Le Chemin du clown

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Le Chemin du clown
LE CHEMIN DU CLOWN
par Marie-Hélène Petit
Marie-Hélène Petit a animé avec bonheur des stages « À la
découverte de son clown » auprès de Terre du Ciel (entre autres)
de 1992 à 2001, date à laquelle elle a, avec le même bonheur,
proposé sa succession à Sabine Michelin-Pigeon. Ayant atteint l’âge
canonique de 77 ans, âge butoir pour lire Tintin, elle a « repris
langue » (comme disent les diplomates...) avec Terre du Ciel pour
offrir à ses plus ou moins contemporain(e)s un moment où poser
les bagages et en faire d’inédites histoires.
Le texte ci-dessous est un entretien avec Marie-Hélène
paru en 1995, dans la Revue terre du Ciel.
L
argue tes amarres, mets ton clown à la barre !* n'est-ce pas hautement risqué de
ta part que de donner à tes stages un titre pareil, car l'image du clown fait déjà
peur à beaucoup et là, tu y ajoutes explicitement l'idée d'aventure...
Certes, c’était un risque à courir que de lancer mon travail avec ce slogan dont l’idée m'est
venue après avoir dessiné un clown qui, sur une petite barque, barrait avec le pied et faisait le
vent en soufflant sur la voile. Programme périlleux en effet, mais, pour moi, il était essentiel
d'accueillir dans mes stages des gens décidés justement à prendre des risques, à s'engager, des
gens assez curieux et motivés pour s'embarquer dans l’inconnu en dépit de leur peur. C’est vrai
qu’il peut y avoir chez certains un malentendu sur le mot « clown »: on pense au clown de
cirque, on se demande si l’on va être appelé à « faire le clown ». Bien sûr, le travail proposé
n’a rien à voir avec cela et je mets les choses au clair dès le départ en resituant l’affaire dans
son origine historique. Ce travail que je suis bien loin d’avoir inventé, y compris dans son
application au « développement personnel », s’inspire à l’origine du clown « moderne » développé dans l’art clownesque soviétique, moderne par opposition aux clowns de cirque classiques tels que nous les connaissons : l’auguste et le clown blanc. Le clown « moderne » est
d’abord un être humain qui donne à voir une sensibilité, une naïveté, des émotions qui, parce
qu’elles lui sont totalement personnelles, touchent à l’universel. Ce clown-là touche parce
qu’il est toi et moi, il est notre miroir grossissant, le miroir grossissant du public. C’est un
humain dont la particularité est d’être totalement visible, lisible pour ceux qui le regardent,
grandes personnes ou enfants. Il est tout simplement l’humain, dans sa démesure comme dans
sa vulnérabilité. Entrer dans son clown, c’est avoir l’audace d’être et de donner ce qu’on est
Largue tes amarres, mets ton clown à la barre !* fait référence au titre du stage qu’animait marie-Hélène Petit,
de 1992 à 2001.
à chaque instant, avec de surcroît, la distance de l’humour, sur laquelle je reviendrai. Cela n’a
rien à voir avec l’idée de « faire » le clown. Comme le disait récemment une clownette, venue
parce qu’elle était fatiguée d’être affublée dans la vie d’une étiquette de clown : « Cette fois,
j’ai réellement vécu la différence entre être et faire... »
Et toi-même, comment as-tu découvert ce travail ?
Je l’ai découvert il y a huit ans auprès d’une amie art-thérapeute, Claude Berthoumieux, qui
l’avait elle-même découvert au cours de ses études de théâtre. Il faut croire que cela me travaillait car depuis des années je louchais régulièrement sur des petites annonces de Libé où
une femme clown proposait des stages pour « vivre son clown » ... mais je n’avais pas jusque
là sauté le pas. Dès mon enfance cependant j’adorais transposer sur le mode humoristique les
événement de la vie quotidienne, que ce soit par la parole, l’écriture, le dessin. Mais je crois
que j’ai touché le bonheur d’être clown pour la première fois de ma vie à quatorze ans lorsque,
après le décès de mon grand-père, j’ai réussi maintes fois à faire rire aux larmes ma grandmère en lui interprétant les menus soucis quotidiens et les potins du voisinage avec ce genre
de bon sens terrien, naïf et imparable qui fait toucher du doigt l’absurdité des contingences
humaines. J’ai senti alors combien donner le rire était une manière de donner l’amour. J’ajoute
que j’ai eu la chance de naître dans une famille où l’on riait souvent.
Donc un jour tu as « sauté le pas » et apparemment tu as été convaincue... de continuer ?
Le démarrage a été rude. Mon premier stage « à la recherche de mon propre clown » a commencé par trois jours affreux où le seul « clown » qui sortait de moi était une sorte de garçon
manqué bougon et colérique qui agressait le public. L’animatrice ne savait plus quel langage
employer pour me faire cesser cette agression, totalement contraire à l’esprit du clown. Et le
dernier jour, alors que nous devions improviser devant un vrai public, ne sachant plus à quel
saint me vouer pour sortir de ce personnage encombrant qui tournait en rond, j’ai eu l’idée
d’essayer un autre costume. J’ai mis une robe genre fillette, des rubans partout, un chapeau de
paille, me suis accroché un parapluie au bras, et j’ai déboulé sur la scène avec mes partenaires
dans cet appareil inhabituel. Aussitôt le miracle s’est produit. Mon clown est né sous la forme
d’une gamine délurée et entreprenante, contrastant en tous points avec l’enfant timide que
j’avais été, et qui pourtant était complètement moi, coulait de source, dans une merveilleuse
jubilation bruyamment partagée par le public. Ça a été une grande et profonde révélation et
dès ce moment j’ai décidé de m’investir à fond dans le travail du clown. Il faut dire qu’à cette
époque j’étais en phase terminale (c’est bien le mot) de thérapie et que là aussi j’avais tourné
autour et au-dedans de ce garçon intérieur en rage sans parvenir à m’en débarrasser. Le clown
l’a fait sauter comme saute un bouchon et il n’est jamais revenu. C’est comme si le clown, en
commençant par lui donner le droit de se montrer et de se dire aux autres (c’est-à-dire « au
monde », par différence avec l’espace confidentiel de la relation thérapeutique), lui avait permis de s’apaiser et de laisser sortir sa jumelle cachée, faisant ainsi passer mon enfant intérieur
de l’état de garçon manqué à celui de fille réussie, celle qui avait été là sans pouvoir se donner
la liberté d’exister.
Tu considères donc comme fondamental l’aspect « thérapie » du clown ?
Je ne dirais pas que c’est à proprement parler une thérapie car je n’aime pas mélanger les
genres. C’est à mes yeux du développement personnel, de la manière dont je le pratique en
tout cas. Il y a des animateurs qui vont plus vers le clown-théâtre, ce qui ne peut gommer l’as-
pect développement personnel qui est inhérent au travail lui-même mais ils s’attachent moins
à cet aspect. Moi, c’est à celui-là que je m’attache du fait de ma formation en psychologie et
en psychomotricité, de mon expérience professionnelle de formation d’adultes dans le
domaine des relations humaines et de l’immense intérêt du travail du clown pour déverrouiller,
ouvrir des énergies latentes. Je ne l’appelle pas une thérapie au sens où j’entends ce terme,
c’est-à-dire une approche destinée à explorer et « nettoyer » les profondeurs de l’inconscient.
Dans un stage de clown, on ne se le permet pas. On n’est pas là pour ça. De plus on est en
groupe, or une véritable thérapie implique une relation duelle avec un thérapeute dûment préparé à ce genre d’exploration. Ce n’est pas mon cas. J’ai renoncé à devenir thérapeute le jour
où j’ai réalisé qu’il me faudrait rester assise des journées entières dans une pièce à écouter des
gens . C’est incompatible avec mon besoin d’espace, de mouvement et avec mon goût pour
l’animation. Le travail du clown peut aider à déclencher une décision de thérapie chez des personnes qui s’étaient contentées de « flirter » avec cette idée. Il peut parfois accompagner une
thérapie à laquelle il fournit des matériaux significatifs. Il peut encore terminer ou suivre une
thérapie pour faire sauter de petits bouchons résistants comme ce fut le cas pour moi. Mais
c’est aussi le plus souvent une démarche suffisante à elle seule pour des gens qui n’ont pas
spécialement besoin de thérapie mais d’une approche plus légère pour vivre de manière
tonique et évolutive leur relation avec eux-mêmes et ipso facto avec les autres.
Mais toi tu as une formation pour « cadre », parce qu’émotionnellement il y a quelque
chose de très fort qui se déroule au cours de ces stages. On a vu des crises de larmes, des
abandons, des relâchements qui sont magnifiques, superbes. Je trouve que tu gères très
bien la chose, ça doit demander un savoir-faire en plus de la connaissance du travail du
clown ?
Oui, ce n’est pas au travers des stages de clown que je l’ai appris, effectivement. C’est le fruit
d’un long travail auprès d’adultes en formation et de ma propre thérapie personnelle. Celle-ci,
qui comportait des phases en individuel par le lying et des phases en groupe m’a appris à vivre
complètement mes émotions, à les élucider, à ne plus en avoir peur et donc à cesser d’avoir
peur de celles des autres. C’est très important.
C’est ce qui m’a semblé essentiel, accueillir les émotions, pas nécessairement se vautrer
dedans, ce qui empêcherait l’éclosion du clown, mais les accueillir sans crainte. Pour cela,
il est sans doute nécessaire que les gens soient sûrs de ne pas se sentir jugés ?
Oui. Évacuer l’idée de jugement et aussi éviter de traiter en groupe l’aspect retour aux sources
de l’émotion individuelle sur le plan verbal et analytique. Il ne s’agit pas de travailler là-dessus, bien que je dise aux gens que s’ils ont quelque chose à décharger à ce sujet, je suis à leur
disposition en dehors des séances pour qu’ils m’en parlent. Je suis à leur écoute s’ils souhaitent
me dire quelque chose concernant l’émotion qu’ils ont touchée. Lorsqu’après chaque improvisation on parle de ce qui s’est passé pendant, on parle du clown, du travail du clown et non
de la personne dans sa psychologie propre; c’est à elle de faire le lien s’il y a lieu, et si elle le
mentionne on l’entend, mais on ne s’y attarde pas. Cela aussi est très important, ça permet de
ne pas figer les choses, de rester en mouvement. Et bien souvent, dès l’improvisation suivante,
le clown lève l’obstacle pour la plus grande joie de la personne qui perçoit alors comment,
jusque là, elle se piégeait elle-même dans sa vie. Ce n’est pas forcément tout gagné mais le
clown a ouvert une porte. A la personne de rester vigilante pour qu’elle ne se referme pas.
C’est quelque chose qui me plaît dans ce travail et qui m’apparaît de plus en plus clairement
au fil des stages où je découvre tout autant que j’aide moi-même à découvrir: ce travail renvoie
la personne à sa propre capacité de comprendre et de gérer les mécanismes de comportement
révélés par le clown et qui troublent sa vision d’elle-même. Elle est renvoyée à sa propre res-
ponsabilité sur ce qui lui advient, et son clown est comme un fantassin de première ligne qui
va, sur le terrain de l’improvisation, dans le respect des consignes de jeu qui sont de fait un
enseignement de vie, expérimenter de nouveaux modes d’être, de nouveaux modes d’action.
En ce sens, le jeu du clown est un laboratoire où l’on découvre que les choses peuvent se passer autrement pour peu qu’on garde au cœur, au corps et dans la tête le seul souci d’être vrai.
Et lorsqu’on réussit cela, on le sait parce qu’on se sent bien, on se sent porté, et les autres, le
public, suivent. Ils sont complètement avec le clown parce que dans cette vérité ils se voient
eux-mêmes tels qu’ils sont ou plutôt tels qu’ils savent qu’ils seraient s’ils osaient lâcher leur
souci de paraître.
Tu as dit que les consignes de jeu étaient un enseignement de vie. Peux-tu t’expliquer làdessus ?
Ces consignes de jeu sont d’une extrême rigueur. Je les ai intégrées peu à peu au cours de mon
propre travail de plusieurs années avec Claude Berthoumieux ainsi qu’avec le Bataclown. Je
ne parlerai que des deux consignes essentielles. La première est d’arriver sur scène sans projet
préconçu, quel que soit le thème de l’improvisation : la tête doit être libre de toute trame, de
tout souci de jouer un rôle. Le clown est appelé à vivre tout entier dans le présent, à accueillir
et exploiter d’instant en instant ce qui survient en lui et autour de lui, dans une écoute sans
faille de lui-même, du partenaire, des événement. Il s’agit d’accepter de lâcher prise, de faire
confiance et de se faire confiance pour que prenne corps, de seconde en seconde, l’aventure
éphémère de l’improvisation. C’est la condition pour être vrai, être juste et devenir vraiment
créatif, c’est-à-dire sortir du connu dans lequel notre mental nous enferme habituellement. La
deuxième consigne concerne le regard au public. Ce regard, qui fait du public un témoin et un
complice, est chargé de toutes les émotions du clown. Il lui permet précisément de ne pas
oublier qu’il est un clown, pas un acteur, et que constamment conscient de ce qu’il est en train
de vivre, il en joue et garde, jusque dans les « excès », une parfaite maîtrise de lui-même. Il
apprend ainsi à utiliser l’émotion comme une énergie, ce qui rend possible sa transformation.
Ainsi, grâce à cette distance qui est l’humour du clown, il peut être complètement impliqué
dans ses affects et dans ses actes sans pour autant s’y identifier. Ces deux consignes à elles
seules me semblent un bel enseignement de vie. Et ce qui m’a frappée, au fil de mon propre
travail, c’est qu’elles coïncident avec ce qu’enseignent la plupart des grandes traditions, et tout
particulièrement le bouddhisme tibétain qui, par la bouche des lamas qui ont bien compris
notre mentalité d’occidentaux, me parle singulièrement. Présence à l’instant, ouverture et
lâcher-prise, conscience et acceptation des émotions, implication et distance : le travail du
clown m’est apparu comme un chemin propice à porter les pas d’un aspirant au développement
spirituel. Le rire dont il se nourrit n’est pas le moindre attrait de ce chemin car se prendre au
sérieux me semble un rude obstacle. Dans le travail du clown on apprend la rigueur mais on
se déprend du sérieux. C’est une nuance de taille !
Justement, tu as peu parlé du rire et pourtant il a été très présent dans ce stage As-tu
envie d’en parler ?
Je n’ai pas pensé à en parler parce qu’il coule de source, c’est le cas de le dire. Ce qui me
paraît important c’est que les participants s’aperçoivent que le rire est là dès que le clown sur
scène cesse de « faire le clown » et devient juste, c’est-à-dire vrai. Parfois, du reste, cette vérité
du clown produit plutôt des larmes, expression d’une tendresse très subtile. La source est la
même. Larmes ou rire viennent quand « ça » lâche. Quand le clown est tellement vrai dans son
émotion quelle qu’elle soit, tellement juste dans son action qu’il n’y a plus de séparation, plus
de barrière entre lui et nous; il est alors l’humain suprêmement sensible, suprêmement naïf et
intelligent à la fois, c’est-à-dire nous, tels que nous sommes, au fond ... « On est touché par la
vulnérabilité et pas par les façades... » disait une clownette. Par le rire ou par les larmes, que
ce soit au cours des improvisations, des exercices qui en sont l’indispensable travail de base,
ou des moments de parole, ce travail nous enseigne la solidarité, la fraternité. C’est un travail
où passe beaucoup d’amour. Pour moi, le clown, c’est un chemin du cœur. J’ajouterai que je
vois dans le clown un être sacré. Ce n’est pas une idée originale. D’autres ont écrit là-dessus
de belles choses. Je veux seulement donner un exemple concret et récent qui m’a beaucoup
touchée. Parallèlement au stage de clown, avait lieu un stage de chant animé par Marianne
Sébastien. Pour la soirée finale, les clowns devaient d’abord donner leur spectacle dans la salle
habituelle, et les chanteurs devaient ensuite donner le leur dans la petite église à côté. Nous
avions convenu, avec Marianne, que les clowns accompagneraient les chanteurs jusqu’à
l’église avec des bougies allumées puisqu’il faisait nuit. Ainsi fut fait. Les clowns en costumes,
avec leur nez rouge, ont accompagné les chanteurs et sont allés porter les bougies, en grand
silence, devant l’autel, avant d’aller se mêler à l’assistance. Nous n’avions rien prévu pour la
fin et à ce moment, personnellement, tout à l’émotion des chants que je venais d’entendre, je
ne pensais plus aux clowns ni aux bougies. Et alors que l’assistance commençait à faire mouvement vers la sortie, j’ai vu les clowns, un à un, faire mouvement inverse vers l’autel. Ils ont
repris les bougies, se sont dirigés vers la porte et ont fait une haie d’honneur devant l’église
pour la sortie des chanteurs. Puis ils les ont entourés et les chanteurs ont invité les clowns à
chanter avec eux. Nous avons chanté tous ensemble, les chanteurs au milieu des nez rouges,
des costumes bariolés qui, étrangement, conféraient à ce chant une dimension tellement
humaine qu’elle en devenait plus qu’humaine. Ce fut une expérience extrêmement dilatante,
une expérience d’amour. Ces clowns qui, peu de temps, auparavant avaient été tout à l’excitation de leur propre spectacle, s’étaient mis d’un seul coup dans ce sens du sacré, dans ce
recueillement. Ils avaient pu le faire parce qu’ils étaient branchés sur le cœur.
Pour toi qui travailles ton clown depuis longtemps et qui as vu des participants évoluer
de stage en stage, y-a-t-il une progression dans le travail du clown ?
Il y a une progression dans la mesure où au bout d’un certain temps on a suffisamment intégré
les principes pour qu’il ne soit plus nécessaire de les rappeler. Il est intéressant de travailler
entre personnes qui ont une bonne expérience, comme je le fais moi-même car on peut approfondir, travailler plus dans la finesse. Mais je crois qu’on n’a jamais trouvé son clown une fois
pour toutes. Comme nous, il évolue. Et il arrive un moment où notre clown nous tombe des
bras, en quelque sorte. Il est vide, il a donné tout ce qu’il avait à donner. C’est un moment difficile où l’on se sent démuni, nul. Ça veut dire que le clown a besoin de se brancher sur une
autre énergie. Il mue ! Je pense qu’il est bon alors de le laisser se reposer. J’en suis là en ce
moment avec le mien. Mais je sens que lorsqu’il va renaître, il va me révéler quelque chose
de moi qui s’est transformé au fil des années et que je vais commencer à explorer, à apprivoiser
avec lui. Il va m’aider à entrer dans ce champ nouveau.
Veux-tu dire que c’est un travail qui n’est jamais achevé ?
Tout dépend du sens qu’on lui prête et de ce pour quoi l’on s’en sert. Certaines personnes se
satisferont d’avoir vécu une fois l’expérience parce qu’elles auront fait une découverte qui les
aura, à leurs yeux, suffisamment remplies. D’autres, parce que, tout simplement, ce travail ne
les aura pas vraiment accrochées - ce n’est pas leur « truc ». D’autres encore s’arrêteront avec
l’intention de revenir plus tard ; ainsi les personnes qui ont commencé une thérapie qu’elles
veulent mener sans interférence. Beaucoup choisiront de faire un bout de chemin avec le clown
parce qu’il leur propose le genre de travail sur soi qu’elles cherchaient. Quelques-unes enfin
feront un très long chemin, à la fois parce que ce travail leur est devenu une école de vie et
parce que le plaisir qu’il leur procure est à lui seul un vrai ressourcement ! Il y a aussi les personnes qui continuent avec l’intention de devenir artistes-clowns; mais elles devront alors intégrer de tout autres contraintes de jeu. Une chose est certaine: quel que soit le nombre d’années
que l’on consacre au clown, on court peu le risque de s’enfler l’ego avec ce travail. Tel qui a
dix ans d’expérience peut à tout moment « se planter ». En revanche il arrive souvent que des
débutants vivent une impro magique parce qu’ils sont à la fois tellement centrés et tellement
ouverts que tout ce qu’ils font et expriment tombe juste, que tout s’enchaîne comme par miracle, qu’ils atteignent la perfection comme s’ils avaient répété pendant des mois. C’est pourquoi
à l’occasion de spectacles de fin de stage, le public a du mal à croire que ce n’est « que » de
l’improvisation !
L’expérience compte donc moins que l’état avec lequel on entre dans le jeu ?
C’est à mes yeux l’une des vertus de ce travail. Seule compte la qualité que tu y mets au présent. Le glorieux passé de ton clown n’intéresse personne et toi moins que quiconque. Tu es
sans cesse ramené à « Maintenant, en ce moment, où en suis-je ? Quelle énergie, quelle présence, quelle vigilance, quel engagement ? » Le travail du clown a à cet égard énormément
apporté à mon travail d’animation, avant même que je ne commence à animer des sessions
clown. Et encore plus depuis que j’en anime. Le clown m’a appris à développer ma capacité
à faire avec ce qui est là à tout instant, sans y perdre mon fil. Et aussi j’ai confiance, une
confiance dans le mouvement des choses, quels que soient les à-coups du moment. Mon rôle
est de créer les conditions pour que quelque chose puisse surgir. Ce quelque chose qui est à
l’intérieur des gens. Et plus je vais, plus je suis émerveillée de ce que je vois.❤