Révision de la transcription : Nina Berkhout, Marcia Rodriguez

Transcription

Révision de la transcription : Nina Berkhout, Marcia Rodriguez
Personne interviewée : Louis Muhlstock
Intervieweur : Charles Hill
Date de l’interview : 15 septembre 1973
Transcripteur : Nina Berkhout
Date de la transcription : 31 mars 2008
Révision de la transcription : Nina Berkhout, Marcia Rodriguez, Charles Hill, Cyndie
Campbell, Amanda Graham et Marie-Louise Labelle
Référence archivistique : Dossier d’exposition pour Peinture canadienne des années
ann trente, Fonds
du Musée des beaux-arts du Canada, Bibliothèque et Archives du Muséee des beaux-arts du
Canada
ENTREVUE DE LOUIS MUHLSTOCK PAR CHARLES HILL
15 septembre 1973
Dans la porte ou l’entrée, ou un volet fermé ou un mur de briques négligé. Un arbre abandonné qu’on peut
voir sur le mur. J’éprouvais le même type de sentiments pour ces choses, et la démarche était presque la même
que pour les deux hommes dormant à la Ferme Fletcher. C’était une forme. C’était quelque chose que j’avais
connu, dont j’avais fait l’expérience et que j’avais vu. C’était donc le sujet que je désirais exprimer.
Louis Muhlstock en entrevue avec Charles Hill, 15 septembre 1973
Louis Muhlstock (1904 – 2001) est un membre fondateur de la Société d’art contemporain, et il
fut membre de la Fédération des artistes canadiens et du Groupe des Peintres canadiens. Il est
connu pour ses représentations de la figure humaine, ses scènes de rue et ses illustrations de la
Dépression. Dans le cadre de ce�e conversation avec Charles Hill, Muhlstock se remémore son
intérêt pour l’art qui se révèle très tôt dans sa vie, alors qu’il est un jeune immigrant vivant à
Montréal. Il suit les cours offerts le soir et les weekends au Monument National et à la Société
des arts de Montréal, tout en travaillant à plein temps dans des bureaux afin de se constituer des
économies qui lui perme�ront d’aller poursuivre en Europe ses études d’art. Muhlstock évoque
la formation académique qu’il a reçue à Paris auprès de Louis-François Biloul, ainsi que les
séances à la Grande Chaumière et son expérience à la Maison Canadienne d’une durée de trois
ans. L’artiste décrit en détail les années difficiles de la Dépression, durant lesquelles il dessinait
sur du papier Kra� parce qu’il n’avait pas les moyens de s’offrir de la toile ou de la peinture.
Durant toute l’entrevue, Muhlstock souligne que, alors qu’il participait à des mouvements tels
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que la League Against War and Fascism, ses dessins reflétaient ses sentiments pour les gens
et ne constituaient aucunement une incursion dans l’art social. Bien que préférant travailler
dans l’isolement, Muhlstock s’est engagé dans la création de la Société d’art contemporain et a
entretenu une relation avec plusieurs artistes, notamment Alexander Bercovitch, Lilias Newton
et Fritz Brandtner. Les peintures et les dessins de Muhlstock capturent l’esprit des années trente
et il s’est révélé être l’un des peintres les plus importants au Canada.
[Début du clip 1]
HILL :
Test. Ce�e interview est réalisée avec Monsieur Louis Muhlstock, le
15 septembre 1973. À partir de maintenant, nous allons donc oublier le
microphone. Je me demandais si nous pouvions commencer, si vous
pouviez parler un peu de vos premiers… avant 1930, de vos premières
années d’école, votre lieu de naissance, votre arrivée au Canada.
MUHLSTOCK :
Eh bien, je vais devoir retourner jusqu’en 1911, au moment où nous
sommes arrivés ici, de la Galice. À ce�e époque, j’avais environ sept ans, je
me rappelle donc très peu de choses. Mais, à l’école, j’ai découvert presque
immédiatement le crayon, que nous ne connaissions pas dans l’ancien pays.
Je n’ai aucun souvenir d’avoir jamais eu un crayon ou un stylo. Le voir,
l’utiliser, vous savez. Donc j’ai commencé à dessiner quand j’étais très jeune.
Il y a ensuite eu les années d’école publique et de secondaire. Mais, c’est
en 1918 environ que j’ai été admis au Monument-National, qui était l’école
des beaux-arts d’ici et dont Dyonnet était le directeur. Edmond Dyonnet, je
présume que vous avez entendu parler de lui.
HILL :
Hum.
MUHLSTOCK :
Et de Saint-Charles et d’autres. À l’époque, je leur ai dit avoir seize ans, alors
qu’en réalité j’en avais quatorze. Ils n’ont pas semblé s’en préoccuper. J’ai
donc fait mes premières sessions au Monument-National à ce�e époque,
dessinant des sphères et des cubes, faisant aussi un peu de moulage et ils…
finalement, j’ai travaillé le corps en entier. Puis, au secondaire, j’ai… pendant
que j’étais au secondaire, je me suis inscrit aux cours de la Société artistique,
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et William Brymner y enseignait. Ici encore, c’était seulement un ou deux
après-midi. Puis, ça a été deux après-midi. Je n’ai pas suivi les cours du soir
de l’École des beaux-arts avant 1925 ou 1926. Je n’ai jamais étudié à temps
plein à aucune de ces écoles de beaux-arts, parce que je travaillais.
HILL :
Quel genre de travail faisiez-vous à ce�e époque?
MUHLSTOCK :
Je faisais de la comptabilité dans un bureau; par la suite, j’ai eu l’entière
responsabilité d’un bureau d’importateurs de fruits. J’ai donc travaillé six
ans dans un bureau, ce qui m’a permis de réaliser quelques économies.
Puis, en 1928, j’en ai eu assez et je suis parti pour l’Europe.
HILL :
Avant de vous rendre en Europe, avez-vous rencontré beaucoup d’artistes
à Montréal? Avez-vous eu des contacts avec des artistes?
MUHLSTOCK :
Non, sinon quelques professeurs, comme Cullen et Brymner, Randolph
Hewton et Robert Pilot, qui suivaient des cours à la Société artistique, à
Montréal. Ils étaient… l’Académie royale se relayait. Les membres de
l’Académie avaient l’habitude de se relayer pour y assister. Aux cours du
soir…
HILL :
Ça se passait après le décès de Brymner?
MUHLSTOCK :
Oui, exactement. Non, Brymner dirigeait à ce�e époque l’école des beauxarts de la Société artistique, mais ils assistaient aux cours du soir. Nous
n’apprenions pas beaucoup d’eux en tant que professeurs, car ils n’étaient
pas… aucun d’eux ne peignait le corps humain.
HILL :
D’accord.
MUHLSTOCK :
Ils suivaient… la majorité d’entre eux étaient paysagistes, comme vous le
savez. Coburn était là; il suivait aussi des cours.
HILL :
Hum. Désolé, je me demandais si vous entendiez parler des développements
qui avaient lieu à Toronto à ce�e époque?
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MUHLSTOCK :
Non, je n’en étais pas conscient à ce moment-là. Nous allions voir les
expositions habituelles à l’Académie royale, mais le Groupe en tant que tel
n’y venait pas. Ils n’étaient pas encore connus comme un groupe, pour faire
des apparitions publiques. Je crois que la première exposition importante
a eu lieu quelque part en Angleterre en 1928, je crois. Ils y étaient allés,
mais je n’étais pas conscient de l’existence du Groupe en tant que tel, vous
savez.
HILL :
D’accord.
MUHLSTOCK :
Et la plupart d’entre eux, comme je le disais, se concentraient à Toronto.
Donc, les seules de leurs peintures que nous voyions d’eux étaient celles qui
étaient présentées à l’exposition de l’Académie royale.
HILL :
Ou l’exposition printanière?
MUHLSTOCK :
Ou l’exposition printanière de Montréal, qui était l’événement… le grand
événement annuel. Des centaines de leurs œuvres étaient disséminées
partout dans le musée.
HILL :
Certains artistes vous intéressaient-ils plus particulièrement à l’époque?
MUHLSTOCK :
Non, j’étais complètement absorbé. Je travaillais à temps plein, vous voyez;
mes soirées constituaient donc mon unique temps de loisirs. Finalement,
je me suis retrouvé à quatre ou cinq soirées par semaine après le travail,
et je visitais une exposition, à l’occasion. Mais il n’y avait pas beaucoup
d’expositions non plus. Il y avait l’exposition printanière annuelle; et
lorsqu’elle était terminée, plus rien.
HILL :
Et les marchands?
MUHLSTOCK :
Oh, il y avait seulement deux marchands en ville.Il y avait les Galeries Watson,
et il y avait aussi la Galerie Johnson, sur la rue Sainte-Catherine. C’étaient
des encadreurs, et le seul événement qu’ils tenaient, c’était l’exposition
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annuelle du marchand nommé Eilers, qui venait de Hollande. Il importait
habituellement des expositions d’œuvres contemporaines françaises ou
d’impressionnistes et de postimpressionnistes français. Ils vendaient
aux Anglais fortunés, ces mêmes riches Anglais qui se constituaient des
collections, comme les Van Horne. Ils n’achetaient pas d’œuvres de jeunes
artistes, et ils n’achetaient rien du Groupe à ce�e époque.
HILL :
Hum. Avez-vous vu l’exposition de John Lyman à la Galerie Johnson en
1927?
MUHLSTOCK :
Elle a eu lieu en 1927?
HILL :
Il a présenté ses toiles en 1927.
MUHLSTOCK :
À la Galerie Johnson? Non, je ne me souviens pas de cela. Non, non. J’ai
connu Lyman après mon retour d’Europe; c’était en 1931. J’étais là en 1928,
29, 30 et 31. Quelques temps après ce�e période, j’ai connu…
HILL :
Qu’est-ce que vous… Étudiiez-vous en Europe?
MUHLSTOCK :
Oui, je peignais avec un peintre français qui se nommait Biloul. Louis
François Biloul; j’ai travaillé à son atelier pendant trois ans. Donc, je n’ai
pas papillonné de l’un à l’autre et au suivant, comme le faisaient certains
des jeunes Américains. Ils voulaient simplement pouvoir réciter leur liste :
« J’ai étudié avec Léger et j’ai étudié avec… ». Vous savez, ils possédaient
de longues listes de noms et ils… et je me rappelle l’atelier, par exemple, où
Léger, son nom figurait sur la liste de professeurs. C’était dans le voisinage
de l’Académie de la Grande Chaumière, et j’ai découvert plus tard qu’il
venait une fois par mois, ou parfois deux fois par mois. Il se présentait à
l’Académie et regardait autour de lui, échangeait quelques mots avec les
étudiants qui se trouvaient là, puis il partait. Et ils pouvaient… ils étaient en
mesure de dire quelque chose comme : « Nous avons étudié avec Léger »,
vous voyez. Puis, ils essayaient auprès de quelqu’un d’autre. S’ils arrivaient
à s’inscrire à un cours donné par Matisse, ils allaient lui parler de façon à
pouvoir dire qu’ils étaient élèves de Matisse. Je sais que John Lyman a été
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élève de Matisse.
HILL :
Oui, aux tout débuts.
MUHLSTOCK :
Oui, c’est exact.
HILL :
Parlait-il parfois de ses études avec Matisse?
MUHLSTOCK :
Oui, bien sûr. Lyman — oui, parce que — il n’avait pas à le faire, parce
qu’on le savait. Il a souvent tenté d’imiter le style de Matisse.
HILL :
Quel genre de formation Lyman a-t-il reçu de Matisse? Le savez-vous?
MUHLSTOCK :
Ça, je l’ignore. Je ne sais pas. Il était peut-être suffisant de se trouver dans
l’atmosphère du peintre. Cela, je ne le sais pas.
HILL :
Quel genre de formation avez-vous reçu chez Biloul?
MUHLSTOCK :
Eh bien, c’était… Biloul? C’était académique. Il admirait les portraits de
Titian et de Velásquez. C’est à ce�e école que Biloul adhérait, et dans son
atelier, on ne parlait pas de Matisse, de Rouault, de Braque ou de qui que
ce soit d’autre. Il était… nous respections cela. Nous ne reme�ions pas trop
ce�e vision en question, mais nous nous faisions une idée personnelle, bien
sûr.
HILL :
Avez-vous assisté à plusieurs expositions pendant que vous étiez à Paris?
MUHLSTOCK :
Eh bien, les fins de semaine, en fait, parce que j’étais à la tâche du matin au
soir. Je me rendais là; j’étais l’un des premiers arrivés dans la salle de classe
le matin, et je qui�ais son atelier à environ quatre heures de l’après-midi. Je
traversais Montparnasse à pied, je m’arrêtais prendre un café ou, parfois,
un petit verre, puis je me rendais à la Grande Chaumière où je dessinais
des esquisses pendant quelques heures; une sorte de dessert, quoi. C’était
comme ça six jours par semaine. Donc, même… Trois ans après, je ne
connaissais toujours pas Paris. À part mes visites au Louvre, et comme je
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m’intéresse à la musique, j’allais à des concerts, parfois deux ou trois soirs
par semaine. À ce�e époque, les concerts nous offraient la meilleure musique
qui soit. À cinq francs le billet, donc vingt cents par billet pour les étudiants
et, souvent, des billets gratuits pour aider à remplir la salle (Hill rit). Alors,
ils laissaient des billets pour les étudiants à la Maison canadienne. Nous
avions…
HILL :
Vous viviez à la Maison canadienne?
MUHLSTOCK :
C’est exact, oui. J’ai toujours habité là.
HILL :
Êtiez-vous là… étudiiez-vous là toute l’année?
MUHLSTOCK :
Où?
HILL :
Avec Biloul?
MUHLSTOCK :
Oui, c’est-à-dire, sauf pendant les mois d’été.
HILL :
Que faisiez-vous pendant les mois d’été?
MUHLSTOCK :
Pendant les mois d’été, j’allais… le premier été, je suis allé en Bretagne. J’ai
peint là-bas trois mois durant. C’était en 29. C’est en 28 que j’ai commencé
la saison. À la première saison, en 29, je suis allé en Bretagne, puis en
1930, j’ai passé un certain temps en Belgique pour voir les musées. C’était
à l’occasion du centenaire de leur indépendance, j’ai donc eu la chance
d’admirer certaines des plus belles expositions de peinture flamande. Puis,
de là, je suis allé dans les Alpes françaises pendant trois mois. J’ai peint làbas pendant presque trois mois. Puis, à la fin de l’automne, je retournais à
l’atelier et je peignais toute l’année.
HILL :
C’est beaucoup.
MUHLSTOCK :
Eh bien, ça a été difficile pour moi. Vous voyez, les économies accumulées
pendant six ans, et six ans sans vacances; donc, je pense que j’ai pu avoir…
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après avoir acheté mon billet de bateau, il pouvait me rester peut-être deux
milles trois cents dollars que j’ai étirés sur trois ans, trois ou quatre ans. Je
portais une grande a�ention au repas important de la journée. Il coûtait
neuf francs, ce qui représente trente-six cents, et qui pourrait correspondre
aujourd’hui à… neuf francs, cinquante centimes, trente-huit cents… ou
quarante cents. Alors, c’était… je devais l’utiliser avec soin, et le faire
durer.
HILL :
Vous rappelez-vous un spectacle, une exposition ou un artiste qui a
particulièrement a�iré votre a�ention à ce�e époque?
MUHLSTOCK :
Tout. Autant qu’on… que mes yeux pouvaient en absorber Mais, comme
je vous le disais, je passais les fins de semaine au Louvre ou au Jeu de
Paume ou au Luxembourg ou dans de petits musées du Luxembourg.
Et, certains après-midi, comme ça, en marchant le long de rues où étaient
installées côte à côte des petites boutiques d’art, on entrait juste pour voir
ce qu’il y avait. Mais vous savez, je ne connaissais pas beaucoup de ces
noms de peintres. Ils étaient tous nouveaux pour moi, vous voyez. Nous ne
connaissions aucun de ces noms, ici; nous n’avions jamais vu d’exposition
à Montréal; c’était donc horrible de retourner à Montréal. C’était le néant,
le néant total. Donc, les seuls marchands que nous avions étaient, comme
je l’ai dit, les Galeries Watson et les Galeries Sco�. Sco� faisait la promotion
de la peinture contemporaine. Mais il y en avait peu; c’étaient des pionniers
à l’époque et l’une des expositions les plus importantes pour moi a été celle
de James W. Morrice, parce que j’y ai reconnu la bonne peinture de France.
La bonne peinture.
HILL :
Quand était-ce?
MUHLSTOCK :
Eh bien, c’était peut-être dans les… vers la fin de la dernière partie des
années trente, donc, peut-être au début de…
HILL :
Oh, la rétrospective? La rétrospective du Musée des beaux-arts ou celle de
la Galerie Sco�?
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MUHLSTOCK :
Non, ce n’était pas… je ne sais pas si c’était une rétrospective du Musée des
beaux-arts. Cependant, c’était… pour moi, il était le peintre. C’était le plus
important des bons peintres, vous savez. C’est dans ce sens qu’allaient mes
intérêts.
HILL :
Hum. Bien. Vous êtes revenu au Canada quand?
MUHLSTOCK :
En 31. Au printemps ou au début de l’été 31. Et j’ai connu Pellan à Paris.
HILL :
Oh, vous avez rencontré Pellan?
MUHLSTOCK :
Oui. Eh bien, il a habité à la Maison canadienne pendant un certain
temps. Ensuite, il a eu son propre atelier; puis Borduas a vécu à la Maison
canadienne en même temps que moi, pendant les trois années, oui.
HILL :
Oh, oui.
MUHLSTOCK :
Pellan avait été là avant, puis il avait poursuivi sa route. Pellan y est resté
environ quinze ans, je pense, quinze ou seize ans.
HILL :
D’accord. Quel genre de travail Pellan faisait-il quand vous l’avez connu làbas?
MUHLSTOCK :
Il travaillait à l’Académie de… j’ai oublié le nom de son professeur. Il était
connu à Paris, un des professeurs réputés de Paris, mais c’était encore le
style académique.
HILL :
Et Borduas?
MUHLSTOCK :
Borduas peignait dans son atelier, juste comme ça. Il a percé alors qu’il était
ici, pas pendant qu’il se trouvait à Paris.
HILL :
D’accord. Borduas a-t-il dit à qui il s’intéressait, ou savez-vous ce que
Borduas… à qui il s’intéressait plus particulièrement à ce�e époque?
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MUHLSTOCK :
À l’époque, il s’intéressait au peintre dans l’atelier duquel il travaillait.
HILL :
Il était à l’atelier de Maurice Denis?
MUHLSTOCK :
Exactement, Maurice Denis. C’est exact.
HILL :
Entretenait-il beaucoup de contacts avec Maurice Denis?
MUHLSTOCK :
Il a dû. Il était toujours là-bas. Il passait tout son temps à l’atelier de Maurice
Denis et je crois qu’ils avaient l’habitude d’aller à la messe tous les matins
avant de peindre.
HILL :
Pellan aussi?
MUHLSTOCK :
Non, Pellan n’était pas à l’atelier de Maurice Denis, non. Je crois qu’alors
Pellan s’intéressait déjà plutôt davantage à Léger. Oui, je pense que Léger
était son idole.
HILL :
Hum! A-t-il déjà étudié avec Léger?
MUHLSTOCK :
Il a pu. Il a pu, je l’ignore. Mais vous avez ça en archives.
HILL :
Eh bien, en fait, il n’existe pas beaucoup d’information sur ses débuts.
MUHLSTOCK :
De Pellan?
HILL :
Pellan, non.
MUHLSTOCK :
Eh bien, la bibliographie de ses expositions vous dirait tout cela avec
précision. C’est étonnant avec quel soin il enregistre tout.
HILL :
Exact.
MUHLSTOCK :
Je crois que c’est autour de 1934–35 que je me suis joint au Groupe canadien.
C’est Charles Comfort et Will Ogilvie qui me l’ont proposé à ce�e époque.
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HILL :
Comment êtes-vous entré en contact avec eux?
MUHLSTOCK :
Ils me connaissaient, donc…
HILL :
Bien, la première fois que vous êtes revenu, qu’avez-vous fait?
MUHLSTOCK :
Quand je suis revenu ici? Eh bien, c’était la Dépression, alors j’étais incapable
de peindre. Je n’avais pas d’argent pour acheter des toiles ni pour peindre.
Je vous montrerai des dessins bientôt. Sur du papier que nous obtenions
gratuitement, le papier d’emballage kra�. Nous dessinions sur ce papier.
Les gens n’achetaient pas, et nous étions jeunes à l’époque et inconnus, et
donc… je me souviens que j’ai eu une magnifique exposition au musée, ici,
en 1936. À l’Art Association de Montréal, qui est le Musée des beaux-arts de
Montréal, et de toute l’exposition, seul un dessin a été vendu pour vingtcinq dollars. Un petit dessin que j’avais fait à Paris.
HILL :
Eh bien, comment avez-vous gagné votre vie pendant ces années?
MUHLSTOCK :
Eh bien, ma famille était ici, et mon père et mon frère étaient marchands
de fruits. Ils achetaient les fruits chez des grossistes et les distribuaient à
leurs clients; donc, pendant un certain temps, je les ai aidés sur le camion.
Mais je ne savais pas conduire les camions; mon frère prenait le volant, je
m’assoyais derrière et je lui reme�ais la marchandise, ou je faisais un peu
de comptabilité. Mais on est parvenus à s’en sortir.
HILL :
Êtes-vous entré en contact avec des artistes alors, la première fois que vous
êtes revenu?
MUHLSTOCK :
Non.
HILL :
Vous avez donc été plutôt isolé, n’est-ce pas, pendant un certain temps?
MUHLSTOCK :
Oui. Je ne connaissais pas les artistes qui étaient ici. Je restais seul. Je ne
m’écartais pas de ma voie, ni à Paris ni ici, pour m’inviter à des ateliers
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d’artistes et ailleurs.
HILL :
Avez-vous gardé contact avec Borduas quand il est revenu?
MUHLSTOCK :
Non. Nous vivions à la Maison canadienne, mais, en quelque sorte, nous…
nous nous levions tôt le matin. Il allait à son école. J’allais à la mienne, et
en soirée, j’avais mes occupations. Quelques amis là-bas; nous allions dans
une direction et il partait avec les autres. J’ignore quels étaient ses amis à
Paris, mais, vous savez, nous étions là ensemble.
HILL :
D’accord.
MUHLSTOCK :
Nous prenions le petit déjeuner le matin et nous nous disions bonjour, et
c’était tout.
HILL :
En 19… bon, avez-vous entendu parler, lorsque vous étiez à Montréal
pendant ces années, de l’atelier de John Lyman?
MUHLSTOCK :
Lorsqu’il donnait des cours privés?
HILL :
À son école, il a eu une école pendant deux ans.
MUHLSTOCK :
Hum! Eh bien, je ne sais pas si je… je ne savais pas cela non plus. Je pense
que je savais qu’il enseignait ou qu’il avait un… mais je ne savais pas que…
l’appelait-on l’Atelier Lyman?
HILL :
On disait seulement l’Atelier.
MUHLSTOCK :
Oh, l’Atelier; non, je ne me souviens pas de cela du tout, et je n’y suis jamais
allé non plus.
HILL :
En 32, on a a�aqué le Musée des beaux-arts. Des gens de l’Académie ont fait
circuler une pétition pour expulser Eric Brown. Vous en souvenez-vous?
MUHLSTOCK :
Oui. C’était… ils s’opposaient à l’exposition qui était organisée pour…
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présentée en Angleterre. Je pense que c’était celle-là et qu’ils n’en faisaient
pas partie.
HILL :
Eh bien, c’est ce qu’ils ont dit.
MUHLSTOCK :
Je crois que oui, non?
HILL :
C’est ce qu’ils ont dit.
MUHLSTOCK :
Je crois que oui, mais à ce moment-là, j’étais encore à Paris.
HILL :
Bon, c’est de 1932 que je parle maintenant, fin 1932. Il y a eu une pétition
contre le Musée des beaux-arts, critiquant le favoritisme envers le Groupe
des Sept.
MUHLSTOCK :
Hum! Oui, ça déplaisait à l’Académie. Oui, je m’en souviens.
HILL :
Avez-vous signé la pétition?
MUHLSTOCK :
J’ai reçu une note qui m’a été envoyée à Paris par Dyonnet. Dyonnet
était président — soit président, soit secrétaire — de l’Académie royale
à l’époque, et il m’a écrit à Paris parce que j’étais un élève. Vous savez,
j’étudiais à… et il voulait que je la signe; je ne me souviens plus si je l’ai fait
ou non. Ça m’était présenté comme un genre de faveur ou de requête. Alors,
je ne me rappelle pas maintenant si j’ai signé ou pas, parce qu’à l’époque
ça ne signifiait absolument rien pour moi. J’étais loin de toute espèce de
querelle. Je n’avais rien à voir avec l’Académie; je n’étais pas membre de
l’Académie.
HILL :
Hum! Mais vous êtes resté à Paris jusqu’en 31?
MUHLSTOCK :
Mais ce�e pétition a été signée avant 32.
HILL :
C’est intéressant, parce que ce n’est pas le cas… elle a été envoyée au premier
ministre au printemps de 1932.
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MUHLSTOCK :
Oh, donc ils ont commencé au début de 1931, et l’exposition a eu lieu à
Londres.
HILL :
C’était en 1924.
MUHLSTOCK :
Non, il y en a aussi eu une autre, que j’ai vue à Londres en 1930.
HILL :
À Londres?
MUHLSTOCK :
Oui.
HILL :
D’art canadien?
MUHLSTOCK :
Oui. D’art canadien, oui.
HILL :
Je me demande quelle exposition c’était?
MUHLSTOCK :
Vous dites qu’elle a eu lieu en 24?
HILL :
Celle de Wembley s’est tenue en… c’était en 24 et en 25.
MUHLSTOCK :
Oh, Wembley.
HILL :
Je ne connais aucune exposition d’art canadien qui aurait eu lieu à Londres
dans les années trente.
MUHLSTOCK :
Il y en a eu une, et je l’ai vue et je…
HILL :
C’est très intéressant. Savez-vous où elle avait lieu?
MUHLSTOCK :
Je ne m’en souviens plus. C’était une galerie importante, et j’ai eu l’impression
à ce moment-là qu’elle ne l’était pas étant donné ce qu’on y faisait et les
choses que j’y ai vues.
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HILL :
À Paris?
MUHLSTOCK :
À Paris et à Londres, lorsque je suis allé à Londres. Donc, cela n’avait pas
l’air très… et peut-être que ce n’était pas de bons exemples ou mal choisis. Je
ne sais pas qui a organisé l’exposition, mais j’étais conscient de ce�e grande
différence, vous savez.
HILL :
Hum. Quand avez-vous séjourné à Londres?
MUHLSTOCK :
Ma visite a été brève. Peut-être une semaine ou deux juste pour voir les
galeries, et ça a pu être en 19… ce n’était pas en — c’était peut-être en 1930
ou 31.
HILL :
Hum. Quand avez-vous commencé à exposer avec le Groupe canadien?
MUHLSTOCK :
Oh, j’ai dû exposer peu après mon retour de Paris, parce qu’ils ne m’auraient
pas invité à me joindre à eux, s’ils n’avaient pas déjà vu certaines de mes
toiles. Donc c’était peut-être en 32, peut-être, 32 ou 33.
HILL :
Oui, le Groupe a été formé en 1933, le Groupe canadien.
MUHLSTOCK :
Hum! Eh bien, c’était peut-être en 33.
HILL :
Exact.
MUHLSTOCK :
Oui, et à partir de ce moment-là, j’ai participé à presque toutes les expositions
du Groupe qui ont eu lieu ici ou à Toronto. Nous alternions; et parfois au
Musée des beaux-arts.
HILL :
Donc, vous ne connaissiez ni Comfort ni Ogilvie avant ce moment?
MUHLSTOCK :
Je les ai connus à Toronto. Je crois que la première fois où je les ai rencontrés,
c’est lorsque j’ai visité l’atelier de Douglas Duncan, sur la rue Charles,
ou quand j’y ai exposé. J’ai aussi présenté mes œuvres à l’Art Gallery de
Toronto. Alors, c’est peut-être à ce moment-là que j’ai pu les rencontrer par
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l’entremise de Robert Ayre, qui était un critique d’art et un ami, ami intime
de Comfort et d’Ogilvie, alors…
HILL :
Hum!
MUHLSTOCK :
Combien de peintres du Groupe avez-vous interviewés, ou après eux?
HILL :
Eh bien, Montréal est mon premier arrêt, donc…
MUHLSTOCK :
Oh, c’est vrai?
HILL :
J’ai rencontré Mme Brandtner, la veuve de Fritz Brandtner.
MUHLSTOCK :
Oh, oui. Oui.
HILL :
Et j’ai vu la fille d’Alexandre Bercovitch.
MUHLSTOCK :
Hum! Bercovitch n’était pas membre du Groupe, cependant.
HILL :
Non. Mais, je ne fais pas un… je ne me concentre pas sur le Groupe.
MUHLSTOCK :
Oh, je vois. Oh oui, c’est juste la période qui suit…
HILL :
Seulement les années trente en général.
MUHLSTOCK :
Oui. Oh oui, oui. Parce que je connaissais Bercovitch. J’ai été le premier à
rencontrer Bercovitch lorsqu’il est arrivé de la Russie.
HILL :
C’était quand?
MUHLSTOCK :
C’était en 1926, je crois.
HILL :
Et vous l’avez rencontré à ce moment-là?
MUHLSTOCK :
Oui. Je travaillais pour un des membres de sa famille dans le… il était
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importateur de fruits, et donc Bercovitch a visité l’endroit et je l’ai rencontré;
ensuite, j’ai vu son travail. Évidemment, ça m’a intéressé.
HILL :
Quel genre de peinture faisait-il à l’époque?
MUHLSTOCK :
Oh, il a rapporté certaines belles, très belles peintures à la tempera qu’il a
faites…
[Fin du clip 1]
[Début du clip 2]
MUHLSTOCK :
… quelque part en Russie centrale, au Turkestan.
HILL :
Savez-vous où se trouvent ces œuvres maintenant?
MUHLSTOCK :
Non. Je crois que certaines des plus belles choses qu’il ait faites sont de ce�e
période dans les années 1920. Et, bien sûr, il est arrivé ici avec son épouse
et ils avaient un ou deux enfants. Et c’était pire pour lui que pour les autres,
parce qu’il n’était pas connu et ne connaissait pas la langue, et il n’avait pas
d’autre métier que celui de peintre. Il a donc dû connaître des difficultés.
HILL :
Vous rappelez-vous certaines oeuvres qu’il a faites plus tard et qui vous ont
impressionné?
MUHLSTOCK :
Eh bien, c’était un bon peintre. Il faisait des paysages et des scènes de port,
et des peintures du Mont-Royal; il a aussi fait quelques portraits ici, mais
sur commande. Ses clients ne le payaient pas très bien, parce que les gens
qui posaient pour lui n’étaient ni riches ni importants. Mais, à mon avis, les
plus belles choses qu’il ait faites sont celles qu’il a apportées.
HILL :
Vraiment?
MUHLSTOCK :
Oui. Je ne crois pas qu’il ait jamais égalé ces œuvres, et c’était le résultat des
conditions de…
17
HILL :
Y-a-t-il eu la moindre tentative d’organiser les artistes durement touchés
par la Dépression?
MUHLSTOCK :
Ici? Non.
HILL :
Il n’y a eu aucun… connaissait-on les initiatives américaines tels les projets
de la WPA (Works Projects Administration)?
MUHLSTOCK :
Eh bien, nous, les artistes, savions que ça existait, mais rien d’autre n’a été
fait ici.
HILL :
Aucun effort n’a été fait?
MUHLSTOCK :
Absolument aucun, non.
HILL :
Les artistes eux-mêmes n’ont pas tenté de faire appel au gouvernement?
MUHLSTOCK :
Non, non, non.
HILL :
Pourquoi ne l’ont-ils pas fait à votre avis?
MUHLSTOCK :
Parce qu’il n’y avait pas d’organisation. Ils ne faisaient pas… ils ne se sont
jamais regroupés. La première association d’artistes a été la Fédération des
artistes canadiens qui a été formée à Kingston par Biéler. C’était la première
fois que des artistes canadiens se réunissaient; et la seule autre réunion a
servi à planifier la rencontre annuelle de la réunion annuelle suivante (Hill
rit) de l’Académie, ou de l’OSA, ou du…
HILL :
Eh bien, pourquoi ces organisations n’ont-elles pas fait appel au
gouvernement?
MUHLSTOCK :
Peut-être que ceux qui étaient plus connus gagnaient suffisamment…
gagnaient assez pour ne pas s’en soucier, ou…
18
HILL :
Et qu’ils ne souhaitaient pas faire quelque chose pour ceux qui n’avaient
pas assez d’argent?
MUHLSTOCK :
Non, non.
HILL :
La pauvreté associée à ces années-là créait-elle de l’amertume parmi certains
artistes? Ou croyez-vous…
MUHLSTOCK :
De l’amertume envers qui?
HILL :
Eh bien, envers, disons, les portraitistes au style académique…
MUHLSTOCK :
Il y en avait peu de toute façon.
HILL :
Eh bien, Dyonnet en était un.
MUHLSTOCK :
Dyonnet, un portraitiste? Non, mais ils n’avaient pas de commandes. Le
seul à obtenir des commandes, c’était Jongers. Il avait un atelier au Ritz
Carlton, puis il y a eu Mme Newton. Lilias Torrance Newton; elle a reçu des
commandes de portraits. Il y a un portrait qu’elle a peint de moi, au Musée
des beaux-arts du Canada.
HILL :
Il est vraiment beau. Vous plaît-il?
MUHLSTOCK:
Oui, c’était un bon portrait, mais j’étais un bon modèle. J’étais très patient.
HILL :
Comment êtes-vous entré en contact avec Lilias Newton? Comment l’avezvous rencontrée?
MUHLSTOCK :
Elle suivait un de mes cours sur le croquis.
HILL :
Oh, et puis quand le portrait a-t-il été peint?
MUHLSTOCK :
Je ne me rappelle pas l’année, mais je crois qu’elle l’a soumis à l’Académie.
Lorsqu’elle a été invitée à devenir membre de l’Académie, c’était son…
19
HILL :
Exact.
MUHLSTOCK :
J’étais un modèle très patient à ce�e époque-là. J’avais l’impression de l’aider.
Elle désirait faire un portrait, et une fois ou deux j’ai senti qu’elle s’égarait
ou qu’elle se décourageait un peu, donc, je l’ai encouragée à poursuivre et
ça a donné de bons résultats.
HILL :
Je crois que c’est vraiment l’un de ses meilleurs portraits.
MUHLSTOCK :
Elle avait un bon atelier, un magnifique atelier. Et c’était à une époque où
j’étais tellement impatient de peindre, vous savez. J’étais assis là, tout en
ressentant que j’aurais dû peindre au lieu de seulement rester assis. Une
fois que je me suis engagé, je suis allé jusqu’au bout moi-même. Je suis allé
jusqu’au bout.
HILL :
Quand avez-vous recommencé à peindre? Vous dites que, pendant un
certain temps, vous n’aviez pas les moyens d’acheter quoi que ce soit.
MUHLSTOCK :
Eh bien, nous ne pouvions pas nous perme�re d’utiliser des toiles ou de
la peinture, mais je travaillais tout le temps. Je m’arrangeais. Je dessinais
au lieu de peindre; je dessinais beaucoup. Je prenais des gens dans la rue
et je leur demandais de poser pour moi; je n’avais pas à payer très cher à
l’époque. Ils étaient heureux de pouvoir entrer dans une pièce où s’asseoir
et être au chaud; et souvent, nous préparions un bol de soupe et…
HILL :
Alors, à ce�e époque, vous avez fait le dessin d’une personne avec les
coudes sur les genoux.
MUHLSTOCK :
Oui, en effet. Je vais vous en montrer un.
HILL :
Y a-t-il eu une période où vous n’avez fait aucune huile?
MUHLSTOCK :
Oui, pendant une longue période.
20
HILL :
Et quand avez-vous recommencé à peindre à l’huile?
MUHLSTOCK :
Oh, je ne sais pas. Aussitôt que j’ai pu acheter un peu de peinture et des toiles.
Ou, s’il n’y avait pas de toile, nous utilisions des panneaux d’aggloméré
recouverts d’une mince couche de gomme-laque (shellac). N’importe quoi;
ou du papier, on pouvait peindre sur du papier. Pourvu qu’on peigne; on
avait l’impression qu’il importait peu que ça subsiste ou pas ou… ce n’était
pas important.
HILL :
Comment avez-vous commencé à rencontrer d’autres artistes de Montréal?
À peu près à quelle époque avez-vous commencé à rencontrer beaucoup
d’artistes?
MUHLSTOCK :
Comme je l’ai dit, le seul moment où nous nous sommes en quelque sorte
rencontrés, c’est à l’occasion des séances du Groupe canadien qui servaient
de rencontre annuelle.
HILL :
Vous vous êtes rendu à Toronto pour ces réunions?
MUHLSTOCK :
Non. Eh bien, je suis allé à Toronto une fois ou deux. Je faisais partie du
jury de sélection, j’allais donc à Toronto. Je ne pouvais pas me payer le
voyage en train. Je n’allais pas aux rencontres qui se tenaient là-bas, mais
lorsqu’elles avaient lieu à Montréal, alors elles étaient planifiées ici et nous
préparions les séances, puis nous nous rencontrions. Et Lismer se trouvait
ici, il se chargeait du…
HILL :
Mais, n’était-ce pas beaucoup plus tard?
MUHLSTOCK :
Eh bien, oui, peut-être plus tard, mais Jackson et d’autres venaient à certaines
réunions. Sinon, nous avions… notre propre groupe prenait les décisions
ici et soume�ait le…
HILL :
De qui le groupe était-il formé, ici?
MUHLSTOCK :
Oh, je ne me rappelle plus à présent, une liste de noms.
21
HILL :
Avez-vous rencontré Prudence Heward à ce�e époque?
MUHLSTOCK :
Prudence Heward, oui, elle était là et Anne Savage et Mme Newton, et plus
tard, Goodridge Roberts. Il est arrivé plus tard, bien sûr.
HILL :
Quel genre de peinture Prudence Heward faisait-elle à l’époque?
MUHLSTOCK :
Eh bien, elle faisait des compositions à partir du corps humain.
HILL :
Vous rappelez-vous qui l’intéressait à l’époque, quels artistes?
MUHLSTOCK :
Non, elle était élève de Brymner et Anne Savage étudiait avec Brymner.
C’était un groupe de femmes. Elles étaient amies avec A.Y. Jackson; il a
pour ainsi dire adopté ce groupe de jeunes femmes, et elles l’admiraient,
mais elles peignaient à l’Art Association.
HILL :
Prudence Heward, comme dans son œuvre entre 32 et 36 ou 37, il y a un
changement dans son style, comme dans ses portraits des débuts. Ils sont
beaucoup plus durs.
MUHLSTOCK :
Oui, eh bien, ce changement résultait peut-être de ses séjours dans les
Bermudes. Je crois qu’elle a peint là-bas des petits enfants noirs ou des
femmes noires. Mais la lumière était différente, c’est ce qui a pu provoquer
le changement dans sa peinture…
HILL :
S’intéressait-elle à Frances…
MUHLSTOCK :
Il y a aussi Isabel McLaughlin, qui était également l’une des peintres du
Groupe.
HILL :
S’intéressait-elle à Frances Hodgkins à ce�e époque?
MUHLSTOCK :
Ça, je l’ignore. Je ne sais pas. Peut-être, je crois me rappeler le nom de
Hodgkins. Peut-être avait-elle une peinture ou possédait-elle l’une de ses
22
œuvres. Je pense en avoir vu une dans son atelier. Je pense, oui.
HILL :
D’accord. Oui, j’essaie de me rappeler quand elle l’a achetée. Ce n’est pas
un détail très important, mais je sais qu’elle était… elle avait, je crois, deux
œuvres de Frances Hodgkins, et je me demandais justement…
MUHLSTOCK :
Eh bien, je sais que le peintre que Lyman admirait beaucoup était Morrice,
bien sûr, James W. Morrice, oui.
HILL :
Tout à fait. Quand avez-vous connu Lyman?
MUHLSTOCK :
Eh bien, ça devait être dans les années trente, ou alors je l’ai connu lorsqu’il
a réuni plusieurs d’entre nous pour former la Société d’art contemporain.
Mais je ne rappelle plus maintenant quelle année c’était, dans les années
quarante, début années quarante?
HILL :
Non, c’était en 39.
MUHLSTOCK :
39?
HILL :
Mais vous connaissiez… vous aviez croisé Lyman auparavant, je crois? Il y
a eu une exposition en 37 à l’édifice de la Sun Life. L’exposition Produced in
Canada. Elle était organisée par Fritz Brandtner.
MUHLSTOCK :
Je ne me souviens pas du tout de ça. Brandtner avait organisé l’exposition?
HILL :
Oui.
MUHLSTOCK :
À l’édifice de la Sun Life dites-vous?
HILL :
Oui. Il y avait une exposition annuelle intitulée Produced in Canada, et une
partie était une exposition d’art.
MUHLSTOCK :
Non, je ne m’en souviens pas du tout.
23
HILL :
Est-ce que vous…
MUHLSTOCK :
Où avez-vous eu ce�e information? Par qui?
HILL :
Par un catalogue.
MUHLSTOCK :
Vraiment?
HILL :
Oui. C’est Philip Surrey qui possédait ce catalogue.
MUHLSTOCK :
Oh. Maintenant, Surrey… je ne me rappelle pas si Surrey était membre du
Groupe des Peintres canadiens. Je ne crois pas.
HILL :
Il avait exposé avec eux. J’ignore s’il était membre.
MUHLSTOCK :
Hum, parce que je n’ai aucun souvenir de lui aux réunions.
HILL :
Non?
MUHLSTOCK :
Et, bien sûr, lorsque nous étions membres de la Société d’art contemporain,
nous n’exposions pas avec l’Académie royale. J’ai été invité à deux reprises
à faire partie de l’Académie et j’ai refusé, parce que j’appartenais à… et bien
sûr l’Académie royale n’aurait rien accepté qui ne soit très académique, de
telle sorte que tout ce qui aurait été plus... A.Y. Jackson était le seul membre
du Groupe des Sept à faire partie de l’Académie. Et Lismer a été un associé
de l’Académie pendant presque toute sa vie. Un associé. Je ne pense pas
qu’il était membre à part entière.
HILL :
Il l’est devenu plus tard.
MUHLSTOCK :
Plus tard, oui, nous étions donc membres de… exposions avec le Groupe
canadien et la Société d’art contemporain, mais pas avec l’Académie.
HILL :
D’accord. Y avait-il de l’action politique? Je parlais à la fille de Bercovitch et
elle me disait qu’il y en avait quelque peu au sein de la communauté juive
24
du secteur St-Laurent, beaucoup d’activité politique. Étiez-vous impliqué
là-dedans d’une façon quelconque?
MUHLSTOCK :
Ça ne concernait pas du tout la peinture, cependant.
HILL :
Sauf que certains artistes étaient impliqués dans, disons, la League Against
War and Fascism.
MUHLSTOCK :
Oui. Oui, bien sûr.
HILL :
En faisiez-vous partie?
MUHLSTOCK :
Oui, dans le sens où nous assistions aux réunions et nous écoutions les
conférenciers et les sympathisants; nous donnions même des dessins ou
des peintures pour aider à réunir des fonds. Bien sûr, la Ligue contre la
guerre et le fascisme, certes, et nous assistions aux assemblées communistes
également, qui avaient lieu à la salle Prince-Arthur. Mais ça n’avait rien à
voir avec la peinture, vous savez.
HILL :
Mais, prenons une personne comme Fritz Brandtner. Pensez-vous que ce
genre d’implication politique affectait son travail?
MUHLSTOCK :
Non, non. Ça ne l’affectait pas du tout.
HILL :
Et pour vous, vos dessins de personnages…
MUHLSTOCK :
Eh bien, mes dessins de personnages c’étaient mes sentiments envers les
gens. Ça n’avait rien…
HILL :
Ça n’avait rien à voir avec la politique… une tentative d’art social ou…
MUHLSTOCK :
Non, non. C’était seulement ce que je ressentais envers les gens, parce
que j’avais l’habitude de descendre passer du temps dans les cliniques et
les hôpitaux. Je m’assoyais simplement là et je regardais les gens, puis je
prenais quelques notes à la sauve�e pendant qu’ils n’étaient pas conscients
25
d’être observés. Et je vous montrerai des dessins de personnes dormant à
la ferme Fletcher
Fletcher, recroquevillés, leurs quelques biens en guise d’appuietête, leurs bo�es, leurs chaussures, ou une veste; ou en train de dormir sur
les bancs, etc. Ensuite, pendant la guerre, j’ai passé plusieurs mois dans les
chantiers navals à dessiner des gens au travail. Des riveurs, des burineurs,
des crockers (ep?) et des aléseurs, mais il s’agissait encore de gens. L’effort,
l’atmosphère dans un endroit comme celui-là; c’était différent. Mais, ce
n’était pas le genre de dessin ou de peinture contre la guerre ou contre le
fascisme; vous savez, montrer le travailleur, le travailleur très musclé, et le
patron avec son gros cigare ou son gros ventre. Vous savez, ce genre de…
ce n’était pas du tout ce genre de dessin ou de peinture.
HILL :
Pourtant, c’est… c’était dans une certaine mesure un nouveau développement
de l’art canadien. C’est votre intérêt pour la figure humaine…
MUHLSTOCK :
Non, ce n’était pas un développement; c’était une atmosphère.
HILL :
De quelle manière?
MUHLSTOCK :
L’atmosphère, nous étions… nous vivions près de là, donc ça m’était familier.
Je ne connaissais pas de manoir à Westmount et n’éprouvais rien pour ce
genre-là. Pour moi, il y avait beaucoup plus de caractère là dedans; je vous
montrerai certaines choses. Dans la porte ou l’entrée ou un volet fermé ou
un mur de briques négligé. Un arbre abandonné qu’on peut voir sur le mur.
J’éprouvais le même type de sentiment pour ces choses, et la démarche était
presque la même que pour les deux hommes dormant à la ferme Fletcher.
C’était une forme. C’était quelque chose que j’avais connu, dont j’avais fait
l’expérience et que j’avais vu. C’est donc le sujet que je désirais exprimer.
HILL :
D’accord. Ce que je voulais dire, en quelque sorte, par le changement dans
l’art canadien per se, en tenant compte de l’évolution du Groupe en entier,
vous savez, ce�e tentative pour… le Canada, c’est des paysages.
MUHLSTOCK :
Oui, mais non. Pour moi, le Canada n’était pas que paysages.
26
HILL :
D’accord.
MUHLSTOCK :
J’ai peint des paysages. J’ai peint des paysages, mais j’ai trouvé une chose
très étrange. Un jour, j’ai rencontré John Lyman et je l’ai questionné à propos
de son travail et il a répondu : « Je ne comprends pas comment quelqu’un
peut travailler dans ce pays. » Et j’ai pensé, quelque chose ne va pas chez
cet homme, parce qu’il y avait tant à peindre. Mais, il vivait encore dans ces
belles années en France, et dans le sud de la France et à Alger, et l’école de
Matisse, et les environnements magnifiques qu’il avait connus. Et ici, il est…
mais il y avait indéniablement les gens, les paysages et les Laurentides. Il
habitait dans les Laurentides; et les Laurentides étaient certainement assez
belles pour être peintes. Dans la lumière du soleil, elles sont aussi riches que
n’importe quoi dans le sud de la France. Mais il a dit : « Je ne comprends
pas comment quelqu’un peut peindre ici. »
HILL :
Et il faisait davantage référence au sujet qu’au climat artistique?
MUHLSTOCK :
Oui, exactement.
HILL :
Manque de sujet.
MUHLSTOCK :
Manque de sujet, et il y en a… cent vies et vous ne pourriez les épuiser tous,
donc…
HILL :
Quand vous discutiez, disons avec Lyman, de quelles sortes de théories
d’art parlait-il?
MUHLSTOCK :
Je ne… nous n’avons jamais discuté de la théorie en art.
HILL :
L’avez-vous jamais fait avec Brandtner?
MUHLSTOCK :
Non, non. Avec lui non plus. Brandtner avait sa façon d’aborder la
composition et il avait son agencement de couleurs et son utilisation des
combinaisons de couleurs, et une fois… je trouvais cela amusant parfois, ou
très étrange. Il est venu nous visiter à la campagne, dans les Laurentides,
27
et nous sommes montés sur la colline pour y peindre ensemble. La journée
était magnifique, et il a emporté environ une demi-douzaine de bouteilles
d’encre, de petites bouteilles, et du papier. Il a fixé son papier à l’aide de
pinces et en moins de cinq minutes il avait réalisé une esquisse rapide de
la topographie. La forme des collines et le paysage qui s’étendait devant
nous. Puis il a trempé son pinceau dans l’encre noire et en a maculé tout
le ciel. J’ai dit : « Mon dieu! » Il n’est pas nécessaire de monter jusqu’ici…
de se rendre dans les Laurentides pour y admirer ce merveilleux bleu » —
comme un joyau — « pour ensuite le peindre d’un noir solide. » Après
avoir peint son ciel en noir, il choisissait une couleur qui s’harmonisait au
noir, comme le vermillon. Les collines seraient vermillon au lieu de vertes.
J’ai dit : « Vous pourriez faire ça chez vous. » Au besoin, si vous aimez les
formes des montagnes ou l’espace que vous voyez, vous pouvez en faire un
croquis au crayon, et puis une douzaine d’esquisses, puis les emporter chez
vous pour y appliquer la couleur sous votre lumière artificielle sur la table
inclinée. Donc, nos approches étaient différentes. Et nous n’en discutions
pas. Je savais ce qu’il faisait et je savais à quoi m’a�endre du… alors... Nous
ne parlions pas de cela. Je ne lui ai pas demandé : « Pourquoi procédezvous de ce�e manière? »
HILL :
Qu’est-ce que les autres artistes, ou que pensiez-vous de ses œuvres abstraites,
à l’époque?
MUHLSTOCK :
Eh bien, je crois que c’était l’un des premiers peintres abstraits dans ce�e
ville, certainement bien avant plusieurs autres.
HILL :
Pensez-vous qu’il ait influencé certains autres artistes d’une façon
quelconque?
MUHLSTOCK :
Mais c’est arrivé… je ne crois pas, non. C’est arrivé, bien sûr… il a ramené
ça d’Allemagne, parce qu’il connaissait le Groupe [Die] Brücke ou était au
courant de son existence.
HILL :
Quel groupe?
28
MUHLSTOCK :
Le groupe, le groupe du Pont, peu importe le nom qu’on lui donne. Les
jeunes gens qui peignaient peu après la guerre de 1914–1918, vous savez,
les… donc, il connaissait leur travail et il a été en mesure de l’assimiler très
rapidement. Il pouvait à peu près tout faire. Il apprenait très vite; mais ce
n’était pas un innovateur.
HILL :
Pourquoi dites-vous cela?
MUHLSTOCK :
Eh bien, c’était de la peinture abstraite, mais du déjà vu, que nous
connaissions déjà, qui avait déjà été faite vingt ans auparavant, ou vingtcinq, trente ans avant, vous voyez.
HILL :
Hum!
MUHLSTOCK :
Parce que le cubisme, le cubisme existait avant Brandtner, vous voyez, mais
il l’a récupéré et s’en est bien servi. Mais il a été l’un des premiers à… et
puis, bien sûr, Pellan. Lorsque Pellan est revenu, Pellan avait de l’influence,
parce qu’il était Canadien français, les jeunes peintres étaient rassemblés
autour de lui, ses disciples. Et quand Borduas a fait la première exposition
de ses… comment les appelez-vous? Ces toiles très dégagées et très libres,
presque peintes les yeux fermés, sans réfléchir.
HILL :
Les gouaches « automatiques »?
MUHLSTOCK :
Oui, les Automatistes. Il a donc exercé très rapidement une influence sur le
groupe des jeunes, particulièrement pendant qu’il enseignait à l’École du
meuble. Ils ont commencé à l’imiter au point où il était impossible de voir
une différence entre Borduas et ses élèves. On ne savait pas qui les avait
peintes. Là encore, vous voyez, ils étaient jeunes et ils… il avait beaucoup
d’influence.
HILL :
Hum!
MUHLSTOCK :
Les changements se sont donc produits, vous voyez.
29
HILL :
Avant, disons 1939, était-on bien conscient du surréalisme? En entendiezvous beaucoup parler?
MUHLSTOCK :
Avant 1939?
HILL :
Oui. Ou avant 1940, disons.
MUHLSTOCK :
Du surréalisme?
HILL :
Oui.
MUHLSTOCK :
Je ne sais pas. Ici, nous n’avions certainement pas l’occasion de voir de telles
peintures.
HILL :
Eh bien, et l’exposition à la Galerie Sco�? Lyman était-il d’une quelconque
manière responsable de ces expositions?
MUHLSTOCK :
À la Galerie Sco�?
HILL :
Oui.
MUHLSTOCK :
C’est possible, parce que c’était un ami du jeune Sco�, M. Sco� fils. Il a pu
aider à choisir ou suggérer des noms de peintres à inviter ou faire venir; et je
me rappelle la Galerie Lefèvre. Ce sont eux qui envoyaient des expositions
à Montréal.
HILL :
Croyez-vous que ces expositions ont eu une certaine influence?
MUHLSTOCK :
Oui, peut-être, sur les jeunes peintres.
HILL :
C’est ce que je veux dire, oui.
MUHLSTOCK :
Oui, elles ont joué un rôle, parce qu’elles rapportaient un peu de… c’était
un peu comme une transfusion sanguine, mais autrement, nous n’avions
rien. Il restait toujours le même nombre de toiles à l’Art Association; nous
30
connaissions très bien leur position et exactement quand nous monterions
l’escalier. Nous savions exactement ce que nous verrions, et la seule fois
qu’ils les ont fait décoller (?), c’était pour l’exposition printanière annuelle
ou celle de l’Académie royale. C’est tout. Rien de plus, donc. Puis, la Galerie
Watson présentait les quelques peintres académiques. Maurice Cullen,
Horne Russell, Robert Pilot, et seulement quelques autres.
HILL :
Hum! Les artistes lisaient-ils pour la plupart les articles de Lyman dans The
Montrealer? Considérait-on ces écrits comme plutôt marquants?
MUHLSTOCK :
Non, je ne crois pas. Je ne crois pas. Premièrement, le tirage était faible et,
s’ils étaient lus, c’était par ses élèves ou les quelques amis qu’il avait ou qui
assistaient à ses cours. Ce sont probablement eux qui s’y intéressaient, mais
autrement…
HILL :
Après la fermeture de l’Atelier, a-t-il continué à enseigner?
MUHLSTOCK :
On l’a invité à… j’ai oublié en quelle année l’école à l’Université McGill, les
beaux-arts…
HILL :
C’est pas mal plus tard.
MUHLSTOCK :
C’est plus tard. Autrement, il peignait seulement, et il n’y avait pas d’école.
Je crois qu’Allan Harrison était l’un de ses élèves là-bas, et John Fox aussi,
je pense
HILL :
D’accord.
MUHLSTOCK :
Oui, je crois que oui. À moins que John Fox n’ait été l’élève de…
HILL :
De Roberts?
MUHLSTOCK :
Non, non. Non, non. Avec Lyman.
HILL :
Quand avez-vous rencontré Goodridge Roberts pour la première fois?
31
MUHLSTOCK :
Je ne m’en souviens plus. Je pense que c’était à l’une de ses premières
expositions au Club des arts; une très belle présentation d’aquarelles. C’est
là que je l’ai rencontré. C’était une personne très silencieuse, vraiment
silencieuse. Un introverti. Même quand vous étiez avec lui dans une pièce, il
s’assoyait en silence. Il écoutait; il n’y avait pas beaucoup de conversation.
HILL :
Était-on bien conscient de l’art mexicain à ce�e époque, au milieu des années
trente?
MUHLSTOCK :
J’ai connu l’art mexicain en voyant Rivera à l’œuvre dans la ville de New
York.
HILL :
Oh, vous l’avez rencontré?
MUHLSTOCK :
Oui, je l’ai vu à l’époque où il travaillait là, à la Workers School.
HILL :
Vraiment?
MUHLSTOCK :
Oui, je me souviens avoir pris un instantané de lui. Il est descendu pour
se reposer un peu; il était donc là en salope�e et je visitais New York à ce
moment-là et j’avais une petite caméra avec moi. Je lui ai dit : « Est-ce que
ça vous dérangerait? » Il a répondu : « Pas du tout ». Il a pris la pose. Mais,
c’était bien de le voir à l’œuvre. J’ai connu deux jeunes gens qui l’assistaient.
Ils lui préparaient une surface, afin qu’il puisse couvrir cet espace pendant
la journée, et ils transféraient aussi certains de ses grands dessins qu’il
avait sur de vastes feuilles de papier. Ils perforaient le dessin, puis ils y
projetaient une fine poussière noire et cela laissait une empreinte sur la
surface humide.
[Fin du clip 2]
[Début du clip 3]
HILL :
Y avait-il quelqu’un ici, à Montréal, qui faisait des murales.
32
MUHLSTOCK :
Non, non. Il n’y a pas une seule murale à Montréal. Nulle part.
HILL :
Est-ce que vous ou quelqu’un d’autre, vous savez, avez parlé de réaliser
une œuvre de ce genre?
MUHLSTOCK :
Non, je peignais au chevalet. Je n’en ai jamais exécutée. Je n’ai jamais vu de
surface murale, non, jamais.
HILL :
Bon, selon vous, d’où vient l’intérêt de Stanley Cosgrove pour l’art
mexicain?
MUHLSTOCK :
Eh bien, il s’est rendu à Mexico et il a travaillé pendant un certain temps
avec Orozco.
HILL :
À votre avis, je veux dire, quels contacts ou quelle stimulation a-t-il eus
pour faire cela?
MUHLSTOCK :
Je l’ignore. Je ne sais pas quel… peut-être était-il capable de se payer le
voyage à Mexico à ce�e époque et qu’une fois sur place, il est allé voir
Orozco. Il a pu être son assistant, comme les quelques jeunes gens que j’ai
vus à New York et qui assistaient Rivera.
HILL :
D’accord. Dans les années trente, s’intéressait-on un peu à l’art allemand à
Montréal?
MUHLSTOCK :
Non. Nous n’avons jamais rien vu de la sorte, si ce n’est de petites
reproductions que nous connaissions déjà. C’est d’abord Brandtner qui me
l’a fait connaître, parce que je me suis lié d’amitié avec lui peu après son
arrivée à Montréal.
HILL :
Et Bercovitch?
MUHLSTOCK :
S’il connaissait l’art mexicain?
33
HILL :
Non, je suis désolé. Allemand.
MUHLSTOCK :
Oh, allemand? Non.
HILL :
Eh bien, il a réalisé des ensembles pour des pièces de théâtre… (inintelligible)
et le Chœur juif de Montréal. J’ai vu un dessin réalisé pour l’un d’eux; c’est
très expressionnisme allemand. Avez-vous vu ces œuvres à l’époque?
MUHLSTOCK :
Non, non. Le pauvre homme; la première commande qu’il a reçue, c’était
de peindre une enseigne sur le mur du commerce de fruits où je travaillais
pour ce… un parent de Bercovitch. C’était un vieux mur sale en briques, et
il a peint le nom de l’entreprise et une nature morte composée de bananes,
de raisin, de pommes et d’oranges sur ce vieux mur sale. C’était sa toute
première introduction au monde des beaux-arts, à l’art au Canada, le
pauvre.
HILL :
Affreux.
MUHLSTOCK :
Oui, parce que ça se trouvait dans le quartier pauvre de… juste sous les
voies de chemin de fer où arrivaient les wagons de marchandises. Les murs
étaient noirs de suie, vous voyez, et il devait peindre par-dessus.
HILL :
Ça n’existe plus, donc?
MUHLSTOCK :
Non, non. Oh, non. Ça a été effacé.
HILL :
À ce�e époque, aviez-vous des contacts avec des artistes francophones de
Montréal?
MUHLSTOCK :
Non, avec aucun.
HILL :
N’y avait-il pas là un clivage plutôt important? Le groupe qui est en quelque
sorte… bon, connaissiez-vous Les Anciens des beaux-arts?
MUHLSTOCK :
Non, parce que je n’étais pas considéré comme un étudiant des Beaux-Arts.
34
J’aurais probablement pu faire partie des Anciens, mais j’étais seulement…
j’assistais aux cours de l’École des beaux-arts deux fois par semaine, et
uniquement en 26 et 27. En 28, j’étais en… donc, j’ai fréquenté l’École des
beaux-arts pendant seulement deux saisons, et je n’étais pas considéré
comme un étudiant. Et en fait, j’ai tenté de faire une demande pour une petite
bourse quand j’étais là, vous savez, pour étendre mon… et j’avais besoin
d’une le�re de recommandation de l’École des beaux-arts, vous savez, pour
prouver que j’étais Canadien, alors que je voulais habiter à Paris. Alors,
vous savez, Maillard, le directeur, m’a dit que, premièrement, je ne faisais
que suivre les cours du soir, et il voulait aussi savoir pourquoi je désirais
aller étudier à Paris, alors que je disposais des meilleurs professeurs français
juste ici à l’École des beaux-arts. Donc, ils ont dit non. C’était leur position.
Puis, deux des boursiers, ceux qu’on appelait boursiers de l’École des beauxarts, sont venus visiter Paris pendant que j’y étais. C’était Dufresne et le
jeune Iacurto, Frank Iacurto. Ils avaient mille dollars à se partager entre
eux. Ils avaient donc reçu chacun cinq cents dollars.
HILL :
Pour combien de temps?
MUHLSTOCK :
Pour visiter Paris, vous savez.
HILL :
Oh, je vois.
MUHLSTOCK :
Iacurto a donc frappé à ma porte en après-midi ou en soirée. Il a surgi
sans s’annoncer. Il était là, l’homme à la bourse, avec… et donc il a dépensé
la plus grande partie de son argent pour acheter un billet de paquebot et
il s’est acheté quelques beaux costumes et des bagages. En deux ou trois
jours, il s’est retrouvé à Paris sans argent. Il était… il a dû en emprunter,
donc voilà l’étendue de la… il n’existait aucun prêt. Pas de Conseil des Arts
du Canada, et rien d’autre.
HILL :
Hum! Mais, vous avez enseigné pendant presque toutes les années trente?
MUHLSTOCK :
Non, non.
35
HILL :
Vous avez dit que vous possédiez votre propre atelier?
MUHLSTOCK :
Oh, non. C’était… j’avais mon petit atelier dans Sainte-Famille, et environ
deux après-midi par semaine, oh, quatre ou cinq, parfois six personnes y
venaient et nous partagions un modèle.
HILL :
Oh, je vois.
MUHLSTOCK :
Je n’en tirais aucun avantage pécuniaire. En fait, plusieurs fois, j’ai réalisé
que je devais payer le modèle moi-même, parce qu’il y avait un concert
ce soir-là et, comme certaines des dames s’y rendaient, je me retrouvais
à payer pour le modèle. Bien sûr, j’avais du plaisir à dessiner. J’avais le
modèle à moi tout seul, mais je ne leur chargeais pas beaucoup par mois
pour… alors, ils payaient à la fin de la séance, quoi, cinquante cents ou
soixante-quinze cents. C’est tout. J’ai eu une une invitation pour enseigner
à l’École des beaux-arts, plus tard, bien sûr, et je l’ai refusée, parce que je ne
voulais perdre aucune de ces journées. Je les voulais à moi seul.
HILL :
Hum!
MUHLSTOCK :
Donc, quelques-uns des gars m’ont envié en apprenant que je pouvais dire
non à un poste d’enseignant.
HILL :
Parlait-on beaucoup, dans le cercle des artistes montréalais, des grandes
expositions internationales que l’on exportait à l’étranger? Des présentations
canadiennes comme l’exposition qui s’est rendue en Afrique du Sud en 36?
Y avait-il…
MUHLSTOCK :
J’y avais des œuvres, je pense. L’exposition s’intitulait The Southern
Dominions.
HILL :
Oui. Avait-on l’impression que…? Que pensaient les artistes de ces
expositions comme représentations de l’art canadien?
MUHLSTOCK :
Je l’ignore. Je l’ignore; on ne discutait jamais de ces choses-là. C’est le
36
Musée des beaux-arts qui a organisé ce�e exposition. Ils lançaient une
invitation et on leur soume�ait certaines œuvres, ou peut-être venaient-ils
en sélectionner eux-mêmes, je ne me rappelle plus. Mais, on n’en a jamais
discuté, par conséquent, je ne sais pas…
HILL :
Avait-on un peu l’impression que le Canada aurait dû être représenté à
l’Exposition de Paris?
MUHLSTOCK :
Ça, je ne le sais pas non plus, non. À nouveau, parce que... En quelle année
était-ce? En 3…
HILL :
En 37.
MUHLSTOCK :
37. Il n’existait aucune organisation, aucune formation de groupe, donc…
HILL :
Lyman a-t-il essayé d’organiser les artistes aussi tôt, disons, en 37?
MUHLSTOCK :
Quand la Société d’art contemporain (SAC) a-t-elle été formée?
HILL :
39.
MUHLSTOCK :
En 39. Eh bien, avant ça, nous n’étions pas regroupés. J’ignore s’il a fait…
s’il a entrepris des démarches ou communiqué avec qui que ce soit pour
faire en sorte qu’une telle exposition ait lieu.
HILL :
Les artistes de Montréal ont-ils tenté d’entrer en contact avec le Musée du
Québec?
MUHLSTOCK :
En quel sens?
HILL :
Eh bien, le Musée du Québec a-t-il fourni un appui, fait des acquisitions?
MUHLSTOCK :
Ils ont très peu acheté; ils n’avaient pas d’argent pour faire des
acquisitions.
37
HILL :
Et la Galerie d’art de Toronto?
MUHLSTOCK :
Même chose.
HILL :
Très peu de contact?
MUHLSTOCK :
Ils n’ont pas acheté beaucoup non plus. Il n’y avait pas d’argent.
HILL :
En 39.
MUHLSTOCK :
Oh, je me souviens qu’on a acheté une de mes peintures ici, pour le musée;
un paysage, un paysage de Montréal. Une belle toile.
HILL :
Quand a-t-elle été peinte?
MUHLSTOCK :
Je ne me souviens pas de l’année. Je ne tiens pas des registres semblables à
ceux de Pellan; cependant, c’était la première... J’ai fait une exposition ici et
Lismer était déjà à l’école. Il dirigeait en quelque sorte… ils n’avaient pas
de directeur officiel, mais il était responsable, et il a choisi un paysage pour
l’exposition. Un grand; j’ai oublié ses dimensions. Je vendais ce�e peinture
à l’huile deux cents dollars et il m’a demandé de la baisser, de la réduire,
parce qu’ils allaient construire un nouvel escalier à l’extrémité de la galerie,
le bel escalier qui conduit aux étages supérieurs. Ils l’ont donc réduit de deux
cents à cent soixante-cinq dollars. Ça a été ma contribution pour le nouvel
escalier. Je me suis dit à l’époque qu’ils auraient mieux fait de dépenser
les 100 000 dollars qu’a coûté cet escalier pour acheter des peintures. Ils se
seraient procuré de magnifiques choses pour 100 000 dollars. Ils auraient
obtenu des œuvres merveilleuses.
HILL :
Exactement.
MUHLSTOCK :
Au lieu de cela, il ont eu un escalier qui perme�ait de monter voir ce qu’ils
avaient déjà. On aurait pu... Un seul escalier, c’était bien suffisant.
HILL :
Certainement.
38
MUHLSTOCK :
Donc, chaque fois que vous monterez ces marches dorénavant, vous saurez
que je…
HILL :
Il y en a pour trente-cinq dollars à vous (rires). En tenant compte de l’inflation,
ça en vaut certainement deux cents maintenant. Qu’éprouvait-on… je pense
principalement aux artistes que Lyman connaissait. Qu’éprouvait-on envers
le Musée des beaux-arts? Les artistes de Montréal avaient-ils l’impression
que le Musée des beaux-arts les soutenait entièrement?
MUHLSTOCK :
Le Musée des beaux-arts ne soutenait aucun artiste, non. Ils n’offraient
aucun soutien.
HILL :
Ils appuyaient les artistes de Toronto avec une vigueur particulière.
MUHLSTOCK :
S’ils appuyaient les artistes de Toronto, alors c’était le Groupe des Sept. Ils
achetaient leurs œuvres. C’est tout.
HILL :
Oui. Mais, les artistes de Montréal éprouvaient-ils du ressentiment à ce
sujet?
MUHLSTOCK :
Ça, je ne le sais pas non plus. Je l’ignore. Je me rappelle que McCurry, qui
était directeur, n’était pas… ne comprenait rien aux œuvres d’art. Ça, je le
sais. Il a simplement accédé à ce poste lorsqu’Eric Brown est décédé. Étaitce lui qui administrait les affaires du Musée des beaux-arts?
HILL :
Non, il était directeur adjoint.
MUHLSTOCK :
Directeur adjoint. Eh bien, il s’est installé. Il a pris la place d’un homme qui
avait… qui était capable de savoir et de ressentir, et lui n’éprouvait rien
envers les œuvres d’art.
HILL :
Mais, Eric Brown n’est pas mort avant 1939. S’est-il intéressé aux artistes de
Montréal?
39
MUHLSTOCK :
Vous êtes en mesure de savoir ce que le Musée des beaux-arts a acheté…
quels tableaux ils ont acquis. Vous disposez des registres et des listes, donc
c’est assez facile; vous sauriez combien de toiles ils ont achetées et quelles
sommes ils ont investies dans des œuvres d’art. C’était une sorte de petite
charité, en fait.
HILL :
Vous n’avez jamais entendu Lyman éme�re des commentaires à ce sujet?
MUHLSTOCK :
Non. Lyman se trouvait en bonne posture et il n’avait pas besoin de vendre.
Bien sûr, votre prestique augmentait, vous savez, si le Musée des beauxarts achetait vos choses, mais il n’avait pas à s’en préoccuper, car il y avait
de l’argent dans la famille.
HILL :
Tout à fait.
MUHLSTOCK :
Il était en mesure de très bien vivre. Dans le confort, vous savez.
HILL :
Il a qui�é les Appartements Linton sur Sherbrooke. Savez-vous à quel
moment environ il a déménagé sur Oxenden?
MUHLSTOCK :
Non. Je me souviens qu’il avait un atelier sur l’avenue du Parc, juste au
nord de la rue Sherbrooke. Il avait un studio là; puis, ils sont allés sur
Tupper. Une maison juste au sud de Sainte-Catherine et à l’est d’Atwater,
ils ont donc leur belle maison là-bas; mais je ne me rappelle pas Oxenden.
C’est probablement sur Oxenden qu’il a eu son Atelier. Il a pu l’avoir à cet
endroit-là.
HILL :
Quel genre de communauté…, qui d’autre habitait ce quartier à l’époque?
MUHLSTOCK :
Ici?
HILL :
Dans ce secteur-ci.
MUHLSTOCK :
Dans ce secteur, eh bien, quelques maisons plus bas… c’est déjà transformé
en stationnement là… il y avait le studio de Laliberté, le sculpteur. Cet
40
atelier était à une époque… Maurice Cullen y avait peint, et je pense que
Suzor-Côté y a travaillé pendant un certain temps, et Jongers et ensuite
Pilot. Et, dans le même atelier, il y a eu Alfred… ou Jori Smith. Elle y avait
un studio avec son époux.
HILL :
Les Sco�…, Marian Sco� vivait-elle dans ce secteur?
MUHLSTOCK :
Marian Sco�, non, elle vivait… elle était mariée et vivait sur l’avenue
Ontario, je crois; c’est là que se trouvait leur maison. Oui, je crois qu’ils
habitaient sur l’avenue Ontario. Donc, connaissez-vous les noms et… allezvous rencontrer Marian Sco�?
HILL :
Je l’ai rencontrée l’autre soir.
MUHLSTOCK :
Oh, c’est vrai?
HILL :
Oui.
MUHLSTOCK :
Et vous l’avez enregistrée?
HILL :
Tout à fait.
MUHLSTOCK :
Eh bien, elle doit se rappeler bien des choses elle aussi.
HILL :
Oui, et je tente de trouver Jori Smith. Je pourrais essayer de lui parler à elle
aussi.
MUHLSTOCK :
Eh bien, Jori Smith serait quelque part dans la basse-ville de Québec, je
crois, à moins qu’elle ne soit revenue.
HILL :
Oui, eh bien c’est ce que je redoute. Je pense que je pourrais devoir revenir
à Montréal pour la voir.
MUHLSTOCK :
Hum! Elle a vécu dans ce�e rue pendant un certain nombre d’années. Son
mari se nommait Palardy, Jean Palardy.
41
HILL :
Exact. L’École du meuble; avez-vous eu des contacts avec les gens de l’École
du meuble?
MUHLSTOCK :
À l’École elle-même? Pas pendant qu’ils étaient dans les environs, en face
de la rue Sainte-Famille, qui était… leur école se trouvait dans l’École
Technique.
HILL :
Oh, vraiment?
MUHLSTOCK :
Et, plus tard, ils ont déménagé dans un édifice qui leur appartenait sur la
rue Berri, près de La Gauchetière. J’y suis allé pendant une courte saison;
j’ai sculpté un peu le bois avec Elzéar Soucy, qui était sculpteur là. C’est le
seul contact que j’ai eu là, et il y a eu Maurice Gagnon, qui était le directeur
à l’époque.
HILL :
D’accord. Quand avez-vous commencé à entendre parler d’un groupe de
personnes qui étaient à l’École du meuble? Je pense, vous savez, à Borduas,
Parizeau, Gagnon. Quand ont-ils vraiment commencé à occuper le devant
de la scène?
MUHLSTOCK :
Les dates, les dates, je ne les connais pas. Probablement quelque part dans
les années quarante, pas avant, ou peut-être au milieu des années quarante
ou même plus près des années cinquante, parce qu’ils étaient tous de jeunes
peintres.
HILL :
Par contre, ils ont participé à la formation de la Société d’art contemporain,
n’est-ce pas?
MUHLSTOCK :
Non. Oh, non.
HILL :
Non?
MUHLSTOCK :
Non, non. C’était seulement… Borduas était là, mais pas les plus jeunes.
42
HILL :
Non, je ne parle pas des élèves. Je pense plus à Borduas lui-même.
MUHLSTOCK :
Oui.
HILL :
Et Parizeau.
MUHLSTOCK :
Parizeau était seulement membre externe, et Gagnon était un membre
externe. Ce n’était pas des artistes, ce n’était pas des peintres.
HILL :
D’accord.
MUHLSTOCK :
Connaissez-vous les noms de ceux qui étaient membres externes? En
possédez-vous une liste?
HILL :
Je n’ai pas de liste des membres externes. J’ai une liste des artistes
membres.
MUHLSTOCK :
Hum! Parce que j’avais même perdu ça. J’ai été trésorier pendant un certain
nombre d’années, du groupe, mais j’ai… donc...
HILL :
On a formé le Groupe de l’Est. Vous en souvenez-vous?
MUHLSTOCK :
Oh, oui. En fait, non. Le Groupe de l’Est… c’était après la SAC ou peu de
temps après. Il y avait Lyman et Surrey, et Eric Goldberg était avec eux — le
regre�é Eric Goldberg — et j’ignore si Jori Smith était avec eux, le Groupe
de l’Est? Je ne m’en souviens pas pour l’instant. Marian Sco� exposait-elle
avec le Groupe de l’Est? Non.
HILL :
Jori Smith, si.
MUHLSTOCK :
Jori Smith, en effet. Donc, je me rappelle uniquement de ces noms : Lyman,
Surrey et Eric Goldberg.
HILL :
Quel était l’objectif du Groupe de l’Est?
43
MUHLSTOCK :
Ici encore, ils se sont réunis seulement pour exposer en tant que — ils
avaient peut-être l’impression d’en avoir assez de la SAC ou peut-être du
premier groupe de — bon, la SAC s’est bien sûr scindée quand Pellan est
arrivé avec certains de ses disciples, et il y avait Borduas avec les siens; ce
sont eux qui ont provoqué la scission. En d’autres circonstances, tout aurait
continué sans qu’il soit nécessaire de former un autre groupe, vous savez.
Mais, il y avait des frictions entre Pellan et Borduas.
HILL :
Avant la formation de la SAC, entendiez-vous beaucoup parler des primitifs
de Murray Bay, des Bouchard, et de ces gens?
MUHLSTOCK :
Si j’en ai entendu parler?
HILL :
Oui.
MUHLSTOCK :
Eh bien, j’ai vu… j’y suis allé une fois. J’ai visité leur atelier à St-Urbain, en
périphérie de St-Urbain.
HILL :
Qu’avez-vous pensé de leur travail?
MUHLSTOCK :
C’était honnête, autodidacte, très, très simple, mais… ce qu’on en pensait...?
Je l’ignore. Ce n’était pas de la bonne peinture.
HILL :
Hum!
MUHLSTOCK :
Ce n’était pas ce qu’on appelle de la peinture. C’était seulement des
expressions pures et honnêtes de Marie S., de Marie Bouchard, et de sa sœur
Mary Bouchard. Elles avaient aussi un frère qui faisait de la sculpture sur
bois, un peu de taille au couteau. Ils s’activaient. Mais, on les a exposés. On
les a exposés, parce que c’était de l’art primitif canadien français, et presque
tout ce qui était primitif a�irait l’a�ention, parce que certains vendeurs
espéraient découvrir un nouveau Rousseau. Et, de peur de perdre quelque
chose, on prenait tout ce qui ressemblait à de la peinture primitive.
HILL :
Hum!
44
MUHLSTOCK :
Je possède quelque chose qui m’a été donné pendant que je peignais dans
une ruelle, dans ce�e ruelle. Un homme s’est arrêté pour me regarder
peindre. Puis, il a dit qu’il avait quelque chose à me montrer; il est revenu et
m’a remis une peinture en me disant : « Vous pouvez la garder. » Elle était
beaucoup plus belle que certaines toiles des Bouchard. Je vous la montrerai
bientôt.
HILL :
Magnifique!
MUHLSTOCK :
Voulez-vous arrêter une seconde?
HILL :
Bien.
MUHLSTOCK :
Je vais l’amener ici. C’est entièrement différent. On voit ce que c’est avant
d’avoir eu le temps de l’analyser. Mais, c’est joli, puis vous la posez et vous
devez l’agrandir dix ou quinze fois. Qu’est-ce que c’était? Faire un livre
pour expliquer un poème de quatre lignes. C’était complet sous la forme
d’un poème de quatre lignes. N’y touchez pas; ne l’étirez pas.
HILL :
Quand a-t-il été question pour la première fois de former un groupe
d’artistes, qui est finalement devenu la SAC?
MUHLSTOCK :
Une réunion a été convoquée. Je ne sais pas; je ne me rappelle pas très
bien à quel moment elle a eu lieu, mais on a convoqué une réunion et
j’étais à la première rencontre avec… je ne me souviens plus combien
d’autres personnes étaient présentes, peut-être une demi-douzaine ou une
douzaine.
HILL :
Vous reste-t-il certains noms en mémoire?
MUHLSTOCK :
Si vous avez la liste des noms, je pourrais être en mesure de vous dire s’ils
étaient présents ou non à la première réunion.
HILL :
C’est une liste des premiers membres, si vous pouvez lire mon écriture.
45
MUHLSTOCK :
Et vous les avez en ordre alphabétique, oui. Ce sont les premiers qui sont
venus à la réunion?
HILL :
Non, ce sont les premiers membres qui figurent sur la liste de mai 39.
MUHLSTOCK :
En mai 39. Bercovitch, Borduas, Goldstein, Brandtner, Cosgrove, Charles
Fainmel, Louise Gadbois, oui, et Goldberg, c’était Eric Goldberg, et Eldon
Grier. Grier et Harrison, oui, c’était des amis, de bons amis de John Lyman.
Grier habite à Vancouver maintenant. Il écrit de la poésie. Jack Humphrey
vivait à… Humphrey était à Saint John, au Nouveau-Brunswick. Il ne vivait
pas ici. Palardy, Paque�e. Elle, je ne me rappelle pas l’avoir vue dans le
Groupe.
HILL :
C’est Marguerite Fainmel.
MUHLSTOCK :
Fainmel, oui, Paque�e était son nom de jeune fille. Roberts, Savage, Sco�,
Jori Smith, Surrey, Tinning, Bernard Mayman, Vice President Borduas,
Brandtner, et Surrey. C’était les premiers?
HILL :
De la direction.
MUHLSTOCK :
De la direction? Alors...
HILL :
Vous ne vous rappelez pas qui assistait à la première réunion à laquelle
vous êtes allé?
MUHLSTOCK :
Eh bien, apparemment eux y étaient… ont dû y être, s’ils ont été convoqués.
Habituellement, lors de la première rencontre, ils déterminaient
immédiatement qui allait faire quoi, et on passait au vote ou quelque
chose du genre. Ou la personne qui se portait volontaire pour assumer des
responsabilités disait : « Ça va » et devait organiser les réunions et rédiger
les procès-verbaux et autres. Je connais tous ces noms, bien sûr. Je crois que
certains d’entre eux venaient simplement, étaient invités à exposer et étaient
peut-être membres, parce que Fainmel, Marguerite Fainmel, Paque�e là, je
46
ne me rappelle pas l’avoir jamais vue à une réunion, ni Seiden. Nous nous
rassemblions pour des réunions, et il y avait des causeries, des conférences,
etc. Des groupes de discussion intéressants; parce qu’autrement, il n’y en
avait pas à Montréal.
HILL :
Hum! Savez-vous d’où vient le nom « Société d’art contemporain »?
MUHLSTOCK :
La SAC ? C’est seulement qu’elle était contemporaine. C’est tout; et ils ne
considéraient pas l’Académie comme contemporaine; c’était un nom aussi
bon qu’un autre.
HILL :
Il ne venait pas d’une association anglaise appelée Contemporary Art
Society?
MUHLSTOCK :
Peut-être; dans ce cas, Lyman a pu le savoir. Je l’ignorais.
HILL :
Hum! Ils exposaient à l’Art Association…
MUHLSTOCK :
La Société des Arts Contemporains… c’était un nom qui convenait aussi bien
en anglais qu’en français.
HILL :
Est-ce que c’était Art ou Arts Society? Vous en souvenez-vous? Vous avez dit
Société des Arts…
MUHLSTOCK :
Des Arts Contemporains, oui.
HILL :
Mais j’ai aussi dit Société d’Art Contemporain.
MUHLSTOCK :
Société d’Art Contemporain? Peut-être. Société d’Art Contemporain, Société…
HILL :
Mais vous vous en souvenez comme étant la Société des Arts?
MUHLSTOCK :
La CAS, la Contemporary Art Society pas Arts Society. Ça serait Contemporary
Art Society, Art, oui. Alors, ça serait Société d’Art Contemporain, c’est juste.
47
HILL :
Quel était le but de la Société? Quel était-il?
MUHLSTOCK :
Naturellement, de s’opposer à l’Académie, et de montrer… de montrer qu’il
existait une peinture différente de celle de l’Académie.
HILL :
La CAS devait-elle être une société d’exposition?
MUHLSTOCK :
Oui.
HILL :
La première exposition à être tenue n’était pas canadienne. Pourquoi?
MUHLSTOCK :
Si elle n’était pas canadienne, alors on y avait invité des collectionneurs
privés de la ville à exposer les œuvres qu’ils possédaient. Oui, je crois que
c’était une bonne idée de montrer qu’il y avait des découvertes à faire chez
des particuliers, des œuvres qui différaient des peintures de l’Académie.
HILL :
C’était donc une tentative pour faire mieux connaître l’art contemporain au
public?
MUHLSTOCK :
Exact. Exact. C’était l’objectif.
HILL :
Où la première exposition des membres a-t-elle eu lieu?
MUHLSTOCK :
C’était peut-être à l’Art Association. Dans l’une des galeries à l’étage, à l’Art
Association. C’est ce que je crois, parce qu’il n’y avait aucune autre galerie
où l’on pouvait exposer ici. La galerie privée n’offrait pas suffisamment
d’espace. Je me souviens que nous en avions tenu une…
[Fin du clip 3]
[Début du clip 4]
MUHLSTOCK :
… dans ce qui s’appelle maintenant la Salle Arthur Lismer, au Musée.
C’était la grande salle, en bas. Et avant cela, la présentation d’œuvres qui
appartenaient aux expositions prêtées, dans la galerie à l’étage. Il y avait
également le Père Couturier qui organisait des expositions, des expositions
48
d’œuvres contemporaines, et des œuvres des membres de la SAC qui étaient
allés à Paris.
HILL :
Il y a eu une présentation intitulée Les Indépendants
é
épendants
dans la ville de Québec
en 41, et plus tard, on l’a transportée chez Morgan. Vous souvenez-vous de
cela?
MUHLSTOCK :
Non, je ne crois pas m’en souvenir. Avez-vous le catalogue?
HILL :
Oui.
MUHLSTOCK :
J’aimerais voir certains de ces catalogues si vous en avez.
HILL :
Malheureusement, je ne les ai pas avec moi, mais je pourrais vous transme�re
des photocopies, si vous le désirez.
MUHLSTOCK :
Je serais très heureux d’avoir des copies de ces documents, de ces
catalogues.
HILL :
Certainement, bon, je peux vous les envoyer.
MUHLSTOCK :
Parce que je possède des boîtes de choses dans lesquelles je n’ai pas regardé
ou dont je ne me suis pas occupé depuis des années. De ces choses que l’on
met de côté, vous savez. Vous les accumulez, puis vous les me�ez dans
un contenant sur une étagère. Quand j’ai qui�é la maison en bas de la rue
il y a quatorze ans… la maison a été achetée pour être démolie afin de
construire la première tour. J’ai alors emballé mes affaires à la hâte, parce
que je vivais là depuis vingt-cinq ans. J’avais accumulé beaucoup de choses,
vous savez. Donc, je les ai empaquetées rapidement et j’en ai mis certaines
dans ma remise en face de là. Je n’y suis pas retourné pour les examiner
depuis quinze ans.
HILL :
J’espère qu’elles sont encore en bon état.
MUHLSTOCK :
Je l’espère aussi, à moins que les rats ne s’en soient occupés. Par conséquent,
49
s’il existe des catalogues, j’aimerais bien en obtenir une photocopie si ce
n’est pas trop compliqué, parce qu’il n’y avait pas de listes exhaustives
ou…
HILL :
Non.
MUHLSTOCK :
Nous n’avions pas les moyens d’acheter des catalogues.
HILL :
D’accord. En 39, Clarence Gagnon a fait une allocution dénonçant l’art
moderne devant le Pen and Pencil Club. Vous souvenez-vous de ça?
MUHLSTOCK :
Clarence Gagnon? Oh, le peintre?
HILL :
Exact.
MUHLSTOCK :
Oh non. Je ne sais rien de cela. C’était avant mon époque, en fait.
HILL :
Non, c’était en 39.
MUHLSTOCK :
Vous voulez dire qu’il est venu à Montréal?
HILL :
Oui.
MUHLSTOCK :
Et il y avait un Pen and Pencil Club ici, à Montréal? Parce que Toronto avait
un Pen and Pencil Club, pas Montréal.
HILL :
Non, Montréal en avait un aussi.
MUHLSTOCK :
C’est vrai?
HILL :
À Toronto, c’était le Arts and Le�ers Club.
MUHLSTOCK :
Oh, là-bas c’était le Arts and Le�ers et ici le Pen and Pencil?
HILL :
Oui, c’était seulement un groupe qui faisait des croquis. Il était plutôt actif
50
au début du siècle et je crois qu’après cela, il est devenu un…
MUHLSTOCK :
Et il est venu ici en dénonçant… sa conférence dénonçait…?
HILL :
Oui, elle a été publiée plus tard dans Amérique Française. Connaissiez-vous
Alfred Pellan avant son retour? Vous avez dit que vous l’aviez connu.
MUHLSTOCK :
Oui, à Paris, oui.
HILL :
Mais, plus tard dans les années trente, avez-vous entendu parler de lui
avant son retour en 1940?
MUHLSTOCK :
Eh bien, il a continué de peindre ici. Puis, il est revenu pendant la guerre, je
crois.
HILL :
En 1940.
MUHLSTOCK :
En 1940, il s’est arrangé pour revenir par ici. Avant cela, vous savez, il
travaillait tranquillement là-bas. Il n’y avait aucun… il n’était pas connu.
HILL :
Hum!
MUHLSTOCK :
Il n’était pas connu du tout ici.
HILL :
La guerre a-t-elle eu un effet sur les artistes, ou vous a-t-elle touché
beaucoup?
MUHLSTOCK :
La guerre en elle-même? Dans quel sens?
HILL :
Vous savez, quand la guerre a éclaté. Les artistes y ont-ils réagi? Les
artistes ont-ils eu l’impression, en tout cas, qu’ils devaient abandonner la
peinture?
MUHLSTOCK :
Non, non. S’il ont dû arrêter, c’est parce qu’ils n’avaient plus les moyens
financiers de peindre.
51
HILL :
D’accord.
MUHLSTOCK :
Autrement, il n’y a eu aucune espèce de protestation contre la guerre ou
de regroupement pour exprimer physiquement… pour marcher avec des
bannières sur lesquelles on aurait pu lire « Honte » ou « À bas la guerre ».
Non, les artistes n’ont pas… peut-être certains l’ont-ils fait individuellement,
comme vous le savez déjà, vous savez.
HILL :
Je me disais plutôt qu’un artiste ou qu’une personne aurait pu sentir que,
bon, vous savez, je ne peux pas continuer de peindre. Je dois faire quelque
chose de plus concret, de plus immédiat pour appuyer l’effort de guerre
ou…
MUHLSTOCK :
Eh bien, pendant la guerre, je suis allé dans les chantiers navals pour
dessiner les usines Canadian Vickers et CIL, seulement pour faire des dessins
des ouvriers au travail. Et nous avons eu l’impression qu’ils faisaient
leur… qu’ils travaillaient réellement. Ils avaient un travail, vous voyez, et
je circulais parmi eux pour faire des croquis, et quelques peintures. S’il n’y
avait pas eu la guerre, je ne serais peut-être pas allé dans ce�e direction,
vous voyez.
HILL :
Hum. Il semble que la SAC a permis à des artistes francophones et
anglophones de Montréal de se réunir pour la première fois. Y avait-il eu
des contacts avant ça?
MUHLSTOCK :
Eh bien, pas beaucoup. Si vous regardez la liste de noms là, combien voyezvous de noms français?
HILL :
Exact. Mais, alors…
MUHLSTOCK :
Vous avez uniquement le… qu’est-ce que c’était? Borduas s’y trouvait et
puis…
HILL :
Gadbois.
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[Remarque : l’enregistrement s’arrête brusquement]
[Fin du clip 4]
[Fin de l’entrevue de Louis Muhlstock par Charles Hill]
53

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