La condition féminine traditionnelle en Chine État de la recherche

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La condition féminine traditionnelle en Chine État de la recherche
La condition féminine traditionnelle en Chine
État de la recherche
Nicolas Zufferey
Depuis le début des années 1980, on assiste à une remise en question
de la vision un peu simpliste, qui a prévalu jusque-là, de la femme chinoise
traditionnelle \ victime passive d'une société patriarcale. Dans les années
1990, les études sur le sujet se sont multipliées, avec des approches variées
et des contributions importantes de toutes les disciplines. Nous tenterons ici
de faire le point sur l'état de la recherche, à partir de quelques travaux récents, particulièrement en langue anglaise, qui nous paraissent exemplaires.
La femme chinoise traditionnelle, victime des réformateurs du XXe
siècle ?
Les études publiées depuis une vingtaine d'années corrigent, voire transforment l'image simpliste de la femme chinoise traditionnelle, telle qu'elle
s'était imposée à partir de la fin du XIXe siècle dans les milieux progressistes en Chine. Réformateurs, révolutionnaires et féministes, de manière quasiment unanime, avaient dépeint la femme traditionnelle comme la victime
passive d'une société patriarcale façonnée par les valeurs du néoconfucia1
Par « femme chinoise traditionnelle », nous entendrons ici la femme chinoise jusqu'à
la chiite de l'Empire en 1911.
Etudes chinoises, vol. XXII (2003)
Dossiers thématiques
nisme. Furent notamment dénoncés l'infanticide des filles, le bandage des
pieds, l'inégalité dans l'éducation, l'inégalité dans le mariage, la ségrégation
des sexes et le confinement de la femme à l'intérieur de la maison, le statut
des veuves, interdites de remariage et souvent poussées au suicide, en un
mot, la soumission, à tous les âges de la vie, de la femme aux hommes.
Chen Duxiu, Lu Xun, ou encore Chen Dongyuan, auteur de la première
histoire de la femme chinoise (Zhongguo funû shenghuo shi, 1937), contribuèrent à véhiculer cette représentation très négative de la femme traditionnelle. Cette optique domina dans les milieux académiques jusque dans les
années 1980, et elle subsiste dans nombre de manuels, ainsi que dans le
discours officiel en Chine populaire.
Les réformateurs et les révolutionnaires du début du XXe siècle eurent
cependant tendance à noircir le tableau, afin de justifier la nécessité de
changements drastiques ; pour légitimer la révolution, il fallait que le système à renverser soit pourri ; pour justifier la libération de la femme, il fallait qu'elle ait été esclave. L'image qu'ils proposèrent de la femme traditionnelle fut donc en partie une « invention » qui correspondait aux besoins
de leur cause. Pour reprendre Dorothy Ko : « The invention of an anhistorical 'Chinese tradition' that is feudal, patriarchal, and oppressive was the
resuit of a rare confluence of three divergent ideological and political traditions - the May Fourth-New Culture movement, the Communist révolution,
and Western feminist scholarship. » (in Teachers of the Inner Quarters,
p. 3). La femme chinoise traditionnelle devint l'exact opposé de la femme
moderne (occidentale). Comme le dit Li Yu-ning : « Most books and articles on Chinese women share a common feature - sharply contrasted descriptions of the position of Chinese women in the past and the changes that
hâve taken place in the twentieth century. The women of old China are
generally described as weak and incompétent, as docile victims of a feudal
society and patriarchal System, and as parasitic consumers and men's slaves
and dependents. This tends to divide the history of Chinese women into two
parts - a pre-twentieth-century history of women's plight, and a modem
history of women's libération. According to thèse historians, traditional
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Chinese society consistée of two camps, with oppressive maies on the one
side and oppressed females on the other. » {Chinese Women through Chinese Eyes, p. 103).
Dans le contexte des réformes ou de l'amélioration de la condition de
la femme, cette simplification était peut-être nécessaire. Mais on doit se
souvenir que cette représentation de la femme fut moins scientifique
qu'idéologique. Les réformateurs n'avaient pas tant pour but la vérité que
l'action politique ; souvent, l'action politique générale prenait le pas sur la
cause des femmes en tant que telle (même si dans leur esprit l'une n'allait
pas sans l'autre). La femme fut prise comme symbole de l'arriération de la
société traditionnelle, et le but premier était moins d'améliorer son statut
que de « sauver la nation ». Nombre de femmes partageaient d'ailleurs
l'idéal de ces hommes politiques. Comme le dit Li Yu-ning : « The old
Confucian idéal of women's self-denial for the sake of the family has been
transformed into a new idéal of selfless dedication to the task of creating a
new China. » (ibid., p. xx). Yan Bin, par exemple, l'une des premières femmes membres de la Tongmenghui, éditrice de Zhongguo xin nùjie zazhi,
associait déjà en 1907 l'amélioration de la condition féminine et le patriotisme, en insistant sur le fait qu'une citoyenne doit considérer les intérêts du
pays comme plus importants que son propre sort. Et pour la célèbre Song
Qingling, la femme chinoise ne devait pas se battre pour ses droits par
« féminisme », mais pour contribuer au mouvement de démocratisation et
de modernisation dans son ensemble.
Absence de l'histoire et insuffisances sociologiques
La représentation que les réformateurs imposèrent de la femme chinoise
traditionnelle fut donc politique ou idéologique, plutôt que « scientifique ».
On y constate simplisme et généralisation, ainsi qu'insuffisance de perspectives sociologiques.
Durant une bonne partie du XXe siècle, le discours sur la condition
féminine a en effet été marqué par la généralisation et l'abstraction. On
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Dossiers thématiques
parla de la femme chinoise, sans tenir compte des différences de classe, des
oppositions entre villes et campagnes, ou tout simplement des situations
individuelles. De plus, on traitait de cette condition comme si les femmes
n'avaient pas eu d'histoire, comme si, pour l'essentiel, elles avaient subi le
même sort à toutes les époques. Mais cette attitude pose un problème de
fond. Comme le souligne avec esprit Bret Hinsch : « An analogous approach to the history of European women might take ideas current in Victorian England as the key to understanding ancient Roman or Celtic women's
lives. » {Women in Early Impérial China, p. 4).
Et même lorsque la perspective historique ne fut pas totalement oubliée, les discours restèrent simplistes : ainsi, de nombreux auteurs présentèrent l'histoire de la femme chinoise comme un long déclin, depuis le
matriarcat des époques mythiques (aujourd'hui mis en doute) jusqu'à la
femme aux pieds bandés, soumise et privée d'éducation, de l'époque impériale tardive, en passant par la femme de l'époque Tang, qui pouvait encore
sortir de chez elle, par exemple pour jouer au polo. Une telle vision est elle
aussi problématique : sous les Qing, par exemple, la femme est protégée par
un arsenal de lois beaucoup plus complet qu'aux époques antérieures ; et, ne
serait-ce que pour des raisons matérielles, elle est beaucoup plus éduquée
que ses ancêtres.
La vision simpliste des réformateurs découle en bonne partie d'un défaut de perspective sociologique. Une première manifestation de ce défaut a
été une trop grande docilité vis-à-vis des rituels et des autres textes
« fondateurs » de la hiérarchie hommes / femmes. Or, ces textes sont beaucoup plus normatifs que descriptifs, ils véhiculent un idéal philosophique ou
moral, et doivent être utilisés avec précaution comme sources historiques.
Les réformateurs ont omis de prendre en compte qu'entre l'idéal moralisant
de certaines élites, tel qu'il apparaît dans les rituels, et les réalités sociales,
le fossé peut être énorme. De même, ils n'ont pas tenu compte du fait que
des textes apparemment plus « objectifs », notamment les histoires dynastiques, obéissaient eux aussi à des impératifs moraux ou idéologiques, et donc
ne sauraient être lus sans précaution lorsque l'on veut connaître les réalités
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sociales.
Les chercheurs, aujourd'hui, ont une lecture plus critique des textes
anciens. À propos des rituels, par exemple, Lisa Raphals pose un jugement
catégorique : « Thèse texts tell us little about how women actually lived, or
how or whether their prescriptions reflected actual practices or idealized
norms." (Sharing the Light, p. 215-216).
Les réformateurs ont fait du confucianisme le principal responsable de
l'infortune féminine, en oubliant qu'un système philosophico-moral est
rarement, à lui seul, déterminant dans les évolutions sociales, et que des
phénomènes plus concrets jouent souvent un rôle autrement plus fondamental. Comme le dit fort bien B. Hinsch : « For most people, daily life was
ruled by the relentless exigencies of necessity rather than theoretical niceties. Prosperous intellectuals were isolated to a large degree from the material compulsions driving most people's lives [...] The sheer impracticality
of many élite ideas about gender evoked stubborn résistance from the massive base of the social pyramid. » (Women in Early Impérial China, p. 10).
Enfin, nombre de ces réformateurs n'ont pas suffisamment mis le
statut des femmes dans leur contexte : l'égalité des sexes ou les droits des
femmes sont après tout des idéaux récents, et ce même en Occident. Et si les
femmes chinoises étaient asservies, les hommes l'étaient aussi ; les uns et
les autres étaient étroitement pris dans le filet des hiérarchies, et pour tous,
les charges et les devoirs étaient beaucoup plus nombreux que les droits et
les libertés. Les hiérarchies sociales et familiales, ainsi que les différences
d'âge, étaient au moins aussi importantes que les différences de sexe - les
femmes de l'élite avaient un statut plus élevé que les paysans ou les artisans ; et la grand-mère, la belle-mère et la mère commandaient aux générations inférieures. Certes, à statut égal, l'homme dominait la femme, mais
précisément, le statut était rarement chose simple : le sexe, le rang social ou
l'âge étaient importants pour établir les hiérarchies, mais d'autres valeurs,
comme la vertu, le savoir, le talent, voire la beauté, jouaient un rôle non
négligeable dans la fixation des statuts.
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Dossiers thématiques
Plus fondamentalement, l'idée selon laquelle le statut de la femme aurait été le résultat de l'oppression masculine n'est qu'une projection dans le
passé des conceptions du XXe siècle. Il vaut beaucoup mieux montrer comment les genres 2 , en Chine comme ailleurs, se sont construits l'un par rapport à l'autre, dans un système extrêmement large englobant des aspects
sociaux et moraux, mais aussi politiques et cosmologiques. Pour prendre un
exemple, la fidélité que la veuve doit à son mari décédé, qui est devenue si
importante sous les Ming, ne peut se comprendre que dans le cadre général
de la mise en place d'un véritable système de loyautés, obsession du régime
pour se préserver de la traîtrise et de la révolte (cf. infra). Le but n'était
donc pas l'asservissement de la femme mais la stabilisation de la société, et
c'est dans ce contexte que se construisent les genres et les devoirs afférents
à ceux-ci.
Les réformateurs ont opposé la femme chinoise traditionnelle à la
femme occidentale moderne. Une comparaison avec la femme dans le
monde romain ancien, dans la civilisation médiévale ou dans d'autres sociétés traditionnelles aurait sans doute donné une image beaucoup moins
négative de la femme chinoise. Et dans l'Occident moderne même, les choses ne sont pas simples. On est choqué par le bandage des pieds, mais le
corset dans l'Angleterre du XIXe siècle, les régimes alimentaires destructeurs ou la chirurgie esthétique aujourd'hui encore montrent que les altérations physiques du corps féminin ne sont pas l'apanage des sociétés traditionnelles. « If tiny feet suddenly became fashionable, would American
women subject themselves to foot-binding ? » Cette question indignée du
Los Angeles Times (cf. D. Ko, Every Step a Lotus, p. 9), dans un article critiquant les implants mammaires, est révélatrice de toute l'ambiguïté d'une
société qui hésite entre promotion de l'égalité entre les sexes et exacerbation
des différences sexuelles.
2
Les gender studies distinguent le genre, socialement construit, du sexe, qui est
(considéré comme) une donnée de départ essentielle et non questionnée.
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La condition féminine traditionnelle en Chine
Le caractère général et abstrait de ces analyses a eu pour résultat un
tableau trop simple et trop sombre de la femme chinoise. Sans doute son
statut ne fut-il guère enviable en Chine ancienne, mais après tout, cela est
vrai dans le passé de la plupart des civilisations. Plus important peut-être,
les réformateurs, en faisant de la femme chinoise une victime, ont sousestimé sa contribution à la civilisation chinoise, et ont malgré eux contribué
à la dévaloriser. Il n'est pas indifférent que la plupart de ces réformateurs
furent des hommes, dont le but principal était moins l'amélioration de la
cause de la femme que la réforme de la nation chinoise. Dans bien des discours du XXe siècle, la femme fut donc instrumentalisée, comme elle l'avait
été durant les millénaires précédents.
Le poids des sciences sociales
Durant ces dernières décennies, et surtout après 1980, un certain nombre de
facteurs contribuèrent à modifier l'esprit des recherches. Signalons tout
d'abord des tendances générales dans les sciences humaines, qui gagnèrent
la sinologie : la remise en question des conceptions couramment admises, la
volonté de relire et de réinterpréter l'Histoire, l'ouverture de nouveaux
champs de recherche, et le recul (au moins en apparence) du politique et de
l'idéologique au profit de quêtes plus objectives. Les sinologues sont souvent bien au fait de l'évolution des sciences humaines au cours du XXe siècle. Pour ne prendre qu'un exemple, Francesca Bray, dans l'introduction à
son remarquable Technology and Gender, cite à peu près tous les grands
noms des sciences sociales françaises au XX e siècle, de Durkheim et Mauss
à Foucault, Braudel et Bourdieu. Sous l'influence notamment du courant des
Annales, les études sur des sujets sociaux, négligés dans le passé au profit
de l'histoire des grands hommes et des grands événements, ont gagné en
importance. Nombre d'ouvrages écrits durant ces deux dernières décennies
sur la femme chinoise traditionnelle s'inscrivent explicitement dans ces
nouvelles tendances.
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Dossiers thématiques
Certaines des études les plus instructives publiées récemment traitent
de sujets qui, à première vue, paraissent secondaires par rapport à l'histoire
des femmes : l'ouvrage de F. Bray mentionné ci-dessus, l'étude de Katryn
Bernhardt sur les droits de succession (Women and Property in China, 9601949), ou encore le livre de Victoria Cass (Dangerous Women) sur les
« femmes dangereuses » - courtisanes, aventurières, mystiques, etc. - en
sont de bonnes illustrations. Des thèmes déjà traités sont abordés avec un
œil neuf. C'est le cas par exemple de la sexualité en Chine ancienne, étudiée
par Robert H. van Gulik en son temps (Sexual Life in Ancient China, 1961),
mais avec un regard que des auteurs plus récents comme Charlotte Furth ou
Paul Goldin considèrent comme prisonnier des conceptions de notre époque,
comme « eurocentrique ». La thèse principale de R. H. van Gulik, selon
laquelle les anciens Chinois auraient eu une vie sexuelle saine et libérée,
leur paraît anachronique. C'est le cas aussi des pieds bandés, pratique déjà
étudiée par Howard Levy (The Lotus Lovers : The Complète History ofthe
Curious Erotic Custom of Footbinding in China, 1966), mais de façon ethnocentrique. Les travaux récents de Wang Ping (Achingfor Beauty : Footbinding in China) et de D. Ko (Every Step a Lotus : Shoesfor Bound Feet),
qui s'appuient largement sur les avancées des sciences sociales, modifient
considérablement notre regard sur le sujet.
Après les critiques du structuralisme ou du déconstructivisme, en effet, les chercheurs actuels ne lisent plus les textes comme il y a un demisiècle. L'idée selon laquelle les œuvres sont susceptibles de multiples lectures favorise la réinterprétation des sources anciennes. De même, il est couramment admis que toute recherche historique reflète autant le passé luimême que les intérêts et préjugés de l'historien ou de son époque. Comme
le dit Dennis Schilling dans Die Frau im alten China : « Der Blick in die
Vergangenheit sieht oft nur das, was der Betrachter sehen môchte. Die Bilder, die durch ihn ans Licht getragen werden, zeichnen den Maler mehr als
seinen Gegenstand. » (p. V). Cela invite évidemment à remettre en question
des idées considérées comme acquises, et à reprendre des textes pourtant
déjà connus et étudiés depuis longtemps.
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La condition féminine traditionnelle en Chine
Le développement des « études de genre » (gender studies)
Deux tendances des sciences sociales ont influencé la recherche sur la
condition féminine : le premier est le développement de l'anthropologie, qui
a surtout été important pour les études sur la femme contemporaine. Nous
n'insisterons pas ici, même si les recherches de terrain peuvent être instructives pour l'historien. Rappelons simplement les travaux pionniers de Margerie Wolf (The House ofLim : A Study ofa Chinese Farm Family, 1968, et
Women and the Family in Rural Taiwan, 1972).
Le deuxième développement, autrement plus important pour notre
sujet, est celui des « études de genre » (gender studies). Son apparition, en
Occident, date du début des années 1970. Par rapport au féminisme ou aux
women studies, qui opposent radicalement les sexes, les études de genre
proposent une représentation plus dynamique des rapports entre les sexes :
les genres (masculin, féminin) ne peuvent être envisagés individuellement,
ils doivent se comprendre l'un par rapport à l'autre, et également par rapport
à d'autres types de représentations, politiques, morales, philosophiques,
cosmologiques, etc. De plus, selon les études de genre, l'opposition masculin / féminin ne structure pas seulement le discours sur les sexes euxmêmes, mais également d'autres types de représentations, notamment celle
du pouvoir : les rapports entre forts et faibles, entre vainqueurs et vaincus,
entre princes et sujets, entre le haut et le bas, sont souvent théorisés en termes masculin / féminin. En un mot, l'opposition masculin / féminin s'inscrit
dans le contexte global des représentations d'une société : elle est influencée
par celles-ci et elle contribue à les façonner.
Pour la Chine, l'approche de genre est particulièrement adaptée. Selon
nombre de chercheurs récents, les rapports hommes / femmes dans la tradition chinoise auraient été, plus encore qu'en Occident, le résultat d'une
construction sociale (cf. par exemple C. Furth, "Androgynous Maies and
Déficient Females"). Selon la morale sociale habituelle, on devient, grâce à
l'éducation ou la pratique des rites, l'homme ou la femme capable de jouer
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Dossiers thématiques
son rôle dans la société. Le jugement suivant de B. Hinsch montre bien la
proximité de principe entre la position chinoise et les approches de genre :
« To most early Chinese, 'woman' was not just a static term imbedded in a
fixed gender dichotomy. A woman was a person who played female rôles in
family and cérémonial life. Most fundamentally, womanhood was something performative, not essential. It was acted in daily life. One was not just
born a woman by having a certain biology. One became a complète and
successful woman only after assuming a wide range of positive female rôles. » (Women in Early Impérial China, p. 7). Pour Tani Barlow, il n'y a pas
de catégorie générique pour la « femme » en Chine impériale, mais uniquement des rôles, ceux de fille, d'épouse ou de mère. Selon elle, la « femme »
n'est « découverte » en Chine qu'à l'orée du XXe siècle, lorsque les réformateurs projettent sur le passé chinois des conceptions occidentales (cf.
"Theorizing Woman : Funù, Guojia, Jiating" et "Politics and Protocols of
Funû").
Autre idée importante dans les études de genre, celle selon laquelle
l'opposition masculin / féminin, ou le discours « sexué », a des implications
qui dépassent de loin les seuls rapports entre les sexes. Dans ce domaine
aussi, la Chine paraît particulièrement exemplaire. Les catégories de yin /
yang, de nei / wai, de féminin / masculin, sont en effet employées bien audelà des seules relations hommes / femmes. On retrouve des conceptions
sexuées dans le discours moral, dans le discours politique, dans le discours
cosmologique, ou encore dans les textes médicaux. Les rapports entre genres et politique, notamment, sont bien documentés. Le fait que, par exemple,
à partir de la fin des Royaumes combattants, comme le dit P. Goldin, « It
had become commonplace to liken the ruler's ministers to his women. »
(The Culture of Sex in Ancient China, p. 40), est évidemment intéressant
dans une perspective de genre. Cet auteur montre que dans le Shijing, les
allusions sexuelles sont souvent une métaphore des relations entre prince et
sujet, et que les anciens commentateurs avaient raison contre les modernes :
« What is important hère is that the ancient critics recognized a dimension
of the Odes that many modem readers overlook : imagistic poems with a ve194
La condition féminine traditionnelle en Chine
neer of simplicity can pack several layers of meaning for a sophisticated
audience. » (ibid., p. 22).
Parmi les ouvrages à rapprocher des études de genre, on peut citer
Women in China (Marilyn B. Young, éd.) et Women in Chinese Society
(M. Wolf and Roxane Witke, éd.), parus dans les années 1970. Mais c'est
surtout dans les années 1990 que de nombreux travaux s'inspirent explicitement de cette approche. Dans Sharing the Light, Lisa Raphals revendique
une telle perspective : « As a category of historical and philosophical analysis, it is one locus of the ongoing debate between those who claim that facts
are transparent and those who argue that ail realities are social and cultural
constructions. [Joan] Scott distinguished four areas in which gender opérâtes: symbolic représentations, normative concepts, social institutions, and
constructions of subjective identity. Central to her analysis is the notion that
gender is a social construct, based on perceived différences between the
sexes, especially différences of power. » (p. 2-3). Elle insiste sur le fait que
le changement de statut de la femme sous les Han est fonction de
l'évolution progressive de concepts comme le yin et le yang, ou le nei et le
wai, à la fin de l'époque des Royaumes combattants et jusque sous les Han.
Selon elle, cette évolution s'inscrit dans le contexte d'un changement global
des systèmes de représentations, avec lesquelles l'opposition masculin /
féminin entretient des relations complexes.
Technology and Gender, déjà mentionné, s'inscrit également dans une
perspective de genre. F. Bray y explore le rôle de la technologie dans la
formation et la transmission de représentations idéologiques, en se concentrant sur la contribution de la technologie à la construction du genre (féminin), des Song aux Qing. Selon l'auteur, il s'agit en priorité de technologies
liées aux femmes (elle utilise le mot « gynotechniques »), à savoir la construction et l'agencement de la maison, les métiers à tisser, ainsi que les
techniques de reproduction ("The production [...] of social goods like offspring", p. 55). Si les technologies facilitent la production, elles transforment également ceux qui les utilisent : « Analyzed as a System, the
technologies reveal not just the material dimensions of a mode of produc195
Dossiers thématiques
tion, but the social and ideological world it underpins. The technologies I
hâve brought together hère also constitute a set or System: they were technologies for producing women [...] The most important work that technologies do is to produce people: the makers are shaped by the making, and the
users shaped by the using. » (p. 15-16). L'agencement de la maison, par
exemple, avec ses espaces clos et réservés et leurs hiérarchies, contribue à
former les genres ; la maison exerce un pouvoir sur ses occupants (p. 57),
elle délimite l'ordre moral (p. 122), elle sert à « encoder le système patriarcal » (cf. chap. 2).
Un certain nombre d'ouvrages collectifs combinent les approches de
genre selon diverses perspectives ou disciplines. L'un des plus récents est
Chinese feminities, Chinese masculinities, où la perspective de genre est
explicite (les auteurs « approach gender as an important organizing principle
of an entire worldview », p. 1) et ambitieuse (« Gender studies are more that
just a supplément to mainstream accounts », p. 2). L'originalité de ce recueil
est de prendre en compte non seulement la « production » du genre féminin
(facette naturellement privilégiée dans les études de genre), mais également
celle du genre masculin. Ainsi, l'ouvrage est organisé en huit parties thématiques, consistant chacune en deux chapitres. Le premier concerne, pour un
domaine donné, la formation de l'identité féminine, le second, la formation
de l'identité masculine. L'ouvrage est de qualité, même si le rapprochement
des chapitres paraît tout de même quelque peu artificiel.
La (re)découverte des sources
Pour les périodes très anciennes, dont les sources, en nombre limité, sont
bien connues, c'est surtout la réinterprétation des textes qui peut être fructueuse. Nous avons déjà mentionné P. Goldin, qui fait une relecture stimulante du Shijing, et L. Raphals, qui exploite de manière créative le Lienùzhuan, notamment en s'intéressant aux éditions illustrées de ce texte (cf.
infra). Les études rassemblées dans Die Frau im alten China montrent bien
ce que des sources anciennes peuvent apporter lorsqu'elles sont relues avec
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La condition féminine traditionnelle en Chine
un regard neuf ; plusieurs de ces études comparent des biographies de femmes dans le Lienûzhuan avec des sources plus anciennes (par exemple le
Zuozhuari), et on voit bien à quel point les textes chinois, et notamment les
biographies, servent en priorité des fins morales et doivent être lues avec
prudence lorsqu'il s'agit d'appréhender des réalités historiques. Dans le
même recueil, Hans van Ess examine le Zashi bixin, dont il propose la première traduction complète dans une langue occidentale ; ce texte remarquable relate avec force détails le choix de Liang Nûying comme première impératrice de l'empereur Huan (146-168). En Chine ancienne, on a surtout
souligné les aspects erotiques de ce texte, mais H. van Ess montre qu'il est
également très instructif en ce qui concerne les implications politiques du
mariage sous les Han (cf. « Vermischte Angelegenheiten, Geheime Abteilung Acht »).
Pour les époques Ming et Qing, nous disposons de sources quasiment
inépuisables, souvent peu exploitées jusqu'à la fin des années 1970, notamment à cause de la situation politique en Chine. Bien des contributions de
ces dernières années sont le résultat de l'examen de textes qui
n'appartiennent pas à la « grande tradition » des lettrés : archives locales,
littérature vernaculaire, correspondance privée, inscriptions tombales,
comptes rendus de procès, voire ouvrages de nature technologique. Susan
Mann souligne, par exemple, le fait que l'on dispose de milliers de biographies de femmes dans les histoires locales - Jonathan Spence, avec The
Death of Woman Wang, avait montré l'utilité de ce type de sources pour
mieux saisir les réalités sociales de la Chine ancienne. Dans The Inner
Quarters, Patricia Ebrey s'appuie entre autres sur les 2 692 histoires et
anecdotes du Yijianzhi de Hong Mai (1123-1202) ; de la même manière, V.
Cass, dans Dangerous Women, utilise à merveille les multiples anecdotes et
observations laissées par divers observateurs de la fin des Ming. Pour le
statut des veuves, les sources légales sont particulièrement instructives,
comme le montre Janet Theiss dans plusieurs études sur le sujet ; K. Bernhardt s'appuie de même sur les archives Qing, et notamment sur les jurisprudences de l'époque, pour son Women and Property in China. La littéra197
Dossiers thématiques
ture vernaculaire est beaucoup utilisée : V. Cass et Wang Ping se fondent
largement sur le Jin Ping Mei, Paola Zamperini ("Eros and Suicide in Late
Impérial Chinese Fiction"), sur des œuvres mineures de la fin des Qing.
Dans Under Confucian Eyes de S. Mann et Cheng Yu-Yin sont traduits des
hagiographies, des épitaphes et des panégyriques, des lettres, un testament,
et même des récits de voyage. À noter que plusieurs auteurs font un usage
instructif de l'iconographie, comme P. Ebrey dans The Inner Quarters ou F.
Bray dans son Technology and Gender.
Ces sources, cependant, sont majoritairement le fait d'auteurs masculins, et en définitive, elles véhiculent un maie gaze, pour reprendre
l'expression utilisée par S. Mann dans Precious Records (p. 3) ; on y distingue mal un quelconque reflet de la subjectivité des femmes elles-mêmes.
Par chance, au moins en ce qui concerne les dernières dynasties, on dispose
de nombreuses œuvres écrites par des femmes. En 1944, Hu Wenkai
publiait son Lidaifunù zhuzuo kao, dans lequel étaient dénombrées plus de
quatre mille femmes auteurs pour la Chine ancienne, chiffre considérable, et
une réédition augmentée de cet ouvrage va plus loin encore. Pour la seule
dynastie Qing, on dispose de plus de trois mille cinq cents œuvres écrites
par des femmes, et la conclusion de Li Yu-ning selon laquelle « perhaps no
other country in the world has produced as many woman writers as China »
{Chinese Women through Chinese Eyes, p. 105) est certainement correcte.
Ces textes de femmes sont de nature très diverse, depuis les ci de la grande
poétesse Li Qingzhao sous les Song, jusqu'aux tanci des Qing, en passant, à
toutes les époques, par de multiples poèmes, ou par les surprenants suicide
writings étudiés par Grâce S. Fong ("Signifying Bodies"). Certains auteurs
féminins ont même écrit leur propre histoire, dont, sous les Qing, la remarquable Yun Zhu (1771-1833) et son Langui baolu {Precious Record from
the Maidens' Chambers), recueil de biographies de femmes au cours des
âges. L'étude de S. Mann, Precious Records: Women in China's Long
Eighteenth Century (dont le titre fait écho à l'œuvre de Yun Zhu), repose
largement sur des poèmes de femmes pour proposer un tableau des femmes
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La condition féminine traditionnelle en Chine
au XVIIIe siècle très différent de celui qui avait été imposé par les réformateurs du XXe.
Au passage, notons que le particularisme de certaines sources peut
être problématique. Le plus regrettable est sans doute que la plupart des
œuvres écrites proviennent des classes supérieures, très éduquées ; elles ne
reflètent donc pas forcément la situation des femmes en général. De cela, les
auteurs sont cependant généralement conscients. S. Mann souligne ellemême que « as a window on the world of 'Chinese Women' [...], women's
writing itself leaves something to be desired » {Prêtions Records, p. 4 ; cf.
aussi p. 201 sq.). L'utilisation d'oeuvres de fiction (par exemple le Jin Ping
Mei chez V. Cass ou Wang Ping) pour rendre compte des réalités sociales
est souvent fructueuse, mais on peut regretter un manque de prudence dans
certaines études, qui tirent des conclusions trop rapides à partir de personnages imaginaires. Pour ne prendre qu'un exemple, les goûts, excès, ou
obsessions de Ximen Qing dans le Jin Ping Mei peuvent difficilement être
considérés comme représentatifs des habitudes des hommes chinois dans
leur ensemble.
Les études publiées durant les deux dernières décennies, et notamment
ces quelques dernières années, ont eu des répercussions importantes sur
notre perception de la femme chinoise. Par rapport au tableau trop sombre
qui avait été imposé par les réformateurs du début du XXe siècle, la recherche actuelle se distingue au moins par les trois aspects suivants :
1. une prise en compte de la diversité des situations de la femme chinoise, selon les époques, bien sûr, mais aussi selon les classes sociales et les
situations particulières ;
2. une remise en question des explications fournies jusque dans les
années soixante-dix concernant le statut de la femme chinoise ;
3. une réévaluation de ce statut, et une revalorisation du rôle et de la
contribution de la femme à la civilisation chinoise.
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Dossiers thématiques
Diversité historique de la condition féminine
Il est évident qu'on ne parle plus maintenant de la femme chinoise, comme
on le faisait au début du XXe siècle. Si les chercheurs peuvent aujourd'hui
ne pas être d'accord sur tout, ils sont cependant unanimes à souligner que
les femmes chinoises ont connu une grande variété de rôles et de positions,
non seulement selon les époques mais aussi selon les classes sociales, les
régions, ou les circonstances individuelles. Comme le dit B. Hinsch, l'idée
même d'un statut pour la femme chinoise est battu en brèche : « In récent
years, the very concept of social status or position has come under vitriolic
attack by many social scientists and feminists. [...] It makes as much sensé
to dérive a single status of women as to search for the 'status of men'. Like
individual men, each woman played out a wide range of social rôles that
caused her status to vary considerably in différent situations. » (Women in
Early Impérial China, p. 6-7). On est loin aujourd'hui de cette époque où
l'on pouvait parler non seulement de la femme chinoise, mais même de « la
femme orientale » - lorsque la Chine était considérée comme une partie de
cet « Orient » imaginaire, mais si pratique pour le colonisateur occidental
(cf. à ce sujet P. Goldin, The Culture of Sex in Ancient China, p. 4, et
S. Mann, Precious Records, p. 223).
Les femmes chinoises ont une histoire marquée par des évolutions et
des changements importants, dont certains sont d'ailleurs de l'ordre de
l'évidence : on a parlé d'une femme chinoise, éternelle et atemporelle, alors
que le néoconfucianisme, le bandage des pieds, le bouddhisme ou la littérature vernaculaire sont apparus à des moments précis et ont influencé la vie
des femmes aux époques tardives d'une manière inimaginable pour leurs
ancêtres Qin ou Han, qui n'ont rien connu de tout cela. D'autres évolutions
furent plus lentes, comme le développement des villes et du commerce ou la
diffusion des techniques et du savoir ; elles n'en changèrent pas moins radicalement la vie des femmes - autant au moins que celle des hommes.
Plusieurs auteurs ont souligné la moralisation ou - pour reprendre
l'expression de M. Elvin (cf. "Female Virtue and the State in China") - la
200
La condition féminine traditionnelle en Chine
« démocratisation » de la vertu, depuis les Han, et surtout durant les périodes Ming et Qing : les gens du peuple furent de plus en plus concernés par
des valeurs qui au départ ne touchaient que les élites. Non seulement la morale se « démocratisa » peu à peu, mais les normes et les valeurs ellesmêmes évoluèrent. Un premier changement intervint à la fin de l'époque des
Royaumes combattants et sous les Han ; ce changement fut suffisamment
important pour que P. Goldin puisse conclure que « many of the famed liaisons of preimperial times would hâve violated the rituals that were set down
in the Han » (The Culture of Sex in Ancient China, p. 3). La
« cosmologisation » de la pensée chinoise, aux IIIe et IIe siècles avant notre
ère, eut une influence profonde sur le statut de la femme, en fixant les catégories et les genres, au lieu de les voir de façon dynamique : « Cosmologists
removed gender from the mundane confines of the society of human beings
around us. Instead, they transposed gender to the far loftier realm of metaphysics. » (B. Hinsch, Women in Early Impérial China, p. 12). Car des notions qui peuvent paraître millénaires et immuables, comme le yin et le
yang, ont eu une histoire, déjà bien étudiée (par exemple par Angus C. Graham, cf. la synthèse de L. Raphals, Sharing the Light, p. 140).
D'un modèle ancien qui posait ces deux principes comme complémentaires
et égaux, on est passé peu avant les Han à un modèle hiérarchique, avec le
yang l'emportant sur le yin - une des formulations les plus élaborées de
cette hiérarchisation se trouvant dans le Chunqiu fanlu, attribué au penseur
Dong Zhongshu (IIe siècle av. J.-C). Des changements de ce type entretiennent évidemment des liens avec la représentation que l'on se fait des rapports hommes / femmes, et il n'est pas étonnant que sous les Han apparurent
les premiers textes élaborés (rituels, manuels d'éducation) établissant une
hiérarchie entre les sexes.
Dans ce processus de moralisation, les Han ne constituent cependant
qu'une première étape, l'autre étant la période impériale tardive (à partir des
Song). A. Hsieh et J. Spence, (in "Suicide and the Family in Pre-Modern
Chinese Society"), ou encore une fois L. Raphals (Sharing the Light), ont
ainsi bien mis en lumière que si bien des idées sur la vertu féminine remon201
Dossiers thématiques
tent à la dynastie Han, et notamment au Lienûzhuan de Liu Xiang, un processus d'épuration assez funeste a voulu que, alors que Liu Xiang valorisait
toutes sortes de vertus chez les femmes (l'intelligence, la sagesse,
l'éloquence, le courage, etc.), les compilations postérieures ont de plus en
plus reconnu comme seules vertus féminines la chasteté et la fidélité (au
mari). Cela a contribué à cantonner la femme chinoise dans un nombre
limité de rôles. S. Mann fait le même constat à partir du Precious Record de
Yun Zhu (p. 214). L'évolution de l'iconographie dans diverses éditions imprimées du Lienûzhuan, des Song aux Qing, est à cet égard frappante : les
femmes y apparaissent comme de plus en plus soumises et réduites à leurs
rôles d'épouses ou de mères, avec un poids toujours plus exclusif sur des
vertus « féminines » comme la loyauté, la chasteté, ou la piété filiale (cf.
L. Raphals, Sharing theLight, p. 118 sq.).
En ce qui concerne les époques Ming et Qing, la richesse des sources
permet d'identifier des mesures ponctuelles, bien datables, qui jouèrent un
rôle important dans la vie des femmes. Car des Song aux Qing, le statut de
la femme a beaucoup évolué, et de multiples manières. Le bandage des
pieds, le statut des veuves ou l'accès des femmes à la propriété, en sont de
bons exemples.
Le bandage des pieds a une histoire, dont D. Ko (Every Step a Lotus)
ou Wang Ping (Achingfor Beauty) retracent bien les étapes. Si les débuts de
la pratique remontent peut-être à la fin des Tang, les premières allusions
précises datent du tout début des Song, et les premières tombes à nous instruire sur le sujet, du milieu du XïïF siècle, ce qui est relativement tardif. La
pratique s'est diffusée lentement : elle s'est heurtée parfois à des tentatives
d'interdiction, notamment au début de l'époque mandchoue, et n'a pas
connu le même succès partout : on note en effet d'importantes variations
régionales - chez certaines ethnies, par exemple les Mandchous et les Hakkas, il n'y eut quasiment pas de bandage des pieds, à aucune époque ; c'est
seulement à l'époque Qing que cette pratique a gagné toutes les couches
sociales. Un point intéressant est d'ailleurs son probable recul dans les milieux aisés de la fin des Qing, en raison même de son succès - et ce bien
202
La condition féminine traditionnelle en Chine
avant l'influence des idées occidentales. Comme le dit D. Ko : « In the 19th
century, on the eve of its démise, footbinding grew so popular that it became the opposite of its former self- not exclusive but vulgar. » (Every step
a lotus, p. 12).
En ce qui concerne les veuves, P. Ebrey (cf. "Women, Marriage, and
the Family in Chinese History") a bien montré que sous les Song, et contrairement (peut-être) aux époques suivantes, leur remariage était tout à fait
courant - à l'époque même où le discours sur le sujet s'est mis en place.
Katherine Carlitz souligne comment, sous les Ming, l'idéal de chasteté des
veuves a gagné en importance en devenant une partie importante des valeurs
de loyauté imposée par la cour à toute la société (cf. "Shrines, GoverningClass Identity and the Cuit of Widow-Fidelity in Mid-Ming Jiangnan").
Dans "The Daughter, the Singing-Girl, and the Séduction of Suicide",
K. Carlitz montre comment, au XVe siècle, l'apparition d'une sorte de romantisme (l'exaltation du qing) a poussé nombre de veuves au suicide. Sous
les Qing, la situation s'est compliquée, le gouvernement adoptant sur le
sujet une attitude presque contradictoire : d'un côté, il exaltait la chasteté et
la fidélité des femmes à leur mari défunt, en élevant des milliers d'arches de
pierre pour récompenser les veuves non remariées ; de l'autre, il tentait de
décourager les suicides, et en punissait même les incitateurs. À la fin de la
dynastie, l'apparition de refuges pour veuves (phénomène bien documenté
au XIXe siècle, et étudié notamment par Jerry Dennerline et Angela Leung),
a modifié encore le statut des veuves, en leur offrant une certaine sécurité.
K. Bernhardt (cf. Women and Property in China) étudie pour sa part
l'accession des femmes à la propriété (chose très importante pour les veuves). Sous les Song, la loi stipulait que, sans héritier mâle, la propriété allait
à la fille ou à l'épouse : comme une femme sur trois était soit une fille sans
frères, soit une épouse sans fils (ou les deux), de nombreuses femmes
étaient susceptibles d'hériter. Mais sous les Ming intervint un changement
fondamental : les familles sans fils devaient adopter un neveu, bénéficiaire
de la succession. Cela diminua évidemment l'accès des femmes à la propriété et changea considérablement les choses pour nombre d'entre elles, en
203
Dossiers thématiques
rendant leur situation beaucoup plus précaire. De même, la jouissance de la
dot a varié énormément selon les époques.
Le statut de la femme chinoise : remise en question des explications
traditionnelles
Selon le modèle proposé par les réformateurs du XXe siècle, la femme
dans la société traditionnelle avait été la victime de l'oppression masculine,
sous l'influence du confucianisme ou du néoconfucianisme. Cette lecture,
au moins sous sa forme radicale, est aujourd'hui largement battue en brèche.
Le premier point, l'oppression masculine, est une idée que nombre
d'auteurs considèrent comme simpliste. Dans une lecture extrême, par
exemple chez certaines féministes, cette oppression aurait été (et serait
encore) une forme de complot, une entreprise consciente d'asservissement
d'une moitié de la population par l'autre. La sociologie, la psychologie, ou
le simple bon sens, montrent que la réalité n'est pas aussi tranchée. Les études de genre suggèrent que les sexes (les genres) se construisent l'un par
rapport à l'autre, dans des relations complexes, en tant que termes interdépendants d'un système, et non l'un contre l'autre, par simple opposition.
Dans toute société, les individus, hommes ou femmes, sont pris dans un
ensemble complexe de relations, de hiérarchies, de contrôles, qui leur impose des rôles, les maintient dans certains statuts - en d'autres termes, c'est
moins les individus qui commandent que le système qui impose sa logique.
Revenons au bandage des pieds, souvent considéré comme l'exemple
par excellence de l'oppression masculine sur les femmes. Les idées de
Liang Qichao (1873-1929), qui ne voyait dans cette pratique qu'une manière de punition (cf. Wang Ping, Achingfor Beauty, p. 37), ou plus récemment de Du Fangqin, qui estime que « footbinding was one of men's conspiracies to keep women home as slaves physically and mentally, to turn them
into sheer objects of men's lust and perversity » (cité par Wang Ping, ibid.,
p. 43), paraissent pour le moins simplistes. À l'inverse, Wang Ping établit
que les pieds bandés sont au centre d'un jeu complexe de croyances et de
204
La condition féminine traditionnelle en Chine
symboles, qu'ils participent de toute une représentation de la sexualité et,
plus généralement, de la culture chinoise (par opposition notamment à la
barbarie, cf. p. 43). Les pieds bandés sont non seulement une partie essentielle de l'identité féminine, mais plus fondamentalement, le marqueur le
plus évident de la différence hommes / femmes dans une société où les
corps, à partir des Song, se sont androgynisés (p. 16, 43). En d'autres termes, les pieds bandés, loin de n'être qu'un simple caprice machiste, sont
essentiels dans la construction des genres, à une époque où ceux-ci se
confondent de plus en plus. La violence sur le corps est d'ailleurs un phénomène qui dépasse de loin le seul bandage des pieds : Wang Ping rappelle
qu'à la fin des Ming, on compte environ cent mille eunuques ; elle souligne
également l'importance des automutilations et du cannibalisme des
« femmes exemplaires » (p. 69), ou encore des châtiments comme le dépeçage (lingchi) qui concernent avant tout les hommes (p. 141). Dans une
interprétation empruntée à la psychanalyse, Wang Ping estime que ces façons de marquer le corps sont une forme d'appropriation (de même type que
l'écriture) de la nature par la culture, et s'inscrivent dans un système complexe de relations symboliques. Celui-ci intègre non seulement la sexualité,
mais également des représentations sur la vie et la mort (ne serait-ce que
parce que la sexualité est à la fois source de vie et risque de ruine morale,
voire de destruction, comme le montrent les personnages du Jin Ping Mei),
le désir et la peur, la nourriture et l'habillement, et bien sûr, des relations
ambiguës de pouvoir entre hommes et femmes (sur lesquelles nous reviendrons plus loin). En un mot, le bandage des pieds est un phénomène qui ne
peut se réduire à une simple torture imposée par les hommes aux femmes.
Une autre idée largement réévaluée est celle selon laquelle le confucianisme, et plus précisément le néoconfucianisme, aurait été responsable de
la piètre condition des femmes en Chine. Le lien entre confucianisme et
condition féminine en Chine a été fait par de nombreux auteurs, par exemple Chen Duxiu, en 1916, dans la revue Nouvelle Jeunesse. Depuis le milieu
des années quatre-vingts, avec le retour en grâce du confucianisme sur le
continent, se repose la question des rapports entre les femmes et le confu205
Dossiers thématiques
cianisme ; la tendance est plutôt d'exonérer en grande partie Confucius et
ses successeurs en la matière. P. Ebrey, dans la préface de The Sage and the
Second Sex, résume bien le changement de perspective : « The authors
whose work is presented hère challenge the New Culture reading of the
links between Chinese women and Confucianism in three principal ways:
they suggest that women's situations were not as bad as supposed; that core
Confucian teachings had little to do with anything bad about their situations;
and that Confucianism offers an ethical vision compatible with feminism. »
(p. x). Notons que les auteurs confucianistes contemporains eux-mêmes
(Xiong Shili, Mou Zongsan, etc.), jusqu'à une date récente, se sont peu
défendus contre les reproches des féministes et autres réformateurs contre le
confucianisme ; comme le dit T. Woo, les rapports entre féminisme et
confucianisme depuis le milieu du XIXe siècle jusqu'à aujourd'hui ont été
unilatéraux (one-sided, a one-affair thing), à savoir une simple critique de la
part des féministes, sans réponse des confucianistes eux-mêmes (cf.
"Confucianism and Feminism", cité par Chenyang Li, The Sage and the
Second Sex, p. 1).
Il n'est peut-être pas inutile de rappeler quelques vérités élémentaires.
Premièrement, Confucius ne dit à peu près rien des femmes, à part dans un
célèbre passage (cf. Lunyu 17.25), dans lequel il estime que « seuls les
femmes et les hommes de peu sont difficiles à éduquer » - passage à vrai
dire difficile à interpréter, peut-être sorti d'un contexte, voire apocryphe (cf.
à ce sujet la discussion de P. Goldin, The Culture ofSex in Ancient China,
p. 55 sq.). On trouve également des énoncés défavorables aux femmes dans
les Classiques « confucianistes », mais dans nombre de cas, la portée sexiste
de ces passages peut être réduite par une interprétation attentive ; P. Goldin
montre ainsi que le poème Zhan yang du Shijing, souvent considéré comme
la quintessence de la misogynie chinoise, n'est en réalité pas une prise de
position sur les femmes en général mais une attaque ciblée, dans un
contexte précis, contre la célèbre Baosi (ibid., p. 48 sq.). Deuxièmement, le
mot « confucianisme » n'existe pas en chinois classique ; les mots les plus
proches, comme ru, ou rujia, ne sont que des équivalents très approxima206
La condition féminine traditionnelle en Chine
tifs : le mot ru signifie « lettré(s) », et le composé rujia n'est d'usage courant qu'à partir des Han. Les liens entre ru et Confucius ne sont pas simples,
et la caractérisation de Li Chenyang selon laquelle rujia « was originally the
name of the school of thought by Confucius, Mencius, and Xun Zi » (The
Sage and the Second Sex, p. 2) est très problématique. Troisièmement, on ne
saurait sous-estimer les différences entre le « confucianisme » de Confucius
et de ses disciples directs, et le « néoconfucianisme » qui s'impose à partir
des Song. Si les néoconfucianistes ont émis nombre d'idées malheureuses
sur les femmes, on peut difficilement en rendre Confucius responsable.
Qu'entend-on par « confucianisme » ? C'est là, bien entendu, une dimension importante de la question, et nombre d'auteurs se sont attachés à
montrer que les critiques « féministes » contre le confucianisme résultent en
bonne partie d'une confusion entre confucianisme et valeurs traditionnelles
en général. Certaines de ces valeurs sont bien antérieures à Confucius luimême, et si on peut éventuellement reprocher à ce dernier de ne les avoir
pas remises en question, on peut difficilement l'en faire l'instigateur.
Comme le dit Joël J. Kuppermann : « [...] It is arguable that Confucianism
in its initial phase simply took over (without any reconsideration) attitudes
towards gender, family life, and also social hierarchy that had been deeply
entrenched in the culture by the time of Confucius. » ("Feminism as Radical
Confucianism", p. 48). De la même façon, B. Hinsch dit de la
« patrilinéarité », qui explique en bonne part les relations hommes / femmes : « Nowadays thèse ideas are often called 'Confucian'. Although thèse
values did indeed gain most prominence through Confucianism, they long
predate Confucius. Nor were thèse values the exclusive préserve of the
Confucian tradition. They had a far broader audience. Patrilinealism was
quite simply the traditional value System of the Zhou dynasty élite [...]»
(Women in Early Impérial China, p. 11).
À l'inverse, certaines des idées et des pratiques fondamentales pour
expliquer la hiérarchie hommes / femmes durant l'époque impériale sont
bien postérieures à Confucius. Nous avons vu ci-dessus que des couples
comme yin / yang, ou nei / wai, si importants pour notre affaire, ne sont
207
Dossiers thématiques
passés d'une relation de complémentarité à une relation de hiérarchie que
bien après la disparition de Confucius. On touche ici à un point fondamental : si l'idée d'une distinction, d'une différenciation des rôles, entre hommes et femmes, est présente chez Confucius ou Mencius, elle n'est au départ
qu'une forme de division du travail (cf. Li Chenyang, The Sage and the
Second Sex, p. 5), et n'implique pas forcément que les uns soient supérieurs
et les autres inférieures ; cette idée est reprise par le grand penseur confucianiste contemporain Tu Wei-ming (cf. ibid., p. 13-14). Ce n'est que plus
tard, à la fin de l'époque pré-impériale et sous les Han, que les sexes sont
hiérarchisés l'un par rapport à l'autre. Le penseur Dong Zhongshu a peutêtre joué un rôle dans cette transformation du modèle ; mais si Dong Zhongshu est sans conteste un ru, sa pensée est influencée par d'autres courants de
pensée que le « confucianisme », et notamment par la cosmologie « des cinq
agents », yinyang wuxing shuo, postérieure de plusieurs siècles à Confucius,
et très éloignée de la pensée de celui-ci.
Si Confucius ou le confucianisme pré-impérial peuvent donc difficilement être rendus responsables du sort des femmes à l'époque impériale
tardive, qu'en est-il du « néoconfucianisme » ? Si la notion même de
« néoconfucianisme » est problématique, on ne peut nier, cependant, que
certains auteurs couramment associés à ce courant aient eu des positions
malheureuses sur le sujet. Rappelons simplement ici le mot fréquemment
cité du penseur des Song Cheng Yi, selon lequel « mourir de faim est une
petite affaire, perdre sa chasteté est une grande affaire ». Zhu Xi lui-même a
émis des idées défavorables à la cause des femmes, notamment en insistant
sur la séparation des sexes ; selon une certaine tradition, à vrai dire douteuse, c'est même lui qui aurait introduit les pieds bandés dans une province
dont il avait été nommé gouverneur (cf. Wang Ping, Achingfor Beauty, p.
48). Mais sans nier l'influence du néoconfucianisme sur la société chinoise
sous les dynasties Song, Ming et Qing, il semble tout de même sociologiquement discutable de rendre un courant de pensée responsable de tous les
maux de la société traditionnelle. Pour prendre un exemple simple, les
auteurs néoconfucianistes ont peut-être contribué à confiner la femme à
208
La condition féminine traditionnelle en Chine
l'intérieur de la maison, mais ce ne sont pas eux qui ont inventé la pratique
des pieds bandés ; on note d'ailleurs que si les néoconfucianistes ont voulu
faire des pieds bandés un symbole de la vertu féminine et un moyen de
soustraire les femmes à la concupiscence masculine en les empêchant de
sortir de la maison, ils n'ont que très partiellement réussi, les pieds bandés
devenant rapidement l'objet par excellence du désir sexuel masculin (cf.
ibid, p. 48). Le bandage des pieds symbolise d'ailleurs parfaitement
l'hésitation, dans la Chine impériale tardive, entre morale puritaine et obsession de l'érotisme, dans les deux cas sous des formes exacerbées.
Plus fondamentalement, comme le remarque Paul S. Ropp (Passionate Women, p. 12), la société chinoise a beaucoup évolué durant le dernier
millénaire, et on peut difficilement considérer les institutions Ming ou Qing
comme un reflet du néoconfucianisme Song. D'autres facteurs ont certainement joué un rôle très important pour le statut de la femme, et P. Ebrey
s'étonne à juste titre : « Should not the strength of the state, the
commercialization of the economy, the character of the élites, and shifts in
popular piety hâve had effects on Chinese family life of the sort that they
did in the West ? » ("Women, Marriage, and the Family in Chinese History", p. 200).
Ainsi, le culte de la chasteté des veuves, qui avec le bandage des pieds
a été considéré au XXe siècle comme la manifestation la plus spectaculaire
de la soumission des femmes au système patriarcal, ne peut s'expliquer par
les seuls caprices de moralistes bien-pensants ; d'autres paramètres autrement plus importants doivent être invoqués pour rendre compte du phénomène, à vrai dire, complexe, et les explications proposées peuvent paraître
contradictoires. Les arguments économiques, par exemple, peuvent pousser
la veuve soit à se remarier si elle n'a pas de moyens de subsistance (cf. Ann
Waltner, "Widows and Remarriage in Ming and Early Qing China"), soit à
ne pas se remarier, notamment sous les Qing où la loi prévoit qu'une veuve
perd la jouissance des biens de son mari, ainsi que de sa dot, si elle se remarie (cf. J. Spence, The Death ofWoman Wang). La belle-famille de la veuve
fait parfois pression sur elle pour qu'elle ne se remarie pas, et la pousse
209
Dossiers thématiques
même à l'occasion au suicide « vertueux », afin d'être honorée par le gouvernement ; mais elle peut aussi inciter la veuve au remariage, pour se
débarrasser d'une bouche inutile ou pour s'approprier ses biens. Le culte de
la chasteté pouvait être un obstacle pour les femmes désirant se remarier,
mais il pouvait aussi les protéger contre des remariages forcés et leur permettre de conserver leurs biens (cf. K. Bernhardt, Women and Property in
China, chap. 2, et Matthew Sommer, Sex, Law, and Society in Late Impérial
China, chap. 5) - il pouvait donc être un facteur d'indépendance.
En ce qui concerne plus précisément le suicide des veuves, notons tout
d'abord que, d'un strict point de vue néoconfucianiste, il ne va pas de soi.
Certes, il peut passer pour une preuve d'indéfectible loyauté envers le mari
défunt, et donc s'accorder avec une valeur importante du néoconfucianisme.
Mais cette morale insiste également sur les devoirs envers les parents, les
beaux-parents, les enfants, auxquels la veuve se soustrait en se suicidant. Le
suicide des veuves pose donc un problème de conflit de loyautés, ce que
virent bien les législateurs Qing qui tentèrent d'interdire la pratique. Dans
les faits, les veuves pouvaient se suicider pour des raisons très diverses, dont
certaines étaient très éloignées de la morale traditionnelle. Le XXe siècle a
longtemps considéré que les veuves qui se suicidaient étaient les victimes
d'un système « froid », mais de nombreuses sources montrent que les veuves se suicidaient aussi par amour pour leur mari (cf. P. Zamperini, "Eros
and Suicide in Late Impérial Chinese Fiction"), par passion romantique
{qing) (cf. K. Carlitz, "The Daughter, the Singing-Girl, and the Séduction of
Suicide"), par quête de justice ou de vengeance (cf. P. Zamperini, ibid.), ou
tout simplement parce qu'elles étaient maltraitées ou humiliées par leur
belle-famille (cf. Janet Theiss, Dealing with Disgrâce), tous motifs qui bien
entendu n'ont rien à voir avec l'orthodoxie néoconfucianiste.
Quelques auteurs ont également évoqué, pour expliquer le statut de la
femme chinoise traditionnelle, l'influence de coutumes étrangères, et
notamment le lévirat mongol, c'est-à-dire la pratique qui consistait à faire
épouser à la veuve le frère cadet de son mari. Cette politique fut rapidement
abandonnée, mais elle contribua à imposer l'idée que la femme est propriété
210
La condition féminine traditionnelle en Chine
familiale. Sous les Yuan également, la veuve perd ses droits sur sa dot au
profit de sa belle-famille (cf. Jennifer Holmgren, "Observations on Marriage
and Inheritance Practices in Early Mongol and Yuan Society", et Bettine
Birge, "Levirate Marriage and the Revival of Widow Chastity in Yuan
China"). Les Mongols sont encore les premiers à ériger des arches pour
récompenser les femmes vertueuses. La féministe Chen Hengzhe (Sophia H.
Ch'en), pionnière de la littérature en langue vernaculaire et première femme
professeur à l'Université de Pékin (en 1920), avait déjà jugé que des
influences étrangères (bouddhistes) avaient joué un rôle néfaste pour les
femmes chinoises. Lin Yutang, de la même façon, considérait que c'est sous
l'influence du bouddhisme et de la pensée indienne que le confucianisme,
sous la forme du néoconfucianisme, avait pris un tour si rigoriste et était
devenu « a killjoy doctrine » ("Feminist Thought in Ancient China", p. 36),
si néfaste pour le statut de la femme (cf. aussi Li Yu-ning, Chinese Women
through Chinese Eyes, p. xvii, xix).
Nombre d'études récentes tendent donc, directement ou indirectement, à exonérer le « confucianisme » ou le « néoconfucianisme » d'une
trop grande part de responsabilité. D'autres auteurs sont allés plus loin, et
ont essayé de montrer que le confucianisme, en tant que tel, est compatible
avec le féminisme. Dès la fin du XIXe siècle Kang Tongwei, fille du réformateur Kang Youwei, et l'une des premières promotrices de l'éducation
pour les femmes, s'inspira des théories sur \eyin et le yang, du bouddhisme
et des Classiques pour prouver l'égalité entre hommes et femmes (cf. Li Yuning, ibid., p. 114). Un peu plus tard, l'éducatrice Zeng Baosun (P. S.
Tseng), descendante de l'homme d'État Zeng Guofan (1811-1872), dénonça
la condition de la femme et fonda une célèbre école pour filles, en insistant
sur la nécessité pour celles-ci d'être économiquement indépendantes, tout en
demeurant fidèles aux idéaux du confucianisme. Une de ses professions de
foi était « Believe in Christ without forgetting the Way of Confucius and
Mencius » (cité par Li Yu-ning, ibid., p. 72), impliquant par là que « Confucian philosophy itself was not exclusively antiwomen. » {ibid., p. 112). Li
Yu-ning souligne que le confucianisme a même des caractéristiques favora211
Dossiers thématiques
blés à la cause des femmes : le peu d'importance attaché au statut social de
départ, l'idée que chacun peut se perfectionner et « devenir un sage », celle
selon laquelle les règles morales et les rites sont adaptables et non pas fixés
une fois pour toutes ; elle insiste également sur le fait que dans une lecture
courante, yin etyang ne sont pas hiérarchisés, mais sur un plan d'égalité (cf.
supra). T. Woo a développé certaines de ces idées en 1998 dans un article
sur les rapports entre confucianisme et féminisme (cf. "Confucianism and
Feminism"). Li Chenyang ("The Confucian Concept of Jen and the Feminist Ethics of Care") souligne pour sa part les convergences entre éthique
confucianiste et éthique féministe, notamment dans les dimensions
d'entraide. L'idée confucianiste, selon laquelle les principes éthiques ne
sont pas des valeurs abstraites mais doivent se comprendre dans le cadre des
relations sociales, est également en phase avec la vision de la société de
certaines féministes, plus à l'aise avec les relations humaines concrètes
qu'avec les grands principes généraux. Ces idées sont reprises, avec quelques variations, par Henry Rosemont (cf. "Classical Confucian and
Contemporary Feminist Perspectives on the Self), qui souligne que des
valeurs très « masculines » comme l'individualisme et la compétition sont
étrangères au féminisme comme au confucianisme.
The Sage and the Second Sex (2000) représente une tentative intéressante de réconcilier confucianisme et cause des femmes. À titre d'exemple,
nous présenterons rapidement les articles de J. J. Kuppermann ("Feminism
as Radical Confucianism", p. 43-56) et Philip J. Ivanhoe ("Mengzi, Xunzi,
and Modem Feminist Ethics", p. 57-74) qui peuvent se lire comme des
développements des idées de Li Chenyang. J. J. Kuppermann s'intéresse à
des dimensions du féminisme difficiles à concilier avec la vision occidentale
de la morale, mais qui sont assez proches de l'éthique confucianiste. Ainsi,
certaines formes de féminisme attachent beaucoup d'importance aux rôles,
aux rituels et aux façons dont ils fonctionnent dans l'élaboration et le développement du moi et, plus généralement, à la « réforme des rôles sociaux »
(reform of social rôles, chez Elisabeth Cady Stanton au XIX e siècle) ; il
s'agit là d'idées très proches du confucianisme, qui attache lui aussi beau212
La condition féminine traditionnelle en Chine
coup d'importance à la façon dont on devient une personne, dont on se
forme (self-shaping). P. Ivanhoe, lui, examine deux modèles féministes
opposés d'explication de la vertu (féminine) : premièrement la vision selon
laquelle les différences entre moralité masculine (ou immoralité masculine,
dans le discours d'une Mary Daly qui oppose les vices masculins à la bonne
nature féminine) et moralité féminine sont essentielles et liées au sexe biologique (gendered virtue) ; et deuxièmement la vision selon laquelle ces
différences sont avant tout socialement construites : elles sont affaire
d'éducation, de différences de classe ou de rôles sociaux (vocational virtue).
P. Ivanhoe rapproche ces deux modèles des idées de Mencius sur
l'importance de la nature humaine (les « germes » de la vertu sont innés)
d'une part, et des idées de Xunzi sur l'importance de l'éducation et de la
culture, d'autre part. En résumé, pour nombre d'auteurs récents, le confucianisme peut être utile à la cause des femmes, parce qu'il propose une éthique souvent proche des idées féministes - une éthique paradoxalement plus
proche de celles-ci que ne l'est l'éthique occidentale, notamment sous sa
forme kantienne.
Réévaluation et valorisation du statut de la femme en Chine ancienne
Nous avons examiné jusqu'ici deux résultats des études récentes sur la
femme en Chine ancienne : le rejet d'idées trop simples et anhistoriques sur
« la » femme chinoise et la remise en question de certaines des causes avancées au début du XXe siècle pour expliquer son « triste » statut. En soi, ces
réévaluations ne remettent pas forcément en question l'idée selon laquelle
les Chinoises étaient les victimes passives d'un système qui leur était essentiellement défavorable. D'autes études récentes, cependant, franchissent un
nouveau pas, et réévaluent ce statut en tant que tel, en indiquant que les
Chinoises auraient été beaucoup moins passives et opprimées qu'on l'a dit,
et que, loin d'avoir été de simples victimes, elles auraient activement participé à la vie culturelle.
Liang Qichao, dans un texte célèbre, avait fait du statut de la femme
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en Chine ancienne non pas un simple symbole de l'arriération du pays, mais
un facteur important de ce retard ; dans un raccourci frappant, il n'était pas
loin de penser que la femme elle-même en était responsable, écrivant que
les femmes « do not hold public posts or engage in académie pursuits, do
not farm or work as craftsmen, nor do they take part in commerce or bear
arms [...] and none has engaged in any productive labor. [...] Therefore,
women are in a pitiful position. However, men are also in an unenviable
position because they hâve to work hard to support their women dependents » (cité par Li Yu-ning, Chinese Women through Chinese Eyes,
p. 104). Nombre d'auteurs récents parviennent à des conclusions très différentes. Écoutons par exemple Li Chenyang : « It is questionable, however, if
this 'forever victimized Chinese women by men' model reveals the whole
picture of gender relations in Chinese history [...] Some scholars argue that
this model conceals the fact that Chinese women contributed a great deal to
Chinese civilization; portraying them as mère passive victims and identifying them with backwardness and dependency distort the status of Chinese
women in history. » (The Sage and the Second Sex, p. 5). L. Raphals est
plus catégorique : « In this book I explore a range of Warring States and
Han dynasty représentations of women as intellectual and moral agents. [...]
Thèse texts [...] portray women as being active and sometimes very effective participants within their own society, not inert victims of it. Women
émerge as intellectual, moral, and political agents whose activities influence
or détermine their own well-being and that of their families and states. »
(Sharing the Light, p. 4). S. Mann a parfaitement conscience de bousculer
des idées reçues : « By placing women at the center of High Qing history,
then, we challenge a century and a half of scholarship (1843-1993) in which
both Chinese radicals and Western missionaries saw Chinese women as
oppressed victims of a 'traditional culture' who were liberated only by éducation and values imported from the West. » (Prêtions Records, p. 222).
À la vérité, quelques auteurs plus anciens avaient déjà insisté sur le
fait que le statut des femmes en Chine n'était pas si tragique que cela. Li
Chenyang rappelle le jugement de Thomas Taylor Meadows, interprète bri214
La condition féminine traditionnelle en Chine
tannique présent en Chine au milieu du XIXe siècle, selon lequel la femme
chinoise avait un véritable pouvoir sur ses enfants, et notamment sur son fils
aîné {Chinese Women through Chinese Eyes, p. 6-7). Dans les années 1930,
Lin Yutang insistait pour sa part sur l'autonomie de la femme dans la sphère
domestique : « In the home the woman rules [...]. The home is the throne
from which she makes appointments for mayors or décides the professions
of her grandsons. » (My Country and my People, p. 145). Du point de vue
d'un certain féminisme, ces rôles ne sont peut-être pas des plus gratifiants de même que le fait que la femme chinoise a beaucoup travaillé, notamment
aux champs, ne modifie pas l'image traditionnelle que nous avons de celleci. Mais au moins ces données vont-elles contre la position à vrai dire peu
charitable de Liang Qichao selon laquelle la femme chinoise n'aurait pas
participé au « travail productif». Les communistes furent sur ce point beaucoup plus équitables, par exemple Dai Jitao, dans un passage qui n'est pas
dénué de préjugés et de relents paternalistes : « It is wrong to make the
sweeping statement that women are idlers without making a survey and
gathering accurate statistics. I believe that families with idle women also
had idle men, and that women are seldom idle in families whose maie members hâve to work. » (cité par Li Yu-ning, Chinese Women through Chinese
Eyes, p. 106).
Avant de quitter la sphère domestique, il convient de remarquer qu'il
est parfois difficile pour l'Occidental moderne, en raison des préjugés de
son époque, de se représenter correctement la situation de la femme chinoise
traditionnelle dans l'enceinte de la maison. Aujourd'hui, la ségrégation des
sexes est volontiers considérée comme un indice d'oppression masculine, et
on tend à la condamner sans prendre en compte le fait qu'une telle séparation pouvait avoir des avantages pour la femme. Comme le dit D. Ko : « A
homosocial organization of society may offer women a degree of dignity,
freedom and security that would often be impossible in mixed company. »
(Teachers ofthe Inner Chambers, p. 54). De même, comme nous le rappelle
F. Bray, nous avons tendance à sous-estimer l'importance du travail de production (principalement textile) effectué traditionnellement par les femmes
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à l'intérieur de la maison, parce que nous ne prenons pas en compte le fait
que le travail dans les sociétés pré-industrielles était organisé de façon très
différente de ce que nous connaissons aujourd'hui ; pour reprendre le jeu de
mots proposé par F. Bray, on a trop voulu voir la femme chinoise traditionnelle comme une « reproductrice », et on a oublié qu'elle avait aussi été une
« productrice » (cf. Technology and Gender, p. 5, p. 7, p. 271). Toujours à
propos des rôles traditionnels de la femme en Chine ancienne, D. Ko, dans
Teachers ofthe Inner Chambers, insiste sur le fait que les femmes de l'élite,
au moins, embrassaient leur rôle d'éducatrices morales avec enthousiasme,
et se voyaient comme des partenaires actives dans la construction de l'ordre
social en Chine ancienne ; certaines d'entre elles jouissaient d'un prestige et
d'un pouvoir certains parce que, précisément, elles s'en tenaient au rôle qui
leur était assigné par la société.
Hors de ces rôles traditionnels, qu'en est-il de la contribution de la
femme à la civilisation chinoise ? Là aussi, un certain nombre d'auteurs ont
relativisé l'image trop négative proposée par les réformateurs du XX e siècle.
Déjà en 1931, Hu Shi soulignait l'apport important des femmes à l'histoire
chinoise, y compris dans le domaine en principe réservé aux hommes - à
savoir le domaine politique ("Women's Place in Chinese History", p. 4-7) :
sa conclusion était que « [ . . . ] The Chinese woman was not excluded from
political life and [...] she played no mean rôle in the long history ofthe
country » (ibid., p. 7). Yang Lien-sheng, dans un article paru en 1960 ("Female Rulers in Impérial China"), a passé en revue les exemples les plus
marquants de « femmes politiques » de la Chine ancienne. D'autres femmes
se consacrèrent, parfois avec beaucoup de succès, au commerce et à
l'économie, ou s'engagèrent dans l'armée ; c'est le cas de la légendaire (?)
Hua Mulan, dont le nom apparaît pour la première fois dans un poème du
VIe siècle (traduit par Arthur Waley sous le titre The Ballad of Mulan), et
dont l'histoire fut adaptée dans un célèbre dessin animé américain, il y a
quelques années. Un ouvrage comme Notable Women de S. Mann rassemble
une centaine de biographies, parfois très détaillées, de femmes célèbres,
actives dans tous les domaines, et le jugement de la préface selon lequel :
216
La condition féminine traditionnelle en Chine
« There were always strong Chinese women, but their story has been inadequately told. » (p. xix) est certainement correct.
Un aspect relativement bien étudié ces dernières années est le rapport
des femmes à la culture et à l'éducation. Plusieurs auteurs ont montré que,
contrairement à l'opinion courante au XXe siècle (et peut-être aux vœux de
certains néoconfucianistes), les femmes étaient mieux éduquées qu'on ne le
pense souvent ; nous renvoyons ici à l'étude déjà classique de D. Ko, Teachers ofthe Inner Chambers (1994), ou à celle de S. Mann, Prêtions Records (1997). Des études montrent d'ailleurs que le taux d'alphabétisation
des femmes sous les Qing était plutôt élevé par rapport à d'autres sociétés
prémodernes (cf. Evelyn Rawski, Education and Popular Literacy in Ch 'ing
China) et que, par ailleurs, la culture écrite était si importante qu'elle exerçait une influence bien au-delà de la population lettrée, y compris parmi les
femmes. En Chine ancienne, bien des hommes étaient d'ailleurs convaincus
de l'importance de l'éducation pour les femmes - parfois avec des motivations très différentes, et pas forcément par « féminisme » : S. Mann
contraste ainsi les idées d'un moraliste comme Zhang Xuecheng, qui insiste
sur le fait qu'une femme formée aux Classiques sera une meilleure éducatrice pour ses enfants, et celles de l'esthète Yuan Mei, qui éprouve une sorte
de fascination erotique pour les femmes instruites, et spécialement les poétesses (cf. Prêtions Records, p. 85 sq.). Yuan Mei n'était certainement pas
le seul à trouver attirantes les femmes cultivées, comme le suggère
l'importance de la littérature dans le milieu des courtisanes à la fin des
Ming ; certaines d'entre elles furent d'ailleurs des poétesses accomplies (cf.
V. Cass, Dangerous Women, chap. 2).
L'accès à la culture et à l'éducation, il est vrai, concerne surtout les
femmes des élites urbaines - même s'il y a des exceptions, comme la
paysanne He Shuangqing, au début du XVIIIe siècle (cf. Wang Ping, Aching
for Beauty, p. 154). L'ouvrage de V. Cass, Dangerous Women, a le mérite
de montrer que nombre de femmes appartenant à des milieux plus humbles
pouvaient également s'approprier des parcelles de pouvoir, participer à la
vie sociale et sortir des rôles normalement réservés aux femmes. Les courti217
Dossiers thématiques
sanes dont nous venons de parler étaient parfois des poétesses accomplies,
mais aussi des autorités dans l'art du thé, des encens, dans l'agencement des
jardins ou des intérieurs des grandes maisons, ou encore en arts martiaux sans compter bien sûr les arts de la chambre à coucher. Elles étaient organisatrices de banquets, « artistes de scène » (stage performers), de véritables
« fonctionnaires de la distraction » (entertainment officers) au statut quasiment officiel, en un mot, de véritables artistes de la vie sociale, qui contribuèrent à définir le bon goût de l'époque. Certaines bénéficièrent d'un prestige considérable et étaient presque des « stars », tellement populaires
qu'elles étaient suivies dans tous leurs déplacements par une foule de
badauds ou d'admirateurs, et faisaient l'objet des attentions des plus grands
lettrés de l'époque ; ce fut le cas de Liu Shi, l'une des « trois beautés du
sud » au milieu du XVII e siècle, poétesse accomplie, qui eut une vie agitée
et très libre, avant d'épouser le célèbre lettré Qian Qianyi (1582-1664).
V. Cass n'oublie pas les « mamies » (grannies), entremetteuses, nourrices,
accoucheuses, actives à la Cour aussi bien que dans les arrière-cours, qui,
notamment grâce à leurs connaissances en médecine ou en obstétrique,
étaient parfois comblées d'honneurs ; certaines abusèrent de leur pouvoir,
comme la fameuse madame Ke au XVIIe siècle, à tel point que certains lettrés trouvèrent nécessaire de mettre la Cour en garde contre elles, avec pour
résultat une surveillance de leurs allées et venues dans la Cité interdite.
Parmi ces « femmes dangereuses », on trouve aussi des guerrières fort puissantes, comme la loyaliste Qin Liangyu ou Tang Sai'er, qui devinrent des
héroïnes populaires ; des « prédatrices » sexuelles (dont la redoutable Pan
Jinlian, héroïne du Jin Ping Mei, est un avatar direct) ; ou encore des mystiques, des recluses, aux pouvoirs « surnaturels », qui fascinaient les foules, et
pouvaient être l'objet de cultes officiels plusieurs générations après leur
disparition.
L'ouvrage de V. Cass souffre de quelques défauts : l'auteur ne distingue peut-être pas suffisamment les réalités sociales de la fiction ou de
l'imaginaire populaire, et on ne sait plus toujours très bien si l'on est dans la
critique littéraire ou dans l'histoire. Peut-être exagère-t-elle l'importance de
218
La condition féminine traditionnelle en Chine
rôles qui en définitive sont marginaux. En même temps, cet ouvrage passionnant a l'immense mérite de rappeler que la fin des Ming n'est pas seulement une époque de philosophes ou de moralistes : c'est aussi l'époque du
qing, de la « passion romantique », des sentiments exacerbés, d'une certaine
liberté sexuelle, et de tous les excès. Parmi les idées intéressantes de V.
Cass, on remarque le lien qu'elle établit entre certaines des femmes qu'elle
décrit (les « mamies », les mystiques, les recluses) et les chamanes des époques très anciennes, elles aussi maîtresses de l'eau et du yin (ibid., p. 66) ;
cette autre idée encore, selon laquelle ces « femmes dangereuses » ne sont
en définitive qu'un reflet exacerbé de la conception largement répandue en
Chine ancienne selon laquelle toute femme, en raison de ses liens avec le
yin et de son pouvoir d'attraction sexuelle, est potentiellement dangereuse.
Pour les hommes de la fin des Ming et les fétichistes des pieds bandés
décrits par Wang Ping (cf. Achingfor Beauty), la femme a quelque chose
d'animal qui fascine et en même temps effraie, qui attire et en même temps
doit être tenu à l'écart - cette femme-là, renarde séductrice ou serpent passionné, n'est certainement pas une victime passive, privée de pouvoir. Ces
idées sont bien sûr à rapprocher de conceptions sur les fluides féminins ou
le sang des menstrues, volontiers considérés en Chine ancienne comme
néfastes (voir à ce sujet les études déjà classiques de Emily Ahern et C.
Furth, ou encore F. Bray, Technology and Gender, p. 326 sq.).
À lire l'ouvrage de Wang Ping sur les pieds bandés ou les Dangerous
Women de V. Cass, l'homme apparaît de fait aussi bien sous les traits de la
victime que sous ceux de l'oppresseur. Les réformateurs du XXe siècle ont
vu dans le bandage des pieds une forme d'oppression masculine, mais n'estil pas aussi, pour les femmes, un moyen de séduire et de manipuler les
hommes ? La femme fascine et terrorise, et les pieds bandés reflètent cette
ambiguïté. Ils mélangent, dans le corps féminin, le céleste et l'animal (les
petits pieds rappellent les sabots de certains animaux, et créent en même
temps l'illusion que la femme a vaincu la gravité et vole, comme une immortelle), ils incarnent « a monstrous duality [that] makes her a symbol of
beauty and fecundity » {Achingfor Beauty, p. 12) ; ils donnent à la femme
219
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cette « animalité brute » (base animality) qui est une partie essentielle de la
sexualité : « She provokes more erotic desires by promising a mysterious
animal aspect and turning her body into prohibition, taboo. In other words,
the lotus foot exaspérâtes and exalts désire for flesh by diminishing and
covering the flesh. » (ibid., p. 13) Selon Wang Ping, le pied bandé, dont la
forme rappelle celle du sexe masculin, serait aussi un substitut pour le
phallus (et donc le pouvoir) et un renvoi à la peur de la castration. Les
hommes ont besoin des femmes, mais ils en ont peur ; comme le dit Wu
Yenna, « men needed women for procréation, support and comfort, yet
dreaded their potential power to dominate » ("The Inversion of Marital Hierarchy", p. 372). On juge que l'homme tombé dans les filets de la femme
court un danger. De tous temps, la sexualité est associée à la ruine (ruine de
l'État, ruine de la personne). À travers la sexualité, la femme a un pouvoir
destructeur - comme le montre le destin de Ximen Qing, le héros du Jin
Ping Mei, qui devient un objet sexuel dans les mains de la redoutable Pan
Jinlian, avant d'être sacrifié à son plaisir (Wang Ping, Achingfor Beauty, p.
71, 114) : « Women [...] are like wild beasts : they look beautiful but are
dangerous and contaminating. » (ibid., p. 93). La femme et la sexualité font
tellement peur que certains se castrent pour échapper à leur emprise (ibid.,
p. 137). P. Goldin rappelle le jugement misogyne d'Ouyang Xiu (10071072) selon lequel « les femmes ne sont que sexe » (nu se eryi, cf. The
Culture ofSex in Ancient China, p. 62). Dans ce modèle, les pieds bandés
sont moins une punition imposée par les hommes qu'une arme des femmes
contre les hommes («How well Chinese women know this secret weapon ! », constate Wang Ping). On touche d'ailleurs là à un problème central
dans les relations entre les deux sexes : l'homme paraît imposer à la femme
de se martyriser le corps pour répondre à ses fantasmes ou à ses peurs, mais
en réalité, ce faisant, il confère à celle-ci un pouvoir terrible qu'elle peut
retourner contre lui. « How does the hunter become the prey ? » (Achingfor
Beauty, p. 53) demande Wang Ping.
Dans le discours également, les choses ne sont pas aussi simples
qu'on les a souvent décrites au début du XXe siècle. L'image de l'homme220
La condition féminine traditionnelle en Chine
oppresseur et de la femme-victime ne doit pas faire oublier que nombre
d'hommes dans la Chine traditionnelle reconnurent le rôle ou les pouvoirs
des femmes, soit pour les trouver dangereux et les critiquer - on a des
exemples de cette attitude de méfiance dans Dangerous Women - , soit au
contraire pour les défendre. En ce qui concerne cette dernière attitude, rappelons les noms de ces « féministes » avant l'heure que furent Gui Youguang, Lu Kun, Mao Qiling, Yu Zhengxie, Li Yu, Wu Jingzi ou encore
Yuan Mei, qui se moquèrent de l'obsession de leurs contemporains pour la
chasteté féminine, ou se firent les avocats d'une bonne éducation pour les
femmes ; Yu Zhengxie, par exemple, fut l'auteur d'un traité contre la chasteté (cf. Lin Yutang, "Feminist Thought in Ancient China", p. 37). Li Yuning ("Historical Roots of Changes in Women's Status in Modem China",
p. 111) mentionne les jugements des lettrés du XVII e siècle Ge Zhenqi et
Zhao Shijie qui, parmi d'autres, estimaient que la femme est supérieure à
l'homme sur le plan moral ou littéraire (comme le dit S. Mann, Precious
Records, p. 17 : « They wrote better than men »), ou la position de Li Zhi,
qui prônait l'égalité des sexes et la liberté de choix dans le mariage (au sujet
de Li Zhi et des femmes, cf. aussi l'étude de Pauline Lee, "Li Zhi and John
Stuart Mill : A Confucian Feminist Critique of Libéral Feminism").
Les hommes sont sans doute beaucoup plus enclins à reconnaître que
les femmes ne leur sont pas forcément inférieures et que la différentiation
sexuelle, en Chine ancienne, est moins encore qu'en Occident affaire de
biologie que de rôles sociaux, de convention, ou de circonstances. Cette
représentation contredit, il est vrai, l'idée mentionnée ci-dessus selon
laquelle la femme est essentiellement différente de l'homme et de ce fait
dangereuse. Selon Li Yu-ning, « In the Chinese consciousness or subconsciousness, women can be men's equals if given a chance. In men's clothing,
women can occupy men's rôles. » ("Historical Roots of Changes in Women's Status in Modem China", p. 109). De fait, on dispose de multiples
exemples, dans la littérature, de femmes qui s'habillent en hommes pour
faire des études ou pour s'engager dans l'armée. Li Yu-ning conclut : « [...]
it is clear that clothes make the différence, and that clothing symbolizes not
221
Dossiers thématiques
nature but social convention. It is the social order, not nature, that bars
women from an officiai or other maie career. » (ibid., p. 110). Très révélateur des idées sur le sujet est le Zaisheng yuan (Destiny of the Next Life),
une narration de style tanci (ce genre écrit par des femmes pour des femmes). L'auteur, Chen Duansheng (1751-1796), y raconte l'ascension sociale
de Meng Lijun qui, déguisée en homme, gravit tous les échelons de la
société, avant d'accéder au rang de Premier ministre (cf. Wang Ping, Aching
for Beauty, chap. 7).
Conclusion
En un peu plus de deux décennies, l'image de la condition féminine en
Chine ancienne a été considérablement retouchée et enrichie. Grâce à la
diversité d'approches souvent très imaginatives, grâce surtout à la qualité
générale des chercheurs, il apparaît que la femme chinoise « a eu une histoire », qu'elle n'a pas été la simple victime d'un système patriarcal, qu'elle
ne s'est pas contentée de quelques rôles passifs et muets. Cette rectification
s'explique en bonne part par la multiplicité des travaux sur le sujet : plus
d'études ont paru sur la femme chinoise en vingt ans que durant tout le reste
du XX e siècle. La quantité est telle qu'il est devenu impossible d'en faire le
tour, même si l'on s'en tient aux travaux en langue anglaise.
Nous n'avons pas fait état ici de la recherche en langue chinoise, mais
ne nous y trompons pas : si les travaux en langue anglaise sont le plus facilement accessibles en Occident, et si on ne peut nier la prépondérance de
l'université américaine dans ce domaine, les études de qualité publiées en
chinois sur le sujet sont elles aussi nombreuses. Le travail de ratissage dans
l'immense corpus de textes anciens, sans lequel nombre des études présentées ci-dessus auraient tout simplement été impossibles, est principalement à
mettre au crédit des chercheurs chinois ; et ceux-ci ne sont pas les derniers à
remettre en question les idées reçues, et à proposer de nouvelles lectures des
sources. On notera d'ailleurs que quelques-unes des contributions les plus
intéressantes publiées en anglais ces dernières années sont le fait d'auteurs
222
La condition féminine traditionnelle en Chine
d'origine chinoise ; le fait qu'ils (et elles) aient choisi d'écrire en anglais est
cependant révélateur du poids de l'université américaine dans les sciences
humaines. Remarquons au passage que, dans ce foisonnement, la sinologie
française n'est pas très présente. Il existe bien sûr des publications en français sur le sujet, mais à l'exception de quelques études importantes
(l'excellent Immortelles de la Chine ancienne de Catherine Despeux, par
exemple), ce thème ne semble pas très mobilisateur.
Le principal défaut de ces deux décennies de recherches est la tentation de confondre l'exception et la règle. Après tout, même si elles se
comptent par milliers, poétesses, courtisanes, ou veuves suicidaires ne
représentent qu'une infime minorité des femmes chinoises. Et si le yin, les
pieds bandés ou l'éros peuvent susciter chez nombre d'hommes une fascination terrorisée, toutes les femmes chinoises ne furent évidemment pas des
Pan Jinlian - le fait même de tirer des conclusions sur la société chinoise à
travers une fiction comme le Jin Ping Mei pose un problème de fond. Ce
déséquilibre entre exception et règle s'explique par la nature des textes, qui,
en Chine comme ailleurs, privilégient les cas remarquables, les destinées
hors du commun, les têtes qui dépassent. Mais le fait que, dans ce domaine,
c'est la sinologie américaine qui donne le ton joue peut-être aussi un rôle :
le culte du politiquement correct, le goût de la contestation, l'omniprésence
de la psychanalyse dans la société américaine, parmi d'autres facteurs, ou le
poids des gender studies et des sciences sociales à l'université, expliquent
pour une partie au moins certaines des tendances des études récentes sur ce
sujet. Là aussi, il est urgent de se rendre compte que d'autres sinologies
« nationales », sans forcément transformer le tableau, pourraient jeter sur
celui-ci un éclairage différent. En d'autres termes, il faudrait plus de recherches françaises, allemandes, italiennes, russes, etc., sur le sujet. Mais à un
moment où nombre de centres de recherche européens sur l'Asie se voient
imposer des restrictions budgétaires ou sont menacés de fermeture, c'est là
sans doute un vœu pieux.
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