jeune.
Il définit alors la triangulation comme étant composée de trois entités vivantes et différentes qui
vont interagir les unes sur les autres :
•
le jeune avec sa problématique et ses angoisses, ses failles, espérances, envies,...
•
l'animal médiateur avec son éducation, son caractère et son environnement
•
le professionnel avec ses connaissances, ses propres façons d'être, son vécu, ses usages
professionnels et son discernement face aux situations rencontrées.
Le Cheval est, selon l'auteur, idéal pour travailler la relation à l'autre, la communication gestuelle ou
encore la contenance.
Des observations scientifiques prouvent que la médiation animale participe à la bonne évolution des
enfants atteints d'autisme. Différentes recherches sont menées pour définir les impacts du cheval ou
poney sur des groupes de jeunes . C'est le cas d'une étude 34 qui permet de constater une nette
évolution de la volition des enfants d'un groupe. Leur motivation est mesurée en analysant la façon
dont l'enfant interagit avec son environnement. Selon le concept de volition, la motivation du jeune
peut aller de l'exploration (curiosité) à la compétence (attention soutenue) et jusqu'à la réalisation
(volonté de s'améliorer).
J'ai profité de la mise en place de mon activité DAA pour transposer ces apports au public pris en
charge par la PJJ. Je m'aperçois progressivement qu'il faut plusieurs séances pour noter une
évolution et réfléchir en équipe aux bienfaits de cette forme de prise en charge pour éventuellement
la reconduire.
34
Recherches de R.R TAYLOR en 2009
43
Cette activité éducative œuvre au niveau du psychisme, du social, de l'émotion, de la socialisation,
du relationnel, du langage, du sensoriel... Elle peut être un élément supplémentaire pour la prise en
charge. C'est une approche différente qui viendrait améliorer la relation ou aider l'éducateur à
communiquer plus ouvertement avec un jeune difficile à mobiliser. Pour un adolescent qui n'est pas
réceptif au discours éducatif, la médiation peut aussi être un moyen d'adopter une nouvelle
pédagogie.
Peu à peu, je me questionne sur ce mode de prise en charge. En effet, qu'est ce qui se joue au
cours de ces situations de médiation ?
J'ai choisi de prendre appui sur la situation éducative de Johan pour débuter ma réflexion autour de
la médiation car elle vient questionner une de mes appréhensions en tant que jeune professionnelle à
la PJJ. En effet, depuis le début de ma formation, je me demande ce qu'il est possible de faire
lorsqu'un jeune et sa famille n'adhèrent pas à la mesure. Lors de mon stage en Milieu Ouvert l'an
dernier j'avais été surprise par la patience de l'éducatrice qui tentait pas tous les moyens de contacter
un jeune. Elle m'avait expliqué qu'elle avait pour habitude d'écrire un courrier, puis deux, avant de
téléphoner à la famille ou au jeune lorsque celui ci ne répondait pas présent aux rendez-vous fixés.
C'est après ces diverses tentatives vaines qu'elle se permettait de se déplacer à domicile.
Chaque professionnel s'adapte aux situations et je ne pense pas qu'il y ait une méthode meilleure
que les autres. Selon les cas, une visite à domicile permet d'enclencher une relation, pour d'autres,
c'est le contact téléphonique qui crée l'ouverture et permet les échanges.
En ce qui me concerne, je trouve que l'espace qui se crée lors de la pratique d'activité est aidant à la
fois pour le jeune car celui-ci se sent plus libre de s'impliquer dans la relation, mais également pour
l'éducateur pour qui les échanges sont facilités par le cadre.
Les éducateurs de Milieu Ouvert ont l'habitude de travailler la relation même lorsque celle-ci est
ponctuée par des vides. L'activité m'a permis, en tant qu'éducatrice en formation et qui manque
d'expérience, de gagner du temps dans la création du lien.
J'ai été étonnée de voir combien le fait de participer à l'activité pouvait permettre d'améliorer
la communication ou simplement la faciliter. Au centre équestre, en plus des animaux et des
adultes, nous avons rencontré des jeunes qui pratiquent ce sport et qui ont l'habitude de se
rendre au Club. Il est intéressant d'observer le comportement des jeunes que l'on connaît,
remarquer qu'ils s'adaptent à l'environnement et aux personnes qui fréquentent les lieux.
44
De plus, l'activité a permis d'élargir les échanges et de libérer la communication à trois niveaux :
- les jeunes avec le moniteur
- le moniteur avec les éducatrices
- les éducatrices avec les jeunes
Je n'avais pas mesuré les bienfaits de cette mise en situation. C'est une sorte de triangulation qui
s'est installée, dans laquelle le moniteur et le cheval apparaissent comme tiers et facilitent les
échanges.
C'est dans ce contexte que j'ai souhaité étudier la question de la triangulation. La psychologue du
service à qui j'ai exposé la situation m'a conseillé les travaux de psychanalystes sur la théorie de
l'espace transitionnel.
II.2.2. Trianguler la relation
Le mot médiation vient du latin « medius : qui est au milieu »35. Les activités dites « à médiation »
ou avec « un objet de médiation » ont pris une importance notable dans les vingt dernières années.
Lorsqu'il est question de médiation, le tout premier constat concerne l'exigence d'un tiers. « Pas de
médiation sans tiers »36, c'est ce que précise Michèle GUILLAUME-HOFNUNG. Selon elle,
l'intervention d'un tiers sort, tout d'abord, les « médieurs » (les partenaires à la médiation) d'un faceà-face réducteur.
Cette tierceté37 s'incarne parfois dans une personne dont c'est la fonction et d'autres fois, se réfère à
un « espace tiers », espace à la fonction symbolique, censé apporter « du tiers ». C'est ce dernier
aspect que je m'attache à développer au sein de mes prises en charge.
Quand cet espace tiers est convoqué, la fonction transitionnelle est également invoquée. Cette
fonction a un rôle paradoxal capable de réunir et de différencier. C'est ce que l'on appelle
couramment un « entre-deux ». Tous les auteurs font alors référence aux travaux de WINNICOTT, à
sa description de l'objet et de l'espace transitionnel.
Le psychanalyste WINNICOTT est de ceux à avoir pris en compte le rôle des objets familiers dans
la construction de notre identité. Ces relations avec de tels objets permettent de créer ce qu’il a
35
36
37
Dictionnaire Larousse
GUILLAUME-HOFNUNG M., La médiation, « Que sais-je ? », PUF, Paris,1995.
TRICOIRE B., la médiation sociale : le génie du tiers, L'Harmattan, Paris, 2002.
45
appelé un espace transitionnel. Les espaces transitionnels sont la continuation de l’objet
transitionnel du petit enfant, ils sont à l'origine de la capacité à symboliser le monde, à prendre une
distance par rapport à lui.
WINNICOTT identifie cet espace intermédiaire à la capacité de s'impliquer dans une activité
créative : dans les arts, la religion, l'imaginaire mais également dans l'activité scientifique. Les
premiers objets que possède l'enfant et qu'il investit émotionnellement sont les premiers symboles.
Ils sont les produits des premiers actes créatifs, des premières inventions faites par un sujet, ils
rendent également compte du développement de l'imagination. Il s'agit, en un sens, de la première
rencontre avec la culture. Un tel espace met en œuvre à la fois le rapport à autrui et le rapport aux
objets, qui médiatisent le rapport à autrui.
L’espace transitionnel, c’est l’espace du père, c'est à dire de celui qui permet à l’enfant de sortir de
la relation fusionnelle avec sa mère. Il permet d'expérimenter la séparation de soi et de l'autre et
d'inventer des solutions qui permettent de surmonter les difficultés de cette expérience. Il s’agit
d’un espace intermédiaire, entre la proximité de la relation à la mère et l’ouverture au monde.
Cet espace est également un espace de jeu par excellence. Il confère une liberté d’action, sans pour
autant donner une gravité sans appel à ses gestes, ses essais et expériences.
Je réalise alors progressivement, qu'inconsciemment (au départ), je me suis attachée à tenter de
créer un espace transitionnel à travers la pratique de l'équitation. Plusieurs question se posent alors à
moi :
•
Le cheval peut-il être objet transitionnel?
J'ai consulté plusieurs Mémoires d'éducateurs spécialisés qui avaient pour objet d'étude la
médiation. L'un d'entre eux38 traitait la médiation par l'intermédiaire du cheval et certains apports
ont attiré mon attention.
Dans cet écrit, des ponts sont réalisés entre les théories de WINNICOTT et les observations faites
lors de séances d'équitation. Le public pris en charge est quelque peu différent de celui que suit la
PJJ car les jeunes du groupe observé sont tous porteurs de handicap, pour autant, il me semble
intéressant de s'en inspirer. En effet, l'auteur expose que l'on peut voir, lors des séances au sein du
centre équestre, que l'enfant « prend possession de son poney » et que cette étape correspond à la
transition que vit le petit enfant qui passe de l'union avec la mère à l'état où il entre en relation avec
38
EVEN Betty , A cheval entre médiation et loisir , Mémoire ES, IRTESS Dijon, 2012.
46
elle, en tant que quelque chose d'extérieur et de séparé. Il considère alors le poney comme le sien
propre et n'accepte pas facilement que quelqu'un s'en approche.
C'est ce que j'ai pu observer lors des rendez-vous au club avec Johan. En effet, le jeune s'est
approprié Milkshake, il ne veut s'occuper que de lui et n'accepte pas facilement de choisir un
autre cheval. Il lui parle calmement, l'enlace et le caresse à de multiples reprises.
Johan développe une relation privilégiée avec son cheval comme il aurait pu le faire, enfant,
avec son doudou, objet transitionnel par excellence. Milkshake semble représenter
progressivement l'objet de toutes ses projections affectives, lui permettant sans doute de
surmonter ses angoisses de séparation.
Les séances n'ont lieu qu'une fois par mois, et par conséquent, les phénomènes transitionnels,
incarnés par le cheval, n'ont pas le caractère permanent d'un réel objet transitionnel que l'enfant
emporte partout avec lui comme son doudou. Il apparaît alors que le cheval peut être davantage
considéré comme objet intermédiaire de la relation jeune-éducateur.
D'après Renée de LUBERSAC, le cheval, objet utilisé comme intermédiaire de la relation répond à
des critères bien précis. Il doit avoir « une existence bien réelle, un caractère inoffensif, une
malléabilité. Il doit être réellement intermédiaire, (…), permettant ainsi la communication,
reformant le lien, tout en conservant la distance nécessaire. (…) Il doit avoir le caractère d'un
instrument afin que le sujet puisse l'utiliser comme un prolongement de lui-même. Il doit être
identifiable pour se faire immédiatement reconnaître. En raison de ses caractéristiques, l'objet
intermédiaire provoque une baisse du niveau d'anxiété. (…) L'emploi d'un objet intermédiaire
permet d'obtenir une réponse parfois impossible à avoir personnellement directement »39
Il est important de considérer le cheval comme objet intermédiaire de la relation qui s'établira entre
le jeune et l'éducateur. Au début de la prise en charge, l'éducateur ne connaît pas toujours le mineur
et ne sait pas comment une relation pourra se tisser. Je remarque que l'observation de ces temps de
rencontres permet de comprendre un partie de la personnalité du jeune à travers le comportement
qu'il adopte.
Johan a, par exemple, rapidement choisi Milkshake, décrit par le moniteur comme un cheval
calme et à l'écoute. Alors qu'Angy a choisi Scirius, très caractériel et difficile mais bon
39
Renée de Lubersac , propos recueillis au cours d'un colloque sur l'hippothérapie en 2007
47
élève...Ce dernier, un peu joueur et espiègle a rapidement attiré le jeune, se définissant à
l'identique !
Ce choix est révélateur du comportement des jeunes et permet ainsi d'envisager la relation avec eux
de manière plus appropriée. La présence du cheval peut alors nous permettre de revenir sur un
comportement du jeune en miroir avec une réaction qui lui déplaît. Ainsi nous nous appuyons sur
les interactions provoquées par le cheval.
C'est le cas lorsque les jeunes font des réflexions sur l'attitude du cheval. Je prends à nouveau
l'exemple d'Angy qui dit parfois au cheval : « si t'écoutes pas on pourra rien faire » ou
« arrête de bouger dans tous les sens ça sert à rien ». Pour un adolescent qui a du mal à se
concentrer sur les consignes et à rester attentif au discours de l'adulte, les phrases qu'il
prononce en direction de l'animal, sont des « outils » pour l'éducateur présent.
Le cheval en tant qu'objet intermédiaire, devient alors un support idéal à la relation de transfert qui
s'établit entre le jeune et l'éducateur.
•
Le cheval serait-il, dans ce contexte, médiateur d'une relation transférentielle ?
Le cheval peut jouer ce rôle de médiateur de la relation. La notion de transfert trouve ses origines
dans la cure analytique. Le transfert « désigne, en psychanalyse, le processus par lequel les désirs
inconscients s'actualisent sur certains objets dans le cadre de la relation »40
A mon sens, le terme de transfert doit être pris ici dans un sens élargi. C'est la situation qui va
permettre de réactualiser une ou plusieurs situations pathogènes ou sources d'angoisse. Le cheval
est considéré par le jeune comme étant son égal car il ne parle pas, n'a pas d'intentionnalité dans
l'échange et n'est pas jugeant. En conséquence, il autorise le jeune à exprimer ses sentiments, y
compris les plus ambivalents, en présence de l'éducateur qui met en mots ce qui se passe afin de
soutenir l'adolescent.
Des échanges avec une monitrice d'équitation 41 semblent mettre cela en évidence. En effet, elle
expose la situation d'une jeune fille inscrite en colonie. Elle raconte que depuis quelques séances,
Pauline a choisi de monter Nesquick, elle se sent en confiance et parvient à se détendre lorsqu'elle
est sur le dos du poney. Lors d'une séance la monitrice demande à chacun de chanter une chanson
40
41
LAPLANCHE et PONTALIS, Vocabulaire de la psychanalyse, Broché, 2007
Audrey, monitrice à la Maison du cheval de Niort, rencontrée au cours de l'été 2010
48
au galop afin de trouver sa respiration et de ne pas la bloquer comme à leur habitude (dû au stress).
C'est alors au tour de Pauline. Une jeune fille très renfermée et qui ne communique au quotidien
que par des excès de violences. Elle se met alors à inventer les paroles d'une chanson pour Nesquick
en exprimant ses sentiments pour cet animal qui la comprend et avec qui elle développe une
complicité. Elle dit que cela lui fait du bien de s'occuper de lui, qu'elle l'aime vraiment beaucoup,
qu'il comprend ce qu'elle lui demande... c'est la première fois que Pauline fait part de ses sentiments
aussi clairement.
J'avais espoir de vivre un moment similaire mais les choses ne se déclenchent pas si vite. Pour
autant, à la dernière séance, Johan a dit à Milkshake « ah toi tu changes pas, toujours le
même, sans surprise, tu ne me déçois jamais »...Ceci peut donc sembler révélateur et marquer
une fois de plus le manque de confiance en l'autre. Ceci vient également interroger, comme
nous l'avons vu plus tôt, la problématique du lien ou celle de l'attachement.
Johan est très attaché à sa maman et vit depuis toujours des situations chaotiques
(séparations régulières d'avec les conjoints de madame G, décès de son beau-père au cours de
la mesure prise en charge par notre service). Il a tendance à se positionner en adulte plutôt
qu'en adolescent. La situation à cheval lui permet sans doute de revivre des situations
régressives l'autorisant à vivre sa place d'enfant de façon intense, et d'exprimer ses
sentiments.
Cet exemple montre jusqu'à quel point, parfois, l'animal peut être médiateur dans la relation car ce
qui est dit d'une manière spontanée et naturelle, ne pourrait l'être sans la présence du cheval.
49
CHAPITRE 5 :
METHODOLOGIE DU MEMOIRE
I. Déroulement de la rechercher
J'ai choisi de construire mon mémoire autour de la notion de Médiation car ma première volonté
était de trouver un moyen de palier à la difficulté de créer un « espace de rencontre » favorable aux
échanges. Je souhaitais partager une activité avec les jeunes afin de voir si ce temps pouvait
permettre d'améliorer la relation éducative.
Mon envie était la suivante : expérimenter à ma façon une rencontre différente, qui se joue sur une
autre scène que celle des entretiens habituels, c'est-à-dire individuels et se déroulant au service.
Mon but était de vérifier, par l'expérimentation, si ce type d'interactions pouvait déclencher un
processus de changement chez ces jeunes difficiles à mobiliser, peu sûrs d'eux...
Mon intérêt pour une thématique autour d'une activité de médiation s'est accentué lorsque l'équipe
de direction du service à donné la possibilité aux éducateurs de proposer des projets d'activité dans
le cadre du Dispositif Accueil Accompagnement.
J'ai rapidement réalisé que je pouvais, dans ce cadre, mettre à profit mes compétences en matière
d'accompagnement des activités équestres et ainsi faire partager à l'ensemble des participants une
pratique qui me passionne.
Mes réflexions autour de la notion de médiation m'ont conduite à rechercher dans un premier temps
les définitions que l'on peut en donner.
Cette approche a été l'occasion de me confronter aux éventuels intérêts et/ou apports de l'activité
équestre dans le cadre de la prise en charge de jeunes sous main de justice, et d'en analyser la
pertinence.
Dans un second temps je me suis questionnée sur les représentations des professionnels au sujet de
ma thématique de médiation par l'activité « cheval » et me suis intéressée au vécu de ces moments
par les jeunes.
Les entretiens sont venus par la suite car je souhaitais que chacun vive et profite de ce projet avant
de les faire entrer dans une démarche réflexive concernant cette activité.
Enfin, je me suis questionnée sur les limites que j'ai pu rencontrer, d'une part, au cours de la mise en
place de l'activité en elle-même et d'autre part, concernant les apports de celle-ci.
50
II. Recueil et analyse des données
Afin de recueillir les ressentis de mes collègues sur la thématique de mon mémoire et sur l'envie de
mettre en place et pérenniser une activité « cheval » dans le cadre du DAA, j'ai commencé par
exposer mes idées lors de temps informels.
J'ai débuté mes recherches sur la médiation animale l'an dernier et je me suis rendue compte en
arrivant sur le terrain en Septembre que ce qui est une exigence de la formation pouvait devenir un
objectif plus grand. En effet, lors de ce stage de professionnalisation et dans le cadre du mémoire,
nous avons à mettre en place une EXPERIMENTATION.
J'ai progressivement réalisé que mon expérimentation pouvait être l'occasion de vérifier, au cours de
réelles séances d'équitation avec les jeunes, ce que j'ai pu lire, comprendre et étudier durant les
semaines de recherches.
Enfin, j'ai pensé que la mise en place de ce partenariat pouvait perdurer au delà de l'expérimentation
si l'équipe et moi-même étions satisfaits de cet « outil pédagogique ».
Par la suite, j'ai fait passer un questionnaire sur le DAA que j'ai moi même réalisé. L'idée était
d'explorer, faire le point sur les ressentis et idées des collègues et plus largement des services de
Milieu Ouvert. Toutefois, j'ai progressivement abandonnée l'idée du questionnaire car le nombre de
personnes interrogées n'aurait pas été assez représentatif et significatif.
Pour être valable d'un point de vue scientifique, celui-ci suppose de faire apparaître un grand
nombre de réponses. Or, cela n'est pas adapté à mon terrain de recherche car le nombre d'acteurs est
limité.
Pour autant, quelques mois plus tard, j'ai recueilli leurs avis au cours d'entretiens. Ceux-ci m'ont
permis d'affiner ma recherche. Il était question d'aborder avec les professionnels de mon service
leurs ressentis quant à la thématique de mon sujet, recueillir d'éventuelles expériences vécues,
découvrir leurs connaissances sur les apports de la médiation...
51
Les 9 personnes interrogées42 :
SEXE
AGE
STATUT
Erwan S
M
29 ans
Éducateur PJJ
Laura B
F
26 ans
Éducatrice PJJ
Marie M
F
42 ans
Éducatrice PJJ
Julien C
M
34 ans
Éducateur PJJ
Johan
M
17 ans
Jeune pris en charge par la PJJ
Corentin
M
17 ans
Jeune pris en charge par la PJJ
Valton
M
15 ans
Jeune pris en charge par la PJJ
Angy
M
17 ans
Jeune pris en charge par la PJJ
Carole J
F
27 ans
Bénévole de l'Association Hippocampe
Après avoir expérimenté plusieurs séances, j'ai proposé aux jeunes de prendre un temps, individuel,
pour échanger sur leurs ressentis quant à la pratique de l'équitation.
Curieux de se faire « interviewer », j'ai eu 5 volontaires.
Par la suite, j'ai réalisé 4 entretiens avec des professionnels (éducateurs PJJ) dont 2 ayant participé à
une activité dans le cadre du DAA.
Enfin, j'ai mis en place des grilles d'observation dès le début du projet afin de noter la progression
des jeunes et de pouvoir constater l'évolution du comportement de chacun. C'est également dans
cette optique que j'ai décidé d'utiliser un Carnet de Bord.
Cette étape m'a permis de poser un regard distancé sur les séances et d'impulser ma réflexion quant
à la préparation des séquences suivantes, selon les nouveaux objectifs fixés.
Pour analyser les données de terrain obtenues et engager un travail réflexif, j'ai rassemblé des
données théoriques qui me permettent d'articuler éléments pratiques et théoriques par le biais de
lectures dans les champs disciplinaires de la psychologie, la pédagogie et la sociologie.
42
Les prénoms ont été modifiés
52
III. Points forts et limites de la méthodologie
•
Points forts de la méthodologie :
J'ai fait le choix d'une méthode qualitative43. Celle-ci me permet d'analyser les données descriptives
que je recueille à chaque séance, les paroles ou le comportement des jeunes du groupe observé.
Je me suis intéressée au sens que l'on peut donner à des attitudes, à des gestes ou encore à des mots.
Je pense que ce type de « phénomène social » est difficilement quantifiable.
Mon but est donc de chercher à décrire, à comprendre, à explorer un nouveau domaine, évaluer les
performances de la médiation, aller à la découverte d'une pédagogie et évaluer cette action.
Je trouvais la méthode qualitative plus pertinente afin de tester mes hypothèses de recherche.
Les entretiens semi-directifs m'ont permis de prévoir quelques interrogations en guise de point de
repères.
J'ai effectivement préparé mes questions afin de recueillir une parole libre, dans un cadre donné.
Cette méthode me rassurait puisque les personnes interrogées pouvaient exposer leurs idées et
ressentis tout en ne perdant pas de vue le sujet de l'échange, systématiquement recadré par le biais
de mes questions.
J'ai longuement réfléchi à la possibilité de faire un entretien en groupe. Je n'ai pas choisi de le
mettre en place car le public adolescent, pris en charge par la PJJ, est, bien souvent, très
influençable. J'imagine donc assez aisément que les réponses auraient été moins sincères et, de ce
fait, les échanges moins riches.
L'observation quant à elle, m'a permis de baser ma recherche sur des situations bien réelles. Les
mots et gestes y sont alors plus spontanés. En effet, l'acte de communication (entretien) permet des
retours en arrières, analyse ou encore projection vers l'avenir, ce qui n'est pas possible lorsque nous
n'utilisons que notre vue.
•
Limites de la méthodologie :
Il est nécessaire de se donner du temps pour effectuer les entretiens dans de bonnes conditions afin
de recueillir la parole des personnes présentes. Cette notion de Temporalité a ponctué mon travail
43
BLANCHET A., GOTMAN A., de SINGLY F. L'enquête et ses méthodes : l'entretien, Paris, Nathan, 1992
53
tout au long de mes recherches. Elle est parfois même venue l'entacher. C'est pourquoi je la
développe dans un paragraphe de mon écrit.
Je regrette, par exemple, de ne pas avoir eu la possibilité d'obtenir un temps repéré avec le moniteur
d'équitation pour réaliser un entretien formel. Pour autant, les échanges et les discussions que nous
avons tout au long des séances m'ont permis de nourrir et d'illustrer le contenu de mon mémoire.
L'inconvénient principal de l'observation participante est le fait que je ne suis pas, dans ce cas,
complètement indépendante de mon sujet d'étude.
La retranscription est également primordiale en ce qu'elle reproduit fidèlement le moment partagé
au cours de l'entretien. Cet exercice demande, de fait, beaucoup de concentration, de rigueur et de
temps. C'est pour cela que j'ai choisi de proposer en annexe les entretiens qui me paraissent les plus
pertinents et les plus représentatifs des nombreux échanges.
Enfin, cette méthode n'est pas totalement satisfaisante. En effet, elle se base sur un échantillon trop
faible pour en légitimer les résultats. De plus, elle me permet de constater des pratiques, des
satisfactions, des regrets, des attentes...mais elle n'explique pas toujours pourquoi ces phénomènes
se mettent en place.
C'est pour ces raisons que l'étude de notions et les recherches théoriques viennent compléter mon
propos et l'étayer.
54
CONCLUSION
Étant donné l'inaccessibilité notoire de certains jeunes dans le cadre pénal, il semble qu'à
chaque fois qu'il sera possible de le faire, la provocation de circonstances favorables à la production
d'une parole de l'adolescent ira de pair avec une socialisation ou une possibilité d'intégration qui, la
plupart du temps, lui a fait défaut.
Avec ce mémoire, je questionne les pratiques de mon service de milieu ouvert face aux commandes
institutionnelles, judiciaires, nationales et il me reste alors une interrogation : Quels sont les
moyens de rencontre ?
En ce qui me concerne, je pense que nous devons, au regard de nos missions, favoriser un espace de
parole.
Nous avons besoin de la parole du jeune pour faire vivre notre action éducative. La question qui se
pose est donc celle de savoir comment la faciliter ?
De plus, cette étude me fait réaliser combien il est parfois difficile pour les professionnels de parler
de leurs pratiques. C'est une occasion de les évaluer et/ou de les défendre.
En ce qui concerne les jeunes, ceux-ci ont peur de quitter leur univers, peur de cet extérieur qu'ils
interpellent parfois de façon répétée à travers leur comportement.
Nos difficultés comprises dans l'expression « rencontrer certains jeunes » nous amènent à interroger
nos manières de faire ou de ne pas faire pour tisser ce lien tant important.
Proposer une activité de groupe a pour but de favoriser l'évolution positive du jeune en créant une
attitude de solidarité, l'apprentissage de règles, .... La mise en place d'actions collectives vient alors
en complément de l'action éducative individuelle.
Mon hypothèse générale était la suivante : la relation à l'animal concoure à l'amélioration du
lien éducatif et à la socialisation du jeune. Elle est à présent validée.
Le défi que je me suis lancé était de voir comment atteindre ces jeunes peu accessibles, ceux qu'on
ne peut pas faire venir, ceux pour qui la force seule de la parole dans le cadre de l'entretien éducatif
n'appelle pas une efficacité à toute épreuve.
55
C'est dans cette optique que j'ai tenté de mobiliser un certain nombre de jeunes sur les activités
équestres.
Deux éducatrices PJJ ont également mis en place cette activité et lorsqu'elles écrivent un article sur
les enseignements qu'elles en tirent, elles livrent ceci :
« Pour des raisons qui leur appartiennent, tous ces jeunes s'approprient, l'espace de quelques heures,
un moment d'évasion. Il s'agit d'un temps éducatif qui contribue sûrement à redorer leur image au
travers une activité valorisante, source d'émotions diverses. »44
D'autres part, cette étude me permet d'élaborer des réponses à mes questionnements. En
effet, lors de mon entrée en formation j'ai longuement interrogé les professionnels sur la relation
éducative et le lien qui se crée au fil des prises en charge. Comment penser créer ce lien essentiel au
travail éducatif tout en ayant conscience que notre intervention auprès des mineurs n'est que
temporaire ? Il faut à la fois mettre le jeune et sa famille en confiance pour les accompagner mais
garder à l'esprit que l'intervention du service PJJ n'est pas amenée à durer.
Après l'étape essentielle de la création du lien, il faudrait donc penser à la déconstruction de celuici. Les éducateurs travaillent cette « séparation » au cours de la mesure éducative. Ils accompagnent
le jeunes vers la fin progressive du suivi. Il n'est parfois pas simple pour le jeune de réaliser que
l'accompagnement prend fin, pour autant, l'intervention du service PJJ est limitée à une période
donnée.
La question que je me pose actuellement est de savoir si les activités du DAA ne pourraient pas
avoir également cette vocation, ou du moins, y contribuer. En effet, afin de déconstruire la relation
duelle (éducateur-jeune), nous pourrions proposer au mineur de participer à des temps collectifs ou
lui faire découvrir de nouvelles pratiques. Le but ici serait donc différent, il viserait l'autonomie.
Cette étude m'a également permis de construire et d'identifier des savoir-faire et des savoir-être dont
je n'avais pas encore pleinement conscience. Je n'imaginais pas, par exemple, être capable de
monter un projet et de le soumettre à ma hiérarchie, le justifier et le défendre afin que celle-ci le
valide. J'ai été encouragée et des moyens sont mis à ma disposition afin que je poursuive mes
démarches dans les meilleures conditions. D'autres séances d'équitation sont ainsi programmées
pour les mois à venir. Un bilan a lieu à chaque réunion pour faire le point sur l'avancement du projet
et pour en connaître les évolutions. Il sera ainsi prochainement question de « vérifier » les apports
44
BIZEUL Anne, COUSIN Véronique, Au triple Galop..., Cahiers dynamiques n°34, Avril 2005
56
de cette pratique sur le comportement des jeunes et sur leur implication au cours de la mesure
judiciaire.
Enfin, je me rends compte combien il est intéressant de faire de sa passion un outil pour la prise en
charge des jeunes. Mes connaissances en matière d'équitation me permettent d'aborder les séances
sereinement et d'en prévoir les objectifs. Je peux facilement orienter le travail avec le jeune, mettre
l'activité au bénéfice du suivi.
De nombreux spécialistes reconnaissent l’efficacité du contact avec le cheval. Ce dernier, miroir du
comportement humain est un excellent médiateur. Il apporte « ses valeurs » et favorise une
évolution humaine, thérapeutique, éducative et des apprentissages.
Pour autant, je relève également que ce travail n'est pas facile à mettre en œuvre et que les résultats
ne sont pas toujours positifs. J'ai moi-même été découragée à certains moments et je me rends
compte que cet « outil pédagogique » est à reconsidérer au regard de la problématique de chaque
jeune pris individuellement.
Je ne considère pas cela comme un échec, mais il est vrai que pour certains jeunes, les résultats ne
se sont pas révélés positifs ou du moins pas encore.
Cependant, le travail éducatif basé sur la relation au cheval et destiné à des jeunes en voie
d’exclusion semble être quelque chose qui pourrait porter ses fruits.
C'est donc avec enthousiasme et beaucoup d'espoir que je souhaite institutionnaliser cette pratique
au sein de mon service.
57
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Circulaire :
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www.agriculture-gouv.fr
www.cairn.info
www.fenouchka.wix.com/association-hippocampe
www.ffe.com
www.intranet-justice.gouv
www.sfequithérapie.free.fr
59
ANNEXES
Annexe 1 : Encart méthodologique
Annexe 2 : Accord cadre PJJ-FFE
Annexe 3 : Grille d'observation séance 1
Annexe 4 : Grille d'observation séance 4
Annexe 5 : Retranscription d'entretiens
60
ANNEXE 1 : Encart méthodologique
ENCART METHODOLOGIQUE
PROBLEMATIQUE GENERALE DE LA RECHERCHE
J'ai choisi de construire mon mémoire autour de la notion de Médiation car ma première volonté
était de trouver un moyen de palier à la difficulté de créer un « espace de rencontre » favorable aux
échanges. Je souhaitais partager une activité avec les jeunes afin de voir si ce temps pouvais
permettre d'améliorer la relation éducative.
Mon envie était la suivante : expérimenter à ma façon une rencontre différente, qui se joue sur une
autre scène que celle des entretiens habituels, c'est-à-dire individuels et se déroulant au service.
Mon but était de vérifier, par l'expérimentation, si ce type d'interaction pouvait déclencher un
processus de changement chez ces jeunes difficiles à mobiliser, peu sûrs d'eux...
J'ai donc formulée la question centrale suivante :
Comment la médiation par l'activité « cheval » peut être un levier dans la prise en charge
éducative des jeunes dans un contexte judiciaire ?
Mon intérêt pour une thématique autour de l'une activité de médiation s'est accentué lorsque
l'équipe de direction du service à donné la possibilité aux éducateurs de proposer des projets
d'activité dans le cadre du Dispositif Accueil Accompagnement.
J'ai rapidement réalisé que je pouvais, dans ce cadre, mettre à profit mes compétences en matière
d'accompagnement des activités équestre et ainsi faire partager à l'ensemble des participants une
pratique qui me passionne.
Mes réflexions autour de la notion de médiation m'ont conduite à rechercher dans un premier temps
les définitions que l'on peut en donner. Celles-ci diffèrent selon qu'il s'agisse du point de vue
pédagogique ou psychologique.
Cette approche a été l'occasion de me confronter aux éventuels intérêts et/ou apports de l'activité
61
équestre dans le cadre de la prise en charge de jeunes sous main de justice, et d'en analyser la
pertinence.
Dans un second temps je me suis questionnée sur les représentations des professionnels au sujet de
ma thématique de médiation par l'activité « cheval ».
Je me suis intéressée au vécu de ces moments pour les jeunes.
Les entretiens sont venus par la suite car je souhaitais que chacun vive et profite de ce projet avant
de les faire entrer dans une démarche réflexive concernant cette activité.
Enfin, je me suis questionnée sur les limites que j'ai pu rencontrer, d'une part, au cours de la mise en
place de l'activité en elle-même et d'autre part, concernant les apports de celle-ci.
HYPOTHESE DE RECHERCHE
La relation à l'animal en générale et plus particulièrement au cheval concoure à l'amélioration du
lien éducatif et à la socialisation du jeune pris en charge par le Protection Judiciaire de la Jeunesse.
METHODE DE RECUEIL DE DONNEES
Afin de recueillir les ressentis de mes collègues sur la thématique de mon mémoire et sur l'envie de
mettre en place et pérenniser une activité « cheval » dans le cadre du DAA, j'ai commencé par
exposer mes idées lors de temps informels.
J'ai commencé mes recherches sur la médiation animale l'an dernier et je me suis rendue compte en
arrivant sur le terrain en Septembre que ce qui est une exigence de la formation pouvait devenir un
objectif plus grand. En effet, lors de ce stage de professionnalisation et dans le cadre du mémoire,
nous avons à mettre en place une EXPERIMENTATION.
J'ai progressivement réalisé que mon expérimentation pouvait être l'occasion de vérifier, au cours de
réelles séances d'équitation avec les jeunes, ce que j'ai pu lire, comprendre et étudier durant les
semaines de recherches.
Enfin, j'ai pensé que la mise en place de ce partenariat pouvait perdurer au delà de l'expérimentation
si l'équipe et moi-même étions satisfaits de cet « outil pédagogique ».
Par la suite, j'ai fait passer un questionnaire sur le DAA que j'ai moi même réalisé. L'idée était
d'explorer, faire le point sur les ressentis et idées des collègues et plus largement des services de
62
Milieu Ouvert. Toutefois, j'ai progressivement abandonnée l'idée du questionnaire car le nombre de
personnes interrogées n'aurait pas été assez représentatif et significatif. Pour être valable d'un point
de vue scientifique, celui-ci suppose de faire apparaître un grand nombre de réponses. Or, cela n'est
pas adapté à mon terrain de recherche car le nombre d'acteurs est limité.
Pour autant, quelques mois plus tard, j'ai recueilli leurs avis au cours d'entretiens. Ceux-ci m'ont
permis d'affiner ma recherche. Il était question d'aborder avec les professionnels de mon service
leurs ressentis quant à la thématique de mon sujet, recueillir d'éventuelles expériences vécues,
découvrir leurs connaissances sur les apports de la médiation...
Après avoir expérimenté plusieurs séances, j'ai proposé aux jeunes de prendre un temps, individuel,
pour échanger sur leurs ressentis quant à la pratique de l'équitation.
Curieux de se faire « interviewer », j'ai eu 5 volontaires.
Par la suite, j'ai réalisé 4 entretiens avec des professionnels (éducateurs PJJ) dont 2 ayant participé à
une activité dans le cadre du DAA.
Enfin, j'ai mis en place des grilles d'observation et utilisé un Carnet de bord dès le début du projet
afin de noter la progression des jeunes et de pouvoir constater l'évolution du comportement de
chacun. Cette étape m'a permis de poser un regard distancé sur les séances et d'impulser ma
réflexion quant à la préparation des séances suivantes, selon les nouveaux objectifs fixés.
METHODE D'ANALYSE DES DONNEES
Pour analyser les données de terrain obtenues et engager un travail réflexif, j'ai rassemblé des
données théoriques qui me permettent d'articuler différents éléments pratiques et théoriques par le
biais de lectures dans les champs disciplinaires de la psychologie, la pédagogie et la sociologie.
J'ai effectué une analyse qualitative et comparative des 9 entretiens que j'ai réalisé afin de saisir les
éléments communs et divergents entre les personnes interrogées.
POINTS FORTS ET LIMITES DE LA METHODOLOGIE
•
Points forts de la méthodologie :
J'ai fait le choix d'une méthode qualitative45. Celle-ci me permet d'analyser les données descriptives
45
BLANCHET A., GOTMAN A., de SINGLY F. L'enquête et ses méthodes : l'entretien, Paris, Nathan, 1992
63
que je recueille à chaque séance, les paroles ou le comportement des jeunes du groupe observé.
Je me suis intéressée au sens que l'on peut donner à des attitudes, à des gestes ou encore à des mots.
Je pense que ce type de « phénomène social » est difficilement quantifiable.
Mon but est donc de chercher à décrire, à comprendre, à explorer un nouveau domaine, évaluer les
performances de la médiation, aller à la découverte d'une pédagogie et évaluer cette action.
Je trouvais la méthode qualitative plus pertinente afin de tester mes hypothèses de recherche.
Les entretiens semi-directifs m'ont permis de prévoir quelques interrogations en guise de point de
repères.
J'ai effectivement préparé mes questions afin de recueillir une parole libre, dans un cadre donné.
Cette méthode me rassurait puisque les personnes interrogées pouvaient exposer leurs idées et
ressentis tout en ne perdant pas de vue le sujet de l'échange, systématiquement recadré par le biais
de mes questions.
J'ai longuement réfléchi à la possibilité de faire un entretien en groupe. Je n'ai pas choisi de le
mettre en place car le public adolescent, pris en charge par la PJJ, est, bien souvent, très
influençable. J'imagine donc assez aisément que les réponses auraient été moins sincères et, de ce
fait, les échanges moins riches.
L'observation quant à elle, m'a permis de baser ma recherche sur des situations bien réelles. Les
mots et gestes y sont alors plus spontanés. En effet, l'acte de communication (entretien) permet des
retours en arrières, analyse ou encore projection vers l'avenir, ce qui n'est pas possible lorsque nous
n'utilisons que notre vue.
•
Limites de la méthodologie :
Il est nécessaire de se donner du temps pour effectuer les entretiens dans de bonnes conditions afin
de recueillir la parole des personnes présentes. Cette notion de Temporalité a ponctué mon travail
tout au long de mes recherches. Elle est parfois même venue l'entacher. C'est pourquoi je la
développe dans un paragraphe de mon écrit.
Je regrette, par exemple, de ne pas avoir eu la possibilité d'obtenir un temps repéré avec le moniteur
d'équitation pour réaliser un entretien formel. Pour autant, les échanges et les discussions que nous
avons tout au long des séances m'ont permis de nourrir et d'illustrer le contenu de mon mémoire.
64
L'inconvénient principal de l'observation participante est le fait que je ne suis pas, dans ce cas,
complètement indépendante de mon sujet d'étude.
La retranscription est également primordiale en ce qu'elle reproduit fidèlement le moment partagé
au cours de l'entretien. Cet exercice demande, de fait, beaucoup de concentration, de temps et de
rigueur. C'est pour cela que j'ai choisi de proposer en annexe les entretiens qui me paraissent les
plus pertinents et les plus représentatifs des nombreux échanges.
Enfin, cette méthode n'est pas totalement satisfaisante. En effet, elle se base sur un échantillon trop
faible pour en légitimer les résultats De plus, elle me permet de constater des pratiques, des
satisfactions, des regrets, des attentes...mais elle n'explique pas toujours pourquoi ces phénomènes
se mettent en place.
C'est pour ces raisons que l'étude de notions et les recherches théoriques viennent compléter mon
propos et l'étayer.
65
ANNEXE 2 : Accord cadre PJJ-FFE
66
ANNEXE 3 : Grille d'observation de la première séance
67
68
69
ANNEXE 4 : Grille d'observation séance 4
70
71
72
ANNEXE 5 : Retranscription d'entretiens
Annexe 5a : Entretien avec un éducateur de la PJJ
Le 25 mars 2014 à 12h15
Lolita : Bonjour, je suis actuellement en formation d'éducateur à la PJJ. Je vous propose
d'échanger sur le thème de « l'équitation en tant que médiation dans la relation éducative ».
Cette thématique correspond à mon sujet de recherche pour mon mémoire professionnel.
Je sais que vous êtes éducateur à la PJJ au sein d'une UEHC. Vous accueillez actuellement
une adolescente qui pratiquait l'équitation avant son placement...
Que pensez vous que la pratique d'un sport, apporte aux jeunes ?
Éducateur :Je pense que le sport permet de mobiliser les jeunes. Ce sont des jeunes qui ont
souvent des parcours qui les amènent à être démobiliser et notamment sur le sport. C'est un média
très important pour valoriser l'image qu'ils ont d'eux même, les aider à accepter leur corps. Ça leur
renvoie une image positive d'eux même
L: Selon vous, quelles images ont les adolescents pris en charge par le PJJ de l'équitation ?
Quelles représentations ont-ils du Cheval ?
E:J'en ai aucune idée..euuuh je suppose que cela dépend de s'ils ont eu à faire auparavant à
l'animal. Je n'ai jamais encore eu l'occasion d'encadrer ces jeunes autour d'une activité équestre, ni
même d'aborder le sujet. Je suppose qu'il doit y avoir une certaine crainte chez certains jeunes
mais...ça m'est difficile à dire...l'ignorance crée souvent cette crainte voire une angoisse
L: Je pense à la jeune fille que vous avez au sein du foyer et qui a effectué ces dernières
séances alors qu'elle était placée...est ce que les jeunes du groupe n'avaient pas des
représentations quant à cette pratique ?
E: Euuuh, alors, sur la question du genre, non, je ne pense pas que ça est été renvoyé à un sport
typiquement féminin. En revanche, c'est vrai que le fait qu'elle pratique cette activité sportive a été
clairement indiqué à son arrivée au foyer et ... que... ça serait difficile pour le foyer d'assumer une
inscription au centre équestre, et avant même qu'elle n'en ait fait la démarche. Ça témoigne de
l'image d’Épinal que peut renvoyer cette discipline quoi...c'est...c'est une discipline qui est cher aux
yeux du grand public donc voilà. Après euuuh on n'a pas rencontré d'a priori négatif de la part des
jeunes.
L: Les jeunes pris en charge par la PJJ ont diverses problématiques. Il peut être question de
violence, de manque de confiance en soi ou d'estime de soi, d'une problématique
d'attachement ou de socialisation... Que pensez vous que l'équitation en général, et la relation
à l'animal en particulier, apporte au suivi éducatif ?
E: Je pense que l'équitation peut permettre d'entrer en relation au même titre que de nombreux
médias. C'est une manière d'entrer en relation avec le jeune en...en faisant intervenir un tiers dans
la relation éducative, c'est-à-dire que ça permet de trouver un prétexte pour établir une
communication et surtout ne pas donner l'impression au jeune ou lui faire oublier en quelque sorte,
qu'on se trouve dans le travail éducatif, voilà.
L: Est ce qu'on peut comprendre par là que l'on tente de faire oublier la contrainte ?
73
E: ...c'est l'objectif du média en tout cas. Faire oublier sur l'instant la mesure éducative qui fait que
le service de la PJJ est missionné. Il me semble que dans cette médiation et d'autant plus quand on
se retrouve avec un animal vivant qui...qui quand-même demande plus d'attention qu'un ballon de
foot ou...euuh je pense que c'est un média qui favorise l'oublie de la contrainte. Là ça favorise le
fait d'établir ce lien de façon plus naturelle je dirais.
L : Comment expliquer que les jeunes ait systématiquement un « chouchou », un poney qu'ils
s'accaparent et dont ils souhaiteraient s'occuper à chaque fois ? Même si vous ne l'avez pas
vécu sur le terrain, comment, avec votre regard d'éducateur PJJ vous comprenez cette
réaction ?
E: Je pense que c'est euuuh, une recherche de repère...c'est difficile de le dire sans l'avoir vu mais
je pense qu'il peut y avoir comme un besoin de se rassurer. Un jeune qui aurait pu prendre des
repères lors d'une première séance avec un cheval et qui pour la deuxième aura plus tendance à se
diriger vers lui en se disant « bah...j'ai fait une première séance avec lui... » parce qu'il faut quand
même savoir que c'est pas évident la découverte du cheval, c'est une rencontre qui peut être
potentiellement angoissante et du coup je pense que ça peut être rassurant car ce qu'il ne connaît
pas crée l'angoisse... donc cette complicité qui a pu se créer avec le cheval, à mon avis, si la
première séance s'est bien passée, y'a des chances qu'il demande à l'avoir à nouveau...ou alors,
demander un autre cheval auquel il arrive mieux à s'identifier parce que j'imagine un cheval qui lui
plaise physiquement, qui lui plaise par le bruit qu'il peut faire ou par... je pense qu'il y a peut-être
aussi une recherche de proximité des caractères...
L: A l'inverse, est ce qu'on peut alors imaginer qu'un jeune qui demande à chaque fois à
changer de cheval pourrait euuuh, vouloir éviter cette complicité, cette relation affective en
quelque sorte ? C'est peut être de la sur-interprétation, je ne sais pas, vous allez me dire...
E: C'est ce que j'allais dire je suis trop peu qualifié en psychologie pour pouvoir interpréter comme
ça...mais peut être que c'est de l'ordre de la difficulté de s'attacher...mais en tout cas ça dénote
quelque chose, peut être un malaise mais moi je ne suis pas psychologue pour en dire quoi que ce
soit...
L: De nombreuses règles sont à respecter aux abords d'un centre équestre ; Les jeunes sous
main de justice ont parfois du mal à intégrer la loi et tout ce qui fait autorité : comment gérer
cette situation ? Sachant qu'ils ont parfois du mal à accepter la frustration, qu'il y a quandmême un bon nombre de règles de sécurité...
E: A mon avis le plus simple c'est que ce ne soit pas l'éducateur qui amène ces règles, ces nouvelles
règles...parce que l'éducateur en amène déjà pas mal...des règles. Et le fait que ce soit quelqu'un
qu'ils ne connaissent pas, qui soit identifié comme étranger mais comme quelqu'un de connaisseur
dans le cheval, quelqu'un d'averti et qui les amène à intégrer une certaine pédagogie, un ensemble
de règles fondamentales de l'équitation...je pense que ça peut être plus facilement compris par les
jeunes...après il faut bien choisir l'intervenant !
Je pense qu'il faut qu'il ait un certain charisme un certain savoir-faire avec les jeunes... mais ça
peut être une piste, à mon avis. Après voilà, c'est constitutif de l'apprentissage de la Règle, on sait
que ces jeunes là s'ils sont confiés à la PJJ c'est qu'ils ont du mal à intégrer la règle...quelle soit
dans le milieu équestre ou...dans le code de la route ou voilà, de toute manière c'est quelque chose
de positif que d'essayer de leur faire intégrer des règles et de leur faire comprendre qu'il y a des
règles dans plein de pan de la société...si t'es hors jeu tu peux pas participer !!
74
L: Ce sera la phrase de conclusion...je vous remercie
E: Bein … je vous en prix c'était avec plaisir et bon courage !
Annexe 5 b : Entretien avec Johan avant une séance d'équitation
Le 18 Avril 2014
Après avoir expliqué le cadre de cet entretien ainsi que le but, je demande à Johan de répondre à la
première question afin de débuter les échanges. Il me répond alors qu'il comprends et que la
première question sert à « lancer la conversation »
Lolita : Qu'attends-tu, en général, de la pratique d'un sport et de l'équitation en particulier ?
Johan : Depuis que je suis petit j'ai fait plusieurs sports. Je n'ai jamais continué assez longtemps
pour aller au point de...de faire des compét'. J'aime bien le sport parce que ça permet de voir du
monde, enfin des gens, des jeunes mais pas que. On voit les entraîneurs, les autres qui sont
licenciés dans des catégories plus vieux...plus petits aussi. Bref. Alors qu'est ce que j'attends quand
je fais du sport ?? Bah, que le prof m'explique des trucs. Qu'ils m'apprenne des techniques quoi.
Enfin ça dépend aussi du sport. Et pour le cheval ou l'équitation plutôt, bah...moi j'aime bien tout le
temps avant de monter déjà. Là on n'apprend pas vraiment, on profite en vrai.
(silence)
En fait je m'trompe, on a l'impression qu'on apprend rien parce qu'on est pas à cheval mais...si je
pense à tout ce que Jean-Michel nous dit pour préparer...enfin PANSER le cheval bah...j'apprends
des trucs. En tout cas au début j'ai appris, maintenant je sais. Mais quand on monte après c'est
autre chose. Là à chaque cours il nous donne des nouveaux trucs à faire, des trucs à essayer même
si ça marche pas tout de suite.
C'qui est bien et que j'attends quand je vais là bas c'est le fait qu'on soit ensemble mais tout seul à
la fois. En fait...bah on arrive en groupe, pis on voit d'autres gens aussi mais...on a du temps où on
est tout seul avec le cheval. Et du coup c'est caaaalme. C'est trop bien quand dans la ville ça bouge
tout l'temps et nous on est là, posés. Genre des fois tu parles même à ton cheval. On dirait que c'est
n'importe quoi et les gens ailleurs ils peuvent se foutre de ta gueule si tu leur dis ça mais en vrai
c'est vrai, on lui dit des trucs au cheval.
L : Qu'est ce que tu lui dis par exemple ?
J: Bah jsais pas des trucs...déjà ça dépend. Quand il est tout speed, en stress là...bah jle calme, jle
rassure. Jlui dis de rester tranquille, qu'y a pas de danger blablabla... (rire)
L : Pourquoi tu rigoles ?
J: Parce qu'en fait jme dis que des fois jle rassure alors que même moi ça va pas (rire). Des fois
jfais le mytho parce que je sais que c'est ça qu'il lui faut pour qu'il arrête de paniquer. C'est jeanMichel qui disait ça au début. Genre y a un bruit bizarre et tout et...il faut faire semblant, pour le
rassurer, que nous on a pas peur et que tout est normal...
L: Et ça marche ?
J: Ouai ça marche, bien sûr que ça marche...ça passe quoi...
75
L: Quelles représentations avais-tu de ce sport avant de le découvrir ? Représentation ça veut
dire « à quoi est ce que le cheval te faisait penser avant ? »
J: Avant d'y aller ?
L: Oui voilà
J: Bah...déjà que c'est un sport de riche ! Tout le monde dit ça. En vrai jsais pas. Bon bref. Un sport
de filles aussi . Ouai ça c'est vrai. Et en plus on l'a bien vu. Quand on y va on est les seuls gars
presque !! sauf jean-Michel. Et sinon bah, ça fsait peur surtout. Surtout quand ma mère elle me
raconte qu'elle est djà tombée, qu'un cheval peut s'emballer et galoper comme un fou...n'importe
quoi.
L: Non mais c'est possible aussi, il y a des risques...
J: Oui mais pas comme nous on fait. Dans la carrière ou le manège, en vrai si t'es calme et qu'on
écoute tous y'a pas de raison qui spasse des trucs de ouf.
L: Maintenant que tu le pratiques, quelles images en as-tu ?
J: Bah comme jdisais, c'est un sport de filles...enfin non c'est pas ça . Y'a beaucoup de filles. Mais
c'est bien on voit des gens et on rencontre d'autres filles qu'on connaît pas...(rire). Surtout qu'on les
revoit parce que, elle, elle sont toujours là bas, c'est leur maison on dirait !!
L: Et alors quoi d'autres si on met de côté les filles ?
J: … moi quand je vais là bas, je sais qu'on va s'amuser et que le soir en rentrant je serai crevé.
C'est toujours pareil. On s'rend compte avec Valérie 46 qu'on baille à chaque fois en fin
d'aprèm...genre on est tout fatigué. En fait elle dit que c'est juste qu'on est détendu. Donc ouai, ça
nous pose d'être là bas et surtout ça fait changer d'air et pis, moi je me trouve plus...comment on
dit ? Moi je voulais pas au début faire des activités en groupe. Du coup je voulais pas venir ou je
parlais pas trop aux autre et en fait...maintenant...bein, jcrois qu'on est content de se retrouver. On
sait que c'est bien quand on est là bas donc..voila.
L: Au club, il y a de nombreuses règles à respecter, non ? Qu'est ce que tu en penses ?
J: Ouai c'est vrai. (il réfléchit)... c'est vrai y'en a beaucoup mais en même temps c'est logique.
Genre pas fumer bah...sauf C. que ça a dérangé au début sinon, en vrai tout le monde comprend !!
Sinon, y'a toutes les règles aussi pour éviter le danger genre : pas être brusque, pas courir près des
chevaux. Près des « équidés», vous voyez on apprend du vocabulaire (rire)
Les règles en fait, c'est pas pareil qu'ailleurs...là on les comprends. On les comprends parce
qu'elles ont logiques et que c'est aussi pour notre bien qu'elles existent. Du coup on veut bien, en
tout ca moi jveux bien les respecter.
Quand j'y pense c'est vrai qu'il y en a beaucoup mais faut pas tout prendre comme des règles et des
trucs interdits...c'est des conseils aussi... ? Bah un exemple...on peux pas venir sans avoir des
« chaussures fermées »...genre pas des claquettes, des tongues ou des conneries comme
ça...bah...c'est un conseil aussi...si le cheval il te marche sur le pied dans ce cas bah t'es mal..en
tout cas tu AS mal... ! Donc c'est pas que une règle c'est un conseil. Jpense qu'y a eu des problèmes
à un moment donc ils en ont fait des trucs interdis...jsais pas
46
Éducatrice PJJ, référente DDA
76
L: En ce qui concerne les « équidés » alors, as tu un « chouchou », un cheval que tu préfères et
dont tu souhaiterais t'occuper à chaque séance ?
J: Ah bah oui c 'est sûr. On est tous comme ça. Moi je kiffe Toupie par exemple...jlai eu la première
fois et depuis je demande à Jean-Michel de l'avoir...mais si un jour il me dit non, bah il aura une
excuse et si je comprends bah...il en trouvera un autre jsuis sûr. Un bien. Un qui me « correspond »
comme il dit.
L: Pourquoi tu voudrais le même alors ?
J: Jsais pas c'est bien. Jle connais. Il me connaît. On se fait pas de blagues quoi jlui fait confiance
pis moi il sait que jlembête pas. Il est calme comme moi et en même temps quand on lui demande
plus il fait plus. Bon des fois il a pas envie. Mais moi non plus des fois c'est ça. J'ai pas envie bah
voilà, faut le comprendre aussi.
L: Tu aimerais continuer à venir au club régulièrement ?
J: Moi oui. Après faut voir...dès qu'il y a une date on se cale et on voit si c'est possible. Après si j'ai
un rendez-vous ou si je trouve un patron bah...ce sera fini.
L: Rien ne t’empêche de voir près de chez toi si un club accepterait que tu viennes de temps
en temps...même pour filer un coup de main...
J: Ouai je sais jconnais en plus...moi si je trouve pas un patron, parce que jsuis dans la
maçonnerie, jverrais si en attendant jpeux pas faire un stage dans un centre équestre maintenant
que je connais des trucs, que j'ai « de l'expérience » comme on dit...en tout cas pour l'instant
jcontinue à y aller dès que jpeux !
L: Je te remercie pour ces échanges et je te laisse repartir
J: Bah de rien
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Annexe 5 c : Entretien avec une éducatrice PJJ participant au DAA
Le 25 mars 2014 à 10h
Lolita : Que pensez vous que la pratique d'un sport et en particulier la pratique de
l'équitation, apporte aux jeunes ?
Educatrice : Le sport permet de développer les aptitudes des jeunes et de faire en sorte qu'ils se
dépensent. Avec le sport on peut se confronter aux autres tout en étant encadrés par les règles du
jeu et ainsi ne pas se mettre trop en danger. Les enfants dès le plus jeune âge sont comparés les uns
aux autres dans le système scolaire. Le sport peut être une autre façon d'être ensemble, en groupe,
sans penser à des notes ou des appréciations qui les mettent en concurrence les uns contre les
autres.
Je crois qu'en pratiquant l'équitation, le jeune devient de plus en plus adroit, plus responsable car il
doit s'occuper du cheval. Il est aussi question d'être sociable car il y a du monde au club et des
familles, il ne s'agit pas de rester seul dans son coin. Il y a forcément des interactions qui se mettent
progressivement en place. Par exemple quand plusieurs jeunes parlent d'un poney. Ils se mettent à
parler de leur dernière séance ou du comportement du poney au sein du troupeau au moment de les
lâcher au pré...J'ai déjà vu des jeunes qui sont à l'école ensemble, ne pas s'entendre au quotidien et
trouver, pour autant, des moments d'échanges lorsqu'il est question du cheval et de leurs pratiques.
De plus les jeunes habitués à venir au club, retrouvent d'une séance à l'autre, les cavaliers du
groupe mais aussi les personnes venant monter à cheval dans un autre cours ou même les
propriétaires et les familles. Cela fait beaucoup de monde à qui parler. Ce qu'ils ne feraient pas
aussi aisément dans un autre contexte !! je pense que ça les fait grandir...
L: Selon vous, quelles images ont les adolescents pris en charge par le PJJ de l'équitation ?
Quelles représentations ont-ils du Cheval ?
E: Les jeunes pris en charge par la PJJ ont bien souvent des parcours de vie difficiles voire
chaotiques. Ils sont pour certains très défavorisés et parfois en dehors de tout dispositif de droit
commun. Le monde du cheval leur paraît donc être un monde à part, certains nous disent parfois
que c'est « pour les riches »... c'est vrai que c'est un réflexion qu'on entend souvent. Je remarque
quand même que dans le coin, on peut dire que c'est rural et que les jeunes ont accès plus
facilement à la campagne et les activités que l'on peut y pratiquer. Cette remarque est donc d'autant
plus vrai pour les citadins qui n'ont jamais vu un troupeau dans les champs!!(rires)
Les jeunes qui connaissent un peu les animaux peuvent dire que les chevaux sont gentils et
volontaires, qu'on a, à cheval, la sensation de liberté...
En tout cas, lorsque l'on parle aux jeunes de l'activité, ils y voient quelque chose qui touche à la
nature. Et d'ailleurs, ça se voit le jour où ils débarquent au service avec leurs vêtements les plus
crades !!! ils se préparent à quelque chose de sale... Ils nous parlent d'un animal imposant et qui
fait parfois peur. Souvent cela donne lieu à des remarques pour les caïds du genre « mais non il fait
pas peur, je le maîtrise ! ». C'est intéressant pour le travail de l'éducateur de noter ce genre de
remarque et de s'en resservir plus tard.
L: En quoi cela peut vous servir d'un point de vue éducatif ?
E: Il me semble qu'il sera opportun de ressortir plus tard et dans un contexte bien précis, la
remarque du jeune. Par exemple, lorsqu'il ne sera pas maître du comportement du cheval. Ça me
fait penser à une séance où le moniteur demandait aux jeunes de mettre leurs montures au trot et
que le « caïd » cité plus tôt était le seul à ne pas y arriver... « alors tu disais pas que c'était toi qui
le maîtrisais ??? » et hop ! Le jeune est remis à sa place et cela met, indirectement, les autres en
valeurs. Ils avaient réussi à mettre en mots leurs appréhensions et lui s'était moqué, la situation
s'est inversée. Ce sont pleins de petits instants comme celui-là qui permettent le travail éducatif.
Puisqu'ils sont à cheval, ils oublient un peu le reste et ne prennent pas autant à cœur les phrases
que peuvent prononcer les éducateurs à leur encontre...On peut se permettre plus de choses dans ce
contexte. On en reparle après en rigolant mais en attendant...on a gagné du temps dans la
relation !!
L: Les jeunes pris en charge par la PJJ ont diverses problématiques. Il peut être question de
violence, de manque de confiance en soi ou d'estime de soi, d'une problématique
d'attachement ou de socialisation... Que pensez vous que l'équitation en général, et la relation
à l'animal en particulier, apporte au suivi éducatif ?
E: Dès le départ, chaque jeune est responsable de son compagnon. Il s'occupe du cheval du début
de la séance à la fin. C'est, pour une fois, le jeune qui prend en charge quelqu'un ! Ils sont donc
petit à petit plus autonomes dans les lieux et savent ce qu'ils ont à faire. Ils doivent être attentifs et
vigilants à la moindre réaction de l'animal. Il arrive souvent que les jeunes se rendent compte que
le cheval réagit en miroir à leur attitude. J'ai vu des jeunes très nerveux, rendre le cheval stressé
tout comme un jeune très calme rendre son cheval hyper zen. Certains jeunes sont en difficulté
lorsqu'il est question de parler de leurs émotions, ressentis. Lorsqu'ils sont à cheval, ils n'hésitent
pas à dire ce qu'ils pensent sur l'instant et se laissent même aller à des échanges tactiles avec leur
monture. On peut, pour féliciter le poney, lui faire une petite caresse...certains vont carrément se
pencher pour l'enlacer et lui faire un gros câlin !! ce n'est pas tous les jours qu'ils se laissent aller
comme ça.
La communication se fait sans détour, sans réfléchir, les jeunes agissent spontanément avec un
animal qui ne les juge pas.
En plus, exceptionnellement dans leur vie, il y a une inversion de posture. D'habitude à la maison
ils sont les enfants. Au club ils sont responsables des chevaux, des soins, de la nourriture...ils
dirigent tout, sous le regard du moniteur bien sûr, mais ils sont à l'initiative des choses et en plus,
on les félicite pour ça. C'est super encouragent !
Le jeune devient quelqu'un d'important et qui fait de bonnes choses, reconnues par l'adulte. C'est
aussi important de les valoriser, ces choses, en racontant aux familles ce qui se passe au club !
C'est important de noter que le club est un lieu de vie et que tous les jeunes qui s'y trouvent sont
réunis autour d'une même passion. Il y a des personnes de tout âge et de tous horizons. C'est
comme dans la Société, en fait, c'est une micro-société. C'est quand même un super atout pour
toutes les personnes en difficultés de relations sociales. J'ai vu des jeunes de quartiers découvrir
leur sensibilité au contact des chevaux.
L: Comment expliquer que les jeunes ait systématiquement un « chouchou », un poney qu'ils
s'accaparent et dont ils souhaiteraient s'occuper à chaque fois ?
E: Je crois qu'ils ont besoin de repères. Des repères qui leurs manquent parfois à la maison par
exemple. S'ils se sont investis une fois pour un cheval et que cela s'est bien passé, ils l'investissent
et veulent qu'à la séance suivante ce soit la même chose. Ils ont même parfois besoin d'être rassurés
à la fin de la séance, en partant, de s'entendre confirmer qu'ils garderont ce cheval pour le
prochain cours. Le cheval est à l'écoute durant toute la séance et il arrive parfois que l'on
surprennent les jeunes en train de leur parler...il est normal d'imaginer que le jeune souhaite faire
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perdurer cette complicité qu'il a laissé s'installer alors même qu'il a du mal à créer du lien au
quotidien. Quand ils ont une problématique abandonnique, on peut comprendre que dans ce cas, il
ne serait pas bénéfique de les faire changer de cheval à chaque cours. Le pire serait même de
devoir lui dire qu'un poney à été vendu...je n'ose même pas y penser !
Certains au contraire aiment changer et essayer tous les poneys. C'est encore une autre
situation ...peut être que ces jeunes là ont peur de s'attacher...
L: De nombreuses règles sont à respecter aux abords d'un centre équestre ; Les jeunes sous
main de justice ont parfois du mal à intégrer la loi et tout ce qui fait autorité : comment gérer
cette situation ?
E: Bizarrement je n'ai pas souvenir de difficultés à ce sujet là. C'est vrai que le règlement est
problématique pour ces jeunes qui ont du mal à intégrer la Règle en général. Le moniteur rappelle
à chaque séance les règles de sécurité ou fait participer les jeunes à leur élaboration. J'ai
l'impression que le cadre du centre équestre, dans le sens « environnement » est tellement
particulier qu'ils acceptent volontiers de s'y soumettre. Le moniteur est bon pédagogue, il sait
comment amener les choses. Si on explique au groupe que cela en va de leur sécurité, je crois qu'ils
comprennent vite. De toute façon il suffit que l'un d'entre eux ne mesure pas la gravité d'un écart de
comportement et le cheval lui ferait ressentir. Je pense en particulier à une règle simple qui est de
respecter les distances entre chaque cheval. Une jeune fille voulait en faire qu'à sa tête et marcher
à côté de sa copine, le cheval placé devant le sien à tout simplement botté, c'est à dire qu'il a donné
un coup de pied. La jeune fille s'est donc rendue compte de l'importance qu'il y a à respecter les
consignes... en plus d'avoir eu peur elle s'en voulait car son propre cheval s'était reçu un coup et
était écorché. Elle a énormément culpabilisé et cela a servit de leçon à tout le monde !
L: Merci d'avoir bien voulu me livrer quelques éléments de votre expérience
E: Merci à vous...
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CAQUERET Lolita
Titre : « Ado d'cheval » ou le cheval : médiateur de la relation éducative.
Thème: Comment la médiation par l'activité « cheval » peut-elle être un levier dans la prise en
charge éducative des jeunes dans un contexte judiciaire ?
Résumé :
Afin de faire vivre la prise en charge, les éducateurs de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ)
ont besoin de créer un lien avec le jeune, nécessaire à la relation éducative.
Pour cela, nous devons mettre en place des dispositifs permettant de favoriser des espaces de
paroles.
Les difficultés rencontrées pour mobiliser certains jeunes et faire en sorte qu'ils adhèrent à la
mesure qui est confiée au service, amènent l'éducateur à interroger ses manières de faire ou de ne
pas faire pour tisser ce lien tant important.
Le défi éducatif que j'expose dans cet écrit est de voir comment atteindre ces jeunes peu
accessibles, ceux qu'on ne peut pas faire venir, ceux pour qui la force seule de la parole dans le
cadre de l'entretien duel, n'appelle pas à une efficacité à toute épreuve.
J'étudie donc l'intérêt que la mise en place d'un média éducatif, au travers de la pratique d'activités
équestre, peut apporter à nos prises en charges.
Au cours de mes recherches, j'ai pu constater que, dans d'autres domaines, l'activité « cheval »
œuvre au niveau du psychisme, du social, de l'émotion, de la socialisation, du relationnel, du
langage, du sensoriel... Il est question dans ce mémoire de s'interroger sur la possible transposition
de ces bienfaits sur le public accueilli par les services de la PJJ.
La médiation par l'activité est une approche différente qui viendrait améliorer la relation ou aider
l'éducateur à communiquer plus ouvertement avec un jeune difficile à mobiliser. Cette mise en
situation pourrait être un moyen d'adopter une nouvelle pédagogie.
Mots clefs : médiation, cheval, relation éducative, espace transitionnel, faire avec, socialisation.
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