GAUGUIN en POLYNÉSIE
Transcription
GAUGUIN en POLYNÉSIE
Ayez toujours devant vous les Persans, les Cambodgiens et un peu l’Égyptien. La grosse erreur, c’est le Grec, si beau soit-il. modèle une Ève lointaine et inaccessible… PAUL GAUGUIN À DANIEL DE MONFREID, février 1897. d’avant le péché originel comme l’indique une Diane de Cranach et l’Olympia de Manet. Mais si les postures des corps sont proches – le journaliste Jules Leclerc parlera d’Olympia noire –, Gauguin fait de son le serpent sagement enroulé sur l’arbre placé au centre de la composition. Ainsi, alors Il prend alors pour vahiné Pahura, une qu’il est très abattu – il réalise durant l’été jeune fille de 14 ans, qui lui donnera un fils. son Autoportrait, près du Golgotha (titre Mais bien qu’il décide de « travailler d’ar- qui en dit long sur son état d’esprit) –, Gau- rache-pied », Gauguin déprime rapidement : guin va faire « de toutes les richesses que dès le mois d’avril 1896, il est déjà à bout Tahiti renferme », de « toutes ces couleurs, de ressources, souffre de sa jambe blessée cet air embrasé mais tamisé, silencieux » des et, dans sa solitude, fait le constat de sa vie : œuvres d’une grande sérénité, des images « À quoi suis-je arrivé ? à une défaite com- d’un monde mythique, telle Nave nave Te arii vahine (La Femme du roi) 1896 plète, confie-t-il à Daniel de Monfreid, […] mahana (Jour délicieux) – sorte de résumé Huile sur toile, 97 x 130 cm. Moscou, musée Pouchkine plus je vais, plus je descends ; […] Jamais de la vie océanienne, où de jeunes Tahi- personne ne m’a protégé parce qu’on me tiennes, immobiles et altières sous un ciel croit fort et que j’ai été trop fier ; […] je ne d’or, semblent se laisser bercer par la cha- suis rien, sinon un raté. » À cet aveu, il joint leur et le doux étirement des heures. Des pour les Marquises, puis y renonce pour pourtant un croquis « trembloté » à l’aqua- Tahitiennes qui lui paraissent encore bien voyage, agrémenté d’une escale à Auckland (Nouvelle-Zélande) s’installer à une quinzaine de kilomètres de relle d’une toile qu’il juge « encore meilleure mystérieuses, et dont « l’énigme réfugiée au Papeete, à Punaauia, près de l’embouchure que tout auparavant : une reine nue, cou- fond de leurs yeux d’enfant, dira-t-il, me qui lui permet d’étudier, carnet de dessin de la rivière Punaaru, sur la côte ouest. Là, chée sur un tapis vert […]. Je crois qu’en reste incommunicable ». en main, les collections maories du musée il loue un petit terrain, se fait construire un couleur je n’ai jamais fait une chose d’une Toujours soucieux de sa renommée et de d’Ethnologie, Gauguin débarque à Papeete fare local, en bambou et feuilles de palmier, aussi grande sonorité grave ». Il s’agit de Te ventes potentielles en France, il envoie le 9 septembre 1895. Face aux effets accrus et tente, en vain, de faire venir Tehamana, arri vahine (La Femme du roi), une toile qui quelques tableaux à Paris pour une expo- de la colonisation, il songe aussitôt à partir la « belle fleur dorée » de son premier séjour. fait référence à deux de ses œuvres fétiches : sition prévue à la galerie Vollard. Mais bien- Au terme de deux mois de 42 43