La lettre juridique n°16 aux Avocats

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La lettre juridique n°16 aux Avocats
Juin 2015
La lettre juridique n°16
aux Avocats-Conseil des Autonomes
de Solidarité Laïques
PROTECTION DE L’ENFANCE
UNE NOUVELLE LOI POUR RENFORCER LES RELATIONS ENTRE JUSTICE
ET ADMINISTRATION SUR LA COMMUNICATION DES INFORMATIONS
CONSECUTIVES AUX PROCEDURES PENALES IMPLIQUANT DES
FONCTIONNAIRES
Bâtonnier Francis LEC
Avocat conseil de la FAS et de l’USU
au Président de la FAS
PREAMBULE :
Deux affaires d’agression sexuelle sur des mineurs au sein des Etablissements scolaires soulèveront
l’émotion publique ; l’une dans l’Académie de GRENOBLE où le Recteur d’Académie ignorera que le Directeur
d’école de Villefontaine, accusé en mars 2015 de viol sur plusieurs élèves, avait été condamné en juin 2008 pour
détention d’images pornographiques.
Une autre affaire dans l’Académie de RENNES relèvera «des informations perdues» alors qu’en 2011 des
poursuites avaient été engagées contre un Professeur de sport pour atteinte sexuelle sur son fils et détention
d’images pédopornographiques en récidive. Ces faits n’aboutiront jamais auprès des responsables de l’Education
Nationale, qui en conséquence ne prendront aucune mesure à l’égard de ce fonctionnaire.
Des dysfonctionnements de part et d’autre et des responsabilités partagées par la justice et l’Education
Nationale seront relevés par un rapport d’inspection qui fera l’objet d’une communication par la Garde des
Sceaux et la Ministre de l’Education Nationale lors d’une conférence de presse le 4 mai 2015 à GRENOBLE.
Pour éviter que ne se reproduisent de tels dysfonctionnements, les deux Ministres ont annoncé une
nouvelle loi qui aura pour but de renforcer les dispositifs actuels et assurer un « contrôle pérenne ».
Dans l’attente de la connaissance de ce dispositif, il apparaît essentiel de faire le point sur ce qui existe
déjà, notamment concernant la communication des informations entre Justice et Administration lorsqu’un
fonctionnaire est mis en cause dans une procédure pénale, ainsi que les garanties qui devront accompagner cette
nouvelle loi discutée au Parlement durant cet été.
I – LE PRINCIPE DU SECRET DE L’ENQUETE ET DE L’INSTRUCTION :
Une dépêche circulaire du 20 décembre 2002 rappelle ce principe du secret de l’enquête et de
l’instruction qui doit en principe protéger le fonctionnaire impliqué, et cela au regard de la présomption
d’innocence.
Des dérogations spéciales permettent cependant au Procureur de la République de diffuser aux
administrations qui le demandent des informations qui peuvent intéresser la constitution de dossiers
disciplinaires.
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II – LE RAPPEL DE LA CIRCULAIRE DU 11 MARS 2015 :
« Echanger avec discernement ».
Par cette circulaire, le Garde des Sceaux a rappelé à tous les Parquets de France les règles et les
recommandations à suivre dans les différentes procédures.
A – La fin de l’autonomie des procédures judiciaires et des procédures disciplinaires.
Alors que l’autorité judiciaire se retranchait généralement derrière le secret et l’indépendance de la
justice pour se montrer avare dans les communications et informations de toute nature, il est désormais
recommandé des échanges d’informations entre les administrations et la justice à l’occasion de procédures qui
pourraient intéresser les Magistrats en charge d’une procédure judiciaire contre le même fonctionnaire et vice
versa. C’est ainsi que les Parquets devront aviser les supérieurs hiérarchiques d’un agent public lors de
l’engagement de poursuites pénales à son encontre.
B – Une information encadrée et limitée du Procureur aux administrations et aux Préfets :
Toutes les circulaires prennent cependant le soin de limiter les informations transmises aux
administrations et aux collectivités aux mesures privatives de liberté ou rétractant des droits fondamentaux, les
Parquets ne pouvant s’affranchir du respect des principes du secret et de la présomption d’innocence. A défaut ils
encourraient la nullité des procédures engagées, la Cour Européenne se montrant à cet égard particulièrement
vigilante. Rappelons que le Parquet ne pourra communiquer le jugement d’une juridiction qui, en application des
dispositions de l’article 775-1 du code de procédure pénale, aura ordonné la non inscription de la condamnation
au bulletin n° 2 du casier judiciaire.
C – LE SORT PARTICULIER ET DELICAT DES COPIES DE PIECES DE PROCEDURE PENALES RECLAMEES PAR
LES ADMINISTRATIONS :
1– Une communication désormais autorisée pour le grand public par le Procureur.
La médiatisation accélérée des affaires juridiques a rendu nécessaire que la justice puisse communiquer
au grand public certaines informations afin d’éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes ou
pour mettre fin à un trouble à l’ordre public, comme le rappelle l’article 11 du code de procédure pénale. En fait
les Procureurs utilisent de plus en plus les médias pour justifier leurs actions ou se défendre de mise en cause
qu’ils considèrent anormales.
De telles interventions peuvent cependant créer un déséquilibre dès le départ de la procédure pénale
entre la défense et l’accusation.
2. La transmission des pièces « à la discrétion et appréciation des Parquets ».
Aucun texte légal n’autorise un Procureur à diffuser les pièces d’une enquête ou d’une procédure en
cours ; Cependant une interprétation extensive de l’article 11 du code de procédure pénale permet fréquemment
au Parquet de transmettre aux administrations des informations et pièces à condition que ces éléments objectifs
tirés de la procédure ne comportent aucune appréciation sur le bienfondé des charges.
Enfin, il revient aux Parquets d’apprécier souverainement la pertinence et l’opportunité d’une telle
communication.
3– UNE COMMUNICATION DE PIECES SELECTIVE ET PARCIMONIEUSE.
En fait une retenue d’informations et de communication de pièces persiste même si la jurisprudence
autorise un Procureur à transmettre à ses collègues une procédure judiciaire de nature à les éclairer ; les Parquets
dans la pratique son extrêmement réticents à faire sortir du Palais des documents dont les intéressés ne
maîtrisent pas l’utilisation qui pourrait en être faite par les bénéficiaires.
C’est ainsi que les Parquets demeurent prudents dans la communication d’une expertise psychiatrique qui
pourrait être utilisée par une administration dans son appréciation relative à la personnalité d’un de ses
fonctionnaires.
D – L’AUTORISATION SPECIALE DU PROCUREUR OU DES PROCUREUS GENERAUX POUR TOUTES PIECES
DE PROCEDURE PENALE AU TERME DU PROCES :
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Conformément à l’article 156 du Code de Procédure Pénale les pièces autres que les jugements, arrêts, ou
ordonnances pénales peuvent être délivrées à des tiers, ainsi que celles relatives à un classement sans suite avec
l’autorisation des Parquets, leur décision de refus devant par ailleurs être motivées , cependant le libre accès au
public pour la copie des décisions de justice rendues publique est assuré.
Dans ce domaine un tel accès de ces décisions est tout à fait possible compte tenu du caractère public de
ces jugements.
III – UNE NOUVELLE LOI POUR DIMINUER LES DYSFONCTIONNEMENTS JUSTICE-EDUCATION
NATIONALE :
Les récentes affaires de pédophilie à l’école ont conduit le Premier Ministre à réunir à la Sorbonne tous
les Procureurs Généraux et les Recteurs de France pour mettre un terme aux dysfonctionnements qui ont secoué
l’opinion publique.
Un rapport d’étape sur ces affaires a d’ailleurs été diligenté par les 2 Ministres concernés et ces rapports
préconisent des recommandations qui devraient figurer dans une loi destinée à protéger l’ensemble des mineurs
applicable à la rentrée scolaire 2015.
IV – COMBATTRE « LA CULTURE DE L’ETOUFFEMENT TOUT EN PRESERVANT LA PRESOMPTION
D’INNOCENCE ET LES DROITS DE LA DEFENSE :
Une lutte importante contre la pédophilie avait été conduite sous l’autorité de la Secrétaire d’Etat
chargée de l’enseignement, Ségolène ROYAL, qui avait rendu publique une circulaire en date du 26 août 1997
renforçant le devoir de signalement, et d’une manière générale la protection de l’enfance contre certains
prédateurs qui n’ont naturellement pas leur place dans l’enseignement public.
Cette circulaire a permis, selon le Professeur LELIEVRE, de faire sauter la chape de plomb qui existait dans
l’Education Nationale dans ce domaine.
Il s’en est cependant suivie une explosion des mises en cause et une présomption de culpabilité à l’égard
des fonctionnaires de l’enseignement public qui a abouti à des erreurs judiciaires ou à des mises en cause
injustifiables qui ont provoqué des situations dramatiques allant jusqu’au suicide, comme cette affaire du
Professeur HANSE, ce Professeur d’Education Physique accusé d’attouchements par un élève de collège qui se
rétractera à la suite de son suicide. Le jeune mineur avait prétendu que Bernard HANSE lui avait caressé la jambe
de bas en haut au cours d’un exercice dans le gymnase…. (1)
La future loi devra bien évidemment combler les vides juridiques afin de renforcer l’information de la
justice et des administrations.
Cela devra se faire en respectant impérativement les principes des droits de la défense ; chaque
fonctionnaire mis en cause devant être informé des pièces et informations transmises à son sujet, et cela d’une
manière contradictoire.
Les droits de la défense doivent être renforcés dès lors que le secret de l’information est en partie levé.
CONCLUSION PROVISOIRE :
L’intensification du contrôle de moralité des enseignants, et d’une manière générale de tous
fonctionnaires mis en présence d’enfants, est au cœur du nouveau dispositif légal bien que présentée comme
une amélioration technique des dispositifs de répression existants.
Celui-ci existe pourtant avec l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983 qui énonce qu’en cas de faute grave
commise par un fonctionnaire, qu’il s’agisse d’un manquement à ses obligations professionnelles ou
d’infraction de droit commun, celui-ci peut être suspendu par l’autorité administrative qui, sans délai, saisit le
conseil de discipline.
C’est encore la circulaire du 26 août 1997 qui recommande à l’Education Nationale de suspendre
systématiquement un fonctionnaire dès lors qu’une mise en examen pour des faits de violences sexuelles est
prononcée à son égard.
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De son côté, le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 8 juillet 2002 confirme la révocation d’un enseignant
chez qui des cassettes pornographiques, mettant en scène des mineurs, avaient été trouvées.
Comme on le constatera, et contrairement à une campagne de presse parfois virulente, il n’existe
aucun laxisme des lois, comme de la jurisprudence, chargées de protéger les mineurs exposés aux agressions
sexuelles de toute nature ; l’information entre la justice et l’administration doivent mieux circuler.
Enfin si d’aucuns se sont en conséquence interrogés sur la nécessité d’un nouveau dispositif légal, un
consensus devrait cependant se dégager avec vigueur pour que le préambule de cette nouvelle loi rappelle que
l’immensité des fonctionnaires, notamment ceux de l’Education Nationale, exercent leurs fonctions avec
probité et honneur.
Il faut tordre le cou à « tous présumés pédophiles »
(1)« Le livre Les Profs, l’école et la sexualité » chez Odile Jacob par Claude LELIEVRE et Francis LEC.
Francis LEC
Avocat-conseil national
Vu, Roger CRUCQ
Président de la FAS & USU