QUEL AVENIR POUR LA RADIO

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QUEL AVENIR POUR LA RADIO
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ENQUÊTE
LA RADIO
QUEL AVENIR
POUR LA RADIO ?
Avec l’arrivée de la Radio Numérique Terrestre (RNT), des radios
connectées, des plateformes de streaming, du podcast, la radio est en train
de vivre à son tour sa révolution numérique. Elle se modifie dans son propre
univers médiatique et dans les usages qu’on en fait. À quoi ressemblera
l’avenir de la radio6? Comment consommerons-nous le son6? Quels seront
les liens avec les autres médias6? La radio de demain sera-t-elle toujours
une radio ou sera-t-elle fusionnée dans le grand mix Internet6? Tour d’horizon
avec Pierre Bellanger et Alain Weill, deux figures emblématique du secteur.
Propos recueillis par Marc Labernadière
“La radiodiffusion
va s’intégrer à l’univers de l’IP”
Depuis l’apparition de la FM
la radio semble être un
média «2figé2». Est-ce le cas
ou est-ce un leurre2?
Le son est plus facile à traiter et
transmettre que l’image. Le son,
donc la radio, a précédé la vidéo dans
tous ses usages-: flux, téléchargement, partage, plateforme d’hébergement, personnalisation, édition, etc.
La radio est le média le plus innovant
par la grâce de sa légèreté.
Pierre Bellanger,
président de Skyrock
Comment avez-vous contribué
à la modernisation de ce média2?
Nous avons toujours fait ce que
nous ressentions. Nous sommes la
libre expression populaire de la nouvelle génération. Nous avons chaque
fois exprimé cet ADN-: en FM avec
le rap et la radio libre de Difool,
sur Internet avec la liberté créative des blogs et nous réinventons
aujourd’hui cette liberté sur les terminaux mobiles. Nous contribuons
à l’émancipation de la nouvelle génération, à sa reconnaissance et à son
autonomie de pensée et de parole
grâce à des outils, des réseaux et
des audiences qui mettent une génération en direct avec elle-même.
Notre vertu est peut-être là, démar-
ginaliser la nouvelle génération en la
plaçant au centre de la société.
Quelle place occupera à l’avenir
la radio dans le mix média/?
La radio se défi nit comme une présence sonore, une présence c’est-àdire un accompagnement sonore
auprès de soi dans l’instant présent.
Cette intimité qui ne mobilise pas
l’œil est la force de la radio. La radio
sur Internet, la radio IP, est mieux que
l’Internet visuel. L’Internet visuel
mobilise l’œil et donc votre activité.
L’Internet audio vous laisse votre
liberté visuelle, un atout majeur.
La RNT marque-t-elle une
révolution dans la numérisation
des contenus radiophoniques/?
La RNT dans sa forme actuelle est
une impasse car elle s’imagine à part
de l’écosystème Internet. La radio IP
apporte une diffusion universelle
sans contrainte et la possibilité
d’insérer des publicités correspondant aux utilisateurs.
Avec la numérisation
de ses contenus, le terme
«/radiodiffusion/» risque-t-il
de disparaître/? En d’autres
termes, la radio est-elle
soluble dans Internet/?
La radiodiffusion va s’intégrer à
PIERRE BELLANGER,
ROCK, BLOG, RAP & R’N’B
Pionnier des radios libres, Pierre Bellanger fonde dès 1982
la station parisienne «GLa Voix du LézardG» qui deviendra
par la suite Skyrock. Ayant compris que ses jeunes auditeurs
recherchaient avant tout un canal d’expression susceptible
de les représenter, il lance en 2002 skyblog.com qui
deviendra une des principales plateformes de blog en
France. Il est aussi l’auteur du livre La radio IP, une vision
de la radio à l’âge d’Internet disponible en téléchargement
sur Internet.
l’univers de l’IP. Il existera une
radiodiff usion IP pour délester les
réseaux télécoms. D’un point de vue
artistique, la radio est une présence
sonore. Qui dit présence dit être
humain et donc talent. On ne remplace pas un talent par un disque dur.
La technologie est un accélérateur
magique des radios vivantes, elle est
dévastatrice pour les radios neutres
sans vie ajoutée.
mais chacun entendra des publicités
qui lui correspondent. Se développent également les services musicaux – à ne pas confondre avec la
radio – qui sont de nouvelles formes
intelligentes d’accès et de distribution de la musique permettant toutes
les formules d’écoute. L’ensemble est
une révolution de l’accès à la musique
de la magnitude de ce qu’a été l’imprimerie pour le livre.
Quels peuvent être les modèles
économiques pour les nouveaux
modes d’accès à la radio/?
Les nouvelles plateformes
de diffusion musicales/?
Le modèle économique passera par
la personnalisation publicitaire rendue possible par la radio IP. Tout le
monde écoutera le même programme
Quelle est, selon vous,
la qualité intangible de la radio/?
La voix humaine en direct.
LA TECHNOLOGIE EST
UN ACCÉLÉRATEUR MAGIQUE
DES RADIOS VIVANTES, ELLE
EST DÉVASTATRICE POUR
LES RADIOS NEUTRES SANS
VIE AJOUTÉE.
Quels seront, selon vous,
les acteurs majeurs
de la radio de demain/?
Nous sans aucun doute, les autres
peut-être.
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ENQUÊTE
LA RADIO
“Le marché de la radio
est en bonne santé”
Quelle est la place de la radio au
sein du groupe que vous dirigez-?
Historiquement, le groupe s’appelait
NextRadio. Sa création, en 2000, a
été organisée autour du rachat de
RMC puis, quelques mois plus tard,
de la reprise de BFM. Ces deux
chaînes connaissaient à l’époque
des difficultés économiques importantes. Le groupe s’est intéressé à la
télévision dans un second temps, à
la faveur de l’arrivée de la TNT en
2005… D’où l’évolution de son nom.
Le dispositif plurimédia a été complété par la suite avec la reprise d’un
groupe de presse magazine spécialisée, le Groupe Tests – qui publie
par exemple 01 Informatique – et
enfin le développement d’un pôle
digital. Tout cela pour dire que la
radio constitue le média originel
du Groupe. Sa place reste bien évidemment très importante, même si
l’objectif poursuivi est bel et bien de
créer et d’entretenir des synergies
entre les différents médias.
Et économiquement, qu’en est-il-?
Le marché de la radio est en bonne
santé, en France et partout dans
le monde. C’est un marché mature
mais qui a encore beaucoup d’avenir. Pour le Groupe NextRadioTV,
les deux tiers du résultat de l’année
proviennent de ce média. Et l’année
prochaine sa part sera encore de 50K%
du résultat total. Les chiffres que
nous avons publiés pour le premier
semestre 2012 montrent une hausse
de 11K% du chiffre d’affaires de la division radio. Celle-ci, avec une marge
opérationnelle de 35K%, fait preuve
d’une excellente rentabilité. Les
raisons de ce succès sont directement liées aux audiences records
enregistrées au printemps sur
R MC… Sacha nt que la cha îne
dispose encore d’un important
potentiel de croissance du fait
des nouveaux émetteurs installés
récemment sur la moitié nord de
l’Hexagone.
Alain Weill,
président du groupe NextRadioTV
ALAIN WEILL ET LES MÉDIAS
On entend souvent dire
qu’il faut moderniser le média
radio, qu’en pensez-vous-?
Je pense pour ma part que la radio
est déjà un média moderne et puissant qui offre aux auditeurs un très
large choix. Depuis sa création, la
radio a toujours été moderne. En
permettant de transporter la voix,
elle a initié une véritable révolution
en termes de communication. Rappelons que la radio est le premier
média mobile qui a montré la voie à
tous les autres, notamment à la télévision. Le meilleur exemple que l’on
puisse donner c’est celui de la TNT
qui a permis de combler le retard que
la télévision avait sur la radio en matière de pluralité des programmes.
Le projet de Radio Numérique
Terrestre (RNT) constitue-t-il
une opportunité pour
un groupe comme le vôtre-?
Je ne pense pas que la RNT ait
d’intérêt aujourd’hui. Si ce projet était mis en place, il supposerait des coûts importants pour les
opérateurs radiophoniques avec,
Après avoir occupé différents postes
au sein de NRJ Group, Alain Weill
fonde en 2000 NextRadio et rachète
cette même année la station RMC, puis
BFM en 2002. Il se lance dans la course
à la TNT et inaugure BFMTV en 2005
qui deviendra la première chaîne
d’information en continu sur la TNT
en termes d’audience. NextRadio est
alors rebaptisée NextRadioTV, ouvrant
la porte à une stratégie plurimédia
confirmée depuis par le rachat des titres
du Groupe Tests (01 Informatique,
l’Ordinateur Individuel, Micro-Hebdo).
notamment, un doublement des
coûts de diffusion… Il faut rappeler que de ce point de vue, dans le
cas de la TNT, la donne était radicalement différente. Le recours
au numérique permettait en effet
d’abaisser les coûts, par rapport au
hertzien traditionnel dans un ratio
de un à six. Sans compter que la RNT
engendrerait d’autres coûts pour les
auditeurs qui seraient dans l’obligation d’investir dans des récepteurs
spécifiques pour en bénéficier. Mais
aussi pour l’État, avec la mise en
place d’un nouveau réseau hertzien
dédié… Et compte tenu du contexte
financier actuel, je ne pense pas que
le projet de RNT sera poursuivi.
Pourtant, des expérimentations
sont en cours…
Oui, mais on s’aperçoit aujourd’hui
que ces expériences ne sont pas
concluantes. Il n’y a qu’à regarder
ce qui se passe avec la diffusion
audionumérique, plus connue sous
de l’interactivité entre les stations
émettrices et leurs auditeurs.
La radio sur IP a donc
clairement votre préférence…
Effectivement, cette technologie
offre de nombreux avantages avec
des coûts d’exploitation inférieurs
à la RNT. Avec la radio sur IP, il
est possible d’accroître de manière
presque inf inie l’offre de programmes. Je pense notamment à la
possibilité pour les auditeurs d’écouter des stations étrangères ou leurs
JE NE PENSE PAS QUE
LA RNT AIT D’INTÉRÊT
AUJOURD’HUI.
son acronyme anglo-saxon de DAB
(Digital Audio Broadcasting). Ce
dispositif créé dès les années 90 n’a
jamais vraiment réussi à percer. Au
point que 20 ans après son lancement officiel, il reste complètement
marginal. La Radio Numérique
Terrestre, ça ne marche pasD!
Ceci signifie-t-il que
la radio restera cantonnée
aux réseaux hertziens5?
Non, parce qu’il y a une alternative à
la RNT, c’est la radio sur IP, soit la radio sur le Web. Et je crois réellement
que cette solution est beaucoup plus
intéressante pour le développement
de la radio numérique. Ne serait-ce
que pour des raisons économiques
puisqu’avec cette technologie les
coûts de diffusion restent limités.
Au-delà des aspects financiers, la
radio sur IP a un atout de tailleD:
l’existence d’une voie retour qui se
traduit par la possibilité de créer
stations nationales favorites même
lorsqu’ils sont à plusieurs milliers de
kilomètres. Ensuite, il y a la technologie qui joue aussi en faveur de la radio
sur le Web. Aujourd’hui, le développement du Wi-Fi ou de la 4G offre de
nombreuses possibilités en matière
de radio mobile… Avec l’opportunité de récupérer les programmes
en direct – ou en différé grâce aux
podcasts – sur un smartphone, un PC
ou une tablette.
Ne craignez-vous pas une
remise en question du modèle
économique de la radio5?
La rentabilité financière d’une
station radio provient pour l’essentiel de la publicité. De ce point
de vue, il faut savoir qu’en France
nous sommes d’ores et déjà dans
un univers très concurrentiel. À
Paris, on ne compte pas moins de
55 stations diffusant en analogique contre une vingtaine dans
des villes comme New York ou
Francfort. Quant au passage au
numérique, quel que soit le modèle
choisi, il se traduit forcément par
une augmentation du nombre de
stations avec à la clé un risque de
dilution de l’audience et, du même
coup, d’éparpillement du marché
publicitaire. Pour autant, ce que
recherche un annonceur lorsqu’il
achète du temps d’antenne pour
diff user des spots, c’est l’audience.
Qu’il s’agisse de RNT
ou de radio sur IP,
le problème est le même5?
Pas réellement, car avec la radio
sur Internet, la voie retour permet
de mieux cibler la publicité. Ce qui
n’est pas le cas avec la Radio Numérique Terrestre. Et, dans l’esprit
d’un annonceur qui cherche à faire
du trafic en magasin ou à accroître
la notoriété d’un produit, le ciblage
est un argument qui n’est pas neutre.

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