le camp de royallieu durant la seconde guerre mondiale

Transcription

le camp de royallieu durant la seconde guerre mondiale
LE CAMP DE ROYALLIEU
DURANT LA SECONDE
GUERRE MONDIALE
!"#$%&'(()*+,,---(
(&.'/.((---('011
!"#$%#!!&&&!$'""
LES ORIGINES
M
ai 1940. Une
fois encore la
guerre frappe Compiègne,
que les Allemands bombardent les 16 et 17 mai 1940.
A Royallieu, petit village
de la périphérie, l’ancienne
caserne construite au début
du siècle retrouve le rôle
qu’elle a déjà connu au
cours de la Première Guerre
mondiale, celui d’hôpital
militaire.
Entre 1939 et 1940, Royallieu abrite
un hôpital qu’une croix rouge sur fond
blanc signale aux aviateurs allemands.
(Photo Hutin)
Le 22 juin 1940, la convention d’armistice coupe la France en
deux. Occupant une large zone nord, l’armée allemande réquisitionne une partie des bâtiments de Royallieu pour son casernement. Ceux qui restent servent à loger des réfugiés belges et
français.
Jusqu’en décembre 1940, Royallieu est
utilisé comme camp de prisonniers de guerre
et dénommé “Frontstalag 170 KN 654” puis
vidé de ses occupants, envoyés dans les
Stalags en Allemagne. De juin 1941 à la fin
août 1944, sous l’appellation de “Frontstalag
Cachet de la poste
122”, il devient un camp d’internement allemande du camp.
(Doc Annales
pour tous ceux que le IIIème Reich conHistoriques Compiègnoises)
sidère comme ses adversaires (prisonniers
politiques, résistants, Juifs, ressortissants des pays Alliés…),
constituant ainsi une réserve d’otages destinés à être fusillés ou
déportés en représailles.
Royallieu est le seul camp en France qui dépende exclusivement
de l’administration allemande, la Wehrmacht puis, à partir de l’été
1942, de la Sicherheitpolizei-Sicherheitsdienst (Sipo-SD), c’est à
dire le Service de Sûreté nazi, installé 74 avenue Foch à Paris.
2
!"#$%&'(()*+,,---&
(&.'/.((---('011
Les infrastructures du camp
Les nazis utilisent les
installations existantes en
les renforçant : un mur est
construit le long du chemin
de Saint Germain au Bac de
Jaux et une palissade en bois
de trois mètres de haut est
érigée du côté de la rue du
Mouton (cf. plan page 14-15).
Mirador entouré
de fils de fer barbelés.
L’enceinte de barbelés et un mirador.
(Photo Annales Historiques Compiègnoises)
Des chicanes barrent les routes d’accès
au camp. A l’intérieur de l’enceinte,
un triple réseau de fils de fer barbelés,
montés sur des chevaux de frise, est
disposé le long de la clôture sur 6 à
8 mètres de profondeur et 2,5 mètres
de haut. Des miradors équipés de
projecteurs permettent la surveillance du camp la nuit. Des pancartes
précisent : « Danger. Si vous approchez
des barbelés, la sentinelle fera feu. ».
(Photo Royallieu 80 ans d’histoire)
Jean Hoen, ancien détenu
« racial » de Royallieu,
décrit l’intérieur de
Royallieu : le camp se
compose « d’une suite de
bâtiments blancs couverts de
tuiles, bas et longs, à un étage,
alignés systématiquement
autour d’un terrain nu (…) ».
Int
lieu
Mé
en d
inte
Intérieur du camp de Royallieu.
Dessin réalisé par Auguste Ménage
en décembre 1942 alors qu’il y était interné.
(Coll. Mémorial de l’internement et de la déportation,
don de Monsieur André Pourvoyeur).
3
!"#$%&'(()*+,,---1
(&.'/.((---('011
Sur un espace de 15 hectares,
24 baraques de 60 mètres de
long et 15 mètres de large
s’alignent selon un plan en
« U » ouvert sur l’entrée.
Vue aérienne du camp de Royallieu
après 1945.
(AD Oise, fonds Jean-Pierre Besse, 71 J)
Cette disposition a facilité
la division en trois secteurs
principaux, cloisonnés entre
eux par des fils de fer barbelés :
■ Le
camp
A
rassemble
l’essentiel des prisonniers français
(politiques, résistants, réfractaires au
S.T.O.).
Plan du camp A dessiné par un interné à
Royallieu, vraisemblablement en avril 1942.
(Coll. Mémorial de l’internement et de la
déportation, don de M. André Pourvoyeur)
■ Le camp B est réservé aux ressortissants des pays en guerre contre
l’Allemagne, en particulier des anglosaxons, ils y bénéficient de conditions
de détention moins rigoureuses. Bien
que l’essentiel de l’administration allemande soit installée hors du camp, certains de ses services y sont implantés :
tri des internés à leur arrivée, bureaux
de l’habillement, de la censure …
■ Le camp C est occupé
au fil du temps par les
Russes, les internés français « spéciaux » (détenus dits « d’honneur »),
les femmes, les prisonniers
réputés « difficiles »
(mutins) et surtout, entre
Vue prise depuis l’entrée du camp de Royallieu
décembre 1941 et juillet
prise après la guerre. (Photo Hutin)
1942, par les Juifs.
4
!"#$%&'(()*+,,---2
(&.'/.((---('011
LES INTERNÉS
D
e 1941 à 1944, on estime à 54 000 le nombre
d’internés qui ont transité par Royallieu : ce sont
principalement des prisonniers administratifs, des résistants,
des personnes arrêtées au cours des rafles ou comme otages,
des opposants politiques – notamment des communistes, des
internés « raciaux » notamment les Juifs. Certains viennent des
nombreuses prisons et des camps d’internement de France.
Origine des convois arrivant au camp de Royallieu.
(D’après Christian BERNADAC, le train de la mort)
5
!"#$%&'(()*+,,---3
(&.'/.((---('011
Motifs d’internement
En France, les deux tiers
des résistants arrêtés furent
internés à Royallieu : ils
représentent 58,6% des
détenus, les opposants politiques 12,6%, et les internés
« raciaux » 11,5%.
Dès juin 1941, date de
Départ de la prison de Compiègne
vers Royallieu.
l’attaque allemande contre
(Photo A.D. Oise)
l’URSS, les nazis arrêtent
systématiquement les membres du Parti communiste et les
sympathisants, en particulier de nombreux élus ainsi que des
syndicalistes. Ils vont marquer la vie du camp à tel point que
la partie réservée aux prisonniers politiques sera surnommée
« le camp des communistes ».
L’ADMINISTRATION DU CAMP
L
Les responsables allemands
,
administration du camp,
d’abord confiée à la
Wehrmacht, passe progessivement
sous le contrôle de la Sipo-SD.
A partir de l’été 1942, c’est la SipoSD et elle seule qui décide du sort des
internés, qui désigne les otages et les
détenus à déporter. Les troupes de la
Wehrmarcht assurent le fonctionnement du camp. S’y ajoutent des
gardiens chargés de la surveillance.
Certains ont marqué les internés par
leur brutalité et leur sadisme.
Le Reichführer Himmler
(à gauche), haut responsable
des camps de prisonniers, de
concentration et d’extermination.
(Photo Editions Atlas)
6
!"#$%&'(()*+,,---4
(&.'/.((---('011
Ainsi, des témoignages désignent le SS Jäger comme étant
le plus féroce des « hommes
aux chiens », surveillant le
camp la nuit et faisant régner
la terreur en lançant son berger
allemand Klodo et son bulldog Prado à la poursuite de
détenus, qu’il contraint à des
courses épuisantes à travers le
camp.
Gardiens du camp de Royallieu.
(AD Oise, fonds Xavier Lepêtre, 41 Jp.)
Les détenus
Les Allemands se déchargent des tâches matérielles sur certains
détenus, dans un système d’auto administration plus ou moins
efficace selon la cohésion du groupe et son organisation.
A la tête des internés se trouve le doyen du camp, qui prend ses
ordres tous les matins auprès des gardiens allemands. Il est assisté
d’un adjoint, d’un chef de police et de son équipe, chargés du
maintien de l’ordre.
Chaque chef de bâtiment reçoit les instructions du doyen, auquel il
présente tous les matins la liste des malades présents à l’infirmerie
et de ceux qui souhaitent consulter un médecin. Il est aidé d’un
sous-chef et d’un adjoint auxquels incombent les tâches administratives et la distribution des vivres. Ces détenus logent dans des
chambres particulières au sein de chaque bâtiment.
Lorsqu’au cours de l’été 1943 les autorités allemandes confient
à des détenus de droit commun les responsabilités jusqu’alors
assumées par les communistes, ceux-là font alors preuve d’une
grande brutalité, escomptant ainsi bénéficier de la clémence des
Allemands. Cette nouvelle organisation a pour objectif de briser
tout esprit de solidarité entre internés, ce qui entraîne une lutte
acharnée pour s’emparer de ces postes-clés.
7
!"#$%&'(()*+,,---/
(&.'/.((---('011
LA VIE AU CAMP
L
es conditions d’internement du camp de Royallieu ne
peuvent certes pas se comparer avec celles subies par
les détenus tirés des prisons, encore moins avec celles des camps
de concentration et d’extermination. Il n’en demeure pas moins
que la pénurie de nourriture ou l’absence de soins ont conduit
certains internés à la maladie ou à la mort.
L’arrivée
Chaque jour, de nouveaux prisonniers viennent grossir les rangs
des internés du camp. Pour éviter les manifestations hostiles de
la population, c’est la nuit ou très tôt dans la matinée que les
Allemands acheminent les détenus au camp. Après un parcours
à pied depuis la gare de Compiègne, ils sont dirigés vers les
bâtiments et subissent une fouille systématique.
Les Allemands confisquent l’argent,
les bijoux et tout ce qui peut servir à
écrire. En effet, le règlement interdit
toute correspondance pendant les deux
mois qui suivent l’arrivée à Royallieu.
Les détenus passent une visite
médicale devant un médecin
allemand. Ils reçoivent ensuite une
plaque en zinc gravée d’un numéro de
matricule.
Plaques matricules en zinc
(haut) et carton. P.H.L. veut dire
Polizeihaftlager, camp
de détention de la police.
Le “C” désigne Compiègne.
Vers la fin de la guerre, le
métal, devenu rare, est réservé à la
fabrication d’armes ou de munitions.
Les Allemands décident alors de
remplacer les plaques d’identification
en zinc par des marques en carton.
(Doc Annales Historiques
Compiègnoises)
8
!"#$%&'(()*+,,---5
(&.'/.((---('011
Robert Tremon est un ancien interné de Royallieu, arrêté pour
son appartenance au Front Uni de la Jeunesse Patriotique (FUJP),
mouvement communiste de résistance. Il raconte son arrivée au
camp : « (…) A gauche la campagne, à droite une haute clôture de fils
de fer barbelés électrifiés, derrière, des hommes curieusement habillés, des
bâtiments et des baraques en bois. (…) Il y a un appel nominatif qui dure
longtemps. Ensuite, on nous coupe les cheveux à la tondeuse, puis nous
devons donner tout ce que nous avons : montre, bague, portefeuille, qui sont
mis dans un sachet. On nous passe au cou une cordelette avec une plaque
portant un numéro. « 34021 » sera désormais mon seul signe distinctif. »
Les conditions matérielles
Les structures d’internement s’avèrent rapidement insuffisantes
pour faire face à l’accroissement continu du nombre de
détenus. L’entassement dans les chambrées et le sous-équipement
sanitaire favorisent la prolifération des parasites et le
développement des maladies. Si l’admission à l’infirmerie
du camp a pu parfois signifier une mort à brève échéance, elle a
néanmoins favorisé de nombreuses évasions.
Bon de commande de fournitures pharmaceutiques
(Doc. ONAC de l’Oise)
La pénurie alimentaire s’ajoute à la promiscuité. Les rations
quotidiennes sont insuffisantes et ne fournissent pas l’apport
calorique nécessaire à l’organisme. Certains internés
bénéficient des colis de la Croix Rouge, mais les stigmates de la faim
apparaissent malgré tout, particulièrement chez les Juifs qui sont
soumis à un régime plus sévère que les autres détenus.
9
!"#$%&'(()*+,,---6
(&.'/.((---('011
10
!"#$%&'(()*+,,---('
(&.'/.((---('011
Un rapport du commissaire de police de Compiègne donne un aperçu
des conditions de vie des internés de Royallieu.
(Archives Départementales de l’Oise)
Une journée à Royallieu
L’organisation de la vie à l’intérieur du camp est entièrement
laissée à l’initiative des internés. Ils n’ont affaire aux soldats de
la Wehrmacht que pour les formalités d’entrée et les appels
journaliers. Le travail se résume à des corvées de nettoyage ou
de soupe. Robert Tremon décrit l’organisation d’une journée :
« Appel à 8h dans la cour (…). A 12h, une soupe d’un litre et demi est
servie. A 17h, nouvel appel et distribution d’un quart de boule de pain avec
beurre et confiture. Tout le monde doit être couché avant 21h. ». Les horaires
doivent être scrupuleusement respectés par les internés.
En 1943, la vie change quelque peu, comme le souligne Gérard
Bouazid, dans la France torturée (Ed. FNDIRP) :
« Nul doute, une orientation nouvelle a conduit le commandant SS de
Royallieu à modifier le rôle du camp. La machine de guerre Allemande a sans
cesse besoin d’accroître sa production. Il faut alimenter en main d’œuvre les
camps de concentration du Reich où l’on pratique « l’extermination par le
travail ». Désormais, ce n’est plus la répression qui est le but essentiel, elle
devient un moyen de recrutement ».
11
!"#$%&'(()*+,,---((
(&.'/.((---('011
Fiche de renseignement adressée au commandant du camp de Royallieu
par Louis MICHEL, délégué de la Croix-Rouge à Compiègne.
Parmi les internés, on peut relever le nom de Geneviève de Gaulle,
nièce du Général de Gaulle, et celui de Marcelle Gueudelin (avec une erreur sur
l’orthographe du patronyme), résistante beauvaisienne morte en déportation.
(Doc O.N.A.C. de l’Oise)
12
!"#$%&'(()*+,,---(&
(&.'/.((---('011
S’adapter, s’occuper
Pour la majorité des internés, il faut résister à l’avilissement lié
à la détention. Pour cela, certains détenus se groupent pour
organiser des activités culturelles ou sportives. Les compétences
individuelles sont mobilisées pour dispenser des cours ou des
conférences, apprendre le jardinage, les jeux de société, et
organiser des matchs de football ou de basket en fonction des
aptitudes physiques et de la quantité de nourriture.
S’évader
L’obsédant espoir des prisonniers est de s’évader avant leur
déportation. Nombreux furent
ceux qui essayèrent, peu y sont
parvenus. L’évasion la plus
connue se produit le 22 juin
1942. Ce jour là, 19 communistes ont pu fuir par un tunnel Entrée du tunnel ayant servi à l’évasion
du 22 juin 1942.
de 48 mètres de long, creusé
(A.H. de Compiègne)
des semaines durant. Onze
d’entre eux ne seront jamais repris. L’évasion fait grand bruit
dans le camp et à l’extérieur. Le général von Stulpnagel,
commandant militaire en France, vient enquêter et annoncer des
mesures de représailles.
D’autres trouvèrent en eux les moyens de s’échapper de leur
univers carcéral. Ainsi, un détenu anonyme raconte l’un de ses
instants « d’évasion »: « Je n’avais jamais vu que les nuages étaient si
beaux avec leur architecture toujours recommencée, leurs coloris si nuancés.
Nous ne savions pas encore que les ciels d’Allemagne sont toujours gris,
comme le reflet de la tristesse sur la terre. »
Membre d’un réseau de résistance, le poète Robert Desnos
(1900-1945) est arrêté en février 1944. Interné à Royallieu puis
déporté au camp de Terezin (Tchécoslovaquie), il évoque son
passage à Compiègne :
13
!"#$%&'(()*+,,---(1
(&.'/.((---('011
Plan du camp de R
Plan du camp A dessiné par un interné à Royallieu, vraisemblablement en avril 1942. (Coll. Mémo
- A1 à A8 les bâtiments pour internés de sexe masculin
- B1 à B3 les services administratifs allemands
- B4 à B8 les internés américains
- C1 les douches
- C2 à C8 réservés aux femmes et aux enfants
- Les autres bâtiments affectés aux différentes activités du camp (magasins de viv
- Entre le E2 (la cantine) et le F1 (la cuisine), le fameux tunnel qui a permis l’évasio
14
!"#$%&'(()*+,,---(2
(&.'/.((---('011
camp de Royallieu :
2. (Coll. Mémorial de l’internement et de la déportation, don de M. André Pourvoyeur)
gasins de vivres, cuisines, entrepôts, ateliers, etc…,
rmis l’évasion massive du 22 juin 1942 (voir page 13)
(document André Poirmeur)
15
!"#$%&'(()*+,,---(3
(&.'/.((---('011
Sol de Compiègne (extraits)
……
Sol de Compiègne !
Terre grasse et cependant stérile
Terre de silex et de craie
Dans ta chair
Nous marquons l’empreinte de nos semelles
Pour qu’un jour la pluie de printemps
S’y repose comme l’œil d’un oiseau
Et reflète le ciel, le ciel de Compiègne
Avec tes images et tes astres
Lourd de souvenirs et de rêves
Plus dur que le silex
Plus docile que la craie sous le couteau
……
Et craie et silex et silex et craie
Sol de Compiègne !
Sol fait pour la marche
Et la longue station des arbres,
Sol de Compiègne !
Pareil à tous les sols du monde !,
Sol de Compiègne !
Un jour nous secouerons notre poussière sur ta poussière
Et nous partirons en chantant.
Et nous partirons en chantant.
Nous partirons en chantant
En chantant vers nos amours
La vie est brève et bref le temps
Nous laisserons notre poussière
Dans la poussière de Compiègne
Et nous emporterons nos amours
Nos amours qu’il nous en souvienne
Qu’il nous en souvienne
Robert Desnos
16
!"#$%&'(()*+,,---(4
(&.'/.((---('011
Les exécutions
Combien de détenus sont
morts de faim, de maladie, ou
victimes de leurs geôliers ?
Les exécutions, beaucoup
moins nombreuses qu’on a
pu l’écrire, ont commencé en
décembre 1941. Les prisonniers communistes ont été fusilExécution d’un résistant
lés comme otages principale(Photo FNDIRP)
ment en forêt de Compiègne, à
la citadelle d’Amiens et au Mont Valérien à Suresnes.
(Doc. A.D. Oise)
17
!"#$%&'(()*+,,---(/
(&.'/.((---('011
D
LES CONVOIS VERS L’ALLEMAGNE
e récentes recherches permettent d’établir que
vingt-neuf grands convois au moins sont partis
de Compiègne de 1941 à 1944, déportant près de 40 000 personnes. Si les trois premiers transports, en 1942, ont concerné les
personnes arrêtées à titre politique et surtout les Juifs, ce sont
essentiellement les Résistants qui, entre 1943 et 1944, furent
déportés.
Comment sont-ils organisés ?
Royallieu dépendant directement de l’autorité allemande, la
Préfecture de l’Oise n’a aucun pouvoir sur le fonctionnement du
camp ni sur les convois qui en partent.
Sur l’ordre des hauts responsables nazis, le Hauptsurmführer1
Illers, responsable à Paris du bureau chargé des internés, établit
une liste de déportés en 4 exemplaires, sans mentionner le nom
ou la localisation du camp. Les copies sont adressées aux
responsables nazis de Paris et de Berlin, ainsi qu’au commandant
du camp concerné.
En application de
l’article 13 de la convention d’armistice,
des trains sont réquisitionnés auprès de
la SNCF quelques
jours avant le départ.
Ils sont composés
de wagons destinés au transport des
Wagon utilisé pour le transport des détenus.
marchandises. Les
(Photo Fondation pour la Mémoire de la Déportation)
volets d’aération sont
obturés par du fil de fer barbelé. Un wagon plat équipé d’une
mitrailleuse est attelé à chaque convoi pour prévenir les tentatives
d’évasion.
1
Grade dans la SS correspondant à celui de capitaine.
18
!"#$%&'(()*+,,---(5
(&.'/.((---('011
« Le grand voyage2 »
Les Allemands contraignent les internés à traverser Compiègne à pied
pour les emmener à la gare,
au quai dit « des déportés ». De multiples tentatives d’évasion, le plus
souvent vouées à l’échec,
se produisent durant ce
Le quai des déportés de la gare de Compiègne
trajet. Les déportés sont
(Photo Hutin)
généralement escortés par
des éléments de la Feldgendarmerie et des militaires allemands,
fréquemment accompagnés de gendarmes français de l’ancien
département de la Seine. En effet, suite aux plaintes émises par
les brigadiers et les policiers de l’Oise, chargés à l’origine de cette
tâche, la Préfecture a été contrainte de recourir aux forces des
départements voisins.
Les conditions de transport sont telles qu’à chaque convoi, de
nombreux déportés meurent. Les trois jours et deux nuits que
duraient en général le voyage restent parmi les souvenirs les plus
poignants des survivants. Un déporté rescapé de cet enfer raconte : « L’entassement, la faim, la soif, les odeurs torturaient les déportés
qui étaient victimes de punitions en cas de tentative d’évasion, ce qui se
produisait pratiquement à chaque transport. » (anonyme).
Certains tentent de s’échapper. Ainsi, le 6 avril 1944, un déporté
évoque les représailles après une tentative d’évasion : « un officier
SS parut, escorté d’un interprète. Il beugla qu’à cause des tentatives d’évasion,
il avait décidé de nous ôter nos vêtements. Il sortit son revolver. Les triques
s’abattirent. Pour nous, anciens des centrales, la mise à poil tenait de la
routine. La longue file de nos corps blêmes, gesticulant avec maladresse sous
ce ciel lourd de neige, avait quelque chose de poignant et de ridicule tout
ensemble. » (témoignage anonyme).
2
Jorge Semprun.
19
!"#$%&'(()*+,,---(6
(&.'/.((---('011
Paul PICOT écrit à sa femme depuis Royallieu le 20 mars 1944.
(Document Collection Défense de l’Homme)
Quelques convois parmi ceux qui rythmèrent la
vie du camp
Le 06 juillet 1942, 1 175 personnes, en majorité des
communistes, sont déportées à Auschwitz. Ils seront les premiers
déportés Résistants à être tatoués. Comme ils portèrent un numéro
supérieur à 45 000, ce transport sera appelé « le convoi des
45 000 ».
Le 22 janvier 1944, 2 000 hommes sont envoyés à Buchenwald
dans le cadre de l’opération Meerschaum (écume des mers)
destinée à démanteler la Résistance française par des interventions
militaires. En outre, dès janvier 1944, les responsables nazis
souhaitent vider les camps d’internement en France et déportent
des dizaines de milliers de détenus pour les utiliser comme
travailleurs forcés dans les usines d’armement.
20
!"#$%&'(()*+,,---&'
(&.'/.((---('011
Tableau réalisé par le SD ONAC d’après les chiffres
de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation.
Le 2 juillet 1944, un convoi part pour Dachau avec 2 200 déportés. 900 d’entre eux périront au cours du voyage. Monsieur Roger
Bellot a fait partie de ce convoi, surnommé « le train de la mort ».
Il témoigne des conditions inhumaines du voyage :
« Ce jour là, la chaleur était déjà très forte dans la matinée. Nous avons
attendu le train de 6h à 12h en gare de Margny les Compiègne. Nous avons
été entassés par les allemands avec force coups dans un convoi composé d’un
wagon aux parois métalliques attelé à des wagons de transports en bois.
Le wagon en métal était un véritable four. A notre arrivée à Reims à 21h00,
le chef de gare a refusé d’accueillir le convoi à cause de l’odeur dégagée par les
cadavres en décomposition dans les wagons. Parmi les déportés se trouvaient
3 anciens prisonniers de droit commun employés comme chauffeurs par la
Gestapo de Toulouse. Les autres déportés les ont lynchés à leur arrivée à
Dachau. »
21
!"#$%&'(()*+,,---&(
(&.'/.((---('011
Stèle à la mémoire du
dernier train de Royallieu.
(Photo ONAC de l’Oise)
17 août 1944, part le dernier
transport arrivant à destination.
Prévu pour le 14 août, ce train
préparé par les Allemands est
bloqué par l’action de 2 résistants de Vieux Moulin (près de
Compiègne), qui font sauter la
locomotive. Les détenus, dont
Jacques Vigny, sont transférés
par camion dans un autre train
stationné en forêt de Compiègne
(carrefour Bellicart) car les ponts
et les voies de chemin de fer
sont détruits par l’aviation alliée.
Malgré cela, le convoi part le
17 août à destination de
Buchenwald.
Jacques Vigny et Pierre Bur faisaient partie de ce convoi.
Ce dernier décrit les conditions inhumaines du voyage :
« Une chaleur étouffante tombe sur Compiègne. Au camp d’internement de
Royallieu, 1250 hommes (…) sont rassemblés sur la place d’appel. (…)
Ils sont embarqués dans des camions. Un convoi se forme et s’ébranle en
direction du carrefour Bellicart où l’attend un train de wagons à bestiaux.
[Des wagons prévus pour] huit chevaux, 40 hommes ! Il n’y aura pas de
chevaux, et les hommes ne seront pas quarante par wagon mais bien 80,
100, 110, voire 120 entassés comme des bestiaux. (…) Voilà quatre longs
jours que nous étouffons dans nos cages, quatre longs jours que nous vivons
des scènes plus atroces les unes que les autres, que nous pataugeons dans
nos excréments qui se mêlent au maltofruit de la Croix Rouge, que nous
côtoyons des cadavres et des fous… Mais ne le sommes nous pas tous plus ou
moins ? ». In Un pas, encore un pas… pour survivre, Amicale des
Anciens Déportés à Neu-Stassfurt.
22
!"#$%&'(()*+,,---&&
(&.'/.((---('011
L’ultime convoi.
Le 25 août 1944, les
Allemands font partir un
dernier convoi de Royallieu.
Le 26 août, il est définitivement stoppé par l’action
de la Résistance et des
cheminots qui le détournent
sur la voie de Péronne Préparation d’un attentat contre une ligne
de chemin de fer.
Montdidier, Des soldats
(Photo JB)
britanniques, aidés par les
habitants du voisinage, forcent les portes des wagons et libèrent
les survivants.
Tableau réalisé par le SD ONAC d’après les éléments fournis
par la Fondation pour la Mémoire de la Déportation.
23
!"#$%&'(()*+,,---&1
(&.'/.((---('011
S
IN MEMORIAM
ur le site de l’ancien camp, qui accueille le mémorial de
l’internement et de la déportation, plusieurs stèles ou
plaques commémorent le martyre des prisonniers et déportés de
Royallieu.
Stèle à la mémoire des déportés de Royallieu sur le monument
aux morts érigé en 1972.
(Photo ONAC de l’Oise)
Parmi les internés de Royallieu, des noms connus apparaissent :
■ Michel Clemenceau, fils de Georges Clemenceau
■ Pierre et Geneviève de Gaulle, respectivement frère et nièce du
Général de Gaulle,
■ Charlotte Delbo, déportée Résistante,
■ Robert Desnos, poète et écrivain,
■ le Colonel Frédéric Manhès, compagnon de lutte de Jean Moulin,
■ Albert Sarrault, homme politique français (1872-1962),
président du Conseil de 1933 à 1936,
■ Jorge Semprun, écrivain, ministre de la culture du gouvernement
espagnol entre 1988 et 1991, élu à l’Académie Goncourt en 1996.
■ Marie-Claude Vaillant-Couturier, veuve de Paul
Vaillant-Couturier (1892-1937), journaliste et rédacteur en chef du
journal L’Humanité de 1928 à 1937.
24
!"#$%&'(()*+,,---&2
(&.'/.((---('011
Stèle en mémoire des internés au camp de Royallieu
(Doc. ONAC de l’Oise)
Le cadre représentant une croix de Lorraine a été érigé par
des prisonniers de guerre allemands après la Seconde Guerre
mondiale. Il a été transféré au Musée de la Libération situé à
l’Hôtel National des Invalides (Paris).
Le quai des déportés
Devenu le symbole de la déportation dans l’Oise,
ce quai de la gare
de Margny-lesCompiègne se
situe dans le prolongement du quai
des voyageurs.
Destiné dans un
Stèle à la mémoire des déportés.
premier temps à
(Photo ONAC de l’Oise)
être utilisé pour le
fret, il a été classé à l’Inventaire supplémentaire des monuments
historiques. Une stèle à la mémoire des 50 000 hommes et femmes
partis de Compiègne pour les camps nazis y a été inaugurée le
2 juillet 2000. Un projet de mémorial, composé de deux wagons et
de figurines en métal devrait rapidement voir le jour.
25
!"#$%&'(()*+,,---&3
(&.'/.((---('011
Ouvrages généraux
POUR EN SAVOIR PLUS
Azéma Jean-Pierre, De Munich à la Libération, Editions du Seuil, 1992.
Azéma Jean-Pierre, Bédarida François (dir.), Vichy et les Français,
Fayard, 1993.
Besse Jean-Pierre, Pouty Thomas, Les fusillés, Les Editions
de l’Atelier, 2006.
Durand Yves, La France dans la seconde guerre mondiale, Colin, 1989.
Ouvrages sur l’Oise et sur le camp de Royallieu
Besse Jean-Pierre, L’Oise septembre 1940-septembre 1944,
Chez l’auteur, 1994,
Conseil Général de l’Oise, 1944 l’Oise est libérée !, Archives départementales de l’Oise, 2004.
Husser Beate, Besse Jean-Pierre, Leclère-Rosenzweig Françoise,
Frontstalag 122 Compiègne-Royallieu, Archives départementales de
l’Oise, 2008.
Leclère-Rosenzweig Françoise, l’Oise allemande (25 juin 1940 2 septembre 1944), Résistance 60, 2004.
Leprêtre Xavier, De la Résistance à la Déportation, CompiègneRoyallieu 1940-1944, Compiègne, 1994.
Leprêtre Xavier, Même au péril de la liberté, Senlis-Chantilly 19401944, Noyon, 1993.
Poirmeur André, 1939-1945, Compiègne, 1962.
Pouteau Sylvain, Royallieu Compiègne 80 ans d’histoire, Montargis,
1993.
Articles
-N°61-62 des Annales Historiques Compiégnoises, Il y a cinquante ans,
la seconde guerre mondiale dans l’Oise, 1995.
-N°28 des Annales Historiques Compiégnoises, La Seconde Guerre
mondiale dans l’Oise, hiver 1984-1985
CD Rom
« Résistance 60 », La Résistance dans l’Oise, Association pour des
Etudes sur la Résistance Intérieure, Paris, 2003.
26
!"#$%&'(()*+,,---&4
(&.'/.((---('011
REMERCIEMENTS
■ La Fondation pour la Mémoire de la Déportation,
■ la Société d’Histoire moderne et contemporaine de Compiègne,
éditeur des Annales Historiques Compiégnoises,
■ M. Lagouche Jean (✝), alors responsable du Musée de l’Aviation de
Warluis (Oise).
■ M. Terrier Jean-Marie, adjoint au directeur des Archives
Départementales de l’Oise,
■ Les membres du comité de lecture, madame et messieurs
■ Bellot Roger, président de l’Association des Déportés, Internés et
Familles de Disparus,
■ Besse Jean-Pierre, docteur en histoire, président de l’association
Résistance 60,
■ Biette Ernest (✝), alors président de l’Association Départementale
de l’Oise des Déportés, Internés, Résistants, Patriotes et leurs
Familles,
■ Rosenzweig Françoise, docteur en histoire,
■ Vigny Jacques, ancien interné de Royallieu et trésorier de l’Amicale
des Anciens Déportés de Neu-Stassfurt.
■ Zerline Raymond, président du Comité d’Entente des Associations
issues de la Résistance et de la Déportation de l’Oise,
■ Les anciens internés de Royallieu et leurs familles qui, par leurs
remarques et conseils, ont permis de corriger les quelques erreurs
relevées dans les précédentes éditions de ce livret.
Une stèle, située Rue de Harley à Compiègne
à côté d’un pont qui enjambe l’Oise,
rappelle aux passants la mémoire des déportés.
(Doc Annales Historiques Compiègnoises)
!"#$%&'(()*+,,---&/
27
(&.'/.((---('011
!"#$%&'()*+,-!.+*%/%01234256
Livret réalisé par le Service Départemental de l’Oise
de l’Office National des Anciens Combattants et Victimes de Guerre
6, rue du Franc Marché - BP 50739 - 60007 BEAUVAIS Cedex
()*+&,%-.".!!.!"-//0.1
!"#$%&'(()*+,,---&5
2345678476&"$!!&9:;3<<6=><??&&&!
(&.'/.((---('011

Documents pareils