La simulation, un outil d`apprentissage en devenir
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La simulation, un outil d`apprentissage en devenir
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Authors requiring further information regarding Elsevier’s archiving and manuscript policies are encouraged to visit: http://www.elsevier.com/authorsrights Author's personal copy Dossier La simulation, un apprentissage innovant La simulation, un outil d’apprentissage en devenir Francine Herbreteau* Cadre de santé Jean-Claude Granry Professeur des universités, praticien hospitalier, chef du pôle anesthésieréanimation-médecine d’urgence-santé-société 14 GIS Simulation en santé et réanimation polyvalente de l’enfant, CHU Angers, Pôle USSAR, 4 rue Larrey, 49100 Angers, France La simulation en santé relève d’une pédagogie innovante. Confrontés à des situations professionnelles concrètes, les “apprenants” sont face à des mannequins dans des conditions de travail habituelles. Ils sont ainsi soumis à la réalisation de gestes techniques sans aucun risque. Les rencontres pluriprofessionnelles et pluridisciplinaires sont favorisées, ainsi que la compréhension du métier, et la réflexion sur les pratiques de soins. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Mots clés - enseignement ; innovation ; outil ; pédagogie ; santé ; simulation Simulation, an emerging learning tool. Simulation in healthcare is part of an innovative pedagogical approach. Confronted with concrete work situations, “learners” are faced with dummies in typical working conditions. They are thereby able to practise technical procedures without any risk. Multi-professional and multi-disciplinary groups are favoured and emphasis is placed on the understanding of the job and discussion around nursing practices. © 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved Keywords- health; innovation; pedagogy; simulation; teaching; tool L *Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F. Herbreteau). a simulation se présente comme un mode d’apprentissage basé sur l’expérientiel dans le cadre d’objectifs préalablement définis. Il s’agit d’un outil complémentaire des autres moyens utilisés pour le transfert de connaissances (cours théoriques, travaux pratiques, analyses de pratiques…). utilisateur dans un environnement virtuel en temps réel et en interaction. L’immersion peut être visuelle, sonore, olfactive, tactile... Elle peut se faire dans un environnement 3D. L’interaction se fait au moyen d’interfaces “classiques” (souris, joystick), intuitives (capture de mouvements) ou complexes. Définition La pédagogie par simulation Le premier rapport français publié en 2011 par la Haute Autorité de santé (HAS) sur la simulation en santé retient la définition suivante : « Le terme simulation en santé correspond à l’utilisation d’un matériel (comme un mannequin ou un simulateur procédural) de la réalité virtuelle ou d’un patient standardisé pour reproduire des situations ou des environnements de soin, dans le but d’enseigner des procédures diagnostiques et thérapeutiques et de répéter des processus, des concepts médicaux ou des prises de décision par un professionnel de santé ou une équipe de professionnels » [1]. Cette définition mérite sans doute d’être élargie en raison du développement très rapide de la simulation informatique ou numérique. Celle-ci « désigne l’exécution d’un programme informatique sur un ordinateur ou réseau en vue de simuler un phénomène (…) réel »1. Cette réalité virtuelle correspond à un ensemble de technologies permettant d’immerger un La pédagogie par simulation s’applique aux formations initiales médicales et paramédicales. Son originalité réside dans la posture innovante de l’apprenant (autoévaluation, constructivisme) et de l’instructeur (réflexion facilitée et guidée centrée sur le ressenti et le discours de l’apprenant) lors du débriefing, qui constitue la 3e phase essentielle de la séance pédagogique2. Ce débriefing est réalisé immédiatement après la situation vécue (scénario) ou à distance, dans le cadre par exemple de la simulation numérique3. Autrement dit, la simulation ne dispense pas de l’accompagnement d’un instructeur expérimenté. Cela a d’ailleurs toujours été le cas au cours de l’histoire. Si l’on prend l’exemple de la simulation procédurale (l’entraînement au geste), nous pouvons considérer que ce concept a plusieurs centaines d’années4 (encadré 1). © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés http://dx.doi.org/10.1016/j.revinf.2014.07.005 Jamais la première fois sur un patient Les années 80-90 voient la publication de diverses La revue de l’infirmière ● Octobre 2014 ● n° 204 Author's personal copy Dossier La simulation, un apprentissage innovant Encadré 1. Des débuts avec l’aérospatiale La simulation moderne a vraiment pris son essor dans les années 1950, dans le cadre d’activités particulièrement à risque nécessitant un entraînement intensif des équipes à moindre coût, comme l’aérospatiale. Puis ce fut le tour de l’aéronautique, vingt ans plus tard, mettant l’accent sur les risques liés aux facteurs humains, dont les défauts de communication au sein de l’équipage. Cela a contribué à réduire le nombre d’accidents aériens. Le développement de ces programmes et l’étude de leur efficience ont encouragé d’autres secteurs dotés d’un environnement à haut risque à former les professionnels sur ces modèles, par exemple l’industrie nucléaire ou l’anesthésie-réanimation. études démontrant qu’un pourcentage non négligeable d’erreurs survenues dans les milieux de soins pourrait être évité. Dès lors, des professionnels de santé (surtout en Amérique du Nord) décident de mettre au point des simulateurs et des programmes de formation en situations simulées avec une préoccupation éthique “jamais la première fois sur un patient” [2]. Le concept se développe en Europe depuis le début des années 2000. En France, les centres naissent au sein des unités de soins ou dans des structures de formation comme les centres d’enseignement des soins d’urgence (Cesu), les instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) et les facultés de médecine. L’hétérogénéité de ces organisations conduit la HAS à diffuser un guide de bonnes pratiques en 2012 [3]. Enjeux pour la formation infirmière À l’instar de nos voisins européens [4], la formation initiale infirmière est fondée sur l’alternance d’acquisitions théoriques en Ifsi, et pratiques au lit du malade. La simulation procédurale y occupe une place hétérogène en fonction de la taille des Ifsi et de leur projet pédagogique, sauf en ce qui concerne la formation aux soins d’urgence dispensée dans les Cesu [5,6]. Le programme de formation de 2009 [7], dans son annexe V, prévoit la validation de certaines compétences en simulation – dès lors que la diversité des parcours et des lieux de stages a diminué : UE 4.4 (semestre 2) calcul de doses, UE 4.2 (S3) soins La revue de l’infirmière ● Octobre 2014 ● n° 204 relationnels (entretien infirmier), UE 4.4 (S4) pose de transfusion sanguine et UE 4.4 (S5) injection dans les chambres implantables. Si les Ifsi organisent l’évaluation des calculs de doses, de la pose de transfusion et de l’injection en chambre implantable dans le cadre d’ateliers procéduraux, la validation de la deuxième compétence (soins relationnels) pose problème. En raison de la complexité de la relation singulière entre le soignant et le patient, mais aussi du fait de l’expertise nécessaire à son évaluation, les étudiants et les formateurs mettent en évidence la non-validation de cette compétence en fin de 3e année du cursus de formation. Cela conduit quelques Ifsi à développer des séquences pédagogiques en lien avec le soin relationnel en simulation5. Pour autant, à ce jour, les Ifsi ne sont pas tous parvenus à intégrer ces nouvelles modalités pédagogiques exigeant un changement de posture des formateurs et des moyens logistiques et organisationnels nouveaux6. Il n’en demeure pas moins que l’évolution de la didactique en formation paramédicale est en marche. Dans le cadre d’une réflexion globale sur la formation paramédicale de demain, les directeurs des écoles évoquent « l’ancrage des pédagogies par simulation »7 et s’intéressent particulièrement à la « pédagogie numérique »8. Enjeux dans le cadre du développement professionnel continu Depuis 2012, les professionnels paramédicaux sont tenus de participer à un programme de développement professionnel continu (DPC) annuel [8], associant à la formation continue tout au long de la vie l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP). Une commission scientifique placée auprès du Haut Conseil des professions paramédicales (HCPP) émet un avis auprès des agences régionales de santé (ARS) et de la HAS [9] sur les contenus des programmes. Ces derniers doivent répondre aux orientations nationales [10] que l’on pourrait classer en trois catégories : • l’amélioration de la relation entre les soignants et les patients ; • l’amélioration de la communication entre professionnels ; • et la gestion des risques liés aux soins. La HAS a validé plusieurs méthodes pour atteindre ces objectifs, dont la simulation en santé [11], notamment en équipe [12]. La plupart des centres de simulation ont développ é des s éances Notes 1 Définition Wikipédia pour : simulation numérique. « Le débriefing peut “faire ou défaire” une séance de simulation, il peut être considéré comme le “cœur et l’esprit” de l’apprentissage en simulation. » (Rall M, et al. Eur J Anaesthesiol. 2000; 17: 516-7). 3 « Donner du feedback est l’aspect le plus important de la simulation en éducation médicale. » (Issenberg SB, et al. BEME systematic review. Medical Teacher 2005; 27: 10-27). 4 Cf. “la machine” de Mme Du Coudray (XVIIIe siècle), mannequin d’accouchement exposé au musée Flaubert et d’histoire de la médecine de Rouen. 5 Loridan T. Le point de vue d’un institut de formation en soins infirmiers : expérience en santé mentale. Ifsi Val de Lys-Artois. Troisième colloque francophone de simulation en santé, 6 février 2014. 6 Pellissier T, Dumas J. Enquête nationale menée auprès des instituts de formation en soins infirmiers publics et privés. Deuxième colloque de simulation en santé, 24 et 25 janvier 2013. 7 Association nationale des directeurs d’école paramédicale (Andep). Avenir pour la formation paramédicale en France. Rapport 2012, p. 76. 8 Formatic Santé. L’enrichissement des dispositifs et modalités de formation par l’usage des TIC : défi à relever par les formateurs ! Journée thématique du 19 mars 2014. 9 Citons l’Association francophone de simulation en anesthésie réanimation et en médecine d’urgence ainsi que la Société francophone de simulation en santé. 10 Par exemple iLumens. 2 Références [1] Granry JC, Moll MC. État de l’art (national et international) en matière de pratiques de simulation dans le domaine de la santé. Dans le cadre du développement professionnel continu (DPC) et de la prévention des risques associés aux soins. Paris : Haute Autorité de santé ; 2011, www.has-sante. fr/portail/jcms/c_930641/fr/ simulation-en-sante [2] Gaba DM, DeAnda A. A comprehensive anesthesia simulation environment : recreating the operating room for research and training. Anesthesiology 1988; 69 (3): 387-94 [3] Granry JC, Moll MC. Guide de bonnes pratiques en matière de simulation en santé. Haute Autorité de santé ; 2012, www. has-sante.fr/portail/upload/docs/ application/pdf/2013-01/guide_ bonnes_pratiques_simulation_ sante_format2clics.pdf [4] Doureradjam R, Dorsaz S. Simulation et formation dans le domaine des soins infirmiers. In : Boet S, Granry JC, Savoldelli G. La simulation en santé. Paris : Springer ; 2013. p. 99-107 15 Author's personal copy Références 16 [5] Arrêté du 3 mars 2006 relatif à l’attestation de formation aux gestes et soins d’urgence, www. legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?ci dTexte=JORFTEXT000000640580 [6] Arrêté du 21 avril 2007 modifiant les arrêtés relatifs aux conditions de délivrance du diplôme d’État de certaines professions de santé, www. legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?c idTexte=JORFTEXT000000644900 &dateTexte [7] Arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’État d’infirmier, www.legifrance.gouv.fr/ affichTexte.do?cidTexte=JORFTE XT000020961044 [8] Décret no 2011-2114 du 30/12/2011 relatif au développement professionnel continu des professionnels de santé paramédicaux, www. legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?ci dTexte=JORFTEXT000025062401 [9] Décret n° 2012-30 du 9 janvier 2012 relatif à la commission scientifique du Haut Conseil des professions paramédicales, www. legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?c idTexte=JORFTEXT000025129914 &dateTexte=&categorieLien=id [10] Arrêté du 26 février 2013 fixant la liste des orientations nationales du développement professionnel continu des professionnels de santé pour l’année 2013, www.legifrance.gouv. fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFT EXT000027123217&dateTexte=&c ategorieLien=id [11] Haute Autorité de santé. Développement professionnel continu : Méthodes et modalités de DPC. Paris : HAS ; 2014, www. has-sante.fr/portail/upload/ docs/application/pdf/2012-12/ liste_methodes_modalites_dpc_ decembre_2012.pdf [12] www.has-sante.fr/portail/ jcms/c_1601344/fr/la-has-deploiepacte-un-programme-autour-dutravail-en-equipe [13] www.ogdpc.fr [14] Jaffrelot M, Savoldelli G. Concevoir un centre de simulation. SFMU, 2011, http:// sofia.medicalistes.org/spip/IMG/ pdf/Concevoir_un_centre_de_ simulation_Jaffrelot_Savoldelli_. pdf [15] Haute Autorité de santé. Évaluation et amélioration des pratiques. Guide de bonnes pratiques en matière de simulation en santé. Paris : HAS ; 2012, www. has-sante.fr/portail/upload/docs/ application/pdf/2013-01/guide_ bonnes_pratiques_simulation_ sante_format2clics.pdf Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. La simulation, un apprentissage innovant pluriprofessionnelles permettant un entraînement au vécu de situations de soins rares ou de crises à l’attention de personnels chevronnés ou novices. La mise au format DPC des formations existantes n’est pas achevée, mais donnera à terme de la lisibilité sur les programmes disponibles au plan national [13]. Modalités organisationnelles La majorité des séances a lieu dans des centres bénéficiant d’espaces dédiés à ce type de formation, qu’elle soit procédurale ou en haute fidélité (utilisant un mannequin piloté par ordinateur ou des patients standardisés) (figure 1). La création, voire la pérennisation d’un centre de simulation (concept émergeant en France), est en premier lieu une aventure humaine. Au-delà des moyens techniques alloués, elle nécessite une motivation sans faille. Certains centres ont déjà contractualisé la mutualisation de leurs moyens, qu’ils soient humains ou techniques avec d’autres structures. Le partage des supports pédagogiques pourra, quant à lui, être amélioré par l’intermédiaire d’associations ou de sociétés savantes 9. En attendant, chaque centre s’est organisé avec ses propres ressources, voire spécialisé dans certains domaines compte tenu du coût des matériels [14]. Une classification a cependant été proposée [15], identifiant trois niveaux en fonction des moyens et de l’activité du centre. Le centre de niveau 1, par exemple, n’a pas “obligation” de pratiquer des séances pédagogiques en haute fidélité. La formation des formateurs est une nécessité, même si le temps dédié à ce type de formation peut varier d’un niveau à l’autre. Les équipements en matériel audio/vidéo sont indispensables pour réaliser des séances en haute fidélité ainsi qu’une salle de débriefing. Le personnel technique et administratif varie également, sachant qu’il apporte une réelle plus-value au fonctionnement des activités pédagogiques. Ainsi, en pratique courante, un formateur peut encadrer une séance haute fidélité pour six apprenants s’il est accompagné d’un technicien, mais chaque séquence pédagogique est construite en fonction du niveau des apprenants et des objectifs fixés. Dans cette optique, les séances liées à l’apprentissage de l’annonce diagnostique grave nécessitent la sollicitation d’acteurs (patient simulé) et la présence d’une psychologue durant le débriefing. Dans le cadre de la formation d’une équipe pluriprofessionnelle, un co-débriefing médicoinfirmier peut s’avérer indispensable. Enfin, la garantie de la qualité des prestations offertes est © GIS-APLHUSS Dossier Figure 1. Scénario haute fidélité construit pour un binôme interne-infirmier dans le cadre de la formation initiale médicale (interne en anesthésie) et continue infirmière (IADE). De l’autre côté du champ opératoire se tiennent deux formateurs jouant le rôle des chirurgiens. dépendante d’une gouvernance comprenant des comités encadrant, d’une part, les contenus pédagogiques et, d’autre part, l’organisation logistique et financière de la structure. Une pédagogie en situation… L’apprentissage d’un métier est un processus progressif et complexe qui ne se limite pas à la formation initiale. Les connaissances et les compétences se développent principalement lorsque les “apprenants” sont confrontés à des situations professionnelles concrètes. Dans les métiers de la santé, ces situations sont particulièrement variées et souvent à risque pour les patients. Ainsi, l’expertise des formateurs joue un rôle fondamental et la transmission des savoirs prend ici toute son importance. Quelques équipes ont investi précocement dans une régie mobile et des mannequins pilotés sans câbles leur permettant d’organiser des séances sur le lieu de travail des professionnels10. Plusieurs avantages de cette pratique sont décrits, et en particulier le fait de réaliser les scénarios dans les conditions et l’environnement habituels de travail. Le coût est souvent moindre. Cependant, il est parfois utile, voire nécessaire, de s’éloigner des lieux professionnels (tensions, conflits…) afin de faciliter les échanges avec d’autres collègues. En tout état de cause, la simulation favorise les rencontres pluriprofessionnelles et pluridisciplinaires. Elle contribue à améliorer la transmission entre les individus et les groupes, tout particulièrement lors des situations de crise. Enfin, son rôle dans l’éducation interprofessionnelle peut être remarquable, en permettant de mieux comprendre le métier de l’autre dans un contexte propice à la réflexion sur les pratiques de soin. • La revue de l’infirmière ● Octobre 2014 ● n° 204