Le plaisir à portée de main : les cyniques

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Le plaisir à portée de main : les cyniques
Lycée franco-mexicain
Olivier Verdun
Le plaisir à portée de main : les cyniques
Pétomanes bien avant Gainsbourg, masturbateurs bien après Onan (Genèse, XXXVIII,
4-10), immenses provocateurs, les cyniques étaient de drôles de philosophes qui, dans la
Grèce des Ve et IVe siècles avant notre ère, prenaient modèle sur le chien, lequel copule en
public ! L’école cynique, qui se répandit dans tout le monde antique et dura près de dix
siècles, eut pour fondateur Antisthène (445-365 av.J.-C.) et pour figure de proue Diogène de
Sinope (413-327 av.J.-C). Avec leur manteau troué et leur besace, leur lanterne allumée en
plein jour, leur mépris des honneurs et des richesses, leur dédain de toute convenance sociale,
les cyniques se détachent ludiquement de toute entrave et poussent à l'extrême l'ironie.
L'objectif cynique est d'être à soi-même sa propre norme, de ne pas chercher ailleurs,
dans une quelconque transcendance aliénante, le principe qui fonde l'agir. Pour être heureux,
il convient, en effet, de se montrer apte à se suffire à soi-même, privilège de qui ne possède
rien ou peu. Du coup, l'animal – le poisson masturbateur ! -, apte à l'autarcie, est la grande
référence. Le cynique érige le modèle du philosophe vagabond qui, « dans la simplicité, voire
le dénuement, met de la pensée dans sa vie et de sa vie dans sa pensée » (Michel Onfray,
Cynismes). Il s'agit alors de confondre subtilement éthique et esthétique, morale et style, « de
construire sa singularité comme une œuvre d'art sans duplication » (ibid.).
La philosophie devient ainsi une ascèse du corps à finalité morale, une ascèse simple
mais terriblement exigeante. Le résultat de cette ascèse est une liberté souveraine qui permet
au sage de ne pas chercher ailleurs qu’en lui-même la norme de ses actions. Le cynisme
conduit à une jouissance authentique de soi.
Le cynisme est à réinventer. Il reste quelque chose de cet esprit subversif chez nos
meilleurs humoristes (les Pierre Dac, Desproges, Woody Allen…) et chez quelques-uns de
nos philosophes, grands ou petits (Nietzsche, Cioran, Michel Onfray…). Si l’humour est la
politesse du désespoir, le cynisme est un puissant antidote contre le conformisme, la bêtise, la
médiocrité, la fadeur et la mollesse de nos sociétés uniformisées.

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