B.B. a quatre-vingts ans Par Carole Lamoureux* 28 septembre 1934

Transcription

B.B. a quatre-vingts ans Par Carole Lamoureux* 28 septembre 1934
B.B. a quatre-vingts ans
Par Carole Lamoureux*
28 septembre 1934 : naissance à Paris de Brigitte Anne-Marie Bardot.
Qui est B.B.?
Un mythe appelé « Brigitte Bardot » : façonné par Vadim, Godard, Gainsbourg…Et tous ces
hommes au sexe brandi devant sa beauté et sa nudité.
« Et Dieu créa la femme ».
Bardot souriante, minaude, insolente. Filmée, épiée, harcelée. Mille yeux autour du
moindre geste : le règne des paparazzis commence.
Elle devient pour le Vatican l’incarnation de tous les péchés capitaux : la femme-démon.
Elle est proclamée la plus belle femme du monde, la plus scandaleuse, fantasme des
hommes mariés.
Celle que toutes détestent et que pourtant, rien ne blesse.
Et Brigitte – au sommet de sa gloire - se confie à Jean Cau : « Je me dis que le temps passe
et que je suis bouclée, en prison derrière mon visage ».
Au fil des ans, B.B. non seulement s’est libérée de sa prison mais demeure complice d’un
temps qui la transforme. Chirurgie esthétique et injections de tout acabit n’ont jamais percé
son visage. Une rareté dans le monde des stars et aujourd’hui, plus que jamais, un courage
qui devrait servir de guide face à cette dictature marchande qui incite les femmes à se
définir en fonction de cette « qualité-beauté » plutôt qu’en termes d’actes et
d’accomplissements.
Simone de Beauvoir a dit d’elle en 1966 : «Brigitte Bardot n’est ni perverse, ni rebelle, ni
immorale et c’est pourquoi la moralité n’a pas de chance avec elle. Le bien et le mal font
partie des conventions devant lesquelles elle ne songe même pas à s’incliner….Elle ne se
soucie pas le moins du monde de l’opinion des autres. […] Elle fait ce qui lui plait, et c’est
cela qui est troublant … Les fautes morales peuvent être corrigées, mais comment Brigitte
Bardot pourrait-elle être guérie de cette éblouissante vertu : l’authenticité ? »
C’est d’ailleurs cette authenticité qui lui fait dire que son mari Jacques Charrier avait plus
d’habiletés qu’elle pour élever leur fils Nicolas. Que la fibre maternelle, c’était lui qui la
possédait.
D’avoir osé dire en ses termes que la grossesse prend le corps en otage et que l’instinct
maternel est une construction sociale, c’est détruire le mythe de la mère à l’enfant si cher à
notre civilisation patriarcale. Audace qu’on ne lui pardonne pas. Toutes les insultes envers
Bardot contiennent le mot « salope » ou « pute ». Que peut-on dire d’autre à celle qui se
veut libre tout en étant femme?
Son franc-parler et son manque de peur devant des situations de crise – demande de
rançon dans les années soixante par les plastiqueurs de l’OAS, à qui elle dit NON et qu’elle
dénonce –-, démontrent sans l’ombre d’un doute que son parcours en tant qu’actrice avait
déjà posé les repères qui la guideraient vers une émancipation et un affranchissement du
mythe qu’elle a porté en tant que B.B.. Aucune de ses contemporaines du milieu
cinématographique n’a révélé une telle maîtrise de sa destinée, hors des attentes propres à
son sexe.
1973. Tout s’arrête. Le rideau tombe sur B.B. Plus de films, plus de photos, la déesse se
retire et emporte avec elle tous les clichés de l’Éternel féminin.
B.B. Initiales biffées, détestées par la femme qui les a portées au départ avec fierté mais que
le jeu a transformées en stigmates…
Reste Brigitte Bardot. Brigitte. « Bri » pour les intimes. Femme qui met sa vie au service
d’une cause : celle de la défense des animaux.
Elle le fait pour répondre à tous ceux qui détiennent le pouvoir de nourrir la planète en
dénaturant son contenu.
L’actrice, jadis traquée par la Presse, objet qu’on aimait photographier sous tous ses angles,
en espérant le plus de chair possible, devient la cible d’une rage sans précédent.
Faute de pouvoir massacrer Bardot, on mutile et tue ses chiens.
On ne pardonne pas à Bardot d’être passée de sex-symbol à femme de tête. D’avoir troqué
le corps pour l’esprit. On ne peut admettre que Marianne fasse la critique d’une société en
déclin, visible dans ses pratiques d’abattage, tant industrielles que rituelles. Société qui se
ghettoïse de plus en plus, substituant le mot « nécessité » à « liberté ».
Continuum inacceptable : Bardot fait preuve d’une aussi grande liberté de paroles que de
corps. Sa lucidité rend l’Éternel féminin risible et misérable.
Défendre l’animal dans toute sa vulnérabilité ne peut qu’aboutir à des revendications qui
touchent l’humain…
Peu importe ses prises de position, que ce soit par la parole ou l’écrit, Bardot reste
incomprise…
Retirée sur une terre du sud de la France, teintée des bleus de la mer et du ciel, elle y vit
avec son mari et une trentaine de bêtes. Une cohabitation sans compromis – à la défense
des animaux jusqu’à la mort.
Elle a tout donné pour créer en 1986, la fondation Brigitte-Bardot (FBB) : objets personnels,
bijoux…
Quelques années plus tard, même La Madrague ne lui appartient plus, léguée à la
fondation.
Une femme de convictions plus que de scandales. Les insultes, la calomnie et les bassesses
des amis et de La Presse n’ont jamais empêché Brigitte Bardot d’agir – de prendre une voie
non fréquentée qui reste celle de la vérité.
Que restera-t-il de Brigitte Bardot?
Roger Hanin, un supposé ami, répond : « une beauté affolée ». Qualificatifs souvent associés
aux femmes-guerrières… Bien peu représentatifs ici des luttes menées. Ses interventions
pour le maintien de la vie : celles des Rosenberg dans les années cinquante jusqu’à celle de
Jila Izadi dans les années 2000, nous renvoient à cette force qui met en adéquation
intelligence et générosité.
Marguerite Yourcenar, dans une longue lettre adressée à Brigitte Bardot en 1968, l’incitant
à s’occuper de la cause des phoques dans les eaux canadiennes, avait très bien saisi la
personne à qui elle confiait cette mission : « il est merveilleux que la beauté et la grâce
soient en même temps la bonté ».
À l’heure actuelle, à quatre-vingts ans, Bardot incarne le refus : de la pensée prêt-à-porter,
des dogmes qui vivent de l’agonie des femmes et des animaux – le refus de se TAIRE.
« Beauté affolée! » Est-ce une expression applicable à une femme qui dénonce des
phénomènes qui devraient préoccuper toute la planète?
Il serait peut-être temps d’écouter avant de juger et de bâillonner. D’oublier B.B. et de
reconnaître ce qui revient à Brigitte Bardot…
Alors sera-t-il possible de voir dans ces initiales - B.B. – non pas un passé figé mais un
applaudissement pour le travail accompli et à venir.
«Un jour, je reviendrai en grâce, je le sens. On dira alors que j’ai été une visionnaire».
Brigitte Bardot.
Bravo Brigitte!
*
Professeure de littérature depuis une quinzaine d'années, Carole Lamoureux voit dans
l’enseignement une voie privilégiée qui lui permet de faire connaître l'écriture des femmes
et ce qui les motive à se définir par la création.